LA RÉALITE CÉRÉBRALE DES CATÉGORIES SÉMANTIQUES

Jean-Michel FORTIS
CNRS / Université Paris 7

(Texte publié dans HEL, 2000, tome XXII, fasc.1, pp.157-187) 


Introduction

Il est sain de commencer une recherche en partant de considérations naïves, et bien que les notions de "représentations de la signification" ou de "catégories sémantiques" puissent rebuter philosophes ou linguistes par leur désarmante simplicité, leur réalité psychologique et cérébrale doit être sérieusement prise en compte et examinée. La présente étude se consacrera à cette tâche, en élargissant le propos aux prolongements nécessaires de la question traitée, à savoir le problème du format des représentations de la signification, la spécificité des processus linguistiques, et les conséquences philosophiques de toute prise de position ferme sur ces sujets. Mais auparavant, nous passerons en revue les travaux de neuropsychologie qui témoignent en faveur du bien-fondé de ces convictions naïves.

Quitte à l'accompagner ultérieurement de précisions ou de rectifications, donnons maintenant du problème une présentation grossière : disons que nous disposons d'une boîte à outils théoriques ; notre boîte contient trois "systèmes" articulés entre eux, la vision, la signification et le langage [1], et plusieurs variables d'ajustement, comme l'unicité ou la pluralité des systèmes sémantiques et leur format, le caractère direct ou indirect des chemins permettant de passer d'un système à l'autre, les modes de transfert de l'information entre systèmes, les voies d'accès à un système à partir de stimuli externes. Cela posé, nous constatons que certains déficits neuropathologiques n'affectent ni la production ou la compréhension verbales en elles-mêmes, ni le traitement visuel, mais les connaissances associées à certaines catégories d'objets (par exemple, les animaux, les fruits, les légumes ou les outils, les meubles, les parties du corps). Comme le déficit est caractérisé de manière sémantique, il est tentant de le situer au niveau du "système sémantique", et de considérer alors que la mémoire des significations obéit à une organisation catégorielle. En outre, certains déficits concernent soit les informations à récupérer à partir d'une modalité sensorielle de présentation donnée (par exemple dans une tâche consistant à fournir des renseignements sur l'objet dont on fournit une image, ou à le dénommer), soit les informations issues d'une modalité sensorielle (par exemple les caractéristiques visuelles des animaux) et inaccessibles non seulement dans cette modalité mais aussi par le langage. De là, on tire une seconde conclusion, qui est que la modalité de l'information est également un facteur de partition de la mémoire sémantique. Que les deux facteurs soient liés est aussi une possibilité envisagée par bien des auteurs, qui considèreront ainsi que si la catégorie des animaux est sélectivement atteinte, c'est par suite de la prégnance des informations visuelles dans la constitution de cette catégorie.

Nous verrons que chacun de ces points est sujet à controverse, et que, par exemple, on a contesté que l'organisation catégorielle des objets soit une propriété de la mémoire sémantique ; ainsi, elle serait plutôt une répercussion dans la mémoire des groupements effectués au sein des stimuli par les processus perceptifs. Ces discussions nous amèneront à préciser davantage la valeur des paramètres qui font partie de ce que nous avons appelé notre "boîte à outils".

Mais venons-en d'abord aux faits.


1. Nature des dissociations entre catégories

Les tâches utilisées pour mettre en évidence les dissociations catégorielles sont presque toujours les mêmes : ce sont la dénomination ou la catégorisation d'objets sur présentation visuelle de l'objet lui-même, d'un dessin ou d'une photographie de celui-ci, ou bien sur présentation tactile ; la dénomination sur présentation verbale, qui procède à la manière d'une devinette ; la désignation d'un item dont l'examinateur a prononcé ou écrit le nom ; l'interrogation verbale portant sur des propriétés d'un objet (et on distingue alors les questions ayant trait à la taxinomie, comme "est-ce un poisson?", l'énumération de membres d'une catégorie en temps limité ou non (tâche de fluence catégorielle) ou de termes commençant par une lettre donnée (tâche de fluence littérale) ; les questions dites "associatives" comme "peut-on trouver cet animal en Italie?" ou "fonctionnelles" comme "est-ce qu'il nage?" [2], et enfin les questions "sensorielles" ou "perceptives" comme "a-t-il une bosse?") ; le dessin spontané ou la copie, le coloriage d'un dessin ou l'appariement d'objets (dessinés en noir et blanc) par leur couleur réelle ; le rejet d'êtres chimériques dont on fournit un dessin (tâche de décision objectale), ou de non-mots (tâche de décision lexicale) ; l'appariement d'images de différents exemplaires du même objet en présence de distracteurs morphologiques (une poire en regard d'une ampoule électrique), ou sémantiques (un feu de signalisation en présence de deux types d'ampoule) ; l'appariement d'images d'objets associés en présence d'un distracteur (par exemple, un interrupteur à apparier soit à un feu de signalisation, qui fait alors office de distracteur, soit à une ampoule) ; l'association entre objets (à quoi associez-vous le mot ou le dessin d'une pyramide, à un sapin ou à un palmier?) ; l'association d'un son caractéristique à un objet ; les différentes épreuves testant la manipulation (utilisez cet objet, montrez-en l'utilisation par une pantomime en l'absence de l'objet). Les tâches mettant en œuvre la technique d'amorçage sont plus rares (elles consisteront par exemple à faire précéder un item, dont le sujet devra dire si c'est un mot ou un non-mot, d'un autre mot ; on observera si et comment le temps de réaction du sujet est influencé par le mot-amorce, dont on fait par ailleurs varier le rapport au mot-cible).

Généralement, les performances des sujets aux tâches de dénomination, désignation, réponse à des questions sont corrélées, du moins dans une modalité de présentation donnée, et ce sont ces tâches qui servent par excellence à diagnostiquer une atteinte catégorielle. Les tâches concernant l'identification des objets (telles que la décision objectale ou le coloriage) sont effecutées avec des fortunes diverses, comme celles visant à tester la manipulation, l'association sémantique (épreuve des pyramides et des palmiers), l'appariement multimodal (par exemple du son à sa source possible).

Le phénomène de loin le plus fréquemment observé dans les déficits catégoriels est l'atteinte sélective de la catégorie des êtres que nous appellerons "naturels", plutôt qu'animés, terme pourtant consacré par l'usage mais inexact, puisque les aliments y sont généralement inclus [3]. Cette super-catégorie (ou dimension) elle-même n'est sans doute pas homogène, puisqu'on a pu constater en son sein d'autres dissociations. Ainsi, quoique les catégories des fruits et légumes ou des aliments soient souvent lésées concomitamment à la catégorie des animaux (Basso et al., 1988 ; Chertkow et al., 1992 ; Farah, McMullen & Meyer, 1991 ; Sartori & Job, 1988 ; Silveri & Gainotti, 1988 ; Warrington & Shallice, 1984), les catégories des fruits et des légumes sont parfois dissociables de la catégorie des animaux, comme en témoigne le patient K. E. de Hillis et Caramazza (1995), ou dissociables entre elles, comme l'illustrent les écarts de performance sur les fruits et les légumes pour les cas P. S. de Hillis et Caramazza (1991) et T. U. de Farah et Wallace (1992). D'autre part, certaines micro-dissociations seraient suggérées par d'autres cas, quoique des données précises nous fassent ici défaut. Mentionnons seulement la patiente S. B. de Sheridan & Humphreys (1993), dont la connaissance des fruits et des boissons paraît supérieure à celle des légumes, des assaisonnements et des aliments à manger sur le pouce. Enfin, aux catégories d'êtres naturels est associée parfois la classe des instruments de musique. De fait, une atteinte conjointe des catégories susdites est attestée (Farah & Wallace, 1992 ; Laws et al., 1995 ; Magnié et al., 1999 ; Warrington & Shallice, 1984) ; en outre, nous n'avons pas connaissance d'exception à cette règle. Inversement, la classe des parties du corps est, dans presque toutes les études dont nous avons connaissance, préservée ou relativement épargnée lorsque les catégories d'êtres naturels sont affectées (Basso et al., 1988 ; De Renzi & Lucchelli, 1994 ; Magnié et al., 1999 ; peut-être aussi L. A. de Silveri & Gainotti, 1988 ; Warrington & Shallice, 1984. Notons que dans cette dernière étude, la catégorie des pierres précieuses était aussi gravement lésée que celles des aliments et des instruments de musique, pour lesquelles les performances atteignaient leur étiage. Par ailleurs, il est remarquable que la catégorie des vêtements puisse se dissocier de celle des parties du corps, alors qu'on pouvait supposer que l'information proprioceptive les force à un regroupement ; quant à la dissociation inverse, elle a été observée par Goodglass et Budin (1988).

