LA MODULARITÉ DU LANGAGE : UNE DEMONSTRATION IMPOSSIBLE ?

Jean-Michel FORTIS
CNRS / Université Paris 7

Paru dans Sémiotiques (décembre 2000), n° 18-19, Incidences de
l'impossible dans le langage, dir. Marie-France Blès et Didier Samain, pp.83-114.

1. Introduction

Il est commode, en guise de première approximation, de donner au terme de modularité deux acceptions distinctes. La première renvoie à la décomposition de la faculté de langage en modules censés effectuer un ensemble de fonctions : ainsi les modules phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, chez certains neuropsychologues (par exemple Coltheart et Davies, 1992), ou encore les modules grammaticaux admis dans le cadre de la théorie chomskyenne du gouvernement et du liage, c’est-à-dire la q-théorie et les sous-systèmes du gouvernement, du cas, du liage, du contrôle et des bornes (Chomsky, 1991). Nous parlerons ici de modularité interne.

La seconde acception concerne l’autonomie de la faculté de langage elle-même, son degré d’autonomie à l’égard de processus opérant dans d’autres modalités (par exemple acoustique non verbale, ou visuo-spatiale), ou de capacités cognitives de planification, de contrôle et de méta-représentation. Nous qualifierons d’externe ce type de modularité.

Au premier abord, il peut sembler vain d’opposer ainsi deux modularités ; en effet, si, par exemple, vous considérez que le « module sémantique » guide l’analyse syntaxique en ligne (c’est-à-dire avant même de rétroagir sur une analyse qui serait déjà effectuée), vous adoptez une théorie de la modularité interne qui fait entrer dans le traitement du langage des considérations sémantiques et pragmatiques. Par là, vous adoptez simultanément une théorie de la modularité externe.

Nous concédons volontiers ce point. Toutefois, étant donné le point de vue épistémologique que nous adoptons ici, nous nous estimons justifiés de séparer les deux questions. De fait, les travaux que nous examinerons ont essentiellement traité de la modularité externe. Ils tentent en quelque sorte de prouver le mouvement en marchant, dès lors qu’ils s’efforcent de démontrer que parler de la faculté de langage en général, pour l’opposer aux autres capacités cognitives, est fécond.

La philosophie, la linguistique, la psychologie et la neuropsychologie se sont toutes penchées sur le problème de la modularité, interne ou externe. Nous centrerons notre discussion sur ces deux dernières disciplines, afin de mieux étreindre cet immense sujet. En outre, nous verrons que chaque discipline a sa logique, qui recèle ses propres difficultés. Ce sont ces difficultés qui constitueront le thème principal de notre étude.


2. Les différentes approches et le problème général de la modularité

La neuropsychologie isole un module principalement en cherchant à mettre en évidence l’existence d’une double dissociation. La psychologie étudie essentiellement des corrélations entre des processus, hétérogènes au premier abord, ou met en évidence l’insensibilité, par exemple, d’un processus syntaxique  à des données d’un autre ordre, par exemple sémantiques. Nous examinerons tour à tour chacune de ces stratégies. Mais auparavant, il nous faut cerner de plus près la notion même de modularité.

Nous venons de citer une première définition possible d’un module : un ensemble de processus dissociables. L’autre définition en vigueur est plus restrictive et regroupe un ensemble de traits qui sont énumérés dans le livre bien connu de Fodor, La modularité de l’esprit (1986). Dans cet ouvrage, l’auteur s’efforce essentiellement de distinguer, d’une part les mécanismes de fixation de croyances, mais aussi l’attention, la mémoire et d’autres facultés dites horizontales, et, d’autre part, des « systèmes périphériques », ou facultés verticales, c’est-à-dire les systèmes représentant les objets distaux à partir des données des transducteurs, et le langage. Rappelons ici brièvement les traits qui, pris collectivement, définissent ces systèmes :  un module (ou « système périphérique ») est spécifique à un domaine (« seule une classe assez restreinte de stimuli peut déclencher son opération » ; ibid., p.70) ; il fonctionne de manière irrépressible et rapide  ; il construit des représentations qui, aux niveaux inférieurs de traitement sont difficilement accessibles (et d’autant plus inaccessibles que la tâche implique la mémoire à long terme et une interprétation de l’information) ; il est « informationnellement cloisonné  » (il n’est que très faiblement pénétrable par des informations de plus haut niveau, et seulement dans la mesure où les représentations construites sont largement redondantes pour les processus interprétatifs de plus haut niveau ; Fodor cite ici le comblement de la tache aveugle de la rétine par le module visuel) ; il produit des représentations de sortie qui sont les plus riches possibles au point de vue informationnel, tout en étant séparables des processus inférentiels, auxquels rien de la structure interne de ces représentations n’est fourni sous une forme exploitable pour eux (sa sortie est superficielle  ; Fodor illustre son propos par la construction perceptive des catégories de base à la Rosch : elles sont les représentations les plus riches en faisceaux de traits maximalement distincts entre, et elles ne portent pas d’informations exprimables par des termes comme trace de proton) ; enfin, un module est implémenté dans une architecture neuronale fixe (il est assez étroitement localisé), présente des défaillances caractéristiques (ainsi les agnosies), suit une maturation dont les étapes sont ordonnées avec une certaine régularité.

A l’évidence, aucun de ces traits n’est propre aux systèmes périphériques. Certaines constellations de traits entrent même en conflit avec une caractéristique essentielle des systèmes périphériques, à savoir leur spécificité domaniale [Bates, 1994]. Un système peut être localisé, inaccessible, fournir une sortie superficielle, présenter des défaillances caractéristiques et néanmoins n’être pas spécifique à un domaine. Tel est le cas de l’attention dans la théorie de Posner [Posner et al., 1987 ; Posner et Petersen, 1990]. Celui-ci divise l’attention, faculté horizontale, en sous-systèmes à partir des dissociations observées dans les performances de cérébrolésés. La tâche qui leur était soumise était très simple : le sujet devait fixer un point au centre d’un écran ; puis une case apparaissait à gauche ou à droite, son office étant de signaler le côté où le sujet devrait porter son attention ensuite. Un astérisque était présenté à droite ou à gauche, ce que le sujet devait signaler en frappant une touche du clavier aussi vite que possible. Toute l’astuce consistait en ce que la case ne prédisait pas à chaque fois le côté où l’astérisque apparaissait. Certains patients (souffrant de lésions pariétales) paraissaient avoir des difficultés à porter leur attention du côté opposé à celui signalé par la case ; certains sujets (souffrant typiquement de lésions du colliculus supérieur, une structure sous-corticale) déplaçaient malaisément leur attention d’un côté ou de l’autre ; d’autres enfin ne bénéficiaient pas de l’amorce (la lésion étant alors localisée dans le thalamus). Au vu de la sélectivité des effets de ces lésions, Posner a donc proposé que l’attention soit composée de trois sous-systèmes : le premier (pariétal) de désengagement de l’attention, le deuxième (situé dans le colliculus supérieur) de transfert de l’attention, le troisième (thalamique) d’engagement de l’attention.

Le fait d’être localisé n’est pas la caractéristique essentielle d’un module. Il n’en va pas de même de la spécificité domaniale. Pourtant, la spécificité domaniale semble être le trait qu’il est le plus difficile d’attribuer à un module avec une certitude raisonnable. Or, lorsqu’on veut traiter de la modularité externe, elle est fondamentale, le cloisonnement informationnel garantissant quant à lui un certain degré de modularité interne à un niveau donné (qu’il est d’ailleurs bien embarrassant de préciser quand on en vient aux détails). Fodor a quelque peu éludé le problème. La raison en est qu’il considère la spécificité domaniale à la fois en termes de contenu de l’information et de processus déclenchés par la forme de celles-ci (« si un domaine de stimuli est excentrique —c’est-à-dire si son analyse exige un ensemble d’informations très particulières —, alors les processus psychologiques définis sur ce domaine correspondent probablement à des systèmes computationnels assez spécialisés » ; 1986, p.70). Certes, la tâche de spécifier les stimuli qui déclenchent un processus est souvent ardue, en raison de l’intermodalité de nombreuses zones cérébrales et de la présence fréquente de neurones stimulés par des configurations plurimodales ; mais la tâche d’isoler des processus spécialisés est sans doute plus redoutable encore. Fodor a beau jeu de conclure de la spécificité de l’input à celle des processus opérant sur lui.

En outre, du point de vue de sa modularité interne, un système peut être composé de sous-systèmes eux-mêmes modulaires ou non (cette modularité itérative n’est pas clairement distinguée par Fodor du cloisonnement informationnel) ; ajoutons aussi qu’un système faiblement modulaire au sens de Kosslyn et Koenig [1992] correspond à un ensemble de processus calculant une fonction donnée de manière non spécifique, c’est-à-dire à des processus recrutés par plus d’un système. Par exemple, des neurones de l’aire 7 déchargent à la fois lors du déplacement de la main pour saisir quelque chose et lors d’un mouvement des yeux dans la même direction. Toutefois, la présence de neurones intermodaux n’est pas un argument contre la modularité. En revanche, si, d’autre part, on a des raisons de penser que ces deux capacités (saisie manuelle et mouvement oculaire vers un objet) sont bien dissociables, alors on peut présumer que l’on a affaire à un système faiblement modulaire [cf. De Renzi, 1982].

