LAPIN TACTILE, ARAIGNÉE LUMINEUSE, TEXTE FOURMILLANT

Yves-Marie VISETTI
CNRS / LAFORIA

(Paru dans la Revue de Littérature générale, n°2, juin 1996, non paginé.)


L'esprit, le cerveau : vieux couple s'il en est, où chacun tour à tour éclipse son conjoint. Alliés, cependant, devant la menace de rivaux aux âges indéterminés : l'extériorité de la nature, d'abord, qui délimite, nourrit, menace, et toujours compromet leur tiède intériorité solipsiste ; l'extériorité de la culture, ensuite, qui joue sur la pluralité des individus pour constituer et relativiser toute individualité ; les artefacts, également, travail mort qui anticipe sur la vie à venir, à présent prothèses animées qui ne sont déjà plus de la vie (Stiegler) ; et la conscience, enfin, soit l'expérience indéfiniment variable et familière d'être au monde, celle-là même que le mind des orthodoxies cognitivistes, c'est à dire l'esprit-cerveau des psychologies cognitives et des neurosciences computationnelles, prétend réduire à la condition d'épiphénomène.

Donc, la conscience : vieux problèmes, brefs rappels, petits croquis, compilation-éclair.

VIEUX PROBLEMES

Unité et continuité.

Tout ce que la conscience nous livre manifeste une cohérence singulière, et si d'aventure cette cohérence vient à faiblir, nous dirons précisément que la conscience se perd. Traditionnellement, on rend compte de cette cohérence de plusieurs façons : par la continuité éprouvée du temps qui passe, par celle du champ ouvert dans chaque modalité sensorielle, par la forte structuration, finalement assez peu paradoxale, de ce qui se présente simultanément dans ces différents champs, par une impression générale de familiarité avec le monde, par la permanence d'un “soi” singulier, qui répond à celle du corps qu'il s'est pleinement approprié, comme à celle, langagière et sociale, que l'intersubjectivité lui assigne. Parfois, il est vrai, on concèdera l'incohérence, mais ce sera pour mieux mettre en avant la continuité ou le continuum : humeurs, émotions, passions, plaisirs ou déplaisirs, dont le flot enfle et désenfle, nous submerge ou se tarit. En somme, bien que changeante, la conscience serait continue, et, bien que subjective, elle aurait affaire à des objets indépendants ou permanents. Intentionnelle et volontaire, elle distribuerait son attention de façon sélective dans le temps, sûre de la présence des choses, sûre de distinguer cette présence du souvenir ou de l'imagination, sûre enfin de retrouver ces mêmes choses quand elle déciderait d'y revenir. Ainsi toute discontinuité, rupture, interruption, surgissement, "étrangification" dans le flot de l'expérience ne ferait jamais que confirmer la continuité, l'unité, la connexité, et l'identité à soi du fin fond de la conscience (Husserl, Searle).

Pourtant, en affinant ces intuitions de sens commun, en les confrontant aussi à des environnements ou à des subjectivités moins ordinaires (par exemple pathologiques), ou encore - ce qui est bien différent - en explorant les bases neurophysiologiques présumées de l'expérience, on est au contraire conduit à affirmer le caractère rhapsodique du "matériau" de la conscience, de ce fond unifié, cohérent et continu que l'on prête au flot de tous les vécus. On voit par exemple vaciller les oppositions nettes entre mémoire, imagination, et perception, ce qui n'est pas sans conséquences sur la trame narrative de nos existences, comme sur la signification de toute présence. La continuité temporelle, de même que la connexité des divers champs perceptifs, est à comprendre sur un mode herméneutique, et non plus ontologique : il y a peut-être des trous, mais personne n'est là pour s'en plaindre. La conscience connaîtrait aussi différentes formes, touchant paradoxalement à la non-conscience. Les sujets pourraient éprouver ces différences qualitatives, cette hétérogénéité modale de leur conscience, mais cela n'engendrerait aucun effet de passage, de franchissement de seuil, car encore une fois, personne ne serait là, dans les têtes, pour s'en inquiéter et sonner l'alarme. Par conséquent seule la confrontation entre les consciences, à travers le langage et les artefacts techniques, pourrait constituer ou délimiter, dans l'espace et le temps des comportements observés, comme dans celui des événements neurophysiologiques corrélés, de pareilles frontières effectivement subies mais non vécues comme telles par qui que ce soit. Et nous n'avons aucune raison a priori de supposer que les structures de l'expérience consciente, unité ou pluralité, continuité ou discontinuité, simultanéité ou succession, se transposent en des structures neurophysiologiques ou comportementales simplement isomorphes (Block, Dennett).

