2002_01_24
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SdT volume 8, numero 1.
                                                   SOMMAIRE

Voeux de l'annee et citations du mois.
1- Coordonnees
              - Bienvenue a Valerie Bonnet, Niels Windfeld Lund, Valerie
               Delavigne, et Driss El Khattab.
             - Pierre Dard change d'adresse.
2- Carnet
             - Programme du seminaire de Semiotique a l'EHESS (Paris)
                            "Incorporation du sens et semiotisation du corps"
3- Textes electroniques
             - Latin : chat (Cirlapa) et textes (Bibliotheca Augustana).
             - Hyperbase : bases disponibles et nouvelles possibilites
              d'interrogation.
4- Textes
             - Antoine Thomas :
                            "La semantique et les lois intellectuelles du langage"
5- Appels : Colloques et revues
             - Journee Metiers des Industries de la Langue, Paris, 7 mars.
             - Colloque de la Societe de semiotique du Quebec
                            "Signe des temps. Temps, temporalite et historicite"
              15 et 16 mai 2002, Université Laval, Québec.
             - XVIe colloque international de la SATOR
                            "Topique narrative de l'etranger (de l'etrange)"
              3 au 5 octobre 2002, Queen's University, Kingston, Ont. Canada
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{FR, 23/01/2002}

VOEUX DE L'ANNEE ET CITATIONS DU MOIS

Pour cette année palindromique (il faudra attendre 2112 pour la
prochaine) nous pourrions reprendre Flaubert :

             "Que faut-il vous souhaiter?
              Du soleil, l'hiver, pour vos promenades ;
              de la pluie, au printemps, pour vos gazons ;
              pas de maladies à vos toutous ;
              d'entendre la plus belle musique du monde et
              de rencontrer de bons livres.
              Quoi encore ? Que vous manque-t-il ?
              Si vous avez un chagrin, qu'il s'en aille !
              Un désir, qu'il s'accomplisse !"
                            Lettre à la princesse Mathilde,
                            [vers le 1er janvier 1866], Corr., éd. Jean Bruneau,
                            Pléiade, t. III, p. 476.

Mais, inspirée par Philippe Toussaint, la rédaction de SdT a réfléchi :

" Je devais prendre un risque, disais-je les yeux baissés, en caressant
 l'émail de la baignoire, le risque de compromettre la quiétude de ma
 vie abstraite pour.
 Je ne terminai pas ma phrase."
                            [Jean-Philippe Toussaint, La salle de bain]

Donnons d’abord la référence demandée de la précédente Citation du mois,
que nous avons publiée alors qu’elle était encore inédite : Sémir Badir,
Moulin à eau, Ecritures, 13, p. 10.
Dans le même numéro, pp. 80-81, une contribution d’un autre de nos
correspondants, François Vaucluse, d’où nous tirons, en guise de carte
de voeux, ces quelques
                                    Images du sens
             Le sens fuit les mots, l’Egypte lexicale.
             On ne donne pas de sens aux livres : on le leur rend.
             Le sens n’est plus la cendre du sensible.
             Le dessin, rêve d’après nature. Plus vrai que la peinture,
             pur mouvement, émotion de maîtrise : le grain du trait crée
             la couleur, congédie la densité obsédante des choses.
             Pas d’obstacle à la recherche du sens, puisqu’ il réside dans
             l’obstacle.

             Comme la Loi et la Révolte entre les hommes, le sens réside
             entre les mots, car il est fait de syntaxe et de silence.
             Dans certains livres, des chemins que seuls peuvent suivre
             des lecteurs immatériels.

             Passé certain degré de beauté, toute théorie de la lettre
             devient une théorie du sens.
                         
