LA DISPOSITION AU SENS D'UNE ANECDOTE RABELAISIENNE (Quart Livre, LXVII)
1. Maistre François Villon, ou la construction d’une auctoritas par le jeu des voix

Pierre Johan LAFFITTE
École normale supérieure

Ma dernière parole soit
Quelques vers de Maître François

Brassens, Le Moyenâgeux

La toute dernière anecdote du Quart Livre [1] , livrée au ch.LXVII, met en scène Maistre François Villon à la cour du roi d’Angleterre Edouart le quint. Ce dernier est à la selle, faisant face aux Armoiries de France, placées dans ce retraict, à son avis, pour être ridiculisées. Villon, lui, va défendre la thèse inverse selon laquelle c’est le médecin Linacer qui, afin de purger le roi, a mis en place ce dispositif destiné à lui faire peur et fienter « comme dixhuyct Bonases de Paeonie ». Il s’agit de la récriture d’une anecdote du XIIIe siècle qui mettait en scène le jongleur Hugues le Noir. Cette brève anecdote pose problème de par son contenu et sa situation. Pourquoi convoquer ce roi-là ? Pourquoi, de plus, faire revenir Villon, alors que nous l’avons déjà rencontré au ch. XIII ? Bref, comment comprendre sa place, qui clôt la série des textes annexes au récit principal, et lui confère ainsi une importance particulière ? L’hypothèse partielle, proposée ici en réponse à ce problème va tenter de resituer cette anecdote dans différents contextes : autres épisodes du récit, paratexte de L’Epistre liminaire et du Prologue, jeu entre les deux éditions du Quart Livre de 1548 et 1552, et enfin, éléments d’actualité (politique, poétique et biographique).

Les deux axes de ma réflexion seront les suivants. D’un point de vue interprétatif, je m’attacherai à étudier la construction d’une image de l’auctoritas à laquelle l’auteur rattache son Livre, et qui apparaît, entre autres, à travers des situations dans lesquelles nous retrouvons Villon. D’un point de vue méthodologique, cela d’une part impliquera de mettre en lumière la façon dont cette anecdote est liée à son contexte par des jeux de voix (celles de l’auteur, du narrateur principal et de personnages de la fiction, toutes semblant se faire écho), et comment ces voix prennent en charge l’énonciation des différents discours entendus dans ces quelques lignes ; ce qui, d’autre part, permettra d’éviter de plaquer sur cette anecdote des données, textuelles ou extra-textuelles, en en faisant des arguments d’autorité au service de ma propre interprétation, plutôt que des éléments participant du sens du texte.

En effet, je ne vais pas tant chercher à être convainquant qu’à comprendre comment a pu naître ma conviction ; comment s’est construite une lecture parmi d’autres, et à partir d’autres lectures — bref, comment une interprétation peut naître d’une certaine disposition au sens du texte. Car il ne faudrait pas confondre ce que peut signifier le texte de l’anecdote et la façon dont il le signifie. La première chose est sa signification, l’objet de chacune de ses interprétations, dont la mienne (laquelle ne viendra qu’au terme de « l’arc herméneutique » dessiné par cet article). La seconde est son sens, la gestion de la diversité des dimensions qu’il convoque et qui inversement le font entrer dans des relations avec d’autres sphères, d’autres textes. Pour le dire vite, le sens d’un texte n’est pas ce qui le rattache à une interprétation (et bien souvent l’y attache…), mais ce qui l’ouvre à la possibilité d’être reçu, lu ou interprété : c’est le fonctionnement de sa complexité propre. Je voudrais ici m’intéresser à l’un des aspects de cette complexité : la gestion du sens par l’intégration au sein de sphères de voix de plusieurs moments du Livre liés à notre anecdote, par le jeu de ces sphères entre elles, et par les effets qui en découlent au sein de l’espace restreint de nos quelques lignes à la cour d’Angleterre. J’entends par « sphère de voix » l’espace narratif ou discursif sur lequel s’étend le pouvoir organisateur d’une voix du texte, que ce soit celle de l’auteur, du narrateur, ou d’un personnage.

1. À qui ressemble Villon ?

Tous, à commencer par Pierre Champion, font entrer l’évocation rabelaisienne de Villon dans la tradition très répandue du « bon follastre » héritée du recueil des Repues franches de Maistre Françoys Villon et ses compaignons [2]. Il ne semble échapper à cette image que pour être vu, pire, comme « Villon le jargonneur, un type odieux aux amateurs de langue pure, à la génération humaniste et italianisante de la première partie du XVIe siècle [3]. » C’est pourquoi Jean Dufournet présente Marot [4] comme l’exception en son siècle, qui rendit hommage au poète à l’orée de son édition des œuvres de Villon. Selon G. Colletet [5] , seuls François Ier, Marot, Pasquier [6] , Vauquelin de la Fresnaye, Rabelais, et André du Chesne pourraient être à cette époque comptés comme amateurs de Villon, que l’auteur juge lui-même négativement. On réduit le plus grand poète du XVe siècle aux sous-emplois dans lesquels le cantonne sa « légende ». À ce titre, l’anecdote des Armoiries semble même à Champion atteindre des sommets d’inintérêt [7] !

Deux remarques cependant. D’une part, Villon est l’un des rares poètes contemporains à être aussi abondamment et ouvertement évoqué, et parodié par Rabelais— et à ma connaissance le seul à être cité dans toute l’œuvre rabelaisienne. Dans l’anecdote, il est tout naturel que Villon, devenu le type du poète mauvais garçon, vienne rajeunir une histoire vieille de trois siècles, et remplace un jongleur dans une scène de courtisan Fou du roi [8]. Qui plus est, apparaître dans une scène scatologique pour révéler une vérité cachée, assombrie par la présence de la mort (dans le passage en vers qui reprend ceux du Quatrain que fit Villon quand il fut jugé à mourir), voilà qui correspond tout à fait à la poésie villonesque. D’autre part, après la farce de meserre Pantolfe, présentée comme premier exemple de la vertu de purge de la peur, et qui occupe la première partie de notre excursus, le narrateur Alcofrybas Nasier passe à une anecdote historique, avec non plus les personnages bas d’une nouvelle bourgeoise, mais des êtres ayant existé. Rabelais joue bien sûr de cette pseudo-réalité, et nos deux exemples historiques se révèlent eux aussi des personnages de farce. Dans cette écriture « à cheval » sur deux registres, où le haut et le bas se rejoignent comme dans sa poésie, Villon est convoqué à titre d’imago de l’homme de lettres. Dans ces conditions, si Rabelais fait soutenir à Villon des thèses que le bon Maistre n’eût sans doute jamais pu tenir, est-ce seulement parce que ce sont des propos de corps de garde et d’hôpital ? Villon ne pourrait-il pas être utilisé à titre d’exemple, incarnant par sa seule présence plusieurs problématiques, du poétique au sémiologique, du politique au religieux ? C’est là que la question : « À qui ressemble Villon ? » dépend de celle-ci : « Qui, et que rassemble-t-il ? »

Villon est en effet une figure dont la dimension plurielle se construit tout au long du roman. Il apparaît déjà au ch.XIII : Comment à l’exemple de maistre François Villon, le seigneur de Basché loue ses gens, qui fait partie de la « tragi-comédie de Basché », elle-même au cœur de l’épisode des Chiquanous, et dont la narration est menée par Panurge. Sa présence n’est pas forcément toujours prise en charge par la même voix (Panurge dans le cas du chapitre XIII, Alcofrybas Nasier dans l’autre), ni annexée au même type de réflexion. Il s’agit donc de voir comment cet Exemple arrive à garder son unité dans la diversité des situations qui l’actualisent et le convoque chaque fois comme image unificatrice, et inversement, comment il arrive à contenir en lui des schèmes mettant en liaison le divers qu’il convoque.


2. Les deux apparitions de Villon dans le Livre

2.1. Villon, du ch. XIII au ch. LXVII

Dans les deux cas, il est « Maistre » Villon. Il reste un Exemple dont l’action reste structurellement la même, tant dans le contenu fictionnel des anecdotes, que dans leur insertion au sein du récit. Dans les deux épisodes, le dire poétique de Villon déborde de son aire de discours, comme un flot qui envahit les niveaux non étanches des autres voix qui l’enserrent. En effet, selon un principe de propagation qui n’est pas sans rappeler la parabole des anneaux aimantés par la pierre de Magnésie de l’Ion, il parle, et sa parole fait effet à divers niveaux narratifs. En XIII, dès qu’il voit arriver Tappecoue, il s’adresse à ses “ Diables ” en vers macaroniques, ce qui déclenche la peur de la jument et la punition du frère ; puis sur son exemple (comme le souligne le titre du chapitre), Basché pousse ses gens à l’action. Le même dispositif se retrouve en LXVII. Ses vers sont au cœur de sa parole abondante qui tient lieu de matière à la quasi-totalité de l’anecdote, laquelle est étroitement liée elle-même au thème du ch.LXVII, cette vertu de purge de la peur que le poète explique en interprétant la réaction d’Edouart. Sans compter qu’à la suite de son déversement poétique mimétique de la merde du roi, nous avons un brusque retour au niveau de narration supérieur : Frère Jan, estouppant son nez avecques la main gausche, avecques le doigt indice de la dextre monstroit à Pantagruel la chemise de Panurge : il montre la chemise de Panurge, mais le dégoût peut tout aussi bien référer à l’abondance qui le précède immédiatement [9]. Depuis sa place, Villon semble être le Maistre qui autorise toute sorte de voix et de gestes.

On observe néanmoins une différence de fonctionnement entre les deux scènes. Dans la sphère de narration assumée par Panurge, la parole de Villon déclenche une sortie et un étalement de viscères, et se met au service d’une action morbide : placée au centre des regards, sa seule fonction d’exemple risque d’être mésinterprétée. Dans la sphère du narrateur principal, Villon est légèrement décalé. Il est au premier plan de la saynète certes, mais pas au centre : il regarde une mise en scène, puis ces armoiries qui, « au centre de la conversation », vont déclencher la purge. De plus, il maîtrise lui-même sa propre mise en scène : aucune indication n’est donnée quant à sa présence, hormis dans le portrait qu’il fait de lui-même dans les quatre vers, en pendu — tel qu’en sa légende. Enfin, Villon n’est plus l’exemple regardé et imité, mais celui qui, en marge du récit, va donner une leçon d’observation et d’interprétation, et éclairer l’ensemble du chapitre sans que quiconque ne mésuse de ses paroles au sein du récit principal.

2.2. Villon dans la sphère de voix de Panurge

Au ch.XIII, Villon est en effet le protagoniste d’une histoire bancale, tant dans sa construction que dans son éthique. Il est intégré au discours de la vengeance du corps social envers ses parasites : mis en scène punissant un moine cordelier avare, son exemple va entrer dans le projet de punition de cet autre parasite qu’est le Chiquanous — en fait une caricature de l’homme de Loi, qui « cherche chicane » juridique. Or l’énonciation de ce moment du Quart Livre est prise en charge par Panurge. Dans l’ensemble de cette première partie du Quart Livre, l’épisode des Chiquanous appartient lui-même à la ligne thématique de l’aurea mediocritas, ligne de réflexion traditionnelle fortement présente dans tout l’ouvrage. Celle-ci débute dès le Prologue de l’Autheur, par l’Apologue de Couillatris [10]. Elle passe ensuite en particulier par le fameux épisode des Moutons, lui aussi lié à Panurge. Une telle suite nous propose ainsi trois figures de vengeurs : Mercure, Panurge, Villon. L’apologue du Prologue met en scène Couillatris ayant perdu sa cognée et se la faisant rendre par les Dieux qui le récompensent après avoir vérifié sa probité, puis punissent ceux qui révèlent leur appât du gain ; Mercure est chargé de trancher la tête des personnages n’obéissant pas au principe de l’aurea mediocritas. Dans les ch.V à VIII, Panurge punit le marchand qui veut tirer un profit excessif de la vente d’un mouton. Avec Villon enfin, le Frère Tappecoue est pareillement puni de son avarice.