Conscience et anticipation.

L'impression de continuité-unité-cohérence est liée à la permanence construite des objets à travers leurs profils successifs, qui contribue en retour à la permanence d'une identité subjective. L'anticipation (dans l'acception présente) est cette capacité, non pas de prévoir à l'avance et avec exactitude, mais de tout recevoir comme confirmation de son attente. Elle suppose la reprise permanente de ce qui arrive, en accord avec un schème anticipateur qui est, paradoxalement, une mémoire de ce qui est encore et toujours à venir. Elle n'est donc pas en ce sens une estimation du futur, mais d'abord le mode de constitution de l'expérience présente. On reconnaît ici les analyses célèbres de Husserl : rien ne pourrait se donner comme conscient sans être pris dans une telle ouverture de perception potentielle. Il faut comprendre par là que le potentiel est donné en chair et en os, comprimé dans le présent. C'est ce potentiel lui-même, en tant que présentifié, qui est l'objet de la conscience : c'est tout le cube que nous apercevons, parce que nous le saisissons sous certaines de ses faces. Le cube est ce potentiel totalement présentifiable de configurations de faces toujours partielles. Le présent est alors une scène où s'intègrent les objets perçus, en tant que potentiels géométriques, dynamiques, fonctionnels, émotionnels, etc., donnés en présence. La scène est donc elle-même un pareil complexe de relations, dont la portée dépasse le présent qui l'intègre pourtant toute entière. Et de même que le potentiel délivré en chair et en os dans le présent se prolonge dans le possible futur de toutes les associations qu'il évoque, de même le présent, qui est lui-même fait d'anticipation, s'ouvre sur la confrontation avec une anticipation prolongée de nature prédictive. Conservatrice et novatrice à la fois, la conscience semble associée au pressentiment de ce qui lui échappe, et déborde continûment son anticipation constituante sans pour autant la prendre radicalement en défaut. La phénoménologie de Husserl a dit tout cela et beaucoup plus : car c'est d'elle que nous vient la description d'un Présent non instantané, qui intègre la rétention du tout-juste-passé à la protention du presque-advenu ; d'elle aussi, le modèle d'une perception construisant l'identité de l'objet comme une anticipation de ses esquisses. Husserl a toutefois refusé de mettre en cause la netteté de la distinction entre la conscience du présent et celle de la mémoire ou de l'imagination. Mais peut-on vraiment, comme il le pensait, distinguer entre la perception de la présence et celle du possible qui s'y annonce ?

Quoi qu'il en soit de cette distinction, il paraît difficile d'imaginer quelque forme de conscience, si rudimentaire soit-elle, sans l'épreuve vécue d'une négociation permanente entre une instance conservatrice et anticipatrice, d'une part, et une nouveauté familière qu'elle doit s'approprier, d'autre part. Les homards, par exemple, sont-ils conscients de cette façon ? Certainement non, nous assure Gerald Edelman dans sa Biologie de la conscience. Pourtant le homard se débat et (peut-on penser) souffre mille morts lorsqu'on le tranche ou l'ébouillante vivant, selon les prescriptions d'une tradition culinaire barbare. Comment nommer l'expérience de douleur fulgurante que nous lui supposons, si le mot de conscience, dans ses versions censément les plus primaires, semble requérir tout autre chose que d'avoir à sentir, tout simplement ? En somme, quel effet cela fait-il d'être un homard ?

