POUR UNE SÉMANTIQUE DES TEXTES THÉORIQUES

François RASTIER
CNRS

(Texte paru dans Revue de sémantique et de pragmatique, 2005, n°17, p. 151-180)

J’ai souvent rêvé d’un ouvrage dont le texte, sur la page de gauche, serait accompagné d’un commentaire perpétuel sur la page de droite.

Ferdinand Gonseth, Mon itinéraire philosophique, 1995, p. 50.

1. Le statut des textes et discours théoriques

La question du texte scientifique reste difficile à poser : la tradition scientifique occidentale fait de la science une affaire de concepts et de termes, non de textes, car elle tient que l’objectivité est indépendante de la différence des langues et des normes textuelles. Le développement de la linguistique de corpus permet cependant depuis peu d’explorer les caractéristiques propres des textes scientifiques. Elle pourra véritablement les restituer à condition de disposer d’une conceptualisation permettant la comparaison des discours, champs génériques et genres ; et aussi d’hypothèses informées, de façon à pouvoir unifier sous des propositions globales les observations de régularités partielles (définitions, marques de « polyphonie », etc.).

Au-delà du discours scientifique revendiqué comme tel, nous étendrons notre champ d’investigation à l’ensemble des discours théoriques. Leur étude relève de la linguistique comparée, dès lors qu’elle tient compte comme elle le doit de la dimension textuelle : elle s’assigne pour but de caractériser contrastivement les spécificités des discours et genres, en comparant notamment les discours théoriques (sciences vs philosophie), les discours scientifiques entre eux, enfin les genres au sein de chaque discipline [1].

Dans cette étude encore exploratoire, nous privilégierons ainsi la comparaison entre discours scientifique et discours philosophique, le discours littéraire servant au besoin de terme de comparaison. Certes, il peut sembler quelque peu abusif de mettre sur le même plan des discours aux objectifs différents et qui font tout pour se différencier : mais, outre que pour une sémantique des textes tous les discours sont justiciables d’une étude contrastive, c’est là un moyen de mieux caractériser ce qui les distingue et d’éprouver les catégories descriptives. Nous chercherons enfin à contraster les régimes de textualité, tant globalement (par exemple pour ce qui concerne la mimésis) que localement pour le statut des unités textuelles.

1.1. Discours théoriques

En sémantique des textes, l’usage de la notion de discours tient aux deux hypothèses que les pratiques sont constituantes et que toute pratique comprend un niveau sémiotique [2]. Le niveau sémiotique d’une pratique comporte en règle générale une instance linguistique (par exemple, la religion, entendue comme pratique sociale, comprend un discours qui lui est propre). Il reste bien entendu à chercher des critères linguistiques de caractérisation des discours : outre les spécificités lexicales, traditionnellement repérées par les indicateurs lexicographiques et décrites par la lexicométrie, on peut explorer, nous le verrons, l’analyse thématique et d’autres composantes textuelles.

Le projet d’une caractérisation linguistique des discours revient à Bronckart et à ses collègues (1985), mais ils n’avaient pas à l’époque les moyens de passer à la caractérisation expérimentale. Depuis, la caractérisation linguistique des discours a pu devenir une question empirique : une précédente recherche (Malrieu et Rastier, 2001) a confirmé l’hypothèse que la variable discours est bien une variable globale caractérisant chaque texte (ex. juridique vs littéraire) [3]. Une vérification expérimentale par classification automatique sur les textes étiquetés confirme le bien-fondé de l’hypothèse, les divisions entre discours dominant les divisions entre champs génériques et entre genres.

Dans le monde anglo-saxon, on caractérise les discours théoriques comme des discours académiques. À fondement sociologique, la notion de discours académique renvoie essentiellement aux institutions universitaires. Au plan des fonctions qui distinguent la recherche de l’enseignement, on pourrait estimer que les discours didactiques et les discours scientifiques doivent être traités séparément ; mais en fait les disciplines priment, car elles déterminent leurs champs d’application, y compris didactiques.

Dans le domaine de recherche English for Special Purposes (ESP), les textes scientifiques et techniques sont étudiés dans une perspective normative : leur analyse « rhétorique » a des fonctions de caractérisation des discours et des genres, mais conduit aussi à des applications didactiques qui intéressent les normes rédactionnelles, au demeurant beaucoup plus précises et mieux observées que dans le monde francophone.

En règle générale, l’analyse sémantique des textes théoriques se limite à l'extraction de concepts pour la terminologie et la représentation des connaissances. Les propriétés mises en évidence par la typologie des genres et discours « gênent » cette extraction dans la mesure où ils la relativisent : par exemple, un corpus technique sur la co-génération d’électricité manifeste 40 fois plus de relations hyperonymiques qu’un corpus scientifique sur le même domaine (corpus Safir, cf. Grabar et Jeannin, 2002). Une contradiction oppose ainsi les études qui cherchent à caractériser les variations de genres et de discours à la problématique de la représentation des connaissances qui entend construire des ontologies par définition indépendantes de ces variations.

Si l'analyse contrastive des genres et discours scientifiques reste peu pratiquée, les textes philosophiques sont encore moins étudiés.

1.2. Qu’est-ce qu’une théorie ?

Sans prétendre répondre ici comme il le faudrait à cette question téméraire, nous retiendrons ici qu’une théorie peut être caractérisée à trois niveaux principaux.

A. Le premier regroupe trois instances instituantes. (i) La préconception du réel, que l’on peut appeler sa « métaphysique »[4]. Guidant la création des hypothèses et pour une part leur vérification, elle peut se transposer sans modifications fondamentales dans d’autres champs disciplinaires : ce qu’on a appelé le structuralisme a témoigné, dans sa généralité, d’une préconception du réel largement héritée de Saussure. (ii) La gnoséologie, ou théorie de la connaissance, règle le rapport entre la préconception du réel, le système conceptuel et la méthodologie qui ont pour fonction de produire, dans les deux sens du terme, le champ d’objectivité. (iii) L’instance critique assume une double fonction de rétrospection pour écrire son histoire et désigner ses ascendants et de projection pour formuler un agenda et déterminer une prospective. Elle a un rôle tout à la fois historique et épistémologique.

B. Le second niveau théorique comprend trois instances instituées : (i) Le système conceptuel articule entre eux des concepts interdéfinis de manière à définir un domaine de légalité sinon de légitimité ; (ii) la méthodologie apparie ces concepts à (iii) un champ d’objectivité.

C. Enfin, aux discours théoriques sont associées des instances auxiliaires qui permettent diverses transpositions. (i) Une instance d’interdisciplinarité permet le dialogue avec les disciplines voisines. (ii) Une instance applicative dirige les mises en œuvre pratiques, qui imposent des traductions simplifiantes à l’usage des disciplines techniques : une théorie doit pouvoir donner des versions partielles et affaiblies d’elle-même, voire partager son champ avec d’autres théories. (iii) Enfin, une instance didactique règle la transmission des savoirs acquis. Soit :

Préconception du réel 

=====>

Gnoséologie

=====>

Épistémologie critique

===================================================================

Système conceptuel

=====>

Méthodologie

=====>

Champ d’objectivité

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Inst. d’interdisciplinarité

/

Inst. didactique

/

Inst. applicative

Tableau 1 : Les trois niveaux d’instances théoriques

Si trois sortes de discours théoriques (scientifiques, philosophiques et esthétiques) prétendent comme tels à une validité indépendante d’une situation déterminée, nous ne retenons ici que les deux premiers, en soulignant que dans les discours philosophiques, l’épistémologie, le champ d’objectivité et l’instance applicative demeurent facultatifs.

Nous proposerons dans la troisième section de cette étude des critères pour différencier les concepts des deux derniers niveaux.

1.3. Textes théoriques et métalangage

Le peu d’intérêt manifesté pour une étude linguistique des textes scientifiques et plus largement théoriques tient sans doute à leur statut de métalangage [5]. Cependant, la fonction métalanguistique qu’on prête aux textes théoriques ne les affranchit évidemment pas d’une étude linguistique [6].

À l’opposition entre langage et métalangage, il nous paraît préférable, à la suite de Ferdinand Gonseth, de substituer la distinction entre phase d’investigation et phase de textualisation. Pour être successives, ces deux phases n’en sont pas moins inséparables [7]. Certains auteurs qui se réclament du positivisme logique, comme Jean-Claude Gardin en archéologie, ont cependant pu rêver d’une science sans textes, les langues étant accusées d’imprécision, de polysémie, d’équivoque, etc. Mais l’usage d’autres sémiotiques, comme la photographie ou la vidéo, n’émancipe cependant pas les productions scientifiques d’une forme de textualité : un texte multimédia reste un texte, plus complexe encore.

Une autre distinction de Gonseth caractérise les stratégies scientifiques, quand il oppose la stratégie de fondement et la stratégie d’engagement. Sans argumenter ici, nous admettrons que la textualisation impose nécessairement une stratégie d’engagement. Ainsi, elle construit de toute manière une représentation de l’énonciateur, tout aussi personnelle quand on emploie le je, le nous, le on, ou que l’on supprime tout pronom de l’énonciation représentée. Elle construit parallèlement une image du lecteur. Elle suppose que l’argumentation est non seulement démonstrative, mais persuasive, comme s’il allait de soi qu’une démonstration doive persuader et une argumentation convaincre.