Il appert, inversement, que la catégorie des parties du corps est lésée quand les objets artificiels sont mal identifiés (Hécaen et al., 1974 ; Sacchett & Humphreys, 1992 ; Yamadori & Albert, 1973). Toutefois, on ne peut faire de l'association entre parties du corps et objets artificiels une règle, puisqu'il a été mentionné un cas de dissociation entre les parties du corps d'une part, et, d'autre part, le matériel de bureau et les outils, dans une épreuve de désignation (Goodglass & Budin, 1988) ; à cet égard, le patient F. C. de McKenna et Warrington (1978) présente un profil atypique, puisque ses performances sont aussi médiocres pour les animaux et les parties du corps au test de dénomination sur présentation verbale de questions. En fin de compte, la seule observation ne souffrant, autant que nous le sachions, aucune exception, est que les difficultés d'identification ou de dénomination des parties du corps sont corrélées à des lésions pariétales, alors que les déficits catégoriels résultent en général de lésions temporales, avec une étiologie d'encéphalite virale ou de démence du type Alzheimer (voir les études citées supra). D'ailleurs, cette constatation n'est rien moins qu'une découverte : la localisation pariétale de ce déficit agnosique touchant les parties du corps avait été reconnue par Head (1926) et Luria (1970, 1966). Tous deux faisaient de l'aliénation des mots désignant des parties du corps un trait de leur "aphasie sémantique". Les lésions incriminées se situeraient, d'après Luria (cf. 1970 : 225sqq), dans les aires 39, 40 et 37 (en partie) de Brodmann, et entraveraient le bon fonctionnement de la capacité générale à synthétiser des éléments simultanés et à se mouvoir dans le plan des relations conceptuelles qu'il qualifie de "synsémantique" (ibid. : 229). Des élèves de Luria ont même proposé de faire du syndrome de Gerstmann et de l'aphasie sémantique les manifestations d'un même trouble (Ardila, Lopez & Solano, 1989). Du reste, cette localisation n'épuise pas l'originalité de cette catégorie ; il semble aussi qu'à rebours de ce qu'on observe pour la grande majorité des catégories, la dénomination de parties du corps soit parfois plus aisée que la compréhension ou la désignation de ces parties (Goodglass, Wingfield, Hyde & Theurkauf, 1986 ; Ogden, 1985).

Les déficits touchant la catégorie des objets artificiels ont tendance à épargner lesdites catégories d'êtres naturels (Warrington & McCarthy, 1983, 1987). Nous venons de voir quelles catégories dérogent le plus souvent à cette règle. Mais ici aussi, il importe de souligner que des dissociations internes se font jour : la patiente Y. O. T. de Warrington et McCarthy (1987) comprend de manière relativement satisfaisante les noms de moyens de transport et de types de construction, mais identifie mal les meubles et le matériel de bureau. Chez le patient S. E. (Laws, Evans, Hodges & McCarthy, 1995), la catégorie des constructions et des monuments est atteinte conjointement à celle des êtres naturels. Un déficit concomitant de dénomination des parties du corps et des éléments mobiles et statiques des pièces d'habitation (mur, porte, chaise…) est attesté (Yamadori & Albert, 1973). Ces constatations laisseraient penser que les objets mobiles ou manipulables seraient représentés selon d'autres dimensions que les constructions, par exemple en raison de la part plus grande que prendrait l'information proprioceptive dans la représentation des premiers (McCarthy et Warrington, 1990).

Enfin, notons que certains attributs ont manifestement un statut particulier. On sait, au moins depuis l'étude de Gelb et Goldstein, que les noms de couleur peuvent sélectivement devenir comme étrangers à un patient (Gelb et Goldstein, 1925). On a observé des aphasies optiques caractérisées par la perte des informations concernant les couleurs des choses dans des tâches croisant la modalité visuelle et le langage (cf. le cas M. P. de Beauvois et Saillant, 1985), ou des agnosies spécifiques à cette catégorie (cas R. V., ibid.). Une étude, déjà mentionnée et portant sur plusieurs types d'aphasiques, a permis de mettre en évidence trois catégories excentriques, marquées par une éventuelle préservation de la dénomination en dépit de troubles de la reconnaissance : il s'agissait des lettres, des parties du corps et des couleurs (Goodglass, Wingfield, Hyde & Theurkauf, 1986). En outre, les couleurs en tant que catégorie peuvent se dissocier des couleurs en tant qu'attributs, dès lors qu'un patient peut dénommer ou désigner correctement des couleurs mais s'avère très perturbé par des définitions d'objets ou d'êtres naturels où il est fait mention des attributs perceptifs, en particulier des couleurs (Silveri et Gainotti, 1988 : expérience D). Enfin, dans un certain nombre de cas, de bonnes performances au test de décision objectale voisinent avec de graves lacunes dans la connaissance des couleurs des objets et des êtres naturels (par exemple, Assal et Regli, 1980 ; D. H. Y. de Hillis et Caramazza, 1995). A l'inverse, la relative préservation des liens entre couleurs et certains objets est attestée, mais semble confinée à des items fortement associés à une couleur, comme la tomate ou le sang et la couleur rouge (cf. Gil et al., 1985 ; Lhermitte et Beauvois, 1973). De telles exceptions laissent présumer qu'un détour par des associations verbales peut suppléer une lacune de la connaissance visuelle.

Par ailleurs, on a occasionnellement remarqué que la taille se comportait aussi comme une propriété atypique (Saffran et Schwartz, 1995 : 522). Le cas Michelangelo de Sartori et Job (1988) nous en offre une illustration frappante. Alors que ce patient commet de nombreuses erreurs à des tests qui mettent à contribution sa connaissance perceptive des animaux, par exemple lorsqu'il doit rejeter des images d'animaux chimériques mêlées à celles d'animaux réels ou compléter un dessin d'animal, il obtient des résultats parfaits sur des questions concernant la taille des animaux, dont les noms, non les images, lui sont soumis (ibid. : 124). De même, chez la patiente S. B. de Sheridan et Humphreys (1993 ; exp. 6, 7, 8, 9), les réponses aux tests verbaux portant sur l'apparence des animaux, et davantage encore sur leur couleur sont largement incorrectes, tandis que la capacité à juger de la taille relative d'animaux présentés verbalement paraît presque indemne (90% de bonnes réponses). Sheridan et Humphreys notent (ibid. : 155) que la taille pourrait être représentée verbalement, hypothèse que reprennent Saffran et Schwartz en des termes quelque peu différents, supputant une représentation propositionnelle  (amodale?) de cette propriété. En effet, dans les cas que nous avons cités ici, les questions sur la taille s'appliquaient à des noms et non à des images. A examiner les résultats de FRA, le patient de McCarthy et Warrington (1986 : test 4), on observera même une dissociation entre le test auditivo-verbal et le test à présentation visuelle concernant la taille des animaux. Le premier était parfaitement réalisé, le second donnait lieu à 30% d'échecs. Néanmoins, cette dissociation eût été plus probante si la présentation verbale de stimuli n'avait systématiquement avantagé ce patient.

Il serait peut-être prématuré de conclure que les jugements sur la taille, parce qu'ils sont favorisés par une présentation verbale des items à distinguer, s'effectuent verbalement. Les travaux de Kosslyn (1980) sur ce point suggèrent que moins la différence de taille est grande, et plus l'imagerie intervient. Dès lors, la préservation relative de la taille serait plutôt due à la localisation extra-temporale de cette propriété. Ainsi, comme pour les couleurs, le caractère atypique de cette propriété découlerait de ce qu'elle est traitée par un canal qui lui est relativement spécifique et, en tout cas, séparé de celui opérant sur la forme des objets perceptifs. Et en effet, il est possible que la taille et l'orientation d'un stimulus soient traitées par la voie dorsale, dans les lobes pariétaux, épargnés dans les cas que nous venons de mentionner (Andersen, 1987 ; Hyvarinen, 1982 ; Maunsell et Newsome, 1987).