Dans les deux derniers cas, une coïncidence est à noter. Les actes de Panurge et de Villon entraînent un mouvement de déversement surabondant, et l’on se demande s’il est vraiment maîtrisé par les juges auto-proclamés. La plongée généralisée des moutons entraîne celle des bergers, et passe de loin la limite de la punition adéquate. L’étalement des tripes de Tappecoue le long de la route que parcourt, de peur, sa jument, lui fait étrangement écho. Ces punitions passent par une « abondance » toute négative et mortifère. Pantagruel reste dubitatif à la fin de l’épisode des Chiquanous — « Ceste narration, dist Pantagruel, sembleroit joyeuse, ne feust que davant nos oeilz fault la craincte de Dieu continuellement avoir [11]. » Panurge n’est-il justement pas celui qui se substitue à Dieu et décide de la mort ou de la vie du fauteur ? Sur le plan éthique (et non pour une question de « convenances »), il tombe dans l’excès. Or la signification de la présence de Villon, qui n’existe ici que par les paroles et les intentions de Panurge, est prisonnière sa sphère énonciative.

Trois conditions doivent être remplies pour que Villon, tel que nous allons le retrouver en LXVII, ne connaisse plus cette nocive dépendance à la sphère de Panurge.

2.3. La sortie de la sphère de voix de Panurge

a. La possible sortie de Villon

La première condition est que le personnage de Villon ne soit pas annexé par le seul discours panurgéen. Or ultimement, il n’est pas sous le signe de Panurge. On l’a vu, dans cette ligne thématique de l’aurea mediocritas, il est aussi lié au personnage de Mercure, lequel n’est en rien limité à la vision du monde de Panurge. Chronologiquement, ce serait plutôt l’inverse : Panurge serait un lecteur excessif de l’Apologue de Couillatris.

Or, qui est Mercure ? Interprète des autres dieux, il fait le lien entre le divin et les hommes, et donne à Couillatris à la fois sa cognée et la raison pour laquelle il en est ainsi. À sa façon, Villon ne fera pas autre chose avec Edouart : délivrer une vérité acquise dans « un autre monde [12] ». Mercure est également dieu de l’éloquence. Celle-ci est caractéristique du Villon du ch.LXVII, qui doit jongler avec trois impératifs de parole : ironie interprétative, rhétorique courtisane calquée sur l’impertinence du fou, et création poétique. Enfin, Mercure est dieu des voleurs…

Ainsi Villon peut-il sortir de la seule sphère de Panurge, et se rattacher à la voix du Prologue  : celle de l’Autheur. Mais ceci n’est qu’une possibilité offerte par le texte. Pour que cette « sortie » de la sphère de Panurge puisse effectivement profiter à sa seconde apparition au ch.LXVII, encore faut-il que d’autres conditions soient remplies.

b. Le redéploiement du récit et du sens

La deuxième condition consiste à établir que le récit se dégage, à son tour, de la puissance « philaute » (qui ne pense qu’à elle-même, et reste donc aveugle sur l’essentiel) de la voix de Panurge, et s’ouvre à nouvelles possibilités de sens.

Penchons-nous sur l’autre grande caractéristique commune aux passages des Moutons et de Frère Tappecoue : le caractère très théâtral des punitions, actes à dimension sociale visant à être vus et médités. Dans les deux cas, des spectateurs sont conviés à tirer la leçon d’une farce se déroulant sur le pont sous les yeux des passagers, ou d’une anecdote racontée par Basché à son assistance. Mais l’utilisation par les vengeurs autoproclamés de la distance entre le spectacle et les spectateurs connaît une perversion, ce qui entraîne des retombées sur le contenu de la « morale ». Après tout en effet, qu’apporte à Villon la mort de Tappecoue, aura-t-il ses habits pour autant ? Une vengeance qui ne laisse aucune chance de rédemption est sans valeur : le mal n’est pas justifié par un quelconque bien acquis. Est-il dès lors anodin qu’au niveau supérieur du récit principal, l’un des compagnons de Panurge, Epistémon, relève une erreur de « scénario » : « Meilleure, dist Epistemon, seroit, si la pluie de ces jeunes guanteletz feust sus le gras Prieur tombée [13] » ? La morale de l’apologue proposé par Basché fut mal tirée, ce qui revient à faire de l’ensemble de la narration de Panurge un mauvais exemple. Quant à la bonne farce proposée par ce dernier à ses compagnons sur le bateau aux détriments des bergers, un vice de forme s’y glisse. À qui Panurge annonce-t-il son projet ? À ses amis. Et à la fin, à qui adresse-t-il la morale de sa farce ? Aux marchands en train de se noyer. Panurge n’a pas seulement rusé, il a triché. Là où il prétendait se servir d’un appareil théâtral impliquant une distance entre personnages fictifs et destinataires, il change son « schéma actantiel » et piège ces destinataires en en faisant les victimes d’une fiction au sein de laquelle ils ne se savaient pas destinés à embarquer… et à débarquer.

Mais « l’ironie du destin » va retourner ce scénario contre notre moralisateur. Panurge a en effet mis en place un système où les acteurs doivent eux-mêmes tirer la leçon de la comédie avant son achèvement, sous peine de la voir se finir en tragédie. Or, ce danger d’être débarqué avant terme, n’est-ce pas ce qui va s’abattre sur la Thalamège et ses passagers quelques chapitres plus loin, durant la tempête où tous risquent la mort ? Lors de cette épreuve de Dieu, Panurge va faire preuve de sa couardise habituelle ; il ne balbutiera plus que de fausses paroles d’impuissance, elles qui s’étaient voulues des glaives. Or, que va-t-il ensuite se passer ? L’arrivée à l’île des Macraeons marque une radicalisation du rapport de nos personnages aux signes [14]. Non seulement leur bouffonne manipulation par Panurge cessera d’être nuisible, mais Pantagruel redressera le projet de la compagnie, en le définissant à la demande de leur hôte Macrobe :

Dans cette phrase attribuée à Pantagruel, mais dont l’absence de guillemets et le style indirect libre laissent la propriété énonciative au narrateur principal, et peut ainsi concerner le récit dans sa globalité, le nom de Panurge est évincé. Dès lors le projet, devenu celui de la compaignie dans son ensemble, est réorienté vers un constat d’humilité tel que va le mettre immédiatement en valeur l’évocation émue de la mort du Grand Pan. C’est à l’occasion de cet épisode que le récit rabat les tentatives d’explication des « choses admirables » par les pèlerins sur l’horizon immanent de leur voyage et de leur condition. Ils vont suivre le conseil que leur donnent les Comètes : « Homes mortelz si de cestes heureuses ames voulez chose aulcune sçavoir, apprandre, entendre, congnoistre, preveoir (…), faictez diligence de vous representer à elles, et d’elles response avoir. Car la fin et catastrophe de la comoedie approche. Icelle passée, en vain vous les regretterez [16]. » La seconde phrase reprend précisément le scénario mis en place par Panurge, sauf que tout ceci n’est plus annexé par sa sphère narrative, puisque l’on retrouve exactement dans la première phrase les verbes qui redéfinissaient le projet de la compaignie. Tout s’est déplacé dans la sphère de voix de Pantagruel, d’Epistémon et d’Alcofrybas, qui aboutit à l’expression de la sagesse de l’aurea mediocritas, mais dans sa version « herméneutique », cette fois.

Voilà donc Villon et le récit tous deux « sortis » de la sphère de voix de Panurge. Tous deux par un changement dans les jeux d’intégration à ces sphères, lequel ne s’est négocié par rien d’autre que par des déplacements, immanents au récit, de contenus pourtant toujours identiques. L’idée de départ reste inchangée, pourtant une nouvelle configuration de sens apparaît. Le personnage et l’action de Villon peuvent désormais garder les mêmes caractéristiques dans les deux anecdotes, sans être mises en perspective de la même façon ; le thème de l’aurea mediocritas ne se retrouve pas que dans la sphère de voix ou d’action de Panurge, et n’est pas condamné à rester sous le signe de la philautie peureuse. Le texte reste un dans sa pluralité, et progresse. Et en ce qui concerne l’objet bien localisé de cet article, rien ne l’empêche à présent de se diriger jusqu’à l’anecdote du ch.LXVII.

Si l’on veut rendre compte des changements et des permanences notés quant aux retours de Villon à l’intérieur du Livre, le texte doit cependant remplir une dernière condition. L’anecdote de LXVII doit à présent « récupérer » ce Villon sorti d’affaire grâce à Mercure, mais au prix d’un exil du récit : ses vertus mercuriennes le situent à présent dans la sphère de voix de l’Autheur, a priori totalement séparée de celle d’Alcofrybas et de son récit. Il faut donc que Villon réintègre le récit ; autour de ce personnage et de l’anecdote du dernier chapitre, un lien entre voix d’auteur et voix de narrateur doit être établi.


3.
Voix d’auteur et voix de narrateur, ou la construction d’une double auctoritas

Les enjeux de publication en 1552 ne sont plus les mêmes qu’au moment de la parution du Pantagruel ou du Gargantua  : alors, c’étaient des livres que l’on condamnait pour les opinions religieuses et autres ; depuis, ce sont carrément leurs auteurs. Les affres de Marot, son compagnon en Réforme qui mourra en exil, sont là pour le rappeler à Rabelais. Une politique d’édition doit donc être mise en place afin d’éviter les effets néfastes d’un interdit officiel. La violence du Prologue de 1548 fait place, dans l’édition de 1552, à un double texte : une épître liminaire adressée à Monseigneur Odet de Chatillon, auprès de qui Rabelais va chercher protection après la mort de son précédent protecteur, le Cardinal du Bellay, et un Prologue dont on a déjà parlé, et dans lequel se réfugie la veine satirique du Prologue de la première édition.

Or, cet enjeu va trouver des échos dans le jeu textuel qui se tisse aux alentours de notre anecdote. Non que celle-ci soit le pur décalque de cette situation, et encore moins sa traduction. Mais elle participe d’une stratégie discursive au sens propre du terme. Le texte construit des relations entre différentes sphères de voix, différents thèmes, mais il ne fait pas en cela que s’élaborer comme un pur jeu ; il entre vraiment dans une réflexion construite et assumée, donc dans un discours. Il ne se limite plus au seul récit, et le niveau d’intégration auquel rattacher la voix qui parle dans notre anecdote dépasse le seul Alcofrybas. C’est ce que l’on va voir immédiatement ; on verra ensuite ce que cette réflexion peut avoir d’efficace et d’échos « hors du texte », dans la situation historique même du Livre et de son auteur.

3.1. La construction de la double autorité médicale et poétique

En tant qu’exemple, le personnage de Villon ne fait pas que connoter des motifs idéologiques bruts et immédiatement captés du monde politique extérieur ; il convoque discrètement des modèles identificatoires qui peuvent aider à la construction synthétique d’une figure d’auteur, cette image de soi à laquelle l’écrivain a plus que jamais besoin de rapporter son œuvre pour la protéger. Et c’est à ce niveau que le couple Linacer [17] /Villon, encerclant le Roi, fonctionne de manière indissociable. À travers eux va se dessiner une doubleauctoritas, médicale et poétique, à cheval sur les deux praxis correspondant à la personne historique de Rabelais. Mais une telle image est loin de n’être qu’un reflet allusif et perdu dans le foisonnement du récit, sans quoi elle ne fonderait rien ; elle tisse des liens étroits avec l’un des deux lieux où parle l’auteur : l’Epistre liminaire À tresillustre prince, et reverendissime mon seigneur Odet cardinal de Chastillon.

L’auteur y parle de l’importance du jeu et de l’apparence du médecin qui éteignent l’inquiétude et l’hostilité du patient à son égard, et augmentent ainsi ses chances de guérir. Rabelais commence par affirmer l’effet calmant de ses « mythologies Pantagruéliques » : « plusieurs gens languoureux, malades, ou autrement faschez et desolez  avoient à la lecture d’icelles trompé leurs ennuictz, temps joyeusement passé, et repceu alaigresse et consolation nouvelle [18]. » En un mot, l’auteur n’a que l’intention « par escript donner ce peu de soulaigement (…) es presens qui soy aident de [son] art et service [19]. » Les écrits sont bien des adjuvants à la pratique médicale, l’efficacité poétique permettant de guérir par l’émotion. Pensons, dans le cadre de notre anecdote, à la puissante évidence des Armoiries qui agissent immédiatement sur l’ensemble de l’être en émouvant de concert tripes et esprit [20]. Mal ou bien interprétée, par Edouart ou par Villon, la force de l’image mène au même résultat : la défécation. À l’Epistre de fonder une telle thèse.