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Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees
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Selon Giorgio Di Maria, modérateur de Cirlapa, "les conversations se poursuivent parfois toute la nuit, et l'ambiance y est très joyeuse". Avis aux amateurs, la traduction latine de chat est "Locutorium". * Bibliotheca Augustana http://www.fh-augsburg.de/~harsch/augustana.html Une collection impressionnante de textes anciens en latin, hébergée par le serveur de l'université allemande d'Augsbourg. 333333333333333333333333333333333333333333333333333333333333333333333333 {FR, 23/01/2002} HYPERBASE Message de Etienne Brunet <Etienne.Brunet@unice.fr> Bonjour, Je peux procurer aux intéressés un cédérom qui donne les mêmes informations sur Balzac que la base BALZAC (sur : lolita.unice.fr) et beaucoup d'autres qu'Internet ne permet pas. Les mêmes textes (49 au total) s'y trouvent, et cette fois on peut tourner les pages et accéder pleinement au texte. Les fonctions documentaires et statistiques y sont beaucoup plus développées, puisqu'on peut rechercher et traiter non seulement les formes (sans être limité à 360 occurrences), mais aussi les lemmes, les initiales, les finales, les chaînes, les expressions, les cooccurrences, les codes grammaticaux (par exemple le subjonctif imparfait à la troisième personne du pluriel), les structures syntaxiques (par exemple la suite déterminant + adverbe + adjectif + substantif + relatif) et même les regroupements sémantiques (par exemple finances, amour, journaux, etc...). La base est en effet étiquetée et lemmatisée dans son intégralité. D'autres bases, de même volume, sont aussi disponibles et peuvent être gravées sur le même cédérom. La dernière concerne HUGO, dont on fête le bicentenaire. Elle contient 31 textes complets et 3 millions de mots, étiquetés et lemmatisés. C'est plus que ce dont je disposais il y a 12 ans quand j'ai publié "Le vocabulaire de Hugo", chez Slatkine. Je peux aussi fournir d'autres monographies à peu près exhaustives sur Rabelais, La Fontaine, Molière, Racine, Marivaux, Rousseau, Chateaubriand, Flaubert, Maupassant, Baudelaire, Rimbaud, et, sous conditions, Saint-John Perse, Eluard, Gracq, Mammeri, Chraïbi, etc. Il y a cependant deux limites : d'une part le même cédérom ne peut pas contenir tous ces hypertextes et il faudra choisir (rien n'interdit cependant de graver plusieurs cédéroms, en attendant que les lecteurs de DVD soient suffisamment répandus). D'autre part des embarras juridiques peuvent interdire le transfert lorsqu'il s'agit de textes sous copyright. Mais le fait que tout cela soit gratuit permet d'espérer échapper aux poursuites, surtout si le destinataire est un universitaire qui s'adonne à la recherche et s'engage à un usage personnel et non lucratif. Cependant le logiciel HYPERBASE qui met en oeuvre toutes ces bases n'est pas gratuit : il est facturé 145 euros. Son intérêt principal est de permettre la réalisation d'autres bases hypertextuelles, avec les données de l'utilisateur. Son emploi n'est pas limité au français et des dictionnaires de référence sont fournis pour l'anglais et le portugais. Bien cordialement Etienne BRUNET Le Collet des Fourniers - Saint Roman de Bellet - 06200 Nice (France) Email: brunet@unice.fr - Tél. : 04 93 37 80 73 444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444 Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes 444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444444 {FR, 23/01/2002} TEXTE : SEMANTIQUE FIN-DE-SIÈCLE Antoine Thomas La sémantique et les lois intellectuelles du langage in Essais de philologie française, Paris, Librairie Émile Bouillon, Éditeur, 1897 : ch. XIX, pp. 166-193 Une nouvelle science nous est née, paraît-il, la science des significations. Le bruit public désigne M. Michel Bréal comme en étant le père, et M. Bréal ne s’en défend pas. Sachant qu’il n’est pas indifférent de s’appeler Pierre ou Paul pour faire son chemin dans le monde, le savant philologue n’a voulu laisser à personne le soin de la tenir sur les fonts, et il l’a baptisée du docte nom de sémantique, de sêmainô, signifier, cueilli dans l’antique jardin des racines grecques. Il fallait s’attendre à voir du grec en cette affaire. Si M. Bréal avait inventé quelque ustensile, quelque jouet, quelque bibelot, quelque "article de Paris", il aurait trouvé sans peine dans l’arsenal de nos mots composés du type tire-bouchon, un nom tout français pour son invention. Notre langue n’est pas fière, en effet ; elle accorde volontiers ses faveurs au camelot, quitte à les refuser plus d’une fois au penseur. Il ne faut pas trop en vouloir à nos écrivains s’ils s’adressent à Rome ou à Athènes pour trouver un trucheman quand ils ont quelque nouveau concept à nous communiquer. D’ailleurs, comme parrain, M. Bréal a eu la main heureuse. Ce nom de sémantique n’a pas seulement le mérite de s’opposer à phonétique, comme la science des significations s’oppose à la science des sons. Il est élégant de sa personne ; et, malgré son origine exotique, je trouve qu’il a un cachet bien français. Nos voisins les Allemands qui sont, comme on sait, de grands philologues, n’ont pas été sans soupçonner l’existence de la filleule de M. Bréal : ils l’appellent entre eux (car ils se fournissent aussi à Athènes) la sémasiologie. Ne trouvez-vous pas que sémasiologie a l’air un peu bien gothique ? Parti de la chaire de M. Bréal au Collège de France, le mot sémantique a fait discrètement son chemin dans notre enseignement supérieur, puis, des facultés, il a passé dans nos lycées de garçons. Voici qu’il vient de faire tapageusement irruption dans l’enseignement secondaire des jeunes filles. Les journaux ont annoncé que les candidates à l’École de Sèvres s’étaient trouvées face à face, dans un sujet de composition, avec ce mot, dont elles n’avaient jamais entendu parler, et dont l’abord n’a pas été sans leur causer quelque effroi. J’apprends de bonne source que, pour la plupart, -admirez l’instinct féminin, ou la puissance suggestive d’un mot grec frappé au bon coin,- elles n’ont pas été longues à se ressaisir et ont parfaitement traité leur sujet de composition. Pour le coup, puisque les femmes y mettent les mains, le mot sémantique est mûr pour l’Académie française ; le dictionnaire de l’usage le guette, et les petites filles des candidates de Sèvres le liront sans doute dans la prochaine édition. Qu’est-ce donc au juste que cette science des significations à laquelle M. Bréal nous convie ? Vous vous doutez bien qu’il ne suffit pas de connaître la signification de beaucoup de mots dans une ou plusieurs langues pour être versé dans la sémantique. Vous pouvez être polyglotte comme Mezzofanti, qui parlait cinquante-huit langues, voire comme Simon, dit Pierre, et ses onze compagnons, qui, le soir de la Pentecôte, les parlaient toutes ; vous pouvez posséder votre "Littré" et votre "Larousse" sur le bout du doigt, sans avoir plus de droit au titre de sémantiste qu’un modeste collectionneur de timbres-poste à une chaire de législation comparée. Savoir que seigneur se dit en latin dominus, en allemand herr, en anglais lord, etc., ou que le verbe prendre est susceptible, d’après Littré, de quatre-vingts subdivisions, c’est quelque chose assurément, et qui n’est pas à dédaigner ; pourtant, cela ne fait que vous préparer à l’étude de la sémantique. Mais si vous vous emparez du mot français seigneur ; si vous me le campez en face du mot latin seniorem, qui lui a donné naissance ; si vous attirez mon attention sur ce fait que seniorem ne signifie pas en latin ce que tout bon Français, sachant sa langue, entend par le mot de seigneur, mais bien celui qui est plus âgé ; si vous réussissez à me faire comprendre comment, à m’expliquer pourquoi et à m’apprendre depuis quand le langage des hommes en est venu à prendre celui qui est plus âgé, à savoir le grec prebyteros, est devenu prêtre, lequel mot français, ne signifie ni celui qui est plus âgé, ni le seigneur, mais ce que chacun sait, et si vous avez médité sur ce point, qui semble au premier abord inconciliable avec le précédent, de façon à me rendre raison de ceci, de cela, de tout ce qui s’y rattache, et d’autres choses encore ; oh ! alors, mais seulement alors, je proclamerai que vous avez réellement pris pied dans le domaine de la sémantique.
C’est un domaine immense, on le conçoit facilement, où les
faits en apparence les plus contradictoires se heurtent,
s’entrecroisent et s’enchevêtrent, comme les lianes des forêts
vierges du nouveau Continent. Si l’amateur est séduit par le
beau désordre qui se présente d’abord à ses yeux, s’il s’amuse
en toute gaieté de coeur à suivre le mouvement capricieux de
la pensée humaine ricochant de mot en mot, le savant reste
confondu et plein d’angoisse devant ce pays de féerie. Il se
demande s’il est possible de ramener à quelques causes simples
et permanentes la multiplicité des phénomènes variables,
c’est-à-dire de constituer une science de la sémantique. La
science, il est vrai, semble s’être emparée de ce domaine le
jour même où elle a créée pour lui le nom de sémantique, mais
cette prise de possession ressemble singulièrement à la façon
de faire des nations européennes qui plantent leur drapeau sur
un point inoccupé de la côte d’Afrique, et s’adjugent
fièrement l’empire d’un hinterland qui reste à conquérir, et
même à découvrir.

La sémantique est le contre-pied de la phonétique. Je ne
serais pas surpris que le désir de protester contre les
outrances de certains phonétistes ait enfin arraché à M. Bréal
la publication de son livre, depuis longtemps sur le métier.
"Pour qui sait l’interroger, dit-il, le langage est plein de
leçons. Si l’on se borne aux changements des voyelles et des
consonnes, on réduit cette étude aux proportions d’une branche
secondaire de l’acoustique et de la physiologie." Il est bon
de rappeler ici que M. Bréal, professeur de grammaire comparée
au collège de France, a provoqué lui-même tout récemment la
création d’un laboratoire de phonétique expérimentale annexé à
sa chaire et l’a fait confier au savant de France le plus
qualifié en la matière, M. l’abbé Rousselot. On ne peut donc
lui reprocher de méconnaître l’intérêt et l’importance des
études phonétiques. Je regrette d’autant plus de ne pas
trouver dans son livre une déclaration bien catégorique en
faveur de cette pauvre phonétique, qui y est si souvent prise
à partie, ne fût-ce que pour bien marquer les rapports de
cette science avec celle à laquelle M. Bréal vient d’élever un
monument. Il semble trop, à le lire, que le sémantiste, juché
sur sa tour d’ivoire comme l’astronome sur son observatoire,
puisse contempler les lois intellectuelles du langage, sans se
préoccuper en rien de l’élément matériel, dont il abandonnera
dédaigneusement l’étude au phonétiste. Or, il faut le
proclamer bien haut, un essai de sémantique n’est possible
dans une langue que quand la phonétique historique de cette
langue est connue à fond. La phonétique est la base
indispensable de la sémantique, comme de la linguistique même,
et toute spéculation qui ne se fondera pas sur elle ne sera
qu’un aimable jeu d’esprit sans portée scientifique.

