1998_02_11

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SdT volume 4, numero 2.

 

                                                                                             LA CITATION DU MOIS

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                                                                   "Leviathan is the text."

 

                                           Herman Melville, Moby Dick.

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                                                     SOMMAIRE

 

1- Coordonnees

             - Bienvenue a Roselyne Koren.

             - Nouvelle adresse pour Georges-Elia Sarfati et Marc Cavazza.

 

2- Carnet

             - Nouvelles positions de Christiane Jadelot, Georges-Elia Sarfati,

             et Marc Cavazza.

             - Le programme du seminaire de Semantique des Textes

             pour le second semestre.

             - Une observation de Humboldt sur le Chinois : le contexte precede

             la grammaire...

             - Sites Web : affaire Dreyfus ; revue Verbum.

 

3- Une vie apres la these

             - Propos autour de la these de Pascal Michelucci :

             " Philosophie et semantique du poeme chez Paul Valery :

               la metaphore aux limites du complexe valeryen "

 

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Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees

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BIENVENUE

[information réservée aux abonnés]

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Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet Carnet

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{FR, 05/02/98}

 

* Christiane Jadelot, ingénieur de recherche au CNRS, est affectée à sa demande

à l'équipe Sémantique des textes.

 

* Enfin une bonne nouvelle d'Israël :

Georges-Elia Sarfati est nommé professeur à l'Université de Tel-Aviv.

Nouveau courriel :

             gelia@internet-zahav.net

 

* What's new ? :

Marc Cavazza est à présent professeur de Digital Media à l'Université de

Bradford.

Nouvelle adresse :

             EIMC Department, University of Bradford,

             Bradford, BD7 1DP, UK.

Nouveau courriel :

             M.Cavazza@Bradford.ac.uk

 

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{FR, 06/02/98 et 10/02/98}

 

                                        Séminaire de sémantique

                           Conférences invitées et exposés de recherche

                             François Rastier, Directeur de recherche

 

                                           Année 1997-1998

                                           second semestre

 

Jeudi 12 février : Avec Denis Thouard, Jean-Michel Salanskis, Ruth Scheps

             Table ronde : Herméneutique et sciences

 

Jeudi 5 mars :  François Rastier (INaLF-CNRS)

             Parcours interprétatifs et parcours génétiques

             - Paysages de Flaubert

 

Jeudi 12 mars :             Ludovic Tanguy (Université de Bretagne occidentale)

             Vers une application informatique de la sémantique interprétative :

             le logiciel PASTEL et l'assistance  à l'interprétation des textes.

 

Jeudi 26 mars :             Denise Malrieu (INaLF-Cnrs)

             Thématique et dialectique dans un roman de M. Duras

             - Etude assistée par le logiciel Alceste.

 

Jeudi 2 avril :   Pascal Vaillant (Université Humboldt, Berlin)

             Les systèmes de signes iconiques - problèmes d'intersémiotique

 

Jeudi 14 mai :  Bénédicte Pincemin (EDF/DER)

             Diffusion électronique ciblée d'informations et de documents :

             le système DECID

 

Les jeudis de 18h à 19h30, Université Paris IV (1 rue Victor Cousin,

75005 Paris)

Amphithéâtre Le Verrier (galerie Richelieu, escalier F, 3 ème étage, à droite).

 

Ce séminaire ouvert fait également partie des conférences  du D.E.A. de

Sciences du Langage de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.

            

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{FR, 05/02/98}

LES LANGUES, C'EST DU CHINOIS

 

Signalés par Denis Thouard, ces propos humboldtiens pour stimuler les

méditations sémantico-interprétatives :

 

M. de Humboldt résume ainsi ses observations sur le chinois :

 

"Dans toutes les langues, le sens du contexte doit plus ou moins venir à

l'appui de la grammaire. Dans la langue chinoise, le sens du contexte est la

base de l'intelligence, et la construction grammaticale doit souvent en être

déduite. Le verbe même n'est reconnoissable qu'à son sens verbal. La méthode

usitée dans les langues classiques, de faire précéder du travail grammatical

et de l'examen de la construction, la recherche des mots dans le dictionnaire,

n'est jamais applicable à la langue chinoise : c'est toujours par la

signification des mots qu'il faut y commencer. Mais, dès que cette

signification est bien établie, les phrases chinoises ne prêtent plus à

l'amphibologie."

