DIALOGUS SEU CURSUS DE DISCURSO


Adso : Maître, que sont les formations discursives ?

Excursus : Dans sa Summa archeologica de sapientibus, 969 (apud Galimafrid, copiste du Palais), Foucaldus les définit comme ces jargons de corporations : ainsi en médecine, dans la justice (folio 43 recto).
Après la confusion des langues, sur le chantier de Babel, ces jargons permirent aux compagnons de se comprendre, chacun continuant de parler l'idiome de son emploi.

Adso : Mais les Pères de l'AD disent pourtant que chaque formation discursive dépend d'une Condition : ainsi des serfs, des bourgeois, des seigneurs. Ce seraient là les Conditions Productives du Discours.
Ils disaient encore naguère que le Bon Larron était à gauche du Christ, et le Mauvais à droite. Aujourd'hui ils n'en parlent plus, et ces larrons sont ensevelis au centre droit du Golgotha.

Excursus : Ce sont là d'étranges légendes.
Comme les tonneliers ne parlent pas de la même manière que les laboureurs ou que les tisserands, comme les médecins ne parlent point comme gens de justice, Foucaldus avait raison ; mais cependant tu ne dois point le dire.

Adso : Mais les Pères de l'AD se réfèrent à Foucaldus…

Excursus : Il s'agit là d'un Foucaldus apocryphe, le Pseudo-Foucaldus, qu'ils ont écrit et calligraphié à leur guise.

Adso : Maître, que sont les schèmes ?

Excursus : Les schemata, Adso, sont dans Bède le Vénérable, De schematibus et tropis.
Selon Immanuel de Mont-Royal - que les saxons nomment Koenichsbergis - les schèmes sont la médiation entre le sensible et l'intelligible : le discours est de l'intelligible, le texte n'est que le sensible ; c'est pourquoi dans sa Philosophia linguae, Alrux de Chelles écrivit : " Le texte est quelque chose de mort " (996).

Adso : Et que sont les séquences ?

Excursus : Des figures non-tropes. Comme le dialogisme, dixit Fontanius.

Adso : Pourquoi ont-elles disparu ?

Excursus : Elles furent discutées au Concile de 995, car un texte n'est pas une suite de séquences, comme furent les chants des rhapsodes.
Un texte n'est que le corps du discours, et le discours est inspiré par l'Esprit cognitif, ou par la bienveillante socialité des frères convers.

Adso : Ou les deux, si la sodalitas était cognitive ou la cognitio sociale.

Excursus : Dans les Directions de conscience parues au BO de cet an de grâce, les séquences sont ainsi devenues des formes de discours, ou des schémas...

Adso : Le BO ?

Excursus : Le Bulletin Ordinal. Voici la règle de notre Ministère, pour nos Collèges, en 1005 :
" *Formes de discours. Suivant les finalités de l'énonciation, les discours adoptent des dominantes différentes : c'est en ce sens qu'on parle ici de discours narratif, descriptif, explicatif, argumentatif, pour les formes les plus évidentes. - Le discours narratif rapporte un ou des événements et les situe dans le temps. - Le discours descriptif vise à nommer, caractériser, qualifier. - Le discours explicatif cherche à faire comprendre. - Le discours argumentatif valorise un ou plusieurs points de vue, une ou plusieurs thèses. On peut trouver diverses formes de discours dans un même texte.
(…) *Usage. Ensemble des habitudes discursives façonnées par les communautés linguistiques et culturelles. Les schémas (narratifs, descriptifs, argumentatifs, etc.), les genres, les motifs, les topoï et les formes diverses de la stéréotypie sont des produits de l'usage."

Adso : Donc les discours et les schémas sont une même chose, car ils partagent les mêmes prédicaments : " discours narratif, descriptif, explicatif, argumentatif ; schémas (narratifs, descriptifs, argumentatifs, etc.) ".

Excursus : Il faut le croire.

Adso : Je lisais Adamus de L'Hosannah : " Située à la jonction de la linguistique transphrastique et de l'analyse de discours, la linguistique textuelle est une théorie de la production co(n)textuelle de sens qu'il est nécessaire de fonder sur l'analyse des textes " (1005, v°). Mais pourquoi trois disciplines : linguistique transphrastique, linguistique textuelle, analyse de discours ?