Dans la suite de notre exposé, nous tenterons de nous affronter à ce problème de la spécificité domaniale. Nous aurons d’abord recours à la stratégie des dissociations.


3. Dissociations

La question que nous souhaitons poser peut donc se formuler comme suit : dans quelle mesure peut-on déduire d’une dissociation qu’un ensemble de processus a la propriété de spécificité domaniale ?

En matière de fractionnement du système cognitif, les dissociations sont une source majeure de preuve. Il importe toutefois de souligner qu’elles ne mènent pas toutes avec une égale certitude à une ségrégation d’un processus en sous-systèmes.

3.1. Validité des dissociations dans l’induction de la modularité

La dissociation simple (une tâche t1 étant systématiquement moins bien accomplie qu’une tâche t2, l’inverse ne se vérifiant pas) ne constitue pas la preuve d’une séparation de systèmes, puisque l’accomplissement de la tâche t1 pourrait être simplement plus difficile, ou être accidentellement perturbé, sans qu’on ait aucune raison de penser que des processus spécifiques différents opèrent sur la tâche t1 et sur la tâche t2 ; par exemple, on ne supposera pas qu’il existe un processeur modulaire traitant une partie du champ visuel dans le cas d’un patient souffrant d’un scotome [exemple dû à Shallice, 1988].

Les neuropsychologues exigent en conséquence que soit établie l’existence d’une double dissociation. Plusieurs cas sont envisageables. Convenons d’abord de noter p1 et p2 les performances dans les tâches t1 et t2, p1(A), p1(B), p2(A), p2(B) les performances des sujets A et B pour ces tâches [1]. Nous devons distinguer : — une dissociation double faible (DDf), telle que p1(A) < p2(A) d’une part, et p1(B) > p2(B) — une dissociation double relative (DDr), telle que p1(A) < p1(B) et p2(A) > p2(B) — une dissociation double forte (DDF), telle qu’on a à la fois p1(A) < p2(A), p1(B) > p2(B), p1(A) < p1(B), et p2(A) > p2(B). La DDF constitue une meilleure preuve de la séparation de deux systèmes ; en effet, étant donné la DDf ci-dessus, on peut avoir p2(A) < p2(B) ; t2 donne lieu à un niveau de réussite minimum quand les performances pour t1 sont supérieures. On peut alors prétendre que des processus nécessaires à l’accomplissement de t1 empêchent p2 d’atteindre son étiage. Enfin, la DDr ci-dessus ne permet pas d’exclure le cas où A verrait ses performances changer, en passant d’une tâche à l’autre, de manière plus abrupte que B, la tâche 2 étant toujours mieux accomplie que la tâche 1.

En pratique, il demeure néanmoins délicat de faire l’hypothèse de systèmes séparés (c’est-à-dire spécifiques tant par leur domaine d’input que par les processus qui opèrent sur ce domaine) ; en outre, même dans l’hypothèse de systèmes séparés, il peut s’avérer difficile de déterminer ces systèmes et leurs fonctions. Nous donnons ci-après plusieurs exemples de cas litigieux :

• l’agnosie visuelle : est-on fondé à assigner un processeur spécialisé dans le traitement des objets autres que les lettres et les visages? Farah, au terme de sa revue de cas [1990, p.128], conclut négativement. Elle semble pencher pour un déficit touchant un réseau continu mais ayant des effets discontinus, c’est-à-dire affectant plus ou moins la représentation des objets en parties décomposables : les visages sont l’un des extrêmes, en ce qu’ils sont présumés peu articulables en parties mais plutôt représentées comme des touts complexes ; les mots, à l’opposé, sont décomposables au maximum.

• il apparaît souvent difficile d’affirmer que la séparation entre modules, qu’on a présumée être à la base d’une dissociation, peut être décrite dans le même vocabulaire que la dissociation elle-même. Ainsi, l’effet d’un déficit sémantique touchant seulement certaines catégories (par exemple les êtres vivants) peut être simulé par un réseau neuronal où les traits visuels sont sélectivement atteints [Farah & McClelland, 1991].

• on a même pu montrer qu’un déficit catégoriel similaire (affectant de manière sélective la catégorie des êtres vivants) était compatible, dans certains cas, avec l’hypothèse d’une « dédifférenciation » d’un système sémantique unique : les êtres vivants étant souvent similaires du point de vue perceptif, un système sémantique moins différencié sera plus sensible à toute perturbation, et d’autant plus si la présentation des items est visuelle [Stewart, Parkin & Hunkin, 1992].

• de même, une dissociation peut provenir du plus ou moins grand degré d’interférence entre un processeur donné et un processeur séparé et dysfonctionnant. Toutefois, les processeurs en question ne sont pas nécessairement les bases cérébrales des fonctions lésées. Ainsi, des phénomènes comme l’aphasie optique (et sa contrepartie, l’agnosie visuelle) ont parfois conduit à l’hypothèse de systèmes sémantiques séparés par modalités. En désaccord avec cette position, Schnider et al. [1994] font l’hypothèse que l’agnosie visuelle peut découler d’une interférence interhémisphérique, et l’aphasie optique d’une levée de cette interférence (par déconnexion au niveau du splénium du corps calleux) ; de plus, dans les deux cas le fonctionnement de l’aire temporo-occipitale serait perturbée [2].

• plutôt qu’induire de l’aphasie optique et de l’agnosie visuelle un système sémantique modal, on a aussi invoqué la possibilité de lésions limitées mais ayant un effet suradditif. Ainsi, certains aphasiques ont une bonne identification visuelle des items (démontrée par des gestes, par exemple), une bonne dénomination si l’input n’est pas visuel, et pourtant sont perturbés dans la dénomination d’un item présenté visuellement. Farah [1990] soumet l’hypothèse de deux lésions modérées, l’une sur la voie représentation visuelle-représentation sémantique, l’autre sur la voie représentation sémantique-dénomination. La combinaison de ces deux lésions entraînerait des effets disproportionnés laissant penser (à tort, selon elle) à la dégradation d’un processeur sémantique modal.

Les remarques qui précèdent font office d’avertissement : la constatation d’une double dissociation ne mène pas immanquablement à l’hypothèse de la modularité des systèmes dissociés ; et la description de la dissociation ne permet pas toujours de préjuger de sa cause réelle.  

3.2. Le cas du langage

Afin de soutenir l’idée d’une dissociation entre langage et cognition, on a notamment appelé à la rescousse les aphasies et les démences. Nous nous contenterons de mentionner ici l’opposition entre les démences sémantiques, qui perturbent la compréhension et relativement peu les autres aspects du langage, et, d’autre part, les aphasies progressives primaires, marquées par des paraphasies, et une non-fluence pouvant aller jusqu’au mutisme [Hodges et al., 1992]. Cependant, si nous réfléchissons aux causes susceptibles de produire une dissociation du langage, nous pouvons légitimement douter que les aphasies et les démences soient les meilleurs garants de l’authenticité du phénomène même de la dissociation.

Quels mécanismes seraient susceptibles de produire une ségrégation de la faculté de langage ? Nous pourrions songer ici à une ségrégation provoquée par un domaine d’input spécifique (auditif mais ayant des caractéristiques spécifiques des sons du langage) recrutant, au-delà du traitement phonologique, des processus partiellement communs à d’autres zones. En effet, de nombreuses expériences nous montrent que les phonèmes sont traités dès le plus jeune âge d’une manière différente des autres sons.

Toutefois, le cas des sujets sourds nous offre un contre-exemple :  on a pu montrer qu’ils étaient atteints d’aphasies similaires à celles des entendants par suite de lésions dans des zones homologues [Poizner et al., 1987]. Nous pourrions aussi imaginer que la faculté de langage s’est différenciée progressivement pour traiter des représentations structurées d’une manière tout à fait particulière. Enfin, la faculté de langage pourrait une configuration unique de processus non spécifiques [3]. Dans ces deux derniers cas, les processus de traitement se seraient assemblés progressivement et auraient été le moteur de cette modularisation progressive du langage. Les aphasies ou démences chez des sujets adultes risquent alors de nous dissimuler l’origine de cette modularisation et le degré de non spécificité des processus impliqués. Bref, nous pensons qu’il faut se tourner vers les études développementales pour établir plus sûrement la nature de cette ségrégation de la faculté de langage.

3.3. Cas exceptionnels de dissociation entre langage et cognition

Plusieurs enfants souffrant d’un retard mental mais doués de capacités linguistiques exceptionnelles ont été décrits ces dernières années dans des monographies détaillées [4]. Les cas sont à l’évidence assez hétérogènes. Nous commencerons par le sujet qui nous a paru avoir le niveau le plus modeste.