Pour ce faire, la suite de cette Epistre éclaircit le véritable rapport entre efficacité poétique et efficacité médicale, et définit les incursions de la première dans le champ de la seconde. Afin d’appuyer son discours prônant pour le médecin la nécessité de plaire, l’auteur convoque en effet les autorités antiques d’Hippocrate et de Galien. Or cette convocation des deux médecins par un autre finira par la remarque suivante : « Defaict, la practique de Medicine bien proprement est par Hippocrates comparée à un combat, et farce jouée à trois personnages : le malade, le medicin, la maladie [21]. » On retrouve ici, thématisée et affirmée, la trinité de l’anecdote du ch. LXVII : le malade Edouart, Linacer, et son combat contre la constipation, utilisant la mise en scène des Armoiries dans le réduit pour disposer Edouart à la cure. Du médical galénique on retombe dans le poétique le plus franc [22]. Un maître en médecine vient reconnaître la valeur du poétique, et ainsi fonder la thèse dont Rabelais a besoin. Comme l’auteur l’avait affirmé plus haut, cette similitude fait bien du recours au spectacle un outil pour la médecine.

Mais si les deux textes en restaient là, nous n’aurions finalement là qu’une juxtaposition des deux praxis, médicale et poétique, une simple comparaison, et non une liaison.

Le médecin doit se faire acteur et plaire s’il veut réussir dans sa pratique et émouvoir [23] l’autre dans son corps.Placere et movere  : on retrouve deux termes de la trilogie oratoire cicéronienne. L’adjonction du troisième terme, docere (lié à la sagesse, son savoir et sa transmission) permettrait à la praxis du médecin-acteur de rejoindre celle de l’Orator, homme modèle, et d’unifier ainsi le domaine sur lequel se déploient les pratiques de Rabelais. C’est là que nous pouvons faire retour à notre anecdote. Car que fait Villon, sinon compléter par son propre discours édifiant le tableau qu’il a commencé de brosser en évoquant le traitement conçu par Linacer ? À la praxis du technicien-acteur succède la leçon d’un Maistre en poièsis. Le docere vient par lui s’adjoindre au movere et au placere. « Il (…) vous a faict icy aptement, non ailleurs, paindre les armes de France, par singuliaire et vertueuse providence » (je souligne)  : le maître de la sphère poétique reconnaît un autre maître dans la sphère médicale. Nous aboutissons à une figure double de l’auctoritas, l’exact symétrique de l’apparition d’Hippocrate dans le Prologue, sauf qu’à présent il y a conjonction des deux praxis, et non plus simple comparaison. Mais cette figure n’existe pour l’instant que dans l’anecdote, et n’appartient à ce titre qu’à la sphère de voix du narrateur : cela ne suffit pas pour établir une auctoritas efficace au niveau du Livre et de son autheur. Il faudrait pour cela qu’une pareille figure double se retrouve dans la lettre de l’Epistre. Or c’est ce qui arrive, puisque c’est l’auteur lui-même qui la signe : Franç. Rabelais medicin [24]. L’anecdote participe donc bel et bien d’un discours relevant aussi de sa sphère de voix.

Mais pourquoi une telle autorité est-elle double ? Parce que cette approche d’une figure idéale de l’homme ne doit pas faire croire que l’unicité de l’Orator rabelaisien implique une confusion des différentes pratiques dans lesquelles celle-ci s’épanouit. La poésie n’est pas la médecine, l’auteur le sait mieux que quiconque [25]. En LXVII, la farce a à voir avec la purge, et favorise l’exercice de la fonction que Galien nomme « expulsive [26] ». Il aide à une meilleure régulation interne de l’organisme. Grâce à lui est évacué tout ce qui finirait sans cela par étouffer, encombrer et dérégler l’humain [27]. C’est en cela que le rire ou la peur ont une fonction strictement thérapeutique mais que le mythe, loin d’être un second clystère, en est l’analogue, apportant consolation « nouvelle [28] ». La proximité entre thérapie et poésie est de l’ordre de la comparaison et de l’adjonction ; elles ne sont pas sur le même plan, et c’est seulement au regard du bon fonctionnement de tout l’être qu’elles sont analogues dans leur utilité. (Con)fondre leurs qualités respectives ruinerait leur efficacité. La varietas et surtout la complémentarité du technique et du poétique sont aussi indispensables que l’unité ontologique au service de laquelle ils s’exercent. En continuant son Epistre à propos du même « père Hippocrate », l’auteur se demande même si la trop grande aliénation aux seules apparences que revêt le visage du médecin ne mène pas parfois le malade à succomber ou à survivre indépendamment de son état réel. Conclusion : « Lesquelles toutes doibvent à un but tirer, et tendre à une fin, c’est le resjouir sans offense de Dieu, et ne le contrister en façon quelconques [29]. » Âme et corps, on retrouve le Sacre Dieu, autorité suprême et exclamation qui rythmera la prise de parole de Villon en LXVII (on la retrouve au début, au milieu, et à la fin de son discours). Le texte contient bien son auctoritas.

3.2. Stratégie politique et discursive : du Prologue de 1548 au ch. LXVII de 1552

Mais surtout, si l’analogie devenait identité, l’auteur verrait fondre la pertinence des arguments qui justifient sa position « à cheval » sur les deux praxis. C’est là que la construction de cette figure de l’auctoritas n’est plus seulement une réflexion abstraite et annexe, mais une stratégie de défense politique. Car pour Rabelais comme pour Villon, la France va devenir terre gâtée (pour des raisons essentiellement de croyances religieuses et de conflits avec la Sorbonne). Maistre de lui-même, envahissant en contrebande tout l’espace littéraire, tel est Villon l’exilé de France… mais jamais il ne quitte la place qui lui est imposée, cette position d’Exemple en exil. Et si sa parole porte loin ses effets, il faut bien voir qu’il en paye le prix : plaire à son puissant protecteur. Parallèlement, ce n’est pas par pur jeu que Rabelais excelle à être où il veut être, sans jamais être là où les autres essaient de l’enfermer. Une véritable diplomatie doit protéger un tel jeu de (dé)placement.

Comme Villon, Rabelais a besoin des puissants, et dans ce manège qui fait varier les places stratégiques, on les retrouve tous deux chaque fois « soubs la faveur d’un home de bien [30] », mais à des emplacements différents à chaque fois. Pensons par exemple aux précautions avec lesquelles Linacer présente son traitement au roi afin de ne brusquer ni ses vieux jours ni son humeur. Dans le cadre de l’Epistre, cette réflexion sur le pouvoir poétique et médical et ses relations à l’autorité politique ne concerne pas seulement Rabelais médecin-auteur, mais aussi l’être de Cour, qui au seuil du texte dédicatoire demande à Monseigneur Odet de le protéger des dangereux mots de ses ennemis, ceux qui « perversement et contre tout usaige de raison et de languaige commun », voient dans ses œuvres des « heresies [31] ». Il veut faire du cardinal « comme un second Hercules Gaulloys, en sçavoir, prudence, et eloquence [32] ». Il lui applique le surnom de ce Dieu, Alexicacos, « qui éloigne les maux [33] »… Le triangle Autorité politique/Œuvre/médecin voit alors changer les relations établies par l’anecdote de Villon et d’Edouart entre ses trois sommets : en LXVII, le roi était « entouré » pour son bien par le médecin qui prévoyait son comportement, et le poète qui l’interprétait ; ici c’est plutôt au politique de protéger le médecin à propos de ses « mythologies ».

C’est dans un tel jeu de déplacements que l’on peut, à son tour, comprendre la « division » des buts de Rabelais, tant dans l’appareil paratextuel de l’Epistre et du Prologue que dans l’excursus du ch.LXVII. Comme l’a fait remarquer Jerome Schwartz [34] , toute la violence satirique et polémique du Prologue de 1548 semble abandonnée au profit d’un excès contraire de rhétorique encomiastique de l’Epistre. Pourtant, le principe du mélange entre deux styles du texte de 1548 est réaffirmé au même instant dans le thème et le ton lucianesque du Prologue de l’Autheur de 1552, narrant l’épisode de Couillatris et de sa cognée. Il y a à la fois brisure et déplacement du violent projet initial. Lors de cette étape liminaire de la lecture, l’unité du paratexte est scindée. Le premier des deux textes inaugure le thème du rapport aux puissants, et le second une réflexion sur l’aurea mediocritas et sur la nécessité d’un « redressement » interprétatif et éthique par une figure interprète. Mais ces deux sphères de réflexion vont finalement venir se rencontrer dans l’anecdote de Villon. D’une part, celui-ci est bien interprète, dans la lignée de Mercure, et déploie une virtuosité toute lucianesque afin d’emprisonner l’interprétation d’Edouart dans son propre discours [35] ; d’autre part, il reflète la condition de l’homme de lettres courtisan, à la fois médiocre et dorée – mais avec un maniement de la rhétorique du Fou qui confine, dans son lucianisme, à une hybris qu’il serait impossible à Rabelais d’adopter en 1552 [36]. Le souvenir de l’excès du Prologue de 1548 semble alors faire signe dans ce ch.LXVII : une telle attitude, désormais dangereuse dans la sphère énonciative de l’auteur, ne peut plus être assumée que comme fictive, dans la sphère du narrateur. Or cette tentative de renouer les fils défaits de 1548 est mise en scène autour de Villon : là encore un exemple, à cheval sur la fiction et la réalité, autorisant dans sa persona même la navette entre ces deux sphères au sein desquelles se déploie, se négocie, se dissimule l’existence du Quart Livre dans toute sa complexité.

Les textes qui ne dépendaient jusqu’à présent que de la fiction du narrateur du Quart Livre fonctionnent désormais en interaction avec ceux qui relèvent du niveau de la réalité de son auteur.  Inversement, la sphère de voix de l’auteur voit celle du narrateur lui offrir une efficacité adjuvante. Ainsi, le texte contient son auctoritas, construite à travers les différentes sphères de voix qu’elle contribue en retour à unifier à hauteur de Livre. Mais il faut bien voir que par la même occasion la fiction du Livre devient un refuge, pour l’auteur lui-même et pour son idéal devenu irréalisable. La fiction comme ultime refuge, telle est peut-être l’amertume qui sourd dans cette anecdote.

Je n’ai jusqu’à présent mis le texte de celle-ci qu’en relation avec d’autres éléments du contexte, et n’ai fait fonctionner que ses possibilités de sens. Il s’agit à présent d’articuler cela avec des éléments hors-texte, ceux-là justement qui ont requis la prise en compte de la voix d’auteur. Cette analyse ne peut plus alors en rester à la construction de la cohérence énonciative d’une portion du texte du Quart Livre, de sa disposition au sens, il faut passer à une interprétation de cet ultime excursus.


4. Villon et le Quart Livre de 1552

Cette remarque de Terence Cave, tout en reprenant la puissante hypothèse de Frank Lestringant, vise à coup sûr un point essentiel du « massif de 1552 » : les îles où vivent ces ermites qui offrent un asile aux réfugiés et exclus sont d’actualité lors de la publication de la seconde version du Quart Livre. À ce titre, « faire redémarrer » le récit sur l’une de ces îles, et de le clore sur l’anecdote d’un Villon banni de France à la Cour d’Angleterre, n’est pas innocent. Cependant, on vient de voir qu’il ne saurait y avoir un simple « échange systématique de fonctions » entre poste auctorial et personnages de la fiction. Un jeu réglé subsume ces va-et-vient sous un principe d’efficacité unifiant tout le Quart Livre en un discours complexe, auquel l’anecdote du ch.XLVII participe pleinement Déployons donc l’hypothèse interprétative de ces quelques lignes si densément tissées.