Modes de la conscience.

Nous en parlions à l'instant, mais je savais bien que tu n'écoutais pas (trop occupée à lire ton livre). Continuons quand même, puisqu'on s'entend si bien :

Mais nous voilà bien lancés dans la théorie, et tout cela n'était encore qu'un échauffement, simple P-conscience et non A-conscience véritable de notre sujet.

PETITS CROQUIS : Assemblées, romans, versions multiples

Assemblées neuronales.

Le psychologue D. Hebb conjecturait en 1949 que l'assemblée neuronale était l'unité pertinente pour une mise en corrélation des états mentaux avec leur base neurophysiologique présumée. Par assemblée neuronale il entendait un ensemble de neurones fortement connectés, dont l'activité devait présenter une certaine forme de cohérence, peut-être une synchronie dans le rythme de leurs décharges, en raison-même de la densité de leur réseau de connexions - dont Hebb imaginait d'ailleurs que l'efficacité ne ferait que croître à l'usage. A chaque composant d'une description psychologique, par exemple les parties d'une scène ou d'un objet perçu, il devait être possible d'associer, non pas un neurone isolé, dénué en tant que tel de valeur fonctionnelle, mais toute une assemblée, ou sous-assemblée, qui serait la contrepartie cérébrale du composant psychologique en question. Chaque neurone pourrait d'ailleurs, selon les opportunités, se laisser recruter tour à tour par plusieurs assemblées, et chaque assemblée, de son côté, se satisferait pour jouer son rôle fonctionnel d'un quorum acceptable de ses membres. La fortune de ce concept d'assemblée n'a pas cessé de croître depuis sa première explicitation, et l'on peut s'étonner, même si Hebb a évidemment eu des précurseurs, que cette proposition de considérer le cerveau comme une société de micro-agents neuronaux rassemblés en collectifs intermittents n'ait pas été exprimée plus tôt avec toute la clarté nécessaire. La question a formidablement rebondi dans les années 80 avec la découverte de certaines formes d'oscillations dans l'activité du cerveau, en l'occurrence des décharges intermittentes, remarquablement synchrones à la milliseconde près, de groupes de neurones situés à des distances variables les uns des autres. Les progrès de l'électrophysiologie auraient donc permis de saisir sur le vif les assemblées conjecturées par Hebb. Allant même au-delà du terme équivoque d'état psychologique, pour lui préférer celui d'état de conscience, plusieurs théoriciens, tel F. Crick, suggèrent que certains de ces mécanismes oscillatoires, comme ceux observés à une fréquence de 35-75 hertz entre le thalamus et le cortex, joueraient un role décisif dans la formation de nos impressions conscientes. On tiendrait là un critère majeur d'une différence entre activité cérébrale consciente et inconsciente : soit la capacité de mobiliser, sur un mode temporellement cohérent bien spécifique, des nuages d'assemblées neuronales. Une conséquence de cette façon de voir pourrait être que le flux de conscience est structurellement inégal, rythmé par les conditions, toujours transitoires, de la stabilisation de ces assemblées. Il pourrait s'avérer difficile, pour une nouveauté entrante, de prendre le train d'une assemblée en cours de stabilisation. Que faire ? prendre le train suivant ? mais il est alors trop tard, le stimulus s'en est allé... La conscience serait donc faite de temps forts et de temps faibles (nous nous en doutions), sur un rythme fondamental de quelques centaines de millisecondes (c'était moins évident). Peut-être même cette conscience est-elle secrètement discontinue, syncopée à l'insu du sujet, dont l'expérience se vivrait alors par bouffées ? Une autre interprétation, plus modeste mais fort astucieuse, de ces mêmes phénomènes neurophysiologiques, y reconnaît plutôt l'effet d'une sorte de colle cérébrale, une façon de lier des micro-événements, provisoirement mais solidement, pour segmenter l'activité globale en entités distinctes. Tu vois par exemple un carré rouge et un disque vert. Quatre petites assemblées neuronales s'activent : une pour rouge, une deuxième pour vert, une troisième pour carré, une quatrième pour disque. Comment le cerveau peut-il savoir que c'est le carré qui est rouge et le disque qui est vert, comment attribuer les bonnes couleurs aux bonnes figures ? C'est ce qu'on appelle le problème du liage, le binding problem. Les oscillations répondraient à la question : les assemblées pour rouge et carré oscillent en synchronie, et de même, en alternance avec les précédentes, celles pour disque et vert. Chaque assemblée, ou collège d'assemblées, pourrait ainsi se regrouper et se disperser une vingtaine de fois par seconde (50 hertz). Et c'est bien assez pour y voir clair.