2. Les explications proposées : conceptions unitaires de la mémoire sémantique

On a parfois contesté que ces dissociations s'expliquent par la nature des traits constituant les représentations des objets. Ainsi a-t-on pu envisager que les déficits catégoriels atteignent davantage certaines catégories non parce que certains traits sont lacunaires ou que la mémoire sémantique est organisée en catégories, mais par suite d'une dédifférenciation générale des représentations. De la sorte, les déficits catégoriels ne permettraient pas de conclure à une organisation de la mémoire sémantique suivant des principes sémantiques. Les effets d'une telle dédifférenciation seraient amplifiés lors de tâches portant par exemple sur les attributs visuels d'items de catégorie plus difficilement séparables du point de vue de leurs caractéristiques visuelles, ou dans des tests où les ressources verbales sont moins aisément disponibles. De fait, si on contrôle la fréquence du nom, la familiarité du "concept", et la complexité visuelle d'une image, la plus grande sévérité avec laquelle une lésion paraissait affecter les représentations d'animaux et de légumes se résorbe (Stewart, Parkin & Hunkin, 1992). Il faudrait ainsi supposer que la similarité visuelle des descriptions structurelles d'animaux perturberait le traitement sémantique des items de cette catégorie, sans qu'il soit même nécessaire d'invoquer une activation sélective de traits sémantiques visuels par les descriptions structurelles.Cette hypothèse correspond au modèle OUCH proposé par l'équipe de Caramazza (Caramazza, Hillis, Rapp et Romani, 1990 ; Rapp, Hillis et Caramazza, 1993 ; Hillis, Rapp et Caramazza, 1995). Un tel effet en cascade (McClelland, 1979 ; Riddoch & Humphreys, 1987 ; Humphreys, Riddoch et Quinlan, 1988) permettrait donc de se dispenser de l'hypothèse d'une organisation catégorielle de la mémoire sémantique. Faute de contrôler les facteurs de fréquence, familiarité et complexité visuelle, des effets de pseudo-spécificité catégorielle apparaîtraient (Stewart, Parkin & Hunkin, 1992). Ces derniers auteurs accusent Silveri et Gainotti (1988) de s'être mépris sur ce point et d'avoir faussement imputé à une atteinte d'un système sémantique visuel la perturbation sélective de la catégorie des êtres vivants, bien qu'ils aient contrôlé le facteur de fréquence (ibid. : 277). Selon Funnell et Sheridan (1992), la familiarité constituerait le facteur déterminant, du moins chez certains patients (rappelons que la familiarité est définie comme "the degree to which you come in contact with or think about the concept"). De fait, si on classe par familiarité décroissante des items tirés de la liste de Snodgrass et Vanderwart (1980) et regroupés en catégories, on obtient l'ordre suivant : (1) parties du corps humain ; (2) ustensiles de cuisine et meubles ; (3) fruits, véhicules et vêtements ; (4) outils et légumes ; (5) instruments de musique, insectes, autres animaux, oiseaux. Or, cet ordre correspond d'assez près à la hiérarchie des performances d'un patient comme J. B. R. (Warrington & Shallice, 1984), pour qui les catégories lésées étaient respectivement, par ordre croissant de difficulté : les animaux (autres que les insectes), les insectes, les instruments de musique, les fruits et les légumes.

De plus, certaines expériences menées avec des sujets normaux suggèreraient que la difficulté relative de la catégorie des êtres naturels rendrait compte de l'effet de spécificité catégorielle, bien qu'il ne soit pas aisé de déterminer à quel stade interviennent les facteurs entrant dans la définition de la difficulté relative d'une catégorie. Lorsque des sujets normaux sont soumis à des questionnaires faisant appel à leurs connaissances visuelles, fonctionnelles, contextuelles ou taxinomiques de cette catégorie ou de la catégorie des objets artificiels, leurs performances sur la première catégorie sont inférieures (Capitani, Laiacona, Barbarotto & Trivelli, 1994). Ce désavantage disparaît à la tâche de dénomination d'images, la familiarité, la fréquence du nom et la typicalité étant contrôlées. Ce résultat paraît contredire la tendance observée par Funnell (1995), dès lors que chez la patiente en cause l'effet de la fréquence et de la familiarité s'exerçait au stade de la récupération spontanée d'informations, par exemple dans la tâche de définition d'objets ou d'animaux, mais était annulé quand il s'agissait de vérifier des énoncés portant sur les propriétés de ces mêmes items. Comment expliquer cette apparente contradiction? Il se pourrait que fréquence et familiarité agissent d'autant plus que la tâche est difficile pour le sujet. Notons ainsi que chez le patient de Sacchett et Humphreys (1992), la fréquence du nom avait moins d'effet lors de la seconde session du test de dénomination, marquée par une plus grande précision des performances. Il serait intéressant de pouvoir vérifier si fréquence,familiarité et complexité visuelle produisent systématiquement leur effet maximal dans les tâches les moins bien réussies.

Néanmoins, en dépit d'une influence indéniable de ces facteurs, ce genre d'explication ne peut être généralisé. Si certains cas de déficits ne sont pas authentiquement catégoriels, en revanche, d'autres paraissent plus robustes ; la perturbation sélective de la catégorie des êtres naturels y persiste en dépit du contrôle de la familiarité (De Renzi & Lucchelli, 1994 ; Farah, McMullen & Meyer, 1991 ; Laiacona, Barbarotto & Capitani, 1993 ; Sartori, Miozzo & Job, 1993). En outre, si nous acceptons cette explication pour les déficits spécifiques aux catégories d'êtres naturels, nous sommes dans l'obligation de trouver une autre justification aux déficits touchant plus sévèrement des catégories d'objets artificiels.

Les théories qui postulent un système sémantique unique se heurtent aussi au fait qu'il existe des patients conservant une saisie de la signification des objets visuels, une compréhension et une production verbales (mais unimodales) satisfaisantes, malgré une incapacité à dénommer des objets visuels. En d'autres termes, les voies vision-sémantique et sémantique-dénomination seraient intactes, et pourtant la dénomination sur présentation visuelle est compromise. De tels déficits sont facilement explicables, pour peu qu'on admette un système sémantique visuel et un système sémantique verbal et qu'on place le site de la lésion sur la voie qui mène de l'un à l'autre. Les tenants du système sémantique unique peuvent rétorquer qu'un trouble de l'accès du système perceptif visuel au système sémantique produirait ce syndrome s'il laissait indemnes seulement certaines capacités de saisie de la signification de l'objet ; autrement dit, la saisie de la signification des objets visuels serait partielle (il s'agirait alors, selon l'appellation proposée par Riddoch et Humphreys, 1987, d'une "agnosie d'accès au sémantique"). Ils notent ainsi que ces capacités sémantiques préservées ont trait aux gestes, que les formes des objets visuels pourraient susciter spontanément, chaque forme induisant par elle-même un mode de manipulation (à la manière des affordances de Gibson, 1979). Elles concernent aussi des associations simples entre objets (comme un bouton et une fermeture éclair), qu'une saisie sémantique résiduelle aurait suffi à préserver. Toutefois, à défaut de faire une hypothèse supplémentaire sur le format des représentations sémantiques, on voit mal en quoi les deux théories présumées antagonistes se distinguent encore. D'autant que les patient peuvent faire montre d'assez grandes capacités résiduelles, ce qui rend malaisées à expliquer la pauvreté de leurs dénominations et l'étendue des erreurs (en fait foi le cas princeps d'aphasie optique examiné par Freund, 1889).

Ensuite, le contrôle de la similarité visuelle, qui devrait être un facteur décisif dans la tâche de dénomination, n'a pas toujours pour résultat de redresser les performances sur des catégories supposées à prédominance visuelle (Bub, Black, Hampson & Kertesz, 1988). Pourtant, certaines études montrent que la plus grande similarité visuelle des êtres vivants pourrait rendre compte de déficits catégoriels (Gaffan & Heywood, 1993). Nous reviendrons sur ce point. Contentons-nous de signaler que chez l'homme, la similarité visuelle semble interagir fortement avec la proximité sémantique. Le simple fait de donner à des formes arbitraires (non référentielles) des étiquettes verbales d'objets d'une même catégorie, plutôt que d'objets disparates, peut abaisser les performances d'un patient (agnosique pour les êtres vivants ; Dixon, Bub & Arguin, 1997). Certains déficits correspondant à un certain type de lésion seraient d'autant moins affectés par la similarité visuelle seule que des rapports sémantiques seraient plus dominants. On peut donc supposer que la part prise par ce facteur s'établirait sur un continuum, en fonction des traitements lésés. En tout état de cause, les théories reposant sur des facteurs transversaux comme la familiarité ou la similarité visuelle sont insuffisantes.


3. Les explications proposées : conceptions associationnistes de la mémoire sémantique

Aussi l'idée dominante est-elle que l'organisation catégorielle de la mémoire sémantique dérive de la part respective que prennent les informations de différents canaux sensoriels dans la formation des représentations exploitées dans des tâches sémantiques. S'opposent ainsi deux école : les partisans d'une forme moderne d'associationnisme, qui redore le blason des anciens associationnistes comme Lissauer et Freund (Warrington et McCarthy en particulier) ; et les tenants d'un système sémantique amodal unique accessible par les différentes voies sensorielles (Riddoch et Humphreys, Caramazza et son équipe).

La théorie qui guide les premiers a pu être résumée comme suit par Warrington et McCarthy (1987 : 1290) :

L'importance relative ou les valeurs "pondérées" de canaux sensori-moteurs différents pourrait éventuellement former la base de la spécificité catégorielle dans le cerveau. Par "valeur pondérée", nous voulons dire que l'information provenant de chaque canal contribuera quantitativement de manière différente au processus computationnel global impliqué dans l'acquisition initiale et, par suite, la compréhension de stimuli pourvus de sens.

