LANGUAGE UNIVERSALS RESEARCH

Entretien de Jacques François avec Hansjakob Seiler

(Lenzburg (Suisse), 31 mars - 1er avril 2001)


SECTION 1 : QUESTIONS DE FOND

Jacques François : M. Seiler, vous avez publié fin 2000 un livre intitulé “ Language Universals Research. A Synthesis” [1] chez Gunter Narr, votre éditeur habituel. Cette “synthèse” n’est pas destinée à prendre en compte tous les projets actuels en recherche sur les universaux du langage, mais exclusivement la conception des dimensions universelles au développement de laquelle vous avez apporté une contribution essentielle dans le cadre du laboratoire UNITYP en tant que fondateur et directeur de celui-ci pendant de nombreuses années. Pouvez-vous commencer par nous présenter le cadre conceptuel des continuums, dimensions, techniques et paramètres des universaux du langage ? Nous pourrons ensuite adopter une démarche en quelque sorte ‘archéologique’ (je fais ici référence au concept de l’archéologie du savoir de Michel Foucault [2]) afin de reconstruire la généalogie de ces concepts dans votre œuvre, avant, pendant et après l’époque UNITYP. Et le verbe ‘reconstruire’ est ici pertinent, compte tenu de votre spécialisation initiale en philologie classique, puis en grammaire comparée des langues indo-européennes (‘Indogermanistik’).

Hansjakob Seiler : Je me réjouis d’avoir l’occasion par cet entretien de familiariser un public scientifique francophone avec l’œuvre et les idées concernant l’analyse des universaux linguistiques qui viennent de moi et du laboratoire UNITYP que j’ai dirigé pendant vingt ans. Il s’agit d’un corpus de publication important [3] : - LUS = Language Universal Series, 8 volumes - akup : Arbeiten des Kölner Universalienprojektes, 89 monographies [Cahiers du projet de Cologne sur les Universaux] - Linguistic Workshop, 3 volumes. Le dernier volume de LUS (n°8) “ Language Universals Research: A Synthesis” dont je suis l’auteur, constitue le terme de cette collection et offre une synthèse plus particulièrement de mes conclusions personnelles sur ce thème. Je ne vais pas chercher à résumer à nouveau ce vaste complexe d’études, de résultats spécifiques et de synthèses. Je vais plutôt tenter de mettre en lumière les traits essentiels dans le cadre de cet entretien. LE POINT DE DÉPART Jacques François. Pouvez-vous nous parler en premier du point de départ de votre recherche ? Que vouliez-vous étudier, que cherchiez-vous à expliquer ? Hansjakob Seiler. Les langues du monde sont significativement différentes les unes des autres. Personne ne le niera. D’un autre côté elles ont toutes “quelque chose” en commun. Sinon, comment pourraient-elles être toutes qualifiées de “langues” ? Nous aimerions trouver en qoi ce “quelque chose” consiste. Ni la diversité des langues ni leur unité par elle-même ne constituent ce que nous cherchons à expliquer. Il n’y a aucune raison de considérer l’une ou l’autre propriété comme primaire et l’autre comme dérivée. Ce que nous voulons expliquer, c’est la relation d’équivalence dans la différence — pour citer une expression de R. Jakobson [4] (1959/1971 : 262). C’est cette relation qui se manifeste (entre autres) dans la possibilité de traduire d’une langue dans une autre, dans celle d’acquérir n’importe quelle langue, dans l’activité réflexive sur le langage, dans le changement linguistique, etc. Nous avons là les manifestations qui présupposent que le locuteur et le récepteur trouvent intuitivement leur chemin de la diversité à l’unité et inversement de l’unité à la diversité. De manière générale l’objectif de ces recherches consiste à indiquer les voies sur lesquelles les données propres à chaque langue sont corrélées au concept unitaire langue, avec la langue. On peut concevoir cette relation comme celle de la variation à l’invariance. Une voie appropriée pour analyser cette relation consiste à observer des données linguistiques ordonnées, c’est-à-dire des continuums. Cette voie, qui représente dans une certaine mesure la marque distinctive de nos recherches, a été à peine empruntée dans l’étude des universaux. De tels continuums englobent des expressions linguistiques qui se distinguent les unes des autres aussi bien dans leur forme que dans leur signification, mais qui sont corrélées avecl’un de ces communs dénominateurs superordonnés, à savoir une “fonction”. Ils sont une réalité linguistique, qui se manifeste dans des régularités, en l’occurrence : a) in praesentia : par ex. par l’ordre des épithètes d’une tête nominale en allemand et dans d’autres langues [5] , b) in absentia: par ex. par des lois de disposition de l’article défini en grec ancien ; c) en diachronie: le changement d’un lexème transparent, analysable, “descriptif” en un lexème opaque, inanalysable “étiquetant” dans le cadre d’un continuum “descriptivité vs. étiquetage” [6]. Des continuums peuvent être identifiés sur trois niveaux stratifiés hiérarchiquement : a) des continuums propres à une langue particulière, par ex. les régularités en rapport avec le “suffixe absolutif” en Cahuilla [7] ; b) des continuums comparatifs, c’est-à-dire au niveau de la Grammaire Comparative Générale (General Comparative Grammar = GCG), par ex. l’ordonnancement des techniques abstration - collection - masse et mesure sous le commun dénominateur de la “saisie d’objets” (appréhension) [8] , c) des continuums au niveau cognitif-conceptuel (les Dimensions). Celles-ci ne sont pas accessibles d’une manière purement inductive (pour plus de détails, voir plus bas)

LES HYPOTHÈSES

Jacques François : Sur cette base, quelles sont   les hypothèses sous-jacentes à l’entreprise ?

Hansjakob Seiler : Les continuums se conçoivent d’une part (métalinguistiquement) comme un principe d’ordonnancement et comme moyen de connaissance   ; d’autre part comme reflet de ce que font le locuteur et le récepteur, c’est-à-dire d’une action de leur part. On en trouve des preuves particulièrement claires dans les observations sur le changement linguistique. Cette action est finalisée. Le but consiste d’une part à bâtir progressivement des concepts, d’autre part à les représenter avec les moyens du langage. Au niveau conceptuel prévalent les mêmes principes et mécanismes qu’aux niveaux subordonnés de la GCG et d’une langue particulière. Un concept — nous choisirons comme exemple le concept de l’identification [9] — n’est pas quelque chose de monolithique. Il se bâtit bien plutôt et s’exprime linguistiquement dans un cadre de variantes. En premier lieu, les variantes doivent être distinguées les unes des autres (opération de distinction ). Pour cela trois pas minimaux sont nécessaires : 1) un point de départ médian pour la distinction, par ex. l’objet à identifier ( concept nuclÉaire ), 2) un maximuma dans une des deux directions, par ex. l’identification par caractérisation intensionnelle ( identification par le Contenu), 3) un maximumb   dans la direction inverse, par ex. l’identification par pointage, indication ( identification par la Référence). Ainsi émergent trois points catégoriels. Toutefois le tout n’est pas à concevoir statiquement mais comme un dynamisme opérationnel. Les trois points sont reliés mutuellement par des mouvements de l’esprit qui conduisent du simple (monstration) au complexe (caractérisation). On trouve les traces de ces mouvements aux niveaux subordonnés de la GCG (par la mise en ordre continue des techniques linguistiques) et des langues particulières (par la mise en ordre continue des données linguistiques).  

DISTINCTIONS INDISPENSABLES

Ce faisant deux distinctions doivent être opérées : • premièrement entre la recherche sur les universaux du langage et la typologie des langues [10]. La relation réciproque qu’entretiennent ces deux domaines pêche notablement par manque de clarté dans la recherche en question. On considère communément qu’il n’y a à proprement parler pas de différence ou au moins pas de limite franche entre ces deux domaines. Les termes sont employés plus ou moins comme des synonymes. Pour nous, la recherche sur les universaux et la typologie sont des approches complémentaires du langage, qui correspondent à des perspectives complémentaires. La recherche sur les universaux est concernée par la constatation de l’identité de principes et de mécanismes dans a) différents domaines fonctionnels (les Dimensions) b) différents niveaux d’abstraction c) différents domaines grammaticaux d) en synchronie et en diachronie e) dans la comparaison de langues de structure et d’affiliaton génétique différente Face à de telles identités le hasard est exclu. La typologie a à voir avec la constatation d’ “interrelations privilégiées” entre des propriétés linguistiques données, qui font apparaître une langue ou un groupe de langues comme un type. Ces deux domaines de recherche correspondent donc à deux perspectives différentes qui ne peuvent pas être envisagées simultanément. Cependant leur résultats respectifs doivent être mis en concordance. C’est seulement ainsi que nous sommes sur la voie de la réponse à la question : “pourquoi une langue a-t-elle certaines propriétés et non d’autres ?” • deuxièmement entre les niveaux sémantique et conceptuel Le niveau sémantique concerne la signification d’une expression concrète (lexème, morphème) dans une langue particulière. Les concetps sont des entités abstraites, inférées. Ils reposent d’une part sur l’intuition, par ex. le concept de l’i dentitÉ avec les procédures correspondantes relatives à l’ identification. D’autre part les concepts reposent sur l’extrapolation de dénominateurs généraux de continuums. Les concepts sont pour le locuteur le primum datum. Nous savons ce que nous voulons dire. • troisièmement entre les caractères continu et discret Le rapport est corrélatif, chacun des deux caractères dépendant de l’autre. Le caractère discret et de ce fait la catégorialité, est ancré au niveau cognitif-conceptuel. C’est là que résident les catégories discrètes “point de départ”, “maximuma ” et “maximumb ” [11]. Ce sont les prérequis pour les niveaux de la GGC et des langues particulières. Au niveau de la GGC les catégories sont émergentes, au niveau des langues particulières, elles sont le résultat de grammaticalisations. Ce cheminement à travers les trois niveaux permet de comprendre l’absence d’identité stricte entre les catégories grammaticales.  

CONTENU ET COMPOSITION DE "LINGUISTIC UNIVERSALS RESEARCH. A SYNTHESIS "

Jacques François : Monsieur Seiler, vous venez de nous exposer   succinctement tous les objectifs de l’équipe UNITYP et le sens de vos propres recherches ultérieures sur la conception “dimensionnelle” des universaux du langage. Maintenant j’aimerais vous poser quelques questions complémentaires sur le contenu et la composition de votre dernier ouvrage,   “ Language Universals Research: A Synthesis”. Tout d’abord la question des relations entre les différentes dimensions élaborées. Dans son exposé à la Société de Linguistique de Paris le 3 mars 2001 intitulé “ L’organisation chrono-logique du sens”, Bernard Pottier évoquait brièvement vos ‘dimensions’ et regrettait leur isolement et de ce fait l’absence d’un principe unificateur. Répliqueriez-vous que les principes d’indicativité vs. prédicativité sont à la base de toutes vos dimensions ?

Hansjakob Seiler : Les dimensions ne sont pas isolées les unes des autres. Au chap.8, §15 j’ai décrit la manière dont elles interagissent. On y trouve également (p.191) la première esquisse d’une mise en ordre des dimensions : I. APPRÉHENSION – NOMINATION – IDENTIFICATION – NUMÉRATION II. POSSESSION – LOCALISATION – PARTICIPATION III. SITUATION – POLARITÉ – JONCTION La première série ordonne des entités et leur existence : constitution d’une entité en tant qu’objet — son nom — son identité — son nombre. Dans la seconde série il s’agit des relations entre entités : possessives — locales — comme participant à une situation. La série III ordonne les relations globales entre une situation et les perspectives du temps, du déroulement de l’action, de la vraisemblance, de la désirabilité et des conditions de vérité.

Jacques François : Peut-on se représenter une ‘topographie’ des relations qu’entretiennent mutuellement les dimensions ?

Hansjakob Seiler : Une telle idée mériterait effectivement d’être creusée.

Jacques François : N’ya-t-il pas toutefois un danger de superposition entre les dimensions ?

Hansjakob Seiler : Il y a bien entendu des superpositions, mais cela ne constitue pas un danger, tout au contraire c’est ce qui est attendu si l’on pense à ce qui se passe au nviveau des langues particulières où les morphèmes et les lexèmes sont aussi plurifonctionnels. Un exemple de recouvrement entre les dimensions de la possession et de la localisation : la possession comme ‘lieu’ (‘ bei mir ist...’), comme ‘direction spatiale’(‘ ein Vetter zu mir’), comme accompagnement (‘ der Mann mit dem Hut’) [12].