Laura [Yamada, 1990] : à 16 ans, Laura ne sait pas lire, donner son âge, compter, lire l’heure. Son développement moteur a été tardif. L’explosion du langage s’est produite chez elle entre quatre ans et cinq mois et cinq ans et demi. Par la suite, son vocabulaire semble avoir atteint un plateau (au Peabody Picture Vocabulary Test, qui lui a été soumis entre 16 et 18 ans, un âge mental de quatre ans lui a été attribué). L’étiologie n’est pas établie.

Son discours est syntaxiquement riche ; il contient des coordinations, des propositions relatives (parfois avec des relatifs de même antécédent en sujet et en complément d’une préposition avec preposition-stranding). Elle emploie correctement les conjonctions de temps, de cause, de condition, les formes participiales, les infinitifs, les adjectifs et adverbes, l’ellipse (en réponse aux questions). Elle est capable, mais pas toujours, d’utiliser le temps approprié, y compris avec des auxiliaires (ex. : « Just the second friend I’ve ever had. »). Les formes possessives en « ‘s », même complexes, sont maîtrisées (ex. : « That’s my father’s last name. »).

Toutefois, sa compréhension contraste fortement avec sa production. Les formes passives, particulièrement avec mention de l’agent, les clivages, les relatifs objets directs, les questions en wh- objet donnent lieu à des performances très médiocres, qui la situent à peu près au niveau d’un enfant de deux ans sur 10 des 15 tests syntaxiques de compréhension. En outre, sa compréhension des formes en -ed, des marques du singulier et du pluriel des verbes (mais dans une moindre mesure des auxiliaires), des superlatifs est tout aussi mauvaise. Elle n’obtient de résultats satisfaisants que sur les comparatifs et les formes en –ing. A l’instar des enfants de cinq, six ans ou moins, elle interprète systématiquement les structures comme « John is easy to see » comme si John était le sujet de « see » (toutefois, selon Cromer, 1975, les structures issues d’un tough-movement ne seraient pas maîtrisées avant 9 ou 10 ans). Enfin, le traitement des contrefactuels paraît inégal. Laura ne semble pas comprendre les contrefactuels, ni ne peut les répéter en entier, bien qu’elle produise à l’occasion des propositions hypothétiques avec une apodose, comme dans « If her Timex breaks, that’s it. ».

Du point de vue de la pragmatique, les propos de Laura sont souvent fortement déviants, inappropriés (exemple : J. Y. : « How do you earn your money ? Laura : « Well, we were taking a walk, my mom, and there was this giant, like, my mother threw a stick. » ; l’auteur nous rapporte que des grognements monosyllabiques tiennent souvent lieu de réponse, jusqu’au moment où Laura, sous l’effet d’une impulsion qui paraît irrésistible déborde de paroles, fréquemment répétitives.

L’impression qui se dégage des propos et des échanges recueillis par l’auteur de l’étude est celle d’un discours ressassant, plein de syntagmes « tout faits » et de schémas fixes que Laura semble suivre parfois sans égard pour la réalité des faits (en témoignent ces deux brefs récits, qui partagent la même structure : « The Principal / died / while eating lunch / on lawn at school » et « S&J / died / while driving / to San Diego »).

Plusieurs tests non linguistiques élimineraient, selon l’auteur, les capacités cognitives les plus susceptibles de gouverner l’acquisition du langage. Laura possède la notion de permanence de l’objet mais échoue aux épreuves piagétiennes de conservation et de sériation, est incapable d’ordonner des images en une séquence logique, d’induire une règle, de classifier des items selon leur sexe ou la dimension animé / non animé. Fait important, elle ne parvient pas à construire une structure ayant une organisation hiérarchique au moyen de bâtons et de blocs ; elle ne peut pas même reproduire une structure en forme de pont comprenant seulement trois éléments. Enfin, à l’hypothèse d’une homologie entre l’apprentissage des rôles sociaux et celui des catégories syntaxiques, les auteurs opposent l’argument que Laura semble comprendre les noms de rôles sociaux de façon non attributive (ex. : J.Y. : « Who is the president of the United States ? », Laura : « Lincoln. »).

Les ressources cognitives de Laura sont pareillement modestes : l’empan auditif verbal est de trois mots, et n’atteint pas deux items quand le matériel est non verbal. Sa mémoire visuelle et sa mémoire épisodique sont faibles (elle confond souvent les lieux, les dates, se trompe dans l’ordre des événements). Elle peut difficilement reconnaître une figure entremêlée à d’autres dessins qui se chevauchent.

Yamada conclut son étude par un plaidoyer en faveur de l’hypothèse de la modularité du langage. En effet, Laura semble manquer des bases cognitives les plus souvent invoquées comme déterminant l’acquisition du langage : la capacité à sérier, à construire des structures hiérarchiques, à appliquer des stratégies de résolution de problèmes (telle l’induction d’une règle), à classer, la pensée opératoire, et même une bonne mémoire auditive. Cependant, la conclusion de Yamada doit être tempérée par le fait que Laura fait montre d’une compréhension indigente ; on est alors justifié de demander si sa production obéit aux règles de formation abstraites qui seraient mises en place chez les sujets normaux, chez qui les capacités de compréhension sont à la fois antérieures et supérieures à celles de production. Le surapprentissage de structures figées reste une possibilité. Il demeure que le développement exceptionnel du langage chez Laura nous met face à un dilemme : soit le langage est fortement modulaire, soit les capacités cognitives recrutées lors de son acquisition sont d’un niveau inférieur, du point de vue de leur complexité computationnelle, à celui des épreuves non linguistiques soumises à Laura [5].

Françoise [Rondal, 1995] : atteinte du syndrome de Down (trisomie 21), Françoise a entre 32 et 36 ans à l’époque de l’étude. Son QI général est de 64 (WAIS ; verbal : 71 ; performance : 60). Elle a prononcé son premier « mot » à quatre ans (/to/ pour « couteau »). Elle lit, mais lentement et au niveau d’un enfant de 9 ans. Elle écrit avec quelque difficulté, tant au plan de l’orthographe qu’au plan de l’expression (qui est marquée par des ellipses et des points de vue inhabituels (ex. : « nous tous dit que c’était l’anniversaire de Mlle — nous l’avons appelé avec tous les cris. », où « Mlle » renvoie à Françoise elle-même). Elle ne peut épeler, a beaucoup de peine à effectuer des coupes, ou à changer la première consonne d’un mot.

Son discours est normal : les aspects pragmatiques sont bien maîtrisés. Elle comprend bien les passifs (quel que soit le type sémantique du verbe employé), les subordonnées de cause et de temps (quel que soit l’ordre des propositions). Elle éprouve des difficultés avec certaines relatives : la présence d’un que, d’un antécédent objet de la relative mais sujet de la principale, la réversibilité sémantique des arguments de la relative sont des facteurs qui concourent à dégrader la performance. Au test de fluence verbale, elle fournit des membres peu typiques de la catégorie demandée. Ses définitions sont principalement syntagmatiques (à l’instar des enfants normaux, en général de moins de sept ans).

Du point de vue non linguistique, Françoise réussit les épreuves de sériation et de conservation, mais n’invoque jamais la réversibilité d’une opération, ou la compensation d’une dimension par une autre (le verre est plus étroit mais plus haut, donc le volume est le même). Les opérations arithmétiques peuvent être effectuées mais dans certaines limites. Elle peut accomplir l’épreuve des figures enchevêtrées. Elle a des difficultés à dessiner d’après un modèle, particulièrement à intégrer les éléments de la figure. Enfin, vu les résultats de Françoise aux tests de mémoire, l’auteur conclut à un bon fonctionnement de la boucle phonologique mais à une réduction sévère des ressources attentionnelles générales (illustrée par la très faible performance du sujet à une épreuve de rappel suivant une tâche interférente).

L’écart entre les performances linguistiques de Françoise et ses performances non linguistiques est manifestement moins important que dans le cas de Laura. Pour cette raison, il est plus délicat d’en tirer une conclusion tranchée quant au problème de la modularité. Rondal présente ici un argument curieux : la présence d’une authentique dissociation est corroborée par le fait que chez les sujets souffrant de retard mental (les sujets RM), le niveau linguistique est inférieur à ce qu’on attendrait (c’est-à-dire par comparaison avec des enfants normaux d’âge équivalent). Autrement dit, les sujets RM hyperlinguistiques sont caractérisés par une dissociation inverse de celle observée chez les sujets RM typiques : ces configurations inverses confirment donc la double dissociation [Rondal, 1995, p.40]. On objectera que les sujets RM exceptionnels sont précisément tels par comparaison avec les sujets RM typiques. Ce qu’il est plus difficile d’expliquer, c’est le retard relatif des sujets RM typiques, non les assez bonnes performances, tant linguistiques que non linguistiques, de Françoise.  