Dans ce discours, se construit peut-être l’image d’un texte-refuge pour ce « Rabelais médecin » de plus en plus acculé à la prudence. Villon me semble occuper, dans le projet et l’agencement mêmes du Quart Livre, une place majeure bien que discrète. D’abord, il clôt la série des excursus du Livre [38]. Il enserre également, entre ses deux apparitions, le massif des ajouts de 1552. Non qu’il en soit la cause ni le motif. Mais il apparaît comme l’une des figures exemplaires de cette entreprise d’écriture et de ses enjeux, lesquels ne se situent plus seulement dans les thèmes ou la narration, mais dans la rédaction elle-même de l’œuvre et dans son ancrage historique. La publication de 1548 s’arrêtait à l’arrivée en l’île des Macraeons ; l’édition de 1552 y redémarre donc, par l’évocation de la mort de Langey, protecteur de Rabelais, et après laquelle les difficultés politiques iront croissant — j’y reviendrai. Le début a été, quant à lui, « farci » de nouveaux chapitres. Parmi eux, Villon est le seul artiste contemporain à être nommé. D’autres références au monde des arts sont pourtant présentes : le psaume dans sa traduction marotique, et sur lequel débute le voyage, les tableaux achetés à Medamothi et dont on a pu établir la parenté avec l’École de Fontainebleau (rattachée à la Cour de François Premier, dont on sait par ailleurs que le Quart Livre constitue une apologie). De plus, le terme de Medamothi a souvent été pointé comme une traduction, bancale certes mais évocatrice, de l’Utopia de Thomas More. Or, où retrouvons-nous Villon à la fin du Livre  ? En Angleterre, une autre île dépréciée, auprès du Roi avec qui il discute peinture, et exilé comme Marot …

Mais à propos, où se trouve vraiment Villon ? Dans l’Angleterre réelle, ou dans une Angleterre étrange ? Les signes, les lieux et les thèmes semblent se faire écho et entrer ainsi en collision dans l’espace de notre anecdote.

4.1. Visée polémique de l’anecdote

La scène se situe dans l’Angleterre réelle, celle d’Henry VIII, dès qu’il s’agit de l’encercler et de la ridiculiser, conformément à la politique royale. Sur le plan politique, notons d’emblée le climat très britannique des deux derniers chapitres. Dès la description de l’île de Ganabin, les larrons sont comparés à ceux qui croisent près des îles de la Manche, et le chapitre suivant encadrera Edouart par « l’isle des chevaulx, prés Escosse [39] » et le « sapphran d’Hibernie [40] », c’est-à-dire « d’Irlande ». Ces indications, toujours données par Panurge, ne sont pas sans rappeler l’épisode des Moutons, dont Mireille Huchon [41] a montré qu’il entre dans le jeu crypté que Rabelais a tissé autour de la symbolique de Jason, et qui prend une dimension polémique et politique très forte dès qu’on la relie à l’ordre de la Toison d’Or, théâtre d’une querelle qui oppose le Roi français à Henry VIII et Charles quint. Est-il forcé dès lors de voir un précipité des deux Royaumes dans le nom d’Edouart le quint  ? Cette lecture trouverait sa place dans la lignée des Grandes et inestimables cronicques du grant et enorme geant Gargantua, lesquelles étaient déjà violemment polémiques [42]. Le Géant venait lui aussi restaurer la monarchie anglaise mal en point ; on y voyait un Arthur toujours sous la dépendance de Merlin, présentant un goût prononcé pour le desduyt  ; il s’agissait déjà d’une critique d’Henry VIII, ennemi de Jean Du Bellay, protecteur de Rabelais [43]. Sur le plan théologique, on peut même penser que cette anecdote fait écho à la querelle qui avait opposé Luther à Henry VIII en 1521, à propos de La défense des sept sacrements que le roi anglais avait rédigé afin de sauver les acquis de la Réforme. Nommé « Défenseur de la foi » par le Pape, il n’avait pas tardé à faire l’objet de ce subtil jugement de la part de Luther : « Si ce roi barbouille de sa fiente la couronne de mon roi, devra-t-il s’étonner que j’en use de même pour son diadème ? [44] » Le « panscatologisme » du Réformateur, comme le nomme Loskoutoff, pourrait alors bien être également présent chez un Villon, lui aussi très en verve en la matière…

Mais cela ne résout toujours pas la question du choix d’ Edward Le quint. En effet, l’ Edward V auquel nous pensons immédiatement est mort en bas âge, assassiné par son oncle Richard III. Qui plus est, ses dates ne correspondent pas avec un éventuel séjour de Villon en Angleterre. L’un a douze ans quand il accède au trône en 1483, l’année même de sa mort; le second fut banni en 1463. Il semblerait alors que Rabelais se moque ouvertement de toute vraisemblance, puisqu’il évoque “ les vieulx jours ” d’Edouart [45]. Aussi est-il nécessaire de se reporter à la seconde classification des rois anglais, dans laquelle existe un autre Edward V, correspondant dans la première généalogie à Edward II [46]. Or ce roi sodomite, si l’on en croit Marlowe, fut assassiné par inoculation d’un boyau dans le fondement, dans lequel on fit passer un fer rouge afin de le tuer sans laisser de trace. Une façon comme une autre de « purger » l’État ? On reste bien dans l’intestin, et quel que soit le roi référent de Rabelais, « cet » Edouart  connote le dérèglement généralisé de la monarchie ennemie ; de plus, il paraît concevable que l’appel à un tel roi en fasse une figure là encore plurielle, dans laquelle plusieurs dimensions, époques et figures se surimpriment dans une visée polémique.

4.2. Un adunaton politique

Mais un détail continue de « résister » : si l’on en reste à la première classification, qui semble-t-il vient immédiatement à l’esprit de toute la critique rabelaisienne, Edouart le quint est un faux monarque qui n’a régné que pour être assassiné par la folle ambition de son oncle ; l’enfant-roi ne fut plus le bâtisseur du royaume comme l’avait été Arthur. Aussi, cette mention de « sus [ses] vieulx jours » sonne comme le retour désenchanté du puer senex, idéal de tous les penseurs politiques depuis l’Antiquité ; elle ne sonne plus que comme un adunaton. Mais nous ne sommes plus là dans l’Angleterre réelle : nous sommes passés dans une Cour utopique. Ce n’est plus le partisan de François Premier qui parle, mais l’Humaniste désormais séparé de son puissant protecteur Du Bellay. Villon va se trouver annexé pour un combat à la fois intellectuel et politique dans lequel Rabelais, en cette fin de vie, risque beaucoup [47]. Maistre, il va convoquer sous sa présence d’autres maistres humanistes, grandes figures contemporaines de l’homme de lettres courtisan.

Alexicacos  : ce qualificatif, Rabelais avant Mgr Odet [48] , n’en avait jusqu’alors gratifié qu’Érasme [49]. Or Érasme avait lui aussi rencontré le Roi Henry VIII… mais avant son accès au trône, et celui-ci encore enfant l’avait accueilli d’un compliment en latin [50] : de quoi donner les plus hautes espérances au tuteur humaniste. Je ne prétends pas que Rabelais connaissait l’anecdote, mais Henry VIII avait pu représenter l’espoir d’un nouveau Prince ami des Lettres. Après l’accès au trône, Érasme n’eut plus l’heur de le revoir. Et la répercussion majeure sur sa vie des actes de cet enfant pourtant si prometteur fut la décapitation de Thomas More, son plus grand ami, à la Tour de Londres… nous prenons là conscience de la pathétique complicité unissant Villon au narrateur, qui en revenant au récit principal évite à Maistre François une réponse d’Edouart peut-être dangereuse. Car Villon joue lui aussi avec les limites de la convenance, et dans cette « joute », sa victoire est sauvée par la connivence d’Alcofrybas. Plus il parle, plus on imagine la tête que doit faire son interlocuteur muet, et plus on craint sa réaction… qui ne vient pas. Si ce n’est pas le sort de Villon comme ce fut celui de More, c’est peut-être le signe que cette anachronique Angleterre est un asile qui n’existe « nulle part ».

Cette utopie est à l’image, déjà ancienne, du ch. XXIII du Gargantua, où le jeune géant à la selle est entouré d’une attention toute particulière de la part de son précepteur. « Puis alloit es lieux secretz faire excretion des digestions naturelles. Là son precepteur repetoit ce que avoit esté leu : luy exposant les poinctz plus obscurs et difficiles [51]. » Ces quelques lignes, déjà anciennes, offrent l’image d’un enfant-roi écoutant un Maistre qui n’hésite pas à rectifier sévèrement la philautie de son élève ; un élève dont la vie serait aussi prise en charge par un médecin humaniste. Cette utopie est peut-être ce qui dans le Livre se rapproche le plus de la sphère du réel ; non parce que le réel peut rejoindre l’utopique, mais parce que l’utopie reste désormais le seul refuge face au réel. Une telle Cour aurait pu exister dans le passé, elle fut appelée, mais n’est plus possible.

Cette déception peut être celle de l’auteur du Gargantua, cette autre Institution du Prince chrétien, portée par l’espoir de la génération de 1530. Un espoir apparemment permis dans une société dont la « jeunesse » (un renouvellement touchant apparemment (presque) toutes les sphères de la vie) ouvrait un champ de possibles politico-religieux que les Princes, en l’espace de quelques décennies, allaient pourtant s’empresser de refermer [52]. De façon tragique pour certains auteurs, l’on distingue enfin dans la figure de Villon non seulement More, mais la présence d’un ultime grand Maistre : Marot, alors trop sous les feux de la querelle des Placards pour être ostensiblement nommé. Sa traduction du Psaume qui ouvre le voyage de la Thalamège était déjà bien assez osée. Nul doute que le Villon de Rabelais soit à lier essentiellement à la figure de Marot [53] , son plus grand admirateur au XVIe siècle et lui aussi en exil. Cette présence « en douce » du grand poète évangélique à la fin du livre permet de réintégrer la querelle poétique relevée par O. Pot [54] dans sa véritable et dramatique dimension politique. Faut-il alors voir dans la Bonase de Paeonie une évocation de ces stratégies de fuite, puisque la Briefve déclaration nous la présente comme un animal qui « chassé et pressé fiante loing de quatre pas et plus. Par tel moyen se saulve bruslant de son fiant le poil des Chiens qui le prochassent [55] » ?

Quoi qu’il en soit, tout comme cette anecdote permet à Edouart d’être un roi « à plusieurs entrées », de même Villon, de par tous les liens qui le rattachent à d’autres sphères du texte, thématiques, narratives, énonciatives, condense la présence de ces grands Maistres. Il nous offre ainsi une image de l’homme de Lettres courtisan dans sa plus parfaite, et impossible maîtrise.

4.3. La Maîtrise de François

Pour atteindre son but de connaissance et d’édification, la parole de Villon doit jongler avec trois impératifs : d’interprétation ironique, de rhétorique de cour et, à leur charnière, de poétisation. Ils correspondent aux trois différents tons de sa prise de parole.

a. L’art de parler : les impératifs rhétoriques du courtisan... ou du Fou?

Pour que la parole de Villon puisse s’épanouir pleinement, elle doit se mettre à son juste rang social – et tout comme le jongleur ne pouvait jongler avec ses mots (et ceux des autres) ailleurs que dans le sillage d’un prince, cette parole doit se faire accepter comme parole de courtisan. Car l’homme de lettres-courtisan calque ici sa rhétorique sur celle du Fou. C’est encore par le comique que cette humilité exagérée se monnaie : le prix d’une parole supérieure est la soumission de la personne qui la profère. La vertu du comique n’est plus tant alors de révéler une vérité que de la rendre tolérable. Autour de son auto-dépréciation il construit une parodie de discours logique qui le protège : « Ne suys je badault? (...) badault diz je, quand (...) N’est ce un vray pensement de badault? » Les « badault » calment l’éventuelle colère royale, épée de Damoclès d’autant plus angoissante qu’elle ne tombe jamais, jusqu’au retournement final, conclusion identique au point de départ : l’évocation de la peur d’Edouard. Comme le Fou, Villon reste sur la corde raide le plus longtemps possible : chaque écart du côté de la louange annonce un écart inverse, qui va lui-même demander une nouvelle concession, etc. Cette tactique négocie au plus serré un maximum de parole impertinente pour un minimum de louanges, et ne pourra être dite maîtrisée que si elle sait s’arrêter à temps. Et l’on a vu à quel point cet arrêt était problématique [56].