Jacques François : Le domaine psychologique (verbes de perception, de cognition et de sentiments) ne requiert-il pas une dimension particulière ?

Hansjakob Seiler : En premier lieu de telles expressions en tant que verbes sont à ranger dans la dimension de la participation — comment ? Cela serait à creuser — peut-être comme une technique propre dans le cadre dimensionnel. Mais il faudrait déjà disposer de preuves d’un ordonnancement continu.

Jacques François : Peut-on concevoir les dimensions comme des a priori de la conceptualisation (comme l’espace, le temps ou la causalité dans la Critique de la raison pure de Kant) ?

Hansjakob Seiler : Le statut des dimensions est celui d’un a priori synthétique. Synthétique en ce sens que la diversité / variabilité et la continuité sont pris comme point de départ empirique. A priori en ce sens qu’une augmentation purement additive des observations ne conduira pas à la découverte de dimensions. D’un côté nous avons les fonctions, commun dénominateurs communs de l’ordonnancement continu : synthétique. De l’autre la question de savoir à quelles fonctions de base de la parole saisies intuitivement correspondent ces dénominateurs communs : aprioristique. La réunion des deux conduit aux dimensions. Le principe dimensionnel passe à travers le filtre des trois niveaux : du niveau cognitif-conceptuel à celui d’une langue particulière en passant par celui de la GCG. En conséquence, le locuteur d’une langue particulière participeau conceptuel, c’est-à-dire à l’universel, et il en est conscient (‘tacit knowledge’). C’est important pour évaluer le principe dit de la relativité linguistique (Sapir-Whorf) : même si le locuteur est confronté à des limites en raison des structures de sa langue maternelle — ce qui n’est pas contestable — il peut cependant transcender ces limites grâce à ce ‘savoir tacite’.

Jacques François : Une théorie des structures linguistiques orientées sur ces continuums est-elle compatible avec une formalisation syntaxique et sémantique ?

Hansjakob Seiler : Les continuums ne sont certainement pas compatibles avec une formalisation à la Chomsky. Mais peut-être éventuellement avec une formalisation mathématique [13].

L'ÉCHANTILLONNAGE

Jacques François : J’aimerais maintenant vous poser trois questions sur la sélection de cinq langues seulement — à savoir l’allemand, le grec ancien, le tolai, le samoan et le cahuilla — comme base typologique de la recherche inductive des continuums dans la dimension de l’ identification au chapitre 5 : 1° Comment étayez-vous le principe visant à se limiter à une liste brève de langues finement décrites par opposition avec la méthode de l’échantillonnage (‘ sampling’) ? 2° Ne doit-on pas craindre que la comparaison linguistique soit gauchie quand on connaît au préalable les tendances majeures de chacune des langues prises en considération ? 3° Une analyse comparative menée de la sorte peut-elle mener à de véritables généralisations ?

Hansjakob Seiler : Il faut commencer par discuter la distinction importante entre les généralisations et l’universalité. Dans les généralisations on procède primairement (mais pas nécessairement à titre exclusif) par induction en constatant des interrelations privilégiées (Skalicka, Coseriu) ou des liages (Greenberg). C’est l’objet principal de la typologie des langues [14]. Pour ce faire, on doit prendre en compte autant de langues différentes que possible. L’ universalitérepose sur l’identité de principes et de mécanismes dans l’activité linguistique, laquelle se manifeste par une série de conditions-cadre différentes les unes des autres. Ces dernières sont cataloguées plus haut [15] de a) à e). Nous tirons de cette situation la conclusion que cette identité ne peut pas tenir au hasard. Ce faisant “e) Comparaison de langues de structures diverses” ne constitue qu’un facteur parmi plusieurs facteurs a)-e) de même poids. C’est pourquoi nous ne sommes pas tenus à une comparaison massive de langues, ce que je crois de toute façon problématique : où faudrait-il s’arrêter ? Dans notre recherche sur les universaux, la comparaison des langues a donc un poids différent de celui de la typologie. Mais notre recherche des universaux se distingue elle-meme aussi fondamentalement des tentatives courantes dans ce domaine. Ce qui nous importe finalement, c’est la preuve et la mise à jour de la relation entre l’identité (ou invariance) et la diversité (ou variation). La recherche sur les universaux “courante” propose des “solutions toutes prêtes [16]. Nos dimensions sont en revanche un objectif permanent. Ici, une comparaison avec la méthode de la linguistique historique comparative, en particulier avec celle des études indo-européennes, devrait être éclairante. A l’origine, l’objectif était la reconstruction d’une langue indo-européenne commune (‘ Ursprache’). Ce but n’a été atteint que partiellement. Cependant l’objectif demeure. Et sur la base des régularités dans les correspondances entre les langues particulières on a reconnu que le hasard et l’arbitraire sont exclus. Les formes de base indo-européennes dotées d’une étoile sont des symboles etnotent des traits communs sur un fond de divergence. Dans ce qu’on appelle la ‘ forward reconstruction’ (C. Watkins) on montre par quelles voies les langues indo-eropéennes se sont diversifiées. Il s’agit donc ici aussi de prouver la relation entre l’identité et la diversité — exactement comme dans la mise en évidence des dimensions.  

LE FONCTIONNALISME

Jacques François : Dans Language Universals Research vous écrivez p. 140 “... continua are the ways of ‘doing’”. Cette thèse n’est-elle pas comparable à la conception de l’acquisition de la langue maternelle défendue par M. Braine [17] et R. van Valin [18] ? Selon ces auteurs, la reconnaissance de relations fonctionnelles appartient au patrimoine génétique, tandis que leur catégorisation syntaxique est acquise par un contact constant avec des locuteurs.

Hansjakob Seiler : On peut se reporter sur ce point à mon article “ Localization and predication” [19]. J’y montre une homologie entre l’acquisition d’une langue et la dimensionalité.

Jacques François : À la page 141 vous ajoutez : « Parameters, too, are essentially operational, for they motivate the dynamics of a continuum by determining endpoints, and they do this without any commitment to a particular categorial implementation ». Cette affirmation ne constitue-t-elle pas un plaidoyer pour une conception du langage strictement fonctionnelle ?

Hansjakob Seiler : En principe, oui. Mais je souhaiterais distinguer entre fonction et fonctionnement. La fonction, c’est le but à atteindre, ou la tâche à résoudre — à savoir le transfert et la représentation de contenus conceptuels avec les moyens du langage. Le fonctionnement inclut ce qui doit avoir lieu pour que la fonction puisse se réaliser, ou plus concrètement, que la communication devienne possible. Il s’agit avant tout des mécanismes de traitement, de l’encombrement de la mémoire de travail, de la résolution d’ambiguïtés etc. Cela me semble être pour l’essentiel le fonctionnalisme de Talmy Givón, John Hawkins, etc.  

LA CONNAISSANCE LINGUISTIQUE : INDUCTION, ABDUCTION ET RÉFUTATION

Jacques François : Dans la discussion qui a suivi l’exposé de B. Pottier à la Société de Linguistique de Paris (voir plus haut) Gilbert Lazard a considéré la noématique de Pottier (on pourrait en dire autant de l’entreprise comparable de Klaus Heger) comme un objectif ne relevant pas des tâches de la linguistique. Au regard de la notion Popperienne de réfutation, on peut sans doute supposer que pour Lazard la méthode inductive de votre chapitre 5 est valable, mais non la méthode abductive du chapitre 6.

Hansjakob Seiler : La réfutation a sa place dans le cadre de la méthodologie de l’induction. Cela vaut particulièrement pour mes affirmations concernant les continuums dans une langue particulière [20]. Dans la perspective abductive il ne peut pas y avoir de réfutation par un fait d’une langue particulière, et cela pour la raison suivante : ce n’est pas en ligne directe qu’un fait d’une langue particulière est lié au niveau conceptuel, mais par un niveau intermédiaire. Toutefois la preuve de l’ “utilité” des systématisations opérées ici fournit des corrélats empiriques [21]. Il y a des preuves a) pour une langue particulière b) dans la comparaison des langues c) dans les disciplines connexes (psycholinguistique et neurolinguistique entre autres) [22].

Jacques François : Ainsi, en fin de compte, si l’induction répond à la question du ‘ comment’, l’abduction répond à celle du ‘ pourquoi’ ?

Hansjakob Seiler : C’est tout à fait cela.
 

2 : ARCHÉOLOGIE DU SAVOIR. DE LA PHILOLOGIE CLASSIQUE À LA LINGUISTIQUE HISTORIQUE COMPARATIVE

Jacques François : Dans cette seconde partie de notre entretien, je voudrais vous interroger sur la construction progressive de votre théorie : j’ai lu que vous avez débuté votre carrière comme philologue, avant de passer à l’étude de l’indo-européen. Vous êtes alors venu en France où vous avez suivi l’enseignement de Benveniste. Ma première question serait donc : Quel a été pour l’élaboration de votre théorie le rôle de votre formation de philologue puis d’indo-européaniste ?

Hansjakob Seiler : J’ai effectivement étudié ces disciplines de 1940 à 1947 à Zurich et au suplus la slavistique. A l’origine, mon domaine principal d’étude était la philologie classique et les études indo-européennes venaient en complément — il n’y avait pas d’autre possibilité. A l’époque il n’était même pas permis de prendre comme majeure la linguistique comparée des langues indo-européennes : il fallait étudier quelque chose d’«utile», quelque chose dont on pourrait tirer profit ultérieurement comme gagne-pain. J’ai profité d’un enseignement très solide auprès de Manu Leumann, qui était l’un des représentants phares de la linguistique des langues indo-européennes. Il déclarait pourtant : “Il n’y a pas d’autre linguistique que la linguistique historique comparative” en opposition totale avec les écoles de Genève (Saussure) ou encore de Copenhague ou Prague, lesquelles coexistaient déjà à cette époque, mais qu’il ne prenait pas en compte dans son enseignement. J’ai soutenu ma thèse en 1947 et au total je n’étais pas pleinement satisfait de cet enseignement. Cela paraît peut-être ingrat à l’égard de Leumann, qui était un professeur exceptionnel. Mais je recherchais encore autre chose, même si je n’avais pas une idée claire de ce que cette autre chose était ou pouvait être. Je savais seulement qu’il y avait quelque chose à aller chercher à Paris. J’avais fait la connaissance de Benveniste à Zurich avant même ma soutenance de thèse. Ce fut une rencontre mémorable : il venait de Fribourg où il s’était enfui d’une manière rocambolesque. Le Père P.J. de Menasce lui avait indiqué à l’occasion d’un courrier sur le pahlavi par où il pourrait franchir la frontière. C’est ainsi qu’il trouva refuge à Fribourg en 1943-44 et qu’il vint pour la première fois à Zurich. Et à la suite de ses deux conférences une rencontre fut mise sur pied à laquelle participaient Manu Leumann, Ernst Risch, mon camarade d’études Meinrad Scheller et moi. De ce moment j’ai eu une première impression de Benveniste et j’étais sûr d’être dans la bonne voie. A Paris je n’ai pas seulement progressé dans les études iraniennes — j’avais déjà des connaissances de base en vieux persan, en avestique et dans d’autres langues iraniennes ­— mais je me suis également lancé dans les langues de l’Inde. Et, c’était mon souhait à l’époque, le grec moderne, mais cette fois pour lui-même et non comme simple continuation du grec ancien. Et ainsi vit le jour un ouvrage que je rédigeai dans le cadre de mon contrat avec le CNRS, intitulé “ L’aspect et le temps dans le verbe néogrec”. C’est paru dans les publications de l’Institut d’Etudes byzantines et néohelléniques de la collection Guillaume Budé et cela a constitué ma thèse d’habilitation. Chez Benveniste je compris immédiatement ce que c’est que la linguistique descriptive — quoique bien sûr il fût un indo-européaniste de grande classe et que j’aie encore appris de lui quelques choses nouvelles dans ce domaine. Mais je portais mon intérêt majeur à décrire d’abord une langue pour elle-même. C’est pourquoi j’ai intitulé ce livre explicitement “ Étude structurale”. C’était bien sûr implicitement une déclaration de guerre à l’école de Zurich de cette époque. Dans un premier temps je voulais absolument m’en démarquer. C’est bien plus tard — il me faut faire maintenant un bond en avant — que j’ai saisi à quel point la linguistique historique comparative, qu’elle porte sur les langues indo-européennes ou sur d’autre familles de langues, a une démarche parallèle à ce que j’ai fait et continue à faire dans la recherche sur les universaux — j’en ai déjà dit quelques mots dans la première partie. Oui — cela a une tonalité sans doute un peu pathétique avec le recul — mais Paris, c’était pour moi en quelque sorte ­la révélation. En tout cas je me rendais compte que je désirais travailler de cette manière et en ce lieu. Et je peux sans doute ajouter, bien que cela ne réponde pas directement à votre question, que j’ai eu la chance d’entrer par hasard en contact avec un savant réputé de Hambourg, Bruno Snell, un représentant très célèbre de la philologie classique qui avait en outre un intérêt marqué pour la linguistique. Lui-même avait écrit un livre sur le langage. Bruno Snell m’invita donc à venir à Hambourg et là je fus   très rapidement habilité comme Privatdozent sur la base de ce travail sur le verbe en grec moderne ; peu après j’obtins un poste de maître de conférences et je me mis à enseigner à Hambourg ce que j’avais assimilé   et développé moi-même à Paris. Et alors arrive une seconde étape importante — là je brûle un peu les étapes, mais c’est bien comme cela que ça s’est passé — par l’intermédiaire de mon mentor et patron Bruno Snell me parvint une invitation de la Rockefeller Foundation à partir aux USA si bien que l’étape suivante et essentielle à laquelle nous arrivons maintenant est celle des USA.