 

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{FR, 05/02/98}

MES DERNIERS SITES SERONT POUR VOUS

 

Le dernier site dreyfusard

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Un nouveau site créé pour le centenaire du J'accuse par Frédéric Pierron :

             http://www.agorapolis.com/zola

 

Prière d'insérer :

"On débute modestement mais cela devrait s'etoffer. Connaissez-vous quelqu'un

qui aurait fait une analyse stylistique du "J'accuse" de Zola ?

..ou qui serait pret a la faire pour l'occasion ?"

 

Verbum

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La revue linguistique de Nancy a ouvert ce site :

             http://www.nancy2.u-nancy.fr/RECHERCHE/PUBLICATION/VERBUM/verbum.htm

 

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Une vie apres la these ! Une vie apres la these ! Une vie apres la these ! Une

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{FR, 05/02/98}

VALERY SANS NARCISSISME ?

 

Propos autour de la thèse de Pascal Michelucci, soutenue récemment à Toronto :

 

                           " Philosophie et sémantique du poème chez Paul Valéry :

                             la métaphore aux limites du complexe valéryen "

 

I. Résumé de thèse

 

Maintes ouvres de Valéry sont fragmentées et génériquement indéfinissables.

Entre la poésie scrutée depuis toujours et les Cahiers que l'on découvre, de

grands pans de proses, dialogues et mélanges offrent nombre d'exercices

semi-littéraires et semi-philosophiques. La réception récente de ces écrits

apporte un éclairage nouveau sur la cohésion formelle et idéologique du

complexe des textes valéryens : la métaphore constitue un point névralgique

de cette cohérence.

 

La métaphorologie connaît des dissensions depuis l'apport des sciences

cognitives et leur correction novatrice des rhétoriques traditionnelles.

Parce qu'il forge très tôt des positions dissidentes quant à la conception

du sens lexical et à celle de l'ornementation stylistique par les figures,

Valéry découvre les grandes valeurs de la métaphore dans la fabrication des

théories et la méthode heuristique. Pourtant les premiers Cahiers de 1894-1900

visent à purifier le langage des représentations courantes et à fonder ainsi

une nouvelle psychologie exempte des déformations du langage. Ce n'est que

dans les années vingt qu'une nouvelle modélisation de la représentation intègre

le corps et apporte une position moins corrective à l'égard des métaphores,

postérieurement à la grande poésie de la maturité.

 

Dans les premiers projets de sa psychologie, le Système, Valéry vise à nettoyer

le langage et à régler la méthode. Il adopte des outils de questionnement voulus

purement représentatifs, le langage mathématique notamment, parallèlement à une

interrogation métalinguistique sur les outils de la pensée et la nature du

langage. La métaphore mathématique est d'abord élue pour atteindre ces buts,

et permet une prise de conscience progressive du potentiel heuristique des

métaphores.

 

C'est pourquoi le travail sur les brouillons de La Jeune Parque montre que la

génération du poème évolue perceptiblement vers une métaphoricité accrue, alors

que le sujet du poème porte sur les variables psycho-somatiques. Une technique

métaphorique originale est ébauchée en acte par le poème, comme en réaction aux

vers anciens, à la fois comme coupure et comme retrouvailles avec la technique

poétique mallarméenne. Cette technique proprement valéryenne perdure dans

« Fragments de Narcisse », où la métaphore est un agent systématique de

structuration et de mise en forme du sens - on peut remarquer un ravalement de

l'axiologie traditionnelle des images lumineuses. Il devient alors impossible

de parler d'une allégorie lumineuse. Enfin, cette technique systématique

appelle des stratégies interprétatives. Qu'il s'agisse de la question de

l'étymologie ou de celle des néologismes valéryens, de la lecture d'un poème

abscons, ou même de l'interprétation de pièces courtes, Valéry réalise par sa

pratique métaphorique une métaphysique personnelle qui rend compte de la

relation complémentaire du Corps, de l'Esprit et du Monde dans la connaissance.

 

 

II. Discussion entre Pascal Michelucci et François Rastier

 

FR : La métaphore est une figure outrageusement envahissante, au dépens des

tropes, des figures, puis de la rhétorique tout entière. L'inflation académique

à son propos est sans exemple, et les théories cognitives n'ont fait que

radicaliser un opportunisme théorique angoissant (cf. « Une métaphore, c'est

comprendre quelque chose par quelque chose d'autre », Lakoff et Johnson), qui

en a fait le fondement de toute interprétation.