Sa triple présence (physique, orale, et iconique : la mise en scène de soi dans les vers centraux) finirait même par devenir un peu trop triomphante… C’est peut-être pourquoi le moment proprement poétique des vers se glisse entre l’acte herméneutique et le passage obligé de la (fausse) humilité. La voix du poète se noue de cette aspiration et de cette condition. Son art est de savoir en tirer sagesse et pertinence morales, prudence et louvoiement courtisans, et rouerie d’un moqueur à qui le narrateur laisse finalement avoir le dernier mot. Perdant consentant sur le plan social, il n’en est pas moins vainqueur dans l’ordre de la parole et de la sagesse. Savoir rester à sa place : on retrouve l’aurea mediocritas de la fable de Couillatris, même si celle du poète semble ne pas impliquer le même genre d’humilité qu’une autre…

b. Pantagruélisme et nouveaux Socrate

En termes d’esthétique rabelaisienne, et avec Linacer, symétrique indispensable auprès du Prince, Villon incarne le Pantagruélisme dans sa plus grande actualité. En effet, souvenons-nous d’une des conclusions de François Rigolot dans son article sur « Cratylisme et Pantagruélisme [57] »  : consonance mène à concordance, mais pour effectuer un tel saut, l’ordre des mots doit arriver à se libérer de toute philautie et de toute libido dominandi. Alors seulement il pourra être l’indicateur fiable de l’ordre vrai des choses. C’est ainsi que le Pantagruélisme est défini dès le Prologue de l’Autheur comme « certaine gayeté d’esprit conficte en mespris des choses fortuites [58] ». Un programme qu’assumait Socrate dans le Prologue du Gargantua, avant d’être appliqué à Theleme, où la beauté des lieux et des êtres, signe d’élection, ne risquait plus désormais d’être mésinterprétée comme une prison de chair. Le lieu d’une telle efficacité proposé par le Gargantua est donc antique et réel, ou français mais imaginaire. À la fin du Quart Livre, il est devenu un lieu impossible, mais (presque) contemporain. Villon n’est pas un personnage inventé, il est plutôt une réactualisation de Socrate, tout en apportant une note nouvelle : presque contemporain, et dans l’héritage de l’Ion de par son rôle d’interprète et de révélateur des signes obscurs [59] , il est un Exemple non antique, moderne sans être pur séide idéologique, ni la victime de trop brûlantes circonstances. Le poète lyrique du Concours de Blois, où tout comme sur l’île de Ganabin on y côtoie une « fontaine [60] », est bien l’un de ces hommes qui ont encore un pied dans le passé poétique « national » du « gai savoir » ; ce qui ne l’empêchera pas d’avoir aussi un pied dans le présent, voire dans la tombe, et de rappeler ainsi qu’il est aussi le Maistre du Quatrain pastiché par Rabelais, quatrain dont il est dit que Villon l’aurait écrit à l’instant même où « il fut jugé à mourir ».

Villon et Linacer finissent par remplir la fonction de guides herméneutiques et idéologiques qui incombait à Socrate dans le Gargantua  : ils représentent même bien mieux la dualité du logos, poétique et médical, mais aussi poiétique et politique, laquelle inscrit dans l’œuvre romanesque la dualité de la praxis rabelaisienne [61].

Autant dire qu’une figure telle que Villon est un « faisceau enchevêtré de signes historiques », comme le dit Cave à propos de la mort de Langey, et que comme dans le cas du défunt protecteur de Rabelais, on assiste en cette cour d’Angleterre à un retournement des temps : « Dans les deux premiers livres, un présent éclairé et plein de promesses était comparé à un passé d’obscurité « gothique » ; l’Utopie semblait à portée de main. Maintenant, la vision est renversée (…) Passé, présent et futur se confondent en une seule conjoncture [62] », en cette île des Macraeons qui marque le redépart de l’édition de 1552. L’anecdote du ch.LXVII vient, sur ce point encore, jouer un rôle d’écho circulaire, et boucler un trajet narratif qui se démarque de ceux des Livres antécédents de par son pessimisme et sa retraite dans l’insularité d’un récit devenu l’ultime royaume. Les parallèles entre les deux épisodes encadrant ce « massif » mettent en évidence les liens étroits entre souci idéologique et souci épistémologique ; tous deux sont à leur tour liés au dangereux enjeu de la limite entre les sphères poétique et politique, et dont il faut savoir quand la respecter, ou la franchir [63]. Quant à l’appel, discret lui aussi, à des figures plus engagées dans le temps, More et Marot, réfractées à travers des exempla contemporains faisant l’apologie de nouveaux Socrate et de nouveaux Hercule gaulois, il était dans la logique de ces années 1550 et de la tournure prise alors par l’œuvre et la vie de Rabelais, toutes deux embarquées loin des rêves de la génération de 1530, dans un large retour de bien des choses…

On a remarqué en quoi le terme « faisceau », employé par Cave, recouvrait en fait un tissage complexe de fils thématiques, qui ne peuvent tenir ensemble que si l’on éclaire leur gestion par le jeu, réglé, des voix. La mise en rapport entre ces éléments, gérés par diverses sphères énonciatives, a fait apparaître deux des caractéristiques qui permettent déjà de définir celui-ci comme fondement, fonctionnement et phénomène, et non comme objet, but d’une interprétation ou signification.

La première caractéristique du fonctionnement du sens est que des faits textuels, par de simples changements de configuration, par pur jeu d’intégration et de déplacement, font progresser le sens du texte du Livre dans son ensemble ; réciproquement, ce texte apparaît comme l’ensemble qui les subsume, leur offrant par là une unité complexe, mouvante, et ainsi ouverte à diverses interprétations. Le Livre gagne en richesse de sens lorsque l’un de ses épisodes ou de ses personnages gagne en complexité, s’emplit d’échos venant d’autres lieux, textuels ou hors du texte. Le texte n’est donc, à ce titre, qu’une disposition au sens de ses éléments. “ Il ” ne saurait décider du sens une fois pour toutes, il ne le “ contient ” pas. Bien plus, il fait sens envers la lecture qui le met en branle, laquelle participe elle-même du sens en proposant une interprétation, le parti-pris d’une signification. Celle-ci, dernier moment du processus du sens, ne saurait pour autant prétendre à en être le stade ultime et unificateur : car de processus il deviendrait alors chose, et perdrait son statut essentiellement moteur. Le fonctionnement d’un texte « à régime de sens » fonde, rend possibles une interprétation (critique ou autre) et son apposition d’une signification. Mais fonder leur possibilité d’existence ne revient pas pour lui à s’y laisser ensuite enfermer et jalousement défendre. À ce titre, le fondement d’une pluralité de lectures ne peut prétendre qu’à être possible, chacune d’entre elles faisant accéder le sens au seul statut réel auquel il puisse prétendre : l’actuel ; heureusement, aucune d’entre elles, la plus brillante et complète soit-elle, ne lui conférera jamais l’honneur qui lui serait fatal : le faire accéder à l’exhaustivité close de la totalité.

De là découle la deuxième caractéristique de fonctionnement du sens : une lecture doit pousser tous ces possibles, qu’elle contribue à amener au jour, jusqu’au bout de la logique qui les anime. Les éléments de notre anecdote qui font référence à des sphères de texte différentes ne peuvent pas faire sens si l’on en reste à leur pure collision ou à leur enchevêtrement. Appréhender la complexité de l’anecdote, cela ne peut se limiter à faire la liste des échos qui résonnent en elle. Il est nécessaire de les subsumer dans un ensemble qui les intègre, une modélisation qui permette une hypothèse quant à la raison de leurs interrelations. C’est ce que je me suis efforcé de proposer en étudiant le processus d’intégration par le jeu polyphonique des sphères de voix.

Mais il devient encore plus nécessaire de voir comment une telle hypothèse est rendue possible au moment de la lecture. C’est là tout l’enjeu du régime allusif du texte. Cet enjeu se déploie principalement en deux questionnements, qui donneront chacun lieu à un article spécifique.

Tout d’abord, refermer l’anecdote du ch.LXVII sur elle-même, c’est s’empêcher d’accéder au fonctionnement de son sens : une allusion reste inefficace si elle n’est pas devinée. Des indices sont nécessaires pour indiquer l’apparition invisible de l’allusion au travers du « sens littéral ». Rechercher de tels indices, c’est intégrer à nouveau l’anecdote dans son contexte immédiat. En gros, que vient faire Villon dans un chapitre sur la peur ? Comment est construit l’épisode de Ganabin autour de ce thème ? Pour proposer une réponse à cela, il s’agira de resituer tout l’épisode des ch.LXVI et LXVII dans une série qui parcourt tout le Quart Livre  : celui des réactions face à l’angoisse viscérale. Alors, on pourra essayer de comprendre la place marginale et cependant nodale qu’occupe Villon au milieu de cette canonnade absurde amenant Panurge à se conchier, au large d’une île étrange qui, la première, saisit Pantagruel d’effroi.

Le second questionnement concerne la forme poétique en elle-même : comment se justifie notre recherche d’une obscure pluralité de niveaux d’énonciation, contenue dans la surface fictionnelle, apparemment limpide, d’une « simple anecdote » ? Le texte rabelaisien, ouvertement ou non, nous y autorise-t-il ? Il serait peut-être bon d’aller voir autour des Armoiries de France, si Maistre François ne nous apprend pas justement quelque chose des signes et des images de la Fable, ceux dont use l’artifex « ut pictura », lorsqu’il veut nous montrer le Monde, nous le dévoiler tout en voilant ce qui doit en rester caché. Nous pourrions alors, qui sait, essayer de comprendre le charme de ce régime allusif auquel nos interprétations sans nombre sont sensibles, toutes attirées par l’invitation au « plus hault sens », pour reprendre les mots mêmes de Rabelais. Sensibles, mais sans savoir fondamentalement pourquoi, n’étant au clair, dans le meilleur, et qui sait le seul possible des cas, qu’avec leur pour quoi.


ANNEXES : deux extraits du Quart Livre

Comment à l’exemple de maistre François Villon
le seigneur de Basché loue ses gens

Chapitre XIII

« Chiquanous issu du chasteau, et remonté sus son esgue orbe (ainsi nommoit il sa jument borgne) Basché soubs la treille de son jardin secret [64] manda querir sa femme, ses damoiselles, tous ses gens : feist apporter vin de collation associé d’un nombre de pastez, de jambons, de fruictz, et fromaiges, beut avecques eulx en grande alaigresse : puys leurs dist. « Maistre François Villon sus ses vieux jours se retira à S. Maixent en Poictou, soubs la faveur d’un home de bien, abbé du dict lieu. Là pour donner passetemps au peuple entreprint faire jouer la passion en gestes [65] et languaige Poictevin. Les rolles distribuez, les joueurs recollez [66] , le theatre preparé, dist au Maire et eschevins, que le mystere pourroit estre prest à l’issus des foires de Niort : restoit seulement trouver habillemens aptes aux personnaiges. Les Maires et eschevins y donnerent ordre. Il [67] pour un vieil paisant habiller qui jouoyt Dieu le pere, requist frere Estienne Tappecoue secretain [68] des Cordeliers du lieu, luy prester une chappe et estolle. Tappecoue le refusa, alleguant que par leurs statutz provinciaulx estoit rigoureusement defendu rien bailler [69] ou prester pour les jouans. Villon replicquoit que le statut seulement concernoit farces, mommeries [70] , et jeuz dissoluz : et qu’ainsi l’avoit veu practiquer à Bruxelles et ailleurs. Tappecoue ce non obstant luy dist peremptoirement, qu’ailleurs se pourveust, si bon luy sembloit, rien n’esperast de sa sacristie. Car rien n’en auroit sans faulte. Villon feist aux joueurs le rapport en grande abhomination, adjoustant que de Tappecoue Dieu feroit vengence et punition exemplaire bien toust.