Jacques François : Permettez-moi une question secondaire avant que nous ne quittions complètement la France : vous m’avez raconté qu’à cette époque il était assez difficile de suivre à la fois les enseignements de Benveniste et de Guillaume. Mais quand on lit votre dernier ouvrage ont trouve beaucoup plus d’allusions à la conception de Guillaume qu’à l’œuvre de Benveniste [23]. Et quand vous soulignez que votre travail à Paris était conçu comme une “ Etude structurale”, cela résonne un demi-siècle après comme plus ou moins en opposition à Guillaume. Avez-vous réussi en quelque manière à unifier ces deux visions ?

Hansjakob Seiler : Maintenant, je l’ai fait. Mais à cette époque j’étais trop naïf.

Jacques François : Mais avez-vous suivi le séminaire de Guillaume ?

Hansjakob Seiler : Non cela s’est passé ainsi : les Benvenistiens me disaient :« Qu’allez-vous chercher là-bas ? C’est un original. Il dit toujours : Oui, la semaine prochaine nous passerons à ce que je voulais dire aujourd’hui », etc. Je n’ai entendu que des propos négatifs. Et je me suis dit : “ Dans ce cas il est inutile que j’y aille”.

Jacques François : C’est assez curieux, si l’on pense qu’en fin de compte Guillaume aussi bien que Benveniste avaient obtenu leur poste par Meillet et que Meillet avait en quelque sorte reconnu la personnalité de chacun des deux.

Hansjakob Seiler : Aha, aha. Quant à Benveniste, il ne s’est pas exprimé du tout. Il n’a jamais rien dit là-dessus. Et puis — quand était-ce au juste ? — oui à Constance lors de la manifestation pré-inaugurale de l’ Association for Linguistic Typology, Perrot et Lazard étaient présents et l’un d’eux m’a dit, mi-figue mi-raisin, quelque chose comme : « On peut être Guillaumien et quand même un bon linguiste ».  

UNE SECONDE FORMATION AUX U.S.A.

Jacques François : Vous avez déjà évoqué l’opportunité que vous avez eue de partir en Amérique. Que pouvez-vous nous dire sur vos relations avec les linguistes américains et sur votre prise de contact avec une langue amérindienne ?

Hansjakob Seiler : Et bien ma tâche était, selon le contrat de la Rockefeller Foundation, de m’acclimater à la linguistique américaine. J’en avais une connaissance très vague. Et ma naïveté me poussa à émettre le souhait de travailler auprès de Roman Jakobson. Cela ne rencontra pas un accueil enthousiaste, car Jakobson ne passait pas alors   pour un linguiste américain type, ce qui était d’ailleurs vrai. Seulement il était un linguiste d’exception. J’avais fait sa connaissance à Paris et j’eus la permission de travailler auprès de Jakobson à Harvard sur un projet de syntaxe portant essentiellement sur le russe. Je m’entendis très bien avec Jakobson, c’est-à-dire qu’il était très intéressé par mes interventions dans ces réunions de travail.Et ce fut à nouveau une expérience très importante qui d’ailleurs se poursuivit car une amitié vit le jour entre Jakobson et moi qui dura jusqu’à sa mort. Nous nous sommes vus en différents lieux, une fois plus d’un mois de suite dans une île de l’état de Géorgie, Ossabaw Island, où Jakobson était invité avec moi — ou plutôt moi avec lui — ainsi que sa femme Krystyna. Nous pouvions poursuivre nos recherches, mais nous avions chaque jour de longues promenades où nous discutions bien sûr de linguistique. Et cette influence — j’aime à parler à nouveau d’une relation de mentor à disciple — m’a beaucoup marqué. Sinon ma tâche aux USA impliquait que je passe de Havard à Washington D.C., à Chicago, à Ithaka, etc. J’ai alors connu les linguistes dominants de l’époque : Bernard BLoch, Trager, puis Charles Hockett et d’autres encore. Ce fut un choc : je m’imaginais être au fait de la linguistique structurale, mais j’étais à nouveau en présence de quelque chose de tout-à-fait différent : une manière très mécaniste de considérer la langue qui excluait la signification, c’était le grand principe. Quiconque s’occupait de signification — et c’était le cas pour moi jusqu’alors — était taxé de mentaliste et c’était très clairement une insulte. La situation a connu un renversement spectaculaire avec la révolution Chomskyenne et de nos jours descriptiviste est peut-être devenu une insulte tout comme naguère mentaliste. Mon désir secret était de me frotter à une langue amérindienne, mais par un contact direct — j’avais déjà travaillé précédemment sur ces langues avec des grammaires.   J’avais vu que Benveniste avait beaucoup écrit sur les langues amérindiennes dans ses articles. Il avait recouru à des grammaires et une fois il avait participé à l’invitation de la Rockefeller Foundation à une phase de recherche de terrain au nord-ouest des Etats-Unis sur l’une des   Queen Charlotte Islands, là où vivent les Haida. Et il a laissé des notes sur leur langue qui pour autant que je sache ne sont malheureusement pas encore publiées. Je fis état de ce souhait auprès de la Rockefeller Foundation. A nouveau, ils n’étaient pas très enthousiastes dans un premier temps, mais ils se rendirent finalement compte que cela pouvait être une entreprise sensée et ils m’adressèrent à Charles Vœgelin et à d’autres spécialistes qui me montrèrent le chemin de la Californie où il y avait à Berkeley la Survey of California Indian Languages. Et là-bas j’étais le bienvenu, car il n’y avait pas assez de jeunes linguistes qui étaient disposés à se soumettre aux contraintes d’un séjour sur le terrain et à s’occuper de langues aussi exotiques. Il me fut recommandé d’aller en Californie méridionale, ce qui signifiait que je devais d’abord passer mon permis de conduire, jusque là je n’avais pas de voiture. Je le passai à Berkeley avec les assistants du Linguistics Department comme premiers moniteurs. Alors, muni d’un magnétophone et du matériel fourni par Berkeley, je pus partir par moi-même dans le sud de la Californie, dans la région de Palm Springs, un lieu de villégiature connu, et je cherchai à prendre contact avec les indiens Cahuilla et après quelques encombres je mis la main sur eux. Mais auparavant je n’avais pas manqué l’opportunité d’apprendre, surtout dans les séminaires de Mary Haas, la technique de description d’une langue autochtone, dont on ne sait encore rien — la manière dont on doit procéder systématiquement en partant de zéro — cela je l’avais appris alors et cela me fut très profitable.

Jacques François : Pouvez-vous expliquer brièvement comment on procède, par exemple a-t-on continuellement besoin d’un interprète ?

Hansjakob Seiler : Et bien dans cette situation j’avais certes trouvé une informatrice — und très vieille femme, on lui accordait plus de cent ans. C’était une grande chance. Elle était pratiquement monolingue et connaissait à peine quelques bribes d’espagnol. Et ainsi j’ai dû m’y mettre “from scratch” comme on dit là-bas. Oui, on se tient en général en plein air, c’est un climat chaud et il y a des centaines d’objets que l’on peut montrer du doigt. Et l’on demande à l’informateur ou à l’informatrice de prononcer le mot correspondant — sans être d’ailleurs sûr qu’il y a des mots pour cela. On répète immédiatement et cette femme trouvait tellement de plaisir à m’écouter répéter, apparemment pas si mal, qu’elle était de son côté d’accord pour répéter cinq ou dix fois un mot quand je ne l’avais pas bien compris.Puis on passe à une transcription phonétique très sophistiquée avec des signes que l’on a inventé pour une part soi-même ; il faut naturellement tenir un catalogue. Et quand cela a été fait de manière satisfaisante, on commence à phonémiser, c’est-à-dire ­— pour cela il y a encore de très bons manuels, particulièrement de Pike — qu’on groupe les sons que l’on a entendus selon leur similitude phonétique et on examine si les différences sont distinctives par elles-mêmes, c’est-à-dire si elles peuvent distinguer des mots ou si cette qualité de son particulière est conditionnée uniquement par le contexte et n’a donc pas de propriété distinctive. Et là il y a toute une série d’indices, par exemple des raisons de symétrie ou un contraste dans un contexte analogue mais pas absolument identique, entre autres techniques. Donc, à la fin de la première phase, qui dans ce cas a duré deux mois et demi, j’élaborai une sorte d’écriture phonémique et   je pus par la suite procéder à la transcription des enregistrements dans cette sorte d’orthographe. Et ainsi je disposai d’abord d’un certain effectif d’énoncés des phrases simples jusqu’aux histoires brèves ; par exemple sur un panier tressé —il y en a un de ce type dans ma collection d‘objets d’artisanatamérindien — ou sur une olla ,c’est-à-dire une cruche ­— que les Cahuilla m’avaient offerte — et j’ai toujours essayé de répéter ces énoncés. Les indiens ne croyaient pas qu’on puisse les écrire, jusqu’à ce que je leur aie lu une historie brève que j’avais prise en note auparavant. Cela a suffi à briser la glace. Il y eut de longues interruptions, vers la fin de cette seconde année je dus regagner mon poste à Hambourg qui m’avait été conservé par bonheur et là je me remis à des choses toutes différentes, notamment à mes recherhces sur la proposition relative.  

LA RELATIVITÉ LINGUISTIQUE

Jacques François : Avant que nous n’en venions à la proposition relative, j’aurais encore une dernière question sur cette expérience : dans un colloque que vous aviez organisé au début des années 80, le mathématicien français René Thom s’est interrogé ainsi sur votre projet : « How could one start research on universals without taking a stand with respect to the Sapir-Whorf-Hypothesis namely that man’s vision of the world, is structured by one’s own language ? » [24]. Ma question serait donc : Quelle est ou quelle était votre position à cette époque sur l’hypothèse de Sapir-Whorf relativement à cette expérience ?

Hansjakob Seiler : A l’époque, cette hypothèse était effectivement pleinement à l’ordre du jour. Elle était discutée âprement, il y avait en effet autant de défenseurs que de contradicteurs. Après mon expérience chez les indiens Cahuilla, mon impression était : Bon, cette langue présente des différences très significatives avec ce qu’on appelait les Standard European Languages.

Jacques François : Peut-être pouvez-vous en donner un exemple ?

Hansjakob Seiler : Oui. Il n’y a dans cette langue aucune désignation grammaticalisée pour le temps sur le verbe. On peut évidemment exprimer par un lexème ‘hier’, ‘avant-hier’, ‘demain’ etc., mais il n’y a pas de morphème de temps, ni affixe ni infixe ou autre, sur le verbe. Mais on trouve cela grammaticalisé sur le nom. Ainsi pour la notion de maison on peut exprimer une maison qui existait jadis et qui maintenant est une ruine : ‘ kish ‘ et ‘ a’ est le morphème pour ‘passé’, donc kish-’a signifie ‘ce qui fut une maison’. C’est seulement un exemple de différence. Je le mentionne maintenant parce qu’il a été affirmé à propos du Hopi, parent du Cahuilla et qui est aussi une langue nord-américaine uto-aztèque, que les Hopis ne pourraient désigner aucun concept temporel. Cela s’est révélé faux par la suite. Donc ils disposent bien d’expressions (et pas seulement lexicales) pour rendre les différences d’ordre temporel. Malgré cette différence, je n’avais par l’impression qu’au total le Cahuilla soit si différent des Standard European Languages. Et ce fut peut-être un point de départ pour mon intérêt grandissant pour la question des caractères communs à toutes les langues.