 

PM : Peut-être n'est-ce pas la seule faute des théoriciens. De nombreux poètes

et écrivains sont aussi coupables de cette inflation, surtout lorsqu'ils se

donnent des airs de théoriciens (« Prenons le langage : si vous mettez de côté

les quelques éléments primitifs que sont les sons naturels, que vous reste-t-il

sinon des métaphores ? Qu'on les reconnaisse comme telles ou pas, encore

fluides et bariolées, ou alors racornies et délavées », Thomas Carlyle). Le

succès du récit de fiction a apporté avec soi un retranchement des poètes et

critiques dans des quartiers d'hiver. La métaphore se perçoit facilement comme

le noyau dur de la poésie (puisque la prosodie classique n'est plus en odeur

de sainteté). Baudelaire est peut-être un des grands premiers dans ce

mouvement de la modernité - l'éphémère et le transitoire du règne de l'image

(en traduction Baudelaire n'a ni queue ni tête, comme Mallarmé d'ailleurs).

Jacottet est à la pointe d'un mouvement inverse de nettoyage de la situation

métaphorique (si j'ose dire). Je crois que l'interrègne a donné aux théoriciens

les armes qui permettaient l'invasion.

 

Je comprends la chose ainsi en littérature. J'arrive moins bien à m'expliquer

pourquoi la métaphore envahit aussi la psychologie à travers la cognition à la

Lakoff. Il en fait le centre du langage et de la vie de l'esprit (à travers le

prisme de la langue anglaise), puisqu'au fond le langage est structuré par

l'expérience et le sémantique par des cadres d'activités (l'expression

« holistically structured activities » me vient en tête) qui fournissent la

configuration du sens. Forcément il a besoin de la notion de métaphore pour

jeter des passerelles entre ses divers prototypes sémantiques - on en resterait

sinon à la rencontre de la machine à coudre et du parapluie - et rendre compte

d'un dynamisme qui rend possible l'apparition de métaphores, mais aussi tout

bonnement la création de nouveaux énoncés non-prévus dans le domaine d'origine

(les joueurs de criquet peuvent ainsi se faire comprendre des campeurs, des

femmes au régime et des chirurgiens).

 

Ce que cela apporte de nouveau à la théorie de la connaissance, je ne sais.

 

FR : Il semble que la métaphore soit le moyen, pour Lakoff (comme pour

Sokal...), de poser en le réifiant le problème de l'imagination, et plus

généralement de la création.

 

En tout cas votre typologie des théories métaphoriques est-elle bienvenue.

Je ne suis pas certain certain toutefois que le partage entre la

rhéto-stylistique et le philo-cognitivisme permette d'y voir si clair.

Vous attribuez à la première option des traits qui sont plutôt ceux de la

problématique logico-grammaticale (lexicale, componentielle), et à la seconde

des traits de la tradition rhétorique et herméneutique, préoccupée des

contextes, des textes et des situations. Il me semble que cette hypallage

théorique obscurcit quelque peu l'enquête.

 

PM : Je comprends que vous voyez là une hypallage et vous me donnez l'idée

qu'un tableau à trois entrées rendrait mieux compte de ce que j'ai réuni

sous l'appellation philo-cognitiviste. L'herméneutique et le cognitivisme

(j'étends un peu le domaine et il se résume dans ce cas à une petite poignée

de chercheurs, à ce que j'en sais) considèrent les apports du lecteur sous un

angle bien différent, alors que la stylistique n'en a cure (même lorsqu'elle

se veut impressive elle postule un effet unique programmé dans le texte et n'a

besoin du lecteur que comme actualisateur de virtualités). Cela tient au choix

de leur objet d'enquête et j'aurais pu leur rendre meilleure justice.

 

La distinction doublement primitive m'a été donnée par une intuition que

les uns (rhéto-stylistique) et les autres (philo-cognitiviste) tenaient des

positions bien différentes quant à la nature du sens littéral (cela annonçait

Valéry, comme carte de visite). Cela sent peut-être le truc présentatif, mais

vu l'état du champ métaphorique il fallait trouver un point d'entrée.

 

FR : Quant à son rôle chez Valéry, il y a lieu de s'interroger sur ce Système

qui semble à bien des égards un mixte contradictoire de philosophie spéculative

mais encyclopédique, dans la tradition hégélienne, et d'une rhapsodie

fragmentaire qui reprendrait la subversion nietzchéenne.