« « Au Sabmedy subsequent Villon eut advertissement que Tappecoue sus la poultre du convent [71] (ainsi nomment ilz une jument non encores saillie) estoit allé en queste à sainct Ligaire, et qu’il seroit de retour sus les deux heures après midy. Adoncques [72] feist la monstre [73] de la diablerie parmy la ville et le marché. Ses diables estoient tous capparassonnez de peaulx de loups, de veaulx, et de beliers, passementées de testes de mouton, de cornes de boeufz, et de grands havets [74] de cuisine : ceintz de grosses courraies [75] es quelles pendoient grosses cymbales de vaches, et sonnettes de muletz à bruyt horrificque [76]. Tenoient en main aulcuns [77] bastons noirs pleins de fuzées, aultres portoient longs tizons allumez, sus les quelz à chascun carrefou jectoient plenes poingnées de parasine [78] en pouldre, dont sortoit feu et fumée terrible. Les avoir [79] ainsi conduictz avecques contentement du peuple et grande frayeur des petitz enfans, finablement [80] les mena bancqueter en une cassine hors la porte en laquelle est le chemin de sainct Ligaire. Arrivans à la cassine [81] de loing il apperceut Tappecoue, qui retournoit de queste, et leurs dist en vers Macaronicques.

« « ‘Hic est de patria, natus de gente belistra,

Quis solet antiquo bribas portare bisacco[82] .

« « — Par la mort diene (dirent adoncques les Diables) il n’a voulu prester à Dieu le pere une paouvre chappe : faisons luy paour [83].

« « — C’est bien dict (respond Villon). Mais cachons nous jusques à ce qu’il passe, et chargez vos fuzées et tizons.’ Tappecoue arrivé au lieu, tous sortirent on chemin au davant de luy en grand effroy [84] jectans feu de tous coustez sus luy et sa poultre : sonnans de leurs cymbales, et hurlans en Diable.

« « — Hho, hho, hho, hho : brrrourrrourrrs, rrrourrrs, rrrourrrs. Hou, hou, hou. Hho, hho, hho : frere Estienne faisons nous pas bien les Diables ?’

« « La poultre toute effrayée se mist au trot, à petz, à bonds, et au gualot : à ruades, fressurades [85] , doubles pedales [86] , et petarrades : tant qu’elle rua bas Tappecoue, quoy qu’il se tint à l’aube du bast de toutes ses forces. Ses estrivieres estoient de chordes : du cousté hors le montouoir [87] son soulier fenestré [88] estoit si fort entortillé qu’il ne le peut oncques [89] tirer. Ainsi estoit trainné à escorchecul par la poultre tousjours multipliante en ruades contre luy, et fourvoyante de paour par les hayes, buissons, et fossez. De mode qu’elle luy cobbit [90] toute la teste, si que la cervelle en tomba prés la croix Osanniere, puys les bras en pieces, l’un çà, l’aultre là, les jambes de mesmes, puys des boyaulx feist un long carnaige, en sorte que la poultre au convent arrivante, de luy ne portoit que le pied droict, et soulier entortillé. Villon voyant advenu ce qu’il avoit pourpensé [91] , dist à ses Diables. ‘Vous jourrez bien, messieurs les Diables, vous jourrez bien, je vous affie [92]. O que vous jourrez bien. Je despite [93] la diablerie de Saulmur, de Doué, de Mommorillon, de Langés, de Sainct Espain, de Angiers : voire, par Dieu, de Poictiers avecques leur parlouoire, en cas qu’ilz puissent estre à vous parragonnez [94]. O que vous jourrez bien.’

« « Ainsi (dist Basché) prevoy je mes bons amys, que vous dorenavant jouerez bien ceste tragicque farce : veu que à la premiere monstre et essay, par vous a esté Chiquanous tant disertement [95] daubbé [96] , tappé, et chatouillé. Praesentement je double à vous tous vos guaiges. (…) Servez moy bien amys, je le recongnoistray : croyans fermement que j’aymerois mieulx, par la vertus Dieu, endurer en guerre cent coups de masse sus le heaulme au service de notre tant bon Roy, qu’estre une foys cité par ces mastins Chiquanous, pour le passetemps d’un tel gras Prieur [97]. » »

(fin du chapitre ; les guillemets encadrant indiquent que c’est Panurge qui narre, sur plusieurs chapitres donc, cette « tragique comédie », la première de l’histoire de la littérature de langue française).


Comment Panurge par male paour se conchia,
et du grand chat Rodilardus
pensoit que feust un Diableteau

Chapitre LXVII

Frere Jan à l’approcher [Panurge] sentoit je ne sçay quel odeur aultre que de la poudre à canon. Dont il tira Panurge en place, et apperceut que sa chemise estoit toute foyreuse et embrenée de frays. La vertus retentrice du nerf qui restrainct le muscle nommé Sphincter (c’est le trou du cul) estoit dissolue par la vehemence de paour qu’il avoit eu en ses phantasticques [98] visions. Adjoinct le tonnoire de telles canonnades : lequel plus est horrificque [99] par les chambres basses que n’est sus le tillac. Car un des symptomes et accidens de paour est, que par luy ordinairement se ouvre le guischet du serrail on quel est à temps la matiere fecale retenue.

Exemple en messere Pantolfe de la cassine Senoys [100]. Lequel en poste passant par Chambery, et chés le saige mesnagier [101] Vinet descendent print une fourche de l’estable : puys luy dist. Da Roma in qua io non son andato del corpo. Di gratia piglia in mano questa forcha, et fa mi paura[102].Vinet avecques la fourche faisoit plusieurs tours d’escrime, comme faignant le vouloir à bon essyant frapper. Le Senoys luy dist. Se tu non fai altramente, tu non fai nulla.Pero sforzati di adeperarli piu guagliardamente[103] .Adoncques Vinet de la fourche luy donna un si grand coup entre col et collet, qu’il le jeta par terre à jambes rebidaines [104]. Puys bavant et riant à pleine gueule luy dist. « Feste Dieu Bayart, cela s’appelle, Datum Camberiaci[105.. » À bonne heure avoit le Senoys ses chausses destachées. Car soubdain il fianta plus copieusement, que n’eussent faict neuf Beufles [106] et quatorze Archiprebstres de Hostie [107]. En fin le Senoys gracieusement remercia Vinet, et luy dist. Io ti ringratio, bel messere. Cosi facendo tu m’hai esparmiata la speza d’un servitiale[108..

Exemple aultre on roy d’Angleterre Edouart le quint [109]. Maistre François Villon banny de France s’estoit vers luy retiré : il l’avoit en si grande privaulté [110] repceu, que rien ne luy celoit des menuz negoces [111] de sa maison. Un jour le Roy susdict estant à ses affaires monstra à Villon les armes de France en paincture, et luy dist. « Voyds tu quelle reverence je porte à tes roys Françoys ? Ailleurs n’ay je leurs armoyries que en ce retraict [112] icy prés ma scelle persée.

— Sacre [113] Dieu (respondit Villon) tant vous estez saige, prudent, entendu, et curieux [114] de vostre santé. Et tant bien estez servy de vostre docte medicin Thomas Linacer. Il voyant que naturellement sus vos vieulx jours estiez constippé du ventre : et que journellement vous failloit au cul fourrer un apothecaire, je diz un clystere, aultrement ne povyez vous esmeutir [115] , vous a faict icy aptement [116] , non ailleurs, paindre les armes de France, par singuliaire et vertueuse providence [117]. Car seulement les voyant vous acez telle vezarde, et paour [118] si horrificque [119] , que soubdain vous fiantez comme dixhuyct Bonases [120] de Paeonie. Si painctes estoient en aultre lieu de vostre maison : en vostre chambre, en vostre salle, en vostre chapelle, en vos gualleries ou ailleurs, sacre Dieu, vous chiriez par tout sus l’instant que les auriez veues. Et croy que si d’abondant vous aviez icy en paincture la grande Oriflambe [121] de France, à la veue d’icelle vous rendriez les boyaulx du ventre par le fondement. Mais hen, hen, atque iterum[122] hen.

« Ne suys je Badault[123] de Paris ?
De Paris diz je, auprès Pontoise :
Et d’une chorde d’une toise,
Sçaura mon coul, que mon cul poise[124].

« Badault diz je, mal advisé, mal entendu, mal entendent, quand venent icy avecques vous m’esbahissoys de ce qu’en vostre chambre vous estez faict vos chausses destacher. Veritablement je pensoys qu’en icelle darriere la tapisserie, ou en la venelle du lict feust vostre scelle persée. Aultrement me sembloit le cas grandement incongru, soy ainsi destacher en chambre pour si loing aller au retraict lignagier. N’est ce un vray pensement de Badault ? Le cas est faict par bien aultre mystere, de par Dieu. Ainsi faisant, vous faictez bien. Je diz si bien, que mieulx ne sçauriez. Faictez vous à bonne heure, bien loing, bien à poinct destacher. Car à vous entrant icy, n’estant destaché, voyant cestes armoyries : notez bien tout : sacre Dieu le fond de vos chausses feroit office de Lazanon [125] , pital [126] , bassin fecal, et de scelle persée. »

Frere Jan estouppant [127] son nez avecques la main gausche, avec le doigt indice [128] de la dextre monstroit à Pantagruel la chemise de Panurge. Pantagruel le voyant ainsi esmeu, transif [129] , tremblant, hors de propous, conchié, et esgratigné des gryphes du celebre chat Rodilardus, ne se peut contenir de rire, et luy dist. « Que voulez vous faire de ce chat ?

— De ce chat, respondit Panurge. Je me donne au Diable, si je ne pensoys que feust un Diableteau à poil follet, lequel nagueres j’avoys capiettement [130] happé en Tapinois à belles mouffles d’un bas de chausses, dedans la grande husche d’Enfer. Au Diable soyt le Diable. Il m’a icy deschicqueté la peau en barbe d’Escrevisse. » Ce disant jecta bas son chat.

« Allez, dist Pantagruel, allez de par Dieu, vous estuver [131] , vous nettoyer, vous asceurer [132] , prendre chemise blanche, et vous revestir.

— Dictez vous, respondit Panurge, que j’ay paour ? Pas maille. Je suys par la vertus Dieu [133] , plus couraigeux, que si j’eusse autant de mousches avallé, qu’il en est mis en paste dedans Paris, depuys la feste sainct Jan jusques à la Toussains. Ha, ha, ha ? Houay ? Que Diable est cecy ? Appelez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, dejection, matiere fecale, excrement, repaire [134] , laisse [135] , esmeut [136] , fumée, estront, scybale [137] , ou spyrathe [138] ? C’est (croy je) sapphran d’Hibernie [139]. Ho, ho, hie. C’est sapphran d’Hibernie.