Nous en resterons ici à la textualisation, pour comparer les textes scientifiques et les textes philosophiques, voire littéraires, avec une méthodologie commune et chercher ainsi à spécifier leurs différences.

1.4. Les genres et les composantes

En matière de genres, la linguistique doit élaborer ses propres catégories descriptives, car les disciplines voisines, études littéraires et philosophie, procèdent d’autres problématiques et leur apport reste malgré tout limité.

Comme il n’y a pas de d’isomorphisme entre les plans du langage, le problème de la sémiosis doit être posé au palier du texte, plutôt qu’en termes de référence au palier du mot ou de vérité au palier de la phrase. La sémiosis textuelle est une sémiose, c’est-à-dire un acte d’expression et d’interprétation. En tant qu’acte, elle relève d’une praxéologie des performances linguistiques, non d’une ontologie ou d’une théorie des représentations. La poétique, entendue comme théorie des genres, décrit des normes qui relèvent de pratiques sociales dont elles constituent le niveau sémiotique.

On a pu définir un genre, au plan sémantique, par l’interaction de quatre composantes [8] non hiérarchisées. Par composantes, on entend des ensembles de normes de même type : par exemple, celles de la thématique. Dans les textes théoriques, les thèmes correspondent à des concepts et des notions. De la dialogique relèvent notamment l’éthos, la représentation de l’énonciateur et du lecteur, les évaluations. De la dialectique relèvent les démonstrations et argumentations, voire en certains cas les structures narratives ; de la tactique, l’étude des positions des unités sémantiques.

Le genre contraint l’interaction des composantes sémantiques, mais aussi leur articulation aux composantes de l’expression. Il définit en effet un rapport normé entre le plan de l’expression et le plan du contenu au palier textuel : par exemple, dans le genre de l’article scientifique, le premier paragraphe, sur le plan de l’expression, correspond ordinairement à une introduction, sur le plan du contenu ; dans le genre de la nouvelle, il s’agit le plus souvent d’une description.

Bref, les genres permettent voire déterminent l’établissement entre les deux plans du langage des relations complexes constitutives de la textualité. La production du texte établit en outre un compromis entre les contraintes de la pratique, dans laquelle se définit le genre, et la situation — c’est-à-dire, au-delà du hic et nunc, la position historico-culturelle de l’énonciateur et de l’interprète.

La sémiosis textuelle normée par le genre détermine le mode de mimésis. En règle générale, plus les rapports entre les deux plans du texte sont normés, plus son effet de réel empirique ou transcendant est intense, comme l’attestent les textes gnomiques ou religieux.

1.5. Du global au local

Comme tout usage modifie et configure potentiellement la langue, chaque texte modifie son genre ; mais les perturbations locales ne sont sensibles qu’au sein d’une stabilité globale, et en retour le genre configure le texte.

Des résultats récents confirment l’incidence du genre sur les variations morphosyntaxiques [9]. À partir d’un corpus de 2. 600 textes complets classés par genres et discours et étiquetés par 251 types d’étiquettes, morphosyntaxiques pour la plupart, on a retrouvé et validé les différents niveaux de classification, discours, champs génériques et genres, en utilisant des pourcentages calculés sur les étiquettes. On a conduit des analyses univariées pour qualifier les variations selon les catégories d’étiquettes, puis une analyse multivariée utilisant des méthodes de classification automatique. Les résultats confirment la corrélation entre les variables globales de genre, champ générique et discours d’une part, et d’autre part les variables morphosyntaxiques, locales par définition. Ainsi, les conditions d’application de la grammaire, censée représenter la langue dans sa pureté systématique, varient-elles selon les discours, champs génériques et genres [10].

En tant qu’unité minimale d’analyse, le texte agit comme instance globale par rapport à ses éléments, mais aussi comme instance locale par rapport à son corpus. Par le biais notamment de son genre, le texte pointe sur son corpus et sélectionne en quelque sorte les autres textes qui permettent de l’interpréter. Le premier cercle du corpus, corpus nécessaire mais pas toujours suffisant, est ainsi constitué des textes du même genre. Outre le mode de régulation du contexte interne (par la textualité), le genre détermine ainsi le mode de recours au contexte externe, celui de l’intertextualité — qui apparaît dans l’article scientifique par les références, et de manière moins évidente par les allusions voire les larcins.

1.6. Un exemple : les genres de la philosophie 

Comme on croit que le discours de la vérité n’a pas de genres, rien de surprenant si la philosophie n’a pas étudié les siens [11] : on a plutôt étudié le style des philosophes que les genres dont ils usent, mais c’est pourtant dans ce domaine que les réflexions sur la textualité philosophique paraissent le plus prometteuses. On pourrait songer à lier des genres et des traditions philosophiques : le dialogue serait privilégié par la tradition idéaliste, comme chez Platon, Leibnitz, Berkeley ; ou à des postures : le traité serait un genre favori des dogmatiques, ou favoriserait le dogmatisme. Mais cette voie ne peut être suivie qu’avec circonspection.

Pour caractériser les voies linguistiques de la philosophie classique, on pourrait toutefois distinguer les genres argumentatifs, qui recherchent la vérité par la quête des apories et l’articulation des arguments, et les genres révélationnels qui interprètent une vérité déjà exprimée ou la laissent brièvement entrevoir.

Le dialogue et le traité relèvent de la première voie. Ils partagent des structures dialectiques comparables et les mêmes topoï de démonstration, mais leurs structures dialogiques diffèrent évidemment, car le dialogue, par la pluralité des énonciateurs représentés, peut suggérer qu’il existe plus d’un point de vue légitime sur l’Etre, en quoi il sera préféré par les subjectivistes ; alors que le traité, qui n’a qu’un narrateur au point de vue uniforme, suit une voie thétique et objectiviste.

Le genre ancien du commentaire et le genre moderne du fragment illustrent de manière antithétique la voie révélationnelle. Le commentaire et son succédané la paraphrase supposent qu’une révélation humaine ou divine a eu lieu : la connaissance réside dans des textes anciens, mais il faut encore la discerner et l’exposer aux contemporains. Par le fragment, en revanche, des philosophes contemporains, notamment à la suite de Nietzsche, ont cru rivaliser avec les présocratiques. Le fragment ne situe pas nécessairement la révélation dans un passé, mais veut la faire jaillir dans le présent instantané ou éternel de sa lecture. Par sa structure, il interdit en tout cas une mimésis de la complétude, ce qui en fait un genre anti-dogmatique par excellence. Dans le domaine de la philosophie, l’investigation ne semble pas précéder la textualisation, et les genres constituent alors les gnoséologies, argumentative ou révélationnelle par exemple, qu’ils sont réputés simplement illustrer.

L’histoire des genres scientifiques reste presque aussi peu étudiée que celle des genres philosophiques. Ainsi, l’article scientifique vient de la lettre (ex. la lettre de Pascal au Père Noël), qui circulait à l’âge classique dans les milieux savants, avant la création des revues universitaires. Dans certaines disciplines, il a laissé sa place au paper, plus court, ponctuel et moins réflexif. Chaque domaine élabore et hiérarchise ses genres. Par exemple, en France, au Centre National de la Recherche Scientifique, dans le département des Sciences de la vie, les livres ne sont pas retenus dans les bilans d’activité des chercheurs, car ils sont considérés comme relevant de la vulgarisation. Là encore, la hiérarchie des genres reflète une préconception normative de la connaissance.


2. La mimésis des textes théoriques

Ces points de typologie engagent à mieux caractériser la textualité propre des écrits théoriques. Traditionnellement employée pour les textes littéraires depuis la Poétique d’Aristote, la notion de mimésis peut cependant être étendue à l’ensemble des textes, car l’on peut considérer que chaque genre détermine un mode génétique, un mode herméneutique et un mode mimétique (pour un développement, cf. l’auteur, 2001 a). Dans les termes de la tradition logico-grammaticale, le mode mimétique correspondrait à la fonction référentielle.

Censés représenter une réalité, les textes théoriques exercent un fonction mimétique qui nous importe indépendamment de leur valeur scientifique ou philosophique. Une sémantique des textes doit décrire les conditions des impressions référentielles (ou « effets de réel ») suscitées par des structures linguistiques : elles configurent en une « ontologie » locale la sémantique des domaines d’investigation que l’on appelle les objets scientifiques.

2.1. Les niveaux d’analyse des textes scientifiques

On dit ordinairement qu’un texte appartient à un genre. Cette proposition mériterait d’être renversée : le genre appartient au texte, qui contient des indications de son genre (dans son titre, dans son support, mais aussi dans son lexique, dans son mode compositionnel, etc.). On peut distinguer trois niveaux principaux d’analyse du texte : le péritexte (titres, titres courants, liens, etc.) ; puis l’intra-texte (colonnes graphiques, « casiers ») ; enfin, l’infratexte subordonné (notes, etc.). Ces niveaux valent pour l’écrit mais trouvent des analogues à l’oral : le péritexte est alors épilinguistique (cf. je vais t’en raconter une bien bonne), de même que l’infratexte (expansions sur un point de détail).