Jacques François : Cela semble cependant poser une question mineure : Talmy Givon et d’autres disent que ce qui distingue un verbe prototypique d’un nom prototypique, c’est que normalement le nom représente quelque chose de stable dans le temps et le verbe quelque chose de changeant. Quand on rencontre un marqueur temporel sur un nom, cela signifie-t-il que le nom n’est plus conçu comme stable dans le temps ?

Hansjakob Seiler : Oui, c’est ce qu’on peut dire. Et d’un autre côté on constate qu’une grande partie des catégories sémantiques qui sont rattachées au verbe par des constituants grammaticaux dans les langues de l’Europe occidentale ont un mode d’expression nominal dans ces langues, tout particulièrement pour ce qui nous concerne ici en Cahuilla. Ainsi l’avenir est exprimé nominalement par un participe relatif “un qui est destiné à” suivi de la notion verbale.  

PROPOSITION RELATIVE, ÉPITHÈTE ET APPOSITION

Jacques François : Cela constitue en quelque sorte une passerelle vers votre étude de la proposition relative. Vous l’avez écrite, je crois, à l’époque où vous étiez déjà à Cologne ? Est-ce exact ?

Hansjakob Seiler : Non, c’était à Hambourg. J’ai élaboré et écrit le livre “ Relativsatz, Attribut und Apposition” [25] à Hambourg et il est paru au moment où j’ai été appelé à la chaire de Cologne, c’est-à-dire fin 1959-début 1960.

Jacques François : Quand on parle de proposition relative, on pense aussitôt à deux conditions morphosyntaxiques de base : il doit y avoir un connecteur qui entretient une relation avec le verbe de la proposition relative et une autre avec un antécédent. Comment faut-il comprendre la notion de “proposiiton relative”   dans votre conception et la morphosyntaxe y joue-t-elle un rôle prédominant ?

Hansjakob Seiler : Oui, cela s’est dégagé de mes cours : j’avais à l’époque une charge de cours en linguistique comparative. Il était explicitement mentionné   que le cours devait avoir une composante diachronique, portant sur les langues indo-européennes et par ailleurs une perspective de comparaison structurale, typologique si l’on veut. Et dans ce double cadre, qui a subsisté pour une part dans mon enseignement à Cologne, il y avait en outre — puisant dans mon expérience des langues d’Iran acquise à Paris — un cours sur l’Avesta, la langue de l’ancien Iran la plus importante à côté du vieux persan. Et alors je m’aperçus qu’il y avait deux types principaux de propositions relatives, à savoir verbales et non verbales. A titre d’exemple “Mithra qui nous protège toujours” — [...] d’un côté avec un verbe conjugué et un connecteur, c’est-à-dire un pronom relatif, et de l’autre sans verbe :

Miðro: yo:
vouru.gaoyaoitish Mithra PRON.REL.

aux-vastes-pâturages (Bahuvrihi) Mithra , celui aux vastes pâturages

Et la question c’était maintenant : comment se comportent les deux constructions ? L’opinion officielle était que ces propositions relatives averbales n’étaient rien d’autre que des ellipses, donc implicitement des propositions dotées d’un verbe. Et cela m’apparaissait de plus en plus douteux. J’ai alors à nouveau recouru à une méthode strictement descriptive. Ce corpus des écrits avestiques n’est pas illimité. Et j’ai pu ainsi collecter au total quelque mille exemples de propositions relatives que j’ai classées en fonction de tous les critères imaginables — j’avais à l’époque un système de cartes à trous pour pouvoir les trier. Cette analyse descriptive, cela a donné une de ce livre. Et plus j’appliquais rigoureusement ce mode d’analyse, plus je me disais d’un autre côté : Halte là ! Ces choses doivent bien être porteuses de sens, avoir une fonction sémantique. Et en quoi consiste alors la différence entre ces propositions averbales et celles qui ont un verbe ? Et c’est alors que m’est apparue la différence entre deux types de relations. D’un côté une relation déterminative — on dirait aujourd’hui restrictive et oppositive — avec Mithra qui assure maintenant les vastes pâturages, par opposition à un autre Mithra qui fait autre chose. D’un autre côté les propositions relatives verbales se rapprochent très fortement de l’apposition et ont donc une fonction prédicative. Dans la première du livre, j’ai cherché   à expliciter cette différence pour un public non spécialisé à partir de l’allemand. Et alors m’est apparu in nuce la distinction entre le pôle prédicatif — je l’ai appelé caractérisant — et en vis à vis le pôle référentiel et oppositionnel. Dès cette époque je l’ai formulé ainsi, etcela a joué un rôle décisif pour ce que j’ai fait plus tard dans la recherche sur les universaux.

Jacques François : Pourriez-vous dire tout de suite un mot sur la relation entre votre étude et le livre ultérieur de Christian Lehmann ?

Hansjakob Seiler : Christian Lehmann était un de mes élèves. Et il a été stimulé par mon livre sur la relative. Celui-ci était paru en 1960 et son travail est paru en 1984 avec pour titre “ Der Relativsatz : Typologie seiner Strukturen, Theorie seiner Funktionen, Kompendium seiner Grammatik” [26]. Comme le dit ce sous-titre, Lehmann a pris au sérieux l’exigence d’une démarche typologique : il faut se fonder sur un grand nombre de langues comparées. Il a pris en compte 80 langues que bien entendu il a étudiées pour l’essentiel à partir de grammaires. Il a analysé très rigoureusmenet la problématique des propositions relatives dans chacune de ces langues et est parvenu à un panorama de grande envergure de ce que l’on peut dire sur la proposition relative dans une perspective typologique et aussi universaliste (ce qui n’est pas pareil) et plus généralement comme linguiste classificateur. Cela lui a d’ailleurs valu un prix et je me suis naturellement profondément réjoui que ces recherches que j’avais entreprises en 1960 — à cette époque bien entendu dans un cadre et avec des connaissances bien plus modestes — aient pu être poursuivies avec autant de succès.

Jacques François : J’aurais encore une question subsidiaire qui porte peut-être plus sur le travail de Christian Lehmann que sur votre propre ouvrage, du fait qu’il a étudié un tel nombre de langues. Quand on a une notion fonctionnelle de la proposition relative, jusqu’à quel point peut-on s’appuyer sur des grammaires ? En d’autres termes, est-on sûr que, disons dans l’index de la grammaire, on trouve exactement ce qu’on cherche ? Cela du fait que la notion n’est pas fixée en termes de morphosyntaxe.

Hansjakob Seiler : Et bien on n’en est pas sûr du tout. Et naturellement plus la fonction a une définition conceptuelle, moins on est sûr de trouver dans les grammaires ce que l’on cherche. Quant à moi c’est justement la raison pour laquelle je n’ai pris en compte dans mon dernier livre que des langues que je connais bien par moi-même ou dont il existe des descriptions dont je suis sûr qu’elles tiennent compte de phénomènes de cet ordre. Lehmann a certainement rencontré des difficultés sur ce point, mais au total son travail a une orientation déjà plus typologique, c’est-à-dire comparative et centrée sur les différences, les distinctions pour lesquelles il a diverses sous-rubriques, par exemple la relative pré-, post- ou circon-nominale. Il s’agit d’une perspective plus typologique.  

LA CONSTITUTION DE L'ÉQUIPE UNITYP

Jacques François : L’équipe UNITYP s’est constituée à Cologne en 1972. Pourriez-vous nous expliquer comment cela s’est fait, quel soutien vous avez reçu de la part de la Deutsche Forschungsgemeinschaftet qui étaient les membres fondateurs, les premiers doctorants importants dans cette équipe ?

Hansjakob Seiler : Le point de départ, cela a été l’invitation qui m’a été faite de parler en séance plénière au Congrès International des Linguistes à Bologne   sur le problème des unviersaux. Je n’ai jamais su jusqu’à aujourd’hui à qui je devais cet honneur. Car je n’avais jamais rien écrit expressis verbis sur les universaux. Mais je me suis senti stimulé et je me suis mis, c’était en 1970, à étudier surtout les universaux de Greenberg et tout le volume que Greenberg avait dirigé [27] , lequel était l’aboutissement du colloque de Dobbs Ferry. J’étais très impressionné par tous ces travaux, Jakobson aussi avait écrit dans cet ouvrage, ainsi que Hockett. C’est ainsi que je me suis mis à élaborer quelques idées personnelles sur le problème des universaux. Ma communication n’était pas absolument une continuation de Greenberg. Elle est parue et à partir de cette publication j’ai de nouveau distillé ce qui allait devenir une première formulation de la notion d’universaux. Elle était d’ailleurs intitulée “ La notion d’universaux”, et j’y insistais expressément sur la distinction entre universel, unversalité et généralisation. Je savais bien qu’à cette époque, en 1972, la tendance générale était largement favorable à la grammaire générative. Je m’étais moi-même essayé au générativisme dans quelques papiers à la fin des années 60, mais je m’en suis rapidement distancié. Je ne me suis donc pas inquiété de cette tendance et j’ai suivi mon propre chemin. On ne peut pas dire que ne pas être générativiste équivalait à être conservateur, car je n’étais pas non plus conservateur. J’ai alors pu présenter cette esquisse à mes collaborateurs les plus étroits à l’institut avec l’idée qu’on pourrait peut-être en dégager un projet d’équipe. Il s’agissait particulièreent de Gunter Brettschneider, qui par la suite a beaucoup œuvré pour l’équipe et aussi pour régler les questions matérielles, les publications, la diffusion d’un journal fonctionnant comme organe interne qui plus tard prit le nom d’ akup ( Arbeiten des Kölner Universalienprojektes). En faisaient également partie Mme Ursula Stephany, maintenant professeur, qui travaillait essentiellement sur l’acquisition de la langue maternelle, Franz-Joseph Stachowiak, qui venait de l’anglistique et qui a apporté une contribution précieuse en raison de sa formation en neurolinguistique à Aix-la-Chapelle, ainsi que Paul Otto Samuelsdorff qui est depuis longtemps à la retraite mais qui continue à assurer une charge de cours à l’institut ; Mme Anna Biermann, une hongroise qui a beaucoup apporté sur cette langue. Ils ont été suivis par Holger van den Boom, un philosophe qui s’est maintenant largement réorienté vers l’informatique et a un poste de professeur à Essen et bien entendu Christian Lehmann. En outre nous avions, venant de Suisse, Elmar Holenstein, qui fut un temps assistant de Roman Jakobson et que j’ai connu par l’intermédiaire de Jakobson, lui aussi philosophe, mais dans une directon tout à fait différente de celle de van den Boom. Il venait de la phénoménologie husserlienne, il avait travaillé aux Archives Husserl à Louvain et y avait soutenu sa thèse. C’était là le noyau dur. En provenance des USA, il   y avait également Julius Moshinky qui venait de Berkeley et avait travaillé antérieurement auprès de Greenberg ; Roger Barron, qui arriva chez nous au terme d’un parcours aventureux passant par Berlin, Robert Romero, lui aussi un américain qui a disparu plus tard sans que nous sachions ce qu’il est devenu et Russell Ultan, qui était un membre à part entière de l’équipe de Greenberg. Le projet de Greenberg arrivait à son terme au moment où le nôtre a démarré. Et moi-même j’ai eu l’avantage d’être en visite à Stanford dans les derniers mois de ce projet. J’y étais au printemps 1976. J’ai fait le tour des gens qui ont pris part au début du projet. Au départ la participation était à base de bénévolat, personne n’était payé. Mais nous avons commencé à tenir des réunions d’équipe hebdomadaires et à élaborer une sorte de memorandum, que nous avons soumis à la Deutsche Forschungsgemeinschaft. C’était la condition à remplir pour obtenir un soutien financier et notre demande a été acceptée. Depuis 1973 nous étions donc un projet de la DFG et la plupart des collaborateurs — en dehors de ceux qui avaient un poste à l’institut, donc en dehors de moi Brettschneider et Stephany —   n’étaient employés que par la DFG. A partir de ce moment des publications ont vu le jour à un rythme assez soutenu, tout d’abord, comme je l’ai déjà évoqué, dans l’organe Linguistic Workshop chez l’éditeur Wilhelm Fink à Munich. Et plus tard — et ce fut aussi le mérite de Gunter Brettschneider — dans une publication ‘grise’, à savoir une série de cahiers intitulés Arbeiten des Kölner Universalienprojekts, abrégé akup. Au total 89 monographies sont parues entre 1972 et approximativement 1992, la période pendant laquelle nous avons été financés par la DFG s’étant achevée en 1992.