Christopher [Smith et Tsimpli, 1995] : né en 1962, Christopher a développé dès trois ans un intérêt presque exclusif pour les livres et les mots. Sa famille rapporte qu’au même âge il était capable de lire. A six ans, il s’est pris de passion pour les langues étrangères. Il a depuis lors acquis, pour seize langues (outre l’anglais), des connaissances qui vont d’une bonne maîtrise à un savoir de base (les langues concernées sont l’allemand, le danois, l’espagnol, le finnois, le français, le gallois, le grec moderne, l’hindi, l’italien, le norvégien, le polonais, le portugais, le russe, le suédois et le turc). Il a quelques notions d’autres langues, qui apparemment ne vont guère au-delà de quelques mots. Il possède bien le français, le grec moderne et l’allemand, dans une moindre mesure, mais toujours à un niveau élevé, l’espagnol. Cependant, même dans ces langues, ses traductions sont étonnamment relâchées, lors même qu’il a les connaissances nécessaires pour fournir une équivalence exacte.

Aux test de performance, il obtient des résultats médiocres (au test des matrices de Raven, il a un score de 75). Le test des figures emmêlées lui échappe totalement. Il échoue aux tests de conservation du nombre (bien qu’il puisse effectuer des additions, soustractions et multiplications simples). Aux épreuves de « théorie de l’esprit », ses résultats sont inégaux : il ne réussit pas la tâche qui consiste à deviner où un tiers cherchera un objet caché en son absence ; en revanche, il devine qu’un tiers ignorant de ce qu’on a caché dans un tube de bonbons présumera que ce tube contient bien des bonbons. Dans ce dernier cas, les auteurs pensent que Christopher ne fait qu’associer un objet avec son contenu typique, sans faire d’hypothèse sur les croyances d’autrui. Ils se refusent donc à lui attribuer des capacités de méta-représentation des croyances d’autrui. Les métaphores (qui ne sont pas figées), les jeux de mot et les plaisanteries en général ne suscitent que des interprétations littérales. Enfin, les stratégies à adopter dans des jeux simples, comme le morpion, lui sont impénétrables. L’étiologie n’est pas certaine, mais une hydrocéphalie est suspectée, le cervelet est anormal (Christopher a de graves problèmes de coordination motrice), un EEG frontal s’est révélé anormal.

Malgré ses remarquables aptitudes linguistiques, Christopher ne laisse pas de rencontrer certaines difficultés à traiter certaines structures, même dans sa langue maternelle. Il corrige systématiquement les phrases du type « Mary, I met her at the cinema » en « I met Mary at the cinema », rejette « I resent it that you eat biscuits » (rectifiée en « I resent that you eat biscuits »), ne peut analyser les phrases (garden-path sentences) comme « Susan convinced her friends were unreliable » ; il ne parvient pas non plus à analyser la portée de la négation dans des phrases où le circonstant, étant focalisé, il ne permet qu’une interprétation de la négation (ex. : soit la phrase « it was yesterday that Mary didn’t ask Bill to take her to the cinema » ; signifie-telle : A) she did not ask him yesterday but she asked him some other day — B) she did not want to go to the cinema yesterday ; Christopher répond que les deux interprétations sont correctes). Il repousse aussi les négations partielles, introduisant une rectification, qu’il semble traiter comme des contradictions (ex. « Goliath wasn’t tall, he was a giant »), et n’accepte pas les doubles négations (« I couldn’t not see him »). Il rejette également les phrases où un temps ne concorde pas avec un adverbe de temps déictique (ex. : « Fred left tomorrow according to the original plan »).

Examinant ensuite les jugements de Christopher sur la grammaticalité de phrases dans des langues étrangères, les auteurs décèlent également des incongruités : Christopher rejette les phrases qui, transposées en anglais, donneraient lieu à des effets that-trace (Who did they say that resigned ?), bien que la langue-source les accepte, ou qui contiennent un sujet postverbal, pourtant autorisé, lui aussi, par la langue source ; en revanche, il produit correctement des phrases à sujet nul dans ces mêmes langues (ce qui pose problème si l’on se place dans le cadre de la théorie de Rizzi,, 1990, qui lie ces trois paramètres). L’ordre des mots est souvent calqué sur l’anglais, dans des langues qui, par exemple, autorisent l’inversion du sujet dans une proposition relative ; toutefois les groupes auxiliaire - participe passé restent conjoints dans les interrogations pour les langues qui l’exigent. De même, les phrases du type « les nouvelles, Marie les a entendues » ou « Pierre me l’a racontée, l’histoire » sont invariablement corrigées dans le sens de l’ordre scolaire. Enfin, ses jugements sur les déplacements Qu- semblent se conformer à leurs transpositions en anglais, plutôt qu’aux phénomènes attestés dans la langue-source ; et il transfère des structures du type « easy to please » à des langues, tel le grec, où elles sont inacceptables. De ces faits, les auteurs concluent que Christopher importe dans les autres langues les paramètres de l’anglais — que l’adoption du paramètre pro-drop, qui n’est pas conforme à l’anglais, n’est qu’apparente (plutôt, l’accord est traité comme un sujet clitique) — et donc que Christopher n’a pas remis à jour les paramètres de l’anglais. Les faiblesses de Christopher en anglais sont attribuées à des carences en dehors de la grammaire proprement dite.

Enfin, d’autres expériences ont été menées avec une langue artificielle, afin d’observer dans son évolution l’apprentissage de celle-ci. Elles montrent que Christopher acquiert avec facilité une structure d’accord bizarre, sans importer les régularités de l’anglais (dans la langue en question, le verbe prend par exemple la forme féminine de troisième personne du pluriel avec deux sujets dont un à la première personne du singulier, et l’autre à la troisième personne du singulier, au féminin), alors que les sujets normaux accordaient les verbes de la langue artificielle en suivant le modèle anglais. En revanche, les sujets normaux se révélaient supérieurs dans leur traitement de la négation, marquée non par un morphème mais par l’ordre des mots seul, et dans la construction des temps, distingués eux aussi par l’ordre des mots (mais marqués en outre par un morphème). Ces différences de comportement conduisent les auteurs à faire l’hypothèse que Christopher a un talent spécial pour l’acquisition de la morphologie mais qu’il ne peut mettre en place des stratégies inductives efficaces lorsque les règles à dégager sont en dehors de toute plausibilité linguistique (ne font pas partie des valeurs de paramètres possibles pour un Grammaire Universelle).

Syndrome de Williams : les sujets atteints du syndrome de Williams (SW) présentent d’étonnantes capacités linguistiques en regard de leurs performances non linguistiques. La plupart du temps, ils s’avèrent incapables de nouer leurs lacets, d’utiliser un couteau ou un balai, de réussir les tâches de sériation ou de conservation, de reproduire par le dessin quelque objet, animal ou figure géométrique composée de sous-parties (ils se focalisent sur l’élément au détriment de la forme globale), de retrouver leur chemin, de compter, d’apparier des lignes de même orientation [Bellugi et al., 1992, 1993]. En revanche, leur reconnaissance des visages est excellente.

En dépit de ces sévères limites intellectuelles, les sujets SW ont une grande propension à communiquer, et de fait, communiquent avec aisance : leur discours possède une riche morphologie, tant inflexionnelle que dérivationnelle, des passifs (réversibles ou non), relatives, complétives, hypothétiques (et des contrefactuels impossibles). Ils ont le goût des mots rares ; dans une tâche de fluence catégorielle, un sujet à qui on a soumis la catégorie « animaux » répond : « unicorn, yak, ibex, water buffalo… ». Leur mémoire phonologique est excellente [Karmiloff-Smith et al., 1997].

L’étiologie serait liée à une production anormale de calcitonine, d’origine génétique. On a aussi observé un développement anormal du vermis du cervelet, qu’on sait être impliqué dans les activités motrices élaborées ; on a aussi relevé des anomalies cytoarchitectoniques.

On a pu suggérer [Bellugi et al., 1991] que la dissociation observée chez les sujets SW pouvait être caractérisée comme un déficit visuo-spatial sévère en regard de capacités linguistiques relativement normales. De fait, leurs dessins rappellent étonnamment ceux de certains agnosiques visuels.