 

PM : Plusieurs des Valéryens eux-mêmes en sont perplexes (en privé).

Publiquement, on suture tout ça en parlant d'écriture-Protée, de comminution

des fractures, d'Orphée philosophe démembré - métaphores pratiques mais qui

font long feu car je crois qu'il n'y a pas de cohérence philosophique franche

dans ce mixte. C'est un syncrétisme, et le vrai projet reste un grand flou

éidétique : « j'ai l'esprit unitaire en mille morceaux », « mélange c'est

l'esprit », « j'ai beau faire tout m'intéresse » - les formules valéryennes

allant dans ce sens sont légion. Si Valéry se reconnaît bien dans son Système

c'est surtout qu'il y place ses réactions épidermiques et ses engouements sans

se soucier de leur complémentarité théorique, et en prenant pour acquis leur

pertinence philosophique (comme dit la pub : « c'est moi qui l'ai fait »).

 

Disons pour compléter par le tiers manquant que pour le Système son être réside

plus loin que son être-là. Le critique est jeté là et il peut habiter par le

langage la maison de ce drôle d'être. Les contradictions ne devraient pas trop

angoisser, car Valéry s'en accommodait finalement le mieux du monde.

 

FR : On pourrait mettre en relation la sémantique de Valéry, qui doit beaucoup

à Mallarmé comme à Bréal, avec la sémantique de tradition saussurienne que

vous utilisez.

 

PM : Un projet en effet que je garde sous le coude. Celeyrette-Pietri a un bon

article sur Valéry, Mallarmé et Bréal (Archives des lettres modernes 225, 1987,

75-97 - une autre article par F. Richaudeau établit une précursivité de Valéry

en psycholinguistique), mais il y a encore de la place comme vous l'avez vu.

 

FR : Finalement, la poétique valéryenne ne tient qu'un rôle discret, comme

absorbée par la philosophie d'une part, et la poésie proprement dite de

l'autre.

 

PM : En fait on en a beaucoup parlé, mais la poétique a été connue

principalement à travers les textes notoires des Variété (Collège de France,

etc.). Les vraies notes du cours ont été publiées au compte-goutte par un élève

(à la Saussure) dans une obscure revue marseillaise sur laquelle je ne suis pas

encore arrivé à mettre la main. Simone Weil les a lues au fur et à mesure et

elles lui ont fait l'effet d'une révélation (Le Breton, Georges - « Notes du

Cours de poétique de Paul Valéry », Yggdrasill, nº 9-34 [1937-1939]).

 

FR : Il n'est pas certain cependant que la métaphore soit le meilleur point

d'entrée dans son oeuvre, du moins quand son concept relève (notamment dans

la critique française, fort influencée par la tradition des grammairiens

philosophes) d'une problématique du signe. Elle peut certes tenir un rôle

éminent dans la philosophie linguistique de Valéry, souvent occupé à accuser

les insuffisances et les ressources du langage. Mais dans sa pratique poétique,

la métaphore s'estompe, ni métaphore symboliste, ni image surréaliste, et

laisse place à des entrelacs complexes d'isotopies. Sauf à croire Valéry quand

il affirme l'unité de sa pensée, sa théorie et sa pratique de la métaphore

restent sans doute relativement indépendantes.

 

PM : Vous me faites là une objection très perceptive, avec laquelle je me suis

débattu pas mal lorsque je devais trouver un angle d'attaque. Ce que vous dites

est équitable vis-à-vis de la poésie des Charmes que j'ai étudiée en gros à

partir de quelques pièces.

 

« Dans le discours naturel nous ne rencontrons qu'exceptionnellement des

métaphores isolées. Il n'y a guère que dans la discussion critique qu'on les

met sur l'étal, comme des poissons-chats prêts à être vidés », W.C. Booth,

The Company We Keep. An Ethics of Fiction, Berkeley, University of California

Press, 1988, p. 325.

 

Je voulais essayer de montrer comment les grappes de métaphores que sont

certains poèmes de Valéry devaient à une conception du signe et à des

thématiques qui sont chez lui des obsessions. Ces grappes me semblent faire

système dans une technique d'écriture, et appellent des processus de lecture

qui permettent de faire sens de ce que ces poèmes signifient acrobatiquement.