Jacques François :   J’aurais une question sur les cahiers akup : est-ce que seuls les membres du groupe ont écrit dans ces cahiers ou également des extérieurs ?

Hansjakob Seiler : Il y a eu aussi en quantité croissante des contributions de l’extérieur, par exemple de Klaus Heger. Au début, c’était une surprise, mais il était très excité par notre recherche quoique travaillant lui même dans une autre direction. Klaus Heger a publié chez nous, puis ce fut le cas d’un philosophe de Genève, disciple de Piaget, et ensuite d’une élève de Wolfgang Raible. La collection était donc ouverte à des contributions d’inspirations autres que la nôtre. Jacques François : Je crois que vous avez mentionné parmi les membres de votre équipe José Iturrioz du Mexique. Pouvez-vous raconter quel rôle a été le sien et comment est née la revue “ Función” ?

Hansjakob Seiler : Et bien Iturrioz se trouvait à l’époque en Allemagne, à Cologne et il s’est associé à notre équipe de recherche. D’ailleurs depuis 1978 nous avions le statut d’une équipe de recherche reconnue, ce qui impliquait un projet plus vaste avec de nouveaux collaborateurs et José Louis Iturrioz Leza a obtenu ce statut. Il a travaillé particulièrement sur la dimension de l’appréhension, c’est-à-dire de la saisie des objets matériels et sur l’abstraction — de manière très approfondie et en tenant compte d’une variété de langues. Lui-même est basque et avait donc des intuitions bien qu’à ma connaissance il ne parle pas couramment basque. Il a publié cette étude [28] dans l’un des deux tomes sur l’appréhension, mais a rédigé ensuite une thèse monumentale en deux volumes sur l’abstraction qu’il a soutenue en Espagne. Cela se limitait à cela avant qu’il parte au Mexique à Guadalajara. Cela l’a profondément réjoui de travailler avec nous et dans notre esprit et il a emporté cette conviction avec lui au Mexique où il a tout d’abord travaillé dans l’esprit d’UNITYP avec un autre membre de l’équipe, Fernando Leal. Et très vite une revue a vu le jour sous le titre de “ Función”, qui continue à paraître à intervalles irréguliers et continue à faire entendre des thèmes et des idées qui renvoient finalement à UNITYP et à mes thèses, combinés avec des contributions sur les langues amérindiennes du Mexique, donc pour l’essentiel le Huichol, également du groupe des langues uto-aztéques, et également avec des articles de philosophie du langage. Voilà pour Iturrioz. Il faut encore mentionner ici l’historien des sciences Ernst Peter Fischer qui venait à proprement parler de la physique et qui fut ensuite collaborateur du biologiste Max Delbrück,que j’ai moi-même bien connu et qui s’est beaucoup intéressé à notre équipe. Fischer est maintenant à Constance et y a une chaire d’histoire des sciences. Il nous a apporté surtout des idées venant de la biologie. Et bien sûr il y en aurait encore beaucoup d’autres à citer. Nous avons eu la chance de pouvoir attirer des spécialistes des familles de langues les plus importantes de la terre, par exemple Werner Drossard, qui a d’abord travaillé sur le tagalog, puis sur des langues ouraliennes et qui s’est ensuite spécialisé sur la problématique des langues de type polysynthétique ; ensuite Ulrike Mosel, tout d’abord formée à l’étude des langues sémitiques et devenue une grande spécialiste des langue océaniennes, Ulrike Kölver,spécialiste des langues newari (du Népal), thai, vietnamien et indonésien, ainsi que Berthold Simons, un linguiste qui s’est occupé d’abord de langues sioux, du Dakota, et qui a aussi mené des enquêtes de terrain avant de s’engager dans une seconde formation en neurologie et qui travaille maintenant dans une clinique pour handicapés de la parole. D’une manière analogue, Jürgen Broschart, d’abord membre d’UNITYP, a mené à bien un cycle d’étude complet de la neurologie à l’université de Düsseldorf puis après la soutenance de sa thèse et d’autres publications sur le Tongien, est maintenant actif dans un secteur qui exige d’une part une solide formation linguistique, mais va bien au-delà de la linguistique. Dès l’origine nous sommes partis d’une idée que j’ai initiée, à savoir que si l’on veut trouver quelque chose d’universel dans les langues, on ne doit pas se limiter aux langues par elles-mêmes, mais qu’on doit absolument jeter un coup d’œil à l’extérieur, pour confronter les langues entre elles et finalement confronter le langage avec d’autres secteurs des activités de l’esprit humain. C’est une conception qui n’est sûrement pas partagée par tout le monde et qui recèle aussi des dangers. Mais en fin de compte je pense que la tendance dominante va aller dans ce sens :il ne s’agit pas de considérer le langage, comme l’a formulé un jour Saussure, uniquement en soi et pour soi mais au regard de la totalité qui construit la pensée et l’action de l’homme et peut-être même au-delà dans ce qui nous entoure dans la nature. Un livre célèbre de mon ami disparu Max Delbrück portait le titre Mind from Matter ? et dans ce livre j’ai apporté une contribution notable à la rédaction du dernier chapitre.

UNITYP ET LES ANTHROPOLOGUES

Jacques François : Cela doit-il signifier que l’équipe UNITYP avait des contacts étroits avec des anthropologues ?

Hansjakob Seiler : Paul Kay (anthropologue et linguiste) de l’université de Californie à Berkeley, sur lequel je reviendrai plus loin, a participé très activement à notre atelier de Gumbersbach en 1983 [29]. A Cologne Bernd Heine, originellement un de mes étudiants, assistait régulièrement à nos réunions de travail hebdomadaires. En tant qu’africaniste, il a directement à voir avec l’anthropologie ou — comme on préfère dire ici — avec l’ethnologie.

Jacques François : Je vois aussi que dans votre bureau vous avez toute une collection de la revue Anthropological Linguistics. Peut-on en déduire que cette lecture est pour vous d’une grande importance ?

Hansjakob Seiler : Oui, cela a certainement une grande importance. Cela remonte à mes contacts avec Carl Vœgelin et à mon séjour en Amérique. On doit avoir en mémoire qu’une grande partie de la linguistique aux USA avait son siège dans les départements d’anthropologie. Quand je me suis trouvé la première fois là-bas, il n’y avait que peu de véritables départements de linguistique. En revanche il y avait dans de nombreuses universités un vaste département d’anthropologie et des linguistes réputés y avaient un poste. A vrai dire il était pour moi évident que de m’abonner à cette revue — et cela dès son origine, je crois qu’elle a vu le jour en 1953 — et aujourd’hui encore je suis très stimulé par ses contributions essentiellement orientées sur la collecte de données. L’idée explicite de Vœgelin et de ses collaborateurs était qu’on devait disposer d’une revue, d’un organe dans lequel des matériaux linguistiques bruts seraient présentés sans un appareil théorique trop lourd.

Jacques François : Mais diriez-vous qu’il existe encore au début du 21° siècle des chercheurs qui soient autant linguistes qu’anthropologues comme l’était Sapir ?

Hansjakob Seiler : J’ai eu la chance de pouvoir passer l’année universitaire 1965-66 comme chercheur associé ( fellow) en Californie, au Center for Advanced Study in the Behavioral Sciences de Stanford. Pour moi, cela a été décisif à plus d’un titre. L’anthropologie était largement représentée parmi les 45 fellows : Paul Kay,   connu ultérieurement par son livre Basic Color Terms. Their Universality and Evolution (1969, avec Brent Berlin), Roy d’Andrade [30] , John Fisher [33]. A ma connaissance ils sont tous encore actifs. Cette année-là j’étais occupé entre autres par la rédaction de l’introduction à mes Cahuilla Texts with an Introduction(1970) et la vision ethnolinguistique y est très reconnaissable. Dans toute recherche linguistique de terrain le point de vue ethnologique est absolument à prendre en compte. Mais dans la pratique cette exigence n’est pas toujours satisfaite. Il ne faut pas oublier que la révolution Chomskyenne a conduit à réduire dramatiquement l’intérêt pour la description de langues autochtones éloignées et de leur arrière-plan culturel. Pendant un temps les jeunes gens ont pensé qu’ils ne pourraient plus se permettre ce que j’avais fait en mon temps dans le cadre de la Survey : se confronter pendant un temps assez long, voire des années à l’analyse d’une petite langue perdue au loin. Aujourd’hui la situation s’est un peu améliorée de ce point de vue, pas assez cependant pour sauver beaucoup de langues et de cultures du monde d’un oubli définitif.  

"NI GÉNÉRATIVISTE, NI CONSERVATEUR"

Jacques François : Vous venez de dire qu’à la fin des années 60 vous ne vouliez être ni générativiste ni conservateur. Cela n’était pourtant pas si facile compte tenu du succès de la grammaire générative en Allemagne au début des années 70.

Hansjakob Seiler : Effectivement il y avait un certain risque, comme vous le rappelez, à choisir une voie qui s’éloignait de la tendance dominante. Et cela demandait un certain courage. A cela s’ajoutait que je voyais bien que le projet avançait de manière satisfaisante, c’est-à-dire que mes collaborateurs étaient spontanément prêts à consacrer toute leur énergie à cette entreprise. Et c’est à ce moment, en 1972-73 que j’ai été invité à occuper une chaire à l’unviersité de Zürich, dont j’avais longtemps rêvé dans les décennies précédentes. Par le passé rien n’était arrivé et cela arrivait soudainement. J’avais alors 53 ans et comme l’équipe était maintenant bien reconnue je me suis résolu au milieu de doutes douloureux à ne pas donner suite à cette offre de nomination dans ma patrie. Dès lors il importait d’obtenir lesoutien officiel indispensable pour ce projet et à ma grande surprise nous l’avons obtenu. En d’autres termes, la DFG donna son accord pour nos demandes de renouvellement d’abord annuelles. Le fait qu’Eugenio Coseriu, qui nous avait tout d’abord critiqués assez dûrement, ait   peu à peu pris clandestinement puis ouvertement fait et cause pour nous a certainement joué un rôle. Il faut ajouter que Peter Hartmann faisait partie de la commission de la DFG et nous a évalué à intervalles réguliers dans des sessions d’évaluation. Coseriu y a participé plusieurs fois, Peter Hartmann également et ce qu’il y avait de remarquable chez P. Hartmann, c’était qu’il avait une intuition très juste sur des tentatives et les résultats en linguistique auxquels il n’était pas fondamentalement favorable. Mais il pouvait très bien saisir ce que nous voulions et le sens de notre entreprise. Dans ces sessions d’évaluations il s’est toujours exprimé en faveur de la poursuite de nos recherches. Plus tard nous recevions les comptes-rendus qui pouvaient être très critiques. Paolo Ramat, le typologue italien qui a acquis la célébrité, était l’un de ceux qui a été notre hôte pendant une année entière. Il était à Cologne avec une bourse du DAAD ou de la Fondation Humboldt me semble-t-il, et il a assisté régulièrement à nos réunions de travail. Alors qu’à l’époque il n’avait jamais tenu de propos critiques, il a émis plus tard des doutes dans des publications, tout en affirmant dans le même temps que nous devions poursuivre à tout prix. Il a ultérieurement relativisé cette critique. Et nous avons vécu cela à d’autres reprises, toujours mêlé à des encouragements pour que nous poursuivions. Bien sûr il n’était pas très agréable d’entendre de telles critiques que dans l’ensemble je ne tenais pas pour justifiées. Mais   à chaque fois que quelqu’un ne me comprend pas pleinement, j’ai tendance à m’en imputer d’abord la faute. La compréhension croissante à l’égard de ce que nous faisions et avions en vue, se manifeste sans doute le mieux dans quelques phrases qu’Alexandra Aikhenvald,   une remarquable linguiste qui exerce maintenant en Australie, a écrites dans son livre sur les classificateurs. Elle dit avoir beaucoup appris de nos volumes bleus dans la Language Universal Series et trouver dommage que ce projet soit encore très sous-estimé.  