En dehors de problèmes évidemment liés au codage linguistique de représentations visuo-spatiales [Zukowski et al., 1999], c’est-à-dire de perturbations à l’interface du langage et de la cognition, les sujets SW présentent aussi des anomalies dans le domaine linguistique. Au cours de leur développement, ils désignent par la parole avant de pointer du doigt, l’explosion de leur vocabulaire précède la capacité de classer exhaustivement un ensemble d’objets (à rebours des autres enfants, chez qui on constate plutôt une coïncidence). Il semblerait que leur décollage grammatical soit retardé, et attende notamment que leur niveau cognitif et leur vocabulaire puissent soutenir la comparaison avec ceux d’un enfant de deux ans [cf. Bates, 1997, Thal et al.]. Leur compréhension de nombreuses structures n’est pas exempte d’erreurs ; celles-ci sont massives quand on leur soumet des structures telles « the boy the dog chases is big » ou « the box but not the chair is red » [Karmiloff-Smith, 1997]. En outre, on a mis en doute que leurs aptitudes morpho-syntaxiques soient aussi bonnes qu’on eût pu le penser. Leur sensibilité aux indices permettant de deviner le genre d’un mot ou d’un non-mot est largement inférieure à celle de sujets normaux d’âge mental équivalent ou inférieur. Leur respect des règles d’accord semble d’autant plus aléatoire qu’il porte sur plus d’éléments (ex. : « sous la fourmi vert » ; cf. Karmiloff-Smith et al., 1997). L’hypothèse la plus séduisante serait peut-être que les sujets SW consacrent davantage de leurs ressources mnésiques à l’apprentissage d’exemplaires plutôt qu’à l’abstraction de règles à partir du corpus qui leur est fourni. En tout cas, il serait inexact de voir en eux l’incarnation d’une dissociation pure entre langage et cognition, dès lors que leurs capacités linguistiques sont bel et bien anormales. Nous nous heurtons ici encore à la possibilité que ce blocage linguistique serait imputable, comme le pensent les auteurs cités à l’instant, à un déficit cognitif.

Autres cas : depuis environ quarante ans, on sait que des sujets atteints de spina bifida, et affectés en conséquence d’une hydrocéphalie, peuvent être des parleurs volubiles tout en étant intellectuellement diminués. Cette loquacité fit même qu’on forgea pour eux l’appellation de cocktail-party syndrome [Hadenius et al., 1994]. Il est intéressant de noter qu’un auteur a trouvé une corrélation inverse entre le Q.I. et la présence de ce syndrome [Tew, 1979].

L’un de ces sujets, D.H., a fait l’objet d’une étude assez approfondie due à Richard Cromer [Cromer, 1991, 1994]. A l’époque du début de l’étude, D.H. est une jeune fille de 14 ans ; son Q.I. verbal a été estimé à 57, son Q.I. global à 44 (WISC-R). Elle ne peut ordonner trois images dans une suite narrative, ne peut dire quel doigt est le pouce, que le lard vient du cochon. Elle énumère avec difficulté les saisons, parvient à peine à compter, à assembler les éléments d’un puzzle simple, ne peut reproduire une figure au moyen de blocs colorés ; elle échoue au test de la chasse à l’intrus (sur présentation de dessins), au test de classement des cartes du Wisconsin [6], peut à peine indiquer sur un écran si une créature a des antennes d’égale longueur. Lecture et écriture sont hors de sa portée, comme le sont aussi les tâches de conservation.

En revanche (c’est un point qui revêt pour Cromer, comme nous le verrons plus loin, une grande importance) elle est capable de dessiner une figure en suivant un ordre hiérarchique d’élaboration. Elle répond de façon raisonnable à des questions comme « Combien y a-t-il de tranches dans un pain de mie ? » ou « Quel est le poids d’une pinte de lait ? ». Au test d’association verbale, elle fournit surtout des associations syntagmatiques, comme les jeunes enfants. Elle passe avec succès les épreuves de « théorie de l’esprit ». Ses jugements sur la grammaticalité sont bons, à l’exception des phrases à double accusatif du type *The man donated the library the book, quelle accepte toujours. Curieusement, elle est insensible, dans une tâche de détection de mots, au plus ou moins grand degré de probabilité du mot à détecter dans tel ou tel contexte. Elle obtient des résultats décevants à un test de vocabulaire (sur présentation d’images) ; son discours est bien souvent affabulateur et donne l’impression d’une accumulation de formules toutes faites, de collocations, de clichés.

Les cas des sujets SW et hydrocéphales comme D.H. constituent à notre avis les exemples les plus clairs d’une dissociation entre langage et cognition, en raison de l’importance de l’écart apparent qui sépare chez eux ces deux domaines. A leur sujet, l’anti-modulariste convaincue qu’est Bates se trouve dépourvue d’objections aussi fortes que pour les autres cas [Bates, 1994]. Sa défense principale consiste ici à faire l’hypothèse de voies d’acquisition alternatives pour l’acquisition du langage. Si cet argument risque de congédier les indices qui nous viennent de la pathologie, s’agissant des sujets SW, il ne manque pas de plausibilité. Nous avons vu que plusieurs constatations laissaient présager d’un développement atypique et imparfait du langage, dû peut-être au défaut d’une stratégie d’abstraction de règles.

Le cas D.H. est plus troublant, mais des données linguistiques précises nous manquent. Le fait qu’elle affabule ou obtienne des résultats assez médiocres à un test de vocabulaire peut-il être imputé à la modularité d’une core grammar, ainsi que le suggère Cromer ? Il y a pourtant une indéniable continuité dans le discours de D.H., et une sensibilité aux conventions pragmatiques. Peut-être a-t-elle acquis des schémas narratifs qui sont encore en deçà de la flexibilité nécessaire pour que son langage se modèle sur les situations externes.

Sujets SLI : l’appellation SLI (pour Specific Language Impairment) est employée pour des sujets dont l’acquisition du langage (en production ou en compréhension) intervient avec retard, en l’absence de problème neurologique connu ou de déficit cognitif (du moins s’agit-il là, nous le verrons, d’une première approximation). Ce trouble nous confronte donc à une dissociation inverse des précédentes. Le déficit est particulièrement marqué dans la production des grammèmes, libres ou liés. Le marquage du passé, par exemple, peut-être aléatoire, irrégulier, même s’il est reconnu comme nécessaire dans un jugement de grammaticalité [Van der Lely, 1997]. Les inflexions sont plus volontiers produites si elles correspondent à des groupes de phonèmes attestés ailleurs dans la langue (« marred » comme dans « card ») et certaines régularités phonologiques ne sont pas respectées (comme la sonorisation de l’occlusive initiale du second membre d’un mot composé en japonais, les sujets produisant « orikami » au lieu de « origami »).

Une hypothèse est que ces sujets auraient des difficultés à traiter les transitions rapides de l’information acoustique, et les morphèmes phonologiquement peu saillants, soit parce qu’ils ne pourraient les produire, malgré des connaissances grammaticales correctes [Fletcher, 1990], soit parce que ces formes exigeraient trop de leurs ressources de travail pour qu’ils puissent formuler des hypothèses sur leurs fonctions et les acquérir normalement [Leonard et al., 1992]. On a objecté à ces hypothèses l’irrégularité même des productions (« Anne is fighting » voisine avec « Carol is cry in the church »), des erreurs de marquage grammatical sur des formes qui ne sont pas vulnérables phonologiquement [Gopnik et al., 1997], et rétorqué en conséquence que le problème devait être plus purement grammatical. Diverses théories ont été avancées : l’une invoque des difficultés à produire les inflexions [Gopnik et al.] ; elle se heurte au fait que des sujets SLI produisent aussi des phrases dont l’ordre des mots est anormal : ainsi, des sujets SLI allemands abusent du verbe en position finale dans des propositions principales [Clahsen & Hansen, 1997]. Selon les auteurs, la position seconde du verbe ne serait assurée que pour les verbes dont les sujets maîtrisent l’accord (les auxiliaires, les verbes modaux, quelques impératifs et verbes fléchis en –t) ; les formes à tort marquées comme des infinitifs seraient, comme les infinitifs corrects, rejetés en position finale ; le déficit proviendrait donc d’une difficulté spécifique au traitement de l’accord.

Toutefois, cette théorie laisse elle aussi échapper d’autres observations : les principes A et B du liage sont mal respectés par des adolescents SLI ; ceux-ci évitent les récursions à l’intérieur de NP et XP dans la structure NP V XP ou omettent des arguments sous-catégorisés obligatoires, comme dans « The dog was poking [his head] in [-to the jar] » [Van der Lely, 1997]. Ces nouvelles observations ont conduit à formuler une autre explication, qui postule une incapacité à établir des relations de dépendance, éventuellement associée à une productivité défaillante en matière de morphologie verbale (Van der Lely, ibid. ; voir aussi l’influence de la proximité phonologique, mentionnée plus haut, sur la production des inflexions verbales). Toutefois, cette explication ne paraît guère satisfaisante pour rendre compte de certains aspects du déficit, c’est-à-dire les lacunes dans la sous-catégorisation et l’absence de récursion.

Enfin, la question devient encore plus indécise si l’on considère les résultats d’autres études, qui mettent en évidence une réduction des ressources attentionnelles et des capacités de traitement d’enfants SLI dans certaines conditions. Soumis à une interférence lors d’une tâche de catégorisation, les enfants SLI réagissent plus lentement. L’augmentation de la vitesse de présentation de stimuli ou de motifs visuels a, sur les sujets SLI, un effet plus négatif que pour les autres enfants [Johnston, 1997 ; Fazio, 1998]. La variété même des symptômes en jeu signalerait par ailleurs un déficit de bas niveau, plutôt qu’un trouble linguistique précis. De fait, Van der Lely [1997] n’a trouvé aucun signe de déficit dans des tâches plus sophistiquées, comme diverses formes de déduction logique (modus ponens, disjonctions etc.), pourtant présentées sous forme verbale et appelant une réponse verbale.