Bien souvent, dans les langues modernes et surtout dans le
français, des mots ont exactement le même son et la même
orthographe, qui n’ont rien de commun quant à l’étymologie. Le
cousin est un insecte, mais c’est aussi un parent ; le
moucheron est une variété de cousin (insecte), mais c’est
aussi le bout de la mèche d’une chandelles qui brûle. C’est la
phonétique historique qui nous apprendra que cousin (insecte)
se rattache au latin culex, tandis que cousin (parent) vient
de consobrinus ; que le moucheron (insecte) est un dérivé de
mouche (latin musca), tandis que le moucheron de la chandelle
vient du verbe moucher, dont le radical est le latin muccus.
Notre mot maille, substantif féminin, a trois sens différents
: 1° une ancienne monnaie dans les locutions proverbiales :
n’avoir ni sou ni maille, avoir maille à partir avec quelqu’un
; 2° une tache ; 3° une boucle de tissu. C’est à la sémantique
qu’il appartient d’élucider le rapport des sens 2° et 3°, qui
se trouvent ainsi réunis dans le latin macula ; mais le sens
1° constitue un mot tout différent, doublet de médaille, qui
se rattache au latin metallum. Quels éclats de rire
accueilleraient le sémantiste qui chercherait dans les lois
intellectuelles du langage l’explication parallèle de deux
sens de cousin et de moucheron, ou des trois sens de maille !
La phonétique existe donc par elle-même, indépendamment du
sens des mots ; mais la sémantique est dans la dépendance
étroite de la phonétique, qui lui fournit la matière première
qu’elle met en oeuvre. Un sémantiste qui ne sera pas en même
temps phonétiste est capable des pires folies : tel un cheval
ombrageux à qui on oublie de mettre les oeillères. Un exemple
va le montrer.

Soit le mot français douve, ou plutôt (pour parer à tout
événement) le phonème français douve, substantif féminin. Sous
ce même phonème, vous trouverez dans Littré trois articles,
c’est-à-dire trois mots différents. Le premier réunit les sens
de "planche de tonneau", et de "fossé" ; le second désigne une
plante qui est une variété de renoncule ; le troisième
s’applique à un ver que l’on trouve dans le foie des moutons
atteints de cachexie aqueuse. Littré vous expliquera que la
plante a pris le nom de douve parce qu’elle croît dans les
fossés, et que le foie douvé du mouton a été comparé à un
fossé marécageux. Mais, comme il n’est pas très sûr de son
fait, il s’en tient à ce que lui paraît indiquer le bon sens :
la division du phonème douve en trois mots. Le Dictionnaire
général de MM. Adolphe Hatzfeld et Arsène Darmesteter est plus
tranchant : il fond les trois mots en un, ce qui est logique,
du moment qu’on admet un rapport sémantique entre eux. Mais le
rapport du sens de "plante" au sens de "ver" est présenté
autrement que dans Littré : les auteurs nous disent en effet
que la plante passe pour engendrer des vers dans le foie des
moutons qui la mangent. Or, la phonétique historique et
comparée nous enseigne, et seule elle peut nous enseigner, que
le phonème douve, en tant que signifiant "fossé", est
identique au latin doga et au grec, tandis que le même
phonème, en tant que signifiant "ver", est identique au latin
dolva ; elle nous enseigne encore qu’aucun rapport
étymologique n’est possible entre doga et dolva ; elle nous
montre enfin que le phonème douve en tant que signifiant
"renoncule" se rattache à dolva et non à doga. Que
d’ingéniosité dépensée en pure perte pour trouver un lien qui
n’existe pas entre un fossé et un ver ! Il ne reste absolument
rien des explications données a priori par Littré et MM.
Hatzfeld et Darmesteter. Mais remarquez que la phonétique ne
se borne pas à les renverser : c’est elle qui met en lumière
un fait intéressant de sémantique, le seul qui résulte de
l’étude scientifique du phonème douve, à savoir qu’une plante
a reçu par analogie le même nom qu’un ver.

Avec M. Bréal on n’a pas à craindre de pareilles mésaventures.
La finesse de son esprit, autant que la profondeur de sa
science, le met en garde contre l’erreur. Sachons lui gré
d’avoir porté résolument la hache dans cette manière de forêt
vierge qui constitue le domaine de la sémantique. Grâce au
livre qu’il vient de publier, et qui résume une longue
expérience, le terrain est jalonné, les grandes percées sont
faites et l’on voit nettement les amorces des chemins qui
restent à tracer pour que l’exploitation scientifique entre en
pleine activité.

Assurément M. Bréal a eu des devanciers. Depuis longtemps les
grammairiens ont étudié les tropes, qui forment comme la rose
des vents de l’esprit, et nous avons eu des générations de
synonymistes, qui ont fait dans la direction de la sémantique
d’importants travaux d’approche. Récemment, Arsène Darmesteter
a publié La Vie des mots, petit livre qui a eu un grand
retentissement, où il la ingénieusement classé les
observations faites en préparant avec M. Adolphe Hatzfeld le
Dictionnaire général de la langue française. La part
d’originalité de M. Bréal n’en reste pas moins considérable.
Elle consiste surtout à avoir cherché avec clairvoyance un fil
conducteur pour se guider dans ce labyrinthe, et ce fil
conducteur, il l’a trouvé en écartant toutes les causes
secondes et en s’adressant directement à la seule cause vraie
des phénomènes du langage, c’est-à-dire à l’intelligence et à
la volonté humaine. Son point de vue est donc tout différent
de celui d’Arsène Darmesteter. Darmesteter écrit : "Les
langues sont des organismes vivants dont la vie, pour être
d’ordre purement intellectuel, n’en est pas moins réelle et
peut se comparer à celle des organismes du règne végétal ou du
règne animal." M. Bréal a protesté l’un des premiers, avec M.
Gaston Paris, contre cette affirmation. Il renouvelle
aujourd’hui ses protestations. "L’abus des abstractions,
l’abus des métaphores, tel a été, tel est encore le péril de
nos études. Nous avons vu des langues traitées d’êtres vivants
: on nous a dit que les mots naissaient, se livraient des
combats, se propageaient, et mouraient. Il n’y aurait aucun
inconvénient à ces façons de parler s’il ne se trouvait des
gens pour les prendre au sens littéral. Mais, puisqu’il s’en
trouve, il ne faut pas cesser de protester contre une
terminologie qui, entre autres inconvénients, a le tort de
nous dispenser de chercher les causes véritables."

Cette déclaration si catégorique mérite d’autant plus d’être
retenue qu’elle arrive au moment même où, dans ses Antinomies
linguistiques, M. Victor Henry, professeur à la Sorbonne,
vient de faire une brillante sortie en faveur de la conception
de Darmesteter.

M. Victor Henry est d’accord en somme avec MM. Gaston Paris et
Bréal sur le sens purement métaphorique qu’il convient
d’attribuer à l’expression "vie du langage", et il dit fort
justement à ce sujet : "Douer de vie cette entité (le
langage), c’est déjà énorme ; mais sous prétexte qu’on l’a
douée de vie, vouloir y retrouver les caractères essentiels et
distinctifs de la vie, la naissance, la croissance,
l’assimilation, la mort, ce qui enfin constitue un organisme
vivant, c’est simplement parer des grâces du style la
sécheresse de la constatation scientifique ; sinon, c’est ne
rien comprendre à cette constatation même." Comment peut-il
donc songer à justifier "à la lettre" l’expression "vie des
mots" sans se mettre en contradiction avec lui-même ? En
montrant qu’il y a un abîme entre ces deux expressions
d’aspect identique "vie du langage" et "vie des mots", la
première n’étant qu’une métaphore, la seconde, au contraire,
"une vérité d’ordre général, un postulat métaphysique dont les
applications particulières relèvent essentiellement de la
psycho-physiologie."

Un bon juge a reconnu à la langue de M. Henry une force de
vulgarisation peu ordinaire : c’est ce qui explique jusqu’à un
certain point que je me hasarde à le suivre sur le terrain de
la métaphysique.