Dans les textes scientifiques, tels qu’on peut les coder conformément aux recommandations de la Text Encoding Initiative (TEI), les variables globales, sociologiques (comme l’école), éditoriales (ouvrage, revue), linguistiques (discours, champ générique, genre) figurent dans l’en-tête (header). À cela il faut ajouter une décomposition du corps du texte (body) en sections balisées (sur la base de critères d’expression) comme le titre, les résumés, le corps du texte, les exemples, les notes, la bibliographie. Enfin, il faut détailler les hors-texte.

La séparation conventionnelle entre sujet et objet impose aux textes scientifiques une mimésis de l’objectivité, d’où par exemple les stratégies d’effacement ou d’euphémisation de l’énonciateur, que renforce la multiplication des citations et références : elles ne jouent pas seulement un rôle doxographique, mais s’appuient sur la doxa scientifique pour prévenir l’auteur de toute accusation de subjectivité « haïssable ».

Il faut également questionner le rôle mimétique de la diversité des configurations ou « séquences » textuelles propres au texte scientifique (résumés, notes, bibliographie, hors-textes divers) : les différentes sections des genres scientifiques, l’article en premier lieu, décrivent ou construisent par des voies mimétiques diverses des aspects d’un « même » objet. Ainsi, l’objectivation scientifique passe non seulement par la concordance sociale des points de vue des spécialistes, mais aussi par la concordance des mimésis propres aux différentes sections du texte.

Les étapes du déroulement du texte peuvent même correspondre à des phases de l’objectivation. Au plan de la structure d’ensemble, les différents niveaux de généralité (titre, résumé, introduction, position théorique, argumentation, expérimentation) construisent dans leur succession une structure hiérarchique qui rappelle fort la structure arborescente d’une ontologie.

2.2. La multiplicité des sémiotiques

Les textes scientifiques se caractérisent par la présence de hors-texte, quasiment absents des discours philosophique et littéraire. Rompant la linéarité linguistique, ils introduisent d’autres formes de mimésis : ainsi, le caractère frontal et non modalisé des illustrations leur permet de passer pour la « chose même ». En outre, la séparation entre texte et hors-textes redouble la séparation entre sujet et objet. En effet, la multiplicité des sémiotiques induit un effet d’objectivation, car c’est un apanage de l’Etre même que de pouvoir être dit de plusieurs façons [12].

Si tout discours a sa propre « raison graphique » (Goody), le rôle des figurations, croquis et diagrammes, peut être rapporté au fait que les différents moments génétiques de la textualisation scientifique (imaginer, concevoir, argumenter) sont associés à des sémiotiques différentes. La variété sémiotique du texte scientifique reflète sans doute, dans sa textualisation, la variété des approches adoptées dans la phase d’investigation. Par exemple, en linguistique de corpus, les tableaux lexicométriques, les analyses factorielles, etc., témoignent d’opérations méthodologiques concordantes pour objectiver des propriétés du corpus étudié.

Enfin, pour le lecteur qui interprète le texte scientifique, la diversité des sémiotiques à l’œuvre assure aussi une fonction d’objectivation — comme, toute proportions gardées, un document multimédia suscite un effet de réel empirique plus intense qu’un médium pauvre comme le croquis. Faute d’une sémiotique adaptée, nous manquons cependant d’une théorie suffisamment élaborée des effets de « réel théorique » ; elle serait d’autant plus nécessaire que les textes scientifiques multimédia se multiplient et se complexifient.

2.3. Cercle herméneutique et relations intersémiotiques

Certains auteurs, comme René Thom, estiment que la modélisation graphique résoud certains problèmes épistémologiques des sciences sociales : « By using the “distanciation” effect of geometric representation, to break the hermeneutic circle which has kept imprisoned so manys social science thinkers » (1980). Cette mise à distance permettrait, confirme Petitot, de « briser le cercle herméneutique » (1985, p. 83) : une représentation serait alors conforme aux choses mêmes, parce qu’elle en exprime la forme, structurant selon les mêmes principes les deux « couches de l’Etre », physique et sémiotique. Mais on peut voir dans ce vœu une illusion diagrammatique, car les représentations géométriques elles-mêmes doivent être interprétées, et, loin de le briser, renforcent et complexifient le cercle herméneutique.

Comme il n’y a pas de hiérarchie a priori des langages, les langues « naturelles », les langages artificiels, les sémiotiques graphiques se distinguent par des capacités mimétiques différentes. Aucun langage n’est inadéquat, mais chacun a ses régimes herméneutiques : ceux des langues étant fort ouverts, elles semblent des interprétants absolus, puisqu’elles permettent d’instituer les autres langages et de les interpréter, d’exprimer voire de fixer en effet le sens des autres sémiotiques et leurs conventions d’interprétation. Elle ne devient pas pour autant un métalangage, car si le cercle herméneutique est maintenu, la récursion métalinguistique est brisée : le texte scientifique peut être objectivé sans récursion métalinguistique, car le « métadiscours » fait pleinement partie du discours. Outre que le discours scientifique n’est pas techniquement un métalangage, il n’existe pas de métalangage qui prendrait le discours scientifique comme langage-objet et qui serait autre que la langue.

Dans ces conditions, le problème de la référence des textes scientifiques devient un problème intersémiotique de constitution des impressions référentielles. Comme nul n’a accès à la chose en soi, le problème du rapport des discours théoriques à leur empirie se transpose ainsi en problème des relations intersémiotiques au sein de leurs textes et entre leurs textes.

Si chaque système de signes crée son objet propre par son mode mimétique particulier, les textes polysémiotiques comme le texte scientifique permettent d’unifier ces objets partiels par la synthèse qu’opère leur textualité même. Les textes scientifiques sont en effet des performances polysémiotiques complexes, et leur textualité détermine, notamment par les normes de genre, le mode d’interaction des sémiotiques en leur sein.

2.4. Pour une typologie des mimésis

Comme chaque genre, champ générique voire discours crée cet effet de réel particulier qu’on appelle son objet, nous avons proposé pour en rendre compte la notion de régime mimétique. Un tel régime dépend d’une part des structures textuelles et notamment dialectiques (narratives ou argumentatives), mais aussi de l’homogénéité ou de l’hétérogénéité sémiotiques. Elles induisent des mimésis du monde empirique (« concret ») ou trancendant (« abstrait »). On aurait par exemple cette répartition :

Discours

Romanesque

Philosophique

Scientifique

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Dialectique

Narrative

Argumentative

Argumentative

Sémiotique

Homogène

Homogène

Syncrétique

Mimésis

Empirique

Transcendante

Mixte

Tableau 2 : Typologie des mimésis

Ainsi, les textes philosophiques semblent en quelque sorte intermédiaires entre les textes scientifiques et les textes littéraires.

N.B. : La mimésis des textes littéraires n’est pas unifiée, et l’on a pu opposer par exemple la mimésis empirique du roman réaliste à la mimésis transcendante de la poésie métaphysique (cf. l’auteur, 1992).

La mimésis des textes scientifiques semble syncrétique, car ils figurent tout à la fois des relations entre des concepts et entre les objets qu’ils configurent. Fût-ce sur le mode de l’hypothèse, tout texte scientifique, part d’un postulat réaliste de vérité qui le distingue idéalement de tout régime fictionnel.

Le texte scientifique induit cependant une mimésis mixte, car son abstraction renvoie au transcendant, alors même qu’il vise l’empirique dans l’objet qu’il construit. Comme le texte poétique, mais par une voie tout autre, il unit ainsi le sensible et l’intelligible pour créer un effet de vérité.


3. Formes textuelles et thématique

Peut-on transposer la théorie et la méthodologie utilisées pour les thèmes littéraires aux thèmes philosophiques ? Les premiers résultats semblent positifs (cf. Forest et Meunier, 2002, Loiseau 2003) ; mais peut-on définir de même des thèmes scientifiques, et si c’est le cas, dans quels genres (leçons transcrites, traités, articles) ?

3.1. Des termes et concepts

Pour la théorie terminologique, les termes ne sont pas des signifiés mais des concepts ; elle confère donc à certains mots le statut de termes et en fait alors l’expression d’unités conceptuelles non liées à la langue. Inspirée par le positivisme logique, la doctrine terminologique de Wüster considérait ainsi les concepts comme des représentations indépendantes des langues et le cognitivisme perpétue aujourd’hui cette tradition. Par exemple, les projets WordNet et EuroWordNet ont précisément pour but de représenter les lexiques des langues par une ontologie qui en reste indépendante — bien que ses concepts soient figurés par des mots anglais en capitales (pour une discussion, cf. l’auteur, 2004).

Les logiciels d’extraction terminologique comme Lexter utilisent cependant des indices phraséologiques, mais cette approche sous-estime inévitablement la textualité propre des écrits théoriques. Comment les termes et les non-termes interagissent-ils ? Par ailleurs, à quelle condition un mot devient-il terme ou cesse-t-il de l’être ? La construction d’ontologies évite ces questions par une conception achronique et non textuelle des corpus théoriques.