Nous ne voyons donc pas que ce syndrome constitue, en l’état actuel des recherches, un argument pour ou contre la modularité du langage ; à l’évidence, un déficit susceptible d’affecter des processus centraux, comme l’attention, ne permet pas d’étayer la thèse d’une atteinte de processus spécifiques.

3.4. Dissociation forte et développement

Pour qui souhaite tenir compte du développement dans ce débat, il est bon de séparer deux points de vue : celui du module déjà assemblé et celui des processus d’assemblage du module. Par exemple, la reconnaissance visuelle pourrait impliquer des modules de bas niveau répartis en canaux (de reconnaissance de la couleur, du mouvement…), eux-mêmes intégrés dans un module d’identification des objets. Cette intégration pourrait être effectuée par des processus centraux non modulaires [Moscovitch & Umilta, 1990]. Une dissociation du module d’identification visuelle (agnosie visuelle) n’entraînerait pas nécessairement que ce module ne recrute que des processus spécifiques.

Il est clair que la prise en compte du développement introduit un nouveau degré de complexité dans la logique des dissociations. En effet, une DDF à un niveau d’observation aussi global que celui des rapports entre langage et cognition pourrait dissimuler une évolution par paliers, chaque stade de maîtrise linguistique requérant, par rapport au stade inférieur, un peu plus de capacités cognitives. Une DDF pourrait ainsi être composite, en ce qu’à un stade de son évolution, elle aurait, par exemple, la forme d’une DDf : si, à ce stade, le système cognitif dépasse un certain niveau de performance, les performances linguistiques ne peuvent être inférieures à celles atteintes avec un système cognitif qui fait preuve de capacités moindres.

En outre, ainsi que le note Bates [1997 : 165], le fait que le langage puisse se développer chez des sujets aux capacités cognitives limitées n’implique aucunement que des capacités minimales ne soient pas nécessaires. Il est inutile de demander à l’enfant attardé des capacités supérieures à celle d’un enfant normal en âge d’apprendre sa première langue :

In other words, normal development already sets an upper bound on the class of possible cognitive prerequisites to language, in the absence of any information about development in special populations. In the case of C [Christopher] and in all the other case studies cited above [les études de Yamada, Rondal et Cromer, 1991], the dissociation between language and cognition is observed at a mental age well beyond this window of cognitive development.

Dans le cas de Laura, cette dernière affirmation est, nous l’avons vu, inexacte, et Christopher ne paraît pas disposer d’un système d’imputation de croyances (de « méta-représentations »), censé émerger vers quatre ans. Néanmoins, le langage de Laura est loin d’être comparable à celui d’un enfant de même âge, même au plan syntaxique ; en font foi des erreurs très inhabituelles (ex. : « She was so mad at ») et sa très mauvaise compréhension. L’écart entre un niveau cognitif global, servant en particulier à estimer l’âge mental du sujet, et un niveau linguistique donné n’est guère opérant. Si le niveau cognitif est inférieur au niveau normal requis pour l’acquisition du langage, on trouve que les aptitudes linguistiques le sont aussi, et l’on ne peut donc rien conclure. Aussi paraît-il plus intéressant de déterminer quels manques et quelles aptitudes sont corrélés dans les deux domaines.

De ce point de vue, plusieurs conclusions s’imposent : la morphologie et le lexique, plus que la syntaxe, sont mieux préservés chez les enfants attardés. Les capacités cognitives les plus souvent considérées comme responsables du développement de la syntaxe (la pragmatique, l’intelligence opératoire, la construction de séquences d’actions hiérarchisées, l’induction de règles) ne sont pas requises, au moins à un niveau assez élémentaire. Toutefois, comme nous l’avons souligné, cela n’exclut pas que des capacités cognitives supérieures entraînent nécessairement un développement au moins équivalent du langage chez n’importe quel sujet. En d’autres termes, la faculté de langage d’un adulte normal pourrait recruter des processus cognitifs non spécifiques pour parvenir à son plein développement.

4. Corrélations

La méthode des corrélations consiste d’abord à définir des concepts ou des processus qui, par leur antériorité de jure ou de facto dans le développement, ou leur nature très générale, pourraient déterminer des apprentissages linguistiques. A priori, une corrélation semble être moins décisive qu’une dissociation. Pour affirmer qu’un lien causal unit un concept et un contenu sémantique, il faut pouvoir les dissocier, ce que le phénomène pathologique, précisément nous offrait à moindre coût. Nous verrons qu’il n’est nullement évident de déterminer la frontière à partir de laquelle les concepts et processus linguistiques peuvent être considérés comme spécifiques. En outre, il faut éliminer la possibilité que la langue elle-même induise des constructions conceptuelles, qu’on aurait prises à tort pour des universaux cognitifs. Enfin, la succession dans le temps des acquis cognitifs et linguistiques ne nous délivre pas toujours un message très clair.

4.1. Conceptualisation et sémantique

De nombreuses études ont eu l’ambition de lier le contenu sémantique au concept, en faisant dépendre l’acquisition du premier sur le développement du second. Il est certes trivial d’affirmer que pour acquérir « dans » ou « plus », la saisie du concept de contenant ou la capacité de comparer des quantités ou des qualités quantifiées sont des préalables. On a pu cependant soutenir que l’ordre de dépendance devait en fait être inversé : selon une version de cette thèse, la langue impose une conceptualisation (thèse dite de Sapir-Whorf). Etant donné son caractère assez vague, cette version a elle-même des variantes, plus ou moins radicales [7]. La seconde version de la thèse limite l’engendrement de concepts par la langue à des concepts n’ayant de manifestation que linguistique, c’est-à-dire pertinents seulement pour l’acquisition de la langue elle-même. A titre d’exemple, nous nous contenterons de mentionner l’étude par Bowerman [1982] de l’acquisition du concept subsumant les verbes anglais employés avec le préfixe un- (concept qu’elle désigne d’ailleurs par le terme whorfien de cryptotype). Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, gardant à l’esprit que c’est de modularité du langage que nous nous occupons ici. 

Dans les études sur le développement, plusieurs raisonnements servent à étayer la thèse d’une antériorité de la maîtrise d’un concept sur un contenu sémantique [Johnston, 1985].

On juge d’abord que si des formes de complexité linguistique qu’on présume égale sont acquises selon un certain ordre et non pas simultanément, la raison en est que certaines imposent plus d’exigences que les autres aux capacités cognitives. C’est ainsi qu’on rend compte généralement de la séquence d’acquisition des prépositions spatiales : celles exprimant des fonctions (par exemple de contenance) comme dans précèdent celles exprimant des relations de proximité (à côté de), qui précèdent à leur tour celles exprimant des relations d’ordre ou renvoyant à un espace projectif (devant, derrière).

En ce qui concerne ce type de raisonnement, il importe ici de distinguer trois ordres de fait : les stratégies (ou heuristiques) mises en œuvre par l’enfant pour comprendre, et ensuite produire, certaines expressions — les conditions non linguistiques de compréhension et de production de ces expressions — les capacités proprement linguistiques requises pour maîtriser l’emploi de ces expressions. Par exemple, on a supposé que l’enfant appliquait des heuristiques simples pour interpréter dans et sur (si X est un récipient, Y est dans X ; si X est une surface horizontale, Y est sur X). D’autres heuristiques seraient plutôt des biais cognitifs, telle la propension chez l’enfant à identifier l’objet mobile avec le premier argument d’une prédication locative prépositionnelle [sur ces expériences, cf. Fortis, 1996]. Maintenant, lors de l’acquisition, ces biais cognitifs doivent être dépassés, puisqu’ils conduisent à l’évidence à des erreurs d’interprétation, qui peuvent d’ailleurs resurgir dans la pathologie. Au-delà de cette limite, toute la difficulté est de définir ce qui relève de capacités spécifiques. Par exemple, la production d’une phrase du type « le chat est sous la chaise » impose de mettre en rapport une structure simultanée (la situation perçue) avec une structure séquentielle, et de contraindre mutuellement l’ordre des mots et le choix de la préposition. Or, il n’est pas évident que ces processus soient entièrement spécifiques. On pourrait ainsi imputer certaines erreurs des aphasiques de Broca sur les prépositions locatives à une stratégie palliant une réduction de leurs ressources de traitement, sans nécessairement mettre en cause des processus spécifiques. Un aphasique de Broca décrira une image de chat sous une chaise par ces mots : « le chat est dessus la chaise ». Ses réponses, très systématiques, révèlent qu’il prédique en fait la préposition du second argument (la chaise est dessus ; cf. Le Bot, 1987). La forme de surface est syntaxiquement correcte, mais reflète clairement une analyse anormale. Il faut alors s’interroger sur la spécificité linguistique des processus déviants. Par ailleurs, ce dilemme (l’aphasique de Broca a-t-il, en l’occurrence, une grammaire anormale ou subit-il une restriction de ses ressources de traitement ?) se retrouve dans les théories concurrentes de l’agrammatisme.