Sans faire du Heisenberg, il n'y a pas dans les quelques exemples que j'ai

détaillés, une absence franche de métaphores mais plutôt une tresse d'isotopies

dont certains noeuds fonctionnent sur deux des trois plans indiqués (le plus

souvent), par métaphore. A ce titre elle a une place de choix dans les poèmes,

comme agent architectural disons, ou comme relance du sens dans les petites

unités textuelles un peu précieuses que Valéry fabrique.

 

Je ne pouvais pas faire un catalogue de métaphores sans laisser échapper ce

feuilletage du sens qui est je crois une fierté d'auteur et une ficelle

valéryenne (et abandonnée par la suite). Informé, on en voit l'absence en

lisant n'importe lequel des poèmes de jeunesse qui sont des plus plats en

comparaison. L'Album de vers anciens, remaniement de « vers anciens » comme

il est dit, voit la technique à la hausse. « Été » fait exception, car dans

l'ensemble, on est loin de la « technique valéryenne », lisons tarabiscotage,

qui a fait sa gloire et sa réputation d'obscurité. Un catalogue ne me

permettrait je crois que de noter l'identité grammaticale des termes, les

domaines d'inscription et leur relation en gros, ou majoritairement. Je voulais

plutôt mettre le doigt sur un fonctionnement et (vous ne vous y trompez pas)

j'entre bien dans ces textes en tirant des isotopies - ce qui éloigne de la

métaphore.

 

FR : Pourquoi, sans coup de force certes, mais sans autre nécessité que

d'unifier l'oeuvre, penser que les Cahiers, du seul fait qu'ils sont parallèles

aux poèmes, procèdent d'une démarche commune ?

 

PM : Outre leur distribution chronologique parallèle, et leurs ressemblances

thématiques, je vois dans les Cahiers et la poésie des rapports théoriques

importants (la métaphore en est un). Quand pendant longtemps Valéry développe

les causalités des enchaînements d'idées, et les « relations rationnelles »

(lisons motivées) et que cela se retrouve comme méthode d'écriture cela peut

suggérer l'évidence : Valéry n'écrit pas comme le fait un générateur

automatique de textes, ni comme R. Roussel. Par contre même si l'idée des

réseaux de sens était banale au départ, le fait qu'elle réapparaisse dans les

brouillons des poèmes me fait lever l'oreille.

 

Ceci dit, je suis conscient que c'est peut-être mince pour dire que c'est la

même chose. Les deux espaces textuels ont leurs propres règles et leurs propres

buts j'en conviens volontiers. Vous avez toutefois bien perçu l'intérêt

stratégique d'unifier l'oeuvre d'une manière ou d'une autre : les Cahiers

gagnent à être reconnus.

 

FR : Vos analyses, qu'il faudrait commenter avec plus de détail, apportent du

nouveau à la génétique française, tentée tout à la fois par un positivisme

qui ne rend pas justice à la philologie, et des simplifications

« énonciatives » ou néo-freudiennes, qui négligent en fait le problème de la

textualité.

 

PM : Une phrase bien sentie ! « Je suis le moins freudien des hommes » écrit

Valéry. « Freud et Cie » lui inspirent une méfiance teintée d'angoisse. (On

m'a demandé pendant la soutenance pourquoi j'avais subtilisé Freud dans

l'interrogation sur Narcisse et sur la métaphore).

 

Il est facile de voir que la génétique française est séduite par le freudisme

et le lacanisme - sans que cela apporte de grandes réponses d'ailleurs. Il y a

eu un temps psychanalytique pour Valéry aussi (un peu en perte de vitesse

globalement). Il est plus curieux d'abandonner les critiques qu'il lui a faites

pour montrer, d'emblée avec Freud, la vérité d'une psyché sur laquelle Valéry

lui-même n'a fait que se pencher - in abstracto, sur le rêve par exemple, et

sur le Moi, le Soi, le Moi pur, le Moi2, l'Ego...

 

Pour la génétique comme pour la psychanalyse, on passe vite la textualité sous

silence (il y a du et des discours - ça parle. Cela est plus surprenant chez

les généticiens qui s'attachent au texte - ça parle, mais comment ça marche ?).

Je crois qu'il y a intérêt à revenir patiemment aux textes et je suis bien

conscient de ne pas avoir épuisé le sujet avec mes grandes remarques.

 

FR : Tant mieux ?

 

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