Les concepts sont ordinairement abordés par leurs définitions et par les relations sémantiques à valeur définitionnelle repérables dans les textes (hypéronymie-hyponymie, méronymie, synonymie). La première indique leur genre, la seconde leurs parties, la dernière leurs lexicalisations. Ces trois relations sont en fait une projection de l’article de dictionnaire : on commence par le genre commun (ex. action de…, ou objet qui…), puis on passe à la différence spécifique qui mentionne une ou plusieurs parties caractérisantes ; enfin l’on renvoie aux expressions jugées équivalentes. On utilise pour constituer ainsi des « ontologies » des patrons « lexico-syntaxiques », comme : +X_ET_ADVERBE_DE_SPECIFICATION_Y (hypéronymie), qui permet d’identifier par exemple un syntagme comme Intégration efficace des sources d'énergie renouvelables, en particulier l’énergie solaire (cf. Grabar et Jeannin, 2002).

Cependant, cette méthode ne voit évidemment que ce qu’elle retient : elle sélectionne a priori certains types de contextes favorisant l’expression des relations hiérarchiques retenues. Par ailleurs, elle ne tient aucunement compte de la situation du concept dans le texte, puisqu’elle entend l’intégrer à une ontologie du domaine. Bref, elle permet de le repérer, mais non de le définir par rapport à ses contextes effectifs. Elle est ainsi l’expression aboutie d’une problématique logico-grammaticale, qui utilise les patrons formels comme des instructions « contextuelles » indépendantes du contexte. En somme, les patrons sont normatifs et locaux, alors que nous avons besoin d’une démarche tout à la fois descriptive et globale, qui tienne effectivement compte des régularités et des spécificités du texte et de son corpus.

Si elle n’est pas abandonnée, l’extraction de « concepts » par patrons terminologiques doit être complétée par une approche globale qui tienne compte du texte et de ses structures. Dès que l’on dispose de corpus suffisants, l’approche statistique peut être utilisée pour la caractérisation, par des techniques comme la classification automatique (pour les textes) ou le test de l’écart réduit (pour les corrélats de « concepts »).

Dans l’approche de la sémantique textuelle, le concept est une molécule sémique (groupement structuré et relativement stable de traits sémantiques) et il correspond dans le cas le plus simple, à un sémème à lexicalisation unique et sans traits afférents. Mais il s’agit là d’un cas privilégié, car une molécule sémique peut avoir une lexicalisation synthétique ou une manifestation diffuse par des corrélats récurrents. De fait, tous les éléments du texte concourent à la construction des unités textuelles : un « concept » se définit alors aussi bien par des lexèmes cooccurrents à ses lexicalisations privilégiées, que par sa distribution, par des ponctuations associées, voire des italiques, etc.

Faisant retour au mentalisme qui précédait la formation de la linguistique, les linguistes cognitivistes appellent concepts les signifiés. En renonçant au préjugé mentaliste, on peut par concession appeler concepts certaines unités sémantiques des textes théoriques. Ce léger abus de langage suppose qu’on les considère comme des unités linguistiques, non des représentations mentales indépendantes des langues. Le rapatriement des concepts dans les textes a plusieurs conséquences. (i) En premier lieu, nous prenons nos distances avec la conception terminologique : les concepts ne sont pas les signifiés de certains mots, même si certains peuvent jouir d’une lexicalisation privilégiée. (ii) De la même façon, toutes proportions gardées, que les personnages d’un récit ne se réduisent pas à leur nom, les concepts sont des unités textuelles, et en tant que telles hautement contextualisées : relevant de la méso-sémantique (palier intermédiaire entre la micro-sémantique du mot et la macro-sémantique du texte), elles peuvent être décrites comme des thèmes ou des acteurs de la dialectique ou de la dialogique [13]. (iii) Comme telles, elles sont associées à des traits descriptifs relevant de tous les niveaux de l’analyse linguistique. Ainsi, comme toutes les formes sémantiques, un concept peut être associé à des formes expressives : position, catégories morphosyntaxiques, ponctuations, etc.

3.2. Des concepts aux thèmes

Sans s’arrêter à ces préoccupations ontologiques, on peut définir, au sein d’un corpus qui relève d’un discours et d’un genre déterminé, des formes sémantiques, en premier lieu des thèmes. Les acquis de la thématique assistée sur corpus numériques permettent en effet d’aborder la description des « concepts », requalifiés comme des signifiés, par un nouveau biais mis à l’épreuve sur des corpus littéraires dans le recueil intitulé L’analyse sémantique des données textuelles (l’auteur, 1995a).

Qu’il possède ou non une lexicalisation unique, un thème peut être décrit en deux étapes. (i) On recrute une clique de ses coocurrents, les chaînes de caractères (lexèmes, grammèmes, ponctèmes) qui dans ses contextes définis par une fenêtre de 20 mots dépassent un écart réduit seuillé à 3 (en corpus multigenre) voire à 2 (en corpus unigenre). (ii) On qualifie ensuite certains cooccurrents de l’expression comme des corrélats sémantiques, dès lors que leur contenu partage au moins un sème commun avec celui du mot qui supporte l’interrogation initiale. La structure constituée par ces sèmes est la molécule sémique qui définit le thème (cf. l’auteur, 2001 b, ch. 7).

On peut ainsi représenter les phases de qualification d’un thème :

Figure 1 : Construction interprétative de formes sémantiques et expressives

N.B. : Les cooccurrents sont des chaînes de caractères et non des signes, il s’agit donc bien de l’expression des lexèmes et des grammèmes.

Les formes sémantiques s’associent aux formes expressives pour composer des formes sémiotiques. Mais ici le modèle idéalisé du signe qui suppose une correspondance entre signifiant et signifié est encore moins valide qu’ailleurs : d’une part, les formes sémantiques comme les formes expressives peuvent être manifestées de manière compacte ou diffuse (l’auteur, 1995a, 2003), d’autre part les relations qui assurent la sémiosis des formes sémiotiques résultent d’un parcours interprétatif complexe, non séquentiel, qui comporte : (i) le passage des cooccurrents aux corrélats ; (ii) la structuration des corrélats en molécules sémiques ; (iii) la recherche onomasiologique des formes expressives ; (iv) la qualification des cooccurrents ponctuels pour les interpréter leurs faisceaux au sein de configurations de l’expression.

Des études récentes indiquent que les concepts fonctionnent comme des thèmes dans les discours théoriques, qu’ils soient scientifiques ou philosophiques (cf. Valette, 2003, Loiseau, 2003, Poudat, à paraître). Les thèmes théoriques gardent cependant leurs spécificités par rapport aux thèmes littéraires : par exemple, là où la littérature varie les dénominations et descriptions, les théories tendent à les figer.

L’étude des corrélats sémantiques des lexicalisations privilégiées permet de préciser le statut des thèmes théoriques, en distinguant les unités qui participent à l’évolution des formes sémantiques le long du texte de celles qui appartiennent au fond sémantique général [14]. Les premières sont caractérisantes, car elles correspondent aux « concepts » effectivement élaborés, débattus et utilisés, alors que les secondes restent d’une grande généralité. Par exemple, Rinck, dans une étude contrastive avec des études de critique littéraire (2005), relève 21 mots spécifiques de la linguistique, qui tous cependant pourraient parfaitement se retrouver dans n’importe quelle science humaine : analyse, analyser, approche, catégorisation, concept, conceptuel, discussion, donnée, étude, étudier, exemple, hypothèse, interprétation, notion, objectif, observation, observer, problématique, problème, recherche, système [15]. Outre la fréquence, d’autres critères peuvent être retenus : les unités de formes sont épisodiques, celle de fond sont réparties assez uniformément. Les premières ont en outre un nombre plus élevé de cooccurrents et par suite de corrélats. Soit, en somme :

 

Unités de forme

Unités de fond

Fréquence

Inférieure

Supérieure

Distribution

Épisodique

Uniforme

Nombre de cooccurrents

Supérieur

Inférieur

Nombre de corrélats

Supérieur

Inférieur

Tableau 3 : Unités sémantiques de forme et de fond

Ces distinctions permettent d’éclairer les difficultés rencontrées par les logiciels d’extraction terminologique, car tous les candidats termes ne sont pas à égalité, et les plus en évidence restent les moins caractérisants car ils appartiennent pour ainsi dire au « fond de sauce » de la discipline. En sortant de la problématique terminologique du mot-clé, la thématique des textes théoriques entend contribuer à faire évoluer des domaines d’application comme l’extraction assistée de concepts ou la représentation des connaissances.

Un exemple commenté permettra de discuter quelques critères de caractérisation des thèmes théoriques. Les concepts sont ordinairement conçus comme des noms d’entités et leurs flexions grammaticales ne sont pas considérés comme pertinentes . Cependant, les travaux en linguistique de corpus permettent de différencier les acceptions entre singulier et pluriel. Ainsi, une étude de Poudat (à paraître), conduite sur 224 articles de linguistique étiquetés par 141 catégories avec le logiciel TnT [16], permet de juger que sens au singulier et sens au pluriel, langue et langues n’ont pas les même cooccurrents, tant en qualité qu’en quantité, si bien que les singuliers et les pluriels n’ont pas le même statut textuel.