Je m’attache à ses paroles mêmes et, pour le combattre, je
n’ai d’autres armes que celles qu’il me fournit. D’après lui,
la phonétique, la morphologie, la dérivation, la syntaxe sont
des parties de la linguistique qui se suffisent à elles-mêmes,
qui s’abstiennent en tout cas de toucher au "mystère de la vie
des mots". Il n’en est pas de même de la sémantique (M. Henry,
à dessein ou non, ne se sert pas de ce mot, mais je ne crois
pas trahir sa pensée en l’employant). "La vie des mots, en
tant que signes de concepts et concepts eux-mêmes, n’est point
du tout une fiction, mais un fait, un fait psychologique ou
même psycho-physiologique, et l’un des aspects, non le
moindre, de la vie universelle." Ainsi, c’est une pure
métaphore de qualifier de "vie" l’évolution qui a transformé
le français jument, mot qui signifie primitivement "bête de
somme comme le mot latin. Mais le jour où l’on a fait servir
pour la première fois le français jument à désigner la femelle
du cheval, femelle qui s’appelait d’abord ive, du latin equa,
ce jour-là jument est réellement "né" en français et ive y est
réellement "mort"", car "cette double évolution suppose à la
fois la mort des parties de l’organisme qui servaient de siège
à certaines corrélations, et le développement de nouveaux
éléments biologiques susceptibles d’en enregistrer de
nouvelles". Qu’on n’objecte pas que M. Henry transporte au
concept ce qui convient proprement à la cellule cérébrale ; il
ne s’embarrasse pas de ce paralogisme : c’est le "postulat
métaphysique" dont il a été question plus haut. Je lui accorde
son postulat, mais je trouve en même temps qu’il ne postule
pas assez. Car pourquoi ne pas admettre le même processus
biologique dans les autres manifestations de l’évolution
linguistique ? Que le mot qui était, il y a vingt siècles,
jumentum soit aujourd’hui jument, "c’est là, dit M. Henry, un
problème de linguistique pure, en tout cas étranger à la vie
des mots, par la seule et péremptoire raison que c’est en
réalité le même mot". Mais en quoi le fait que jumentum et
jument sont le même mot prouve-t-il que le changement de l’un
à l’autre est ou n’est pas un fait biologique ? Il y a eu
certainement un homme qui, après avoir dit jumentum, a dit
jumentu, puis un autre qui a passé de jumentu à jument : je
laisse de côté les modifications phonétiques que l’écriture ne
révèle pas. Or, vous m’apprenez vous-même que le langage
suppose "l’association intime et indissoluble d’un concept et
d’un signe affecté à sa représentation". Vous m’obligez donc à
admettre un concept-signe "jumentum - bête de somme", un autre
concept-signe "jumentu - bête de somme", etc., et je prétends
que le premier homme qui a dit jumentu au lieu de jumentum a
accusé par ce simple fait "la mort des parties de l’organisme
qui servaient de siège à certaines corrélations et le
développement de nouveaux éléments biologiques susceptibles
d’en enregistrer de nouvelles.".

Je demeure persuadé pour ma part que l’abîme découvert par M.
Henry entre la "vie du langage" et la "vie des mots" est à
peine un fossé minuscule. Il ne m’en coûte pas de sacrifier
l’appareil biologique du livre de Darmesteter, car, débarrassé
de cet oripeau voyant et tapageur, son livre conserve toute sa
valeur intrinsèque, que M. Bréal lui-même n’a pas songé à
diminuer.

Revenons au livre de M. Bréal. Dans la Vie des mots,
Darmesteter s’est limité à l’étude du français comme l’avait
fait Littré dans sa Pathologie verbale, réimprimée récemment
sous un titre plus juste et plus clair : Comment les mots
changent de sens. L’horizon de M. Bréal est beaucoup plus
étendu : il embrasse toute l’aire des langues
indo-européennes. Le sanscrit, le grec et le latin sont ses
langues de chevet, et quand il fait appel aux langues
modernes, il ne s’adresse pas exclusivement au français et aux
autres langues romanes : l’anglais, l’allemand, parfois le
slave, viennent déposer tour à tour à la barre. Par cela même
que ses ressources sont plus considérables, il a des visées
plus hautes. La sémantique n’est plus seulement pour lui,
comme pour Darmesteter, la "science des changements de
signification dans les mots". Laissant de côté les changements
de phonétique, qui sont du ressort de la grammaire
physiologique, elle étudie dans toutes leurs manifestations
les causes intellectuelles qui président à la transformation
des langues. "Extraire de la linguistique ce qui en ressort
comme aliment pour la réflexion, voilà ce que j’ai essayé de
faire dans ce volume," nous dit l’auteur. Telle que la
pratique M. Bréal, la sémantique nous apparaît moins comme une
science distincte que comme une certaine façon d’entendre et
d’étendre la linguistique. C’est une sorte de linguistique
supérieure, un extrait, une quintescence de linguistique ? Et
comme par définition, elle s’attache à ce qu’il y a dans les
langues de plus "spirituel" par opposition à la phonétique,
qui se limite à ce qu’il y a de plus "matériel", c’est, si
vous voulez, une véritable métaphysique du langage.

Ceci dit, je tiens à rassurer le lecteur. Le mot cruel de
Voltaire sur la métaphysique ne saurait, sans parti pris,
s’appliquer à la sémantique. Autant la phonétique est
rébarbative, pour les profanes, autant la sémantique est
séduisante et accessible à tous. M. Bréal vous en donnera une
bonne raison : "Dans l’étude à laquelle je convie tous les
lecteurs, il ne faut pas s’attendre à trouver des faits de
nature bien compliquée. Comme partout où l’esprit populaire
est en jeu, on est, au contraire, surpris de la simplicité des
moyens, simplicité qui contraste avec l’étendue et
l’importance des effets obtenus." Vous n’aurez pas de peine à
en trouver une autre, et qui compte, si vous lisez seulement
quelques chapitres de ce livre. C’est que M. Bréal est un
grand charmeur, en même temps qu’un grand savant. Personne
n’excelle comme lui à rendre la science aimable, cette science
fût-elle la grammaire comparée. Il a au suprême degré l’esprit
de finesse et de discrétion. Dans la masse des faits que lui
fournit sa profonde connaissance des langues anciennes et
modernes, il sait choisir ceux qui sont propres à frapper
l’esprit du lecteur ; il les sertit, il les enchâsse, et il
fait litière du reste. Il ne cherche pas à éblouir ; il
s’insinue adroitement. Au besoin, il tendra malicieusement des
pièges à l’amour-propre du lecteur et sollicitera sa
collaboration. Après avoir cité de l’italien et de l’allemand,
il s’arrêtera sur cette phrase : "Nous laisserons au lecteur
français le soin de trouver des exemples dans notre langue."

J’avoue que je me suis laissé prendre au piège. Sans être
familier avec la grammaire comparée des langues
indo-européennes, j’ai lu d’un bout à l’autre le livre de M.
Bréal, et j’y ai pris un plaisir extrême, autant pour ce que
j’y ai trouvé que pour les rapprochements que cette lecture
m’a suggérés. Chacun peut tenter l’expérience, et à peu de
frais. Il suffit qu’il connaisse bien sa langue maternelle :
c’est là le pantographe qui lui permettra de faire
agréablement et profitablement une réduction de l’Essai de
sémantique à son usage particulier. Pour en donner une idée,
j’analyserai les huit premiers chapitres, ceux qui sont
consacrés aux lois intellectuelles du langage, et qui forment
les fondations de tout l’édifice, en appliquant à l’histoire
particulière de la langue française quelques-unes des
remarques générales de l’auteur.