L'ÉMERGENCE PROGRESSIVE  DES DIMENSIONS ET DES TECHNIQUES

Jacques François : Il est peut-être temps de revenir à la première partie de notre entretien, où vous nous y avez présenté les différentes Dimensions et Techniques. Il serait sans doute approprié de procéder cette fois de manière chronologique et d’expliquer dans quel ordre les différentes Dimensions sont apparues et qui dans l’équipe a eu la charge de s’occuper particulièrement de l’une ou l’autre Dimension.

Hansjakob Seiler : La première idée d’une Dimension qui a reçu ultérieurement le nom de ‘Nomination’ (d’un objet), elle me vint — comme pour beaucoup d’autres choses — de mes observations sur la langue des Cahuillas où je me suis aperçu que les désignations d’objets sont extraordinarement descriptives. C’est-à-dire qu’elles circonscrivent l’objet en exprimant ce qu’il est, ce qu’il peut faire et quelles propriétés il a. J’ai pu également constater dans cette langue que cette descriptivité présente différents degrés, du descriptif maximal au minimal, c’est-à-dire jusqu’à une pure étiquette. Je peux sans doute illustrer cela à partir d’un exemple allemand. Il y a un continuum dans les composés et dérivés de l’allemand de cet ordre : une Haustür , c’est une porte ( Tür) qui fait partie de la maison ( Haus). Pour autant, toute porte de la maison n’est pas une Haustür [32]. On ne peut donc pas circonscrire ce qu’est une Haustür uniquement à partir du prédicat ou de la phrase définitoire. Un pas plus loin : Flugzeug   (avion) a quelque chose à voir avec l’action de voler, mais on ne peut pas dire que c’est tout simplement “un engin pour voler”. Un pas de plus : Heidelbeere (myrtille) désigne une baie ( Beere), mais Heidel , c’est quoi ? On ne peut donc plus du tout déterminer le pouvoir descriptif du composé. Et à l’extrême de l’étiquetage pur on aurait Weberknecht [33] (faucheux). Moi-même j’ai dû consulter un dictionnaire encyclopédique pour apprendre ce qu’est un Weberknecht , à savoir une espèce d’araignées. C’est donc un mode d’expression métaphorique qui ne révèle pas à première vue quel type d’objet est visé. Encore une autre brève illustration, les noms de métiers. Un Lehrer (enseignant), c’est ‘quelqu’un qui enseigne’   ( lehren ). Un Tänzer , c’est quelqu’un qui danse ( tanzen). Et un Schneider (tailleur) ? Là, définir Schneider comme quelqu’un qui taille ou coupe ( schneiden) relève plutôt de la plaisanterie. Mais bien entendu cela a quelque chose à voir avec l’acte de tailler. Et finalement Arzt (médecin) représente l’étiquette pure, qui ne dit rien sur le type de métier que désigne Arzt et sur son activité [34]. On a donc cette succession de niveaux, ce continuum de la description maximale à l’étiquetage maximal avec toute une série de niveaux intermédiaires. Et cela manifeste deux principes que nous avons retrouvés dans toutes les Dimensions, à savoir : descriptif égale prédicatif — pas seulement dans le sens d’un prédicat syntaxique, mais comme synonyme de définitoire, énonciatif. Et en vis-à-vis on a le pôle indicatif qui n’énonce rien, mais établit une relation par pure monstration (gr. deixis ).

Jacques François : Une question sur ce point : Dans les modèles génératifs se rencontre l’idée qu’on retrouverait dans la formation des mots à peu près les mêmes structures que dans la construction des phrases. A votre avis, cela vaut donc pour le pôle prédicatif du continuum.

Hansjakob Seiler : C’est le cas pour le côté prédicatif, mais même là seulement pour une part. J’ai évoqué avec vous précédemment l’exemple d’une langue africaine dans laquelle les noms propres sont représentés par des propositions entières. C’est-à-dire que ce sont les matériaux qui suffiraient pour toute une proposition, mais, c’est la conclusion du grammairien, ces constructions n’ont pas un statut de proposition. Il y a donc une différence claire entre une proposition complète, qui fonctionne en tant que telle, et une désignation dont la prédicativité est maximale. Bref, ce phénomène, nous lui avons donné d’abord le nom de Descriptivité et d’ Etiquetage et plus tard celui de Nomination. A cela s’est ajoutée une expérience que j’ai eue au Kénia, alors que j’étais invité pour un semestre à Nairobi où je m’occupais du swahili et d’autres langues essentiellement du groupe bantu, à propos du système des classes nominales. Je savais à partir des langues amérindiennes qu’il y a des langues avec des clasificateurs numéraux. Je savais aussi qu’il y a des classificateurs déterminatifs dans des langues de l’Amérique du nord. Il y a des langues dans lesquelles les verbes ont une fonction classificatoire et je voulais maintenant comprendre comme tout cela s’articule. Ainsi s’est constituée à la fin des années 70 à partir d’observations comparatives une nouvelle Dimension présentant une succession de degrés qui vont de l’Abstraction aux Noms Propres en passant par la Collection, la Masse et la Mesure, puis la Classification verbale, déterminative, numérative, les Classes nominales et le Genre. J’ai pu montrer que cela constitue une progression graduelle de la prédicativité maximale — car les constructions abstraites sont des prédicats transposés en expressions nominales, La destruction de Jérusalem par les Romains transposant par exemple la proposition Les Romains ont détruit Jérusalem — jusqu’à l’indicativité maximale. En soi, les noms propres ne disent rien du tout sur les propriétés du porteur, mais ils sont attribués au porteur au terme d’une cérémonie ou d’une convention et les locuteurs respectent cette convention. En même temps les noms propres, bien que représentants d’une indicativité maximale, conservent cependant une trace de prédicativité, car ils sont généralement choisis avec l’intention d’exprimer qch sur le porteur. Ils sont donnés en souvenir du nom d’un saint, comme par exemple Franz , ou bien ils reçoivent une connotation ornementale ou bienveillante. L’exemple bateau, c’est Aristoteles — ‘celui qui a le but le plus haut’. C’est un nom propre qui en soi n’est certes qu’indicatif, mais il a aussi une composante prédicative. En revanche Platon , désignant l’autre philosophe, est un nom propre qui provient d’un sobriquet, ‘celui qui a une large face’ — platus signifie ‘large’ — et a aussi un certaine force expressive qui peut avoir été pertinente pour l’individu concerné. Il y a là quelque chose que nous avons retrouvé dans toutes les Dimensions : les deux extrêmes ‘indicatif’ et ‘prédicatif’, loin de s’exclure , sont co-présents à tous les stades constitutifs d’une Dimension, mais à des degrés variables. Au pôle indicatif, la composante prédicative est minimale et inversement la composante indicative maximale et au pôle prédicatif la configuration est inversée. Voila pour la dimension de l’ Appréhension [35]. Après cela c’est sur la dimension de la Possession que j’ai travaillé tout au long. Comme publications je ne mentionnerai ici que la monographie Possession as an Operational Dimension of Language [36] et récemment une reprise “The operational basis of possession : A dimentional approach revisited” [37]. Ensuite, une nouvelle question a été discutée dans l’équipe : Qu’en est-il du complexe des prédicats, cette fois au sens syntaxique, c’est-à-dire des verbes ? Y a-t-il là quelque chose de comparable ? Là aussi, encouragé par les expériences précédentes, j’ai tenté de mettre en ordre tout ce qui peut être établi à propos des expressions prédicatives. Effectivement je me suis aperçu — et à vrai dire c’était assez facile à voir — que là aussi il y a deux situations ou positions extrêmes : à un bout, avec la fonction d’une énonciation complète, des ‘phrases d’un mot’ comme Feuer ! (au feu) ou Nacht ! (il fait nuit) ou par exemple ce que j’appelle des ‘prédicats logiques’, c’est-à-dire des phrases nominales ; et à l’autre bout des phrases complexes. Ce serait donc les deux extrêmes, l’un à caractère indicatif, l’autre à caractère prédicatif pour les phrases complexes. Etroitement apparentées aux phrases complexes, mais déjà sur la voie de l’indicativité, on rencontre le domaine de la causativité, ce que j’ai appelé Kausativisierung (‘causativation’). Et à l’intérieur même de cette Technique de causativation il y a à nouveau une hiérarchie. Vous me l’avez rappelé hier [38] , il s’agit de Die Grossisten machen, dass die Ölpreise sinken (Les grossistes font en sorte que le prix du pétrole baisse) au pouvoir énonciatif maximal, suivi de Die Grossisten lassen die Ölpreise sinken (Les grossistes font baisser le prix du prétrole) déjà un peu moins prédicatif du fait de l’emploi d’un auxiliaire, puis de Die Grossisten senken die Ölpreise (Les grossistes baissent le prix du pétrole), un verbe marqué comme causatif par l’inflexion ( senken< sinken ) et finalement Die Grossisten dumpen die Ölpreise, un emprunt inanalysable, ce qu’on appelle un causatif lexical, donc minimalement prédicatif. Cela illustre différents degrés de la Technique de Causativation au plus proche des phrases complexes. A l’autre extrême on trouve, juste après les prédicats logiques et les ‘phrases d’un mot’, la distinction nom vs. verbe. Suivent différentes classes de verbes, puis la valence. Ensuite vient ce que nous appelons l’Orientation, il s’agit donc des diathèses. La Transitivation constitue en quelque sorte le point d’inversion du continuum. C’est le stade jusqu’auquel le ‘Partizipatum’ (le prédicat) est de plus en plus spécifié et différencifié. A partir de là ce sont les participants qui sont différenciés. En l’occurrence, de nouveaux participants sont introduits par marquage casuel et également par sérialisation. Au terme du continuum, on retrouve la Causativation et les phrases complexes.

Jacques François : Puis-je poser une question annexe ? Vous parlez d’une phrase composée d’un seul nom à un bout et d’une phrase complexe à l’autre. Ce faisant, vous êtes-vous posé la question du nombre des événements qui interviennent dans une proposition ? Car en relisant   l’exemple Les grossistes font en sorte que le prix du pétrole baisse dans votre exposé au colloque de Caen [39] en 1992, j’ai l’impression qu’au fond les grossistes ont fait quelque chose de particulier qui n’est pas mentionné. Donc l’agir les grossistes pourrait être compris en soi comme un événement, lequel a pour conséquence que le prix du prétrole baisse. Et quand à l’inverse on préfère dire Les grossistes baissent le prix du pétrole, alors on a l’impression de parler d’un événement unique. Je dis cela en relation avec la distinction qu’a proposée Talmy Givón entre cognitive packaging et grammatical packaging [40]. Selon lui deux événements peuvent être distingués dans l’enrobage cognitif, qui sont compactés en un événement unique par l’enrobage grammatical.

Hansjakob Seiler : Oui, c’est certainement une bonne question. Je crois cependant que ce qui est déterminant pour ce problème, c’est que machen (faire en sorte) est une sorte d’auxiliaire et lassen (faire) bien plus encore, si bien qu’il y a quand même une limite entre des représentations dans laquelle il s’agit d’un ou de deux événements. Très stimulé par nos recherches de l’équipe UNITYP, Wolfgang Raible, le romaniste de Fribourg-en-Brisgau, a écrit son livre intitulé Junktion, dans lequel il a précisément thématisé les modes d’expression qui comportent deux procès et il a conclu tout comme vous que la limite avec les expressions dans lesquelles un événement unique est en cause, n’est pas franche. Cela se peut, mais en fin de compte on fait cette distinction même si la frontière est peut-être floue. Il est également caractéristique que des verbes comme par exemple töten ou to kill aient toujours été analysés comme comme cause to die ou quelque chose d’équivalent. C’est un effet du type qui revient constamment dans ces dimensions, à savoir un mouvement d’un pôle vers l’autre, ici précisément le mouvement de la causativité fortement prédicative vers l’expreesion moins prédicative töten. Cette paraphrase n’est pas valable, car premièrement on devrait alors dire cause to be dead et non cause to die. Kill / töten , ce n’est pas ‘faire en sorte que qn meure’ mais ‘faire en sorte que quelqu’un soit mort’. Je vois cela ainsi : il n’y a peut-être pas de limite rigoureuse, mais dans une expression causative il s‘agit fondamentalement d’un seul événement. Et à plus forte raison avec la Technique qui suit immédiatement, celle des verbes sériels. Voila ce qu’on peut dire sur la Participation.