 

Sens (sg.) 

Sens (pl.) 

Langue

Langues

Cooccurrents

 

 

 

 

(seuil ER :+/-2) 

14

6

17

8

Dont :

 

 

 

 

Lexèmes

13

3

7

4

Grammèmes

2

2

6

1

Ponctèmes

1 (nég.)

1

1 /1 (nég.) 

0

Autres

2 (nég.)

0

3 (nég.) 

0

Tableau 4 : Types de cooccurrents contrastant quatre entrées

N. B. : Les chiffres indiquent le nombre de variables qui dépassent un seuil d’écart réduit positif ou négatif fixé à 2. (Nég. : scores négatifs).

Détaillons ces résultats synthétiques. Il conduisent à penser qu’ à la différence de leurs pluriels sens (sg.) et langue sont de bons candidats pour figurer parmi les lexicalisations privilégiées de concepts. Ce n’est pas tant en raison du nombre comparativement plus important de leurs cooccurrents lexématiques, car, les lois ordinaires d’isotopie favorisant la répétition et la paraphrase, la plupart appartiennent à la même famille morphologique (comme sémantique ou langagier, respectivement) ; une minorité de cooccurrents lexématiques seulement peuvent être qualifiés comme des corrélats sémantiques : pour sens (sg.), contexte (0,47) et contextuel(le) (0,23), interprétation (0,41) et interprétatif (0,26), texte (0,32), langages (0,31) ; pour langue, on ne trouve que parole (0, 27).

Quant aux autres cooccurrents, les grammèmes ne distinguent que langue : ensemble des déterminants de 3e personne du pluriel (0,31), ensemble des prépositions (0,3), ensemble des déterminants (0,23), imparfaits (0,2), connecteurs d’addition (0,21).

La ponctuation attire d’autant plus l’attention que les débats séculaires sur la nature des concepts n’en ont évidemment jamais tenu compte. Les singuliers sens et langue se distinguent de sens (pl.) et langues par le déficit de certaines ponctuations (parenthèses, -0,23 et –0,24 respectivement) et d’autres symboles (numéraux (-0,28 ; -0,25), symboles, sigles, abréviations : -0,23 ; -0,24). En revanche et complémentairement, le tiret d’incise caractérise sens (pl.) avec un excès de 0,37 – ce qui reste considérable dans un corpus aussi homogène. Comment se fait-il que les singuliers « repoussent » ces symboles et que les pluriels les « attirent » ? Il est vraisemblable que le déficit des ponctèmes au singulier, et leur excès (relatif) au pluriel soient liés à la différence des instances : le sens et la langue seraient des concepts des l’instance instituée ; les sens et les langues, des notions des instances auxiliaires, notamment l’instance applicative. En effet, dans les articles ou les sections d’articles à vocation descriptive, les ponctèmes comme les parenthèses ou les tirets d’incise sont plus nombreux, de même que les symboles comme les astérisques, etc. : en effet, pour introduire et discuter des exemples, on utilise d’autres configurations textuelles que pour discuter des concepts.

Indice concordant, la longueur moyenne des textes dans lesquels figurent sens (sg.) est corrélé à la longueur des phrases (+0.27), contrairement à sens (pl.). Or, au sein des genres scientifiques, les textes à dominance théorique (qui relèvent des instances instituantes et instituées, cf. supra tableau 1) sont en moyenne plus longs que les textes à dominance applicative (qui relèvent des instances auxiliaires). Ce paradoxe s’explique sans doute parce que les textes à dominance théorique restent attachés au modèle du discours philosophique, qui se caractérise par la longueur moyenne plus étendue de ses mots, de ses phrases et ses textes.

Complémentairement, à la différence de langue (sg.), langues (pl.) est positivement corrélé aux noms concrets étiquetés comme tels par le logiciel Cordial (+0.18), et donc négativement corrélé aux noms abstraits. Ainsi, bien qu’à l’instar des dictionnaires les terminologies lemmatisent leurs entrées, on voit que singuliers et pluriels méritent d’être distingués. Même si l’abstraction théorique tend à privilégier les singuliers, ne nous hâtons pas de conclure qu’en général les mots au singulier auraient vocation à lexicaliser des concepts à la différence des pluriels. Un travail spécifique reste à faire pour éprouver les critères que nous utilisons comme indices d’abstraction (longueur moyenne des mots, des phrases et des textes, association avec des mots abstraits, détermination, etc.).

En conclusion provisoire de cette analyse, retenons que dans ce corpus sens (sg.) lexicalise un concept (comportant une molécule sémique), alors que ‘langue’, notion résiduelle ne figure plus parmi les objets de débat et ne se définit que par son opposition à celle de parole [17]. Enfin, sens (pl.) et langues ne manifestent que des éléments du fond sémantique, à l’instar des lexèmes fréquents et peu spécifiques, comme propriétés, exemples, relations, qui dans ce corpus sont du même ordre de fréquence absolue.

Sans prétendre la généraliser, éprouvons enfin cette conclusion par un exemple tiré d’un corpus relevant d’un autre discours. D’après les données recueillies par Sylvain Loiseau, dans L’ Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari, les 20 premiers cooccurrents d’inceste, comme refoulement, mère, frère, prohibition, filiation, etc., appartiennent tous au domaine de la psychanalyse (comme le confirment les contextes) et leurs taux de corrélations réciproques sont très élevés. En revanche, les 20 premiers cooccurrents d’image sont répartis entre plusieurs domaines : économique (capitalisme), psychanalytique (inceste, refoulé), mais aussi artistique (théâtre, Chaplin), etc. À la différence d’inceste, qui semble une lexicalisation privilégiée d’un concept, image participe sans doute à l’expression de divers concepts encore à identifier et décrire.

En somme, relativement à une forme sémantique, une lexie peut : (i) la lexicaliser ; (ii) en lexicaliser une partie (on parle alors d’expression de contour) ; (iii) lexicaliser une partie du fond sur lequel se détache cette forme ; (iv) demeurer indépendante tant de cette forme que de son fond.

3.3. Émergence, définition et évolution des concepts

Comment les thèmes théoriques se lexicalisent-ils ? Leur lexicalisation s’accompagne-t-elle d’un appauvrissement de leur richesse contextuelle ? Ces questions engagent une étude diachronique et comparative sur corpus numériques dans diverses disciplines ; au sein d’œuvres singulières comme celles de Guillaume (cf. Valette, 2003) et Deleuze (cf. Loiseau, 2003), elles engagent à retracer en diachronie l’apparition, l’évolution voire la disparition de concepts.

Dans la perspective où les concepts ne sont pas le reflet d’une ontologie préalable, où leur émergence se décrit comme un processus d’évolution linguistique, les inégalités de statut que connaissent les lexies d’un texte théorique se laissent schématiser ainsi : (i) certaines concourent à l’établissement de fonds sémantiques (isotopies) ; (ii) d’autres participent à la construction de formes sémantiques, au premier rang desquelles les molécules sémiques, qu’elles lexicalisent partiellement (dans le cas où il existe une lexicalisation privilégiée, ce sont alors ses corrélats) ; (iii) enfin, d’autres encore lexicalisent de façon synthétique des formes textuelles (molécules sémiques). L’émergence d’un concept consiste à parcourir successivement ces trois stades.

Arrivé au troisième, il est encore susceptible d’être fixé par une définition [18] qui sépare le terme de ses contextes effectifs pour lui associer un contexte canonique et éviter ainsi son évolution. Elle n’intéresse toutefois que les lexicalisations synthétiques et ne rend pas compte de la formation ni de la dissolution du concept.

Après ces quatre phases, la « déconceptualisation » ou dissolution met en jeu d’autres parcours. Soit le terme devient inusité et disparaît du domaine ; soit il cesse de lexicaliser une molécule sémique déterminée et s’étend à un nombre indéterminé d’acceptions : par exemple, le terme système en informatique a cessé de lexicaliser un concept déterminé. Ce processus s’achève quand le terme sort du domaine sémantique considéré : ainsi, la matière première des traités de métaphysique est devenue un terme général qui peut s’employer dans divers domaines dès lors qu’il s’agit de production.

Figure 2 : Évolution du terme

NB : Les flèches convergentes symbolisent une diminution du nombre des contextes, les divergentes une augmentation de ce nombre,
qui conduit à une désémantisation banalisante.

À l’évolution sémantique de ses corrélats répond souvent une évolution morphologique qui accompagne la formation du terme. D’abord empruntée à un autre domaine ou à la langue supposée « générale », l’expression qui le lexicalise correspond à un simple homonyme du terme d’origine dès lors qu’elle revêt une signification propre à la discipline (ainsi des termes étoile ou tonneau en mathématiques). Ou bien encore, dans le cas de la formation d’un néologisme, elle combine des morphèmes courants dans des domaines scientifiques ou techniques : ainsi, Gustave Guillaume forme le terme psychomécanique [19].