La loi de spécialité. - Une tendance de l’esprit, qui
s’explique par le besoin de clarté, c’est de substituer des
exposants invariables, indépendants, aux exposants variables,
assujettis. L’ancien français avait quelques comparatifs à la
mode latine : graignor, plus grand ; forçor, plus fort ;
hauçor, plus haut ; juveignor, plus jeune ; gençor, plus
noble. Mais ce mécanisme, déjà privé de son vrai sens, ne
tarda pas à disparaître, non pas, comme on l’a dit, par suite
de l’altération phonétique, mais par l’action de la loi de
spécialité. Un seul mot assume en français la fonction du
comparatif : plus. M. Bréal passe sous silence les comparatifs
formels qui se sont conservés jusqu’à nos jours : meilleur,
pire, moindre, et le plus curieux, parce qu’il est de création
relativement récente, plusieurs. Mais remarquez que cet oubli
ne va pas à l’encontre de sa théorie, car ces quatre témoins
d’une morphologie surannée ont un bien mince crédit dans la
langue actuelle. Pire, moindre, plusieurs, n’ont pas réussi à
barrer la route à plus mauvais, plus petit, plus nombreux. Il
est vrai que meilleur a défendu jalousement son droit
héréditaire : mais au prix de combien de réprimandes et de
corrections nous sommes-nous rangés à ne pas dire plus bon !

M. Bréal cite comme un exemple notable de spécialisation
l’extension donnée en anglais à l’s comme signe du génitif. Un
cas analogue peut être relevé en ancien français, ou plutôt,
comme aimait à dire Darmesteter en moyen français : au XIIIe
et au XIVe siècle, l’s a été ajoutée, comme signe du cas sujet
singulier, à tous les noms masculins qui ne la possédaient pas
héréditairement : li oms (l’homme), li peres (le père), etc.

La loi de répartition. - M. Bréal appelle ainsi "l’ordre
intentionnel par suite duquel les mots qui devraient être
synonymes, et qui l’étaient, en effet, ont pris des sens
différents et ne peuvent plus s’employer l’un pour l’autre."
Il serait tentant de citer ici les doublets que le français
doit à la formation savante superposée à la formation
populaire : porche et portique, geindre et gémir, etc. M.
Bréal ne le fait pas, et peut-être a-t-il raison. En effet,
chaque série de mots a eu pendant longtemps pour domaine une
couche sociale différente, ce qui a, dans une certaine mesure,
empêché la comparaison et par suite la répartition de se
faire. Tel n’est pas le cas des couples comme chaire et
chaise, pis et poitrine, dont on peut faire état. Mais c’est
surtout l’étude de nos patois qui nous réserve une abondante
moisson d’observations intéressantes, moisson si riche qu’elle
suffit, et au-delà, pour confondre les linguistes qui nient la
répartition. M. Bréal cite des faits recueillis par M.
Gilliéron, dans la Suisse romande, et par M. l’abbé Rousselot,
dans la Bretagne gallo. En Bretagne, par exemple, les jardins
s’appelaient autrefois des courtils.

Voici deux exemples que j’emprunte aux patois du Midi, et qui
ne sont pas moins probants.

On sait que le français bois a pour correspondant le provençal
bosc. Or, dans le Gers, bosc n’est plus usité qu’au sens de
"forêt". Au sens de "bois de chauffage", on ne connaît que
bouès, mot d’emprunt, où il est impossible de méconnaître le
français bois avec sa prononciation archaïque.

Dans le même département, et aussi, je crois, dans tout le
sud-ouest, on se garderait bien de dire nou (non) à une
personne que l’on ne tutoie pas : les bienséances commandent
de dire nani, et nos paysans n’y manquent jamais. Il est clair
que si nou est la formule de négation traditionnelle dans le
pays, la formule polie nani n’est autre chose qu’un emprunt du
français nennil, lequel, une fois entré dans la langue en
concurrence avec nou, a reçu de la loi de répartition un rôle
approprié à son haut parage. Tout un chapitre de l’histoire de
la civilisation française tient dans ce nani méridional.

L’irradiation. - L’auteur, qui est très sobre de néologismes,
a réuni sous ce nom, faute d’un autre terme, "une série de
faits qui n’a pas encore été dénommée et qu’on a guère
observée jusqu’à présent". Exemple : on a coutume d’appeler
verbes inchoatifs les verbes latins comme maturesco, marcesco,
parce qu’ils ont l’air de marquer un commencement d’action ou
du moins une action qui se fait peu à peu ; cependant la
désinence -sco n’a par elle-même rien d’inchoatif et l’idée
inchoative qu’on a fini par y voir y a été "irradiée" par
l’emploi fréquent des verbes adolesco, floresco, senesco,
etc., qui désignent des actions qui, par leur nature même,
sont lentes et graduelles.

M. Bréal remarque justement que le suffixe français -âtre n’a
acquis que par irradiation la valeur péjorative qu’il possède
aujourd’hui. J’en dirai autant de nos suffixes -ard, -aud et
-aille, que rien ne semblait destiner, si l’on se rappelle
leur étymologie, au rôle dépréciatif qui leur est presque
toujours dévolu aujourd’hui.

Il peut nous arriver de considérer comme appartenant à
l’élément formel d’un mot des lettres prises sur l’élément
matériel : c’est encore, d’après M. Bréal, un phénomène
d’irradiation. Il ne cite d’exemples que pour le grec ancien,
l’anglo-américain et l’allemand populaire. Je crois que
l’irradiation joue un grand rôle dans la dérivation française
: par là s’explique ce qu’on appelle l’intercalation de
suffixes ou de lettres suffixales et le développement des faux
suffixes. C’est certainement, par exemple, à l’irradiation que
le faux suffixe -erie doit, en grande partie, la fortune
singulière qu’il a faite dans notre langue. A l’origine, les
mots en -ier comportent seuls des dérivés terminés en -erie :
de chevalier on fait chevalerie, d’hôtelier, hôtellerie,
d’épicier, épicerie, etc. Dans ces mots terminés en -erie,
-er- fait partie de l’élément matériel, et -ie constitue
l’élément formel.

Mais bientôt on établit un rapport direct entre épice et
épicerie, entre hôtel et hôtellerie, et l’on prend en bloc
-erie pour un suffixe de dérivation : de là des mots comme
fumisterie, lampisterie, maçonnerie, machinerie, etc. La
création de mots de ce genre a commencé de bonne heure et
n’est pas près de cesser. Chaque jour nous la montre à
l’oeuvre, selon les besoins qui se produisent. La Compagnie
des chemins de fer du Nord vient de faire inscrire en belles
capitales le mot chauffetterie dans ses grandes gares (c’est,
j’imagine, le local où l’on remise les chaufferettes ou
bouillottes). Les inspecteurs de surveillance administrative,
institués par l’État auprès des grandes compagnies, n’ont pas
encore songé à leur interdire la mise en circulation des mots
qu’on ne trouve pas dans le dictionnaire de l’Académie
française. C’est bien heureux.

La survivance des flexions. - Les observations réunies dans ce
chapitre (survivance du datif dans les pronoms, de l’ablatif
absolu, du neutre, etc.) concernent spécialement le français.
Je ne crois pas qu’elles aient toutes la portée que l’auteur
leur attribue ; mais je ne retiendrai que ce qu’il dit de la
survivance du génitif (plus exactement de l’accusatif en
fonction de génitif) dans les expressions comme l’hôtel-Dieu,
les quatre fils Aymon, la rue Aubry-le-Boucher. M. Bréal
remarque que le peuple abandonne ou transforme ce qu’il ne
comprend pas : "dans des expressions comme la place Maubert,
le quai Henri IV, ce n’est plus, dit-il, un génitif que nous
percevons, mais il nous semble que nous prononcions le nom
même de ces voies publiques ; nous avons transformé la
construction génitive dont il vient d’être parlé." Est-ce bien
sûr ? Si la place Maubert était pour nous la place qui
s’appelle Maubert, il me semble que nous dirions la place de
Maubert, comme nous disons la ville de Paris, la rivière
d’Allier, le fleuve du Jourdain, etc. J’incline à chercher
dans l’analogie la principale cause du développement de cette
construction à laquelle nous devons la plupart de nos noms de
rues, de quais et de boulevards. Il est impossible d’expliquer
par la syntaxe française, soit ancienne, soit moderne, la
locution rue Montmartre, qui est pour rue de Montmartre (qui
va à Montmartre). Ce n’est que devant un nom de personne que
la langue française se passe de la préposition : rue
Pierre-Sarrazin, cours la Reine. Il faut admettre une
influence analogique ayant son point de départ non seulement
dans les noms de rue où l’absence de la préposition devant un
nom de personne est conforme à l’ancienne syntaxe, mais dans
ceux où le mot qui suit rue est un adjectif. La locution
abrégée Rue Montmartre est due en grande partie à celle de Rue
Poissonnière, la seule correcte à l’origine. Remarquez que
l’analogie nous entraîne bien plus loin, quand elle nous fait
accoupler sans scrupule, un substantif masculin et un adjectif
féminin dans les expressions reçues : faubourg Poissonnière,
boulevard Poissonnière.