Le roman de la conscience primaire.

Donc des assemblées, des oscillations, des (in)cohérences temporelles. Très bien, mais encore ? Il y a par exemple le projet, les propositions d'Edelman : la conscience à travers le biologique et le social, sa genèse dans l'évolution des espèces, ses formes primaires ou supérieures. Ingrédients théoriques : (i) de la biophysique, (ii) de la reconstruction darwinienne à toutes les échelles de structure et de temps (par exemple son darwinisme neuronal qui considère le cerveau comme un écosystème d'assemblées de neurones), et enfin (iii) ce qu'il appelle l'hypothèse des qualia, une façon élégante de se donner l'expérience consciente au départ, sans prétendre la redissoudre dans ses bases physiques. Expliquer, oui, éliminer, non. Car il faut bien présumer dès le départ une Conscience et son expérience singulière si l'on veut donner un sens au discours qui, s'adressant à elle, entend dégager des corrélats dans l'ordre matériel. Mais assez parlé, il faut agir. Remonter dans le temps, parcourir à rebours l'hominisation, redevenir lémurien, rongeur, oiseau peut-être, et là, modestement s'intéresser à sa propre expérience, se demander de quelles pauvres différences elle est faite. Nous percevons fort bien, nos mouvements s'accompagnent d'émotions ; une mémoire en nous, inconnue comme telle de nous car nous n'avons ni futur ni passé, construit en permanence notre présent, qui est tout ce dont nous disposons. Telle est la conscience primaire. D'où nous vient-elle ? D'une rencontre singulière entre deux types de systèmes nerveux : un système hédoniste (tronc cérébral, système limbique) régulateur intransigeant de nos appétits et des Grands Principes de notre Physiologie, système lent et ultra-conservateur ; et le système thalamo-cortical, rapide, moderne, sensori-moteur, ensemble de cartes et de répertoires catégoriels connectés à l'intense agitation du monde. Au début, soutient Edelman, la relation entre ces deux sous-systèmes est encore rustique : à chaque instant, une valeur hédonique dominante est implacablement fixée par le premier, tandis que le second construit en conséquence les parcours sensori-moteurs nécessaires, sous le régime de cette valeur unique. Mais supposez qu'une mémoire de plus en plus élaborée garde la trace de ces interactions, puisse les réactualiser dans des contextes inédits, à contre-temps de la valeur hédonique qui tend à s'imposer dans le moment. Supposez encore que cette mémoire entre en relation négociée avec les répertoires de la catégorisation sensori-motrice, tandis que ces répertoires eux-mêmes s'émancipent de plus en plus du contrôle immédiat du système hédoniste. Des combinaisons impensables adviennent : il devient possible d'avoir faim et de copuler, d'avoir peur et de défendre sa progéniture - ainsi définie par le soin qu'on en prend, etc. Le centre de gravité du Soi se déplace alors du côté de cette mémoire nouvelle, qui intervient dans la construction d'une expérience dont le matériau sensori-moteur se fait en en même temps plus divers et plus libre. La mémoire entre véritablement dans le phénomène, mais sans prendre pour autant la qualité phénoménologique d'un passé, ni d'une anticipation prédictive de ce qui advient. C'est le présent lui-même qui est co-produit par l'anticipation, ou, ce qui revient au même, c'est un présent remémoré (c'est l'expression d'Edelman). L'animal que nous sommes devenus n'a pas seulement des sensations, il affronte des scènes ; des complexes de relations lui sont donnés en présence, alors même qu'il les a construites au fil de son histoire, qui peut maintenant connaître des épisodes. On peut discuter, évidemment, la plausibilité de ce roman phéno-biologique ; on peut discuter également l'efficacité et l'originalité de l'architecture neuronale très générale qu'Edelman propose de mettre à sa base. Mais on devra reconnaître l'équilibre de la construction : la conscience primaire est celle d'un présent étroit, mais déjà épaissi de rétention et de protention ; elle inclut une négociation permanente entre des catégorisations sensori-motrices, et une mémoire conservatrice mais adaptative de ce qu'elles devraient être. Les valeurs hédoniques deviennent alors des projets à l'échelle du présent, et chaque perception nouvelle peut toujours les contester. Que faut-il encore pour une conscience d'ordre supérieur ? Une perception du soi qui se fasse progressivement dans l'extériorité, l'invention d'un corps propre qui permette l'identification au congénère, et du même coup le développement d'un imaginaire (les chimpanzés au miroir). Une construction sociale de l'individualité biologique, qui institue d'autres principes de reproduction de l'expérience et fasse coexister plusieurs modes vécus de l'identité, une intériorité et une extériorité instanciées sur une sémiotique criarde et gesticulante. C'est ainsi que le soi pourra sortir de son implicite, et devenir un moi extériorisé et explicite. Broutilles... Millions d'années... Je suis fatigué, continue seule, va jusqu'au langage, invente le temps, autrui, et reviens m'exhumer.