Excursus :  Bonne question ! Pose-la à confesse, car on ne sait y répondre. Peut-être les clercs adorent-ils multiplier les Ordres, et chacun pose au Pape dans sa petite curie.

Adso :  Quelle est donc la différence entre Analyse du discours, des discours et de discours ?

Excursus : Encore une bonne question ! Pose-la aux frères pragmaticiens adamiques, qui parlent aussi de Pragmatique des textes, Pragmatique du discours, Pragmatique des discours, Pragmatique linguistique et textuelle...

Adso : Mengalnus parle de l'analyse du discours, de l'analyse des discours, et de l'analyse des textes littéraires qui en est une partie.

Excursus : Les Dominicains canoniseront Mengalnus dans trois siècles, car il aura subi le martyre en cherchant la concorde des Analyses qu'il avait contribué à multiplier.
N'oublions pas non plus l'Analyse discursive des textes et l'Analyse textuelle discursive.

Adso : Mais alors, dans le titre de notre dialogue, De discurso signifie de omni re scibili ? Le mot discours n'est-il pas comme l'étrange mot unique des démons bleuâtres que les sorcières appellent les Schtroumpfs ? À chaque emploi, il prend un nouveau sens.

Excursus : Oublie ces contes bleus ! Non, il en va tout au contraire : alors que Schtroumpf prend à chaque emploi un nouveau sens précis, Discours revêt au contraire un sens encor plus imprécis, tout comme le Nom secret de l'Eternel, et c'est pourquoi il vient à désigner toutes choses et n'importe laquelle.

Adso : Je n'ai jamais su, devant les Pères de l'AD, s'il fallait parler d'analyse du discours ou d'analyse de discours !

Excursus : Pense pieusement à l'Anno Domini. Mais sache qu'il est plus simple, pour éviter tout procès, de dire AD ; lis le nouveau libelle Quid scio ? (1005).
En fait, cher Adso, le discours et les discours sont une même chose. Quand les Marie s'en furent au Saint Sépulcre, un évangéliste nous dit qu'elle y trouvèrent un ange, un autre qu'elles en trouvèrent deux, mais ils leur tinrent le même discours. Donc un ange égale deux anges, comme le conclut Algird de Cluny, et j'ajouterai qu'un discours égale deux discours.

Adso : Mais en quelle langue les anges parlèrent-ils aux Marie ?

Excursus : À ces saintes femmes ignorantes, ils parlèrent le Fleu.

Adso : Qu'est-ce ?

Excursus : Le sabir des Gentils.

Adso : Quel nom bizarre !

Excursus : Il résume en acronyme une exclamation du vieux maître Alcuin, quand il entendit cet idiome sur le chemin de Saint-Denis : " Fugit lingua, Euh ! ".

Adso : Alors le Fleu n'est ni latin ni gaulois en aucune langue ?

Excursus : C'est bien cela. C'est pourquoi il s'enseigne aux Docteurs sans lettres, qui l'enseignent à leur tour aux pédants de collège, dans les Instituts Universels du Fleu Mirifique. Ainsi deviennent-ils Formateurs de Formateurs, de même que les Archanges enseignent aux Anges ; et ils vont en mission partout de par les orbes sublunaires, pour l'enseigner à leur tour parmi les éléphants et les ostriches.

Adso : Le discours est donc une langue sans lettres ? Le Discours se tient en Fleu, alors que le Texte est in litteras.

Excursus : Oui, Adso, le Discours, c'est cette Parole qui est dans l'âme et qui n'apparaît guère dans les textes. Elle y laisse cependant de certaines marques, les marques de l'Enonciation.

Adso : Mais puisqu'il n'est rien dans les textes qui n'ait été dans le Discours, toutes les lettres ne sont-elles pas des marques de l'Enonciation ?

Excursus : Si, mais par faiblesse humaine, nous croyons que seuls les pronoms nous parlent, alors que les Noms divins sont partout, y compris entre les lettres.

Adso : Mais nos premiers parents tenaient-ils leur discours en Fleu ?

Excursus : Adamus et Eva se parlaient en hébreu (car c'est dans cette sainte langue que pensent les anges). Mais après qu'ils furent chassés de l'Eden, ils durent parler ce sabir des Gentils.

Après la confusion des Langues, sur le chantier de Babel, seul le Fleu demeura, car il permit faute de mieux aux corporations de se parler entre elles, ou du moins de croire : ainsi se fit la Co-construction du Sens - qui dure encore, car souvent il s'écroule.