Les fausses perceptions. - Quand on dit que l’allemand King
fait au pluriel Kinger, on donne à entendre que -er est la
désinence du pluriel ; cependant -er n’est pas autre chose que
le suffixe -es ou -er que nous avons dans le latin generis. Ce
qui n’a pas empêché que toute une catégorie de mots ait suivi
cet exemple : Weber, Lamer, etc. On peut donc dire que le
sentiment qui fait aujourd’hui reconnaître dans Kinger, Weber,
une désinence du pluriel, est au point de vue de l’histoire
une fausse perception.

Il n’est pas toujours facile de distinguer une fausse
perception d’une irradiation. M. Bréal a mentionné, dans son
chapitre sur l’irradiation, ce fait que l’anglo-américain
Portuguee et Chinee, comme formes du singulier, de Portuguese
et Chinese, où l’s formelle a été prise pour le signe du
pluriel. N’est-ce pas là de la fausse perception ?

La fausse perception n’est pas si rare en français que le
silence de M. Bréal pourrait le faire croire. Dans l’usage
familier, nous ne prononçons pas l’l de il ; d’autre part, ce
pronom suit souvent un t qui se lie avec lui, et nous disons
négligemment : C’est-il bon ? C’est-il possible ? au lieu de :
Est-ce bon ? Est-ce possible ? La langue populaire s’est faite
avec ces éléments une véritable particule interrogative et
exclamative, susceptible de se combiner avec n’importe quelle
personne : je suis-ti bête ? etc. Il y a à la fois fausse
perception et irradiation.

Si vous avez fréquenté les grands magasins de nouveautés de
Paris, peut-être savez-vous que l’employée chargée de débiter
à la caisse s’appelle la débitrice. Ce féminin étrange est dû
à une fausse perception du masculin débiteur. On sait en effet
que débiteur réunit sous un même phonème deux mots distincts :
un substantif emprunté au latin debitor, qui a seul droit au
féminin débitrice, et un substantif dérivé du verbe débiter,
dont le féminin légitime, débiteuse, a été victime de ce que
M. Bréal appelle spirituellement quelque part "un infanticide
verbal".

L’analogie. - On a beaucoup écrit sur l’analogie. Les quelques
pages que M. Bréal lui consacre ont surtout pour but de
prouver qu’on s’est mépris en la représentant comme "une
grande éponge se promenant au hasard sur la grammaire pour en
brouiller et en mêler les formes". Pour lui, l’analogie n’est
pas une cause, mais un moyen. Les langues recourent à
l’analogie dans quatre cas déterminés : 1° pour éviter quelque
difficulté d’expression ; 2° pour obtenir plus de clarté ; 3°
pour souligner soit une opposition, soit une ressemblance ; 4°
pour se conformer à une règle ancienne ou moderne. Cette
conception du rôle de l’analogie suppose l’existence d’une
volonté à demi consciente et opérant à tâtons, qui préside à
l’évolution du langage. J’admire, et tout le monde admirera la
puissance de synthèse déployée par M. Bréal dans ce chapitre ;
mais je doute qu’on puisse canaliser si régulièrement les
mille sources jaillissantes de l’analogie. Je crains même que
le système des quatre causes finales de M. Bréal, qui laisse
de côté plus d’un cas d’analogie manifeste, ne devienne fatal
à la théorie qui lui est chère en fournissant aux partisans de
"l’éponge" ou de la "force aveugle" une cible bien en vue.

Le français dit : les poules pondent, pondaient, tandis que
l’ancien français disait : les poules ponnent, ponnoient.
L’ancienne langue parle conformément à l’étymologie, puisque
le verbe pondre vient de ponere et que le d est une lettre
adventice dont la présence n’est justifiée qu’à l’infinitif et
aux temps qui en dérivent (futur et conditionnel). Il est
clair que la conjugaison moderne pondre, pondent, est due à
l’analogie et s’est modelée sur fondre, fondent ; répondre,
répondent, etc. Mais on avouera que la langue n’est entrée
dans cette voie ni pour éviter quelque difficulté, ni pour
obtenir plus de clarté, ni pour souligner une opposition ou
une ressemblance. Est-ce pour se conformer à une règle
ancienne ou moderne ? Mais la conjugaison normale pondre,
ponnent, était tout à fait conforme à celle de semondre,
semonnent, de coudre, cousent, et de bien d’autres verbes.
Remarquez en outre que l’analogie agit en sens inverse sur le
verbe prendre et qu’il se produit un véritable chassé-croisé :
pendant que pondre, pondent, devient pondre, ponnent, nous
voyons prendre, prendent céder la place à prendre, prennent.
La loi selon laquelle agit l’analogie nous échappe
complètement dans ce cas et dans bien d’autres. M. Bréal
lui-même doit être persuadé qu’il ne suffit pas de savoir ses
quatre règles pour avoir réponse à tout.

Et pourtant, je sais gré à M. Bréal des efforts qu’il a faits
pour tirer l’analogie de l’état chaotique où certains
linguistes se complaisent trop à la maintenir, et je crois que
ses idées méritent la plus sérieuse considération. Les progrès
de la phonétique ont de plus en plus accrédité l’opinion que
les lois phonétiques n’ont pas d’exception, ce qui revient à
dire que toute exception a sa raison d’être et qu’au lieu de
la négliger, en vertu du vieil axiome que l’exception confirme
la règle, il faut trouver cette raison d’être. Mais, trop
souvent, on veut faire de la régularité phonétique avec du
dérèglement analogique, et l’on attribue à l’analogie,
considérée comme la folle du logis, des écarts dont elle est
bien innocente. Un jeune philologue allemand, se trouvant dans
l’impossibilité d’expliquer par la phonétique l’f finale du
français soif (l’ancienne langue dit régulièrement soi),
n’a-t-il pas soutenu que la première personne du verbe boire
ayant dû être primitivement je boif, on avait dit par analogie
j’ai soif ! Peut-être y regarderait-on aujourd’hui à deux fois
avant de se livrer à pareils jeux d’esprit. Il est bon qu’une
voix autorisée rappelle que l’analogie a droit à plus d’égards
et ne doit pas être éternellement le pis aller des phonétistes
intransigeants.