Si le langage constitue aussi, en plus de ses aspects proprement linguistiques, une constellation unique de processus qui pourraient être non spécifiques (application d’une structure simultanée sur une structure séquentielle, contraintes réciproques, inversion possible des biais cognitifs), le traitement linguistique peut être sélectivement atteint sans, pour autant, que nous devions conclure à sa modularité.

Inversement des processus linguistiques pourraient faciliter l’acquisition de distinctions sémantiques, grâce, par exemple, aux types de sous-catégorisation des verbes auxquels l’enfant a été exposé. On aura reconnu là l’hypothèse dite de syntactic bootstrapping, formulée notamment par Landau et Gleitman pour rendre compte de l’acquisition, entre autres lexèmes, des verbes look et see par une enfant aveugle. Sans cette différenciation réciproque des processus linguistiques et des processus cognitifs, on ne peut guère expliquer cette double constatation : on observe des dissociations entre langue et cognition pour des formes linguistiques qui, pour être employées correctement, demandent une saisie perceptive. Tel est le cas des prépositions spatiales chez des cérébrolésés [Kemmerer & Tranel, 2000] ; en outre, l’usage des prépositions spatiales par les sujets SW est supérieur à ce que leurs capacités spatiales laisseraient espérer [Zukowski et al., 1999]. Ces données permettent aussi de mettre en doute une théorie qui ferait coïncider les processus de compréhension et de production des prépositions spatiales avec des processus cognitifs ; nous songeons ici à la grammaire cognitive de Langacker.

Un deuxième type d’approche consiste à étudier l’extension et la spécialisation des sens de mots donnés, en les corrélant à des conquêtes cognitives plus générales. Par exemple, un nombre très important d’études ont essayé de déterminer si l’enfant pouvait référer à des objets absents avant le stade 6 de l’intelligence sensori-motrice (stade auquel l’enfant cherche un objet caché). L’interprétation des résultats est compliquée par la variété des critères utilisées et par ce qu’il faut entendre par permanence de l’objet. Les expériences menées dans le cadre piagétien concluent positivement, mais les données que Spelke a accumulées depuis placent beaucoup plus précocement la maîtrise d’une forme de permanence de l’objet. On s’est aussi efforcé de corréler l’émergence de formes de négation (en anglais : no more, don’t, not) aux actes de parole correspondants, progressivement mis en place par l’enfant, dans l’ordre : expression de la non-existence, du rejet, puis de la dénégation [pour une synthèse, cf. Cromer, 1991]. Dans ce dernier cas, la nature non linguistique des acquisitions ne peut être mise en doute que dans la mesure où la complexité morphologique ou syntaxique ne paraît pas en cause.

Un troisième type d’approche est de repérer si des formes censées exprimer un même concept mais de catégories différentes apparaissent simultanément. On a ainsi constaté que les premiers énoncés au présent de vérité générale apparaissaient avec des adverbes comme toujours ou jamais  : ce sont autant de manifestations, selon l’auteur, de l’acquisition du concept d’intemporalité [Cromer, 1991, p. 37-8]. Toutefois, ce genre de raisonnement nous amène aux marges de la théorie exactement inverse, c’est-à-dire celle d’une conceptualisation d’ordre linguistique.

Un quatrième type d’approche revient à chercher des causes cognitives aux difficultés rencontrées par l’enfant pour acquérir des formes dont la complexité purement linguistique semble à sa mesure. Ainsi, Ferreiro et Sinclair [1971] ont constaté que des enfants à un stade encore pré-opératoire ne pouvaient inverser dans leurs énoncés l’ordre temporel d’événements ; l’ordre des propositions devait calquer l’ordre des actions, dût-il être contraire aux faits constatés par l’enfant.

Dans toutes ces approches, l’interprétation de l’évolution des acquisitions est délicate : ainsi, le stade de permanence est défini par des critères variables, ce qui a contribué à des résultats quelque peu divergents [Corrigan, 1979]. Répétons-le, le fait que l’expression linguistique soit postérieure à un progrès cognitif peut provenir de la complexité même des formes à acquérir : les enfants finlandais, remarque Slobin [1973], acquièrent les formes d’interrogation totale plus tard que les enfants anglophones. Mais en finnois, ces formes sont plus complexes qu’en anglais [8]. Inversement, l’apparition d’un comportement non verbal peut être retardée non pour des raisons « conceptuelles », de l’ordre de la représentation, mais par blocage de l’efférence.

Malgré ces difficultés, les données sur le développement sont inestimables. Elles nous invitent à une vision d’autant plus complexe de la modularité qu’on leur adjoint les observations de dissociations. Comme nous l’avons dit, on ne peut concilier les dissociations entre langage et cognition et l’origine cognitive de certaines capacités linguistiques que sous la condition de faire l’hypothèse d’une différenciation réciproque au cours du temps.  

4.2. Des processus non spécifiques ?

Dans la section précédente, nous avons fait mention de recherches portant essentiellement sur les prérequis conceptuels. D’autres études ont essayé d’identifier des candidats possibles au titre de processus non spécifique. Celles-ci sont plus rares que les premières, en raison des idées dominantes dans les sciences cognitives, qui promeuvent une vision modulariste de la cognition et du langage jusqu’au domaine sémantique exclusivement, souvent identifié au système conceptuel. Nous présenterons deux de ces recherches ci-après.

Le projet qui les unit est l’identification de processus présentant une analogie avec certains aspects du traitement linguistique mais n’opérant pas sur un matériel verbal.  

Structure abstraite et structure syntaxique [Lelekov-Boissard, 2000] : soient les phrases « Philippe a été présenté à Yves par Franck » et « Yves a été conduit à Michelle par Emilie » ; à une certain niveau de description, elles partagent une même structure. Soient maintenant les séquences (ou structures sérielles, SS) A – B – C – B – C – B – C – D et B – L – A – L – A – L – A – F ; elles sont également isomorphes et ont en commun une structure abstraite (SA). De plus, dans des SS isomorphes, certains éléments sont prédictibles. Lorsqu’on demande à des sujets de pointer sur un écran chaque élément d’une SS aussi vite que possible après son apparition, cette prédictibilité accélère la réponse. Or, cet effet d’apprentissage d’une SA ne s’observe pas chez des aphasiques de Broca et des agrammatiques. Pour réfuter l’objection qu’il pourrait s’agir d’une limitation de la mémoire de travail, l’auteur s’appuie sur les résultats de Friederici et Frazier [1992] montrant une absence de corrélation entre l’empan mnésique et la réussite à des tests d’analyse de structures syntaxiques chez des agrammatiques. De même, l’auteur a observé une corrélation entre la détérioration de la compréhension syntaxique et les échecs d’agrammatiques dans des jugements d’acceptabilité de SS, lesquels faisaient suite à l’apprentissage d’une SA étalon. Enfin, elle a mis en évidence des similitudes électroencéphalographiques entre le traitement syntaxique et les jugements d’acceptabilité de SS [9] (en l’occurrence une positivité tardive fronto-pariétale). L’auteur en vient donc à la conclusion que « la compréhension perturbée de la syntaxe complexe serait vraisemblablement un reflet de l’endommagement des processus cognitifs séquentiels utilisés dans plusieurs fonctions cognitives, dont le langage. » [ibid., p.131]

L’argument basé sur les performances de patients agrammatiques ne put être corroboré, comme le note l’auteur, que si les aphasiques non agrammatiques réussissent aussi bien les tâches syntaxiques et celles portant sur les SA. Selon l’auteur, un patient dysarthrique présentait en effet ce profil. Mais cette corroboration paraît insuffisante.

Ensuite, on peut se demander si les structures linguistiques sont traitées par ces processus séquentiels en tant qu’elles sont linguistiques. Il serait envisageable que les structures syntaxiques et les SA donnent lieu à la production d’images schématiques qui, dans le cas des structures verbales, seraient des sous-produits n’intervenant pas dans le traitement linguistique. Toutefois, cette objection peut être rejetée en invoquant la similitude des tracés EEG aux tâches de jugement d’acceptabilité de phrases et de SS.