Adso : Il n'est donc pas besoin de langue pour co-construire le Sens ?

Excursus : Non, du moins il n'est pas besoin de grammaire, car les Docteurs du Fleu se passent de Dionysus Thrax comme de Priscien.

Adso : S'appuyant sur Benevenitus (974 : 66), Adamus de L'Hosannah parle également de la " Linguistique du discours " (qui englobe la Linguistique de l'énonciation ("sémantique") et la Translinguistique des textes, des oeuvres) - l'AD renvoyant à la Translinguistique des textes.

Mais certains textes ne sont-ils pas des œuvres ?

Excursus : Oui, des œuvres pies. Dans (1005) Adamus de L'Hosannah trouve un syntagme encore plus unitif : " L'analyse textuelle des discours "...

Adso : Quelle est alors la différence entre l'analyse des textes et l'analyse de discours ?

Excursus : Ce doit être l'Analyse textuelle des discours. Prie le Ciel de me comprendre oecuméniquement.

Adso : Adamus de L'Hosannah (1004) regrette que la notion de schématisation ne soit pas davantage utilisée en " linguistique du discours ", car elle est précisément située " entre le texte et le discours "... et il conclut : " Le concept de schématisation présente l'avantage de réunir la part résultative du concept de texte (comme énoncé) et la part dynamique (comme énonciation) de celui de Discours. "

Excursus : Ainsi le Discours est-il la Puissance, l'Enonciation l'Acte, et le Texte l'Entéléchie.
À la différence du Stagirite, selon les Pères de l'AD, cette entéléchie n'est point perfection, mais aliénation : l'Enonciation c'est la déchéance, dans la matière mortelle du Texte, de l'énergie spirituelle du discours.

Adso : Ainsi le Texte est-il un discours privé de ses Conditions productives, et le Discours un texte animé par ses Conditions productives ?

Excursus : Cela fut écrit. Et les Conditions productives sont l'analogue angélique des conditions de production, et des rapports de classe, hiérarchies subtiles, entre les légions d'anges.

Adso : Mais les conditions ne sont-elles pas la connaissance de notre belle langue latine ?

Excursus : Non, que le Bulletin Ordinal te détrompe ! : " Le collège a pu apparaître, aux yeux de certains, comme le lieu où étaient privilégiés la grammaire, l'orthographe et l'étude de la langue ". Or : " Au collège, l'étude de la langue n'est pas une fin en soi ". Ferais-tu donc partie de ces certaines gens dans l'erreur ?

Adso : Alors, la Grâce, au delà des langues, nous vient-elle du Discours ?

Excursus : Oui, le Logos, le Verbe (non les verbes), le Discours du Fleu ! Ce sont des Langues de Fleu qui sont descendues sur nos têtes à la Pentecôte !

Adso : C'est pourquoi Daemonius, dans son De corpore (à paraître, vol. V) écrit : " Il convient en effet d'abord de rappeler l'évidence : la chair du corpus est le verbe. "

Excursus : Mais cette Incarnation n'advient que dans notre Jérusalem terrestre, divisée en mille cités, comme Lutèce et Saint-germain-des-prés.

Adso : Elle a mille portes, comme la Summa discursiva de Caroldo et Mengalnus compte mille entrées.

Excursus : Ces deux solitaires se retireront pour méditer dans le Désert, et là ils mangeront leur livre, doux comme le miel. Et comme ils auront encore faim, Ruth l'Amalécite, la Pénitente Repentie, comme jadis Marie l'Egyptienne, viendra leur porter des petits pains au sésame.

Adso : Au sésame ? Pour les tenter ?

Excursus : Pour les sustenter ! Oui, de ces pains qu'en Terre Sainte les baphométans nomment falafels.
Et Ruth aura gardé ses bijoux sonores, et un troisième solitaire étincellera à sa dextre de tous les feux du désert de Judée, telle une gemme de la Jérusalem céleste !

Adso : Et ils penseront, comme dans Osée (2, 16) : " Je vais donc la séduire, la conduire dans le Désert et parler à son cœur " ?

Excursus : Mais qu'oses-tu dire là, impudent, presse un peu ta mule, nous arrivons à Saint-Cloud, les Vêpres vont sonner.

 


©  décembre 2005 pour l'édition électronique.