Cette théorie sert généralement à opposer les catégories à prédominance visuelle que sont supposées être les catégories d'êtres naturels, et les catégories à prédominance fonctionnelle, qui subsument en particulier les objets manipulables. Ces dernières seraient caractérisées par l'importance plus grande que revêt la correspondance entre la forme et la fonction pour l'identification correcte (De Renzi & Lucchelli, 1994). Cependant, il serait à notre avis plus pertinent de dire que la forme d'un objet s'offre, pour reprendre le terme de Gibson (1979), comme affordance [4], c'est-à-dire ouvre par elle-même des possibilités d'interaction avec l'objet. En effet, les membres d'un animal expriment tout autant la congruence de la forme et de la fonction. Il est remarquable que chez un patient atteint d'une encéphalite herpétique et produisant avec une particulière difficulté les noms d'animaux, les fonctions biologiques semblent mieux rappelées que les autres caractéristiques (Tyler et Moss, 1997). Nous reviendrons sur ce point dans un instant.

Nous voyons donc que le terme de "fonctionnel", si souvent usité dans les travaux de neuropsychologie pour désigner la connaissance non perceptive, est entaché de graves ambiguïtés. Lorsque les auteurs comparent les aspects fonctionnels-associatifs de la connaissance des objets avec les aspects homonymes qui se rapportent à la connaissance des êtres naturels, ils ne comparent pas les mêmes choses. En effet, si, dans la plupart des cas, le terme de "fonctionnel", lorsqu'il est appliqué aux objets, réfère à l'utilisation ou au contexte d'usage de l'objet, en revanche, lorsqu'il est appliqué aux êtres naturels, il renvoie plutôt à un contexte ou à des connaissances de nature plus encyclopédique. Cette nuance ne va pas sans poser quelques difficultés et risque de faire apparaître de pseudo-déficits de la connaissance associative des êtres naturels, parce qu'on peut présumer que ce type de connaissance est moins bien ancré que sa contrepartie dans le domaine des objets artificiels, surtout pour des sujets ayant un niveau d'instruction modeste (voir le cas S. E. et la controverse sur ce point entre les deux équipes qui ont eu à l'examiner ; Laws et al., 1995, et Moss et al., 1997 : 933sqq).

En ce qui concerne les fonctions biologiques des êtres vivants, la corrélation entre forme et fonction nous paraît tout aussi prégnante que pour les objets artificiels. De fait, les fonctions biologiques sont plus fréquemment mentionnées que toute autre propriété chez un aphasique (atteint d'encéphalite herpétique) dont la connaissance des animaux est particulièrement perturbée, et la vérification d'énoncés portant sur ces fonctions tend à plus de précision (R. C. : cf. Tyler et Moss, 1997). Néanmoins, il reste à expliquer pourquoi la connaissance associative de type encyclopédique qui concerne, par exemple, l'habitat ou le régime des animaux, ou la cuisson des aliments, est souvent mieux préservée que la connaissance perceptive. Pour rendre compte de cet avantage, il suffirait d'invoquer un déficit localisé au niveau des descriptions structurelles. De fait, on n'observe pas qu'un déficit qu'on présume lié aux descriptions structurelles soit associé à une meilleure préservation des traits perceptifs que des traits fonctionnels. Dans les cas étudiés par Chertkow et al. (1992), chez qui les catégories des animaux, des fruits et des légumes sont affectées, l'apparente supériorité des traits perceptifs qu'on constate sur l'ensemble des patients est corrélée à de meilleures performances aux tests visuels chez les patients ayant mieux réussi aux questions portant sur les traits perceptifs ou associatifs-fonctionnels. En outre, les patients étudiés souffrent de démences du type Alzheimer, de sorte qu'au vu des résultats, le déficit sémantique paraît toucher l'ensemble des connaissances liées aux catégories lésées.

Il importe d'ajouter que si seule la corrélation entre forme et fonction permettait d'expliquer les déficits catégoriels, une perturbation des traits visuels de la catégorie des objets artificiels devrait être corrélée à un trouble du traitement des traits fonctionnels de la même catégorie. Or, ce n'est pas toujours le cas. Powell et Davidoff (1995) mentionnent le cas d'un patient dont la connaissance fonctionnelle-associative des objets artificiels est beaucoup moins variable que la connaissance visuelle des mêmes objets, et ne semble donc pas dépendre d'attributs visuels fixes. De plus, la connaissance fonctionnelle-associative des choses naturelles était supérieure à la connaissance de même genre propre aux objets artificiels, malgré une égale conservation de la connaissance visuelle pour les deux dimensions. Quelques exemples des questions soumises au patient donneront une idée plus précise de ce que les auteurs entendent par "visuel", ou "fonctionnel/associatif" : Nat-Vis : "Which is black in colour — a camel or a gorilla?" ; Nat-Fonct. / Assoc. : "Which is thought to be a quite intelligent animal — a gorilla or a pig?" ; Artif.-Vis. : "Which has a body that has a round hole in the centre — a harp or a guitar?" ; Artif.-Fonct. / Assoc. : "Which do pop groups often use — a guitar or a French horn?" (Powell & Davidoff : 442).

Même si, dans cette dernière étude, l'inclusion de la catégorie des instruments de musique dans la dimension des objets artificiels aurait pu contribuer à abaisser les résultats obtenus dans cette dimension, l'influence supposément bénéfique d'une corrélation de la forme et de la fonction demeure insuffisante pour expliquer les résultats. Enfin, on peut présumer que davantage de questions faisaient allusion à la couleur lorsque des items de la dimension des êtres naturels étaient testés. Or, selon l'explication proposée, la présence de cette propriété aurait dû désavantager cette dimension du point de vue la connaissance visuelle. Dès lors, l'hypothèse qu'un autre facteur que la corrélation forme-fonction est intervenu serait à envisager. De fait, les objets artificiels se distinguent des êtres naturels par la moindre dépendance de leur identification à l'égard de détails de surface ou à des déformations par rotation (Price & Humphreys, 1989 ; Dickerson & Humphreys, sd), par la planification du geste qu'ils imposent, par l'interaction fonctionnelle supérieure entre leurs parties et le corps du sujet. Dès lors, ce sont ces aspects de l'identité des objets artificiels qui pourraient être perturbés, plutôt que la corrélation entre la forme et la fonction.

En admettant que l'atteinte des traits perceptifs soit liée à une détérioration des descriptions structurelles, deux questions surgissent : tout d'abord, existe-t-il des déficits catégoriels portant sur des traits perceptifs et se produisant chez des patients dont les performances aux tests de décision objectale sont normales? Et, d'autre part, peut-on isoler la contribution d'un système sémantique visuel à la compréhension des stimuli visuels, en présence, par exemple, d'une forte détérioration des informations verbales associées à ces stimuli?

Pour répondre à la première question, nous pouvons convoquer ces patients qui, réussissant aux tests de décision objectale, échouent à saisir la signification de l'objet qui leur est présenté visuellement (Assal & Regli, 1980 ; Lhermitte & Beauvois, 1973 ; Sirigu, Duhamel & Poncet, 1987 ; Warrington & McCarthy, 1994). Pour les catégories à exemplaires similaires, nous pouvons recourir à l'hypothèse d'un effet en cascade : la similarité des exemplaires présentés affecterait l'activation des représentations sémantiques, qui, par suite, seraient moins différenciées. En témoignerait l'effet suradditif de facteurs l'un, visuel (la similarité), l'autre, verbal (la fréquence du nom), sur les performances d'un patient par ailleurs peu affecté par la similarité visuelle seule (Humphreys, Riddoch & Quinlan, 1988). Admettons en outre que le coût de certains traitements est alourdi lorsqu'ils communiquent en cascade avec les processus en aval. Une corroboration supplémentaire d'un effet en cascade est alors fournie par l'observation que la similitude structurelle nuit plus à la dénomination qu'à la décision objectale (Humphreys, Lamote & Lloyd-Jones, 1995). Toutefois, ce genre d'explication nous paraît inadapté à ces cas où l'on constate une influence du nom sur l'identification (comme chez le patient d'Assal et Regli). Nous serons amenés à examiner ce problème de plus près.

D'autre part, en acceptant l'hypothèse de la perturbation du système sémantique par la similarité des descriptions structurelles, comment expliquera-t-on la perte d'aspects de la signification d'objets visuellement dissemblables, comme sont supposés l'être les outils, et cela en l'absence de déficit aux tests de décision objectale (voir le patient de Sirigu et al., 1991)? Il ne reste à notre avis guère d'autre solution que d'accuser les effets collatéraux de la perte d'informations, par exemple sur la fonction ou la manipulation de l'objet, provenant d'autres modalités ; soit tout simplement la perte ou le défaut d'accès à certaines représentations très localisées.

Enfin, le nombre des paramètres dont nous disposons pour expliquer les déficits touchant les traits perceptifs rend vain l'espoir de séparer nettement les troubles confinés à une modalité de présentation, des troubles concernant des informations à contenu modal (par exemple visuel). Nous avons traité ce problème de manière plus détaillée dans une précédente étude (Fortis, 1997).