Acquisitions nouvelles. - L’histoire des pertes du langage a
souvent été faite ; celle des acquisitions reste à écrire. A
titre d’indication, M. Bréal montre comment dans les langues
anciennes l’infinitif s’est peu à peu dégagé d’une union
tardive entre le substantif et le verbe, comment le passif est
sorti de la forme réfléchie, comment enfin sont nés en latin
les adverbes en -e. Incidemment il rappelle que les verbes
allemands en -ieren, imités du français, reposent bien sur
notre infinitif et non, comme on l’a soutenu récemment, sur
nos anciens cas sujets en -ère, comme trouvère. Peut-être
est-ce aller un peu loin que d’ajouter à ce propos : "Rien ne
prouve plus clairement comment l’idée du verbe, dans nos
langues modernes, s’est incarnée dans l’infinitif." Que dire
alors des emprunts faits par l’anglais -emprunts signalés par
l’auteur lui-même dans un autre chapitre- à nos verbes en -ir
sous la forme -ish, forme due manifestement à la terminaison
-is de nos trois premières personnes de l’indicatif ?

L’étude de la morphologie du français et des autres langues
romanes comparée à celle du latin fournirait beaucoup de
matériaux pour compléter ce chapitre.

La naissance de l’article, dégagé peu à peu de l’adjectif
démonstratif, et la formation du futur et du conditionnel par
la combinaison de l’infinitif avec les temps simples du verbe
avoir, sont deux faits si connus que le lecteur y songera de
lui-même. Une acquisition plus particulière, et dont l’origine
précise n’est pas encore déterminée, est celle qu’a faite le
provençal d’un participe futur passif : sabord es, il est à
savoir, filha maridadoira, fille à marier. Le patois lorrain
s’est donné à une époque récente une seconde forme
d’imparfait, analogue comme fonction à l’imparfait anglais
périphrastique, I was singing, en fondant le verbe avec
l’adverbe or : je chantaisor, j’étais en train de chanter.
Enfin ne peut-on pas parler ici de la formation des adverbes
en -ment ? Ce n’est pas seulement la juxtaposition d’un
adjectif et d’un substantif à la manière latine qu’il faut y
voir, mais bel et bien la création d’une véritable désinence
adverbiale, car nous avons fait impunément et sciemment pour
traduire le latin impune et scienter sans nous mettre en peine
de savoir si nous avions ou non un adjectif français
correspondant, et nous affublons parfois de cette désinence
des mots déjà en fonction d’adverbe, mais qui n’en portaient
pas la livrée, tirant comment de comme et quasiment de quasi.

Extinction de formes inutiles. - Y a-t-il des extinctions de
mots ou de formes qui soient imposées par la phonétique ? On
l’a soutenu maintes fois. M. Bréal en doute, et il a bien
raison. M. Gaston Paris a montré, à l’encontre d’Arsène
Darmesteter et de Frédéric Diez lui-même, que rien ne justifie
l’opinion que certains mots aient été trop courts, trop
faibles de son, à l’époque romane, pour "résister à l’action
délétère des lois phonétiques". La disparition de beaucoup de
mots de ce genre -quelle qu’en soit la cause- ne tient pas à
leur constitution phonétique. Aussi ne puis-je me ranger à
l’avis de M. Bréal quand il écrit, avec la meilleure intention
du monde : "Premere, pellere auraient eu peine à se faire
admettre en français." D’abord premere existe à l’origine du
français, sous sa forme régulière qui est priembre ; s’il
avait vécu, il aurait suivi la même évolution que giembre et
criembre, qui sont devenus geindre et creindre (écrit craindre
sans bonne raison), et serait aujourd’hui preindre, comme en
témoignent ses composés encore vigoureux épreindre, et
empreindre. Quant à pellere, il serait devenu peaudre, comme
tollere, molere sont devenus toudre, moudre. Si preindre a
disparu de bonne heure de l’usage, si peaudre n’a peut-être
jamais existé en français, ce n’est certainement pas la faute
de la phonétique.

Dans ce chapitre, M. Bréal ne dit pour ainsi dire rien du
français, peut-être parce qu’il y aurait trop à dire. Où la
surproduction des formes est-elle plus remarquable que dans
notre ancienne langue ? Que l’on compare la conjugaison de
l’ancien français et la nôtre, on sera ébahi de la frondaison
luxuriante, démesurée du moyen âge et l’on admirera
volontiers, comme M. Bréal le fait pour le grec, l’intelligent
élagage des formes inutiles que notre langage a subi depuis
lors. L’ancien français a deux imparfaits (ere et estoie) et
trois formes d’infinitif et de passé défini, trois et jusqu’à
quatre formes de participe passé ! Félicitons-nous d’avoir
échappé à cette polymorphie encombrante.

Il me vient cependant une inquiétude, et je me demande si
l’extinction porte toujours sur des formes, sur des mots
inutiles. Nous assistons depuis longtemps à l’agonie du passé
défini et à celle de l’imparfait du subjonctif, auxquels la
propagande du livre donne seule un reste de vie. Leur
disparition définitive sera-t-elle sans dommage pour la langue
? Nous avons perdu les anciens mots destre et senestre, qui
seraient aujourd’hui, s’ils avaient vécu dêtre et senêtre.
Leur place a été prise par droit et gauche, qui ont surchargé
leur signification propre d’une signification voisine, mais
pourtant très distincte. Croit-on que nous y avons gagné en
clarté ? Il serait facile de citer beaucoup d’exemples du même
genre. Aussi trouvera-t-on M. Bréal bien optimiste en le
voyant conclure ce chapitre de l’extinction, et du même coup
sa première partie, par ces mots : "Ici, comme dans toutes les
lois que nous avons étudiées en cette première partie, nous
trouvons à l’oeuvre une pensée intelligente, non une nécessité
aveugle."

C’est là la note dominante du livre, et elle est bien faite
pour charmer nos oreilles, puisqu’en faisant l’apologie du
langage, c’est notre propre apologie que M. Bréal nous force
d’entendre. "Nous ne doutons pas, dit-il en terminant, que la
linguistique, revenant de ses paradoxes et de ses partis pris,
deviendra plus juste pour le premier moteur des langues,
c’est-à-dire pour nous-mêmes, pour l’intelligence humaine."
Mais si certains linguistes sont injustes pour nous, je crains
que M. Bréal ne nous ait été parfois indulgent jusqu’à la
partialité. Il a réussi à montrer que la pensée de l’homme
était intimement associée à beaucoup de phénomènes
linguistiques, attribués trop souvent à la structure des
organes, qu’elle en était même le premier moteur ; mais il a
peut-être trop dissimulé la faiblesse, l’inconsistance, la
versatilité prodigieuse de ce premier moteur. L’homme est un
roseau pensant, mais ce n’est qu’un roseau.

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Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels
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{Stouder, 07/01/2002}
Appel à Présentations
                                 Journée METIL
                            (Les Métiers des Industries de la Langue)
proposée conjointement par
  l’ATALA (Association pour le Traitement Automatique des LAngues)
  et l’APIL (Association des Professionnels des Industries de la Langue)
Paris (France) - 7 mars 2002
CHU Pitié - Amphi E - 105 bd de l'Hôpital - 75013 Paris

Journée organisée par Nathalie Gasiglia (Silex, Univ. Lille 3), Alain
Couillault (ISAdE) et Lionel Stouder (APIL).

La journée METIL se veut un lieu d’échange entre les professionnels et
futurs professionnels des Industries de la Langue (étudiants,
chercheurs, formateurs, professionnels des entreprises) leur permettant
de mieux connaître l’éventail des activités de ce domaine. A cet effet,
cette journée se composera de courtes présentations, de posters et
d’échanges plus informels.
Pour plus d’informations sur les associations proposant cette journée
(l’ATALA et l’APIL), voir leur site respectif
              http://www.atala.org
et               http://www.apil.asso.fr

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{FR, 23/01/2002}

COLLOQUE
Message de Louis Hébert

Cette année, le colloque de la Société de sémiotique du Québec
sera sous le  thème de :
                "Signe des temps. Temps, temporalité et historicité."
Le colloque se déroule les 15 et 16 mai 2002 à l’Université Laval,
à Québec, comme toujours dans le cadre du congrès de l'Association
francophone pour le savoir (ACFAS), qui réunit plusieurs milliers de
chercheurs.