La banalisation s’accompagne ensuite d’une diminution de la densité sémique du terme, qui perd certains traits sémantiques : le terme ainsi désémantisé devient de ce fait compatible avec un grand nombre de contextes, voire de domaines disciplinaires.

En somme, dans la phase de formation du concept, on passe de corrélats non spécifiques et non disciplinaires à des corrélats spécifiques et disciplinaires. Puis dans la période de dissolution, on assiste soit à une disparition, soit à une banalisation qui revient à des corrélats sémantiques et des expressions associées non spécifiques à la discipline.


4. La dialectique, des personnages du mythe aux acteurs théoriques

Si les textes philosophiques semblent organisés par une narrativité abstraite, comment s'organise la dialectique des textes scientifiques ?

Des mythes platoniciens aux expériences de pensée de la philosophie analytique, le discours philosophique abrite sans doute des formes incluses et résiduelles du mythe [20]. Si les personnages paraissent s’absenter du discours philosophique, ils ne tardent pas à y réapparaître sous la forme non anthropomorphe des concepts de la quête gnoséologique. Ainsi, en passant de l’épopée archaïque au dialogue philosophique, les personnages sont subrepticement passés du récit à la narration, mais la dialectique n’a pas pour autant perdu tout contact avec le mythe. Même si l’on considère chaque personnage d’un dialogue philosophique comme le représentant d’une position abstraite du pensable, en analysant la progression du dialogue on s’aperçoit que des actes dialogiques comme prendre un exemple, manier l’ironie, se faire l’avocat du diable, discréditer un adversaire ne sont pas moins codifiés que les phases du combat singulier.

Si le passage du récit à la narration permet à la philosophie de se réfléchir en elle-même et d’y gagner sa réflexivité caractéristique, il reste à interroger le statut narratif des concepts. La dialectique dispose et met en scène des personnages comme la Vérité, l’Esprit, la Nécessité, l’Opinion droite, etc., mais leurs interactions peuvent-elles se regrouper en séquences stéréotypées comme des fonctions narratives ? Quels sont leurs modes de récursion et d’enchâssement ? Les réponses à ces questions ouvertes varient sans doute selon les époques et les écoles [21].

En outre, un récit philosophique peut fort bien ménager des séquences scientifiques et techniques. Une analyse détaillée des Eléments d’Idéologie de Destutt de Tracy (l’auteur, 1971) a pu établir que les développements scientifiques de la grammaire et de la logique sont surdéterminés par un récit de quête dont les trois épreuves successives se résumeraient grossièrement ainsi : l’Esprit humain, malgré les artifices et les sophistications qui ont fini par voiler l’origine, doit créer un langage conforme à la nature et donc parfait ; au moyen du langage, il constitue la connaissance en deux étapes, la représentation puis la mise en ordre des idées ; il instaure le règne des Lumières en communicant la connaissance au moyen du langage et spécialement de l’écriture. On retrouve dans ce récit abstrait les trois épreuves canoniques que l’on trouve dans les récits épiques : qualifiante, principale et glorifiante [22].

Existe-t-il de même une narrativité scientifique ? C’est le cas, certainement dans les sciences sociales. Par exemple, on peut lire dans les travaux néo-darwiniens sur l’origine du langage de petits récits anthropologiques qui expliquent les cultures en termes d’avantages adaptatifs : le langage servirait à faire la paix dans de chamailleuses hordes ancestrales, ou encore à médire des absents (gossip hypothesis), etc. Pichot emploie à leur propos l’expression de romans anthropologiques : c’est beaucoup dire, mais il reste que dans les sciences sociales les hypothèses scientifiques revêtent souvent des formes narratives élémentaires, qui qualifient des acteurs et introduisent, avec une téléologie narrative, une sorte d’intelligibilité rudimentaire. La fin proclamée des « grands récits » n’aura donc aucunement empêché la multiplication des petits, même dans les lieux où l’on professe un scientisme éliminateur. Par exemple, la résorption des sciences sociales dans les sciences de la nature semble un tardif avatar, en un récit épistémologique de naturalisation, du retour à la Nature que prêchaient les moralistes antiques et les philosophes des Lumières.


5. La dialogique, des narrateurs du mythe aux « voix » du texte scientifique

Si les concepts héritent des personnages des récits, les agents de l’interlocution représentée héritent de leurs narrateurs. C’est l’évidence en philosophie : le dialogue, genre éponyme de la dialectique philosophique, met en scène des personnages qui, pour porter parfois le nom de personnes historiques, n’en sont pas moins littéraires. Il se sont peu à peu absentés dans l’abstraction : soit ils ont revêtu des figures didactiques en résumant des positions traditionnelles (comme Hylas et Philonoos chez Berkeley) ; soit, dans le genre du traité, depuis les sommes médiévales, ils se sont réduits à de simples arguments, introduits par des expressions comme sed contra, qui signalent simplement que l’auteur n’adhère pas à la position qu’il décrit.

Mais qu’en est-il des positions représentées dans le texte scientifique ? Cette question mérite d’autant plus l’attention que leurs normes discursives, pour l’objectivation nécessaire à l’impression de vérité, bannissent précisément les marques de subjectivité. La confrontation des positions se représente alors soit sur un mode anthropomorphe par la mention de l’auteur et de ses collègues et/ou adversaires, mais ès qualités plutôt qu’en tant qu’individus, soit par la mise en scène abstraite de paradigmes ou de théories.

Au-delà, les études sur la polyphonie du texte scientifique ont permis des observations intéressantes sur les modes de présentation de l’énonciateur. Pour éviter l’illusion ordinaire qui confondrait l’énonciateur représenté et l’auteur, il importe toutefois de distinguer l’auteur du narrateur et donc de préciser les spécificités de la narration théorique. Pour décrire la dialectique des textes théoriques, on peut s’appuyer sur la tradition de l’analyse structurale des récits, mais on ne dispose pas d’élaboration analogue pour la dialogique, car la narration proprement dite n’a pas été étudiée avec le même souci d’approfondissement : alors qu’il existe des théories des acteurs et fonctions du récit, rien de tel pour la narration [23].

On peut cependant spécifier des fonctions et des acteurs de la narration représentée, en distinguant deux paires d’acteurs.

a) La première assume des fonctions de communication. Ses acteurs sont le Guide et le Régisseur [24]. Le Guide (au sens où l’on parle d’une visite guidée) assume une tâche didactique d’accompagnement du lecteur et utilise des figures de participation. Par exemple, il emploie le nous inclusif (« Nous avons vu plus haut… »). Ses actions sont des actions partagées de parcours du texte, d’où la fréquence de verbes de mouvement et de perception (venir, voir, etc.). En multipliant ces figures de participation, le style reader-friendly aujourd’hui recommandé retrouve certains aspects de l’accommodatio rhétorique et confère un ton didactique vaguement convivial à un nombre croissant de textes scientifiques.

Le Régisseur, pour sa part, trace les contours du propos : il utilise le nous exclusif de majesté académique, ou le je, pour en préciser et surtout limiter les ambitions (on trouvera fréquemment des verbes comme se limiter, se contenter, etc.), et corrélativement des modalisations euphémiques, comme le conditionnel.

Alors que le Guide tient un propos thétique, caractérisé par des aspects accomplis, des temps perfectifs, le Régisseur, malgré sa position éminente, se cantonne souvent dans l’hypothétique, caractérisé par des aspects inaccomplis et des temps imperfectifs.

Sur l’axe de la communication représentée, le Régisseur traite de la production, mais en anticipant l’interprétation par des figures d’accommodatio, alors que le Guide se cantonne à la lecture plus qu’à l’interprétation.

b) Sur l’axe de la représentation, ou plus précisément celui de représentation dialogique de la mimésis, deux autres acteurs se partagent les tâches, le Garant (irénique) et le Critique (polémique).

Le Garant s’engage en son nom ou au nom de l’institution qu’il représente, mais sur un mode objectiviste ; il introduit les définitions ; il adopte une position thétique qui lui fait privilégier le nous de majesté académique, le on, et surtout les formulations déclaratives sans pronoms de première personne ; enfin, les temps et modes thétiques, les aspects perfectifs.

Complément du garant, le Critique argumente contre des thèses ; soit celles qui viennent d’être présentées par le Garant (« on pourrait objecter que »), mais alors il joue le rôle d’adjuvant en prévenant par anticipation les critiques du lecteur ou des adversaires académiques ; soit surtout celles de ces adversaires, parfois exécutés sommairement en note et déjà diminués de n’être mentionnés que là — chez Bourdieu par exemple. Dans le premier cas, les modes sont hypothétiques, dans le second thétiques – malgré un bon nombre d’interrogations rhétoriques. Les évaluations sont orientées péjorativement. En somme, nous aurions la disposition suivante :

Acteurs

Guide

Régisseur

Garant

Critique

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pronoms typiques

Nous (incl.)

Nous (excl.)