Jacques François : Peut-être un mot encore sur la Participation : On s’est souvent demandé si les langues à système casuel et celles dépourvues d’un tel système peuvent être comparées et jusqu’à quel point. Et si je vous ai bien compris, cette distinction semble avoir été secondaire dans l’équipe UNITYP.

Hansjakob Seiler : Non, je ne le pense pas. Cette succession de Techniques au niveau de la Grammaire Comparative Générale, ce sont les ‘menus’ — comme je les ai toujours désignés — à partir desquels les langues particulières font leurs choix. Donc si une langue “se décide”, à se passer de cas, c’est un fait d’importance. Mais il faut alors se demander par quoi elle remplace le marquage casuel ou bien quel genre de sélection cette langue fait à partir du menu général. Cela demanderait à être étudié en détail.

Jacques François : Ce que j’entendais par “‘secondaire”, c’était qu’on ne doit pas se limiter à comparer d’une part des langues à marquage casuel et de l’autre des langues sans système casuel.

Hansjakob Seiler : Bien évidemment, c’est tout à fait juste. Comme je l’ai dit, c’est un menu maximal et à partir de ce menu on doit ou l’on peut comparer entre elles toutes les langues — y compris les langues sans système casuel. Mais il se trouve que ce menu est ouvert à d’autres Techniques observables dans des langues que nous n’avons pas encore prises en compte. Il y a là une succession flexible dans laquelle de nouvelles Techniques peuvent être insérées. Une telle Technique nous a effectivement été proposée [41]. Un test important pour justifier une telle insertion consisterait à spécifier l’endroit précis de l’insertion.  

LES NOUVELLES DIMENSIONS INTRODUITES AU-DELÀ DE LA PARTICIPATION

Jacques François : Alors qu’est-ce qui vient historiquement après la Participation ?

Hansjakob Seiler : C’était la dimension la plus importante que nous ayons traitée et ces travaux se sont condensés dans un volume épais “ Partizipation : Das sprachliche Erfassen von Sachverhalten” [42] , édité par Premper et moi, dans lequel toutes les contributions viennent des collaborateurs de l’équipe. Je devais rédiger une synthèse prévue tout d’abord pour ce volume, puis pour une publication séparée. Je n’y suis pas parvenu et je peux bien comprendre pourquoi. C’est tout simplement que ce domaine est extraordinairement complexe et une telle synthèse nécessiterait beaucoup plus de réflexion et également la connaissance, l’expérience d’autres langues. Si l’on pense à tout ce qui a été écrit sur la valence ou sur la transitivité, on peut mesurer l’ampleur du travail. Cependant j’ai couché sur le papier une première tentative dans ce sens, qui est paru comme numéro 7 de la revue “ Función” déjà mentionnée. Après cela il y a eu la dimension de la Numération [43] , là où elle se présente, car l’acte de compter a au fond un caractère de dimension. On progresse de un jusqu’à l’infini et à la différence de l’idée qu’on s’en fait habituellement, on retrouve à nouveau ici la même distinction. Le pôle indicatif, ce sont les numéraux les plus simples de un à dix qui sont signalisés dans de très nombreuses langues par des gestes. Donc en premier lieu avec les doigts et ensuite par référence aux membres. Cela peut aller jusqu’à 20 ou bien on peut encore inclure la tête et les autres parties du corps. Il s’agit donc des nombres élémentaires, à caractère fortement indicatif. Puis par une définition prédicative, les nombres qui sont exprimés arithmétiquement, par exemple vingt-et-un. Et finalement, ce que Greenberg avait appelé les bases — il a écrit un gros article sur la numération. Ainsi en allemand ou en anglais dix est une base et dans beaucoup de langues vingt en est une, il y a des langues à base vigésimale. Le français lui-même en a gardé une trace. Cent est également une base et ces bases constituent au fond les zones d’inversion [44]. J’ai pu montrer que c’est autour de ces bases, immédiatement avant et après, que se rencontre la plupart des irrégularités, par exemple avant cent : ce n’est pas un hasard si en français seuls quatre-vingt et quatre-ving-dix sont fondés sur une base vigésimale. Et aussi après la base : en allemand zehn est une base et elf est quelque chose de tout-à-fait irrégulier, car ain lif signifiant en gotique “un manquant”, et l’équivalent gotique de zwölf est twa lif ‘deux manquants”. C’est seulement à partir de dreizehn que la descriptivité reprend ses droits. Autre dimension qui est venue après, la Localisation. Je n’entrerai pas dans les détails ici, car les résultats sont parus sous le titre “Localization and Predication : Ancient Greek and various other Languages” dans un ouvrage collectif dirigé par Catherine Fuchs et Stéphane Robert, “ Language Diversity and Cognitive Representations” [45]. Enfin dernière dimension proposée, l’ Opposition ou Polarité [46]. Ici il s’agit d’une dimension qui court de l’expression des relations de parenté jusqu’à la négation. Cela peut étonner de prime abord : Qu’est-ce que les relations de parenté peuvent avoir à faire avec la négation ? On ne le comprend que si l’on se rend compte qu’ici aussi il y a un antagonisme entre une pure indication qui saisit de manière globale et un procédé définitoire syntaxique dans son principe, comme c’est le cas avec la négation. Et les stades intermédiaires entre la parenté et la négation, ce sont les “complénymes”, par exemple Mann et Frau ou vivant et mort , puis la comparaison, par ex. hoch et tief , etc., les désignations locales, temporelles, contrastives et finalement les négations. Tout cela a été élaboré plus ou moins en même temps puis développé successivement. Pour les deux dernières dimensions, je les ai analysées seul. J’avais repris entre-temps mon autonomie , l’équipe ayant été dissoute en 1992.

Jacques François : Vous avez dit que l’Opposition est apparue en dernier. Mais c’est plutôt l’avant-dernière dimension car dans votre dernier livre émerge la dimension de l’ Identification, et cela peut paraître problématique à plus d’un : d’abord parce qu’on s’était fait à l’idée que le répertoire des dimensions était achevé, et d’autre part parce que saute aux yeux la relation avec l’Appréhension en particulier. Est-il possible d’expliquer exactement s’il y a ou pas des recouvrements entre l’identification et d’autres dimensions ?

Hansjakob Seiler : Ce dernier point, je l’ai déjà abordé précédemment [47]. L’identification englobe tout d’abord ce que l’on distingue traditionnellement, à savoir la détermination et la modification. Mais il y a suffisamment de preuves que les deux opérations sont inséparables et qu’il y a une osmose entre les deux. L’Appréhension, cela consiste à saisir un objet en tant que tel, et l’Identification, c’est lui donner une identité : on sait que c’est un objet mais de quel type d’objet s’agit-il ? Il y a à nouveau deux possibilités. Par exemple : c’est un criminel et on le recherche. Mais on ne sait pas qui c’est. Première possibilité, on procède en disant : “ Et bien c’est un homme, il a une cicatrice sur le front, il porte un pullover rouge, une veste verte et parle le dialecte alémanique de Bâle”. Tout cela, ce sont des énoncés qui doivent à identifier cet individu, cet objet. Ou bien on se fait montrer un album de photos de criminels et la personne à qui quelque chose a été volé, dit : “ C’est lui”. Et ici aussi il y a toute une série de transitions. Du côté prédicatif les propositions relatives et les constructions relatives participiales. Puis viennent les expressions locales : “ Il se tient là haut dans la hutte” ou bien des constructions génitives, par exemple “ les traits distinctifs de Jackobson”, ou bien finalement la désignation de l’objet lui-même comme zone d’inversion. Au-delà nous avons les désignations plus référentielles, à nouveau le génitif, puis l’adjectif, les numéraux, les pronomspossessifs et finalement les démonstratifs. Je ne crois pas qu’arrivés à ce point nous ayons épuisé le catalogue des dimensions. Nous n’avons simplement pas encore pu aller plus loin, moi y compris. Et je ne crois pas non plus qu’avec la prolifération des dimensions la place vienne à manquer, mais pour reprendre votre expression que j’ai trouvé très belle : on peut se représenter une carte topographique des dimensions. Moi-même j’ai tenté au moins de mettre en ordre les dimensions. Cela apparaît dans le livre “ Language Universals Research: A Synthesis” [48] sur trois strates. Ce n’est pas l’ordre chronologique dans lequel nous les avons abordées, mais un ordre fonctionnel. Dans un premier temps il s’agit de la constitution d’une entité comme objet, de son nom, son identité et son nombre, donc l’Appréhension, la Nomination, l’Identification et la Numération. Puis sont rangées sur une deuxième strate les relations entre entités : possessives, locales et en tant qu’elles participent à une situation. Et finalement les relations globales entre une situation et les perspectives du temps, de l’évolution dans le déroulement de l’action , de la désirabilité et en dernier lieu l’assignation de valeurs de vérité. Mais c’est un domaine qu’il serait très instructif de creuser plus avant. Et vous avez également posé la question des paramètres. J’ai admis pour la plupart voire toutes les dimensions que le mouvement, la progression d’un pôle à l’autre et en sens inverse est motivé par une série de paramètres qu’on peut ordonner à leur tour hiérarchiquement selon leur degré de complexité. Ces paramètres motivent les processus que j’ai désignés comme proactifs , c’est-à-dire opérant du pôle indicatif vers le le pôle prédicatif, ou rétroactif , opérant en sens inverse. J’ai dit aussi qu’ils sont fondamentalement bipolaires et en ce sens comparables aux traits distinctifs de la phonologie.

Jacques François : Malgré tout je trouve que l’analogie avec la carte topographique n’est pas absolument pertinente en ce sens que parmi les différentes dimensions que vous organisez sur trois strates, celles du troisième type, à savoir Situation, Jonction et Polarité, ont un éventail de valeurs plus large que les autres. Il y a donc des chances qu’elles soient plus englobantes.

Hansjakob Seiler : Oui, il est possible qu’on doive les scinder en plus de dimensions. Je ne peux pas encore prendre position là-dessus. J’ai également distingué différents types de paramètres : les polaires qui ne présentent que deux pôles, par exemple intensionnel vs. extensionnel , appositif vs. oppositif , absolu vs. relatif , d’autre part les graduels entre un plus et un moins, par exemple la cohÉsion , forte ou faible, l’ inhÉrence , à un degré élevé ou réduit, etc. et finalement les privatifs, présence vs. absence d’un trait, contrÔle vs. non-contrÔle , individualisÉ vs. non-individualis É, etc. Et il se trouve effectivement, on peut le comptabiliser, qu’environ 50% des paramètres dont nous avons eu besoin se retrouvent dans d’autres dimensions. Mais une question ouverte demeure, celle de la proportion exacte et du statut des paramètres qui ne valent que pour une seule Technique ou une seule Dimension. Je ne pense pas pouvoir en dire plus sur ce point.  

TYPOLOGIE DES LANGUES ET RECHERCHE SUR LES UNIVERSAUX OU L'INVERSE ?

Jacques François : J’aurais encore une question à propos des cinq langues que vous mentionnez dans votre dernier livre, à savoir l’allemand moderne, le grec classique, le cahuilla, le tolaï et le samoan. Vous insistez particulièrement sur le fait que pour la recherche sur les universaux on peut se passer d’une recherche typologique large et que de votre point de vue, la recherche sur les universaux et la typologie sont deux approches différentes mais également justifiées. A l’heure actuelle on a l’impression que l’effort des chercheurs porte essentiellement sur la typologie. Quelle est donc votre vision de la recherche actuelle dans ce domaine ?