« Sela [140] , Beuvons. »

Fin du quatrieme livre des faicts et dicts Heroïcques du noble Pantagruel [141]


NOTES

[1] Le Quart Livre est le dernier des quatre ouvrages publiés par Rabelais de son vivant, en 1552 (après le Pantagruel, le Gargantua et le Tiers-Livre — le Cinquième Livre étant une compilation de brouillons accumulés pour les précédents manuscrits et publiés après la mort de Rabelais). À la fin du Tiers Livre, Panurge embarque toute la compagnie des proches de Pantagruel (dont Frère Jan) dans la quête de l’Oracle de Bacbuc, qui doit lui donner une réponse quant aux questions qu’il se pose quant au mariage — et dont le Tiers Livre, qui se veut une récriture du dialogue socratique, se fait l’écho. Le Quart Livre narre le voyage des « Peregrins » à bord de la Thalamege, en vue du fameux oracle. Mais le récit va se perdre à travers différentes îles qui constitueront autant d’épisodes de ce que Franck Lestringant, dans une étude de la topographie du livre, a appelé « un récit en archipel ». Ce récit est narré par Alcofrybas Nasier (anagramme de François Rabelais), qui sera donc celui qui, diégétiquement, est sensé énoncer l’anecdote concernant François Villon, donnée en excursus au récit principal. Parmi les épisodes les plus connus du livre, on rappellera : les Moutons de Panurge, la Tragi-comédie de Basché et des Chiquanous, la Tempête et l’arrivée au Pays des Macraeons, l’anatomie de Quaresmeprenant, le combat avec le Physetere, la guerre des Andouilles, la rencontre avec les Papefigues et les Papimanes, et, bien sûr, l’audition des Paroles dégelées. Il faut noter trois faits importants. Tout d’abord, une première version du Quart Livre fut publiée en 1548, qui s’arrêtait inopinément à l’arrivée chez les Macraeons ; ses spécificités, en particulier paratextuelles, seront abordées dès le présent article. L’édition définitive du Quart Livre, non sans avoir remanié le contenu des quinze premiers chapitres, reprendra la narration à partir de cet épisode, et le mènera jusqu’à notre chapitre lxvii. Mais, deuxième fait, cette seconde conclusion, bien que décidée par Rabelais, interrompt le récit sans qu’aucune véritable résolution ne soit donnée à la quête de Panurge, créant donc un effet déceptif très fort — les enjeux de cette interruption narrative sont profonds, et j’en traite dans les derniers des trois volets de cette étude.

[2] C’est d’une situation inspirée de ces Repuesque Rabelais s’inspire lorsqu’il le place en enfer au ch. XXX du Pantagruel. Ses autres apparitions sont, dans le Pantagruel, au ch. XIV où son refrain de la Ballade des dames du temps jadisest cité et commenté, et dans le Quart Livreau ch. XIII.

[3] Pierre Champion, François Villon, sa vie et son temps, t. II, Paris, Champion, Bibliothèque du XVIesiècle, n° XXI, 1913, p.280.

[4] Jean Dufournet, Villon et sa fortune littéraire, Saint-Médard-en-Jalles près Bordeaux, Guy Ducros, Tel qu’en eux-mêmes, 1970. Il est à noter, dans les rangs des critiques, que David Kuhn se démarque de ces avis massivement négatifs quant  la lecture rabelaisienne de Villon, lorsqu’il salue « Rabelais, le disciple littéraire le plus intelligent de Villon », et la fine interprétation par ce dernier du refrain de la Ballade des dames du temps jadis (La poétique de Villon, Paris, Armand Colin, 1967, p.89-90).

[5] « Vie de François Villon », Histoire des poètes françois, cité par Dufournet.

[6] Pasquier, n’en déplaise à Colletet, reprocha à Marot son amour pour Villon, précisément parce que doué d’assez bel esprit, mais un maistre passé en friponneries. Etienne Pasquier, Recherches sur la France, L. 8, ch. LX, cité par Champion, Op. cit.

[7] (…) d’une invraisemblance qui ne supporte guère l’examen, [l’épisode] atteste seulement qu’on mettait alors dans la bouche de François Villon toutes les calembredaines traditionnelles qui se donnaient pour des traits d’esprit. [Le discours de Villon sent] à la fois le corps de garde et l’hôpital. (…) Il faut être très savant, avoir hanté les librairies, être un bon philologue pour se plaire à ces développements-là. Villon avait peu lu ; il ignorait toute rhétorique laborieuse, toute érudition, tout scepticisme. Il avait la foi chrétienne ; il savait seulement lire dans son cœur, aimer et haïr, non pas des idées, mais des personnes, et toujours pour des motifs fort connus de lui. Rabelais n’entendait pas Villon, bien qu’il l’ait lu dévotement. Il le tenait, avec tout son temps, pour un bon fou sur le dos duquel il est licite de mettre n’importe quelle plaisanterie, si périmée, si peu vraisemblable soit-elle. (Op. cit., p.248-250). N’importe quelle plaisanterie ? Périmée ? Limitée au vraisemblable ?…

[8] Villon remplace en effet le jongleur Hugues le Noir, dans cette anecdote qui est la reprise d’une histoire connue dès le XIIIesiècle. Brantôme nous renseigne sur l’enrôlement de Villon parmi les Fous : Je crois que si l’on fust été curieux de recueillir tous les bons mots, contes, traits et tours dudit Brusquet, on en eust fait un très gros livre, et n’en déplaise à Pivan, Arlod, ny à Villon, ny à Ragot, ny à Moret, ny à Chicot, ny à quiconque a jamais esté(cité par Champion, Op. cit., p.275).

[9] Pour l’établissement précis des relations entre cette anecdote et le contexte immédiat des chapitres LXVI et LXVII, je renvoie à « L’angoisse et ses figures (…) ». De plus, s’il ne s’agissait que d’un simple geste vers Panurge, vu comment Jan et Pantagruel semblent subitement devenus complices quant aux signes depuis le ch. LXIII, on pourrait trouver tout ce dispositif ou bien lourdement détaillé, ou bien ridicule – ce qui est d’ailleurs loin d’être incompatible dans le jeu « à plus hault sens » (l’expression est de Rabelais) auquel nous invite le texte rabelaisien : après tout, ridicule et lourdeur font tous deux indice, et c’est ce qui importe.

[10] Couillatris est un pauvre paysan qui, ayant perdu sa cognée de bois, va voir les dieux pour la leur réclamer. Ces derniers lui en présentent trois : la vraie, et deux autres en métal précieux. Couillatris choisit humblement la sienne, et pour le récompenser, les dieux lui offrent les deux autres, par l’intermédiaire de Mercure. Tous les autres paysans se mettent alors à perdre volontairement leur cognée pour profiter du même sort. En guise de récompense, ils se voient trancher la tête, toujours par Mercure.

[11] Rabelais, Quart Livre, Ch. XVI, Œuvres complètes, éd. De Mireille Huchon, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p.576. Les citations seront toutes issues de cette édition, laquelle ne sera plus précisée dans la suite des notes. Je renvoie, de façon générale, à cette excellente édition, référence en matière de fidélité d’établissement du texte, et d’une grande richesse et clarté dans les notices et les notes rédigées par Mireille Huchon et François Moreau.

[12] Voir « L’angoisse et ses figures… ».

[13] Ch. XVI, p.576.

[14] Pour l’analyse de ce passage et du tournant qu’il opère dans la quête du Quart Livre, voir « L’éthique face aux images… ».

[15] Ch. XXV, p.598.

[16] Ch. XXVII, p.602.

[17] Il s’agit du médecin anglais, grand Humaniste lui aussi, reconnu dès l’époque de Rabelais, entre autres pour ses traductions des ouvrages de Galien.

[18] Epistre liminaire, p.517.

[19] Id.

[20] « Immédiatement » est à prendre ici au sens étymologique : percevoir une image, c’est (rece)voir sa lumière sans aucune médiation, avec évidence. Et cette puissance sera elle-même illustrée par la fable du roi Edouart…

[21] Epistre liminaire, p.518.

[22] Sur le rapport que fait Rabelais des auteurs antiques, je renvoie aux indications de Robert Antonioli : « Là où Hippocrate ne parle que d’un combat ou d’une relation à trois (…) Rabelais présente la médecine comme un jeu où la vérité du malade, la forme que va revêtir son destin (…) se découvrent au travers des masques. Pour mieux souligner, d’ailleurs, ces rapports de la médecine et du jeu théâtral, Rabelais isole, dans les remarques d’Hippocrate et de Galien, celles qui rapprochent davantage le médecin de l’acteur. » (Rabelais et la médecine, Études rabelaisiennes, t. XII, Genève, Droz, Travaux d’Humanisme et de Renaissance n° CXLIII, 1976, p.269). En ce qui concerne les références du Prologue de l’Autheur, l’adage précis d’Hippocrate est : « L’art se compose de trois termes : la maladie, le malade et le médecin. Le médecin est le desservant de l’art ; il faut que le malade aide le médecin à combattre la maladie » (Epidémies, éd. Littré, t. II, p.637, cité par Antonioli, op. cit., p.266-67).

[23] Au sens fort du terme émouvoir : faire bouger l’autre, dans son ressentir corporel.

[24] Epistre liminaire, p.521.

[25] À propos de la pertinence des diagnostics et de leur adéquation à la maladie, ajoutons cette anecdote que nous devons à Béroalde de Verville (Le moyen de parvenir, éd. Moreau, Tournon, 1984, p.282) et que rapporte Olivier Pot (« Ronsard et Panurge à Ganabin », Études rabelaisiennes, XXII, 1988, p.21) : Rabelais se trouvait auprès du Cardinal du Bellay et devait le soigner d’une « humeur hypocondriaque » pour laquelle lui fut conseillé une « décoction apéritive » ; sa réponse en tant que médecin fut de préparer un mixture bouffonne et de la présenter au Cardinal. Savoir adapter le remède au mal, tous deux imaginaires : brillante leçon de psychosomatique, et étonnamment proche de la sagesse de Linacer…

[26] V. André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, Tel, 1993, p.151sq.

[27] Rabelais emprunte à Galien deux idées : la liaison de l’âme et du corps (Que les mœurs de l’âme sont la conséquence des tempéraments du corps) et l’ordre et l’harmonie du « petit monde » (idée principale du De usu partium) – même si, d’un point de vue méthodique, il s’en détache et se place ainsi dans son temps, comme l’a analysé Marie-Madeleine Fontaine dans son article : « Quaresmeprenant : l’image littéraire et la contestation de l’analogie médicale », Rabelais in Glasgow (proceedings of the colloquium at the University of Glasgow in dec. 1983), University of Glasgow, 1984, p.87-112.

[28] Epistre liminaire, p.517. Je reviendrai sur l’importance de l’analogie dans « L’éthique face aux images… ».

[29] Epistre liminaire, p.519.

[30] Ch. XIII, p.568.

[31] Epistre liminaire, p.520.

[32] Id., p.520-21.

[33] Lucien, Entretiens sur Héraklès, LV, 4. La Briefve déclarationpropose, à l’entrée Hercules Gaulloys : « qui par son éloquence tira à soi les nobles Français, comme décri Lucien. Alexicacos, défenseur, aidant en adversité, détournant le mal. C’est un des surnoms d’Hercule : Pausanias, In Attica. En même effet est dit Apopompaeus, et Apotropaeus. »

[34] Jerome Schwartz, Irony and ideology in Rabelais.Structures of subversion, Cambridge University Press, 1990, p.150-160.

[35] Je tiens à remercier Christophe Clavel pour m’avoir éclairé sur la force lucianesque de la prise de parole de Villon, qui à travers une réseau logique très finement et implacablement tissé, joue ensuite de renversements ironiques imparables. Je reviendrai dans la suite de ces articles sur l’exemplarité de la parole de Villon.

[36] Si l’on en croit  la condition dans laquelle se retrouve alors Rabelais, telle que l’évoque Defaux, dans son Rabelais agonistes : du rieur au prophète. Études sur Pantagruel, Gargantua,  leQuart Livre, Études rabelaisiennes, XXXII, Genève, Droz, 1997.

[37] Terence Cave, Préhistoires, textes troublés au seuil de la modernité, Genève, Droz, Cahiers d’Humanisme et Renaissance n°54, 1999, p.153. Je ne saurais trop renvoyer à cet ouvrage passionnant et ouvrant des voies de compréhension et d’interrogation de ces siècles Renaissants, et de façon plus générale aux ouvrages de Cave, l’un des auteurs à la fois les plus érudits et les plus audacieux, dont le Cornucopian Text, 1979 (traduit chez Paris, Macula, 1997), reste une des meilleures introductions à Rabelais, mais aussi à Ronsard et Érasme.

[38] Indépendamment du débat concernant le statut des « digressions » dans les textes Renaissants, débat justifié mais dans lequel cet article ne peut entrer, sinon de manière annexe, comme une pièce supplémentaire au dossier des liens étroits que tisse toute narration entre ses niveaux de récit, principal et seconds.

[39] Ch. LXVII, p.698.

[40] Ch. LXVII, p.701.

[41] Aux p.1462 sq.

[42] P.1177-1182.