On

Je

Temps

Futur, PC

Conditionnel

Présent PC,

Présent

Aspects

Perfectifs

Imperfectifs

Perfectifs

Perfectifs

Modalités

Thétique

Hypothétique

Thétique

Thétique

Evaluations

Mélioratif

Péjoratif

Neutre

Péjoratif

Tableau 4 : Manifestations morphosyntaxiques des acteurs de l’énonciation
représentée
dans les textes théoriques.

Nous n’avons pas retenu ici le Je philosophique, qui désigne conventionnellement un Moi quelconque, acteur de l’énoncé et non de l’énonciation représentée.

Cette première typologie pourrait être liée à des fonctions dialogiques dont on peut trouver des exemples parmi les figures non tropes comme la délibération ou l’argumentation, la concession ou… le dialogisme [25] qui prend dans le texte scientifique la forme de citations commentées. Malgré son caractère exploratoire, elle permet de premières conclusions. (i) Fondée sur la notion de métalangage, la notion de métadiscursivité reste ambiguë, car elle convient tant au Régisseur qu’au Garant. (ii) La distinction entre acteurs se confirme si l’on considère leur distribution selon les parties de l’article : le nous dans les notes est exclusif et renvoie à la position académique magistrale, alors que dans le texte il est souvent inclusif et renvoie à une figure de participation — la distinction entre acteurs permet alors de distribuer les acceptions selon les parties du texte. Ainsi les notes sont-elles un lieu d’exercice du Régisseur (et non du Guide), ou du Critique et non du Garant.

Kjersti Fløttum (2005) a clairement montré les variations pronominales dans l’emploi de je, vous et on, selon qu’il s’agit du rôle du Guide ou du Garant [26]. Les stratégies diffèrent cependant selon les auteurs : entre deux articles, sur les trois pronoms je, nous, on, elle relève les scores respectifs de 12, 4, 14 vs 0, 27, 15 — le on étant la forme non marquée.

Les acteurs de la dialogique scientifique participent à la construction de l’éthos. Par exemple, les euphémisations et précautions modalisantes du Régisseur dérivent historiquement du topos de modestie jadis prescrit aux orateurs et qui participe de la captatio. En outre, dans le texte scientifique, il a été remotivé par la mimésis d’objectivation qui péjore les marques de la subjectivité, et notamment le je. Par exemple, dans les articles de linguistique, les je sont trois fois plus fréquents dans les exemples que dans le corps du texte (25, 5 vs 8 %) alors que les nous sont trois fois plus fréquents dans le texte que dans les exemples (5 vs 17% ; cf. Poudat et Loiseau, à paraître).

Bien entendu, la construction de l’éthos est un phénomène global qui implique tant les acteurs dialogiques que les acteurs dialectiques voire les thèmes. Enfin, les acteurs de l’énonciation représentée ne se distribuent pas indifféremment selon les instances théoriques (cf. supra tableau 1) : (i) les instances instituantes ne disposent que du Garant – éventuellement du Critique pour l’épistémologie ; le plus souvent, elles ne sont pas associées à l’énonciation représentée, ce qui signale une forme d’implicite. (ii) Les instances instituées mettent à contribution le Garant et le Régisseur. (iii) Les instances auxiliaires multiplient les figures du Guide et du Régisseur.


6. Directions de recherche

6.1. De la forme locale à la textualité globale

La compréhension des rapports entre global et local est une des difficultés majeures que rencontre la linguistique des textes – et d’ailleurs l’ensemble des sciences de la culture. De fait, les descriptions restent souvent très partielles, limitées à une gamme d’expressions, de termes, de « connecteurs argumentatifs », de pronoms, etc.

Dans la composante thématique, par exemple, il importe de relier les expressions locales, comme les termes, dont le contenu relève de la microsémantique, aux concepts, qui sont des molécules sémiques et à ce titre relèvent de la mésosémantique. Ensuite, il faut articuler la description des concepts aux sections (ou « séquences ») du texte scientifique. Enfin, reconstituer l’économie globale du texte, en tenant compte de la fonction du genre, mais aussi du projet propre de l’auteur. Cela engage un patient travail comparatif entre auteurs et disciplines qui suppose des programmes coordonnés, comme le projet Cultural Identity in Academic Prose (Kiap).

6.2. Les structures des univers sémantiques

Un discours ne correspond pas seulement à des ensembles de genres, il est associé à un domaine sémantique spécifique qu’il configure et qui assure son unité thématique. Mais les structures de ces domaines et corrélativement les types de mimésis globale que ces discours induisent sont susceptibles de variations qui restent à caractériser. On peut reprendre à Greimas la notion d’univers sémantique pour esquisser une typologie structurelle de ces domaines, et, en prolongeant la typologie des mimésis esquissée ci-dessus (tableau 2), proposer cette distinction :

— L’univers sémantique des textes littéraires est stratifié en isotopies génériques entre lesquelles sont établies des relations métaphoriques, et, plus généralement, analogiques. Les structures dialectiques sont valuées et les acteurs des diverses isotopies sont susceptibles de se regrouper en agonistes [27].

— L’univers sémantique des textes philosophiques (du moins dans la tradition occidentale) est également stratifié en isotopies génériques, mais elles sont moins nombreuses et moins variées. Les métaphores et analogies ne sont pas systématiques. Enfin, seuls certains concepts hiérarchiquement supérieurs revêtent le statut d’agonistes (la Nature chez Spinoza, l’Esprit chez Hegel) et se subdivisent en acteurs [28].

— Enfin, les univers sémantiques des sciences ne comportent en principe qu’un domaine (ce pourquoi on estime qu’elles ont un objet). Les métaphores et analogies sont alors ponctuelles et purement didactiques. Enfin, les acteurs ne se regroupent pas en classes d’équivalence, en raison de la distinctivité principielle des concepts.

Tableau 5 : Typologie des formes globales des univers sémantiques 

La structure tabulaire de l’univers littéraire dérive sans doute de ce que Lévi-Strauss appelait la « structure feuilletée » du mythe. La structure arborescente de l’univers philosophique correspond, dans l’onto-théologie occidentale, à la forme définitoire de l’ontologie, fondée sur les relations de subsomption qui conduisent aux « genres suprêmes de l’Etre », comme les catégories d’Aristote. Enfin, les discours scientifiques, obtenus par restriction puis autonomisation à partir du discours philosophique, structurent des domaines locaux de manière à interconnecter tous leurs concepts en réseaux.

Discours

Littéraire

Philosophique

Scientifique

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Thématique

 

 

 

A/Isotopie(s) générique(s)

multiples

limitées

unique

B/Structure

tabulaire

arborescente

en réseau

Dialectique

agonistes

acteurs et agonistes

acteurs

Tableau 6 : Quelques critères de caractérisation des univers sémantiques selon les discours

Comme plus haut pour la mimésis, le discours philosophique occupe ici encore une position intermédiaire entre le discours littéraire et le discours scientifique. Cela s’explique sans doute par des raisons historiques : la philosophie occidentale s’est formée au sixième siècle av.J.-C. à partir du discours mythique dont la littérature est issue, mais en réaction contre lui. À leur tour, les discours scientifiques ont pris peu à peu leur autonomie à l’égard du discours philosophique dont ils sont issus et qu’ils ne cessent de récuser — bien qu’il reste rémanent, comme en témoignent par exemple les brouillons scientifiques.

Une dimension polémique demeure, chaque discours cherchant à se démarquer de celui dont il est issu : ainsi, les scientifiques affectent de garder leurs distances avec la philosophie en affichant aujourd’hui une nette indifférence à l’égard de l’épistémologie philosophique et a fortiori de la littérature, en refusant par exemple les métaphores et comparaisons [29], voire en adoptant un style des plus inélégants, qui ne doive rien au principe de plaisir, et donc tout, espèrent-ils, au principe de réalité.

Cependant, la pensée théorique peut conserver une unité que masque son élaboration disciplinaire. Construisant le texte à partir de notes diverses, le travail génétique du savant consiste notamment à unifier par les normes d’un genre des fragments préexistants : toutefois, les brouillons scientifiques restent souvent, chez Saussure et chez Guillaume par exemple, dans une indistinction de genre comparable à celle des brouillons littéraires — et peut-être identique, si l’on admet que la méditation artistique et la méditation scientifique connaissent un régime commun, celui d’une pensée qui n’est aucunement désincarnée et autarcique comme le prétend la théorie instrumentale du langage : elle doit son unité contradictoire au fait qu’elle se tient certes dans la langue, mais encore en-deça d’un genre strictement défini, et reste dans la pensée sans devenir encore de la science. Cela concorde avec cette observation de Valéry : « Science et art sont presque indiscernables dans la période de l’observation et de la méditation pour se séparer dans l’expression — se rapprocher dans l’ordonnance — se diviser définitivement dans les résultats » (Valéry, Cahiers, II, 1974, p. 926 ).