Quant à la seconde question, elle revient à s'interroger sur l'extension possible d'une sémantique modale. En effet, certaines capacités sémantiques exploitées en présentation visuelle de stimuli paraissent quelquefois épargnées par une perte de la signification normale de ces stimuli, par exemple par une perte des significations verbales qui leur sont attachées (Coslett & Saffran, 1989). Si les descriptions structurelles s'avèrent intactes, disposerions-nous alors de cas permettant de mesurer l'étendue d'une sémantique accessible par la modalité visuelle? Il apparaît très difficile de se prononcer sur ce point, pour la raison que ces capacités sont explorées au moyen, en général, de deux types de tâches : la manipulation, en présence de l'objet ou mimée, et l'appariement d'objets différents mais homonymes ou d'objets associés. Or, ces épreuves nécessitent avant tout une capacité à catégoriser le matériel perceptif mais ne semblent pas exiger davantage du sujet. En revanche, nous avons connaissance de patients chez qui une dédifférenciation du système verbal affecte la saisie du sens d'un objet visuel. Une intrication aussi forte du langage et de la perception plaiderait alors pour l'impossibilité d'évaluer une sémantique purement restreinte à une modalité d'entrée.


4.
La capture verbale

Nous proposerions d'appeler "capture verbale" un phénomène pathologique qui met en lumière cette intrication du langage et de la perception. Nous baptiserons ainsi ce trouble par référence à son analogon visuel, le phénomène dit de "capture visuelle". De quoi s'agit-il? Supposons que nous fassions porter à un sujet des lunettes prismatiques ; demandons-lui maintenant de pointer vers une main vue au travers de ces lunettes à l'aide de son autre main, non sans lui avoir recommandé d'ignorer l'information visuelle. Il ne pourra s'empêcher de faire dévier son pointage dans la direction prescrite par cette information, en dépit de la consigne (cf. Rossetti, 1997 : 195sqq). De façon similaire, nous proposons d'appeler "capture verbale" le fait pour une catégorisation linguistique perturbée de troubler la saisie du sens de l'objet, même lorsque celle-ci s'effectue par une modalité de présentation non-verbale. La même perturbation de la saisie perceptive sous l'emprise du langage a été qualifiée par Sabouraud (1995) de "trouble de l'interaction percept-concept". Le cas choisi par cet auteur en guise d'illustration (Monsieur Lef.) nous servira à notre tour à faire entendre ce que recouvre un tel déficit. Il est tiré d'une thèse de Le Bot (1987), qui parle quant à elle d'une manifestation pathologique de l'hégémonie du langage sur la perception.

Ce "trouble de l'interaction percept-concept" s'exprime avec éclat dans les dénominations d'images appartenant à une série homogène. Le patient perçoit l'homogénéité de la série tout en se laissant aiguiller par ses productions verbales fautives :

FLAMANT ROSE Ø "C'est un poisson avec des écailles."
HIBOU Ø "C'est une pieuvre!"
CIGOGNE Ø "J'ai l'impression que c'est de la même famille, surtout que du premier, mais je ne suis pas spécialiste des poissons."
MERLE Ø "C'est de la même famille que le troisième… un oiseau… un oiseau! Je ne sais pas pourquoi ça m'est venu!… Et c'étaient tous des oiseaux!" (Le Bot, ibid. : 185).

Mais les signes les plus probants d'un tel diagnostic sont la contamination de la description d'un stimulus visuel par le commentaire affabulatoire du patient. Le Bot note ainsi que le coloriage erroné de dessins en noir et blanc paraît parfois induit par le commentaire du patient : il colore les cheveux d'une petite fille en rouge et commente : "la petite fille a vraiment de bonnes joues!" La manipulation d'un objet peut de même être perturbée par un commentaire (ibid. : 188) ; sur la présentation d'une image de chaussure, le malade fait le geste d'enfiler une chaussure mais finit par celui de boutonner tout en commentant : "on met son pied dedans… et on boutonne." Nous complèterons le dossier par une tentative de description faite par Monsieur Lef. et où transparaît la même instabilité :

L'exemple de la dénomination sur image d'un œuf à la coque fait apparaître la rivalité et le conflit :
«On le trempe dans le sucre… on coupe le petit bout vert… j'ai l'impression que c'est du règne animal. Il y a une fourchette spéciale à deux dents et on enlève la coquille… les enfants adorent ça! Il y a un service spécial… ce ne sont pas des escargots? C'est plus courant… des escargots, on n'en mange pas souvent.» (Sabouraud, 1995 : 176)

Après qu'on a soustrait l'image de l'œuf à la coque de la vue du patient, on lui demande de la dessiner. Il esquisse alors une forme ressemblant vaguement à la tête et à l'abdomen d'un canard et commente, en lâchant son crayon : «C'est un poulet, je voulais faire un escargot.» (ibid.).

Il est raisonnable d'exclure, dans de tels cas, l'hypothèse d'une dysconnexion visuo-verbale, dans la mesure où le message visuel parvenant au système verbal ne semble pas lacunaire mais en quelque sorte perdu sur le chemin, alors que le patient se livre à ces conduites d'approche verbales. Du reste, le patient mentionné peut associer entre elles des images d'items d'une même catégorie et chasser l'intruse, si pleine d'affabulations que soit la manière dont il justifie sa réponse :

Exemple : une série de sept images est présentée : six sont des meubles, la septième, intercalée, est une maison.
Le malade élimine sans hésiter la maison, en disant «tous les autres peuvent se construire en osier, mais pas celui-là» (aucun des meubles présentés n'est en osier). (ibid. : 175)

Certes, il est bien des cas où la dysconnexion est plausible, comme lorsqu'un patient à qui on demande de nommer la couleur d'un objet dessiné, nomme d'abord l'objet puis associe verbalement ce nom à celui de la couleur de l'objet, au lieu de dénommer directement la couleur (Gelb et Goldstein, 1925) ; ou bien lorsqu'un patient, afin de séparer les fruits des légumes, se demande si les items qu'on lui présente se mangent crus ou cuits (Basso, Capitani et Laiacona, 1988). De telles stratégies de contournement évoquent plutôt un défaut de connaissance ou une agnosie. Toutefois, dans d'autres cas, le déficit paraît être de nature différente et affecter le stade de classification verbale des objets, non leur saisie perceptive ni leur connaissance "théorique". Ainsi, certains aphasiques postérieurs catégorisent incorrectement des tasses et des bols, faute de prendre en compte le rapport du diamètre de l'objet présenté à sa hauteur, ou un contexte qui, chez des sujets normaux, lèverait l'ambiguïté (l'image de céréales versées dans l'un des récipients ; Caramazza, Berndt et Brownell, 1982). Dès lors, nous proposerions d'imputer le phénomène de capture verbale à un premier facteur, que nous décririons comme une saisie parcellaire des traits servant à discriminer efficacement, au point de vue de la dénomination, des objets vus, par ailleurs, sans difficulté.

Cette hypothèse nous permet d'expliquer à peu de frais qu'un patient atteint d'aphasie optique puisse catégoriser ou associer fonctionnellement des objets vus, et en démontrer l'utilisation, à condition, toutefois, de fournir le nom correct de l'objet (Coslett et Saffran, 1989). Si nous invoquions une dysconnexion, il faudrait justifier que la route percept-manipulation-(sémantique, éventuellement)-nom soit indisponible alors que chaque connexion de ladite route paraît préservée. Il est vrai, nous l'avons déjà mentionné, que d'aucuns ont nié que la manipulation correcte d'un objet atteste de la pleine saisie de la signification de cet objet (Riddoch, Humphreys, Coltheart et Funnell, 1988). Selon ces auteurs, la présentation visuelle d'un objet pourrait en induire directement la manipulation, parce que sa forme même le rendrait "disponible" à certains usages (on songera ici au concept d'affordance de Gibson, 1979). De fait, la connaissance de la fonction d'un objet apparaît dissociable de celle de la manipulation correcte du même objet (Moreaud, Charnallet et Pellat, 1998). Toutefois, cette dissociation est en l'occurrence corrélée à des erreurs sur l'appariement fonctionnel d'objets présentés visuellement et au test associatif des pyramides et des palmiers, de sorte que les routes issues des représentations visuelles sont toutes instables, contrairement au cas examiné par Coslett et Saffran. Si une pantomime juste peut faciliter la dénomination, on constate parfois que la pantomime correspond non à l'objet mais au nom erroné fourni par le patient. Cette conjugaison d'une capacité à identifier les objets dans des tests d'appariement catégoriel ou fonctionnel, d'une aphasie optique, et d'une emprise du nom lorsque la reconnaissance procède verbalement serait caractéristique de la capture verbale.