        * Présentation du thème 
        Saint Augustin a écrit: "Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne
        ne me le demande, je le sais ; mais si on me le demande et que je
        veuille l'expliquer, je ne le sais plus." Certes, mais ne peut-on
        en dire de même de l'espace, du sens, de l'amour ? Nous proposons
        tout de même un colloque sur le sujet, ne fût-ce que pour se
        parler de cette impossibilité. Le thème est en soi
        transdisciplinaire, tant les secteurs de la connaissance concernés
        sont nombreux (littérature, linguistique, histoire de l'art,
        philosophie, sciences cognitives, sociologie, histoire, etc.) ; la
        sémiotique servira de perspective métadisciplinaire pour unifier
        la réflexion. Le thème est aussi éternel, mais ce ne serait pas
        une raison suffisante : il est actuel. Virilio montre que
        l'accélération des moyens de transport et de communication
        contracte et uniformise l'espace et modifie également la
        perception du temps réel, produisant une soudaine "dilatation
        mondialisée du présent". Par ailleurs, l'engouement pour
        l'histoire signale également une préoccupation de notre époque
        pour le temps culturel de longue amplitude. Enfin, de manière
        générale, nous sommes sans doute appelés à voir le primat actuel
        de l'espace (notoire, par exemple, dans les sciences cognitives)
        renversé par le primat du temps : leur alternance comme substrat
        par excellence paraît transhistorique. 

Suggérons, sans exclusive, quelques sujets pertinents pour le colloque.

        1. Temps et histoire. En même temps que s'est manifesté le déclin
        postmoderne des grands récits (Lyotard), nous avons assisté, avec
        le déclin du formalisme, à la montée (ou remontée) de l'histoire.
        Sont pertinentes pour l'histoire, et plus particulièrement pour
        les histoires littéraires et artistiques, les questions
        temporelles suivantes : relations entre contexte historique et
        phénomène, moment et durée de la production ; décalage temporel
        entre production et réception ; histoire des réceptions et des
        horizons d’attente (Jauss) ; diachronie / synchronie / panchronie
        ; périodisation ; progrès / éternel retour (Nietzsche) ; etc. 

        2. Typologies temporelles. Il y aurait peut-être autant de temps,
        d'où l'emploi de temporalité, au sens large, que de types d'unités
        en cause, et nous devons donc ménager la possibilité de
        descriptions différenciées de ces différents "temps". En nous
        appuyant sur la tripartition en sphère physique, sphère sémiotique
        et sphère des processus mentaux (Rastier), proposons de distinguer
        entre temps "réel", temps thématisé (lié aux signifiés), temps
        formel (lié aux signifiants, par exemple, phonèmes ou colorèmes)
        et temps des processus mentaux. Quelques précisions. Tout en ne
        s'y limitant pas, le temps thématisé inclut le temps de l'histoire
        racontée : époque, durée de l'histoire, durée de la narration,
        repères temporels relatifs ou absolus, explicites ou implicites
        (lumière, costumes, etc.). En relève aussi, par exemple, une
        simple suite de traits sémantiques produisant un rythme sémique. 

        3. Faute d'espace (mais pas de temps), sous forme allusive,
        mentionnons : temps et réversibilité (de Newton à Prigorine en
        passant par Greimas) ; temps et espace (Kant, Newton, Einstein,
        Lessing, etc.) ; temps, langue et récit (Guillaume, Benveniste,
        Ricoeur, etc.) ; passé, présent, futur ; temps, nature et culture
        ; temps, sujet et objet ; temps, continuité, discontinuité,
        segmentation, sériation et rythme ; temps et perception
        (impression, rétention et protension) ; effets cinétiques dans les
        oeuvres ; formes brèves et longues ; génération et génétique ;
        durée, instant, éternité, atemporalité ; mémoire, attention ; etc.
        
La communication peut être essentiellement théorique ou encore se
consacrer à l'analyse d'un phénomène, d'une production, d'un corpus.

* Informations pratiques
        Il s'agira du huitième colloque annuel de la Société de sémiotique
        du Québec. Ces colloques se déroulent toujours dans le cadre du
        congrès de l’ACFAS (Association francophone pour le savoir) et y
        sont présentés les travuax de chercheurs du Québec et de
        l'étranger. La Société encourage la participation des étudiants
        aux cycles supérieurs : la meilleure communication est publiée
        dans Débats sémiotiques (si les conditions pour la tenue du
        concours sont remplies). 

Faites parvenir un court projet de communication, par courriel de
préférence, avant le 10 février à :
              M. LOUIS HÉBERT - Département de lettres - UQAR
              300, allée des Ursulines - Rimouski, Québec (G5L 3A1)
              tél.: (418) 723-1986 poste 1503, téléc.: (418) 724-1848,
              courriel: louis_hebert@uqar.uquebec.ca
ou            Mme LUCIE GUILLEMETTE
              courriel: lucie_guillemette@uqtr.uquebec.ca

IMPORTANT: Indiquez votre statut (professeur ou chargé de cours,
étudiant, autre), votre adresse électronique et vos besoins en matériel
audiovisuel (rétroprojecteur, projecteur à diapositives, magnétoscope,
etc.). Toute personne retenue doit être membre en règle de la S.S.Q. et
de l'ACFAS ou le devenir lors du  colloque. La Société ne rembourse ni
les frais de déplacements, ni les frais de séjour, ni les frais
d'inscription au congrès de l'ACFAS.
Une  réponse sera donnée au plus tard au début de février. Les résumés
de  communication parvenus sous forme électronique avant la date limite
seront  publiés en avril sur le site Web de l‚ACFAS (www.acfas.ca). Il
est possible  de réserver les lieux d'hébergement et de s'inscrire à
l'ACFAS par le biais de ce site. Prière de diffuser cet appel de
communication.
(Le générique masculin est employé uniquement pour alléger le texte.)

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{FR, 23/01/2002}

SATOR
Le XVIe colloque international de la SATOR se tiendra du 3 au 5 Octobre
2002 à Queen's University, Kingston, Ont. Canada.

        La SATOR (Société d'Analyse de la TOpique Romanesque) est une
        société internationale qui compte des membres dans une dizaine de
        pays et qui cherche à répertorier les éléments narratifs
        récurrents (appelés topoi) dans la littérature narrative de langue
        française entre 1200 et 1800. 
        Son congrès est un colloque annuel qui se tient en alternance en
        Amérique et en Europe ; les actes en sont systématiquement
        publiés. Le projet central de SATOR est la constitution d'une base
        de données contenant les occurrences de ces topoi et leur
        classement. Vous pouvez vous faire une idée de ce travail à l'URL
        suivante :
        
        http://hydra.educ.queensu.ca/cgi-bin/QI/SatorBase/satorbase.cgi?first=1
        (le plus simple est peut-être de passer par GOOGLE, faire une
        recherche pour SatorBase - S et B majuscules - et cliquer sur
        l'adresse qui contient hydra) 

Le sujet retenu pour le colloque de 2002 est :
                             "Topique narrative de l'étranger (de l'étrange)"

Un résumé (200 mots) des communications proposées doivent parvenir avant
le 15 mars (date limite impérative pour que nous puissions donner les
noms des participants aux institutions de financement des colloques), de
(forte) préférence par courriel à
              Stéfan.Sinclair@UAlberta.ca
ou par poste (compter une semaine à partir de l'Europe, autant des
Etats-Unis et quatre jours du Canada) à
              Max Vernet - Département d'Études françaises
              Queen's University - Kingston Ont. K7L3N6 - Canada

Pour toutes demandes de renseignements, envoyez un courriel à
              vernetm@qsilver.queensu.ca

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