En allant plus loin encore, Cassirer suggérait une origine mythique de la science : « le point de départ authentique de tout devenir de la science, l'élément immédiat qui est à son origine, se trouve moins dans la sphère sensible que dans l'intuition mythique [...]. On ne peut comprendre intégralement le développement de la science — considéré en un sens idéel et non temporel – qu'à la condition de montrer comment elle procède de la sphère de l'immédiateté mythique et s'élabore à partir d'elle [...] » (Cassirer, 1925, p. 11). C’est pourquoi peut-être les brouillons scientifiques sont si fascinants, car une théorie peut se périmer, alors que la dynamique d’une pensée reste inachevée et donc inépuisable.


NOTES

[1] Outre les genres, on distingue les champs génériques et les discours. Soit en bref trois niveaux : les discours (ex. juridique vs littéraire vs scientifique), les champs génériques (ex. théâtre, poésie, genres narratifs)[1], les genres proprement dits (ex. comédie, roman « sérieux », roman policier, nouvelle, conte, récit de voyage). Pour certains types de recherche, on doit considérer un niveau encore subordonné, celui des sous-genres (ex. roman par lettres) constituent un niveau encore subordonné. Les différences de statut épistémologique entre ces niveaux font cependant qu’on ne peut, sauf simplification didactique, les représenter par une simple arborescence.

[2] La notion de discours reste cependant affectée par deux méconnaissances. (i) Il s’agirait simplement d’une dimension du langage, comme en témoigne l’opposition en langue / en discours traditionnelle en linguistique française, et qui se superpose à l’opposition saussurienne langue/parole ; à quoi s’est ajoutée l’idée d’inspiration harrissienne que toute suite voire tout couple de phrases constitue un discours (Danlos). (ii) Il ne s’agirait pas d’un concept linguistique mais sociologique, voire socio-politique (comme le postule l’école française d’Analyse du discours). À l’opposé, mais complémentairement, le tenants de l’individualisme méthodologique (qui pratiquent une micro-sociologie issue du positivisme logique) tiennent que seuls existent des jeux de langage et que genres et discours se résument à des jeux interpersonnels. Cette conception reste bien représentée en analyse conversationnelle.
Dans les deux cas, le discours est reconduit à la sociologie. Le même type d’objection est d’ailleurs opposé à l’existence linguistique des genres : Greimas tenait qu’il s’agit de formations « idéologiques » qui échapperaient comme telles à la description linguistique ; Biber les renvoie également à une sociologie et entend faire émerger par des critères linguistiques des « types de textes » sans rapport défini avec les genres.

[3] Faute de reconnaître l’autonomie des discours, on serait conduit par exemple à ranger dans la même catégorie le commentaire sportif et le commentaire politique, avec les résultats que l’on devine.

[4] Sur la suggestion de Simon Bouquet, 1997.

[5] Venue de la logistique russellienne, cette notion convient certes aux langages formels, mais malgré son succès reste sans doute inadéquate pour les langues.

[6] À la différence des langages formels, qui restent l’idéal de la théorie des métalangages, les langues sont gouvernées non seulement par des règles, mais par des normes qui configurent la textualité de leurs performances. Les formes de la textualité méritent une étude spécifique, qui relève de la linguistique comparée et comme telle doit tenir compte de la différence des langues et des usages, y compris nationaux (cf. Fløttum, 2005, sur le projet Kiap).

[7] Loin de résider dans le rapport à un objet prédonné qui serait observable indépendamment de toute théorie, la “vérité” réside dans le rapport entre les investigations et les textes scientifiques. Comme telle, elle suppose une déontologie qui reconnaisse l’Altérité : soit le Réel comme Autre pour les sciences de la nature et l’Autre comme Réel pour les sciences de la culture.

[8] Cf. l’auteur, 1989. Nommément, la thématique rend compte des thèmes, décrits comme des formes sémantiques (molécules sémiques) ; la dialectique étudie la succession des intervalles dans le temps textuel, comme les états qui y prennent place et les processus qui s’y déroulent ; la dialogique, les relations modales entre univers et entre mondes et rend compte de l’énonciation représentée ; la tactique rend compte de la linéarité du signifié et de la disposition des unités textuelles. Ce modèle modulaire non-hiérarchique fait l’objet d’un relatif consensus, car a été repris dans son principe par diverses grammaires du texte (Adam, 1992 ; Roulet et coll. 2001). 

[9] Cf. Malrieu et Rastier, 2001.

[10] En poursuivant dans la même perspective méthodologique de caractérisation progressive, Poudat (2003) étudie les variations intragénériques de l’article de linguistique, avec des variables globales comme la revue, le numéro thématique, l’auteur.

[11] Cf. l’auteur, 2001a.

[12] Pollakos legomenon (cf. Aristote, Métaphysique, gamma, 1006).

[13] La dialogique rend compte de l’énonciation représentée.

[14] À la suite de recherches sur la perception sémantique (cf. 1991, ch. 7), nous avons proposé une théorie des formes sémantiques (l’auteur et coll., 1994, ch. 6, l’auteur, 2001 b, ch. 1) : en bref, les thèmes sont des formes qui se profilent sur des fonds, dont les isotopies génériques sont l’exemple.

[15] Système peut revêtir toutefois une acception spécifique.

[16] Ils sont extraits de 32 numéros de 11 revues de linguistique, publiés entre 1995 et 2003 et occupent un volume de 9 Mo en format txt. Le nombre d’occurrences s’élève à 2082 pour langue et 973 pour langues, 2186 pour sens (sg.) et 179 pour sens (pl.). Le logiciel a été entraîné pour l’occasion sur le discours scientifique, de manière à ajuster le jeu d’étiquettes. Je remercie Céline Poudat pour ces données précieuses.

[17] Il peut paraître étrange que langue ne soit pas considéré comme un concept, mais seulement comme une notion : de fait, ce terme fréquemment utilisé n’est pas souvent problématisé, puisqu’il fait à l’évidence partie des acquis fondateurs de la discipline. Il tend donc à passer dans le fond sémantique, comme en témoigne sa répartion.

[18] La définition, rappelons-le, n’est pas un moyen de connaissance, mais une simple configuration récurrente dans les discours théoriques, techniques et didactiques.

[19] Cf. Valette, 2003, sur qui je m’appuie ici.

[20] Ainsi l’apologue de la Terre Jumelle, chez Putnam, emprunte à la mythologie moderne de la science-fiction ; celui de la Chambre Chinoise chez Searle rappelle l’énigme d’un roman policier.

[21] Par exemple, chez Hegel, qui théorisa l’épopée, ne peut-on reconnaître encore le caractère épique des aventures de l’Esprit, dont les trois étapes rappellent curieusement la triplication des épreuves dans l’épopée indo-européenne ?

[22] Pour être plus précis, les Éléments d’Idéologie articulent trois récits enchâssés, gnoséologique, grammatical et idéographique, qui narrent la conquête de la connaissance, la création et l’élaboration des langues, enfin la création d’une idéographie. Le premier appartient à une isotopie mythique, le second à une isotopie scientifique, le troisième à une isotopie technique.

[23] L’histoire des formes littéraires modernes évolue vers une subjectivisation croissante, absorbant le récit dans la narration, les épreuves du héros dans les tribulations du narrateur. On pourrait retracer ce processus, sur le mode plaisant, du Roland Furieux au Don Quichotte, de Tristram Shandy à Jacques le Fataliste, et jusqu’à Joyce et Faulkner.
On peut en tout car redoubler la topique du récit par celle de la narration (adresse au lecteur, début par une confidence, etc.).

[24] Comme les acteurs du récit, nous signalons les acteurs de la narration par des capitales à l’initiale.

[25] Cf. Fontanier, Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1997, p. 375-377. Elle pourrait être étendue aux textes philosophiques et littéraires. Par exemple, le début de Jacques le Fataliste se caractérise par l’absence du Garant et de Guide, le Critique exerçant ses talents à l’encontre du lecteur.

[26] Elle emploie un autre terminologie, en caractérisant « different manifestations of the self as writer, researcher and arguer”.

[27] Un agoniste est un type constitutif d'une classe d'acteurs. Dans les textes mythiques au moins, il est fréquent que les acteurs relevant d'un même agoniste soient indexés sur des isotopies génériques différentes ; mais ils restent cependant susceptibles de relations métaphoriques.

[28] Ainsi Loiseau (2003) peut-il distinguer sous le concept de Nature chez Spinoza trois thèmes qui en fait correspondent à trois acteurs, Nature-Dieu sur l’isotopie ontologique, Nature-État sur l’isotopie politique, et Nature-Loi sur l’isotopie politique.

[29] “J’évite autant que possible, parlant des choses de la langue, qui ont une rigoureuse spécificité, de faire appel à des comparaisons” (Guillaume, cité par Valette, 2003). Dans leur livre sur les impostures scientifiques, Sokal et Bricmont érigent encore la métaphore en indice certain de l’imposture, comme si les métaphores computationnelles, neuronales et néo-darwiniennes qu’ils prennent au pied de la lettre pouvaient, en réifiant l’imaginaire scientiste, passer pour des thèses scientifiques.


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©  mars 2006 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : RASTIER, François. Pour une sémantique des textes théoriques. Texto! [en ligne], mars 2006, vol. XI, n°1. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Textes.html>. (Consultée le ...).