De fait, on a plusieurs fois observé que les conduites d'approche du nom semblaient perturber la saisie de l'objet ou sa manipulation, que la manipulation pouvait être conforme au nom donné par le patient plutôt qu'à l'objet présenté, ou que le fait de fournir le nom approprié paraissait libérer le savoir qui lui était associé, et cela chez des sujets indemnes de tout déficit de catégorisation perceptive (Assal et Regli, 1980 ; Beauvois, Saillant, Meininger et Lhermitte, 1978 ; Manning et Campbell, 1992 ; Schnider, Benson et Scharre, 1994). En nous avançant davantage sur la voie de la spéculation, nous suggèrerions que la capture verbale dépend d'un second facteur, expliquant proprement l'emprise du nom sur l'identification visuelle ou la pantomime : les messages non verbaux inhiberaient insuffisamment le plan des associations sémantiques verbales, qui parasiteraient les processus d'identification. Ainsi, la non-reconnaissance découlerait du premier facteur, la dérive verbale du second.

Une rupture des mécanismes d'inhibition supprimerait ce bruitage de l'identification visuelle et pourrait conduire paradoxalement à un syndrome plus proche de ce qu'on qualifie ordinairement d'aphasie optique. Cette dernière hypothèse se rapproche de celle émise par certains auteurs à propos de la distinction entre agnosie associative et aphasie optique (Schnider, Benson et Scharre, 1994). D'après eux, l'agnosie associative résulterait d'une transmission lacunaire d'informations de l'hémisphère droit à l'hémisphère gauche jointe à une détérioration de l'identification visuelle opérée par l'hémisphère gauche. En revanche, l'aphasie optique serait produite par une déconnexion des deux hémisphères au niveau du splénium du corps calleux [5], de sorte que l'identification serait plus complètement effectuée par l'hémisphère droit et non parasitée par l'hémisphère gauche défectueux. Cette déconnexion améliorerait la réussite à des tâches non verbales comme la manipulation. Chez les agnosiques, le fait de procurer au patient le nom de l'objet découragerait l'usage dominant de l'hémisphère gauche et supprimerait les affabulations obervées habituellement. En ce qui concerne le cas de Monsieur Lef., le déficit a davantage le caractère d'une aphasie optique au sens classique. Or, Le Bot indique (ibid. : 181) que ce patient montre tous les signes d'une déconnexion calleuse : son trouble de la dénomination sur présentation tactile affecte la main gauche mais s'efface si les objets à dénommer sont tenus dans la main droite. Nous remarquerons cependant que le rôle du splénium demeure obscur. On a suggéré d'en faire une voie de transfert d'informations déjà catégorisées par l'hémisphère droit, peut-être une voie de transmission "sémantique" lors de la lecture, mais cette hypothèse se heurte à des contre-exemples (voir Patterson et Besner, 1984).

Comme nous l'avons déjà laissé entendre, il est possible que le fait de fournir le nom ait deux effets distincts selon les patients : celui d'encourager une stratégie de médiation verbale, ou bien de supprimer la domination de la zone défectueuse (impliquée dans les processus verbaux) sur le traitement. Il se pourrait aussi que ces deux effets correspondent à des degrés divers d'atteinte des zones du langage. En tout cas, la désorganisation des relations réciproques entre zone verbale et zone visuelle (ou tactile) apparaît distincte des pertes du savoir qui semblent le plus souvent associées à des démences et consécutives à des lésions temporales. On notera que la localisation des déficits de capture verbale est plutôt occipitale ou proche de la jonction pariéto-occipitale (ainsi que le remarque Sabouraud, ibid. : 181, qui souligne aussi l'importance de lésions en profondeur de la substance blanche). Nous aventurant encore un peu plus, nous soumettrions volontiers l'idée que la jonction pariéto-occipitale pourrait contribuer au contrôle réciproque des données visuelles et du système sémantique verbal. Cette fonction émanerait du rôle essentiel du lobe pariétal dans la synthèse simultanée d'éléments spatiaux discrets (Luria, 1970 et 1973), dans le transfert d'informations d'une modalité à l'autre (Butters et Brody, 1968), et dans l'attention supramodale (Farah, Wong, Monheit et Morrow, 1989). Nous aurons à reparler de cette hypothèse.


5.
Récapitulation

Il importe maintenant de rassembler les données que nous pouvons considérer comme acquises.

Premièrement, on peut affirmer de certaines catégories dont la connaissance est lacunaire qu'elles ont fortement tendance à être plus atteintes dans leurs traits visuels qu'associatifs.

Tel semble bien être le cas chez le patient Michelangelo de Sartori et Job (1988 ; voir aussi Sartori, Coltheart, Miozzo & Job, 1995), à condition toutefois que l'on excepte des traits perceptifs la taille, dont plusieurs indices nous laissent penser, nous l'avons vu, qu'elle pourrait être une propriété excentrique. Tel semble encore être le cas pour les patients de Basso, Capitani et Laiacona (1988), De Renzi et Lucchelli (1994), Humphreys, Riddoch et Quinlan (J. B. ; 1988), Manning et Campbell (1992), Ratcliff et Newcombe (1982; voir aussi Newcombe, Mehta & De Haan, 1989 et Young, Newcombe, Hellawell & De Haan, 1989), Silveri & Gainotti (1988), Sirigu, Duhamel et Poncet (1991). On voit que la fréquence de l'association entre la nature de la catégorie et le type d'informations affecté n'est pas négligeable. Les contre-exemples sont apparemment plus rares. Citons les patients déjà mentionnés de Chertkow, Bub et Caplan (1992) et Sheridan et Humphreys (1993), chez qui, de l'avis des auteurs, la connaissance associative des êtres vivants serait au moins aussi affectée que la connaissance perceptive de la même catégorie. Notons toutefois que dans le cas examiné par Sheridan et Humphreys, les résultats ne sont pas aussi univoques. Leur patiente, S. B., démontre certes une capacité égale à juger de la rectitude d'énoncés portant sur les traits perceptifs des objets, des animaux et des aliments, malgré la pauvreté des connaissances qu'elle a par ailleurs de ces deux dernières catégories. Mais il se pourrait que ces connaissances soient plus souvent basées sur des traits perceptifs que les auteurs ne le supposent. Ainsi, certains énoncés classés comme associatifs-verbaux et acceptés par la patiente font peut-être appel à des connaissances d'ordre perceptif ("Hamburgers are eaten raw" ou "Onions grow on trees") ; les énoncés portant sur l'apparence visuelle des aliments sont, de l'aveu des auteurs, plus aisés que les énoncés correspondants pour les autres catégories, si bien que les résultats équivalents trouvés pour tous ces types d'énoncés masqueraient en fait des lacunes égales, voire plus graves, dans la connaissance des aliments. Par conséquent, les résultats aux tests associatifs auraient pu être surestimés et les lacunes de la connaissance perceptive sous-estimées.

Autre difficulté : selon Capitani et al. (1994), si les sujets normaux n'éprouvent pas les mêmes difficultés lorsqu'ils sont confrontés aux catégories d'objets qu'à celles d'êtres animés, la nature perceptive ou associative des attributs ne semble pas avoir d'influence (on n'observe pas d'interaction entre la catégorie et la nature de la propriété) ; si les performances des cérébrolésés devaient refléter le même déséquilibre, on attendrait donc que la catégorie des êtres vivants soit touchée globalement, et non pas plus sévèrement pour les propriétés perceptives. Il est possible, néanmoins, que les propriétés perceptives soient plus vulnérables.

A ce modeste contingent de patients dont la connaissance associative de catégories à prédominance perceptive est lésée, nous pourrions ajouter le patient de Laws et al. (1995), si les contre-expérimentations de Moss et al. (1997) n'étaient pas venues inverser le sens du déséquilibre, en défaveur cette fois des propriétés perceptives des êtres vivants. Quoi qu'il en soit, s'il n'est pas constant que les catégories supposées à prédominance visuelle soient plus atteintes dans leurs propriétés visuelles, cette tendance est néanmoins forte et plaide pour une influence de la modalité des attributs sur l'organisation de la mémoire sémantique.