Hansjakob Seiler : Effectivement,   à la suite de l’étude qui a fait date de Greenberg, Some Universals of Grammar [49] (1963) qui a fait date, tout le monde a voulu faire de la typologie. Le contenu exact de cette entreprise n’était pas absolument clair. Coseriu fut l’un des premiers à apporter des distinctions très utiles : d’abord il faut distinguer toute une série d’universaux d’ordres différents [50] , je n’entrerai pas ici dans le détail. Et moi-même, j’ai écrit dans la toute première publication — précisément dans ce projet sur les universaux — que l’on doit distinguer entre les généralisations d’un côté et l’universalité de l’autre. La généralisation progresse pas à pas et de plus en plus de faits doivent être rassemblés jusqu’à ce que l’énoncé devienne réellement universellement valable. Mais, et cela Kant l’avait déjà vu, par une procédure additive de généralisations de ce genre on n’arrivera jamais à un énoncé universel. C’est un saut qualitatif. Dans la recherche, c’est d’abord la recherche sur les universaux qui a été très en vogue. Puis est venue une idée propagée par Greenberg lui-même, et aussi par Comrie, qu’au fond typologie et recherche sur les universaux, cela reviendrait au même. Les limites seraient fluctuantes, on ne pourrait pas les distinguer clairement. Ma question a alors été : pourquoi aurions-nous besoin de deux expressions si elles sont équivalentes ? Mais en fait ce n’est pas la même chose, car dans la recherche sur les unviersaux un facteur d’abduction est indispensable. Cela signifie qu’on peut bien mener des observations, des analyses et des decriptions linguistiques aussi loin que possible pour arriver en premier lieu à des généralisations. C’est ce que j’ai fait dans la première partie de mon livre. Mais dans un second temps il faut aussi apporter une réflexion logique sur ce qui a été observé. Je me suis toujours souvenu de la phrase, à vrai dire prophétique,   de Benveniste : “ Le donné linguistique est un résultat et il faut chercher de quoi il résulte” [51]. Et il ajoute dans ce passage : il n’importe pas que la linguistique s’épuise dans la pure description des données, il faut y ajouter une réflexion logique. De nos jours la typologie est absolument en vogue et la recherche sur les universaux est renvoyée en arrière-plan dans les titres. Maintenant l’intitulé c’est “ Language Typology and Universals”, en quelque sorte les universaux comme une mauvaise conscience de la typologie ou comme un appendice accidentel. Cela ne va pas, je crois que les deux entreprises sont également justifiées, qu’elles sont en prise l’une sur l’autre de telle sorte que seule leur réelle combinaison peut mettre la vérité à jour — pour autant qu’elle existe. En d’autres termes, c’est alors seulement qu’on voit pourquoi une langue donnée est ce qu’elle est. Et je considère comme l’une des exigences essentielles de la recherche à venir, dans le cadre d’UNITYP ou ailleurs, qu’après avoir un peu clarifié le côté des universaux, on y intègre nos connaissances typologiques pour donner une réponse à la question : pourquoi une langue est-elle ce qu’elle est ?

Jacques François : Vous parlez de trois stades dans votre théorie : les langues ou structures linguistiques particulières d’un côté, puis au second niveau la Grammaire Générale Comparée et finalement le niveau de la recherche sur les unviersaux. Peut-on dire que ce que vous appelez l’approche inductive dans votre livre correspond à la Grammaire Générale Comparée et l’approche abductive à la recherche universaliste ?

Hansjakob Seiler : Non, je dirais que je développe déjà la partie inductive à l’intérieur d’une langue particulière. C’est bien ce que j’ai fait. J’ai d’abord décrit chacune de ces cinq langues, bien entendu en gardant à l’esprit l’ordre continu, puis je suis passé à la face abductive. Mais d’abord, partant du troisième niveau, j’ai représenté comment cela se manifeste sur le plan conceptuel, et ensuite j’ai cherché à montrer que la zone centrale spécifie une transition qui est orientée dans deux directions : d’une part vers le haut, le niveau conceptuel, qui anticipe sur l’ordonnancement des techniques au niveau de la GGC, d’autre part au niveau immédiatement inférieur des langues particulières. En d’autres termes le niveau de la GGC fonctionne comme un menu dans lequel les diverses langues font leur choix.  

LA NOTION DE CONTINUUM COMME CLÉ DE LA DIMENSIONALITÉ UNIVERSELLE

Jacques François : Pour conclure nous pourrions encore revenir sur la notion fondamentale de continuum. René Thom y a beaucoup réfléchi et a estimé qu’il ne serait peut-être pas possible de tout envisager dans un espace bidimensionnel. Et vous-même vous avez parlé dans votre livre Apprehension du rapport entre indicativité et prédicativité comme d’une bande de Möbius. Pourriez-vous élucider cette thèse ?

Hansjakob Seiler : Je rappelle encore un fois que même les points extrêmes d’une dimension ou plus généralement d’un continuum n’ont pas pour propriété d’exclure le principe opposé et qu’il y est également représenté, même si c’est à un niveau minimal. Et je me suis alors dit : Supposons qu’on s’imagine comme un ruban ce continu, cette succession de techniques dans une dimension constituée de positions ; si j’imprime une rotation progressive de 180° à ce ruban, alors je peux rattacher le pôle minimalement prédicatif et maximalement indicatif au pôle opposé et la figure que j’obtiens est une bande de Möbius. Ainsi on aurait une figure tridimensionnelle au lieu d’une dimension strictement bidimensionnelle. J’ai fourni dans mon livre sur la dimension de l’Appréhension [52] des preuves patentes pour une telle conception. L’essentiel est le point suivant : au pôle prédicatif de cette dimension se trouve la technique de l’ abstraction, au pôle indicatif la technique de la nomination ( namegiving ). Il existe manifestement des liens entre les deux pôles. On peut le vérifier aisément à partir de ceux des noms propres qui sont à proprement parler des abstractions, par ex. Felicitas , Crescentia , en russe Nad’ezda (‘espoir’), Ljubov (‘amour’), etc. En indo-iranien et en grec, il y a deux suffixes différents pour les noms d’agent, l’un étant construit à partir d’un verbe et se rattachant à la nomination par individualisation, l’autre étant construit sur une relation génitive et orienté vers l’ abstraction par généralisation. Le concept de continuum est effectivement la clé de la représentation dimensionnelle des universaux. Et puisque vous avez mentionné René Thom dans ce contexte, j’aimerais confirmer en guise de conclusion qu’il représente toujours pour moi une source d’inspiration — pour autant que je suis en état de le comprendre. Il me manque malheureusement la formation pour apprécier les démonstrations purement mathématiques. C’est lui qui m’a poussé, moi l’ancien spécialiste de philologie classique, à lire Aristote. Les concepts de genesis et d’ essence que j’ai exploités dans mon dernier livre [53] ont leur source chez Aristote et c’est Thom qui a attiré mon attention sur eux. J’espère pouvoir approfondir encore le concept de continuum avec son soutien.


NOTES :

[1] Language Universals Series ( LUS), vol. 8.

[2] Foucault, Michel (1969), L’archéoloogie du savoir. Paris : Gallimard.

[3] Pour plus de détails, se reporter à la bibliographie ci-après.

[4] Jakobson, Roman (1959/1971), “On linguistic aspects of translation”. In : Selected writings, vol II, 260-266. The Hague : Mouton.

[5] LUS 8 : 44-53.

[6] LUS 8 : 161-162.

[7] LUS 8 : 119-136.

[8] LUS 1/III.

[9] LUS 8 : 41-159

[10] LUS 8 : 27

[11] Voir ci-dessus la “ Les hypothèses”

[12] Pour d’autres exemples, voir LUS 8,   Chap. 8, §15.

[13] Voir sur ce point Thom, René (1994), “Reflexions on Hansjakob Seiler’s continuum”. In: Fuchs, Catherine / Bernard, Victorri (eds.): Continuity in Linguistic Semantics, p. 155-166.

[14]   Voir ci-dessus la “distinctions indispensables”.

[15] Même.

[16] Voir le catalogue des universaux de Greenberg n°1-45.

[17] Braine, Michael (1992), “What sort of innate structure is needed to ‘bootstrap’ into syntax?”. Cognition 45, 77-100.

[18] R. van Valin & R. LaPolla (1997), Syntax : Structure, Meaning, Function. Cambridge: C.U.P. [spécialement l’Epilogue]

[19] in: Fuchs, Catherine / Robert, Stéphane (eds.): Language Diversity and Cognitive Representations, 112 ff.

[20] Pour d’autres exemples, voir   LUS 8 : 142

[21] Voir LUS 8 : Chapitre. 6, §3. “ Explanatory potential”

[22] Voir la réactualisation par J. François de la distinction de R. Jakobson entre les preuves ‘internes’ et ‘externes’. : François, Jacques (2000), “En réponse à Gilbert Lazard — Le linguiste et les observables internes et externes”. Bulletin de la Société de Linguistique de Paris, Tome XCV, Fasc.1, 471-486

[23] cf.. LUS 8, S.29-32

[24] Thom, René (1985) : “Contribution”. In: H. Seiler & G. Brettschneider (eds.), Language Invariants and Mental Operations. LUS, vol.5, S.172ss

[25] Seiler, Hansjakob (1960). Relativsatz, Attribut und Apposition. Wiesbaden : Harrasowitz.

[26] Language Universals Series, vol. 3

[27] Greenberg, Joseph H. (1963/66). “Some universals of grammar with particular reference to the order of meaningful elements”, in : Greenberg, J.H. (ed.), Universals of Language (Second edition). Cambridge : M.I.T. Press.

[28] “Abstraktion : Kategorie und Technik”. In H. Seiler & Ch. Lehmann (eds. 1982) : 49-65.

[29] Language invariants and mental operations.

[30] Anthropological Linguistics ; Belief Systems.

[31] Myths of the Ponape.

[32] Parce que Haustür ne désigne que la porte d’entrée de la maison [NdT].

[33] Littéralement le valet ( Knecht) du tisserand ( Weber) [NdT].

[34] Arzt résulte d’un emprunt au composé grec archi+iatros (médecin en chef) [NdT]

[35] [35] LUS, vol.1, s I-III.

[36] LUS, vol.2 (1983)

[37] In : Baron, Irene et al. (eds., 2001), Dimensions of Possession [Typological Studies in Language 47]. Amsterdam : Benjamins, 27-40.

[38] cf. Seiler, Hansjakob (1994), “Continuum in cognition and continuum in language”. in Fuchs, C. & B. Victorri (eds.), C ontinuity in linguistic semantics. Amsterdam / Philadelphy. John Benjamins : 33-43.

[39] cf. note 35.

[40] Givón, Talmy (1991). “Serial verbs and the mental reality of «event» : Grammatical vs. cognitive packaging”. In : E.C. Traugott & B. Heine (eds.), Approaches to grammaticalization, vol.1. Amsterdam / Philadelphia. John Benjamins : 81-127

[41] cf. Seiler, Hansjakob (1995), “Cognitive-conceptual structure and linguistic encoding : Language Universals and typology in the UNITYP framework”. In : Shibatani, Nasayoshi & Theodora Bynon (eds.), Approaches fo Language Typology. Oxford : Clarendon Press, 312.

[42] LUS, vol. 6.

[43] Seiler, Hansjakob (1990), “A dimensional view on numeral systems”. In : Croft, William et al. (eds.), Studies in Typology and Diachrony, For J.H. Greenberg [Typological Studies in Language]. Amsterdam : Benjamins, 188-208.

[44] Zones d’inversion entre prédicativité et indicativité dominantes [NdT].

[45] Human Cognitive Processing, vol 3. Amsterdam : Benjamins, 107-121.

[46] Seiler, Hansjakob (1993), “Der UNITYP-Ansatz zur Universalienforschung und Typologie”. STUF 46:3. 163-186.
En outre : Seiler, Hansjakob (1995), “Du linguistique au cognitif : Par la dimension des opposés”. In : Lüdi, G. & Cl-A. Zuber (éds.), Linguistique et Modèles Cognitifs. Acta Romanica Basiliensa (ARBA) 3, 33-51.

[47] cf. plus haut I, “ Distinctions nécessaires”.

[48] LUS, vol. 8.

[49] Greenberg, Joseph H. (1963/66). “Some universals of grammar with particular reference to the order of meaningful elements”, in : Greenberg, J.H. (ed.), Universals of Language (Second edition). Cambridge : M.I.T. Press, 58-90.

[50] Coseriu, Eugenio (1974), “Les universaux linguistiques (et les autres)”. In : Heilmann, Luigi (ed.), Proceedings of the Eleventh International Congress of Linguists, vol 1. Bologna : Mulino, 47-73.

[51] Benveniste, Émile (1952/66), Problèmes de linguistique générale. Paris : Gallimard, 117.

[52] LUS 1/III, S. 137f.

[53] LUS 8, S. 144.


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