Structure de planification motrice [Goodson & Greenfield, 1975 ; Greenfield, 1991] : se concentrant sur la production, ces études situent le parallélisme entre langage et cognition au niveau de la motricité. Elles distinguent, au cours du développement, différents degrés de complexité de l’acte moteur qui sont évalués en fonction des critères suivants : le fait qu’un objet ne change pas de fonction et conserve son rôle de site de l’action (qu’il fasse office, par exemple, de réceptacle, sans être à son tour déplacé ; s’il est déplacé, les auteurs parlent alors de changement de rôle) ; l’alternance entre objets-sites représente un niveau de complexité inférieur à l’alternance entre objets-mobiles, déplacés alternativement par rapport à un objet-site ; le fait qu’une procédure soit interrompue, c’est à dire quitte un objet et se porte sur un autre pour revenir ensuite au premier objet ; le fait que l’acte ait une structure compositionnelle, consistant par exemple en l’assemblage d’une première sous-structure qui sera réunie à une autre (ce qui implique que l’objet-site de la première sous-structure soit déplacé, et qu’il y ait donc un changement de rôle). Classant maintenant différentes méthodes de construction d’objets simples sur cette échelle de complexité, les auteurs observent qu’elles ne sont mises en œuvre qu’à partir d’un âge donné. Il en va de même pour d’autres comportements comme l’action de manger : l’enfant commence par apparier des objets, par exemple une cuillère à un bol, puis la cuillère à la bouche (alternance de l’objet-site), puis passe par un stade où il porte alternativement la cuillère ou la nourriture à la bouche (alternance de l’objet-mobile), pour parvenir enfin au stade compositionnel, l’enfant prenant la nourriture dans la cuillère pour porter le tout à la bouche.

Dans l’étude de 1975, les auteurs établissaient un rapport entre, d’une part, le traitement des relatives où le pronom est objet et coréfère avec un antécédent sujet de la proposition principale, et, d’autre part, les actes moteurs à changement de rôle ; ils comparaient également les relatives enchâssées à des actes interrompus. Toutefois, Greenfield [1991] délaisse cette comparaison pour s’en tenir à des phénomènes beaucoup plus précoces; l’analogon de l’appariement serait la construction de syllabes CV, éventuellement répétées (dada) ; celui de l’alternance entre sites serait « l’harmonisation consonantique » (daddy), tandis que « l’harmonisation vocalique » (kye bye) serait comparable à l’alternance entre objets-mobiles ; enfin, le premier stade compositionnel correspondrait à l’assemblage de deux structures de niveau inférieur (c’est-à-dire obtenues par les procédures précédentes). L’analogie recule dans le temps ; en conséquence, les processus non spécifiques opéreraient de manière indifférenciée très tôt dans l’ontogenèse, avant que les comportements verbaux et manuels, en se liant à des aires frontales distinctes, ne divergent de plus en plus.

Les thèses de Greenfield [1991] ont subi de nombreuses critiques. Cependant, quelques résultats épars dans la littérature leur apportent un surcroît de soutien. Ainsi, des aphasiques de Broca se sont révélés avoir un style particulier de construction de figures hiérarchiques, lorsqu’on leur soumettait un modèle à copier ; ils procédaient davantage par enchaînement de parties adjacentes [Grossman, 1980]. Cromer [1991, p. 75s] a fait le même type d’observation chez des enfants dysphasiques, et a rapproché ce phénomène du manque de sens du rythme dont font preuve de nombreux dysphasiques.

5. Conclusion

Aux thèses non modularistes a fait défaut ces dernières années l’autorité dont jouissait un Chomsky dans le camp opposé. Lorsque le modèle piagétien dominait, elles bénéficiaient peut-être d’une attention plus soutenue qu’aujourd’hui. Pourtant, nous ne croyons pas que sur un point crucial, la non spécificité des représentations et processus linguistiques, les idées modularistes soient confirmées. Les dissociations sont extrêmement difficiles à interpréter ; en outre, c’est à la morphologie qu’elles semblent accorder l’indépendance la plus grande à l’égard des capacités cognitives non linguistiques. Enfin, il n’est nullement évident que les sujets exceptionnels que nous avons présentés aient acquis leur plus ou moins grande maîtrise langagière par les mêmes voies que les sujets normaux.

A notre avis, le moyen le plus sûr de contourner ces obscurités est de considérer que les dissociations discutées ici sont des vues figées du développement ; elles ne permettent pas de préjuger de la part qu’auraient pris les processus linguistiques si le développement s’était poursuivi. Aussi a-t-on dû convoquer d’autres sources de preuve. Le cas des corrélations est symétrique ; on peut même les étendre à un style cognitif commun aux modes de résolution de problèmes dans des domaines aussi différents que l’orientation dans l’espace et l’apprentissage d’une langue artificielle [Bever, 1992]. Néanmoins, à ce degré de généralité, la méthode des corrélations est en mal de soutien extérieur.

Nous nous risquerons, pour finir, à une prédiction. Le point de vue constructiviste et les idées anti-modularistes pourraient voir leur faveur grandir, en raison des progrès de l’approche neuroscientifique, illustrée par exemple par Kosslyn et Koenig, et du paradigme connexionniste. En effet, l’une comme l’autre tendent à homogénéiser les processus cognitifs en liant directement une fonction à une théorie de l’implémentation.


NOTES

[1] On peut aussi considérer que A et B sont les deux hémisphères d’un même sujet ; de nombreuses études cherchent à mettre en évidence des doubles dissociations chez des sujets à hémisphères dissociés ou chez des sujets normaux mais placés dans des conditions spéciales visant à limiter le transfert interhémisphérique d’informations.

[2] « If the damaged left inferior temporo-occipital area is disconnected from the right hemisphere’s visual input, the right hemisphere may process stimuli in the manner of split-brain patients ; the syndrome then resembles optic aphasia. If some visual information gains access to the damaged left inferior temporo-occipital area, less visual processing occurs in the right hemisphere and more in the damaged left hemisphere, producing visual associative agnosia. » [Schnider et al., 1994, p.454]

[3] Parler ou comprendre le langage parlé implique en particulier la capacité d’inhiber des représentations proches sur plusieurs plans (phonétique, articulatoire, phonologique, morphologique, syntaxique, sémantique, ou encore sémantico-visuel, sémantico-auditif etc., dans la dénomination d’items visuels, auditifs etc.). Cette combinaison d’inhibition sur plusieurs plans est propre au langage.

[4] D’autres sujets hyperlinguistiques ont suscité des études (par exemple, Antony ; cf. Curtiss, 1989). Nous ne rapportons ici que les recherches les plus détaillées dont nous ayons connaissance.

[5] Cette dernière possibilité n’est pas prise en compte par Pinker dans son ouvrage The language instinct.

[6] Le test consiste à disposer quatre cartes-guides en face du sujet, qui se distinguent par trois traits : la couleur, la forme, le nombre de figures (une carte porte, par exemple, un triangle rouge, une autre deux étoiles vertes etc.). On remet au sujet un paquet de cartes, qu’on lui demande de répartir sur les cartes-guides de la manière qui lui semble opportune. L’expérimentateur signale à chaque fois si le choix est judicieux ou non. Une séquence ininterrompue d’essais positifs montre que le sujet a compris quel critère devait être appliqué. L’expérimentateur choisit alors un autre critère et ainsi de suite.

[7] Nous pouvons préciser les différentes interprétations que l'on peut donner à la thèse de l'influence de la relativité linguistique en partant du cas de la reconnaissance proprement perceptive. Il se trouve que, dans le cadre de la validation empirique de l'hypothèse de la relativité, ce cas a été tout spécialement étudié. La catégorie perceptive-linguistique qui a fait l'objet d'un grand nombre d'études sur ce thème est la couleur .
Il est admis que les hommes perçoivent les couleurs universellement de la même façon. Filliozat, lors du colloque de Paris sur le problème de la couleur, constatait avec soulagement :"Pour les Japonais, nous avons la preuve que la vision des couleurs est la même que la nôtre". (cité par Mounin, 1963 : 75)
Cette première interprétation forte de la thèse pouvant raisonnablement être exclue, nous pouvons en proposer les reformulations suivantes, qui sont d'une force décroissante (il est clair que la première est compatible avec la suivante, et celles-ci avec la dernière) :
(1) En plus des différences culturelles, la langue influence l'attention portée aux propriétés de l'environnement ; dans le cas de la couleur, la langue renforcera la discriminabilité perceptive de couleurs dont les noms diffèrent.
A son tour, cette thèse donne lieu à deux versions distinctes :
(1a) Les noms de couleur définissent des couleurs focales qui sont relatives à une communauté linguistique.
(1b) Les noms de couleur désignent des couleurs plus ou moins proches de couleurs focales universelles.
(2) En plus des différences culturelles, la facilité avec laquelle une couleur est codée dans une langue affecte la reconnaissance ultérieure de celle-ci.
(3) Les systèmes conceptuels de la couleur, leur signification culturelle diffèrent d'une langue à l'autre mais n'affectent ni l'attention, ni la reconnaissance ultérieure. 

[8] Aussi Cromer [1991, p.54] s’en remet-il à la prudente conclusion qui suit : « Our cognitive abilities at different stages of development make certain meanings available for expression. But, in addition, we must also possess certain specifically linguistic abilities in order to come to express these meanings in language. »

[9] Dans l’une de ces expériences, des formes géométriques simples, et non des lettres, étaient utilisées comme éléments de SS.


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©  décembre 2002 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique :  FORTIS, Jean-Michel. La modularité du  langage : une démonstration  impossible ? Texto ! décembre 2002 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Fortis_Modul.html>. (Consultée le ...).