[43] Il est évident que le refus de Pantagruel de débarquer à Ganabin peut aussi participer de cette visée polémique. On peut rapprocher à cet égard l’interprétation donnée par G. Defaux, selon laquelle la topographie de l’île de Ganabin viserait la Rome papale (Rabelais agonistes, op. cit.) de celle, donnée par Marie-Luce Demonet lors du présent colloque, et qui tire la saynète qui précède immédiatement notre anecdote, celle de Messere Pantolfe de la Cassine, vers une évocation de la hiérarchie ecclésiastique. On aurait ainsi une figure du faux monde, dans lequel il n’est plus utile ni même bon d’aller voir après le nouveau départ initié par la promesse de Pantagruel à Chaneph, avec trois mauvais lieux en un : une île de larrons, une Angleterre mal en point, une Rome rabaissée à une historiette de bourgeois et de fermier fleurant bon Till Ullenspiegel.

[44] Cité par Yvan Loskoutoff dans « Un étron dans la cornucopie : la valeur évangélique de la scatologie dans l’œuvre de Rabelais et de Marguerite de Navarre », Revue d’histoire littéraire de la France, n°6, nov. – déc. 1995, Paris, p.927.

[45] Je donne ici les deux origines contemporaines éventuelles à cette anecdote. Une des explications les plus sérieuses me semble donnée par Olivier Pot. L’Isle des Chevaulx renverrait au massacre des Anglais par Henri II, et les Gascons et guabelleurs du ch. LXVI à l’insurrection des paysans de Guyenne contre la gabelle en 1548. Ces deux événements ont fait l’objet de deux Odes de Ronsard, contre la poésie “ pindarique ” duquel cet épisode serait écrit. Quant à l’Hibernie, elle est un rappel du lieu où se déroule l’épisode « métalinguistique » des paroles dégelées, lequel est en rapport étroit avec nos deux derniers chapitres (art. cit., p.11 ; à propos du lien entre les deux épisodes, voir également « L’angoisse et ses figures… »). Mais seul un travail d’historien, voire de chroniqueur, pourrait donner la clé de la présence de ceroi, tant les écrits rabelaisiens s’ancrent dans une réalité politique quasi quotidienne. Je me permets toutefois d’ajouter qu’une source probable se trouve dans la correspondance d’un ambassadeur de François Ier auprès d’Henry VIII : Jean de Dinteville. Je renvoie pour cela à l’article de Daniel Ménager (“ Lettres d’ambassadeurs ”, in Lettres et correspondances à la Renaissance, Actes du Colloque du Centre V. L. Saulnier, Paris IV-Sorbonne du 9/3/2000, Paris, PENS, 2001) : « Une lettre de Jean de Dinteville raconte un dialogue vraiment stupéfiant entre celui-ci et Henry VIII. Le roi demande à l’ambassadeur de l’accompagner de sa chambre à la chapelle. Il converse avec lui en marchant, et il continue alors même qu’il s’agenouille devant l’autel ». Or Dinteville connaît très bien les milieux évangélistes français et anglais, et était lié à Jean du Bellay, dont je ne rappelle pas l’importance pour notre propos.

[46] Je tiens à remercier Jean Céard de m’avoir proposé cette hypothèse lors de la préparation de cette communication, et qu’il est le seul, à ma connaissance,  à avoir avancée. En effet, l’immense majorité des éditions savantes se contentent de noter l’invraisemblance de cet Edouart-là, quand elles ne font pas carrément le silence sur l’épisode. Reste à savoir après tout, vue l’unanimité même de cette erreur d’interprétation, si cette ambiguïté  ne participerait pas, à titre « d’indice piégé » tendu par l’auteur, du jeu à plus hault sensauquel les lecteurs de Rabelais se savent à tout instant conviés…

[47] Defaux, op. cit., p.457-515.

[48] Epistre liminaire, p.520-21.

[49] Selon Michael Screech, Rabelais, traduction française, Paris, Gallimard, 1992, p.325.

[50] Article « Henry VIII », Dictionnaire, Érasme, éd.Blum, Paris, Laffont, Bouquins, 1992, p. CXXVIII.

[51] Gargantua, ch. XXIII, p.65.

[52] Voir l’article de Michael J. Freeman : “Bringing up (big) baby : Gargantua’s childhood ”, Romance studies, n°28, aut. 1996, p.29-43.

[53] Un tel rapprochement n’est d’ailleurs pas sans rappeler la co-présence de Lemaire de Belges et de Villon aux Enfers du ch. XXX du Pantagruel.

[54] O. Pot, art. cit. : il est en effet indispensable de situer la place qu’occupe Villon dans le débat proprement poétique qui, lui aussi, commande toute la séquence de Ganabin. L’analyse de Pot fait de tout ce tintamarre une attaque en règle contre le Ronsard des Odes pindariques. L’enjeu selon lui est le suivant : à l’esthétique ronsardienne d’un “ expressionnisme ” traduisant un furor poeticusplatonicien, Rabelais opposerait le risque de vanité de toutes ces paroles. Dans cette perspective, Villon représente bien un anti-Ronsard, et sous sa bannière, tel qu’il est plébiscité, peut se ranger toute l’école marotique. Se greffe alors sur ce débat le combat politico-religieux contre “ la coterie aristocratique de la Pléiade plus conservatrice et résolument catholique ”. Mais il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition d’enjeux, ni de la défense d’un platonisme contre un autre, Évangélisme et Ion vsSacre du Poète, sciomachie vs Pindarisme. Tout le combat est inextricablement lié au destin de la génération de 1530. Certes, Villon donne une leçon en platonisme, à la fois poétique, herméneutique et éthique (voir “ L’angoisse et ses figures… ” et “ L’éthique face aux images… ”). Mais, si l’analyse de Pot me semble tout à fait pertinente, elle demande toutefois à être approfondie : le débat poétique ne saurait être le seul enjeu, ni le plus urgent en 1552 pour l’auteur, et c’est ce que j’ai essayé d’analyser à mon tour. La thèse de Pot demande également à être rapprochée d’autres interrogations soulevées à la lecture de cet épisode. Tout d’abord, elle ne prend pas en compte trois “ détails ” : la peur inexpliquée de Panurge (si on ne la limite pas à une mise en scène ironique d’une réception de l’ode ronsardienne), la canonnade (ce n’est pas dans les habitudes des compagnons de Pantagruel d’opposer si vite les armes aux mots), et la présence de la “ plus belle fontaine ” (attribut pourtant on ne peut plus bucolique et doux). De plus, si la liaison effectuée par Pot entre l’épisode des paroles dégelées et celui de Ganabin est recevable dans la logique d’une dépréciation des “ simulacres ” linguistiques ronsardiens, elle ne me semble pas incompatible avec la présence de Villon : d’un même poète divin antique, deux descendances peuvent advenir, l’une de tendance pindarique et vaine, l’autre dans une veine platonicienne “ en vérité ” ; ce qui amène à interroger à nouveau le rapport de notre épisode à celui des paroles dégelées. Sans le diminuer, il semble donc nécessaire d’intégrer le débat poétique dans celui, plus global, du rapport aux signes et aux images (voir là encore « L’angoisse et ses figures… » et « L’éthique face aux images… »).

[55] p.712.

[56] Il sera cependant nécessaire, dans un autre temps de cette étude, de voir en quoi la parole de Villon opère une clôture parfaite, de son propre espace mais également de l’anecdote, et de l’excursus dans son ensemble (voir « L’éthique face aux images… »).

[57] François Rigolot, « Cratylisme et Pantagruélisme : Rabelais et le statut du signe », Études rabelaisiennes, XIII, 1976, p.131-32.

[58] Prologue de l’Autheur, p.523.

[59] Voir « L’angoisse et ses figures… » et « L’éthique face aux images… ».

[60] « Je meurs de soif en couste la fontaine… » était le premier vers, imposé par Charles d’Orléans lors d’un Concours poétique à la Cour de Blois, et à l’occasion duquel Villon composa l’un de ses plus fameux poèmes.

[61] Pour reprendre les termes de la conclusion de l’article de Rigolot.

[62] Cave, op. cit., p.91.

[63] Il sera temps de revenir sur cet enjeu des limites lors des deux prochains articles, dans leurs dimensions cosmologiques, épistémologiques.

[64] Privé (l’ensemble de ces notes de vocabulaire est issu des notes infrapaginales qui courent sur tout le texte édité par Mireille Huchon, sauf lorsque la provenance de la Briefve declarationest nommément précisée).

[65] actions

[66] ayant répété

[67] Villon

[68] sacristain

[69] donner

[70] mascarades

[71] couvent

[72] alors

[73] parade

[74] crochets

[75] courroies

[76] très fort

[77] certains

[78] poix-résine

[79] après les avoir

[80] finalement

[81] maison de campagne

[82] Voici un homme du pays, né de la race des bélîtres, qui porte des bribes dans un vieux bissac.

[83] peur

[84] vacarme

[85] ruades

[86] ruades

[87] à droite

[88] tailladé

[89] jamais

[90] brisa

[91] prémédité

[92] mets au défi

[93] garde

[94] comparés

[95] si bien

[96] frappé

[97] Édition Huchon, p.568-570.

[98] insensées

[99] effrayant

[100] siennois

[101] habitant

[102] « Depuys Rome jusques icy je n’ay esté à mes affaires. De grace prens en main ceste fourche, et me fays paour. » (Briefve declaration d’aulcunes dictions plus obscures contenües on quatrieme livre des faicts et dicts heroïcques de Pantagruel, glossaire mis en annexe par l’auteur. Les indications entre crochets sont les notes fournies par Mireille Huchon)

[103] « Si tu ne fays aultrement, tu ne fays rien. Pourtant efforce toy de besoigner plus guaillardement. » (Briefve declaration)

[104] en l’air

[105] « Donné à Chambery » (Briefve declaration)

[106] buffles

[107] Ostie

[108] Je te remercie beau seigneur. Ainsi faisant tu me as espargné le coust d’un clystere. » (Briefve declaration)

[109] Édouard V

[110] familiarité

[111] affaires

[112] lieu d’aisances

[113] sacré

[114] soucieux

[115] fienter

[116] parfaitement

[117] prévoyance

[118] peur

[119] extrême

[120] « Animal de Paeonie de la grandeur d’un Taureau : mais plus trappe [trapu]. Lequel chassé et pressé fiante loing de quatre pas et plus. Par tel moyen se saulve bruslant de son fiant le poil des Chiens qui le prochassent [pourchassent]. » (Briefve declaration)

[121] Oriflamme

[122] de nouveau

[123] Sot

[124] pèse

[125] « Lasanon estoit une terrine et vaisseau [pot] approprié à recepvoir les excremens du ventre (…). » (Quart Livre, p.682 de l’édition citée, indication contenue dans la Briefve declaration)

[126] « Terrine de scelle persée. Tuscan. Dont sont dicts Pitalieri certains officiers à Rome, qui escurent les scelles persées des reverendissimes cardinaux estans on conclave resserrez [enfermés] pour election d’un nouveau Pape. » (Briefve declaration)

[127] bouchant

[128] index

[129] transi

[130] vivement

[131] baigner

[132] rassurer

[133] « Ce n’est jurement : c’est assertion : moyenante la vertus de Dieu. Ainsi est il en plusieurs lieux de ce livre. Comme à Tholose preschoit frere Quambouis [personnage vraisemblablement inventé]. Par le sang Dieu nous feusmes rachetez. Par la vertus Dieu nous serons saulvez. » ((Briefve declaration)

[134] fiente du loup, du lièvre et du lapin

[135] fiente du sanglier

[136] fiente de l’oiseau de proie

[137] « Estront endurcy » (Briefve declaration)

[138] « Crotte de Chevre, ou de Brebis. » (Briefve declaration)

[139] Irlande

[140] « Certainement. Hebr. [hébreux] » (Briefve declaration)

[141] Édition Huchon, p.698-701.


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©  mars 2004 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : LAFFITTE, Pierre Johan.  La disposition  au sens d’une anecdote rabelaisienne : Maistre François Villon, ou la construction  d’une auctoritas par le jeu des voix. Texto ! mars 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Laffitte_Disposition.html>. (Consultée le ...).