Deuxièmement, nous savons aussi que la saisie de la signification d'au moins certaines catégories de choses semble s'effectuer dans des régions cérébrales proches de celles qui opèrent leur traitement modal. Nous l'avons vu à propos des parties du corps. D'autres observations, reposant sur l'imagerie cérébrale, convergent vers la même idée (cf. Martin et al., 1995, 1996, où les catégories examinées sont celles des outils, des animaux, des actions et des couleurs). Ensuite, il n'existe pas, à notre connaissance, d'études établissant que les informations issues d'une modalité sensorielle seraient en quelque sorte dupliquées sous un format autre, voire unique pour toutes les modalités, ainsi que le voudrait la thèse du format amodal des traits sémantiques, défendue en philosophie par Fodor (1975). Or, une telle duplication permettrait à la fois de rendre compte d'une influence des modalités sensorielles sur le traitement sémantique et d'exclure que la mémoire sémantique elle-même ait une organisation modale. Ainsi, une atteinte sémantique (de la catégorie des êtres vivants, par exemple) empêcherait la récupération d'informations perceptives, non parce que la catégorie est construite à partir de ces informations, mais parce que ces informations se trouvent être importantes pour cette catégorie. Nous pourrions citer à la barre la patiente K.R. (Hart et Gordon, 1992) : elle peut correctement associer des parties d'animaux représentées par des dessins ; elle peut désigner une partie d'un animal sur demande orale et dénommer les parties du corps de l'animal, toujours en utilisant un matériel visuel. Enfin, elle discrimine des animaux qui sont représentés avec leur couleur réelle et des animaux dont la couleur est factice. Cependant, elle ne parvient pas à dire quelle devrait être la couleur de ces derniers. K.R. rencontre aussi beaucoup de difficultés pour répondre verbalement à des questions verbales sur les caractéristiques physiques des animaux (par exemple : "quelle est la couleur d'un éléphant?"). En revanche, elle répond correctement à des questions concernant des attributs non physiques, comme "est-ce un animal de compagnie?" ou "est-ce qu'on peut le manger?" Hart et Gordon concluent que la base de connaissances visuelles est dissociable de la base de connaissances linguistiques et que la lésion de la catégorie des animaux dans la base linguistique empêche la récupération de l'information visuelle propre à cette catégorie. Toutefois, il apparaît difficile de trancher la question de la duplication de l'information modale. Des cas tels que celui de M.P. de Beauvois et Saillant (1985), pour qui les connaissances visuelles à base verbale (permettant de répondre à "De quelle couleur est le jambon de Paris?") semblent être séparées des connaissances purement visuelles, plaident en faveur d'une non duplication des informations modales par excellence associées à une modalité donnée. Dès lors, la duplication supposée par Hart et Gordon serait attribuable au défaut d'accès à la base visuelle de connaissances à partir du mode verbal. De la sorte, nous pourrions nous dispenser de l'hypothèse de la duplication. Ce même raisonnement est également suivi par Chertkow, Bub et Caplan (1992), lorsqu'ils mettent en doute qu'on puisse trancher, à propos du cas T. O. B. de McCarthy et Warrington (1988). Chez T.O.B., les connaissances concernant les êtres animés sont lacunaires sur présentation de matériel verbal, alors que la présentation d'images suscite des réponses précises, tant lorsqu'il s'agit des caractéristiques physiques des items testés que des informations regardées comme associatives, comme le milieu où vit tel animal. Chertkow, Bub et Caplan soulignent qu'il est difficile de choisir entre une hypothèse où le système sémantique à entrée visuelle et le système verbal sont partiellement redondants, et une hypothèse limitant le déficit à une perturbation de l'accès verbal à un système sémantique unique.

Troisièmement, il semble bien que nous soyons confrontés à plusieurs types de troubles : les agnosies semblent bien constituer un groupe à part (Farah, 1990), dont nous distinguerons les troubles anomiques consistant en un manque du mot (par exemple RGB chez Hillis et Caramazza, 1995 ou MH et MW chez Poeck et Luzzatti, 1988). Ces troubles anomiques doivent à leur tour être séparés des cas de capture verbale. Enfin, un quatrième genre de syndromes regrouperait les déficits caractérisables comme une dédifférenciation des représentations mnémoniques (visuelles, tactiles, verbales et encyclopédiques…) associées à des objets, en l'absence de trouble de la construction perceptive de type agnosique ; ces troubles correspondraient à une détérioration des connaissances liées à des objets (par exemple, Basso et al., 1988 ; Bub et al., 1988 ; Hillis et Caramazza, 1991 ; Hodges et al., 1992 ; Pietrini et al., 1988). Cette classification des troubles nous permettrait d'échapper à la trilogie agnosie-aphasie-démence sémantique et de faire sa place à la capture verbale.

Prises conjointement, ces constatations nous invitent à penser que l'organisation de la mémoire sémantique subit l'influence des processus perceptifs, du moins en ce qui concerne les choses ayant une dimension sensorielle ; elles nous suggèrent aussi que ce plan des contrastes et des similarités modales doit normalement contrôler ou inhiber le plan des associations verbales (comme en fait foi le phénomène de capture verbale). Plus précisément, si nous acceptons l'idée que la zone postérieure du langage est vouée au traitement des traits distinctifs et des liens contrastifs des signes (ce que Sabouraud appelle la "capacité taxinomique"), c'est ce plan qui, dans les échecs à la dénomination par capture verbale, manque à être stabilisé par l'analyse visuelle du référent.


6.
Spéculations

Nous avons évoqué plus haut l'idée que le lobe pariétal inférieur aurait comme fonction la synthèse d'éléments discrets simultanés, cette capacité pouvant s'étendre, selon Luria, au contrôle de l'interprétation de certaines phrases. Il s'agit en l'occurrence de phrases exprimant des rapports spatialement figurables, contenant des expressions comme "… à gauche de…", "… avant…", "…plus grand que…", "le frère du père", "prendre quelque chose à quelqu'un" par opposition à "prendre quelque chose de quelqu'un". Cette fonction de contrôle de l'interprétation par la synthèse spatiale, et le rôle de superviseur intermodal que révèlerait la capture verbale pourraient être liés. Plus généralement encore, montrer que le traitement du langage implique des processus non verbaux ou est dérivé de processus non verbaux nous amène à considérer celui-ci comme une faculté partageant des ressources avec des processus s'exerçant sur un autre domaine d'entrée. En d'autres termes, nous devons envisager que le langage puisse être une faculté non cloisonnée au sens où l'entend Fodor (1986). Nous ne croyons pas mésinterpréter sa pensée en faisant de Luria un tenant du non cloisonnement des facultés cognitives. Ce non cloisonnement ouvre aussi la possibilité d'expliquer l'avènement de capacités cognitives complexes en les faisant reposer sur des systèmes fonctionnels de plus "bas niveau", c'est-à-dire plus proches de la motricité et de la perception.

Ce point de vue a une portée épistémologique. Mais avant d'espérer en convaincre le lecteur, il convient de revenir aux principes généraux de l'approche de Luria. Cette présentation nous conduira ensuite à mettre en doute certaines idées philosophiques actuelles.

Le neurologue russe considère que le langage se décompose en sous-systèmes de traitement dérivés de facultés générales. Si le domaine d'application de ces systèmes est limité, ils ont en revanche accès à des ressources qu'on peut caractériser, jusqu'à un certain point, de manière non spécifique. Luria présente ainsi sa conception personnelle :

Instead of conceptions of "centers" for complex psychic processes there arise the concepts of dynamic structures or constellations of cerebral zones, each of which comprises part of the cortical portion of a given analyzer and preserves its specific function, while participating in its own way in the organization of one or another form of activity. (1970 : 20)

Selon Luria, qui reprend là des idées avancées par Pavlov, cette vicariance des systèmes est un moyen pour l'organisme de s'adapter à un environnement labile, par un processus d'analyse des signaux. Celui-ci extrait des invariants de plus en plus complexes, par sa capacité même à répondre à des stimuli toujours plus mobiles et variés.

Or, il nous semble que ces thèses rendent caducs certains problèmes philosophiques en vogue. Pour exposer aussi clairement que possible l'un de ces enjeux, nous ne pourrons mieux faire que de citer l'introduction au fonctionnalisme due à Pacherie (1995 : 23) :

…le fonctionnalisme classique, qui se veut compatible avec le physicalisme, adhère d'une part à la thèse de la multiréalisabilité physique des états mentaux et d'autre part à un principe d'interaction causale selon lequel seules des entités peuvent exercer une action causale. Il en découle que les propriétés mentales et notamment les propriétés intentionnelles apparaissent comme des propriétés (physiques) de second-ordre consistant dans le fait de posséder des propriétés (physiques) de premier ordre qui ont des relations entre elles. On peut se demander si ces propriétés de second ordre peuvent véritablement jouer par elles-mêmes un rôle causal. Le problème est donc d'échapper à l'épiphénoménalisme en montrant comment les contenus mentaux peuvent avoir une efficacité causale.

Selon le point de vue adopté ici, c'est là renverser l'ordre des choses. En effet, les "contenus" mentaux sont construits de manière causale par des systèmes fonctionnels. L'extraction d'invariants de degré supérieur s'effectue ainsi. Nous ne devons donc pas penser comme si nous disposions de "contenus" à implémenter dans un système biologique parvenu à maturation. Au contraire, nous n'avons accès à ces "contenus" que parce que ce système biologique est parvenu à maturation. Encore le terme de "contenu" paraît-il inadéquat. Au lieu d'activation de contenus, nous préfèrerions parler de processus de recherche sensibles au contexte et opérant selon de multiples dimensions : comprendre le contenu du terme "oiseau" serait avoir la capacité de procéder à des différenciations et associations multiples, allant d'une image mentale variable selon les contextes, à la recatégorisation de membres de la catégorie, toujours selon le contexte (l'activation des liens avec la représentation lexicale "ortolan" replaçant le terme dans la série des "produits de luxe"). Ces processus de recherche opèrent donc le long de voies frayées lors de la construction des représentations qui nous servent à identifier un contenu (comme par exemple les représentations lexicales). Le phénomène des dissociations catégorielles fait précisément apparaître comment pourraient être construites ces représentations exploitées dans des tâches sémantiques.

L'approche défendue ici rend également inoffensif un problème propre aux théories prônant un langage amodal de la pensée. Ce problème a été bien résumé par Fodor (1975 : 63-64) :

Apprendre une langue (y compris, bien sûr, une première langue) entraîne que l'on apprenne ce que les prédicats de la langue signifient. Apprendre ce que les prédicats d'une langue signifient entraîne que l'on apprenne à déterminer l'extension de ces prédicats. Apprendre à déterminer l'extension de ces prédicats entraîne que l'on apprenne qu'ils tombent sous certaines règles (c'est-à-dire des règles vériconditionnelles). Mais on ne peut pas apprendre que P tombe sous R si on ne dispose pas d'un langage dans lequel P et R peuvent être représentés. En particulier, on ne peut pas apprendre une langue à moins d'avoir déjà un système capable de représenter les prédicats de ce langage et leurs extensions.

Cette conception a une conséquence très importante : si les capacités représentatives de l'organisme qui apprend doivent contenir les traits fondamentaux qui permettront d'acquérir des concepts, les concepts acquis n'enrichissent pas les capacités représentatives déjà possédées (de manière innée) : nous ne pouvons, dit ailleurs Fodor, acquérir de systèmes conceptuels plus puissants que ceux que nous possédons déjà (Piatelli-Palmarini, 1979 : 219sqq). Cette thèse est directement contraire aux théories de l'apprentissage qui concluent à l'existence de stades au cours desquels l'enfant accroît, selon l'expression de Fodor, "le pouvoir expressif de ses systèmes conceptuels". En particulier, cette thèse s'oppose aux idées de Piaget sur l'apprentissage.

Le processus d'acquisition est conçu par Fodor comme une maturation des capacités représentatives, éventuellement déclenchée par des stimulations de l'environnement. Or, il conçoit les structures porteuses de la signification comme des symboles prédicatifs, un langage interne de la pensée. Une telle restriction des processus engagés dans des tâches sémantiques à un seul format est à notre avis une thèse qu'on ne peut soutenir. Si la synthèse d'éléments discrets simultanés sert à interpréter des expressions comme "le frère du père de Jean", mais à un niveau plus abstrait, nous entrevoyons comment l'application de capacités modales (ici visuelles, ou visuo-tactiles) sur un matériel verbal peut permettre le traitement sémantique de structures complexes. Autrement dit, les interactions entre représentations de formats différents ne comportent pas les limitations d'un code amodal de type symbolique. Elles constitueraient ainsi le ressort essentiel de l'enrichissement des capacités d'analyse conceptuelle.


7. Conclusion

La localisation des catégories semble plaider pour une organisation de celles-ci en fonction des processus servant à les traiter. La connaissance des êtres dont l'identification repose sur le traitement de la forme (les animaux) est apparemment localisée dans la région temporale postérieure, et l'on sait par ailleurs que la région inféro-temporale participe au traitement de la forme (et des couleurs). D'autres catégories, comme celle des parties du corps et peut-être celle des objets manipulables, sont manifestement représentées dans la région pariétale.

Il demeure difficile de caractériser les traits qui justifieraient que telle catégorie soit associée à telle zone. La raison en est que les connaissances que nous avons des fonctions cérébrales nous sert à déterminer les traits présidant à l'organisation des catégories ; or, cette connaissance demeure vague. En outre, les catégories sont définies de manière lâche et intuitive, et respectent les articulations de taxinomies spontanées plutôt que les régularités culturelles auxquelles sont exposées les sujets : manteau de fourrure, caviar et Rolls-Royce relèvent de trois catégories du point de vue classique, mais de l'unique classe, culturellement marquée, des produits de luxe. Il est clair que ce genre de préjugé favorise l'idée que la structure des catégories est fortement liée aux traitements opérant l'identification des référents dans le monde réel, plutôt qu'à des classifications culturelles. De plus, elle incite à concevoir le langage comme une capacité non cloisonnée (au sens où l'entend Fodor, 1986), c'est-à-dire exploitant les ressources de systèmes de traitement opérant sur d'autres entrées.

Quoi qu'il en soit, nous accepterons l'idée selon laquelle l'organisation de la mémoire sémantique subit l'influence des processus perceptifs, du moins en ce qui concerne les choses ayant une dimension sensorielle, et l'idée que ce plan des similarités modales doit être inhibé par, et inhiber à son tour le plan des associations et contrastes verbaux.

Nous situant ainsi dans le sillage de Luria, nous avons tenu à signaler les conséquences philosophiques que pouvait avoir notre position. Non que nous ayons la prétention d'introduire à une théorie de l'esprit, mais au contraire parce que nous croyons nécessaire de donner aussi souvent que possible un contenu empirique aux controverses théoriques. Il est devenu indispensable aujourd'hui de favoriser de telles allées et venues, étant donné la segmentation disciplinaire des travaux qui portent sur les questions dont nous avons traité ici. En témoignerait d'ailleurs l'absence de la psychologie dans le présent article. Pourtant, les travaux psychologiques sur les catégories et le format des représentations dites "sémantiques" sont nombreux. Mais ils se sont développés presque sans contact avec la neuropsychologie. C'est pourquoi nous manquons encore d'une synthèse sur la notion cruciale de "représentation sémantique (a)modale" qui inclurait études psychologiques et neuropsychologiques.

N'ayant guère abordé le problème sous l'angle psychologique, nous n'avons qu'effleuré la question du format. On pourra nous reprocher cette omission, mais pour notre défense, nous soulignerons que malgré son lien étroit avec notre sujet, cette question relève bien d'une approche distincte et ne doit pas être confondue avec celle de l'organisation des informations à contenu modal. L'existence de représentations de format modal exploitées au niveau sémantique peut être mise en évidence si la modalité de présentation (par exemple verbale ou figurative) d'une tâche a un effet sur le traitement sémantique des stimuli, à l'exclusion de toute influence de bas niveau. Or, ce genre de démonstration est, à notre avis, plus du ressort de la psychologie (chronométrique) que de la neuropsychologie. Les tentatives faites à ce jour méritent un examen, qui constituerait le second volet de cette synthèse que nous appelons de nos vœux.


NOTES

[1]Dans la suite, nous appellerons "modalité visuelle", "modalité tactile" etc. ce qui est propre au traitement visuel, tactile… de matériel non verbal. Nous considèrerons que le langage est une modalité d'appréhension, que celle-ci s'effectue par la vision (l'écrit) ou l'audition.

[2]Dans la pratique, propriétés fonctionnelles et propriétés associatives ne sont guère distinguées au point de vue théorique et sont confondues en une seule classe dans l'analyse des données. Nous reviendrons sur ce point.

[3]Nous traitons ici des phénomènes pathologiques consécutifs à une lésion du cerveau. Nous ne parlerons pas, parce que nous ne les connaissons guère, d'associations ou de dissociations homologues dans d'autres pathologies. Cependant, nous sommes tombés par hasard sur la mention d'un schizophrène qui, invité à produire des noms d'animaux dans une tâche de fluence catégorielle, laissait s'introduire des noms d'aliments dans la liste qu'il dressait spontanément (Frith, 1996 : 72). Le lecteur plus versé que nous dans ces matières aura là l'occasion d'exercer sa perspicacité.

[4]Inspiré de l'Aufforderungscharacter de Kurt Lewin, ce terme renvoie aux possibilités d'action qu'ouvre ou rend disponibles ("affords") la simple conformation d'un objet. Il s'agit d'une structure invariante de la perception, structure elle-même basée sur des invariants (la forme générale de boîte aux lettres est une forme constituée d'invariants, tels qu'une fente, un contenant etc… et spécifie le geste à effectuer). L'affordance est donc un invariant d'invariants et, selon Gibson, directement interprétable par la perception. Ainsi, une boîte aux lettres n'est pas plus le support d'inférences que la relation d'occlusion entre deux objets ou le repérage d'un trou sur une surface (1979 : ch. 8).

[5]Le corps calleux est la principale voie de passage des fibres joignant les deux hémisphères. Le splénium en est la partie postérieure.


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©  mars 2004 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique :  FORTIS, Jean-Michel. La réalité cérébrale  des catégories sémantiques. Texto ! mars 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Fortis_Realite.html>. (Consultée le ...).