Narration et versions multiples.

Dennett (1991, belle critique par Bernard Pachoud, 1994) veut rompre avec une conception qu'il appelle "cartésienne" de la conscience. Il désigne par là une conscience conçue sur le modèle d'une scène perceptive, où les différentes modalités sensorielles concourent à l'élaboration d'une représentation unifiée, se déroulant en un flux continu. Tel serait, selon Dennett, le théâtre cartésien de la conscience, centré en permanence sur un unique contenu bien individué. Dennett ne s'intéresse guère, en fait, à la qualité propre de notre expérience subjective ; la phénoménologie ne l'intéresse pas en tant que telle, mais seulement comme objet - il vaudrait mieux dire prétexte - d'une explication possible par les sciences de la nature. En sorte qu'il discute assez peu cette conception "cartésienne" de l'expérience perceptive. Il préfère en effet penser la conscience uniquement à partir du témoignage verbal ou de l'observation comportementale en troisième personne. Car il est, comme il le dit lui-même, une sorte de vérificationniste, "le Vérificationniste du Village", qui réduit les phénomènes à la factualité manifeste qui en découle, et veut, à partir de là, s'intéresser aux processus cérébraux qui les sous-tendent. Le théâtre cartésien n'est donc qu'un hors-d'oeuvre, et la véritable cible de Dennett (ou du moins la seule qu'il traite convenablement) est ce qu'il appelle le matérialisme cartésien : soit la théorie du fonctionnement cérébral qui suppose, par analogie avec le théâtre, la convergence permanente de son activité sur une unique représentation, localisable spatialement et temporellement, moderne version de la gande pinéale en laquelle Descartes voyait le lieu de la jonction entre la matière et l'esprit. Le matérialisme cartésien chercherait donc à localiser le lieu central dans le cerveau où toute "l'information pertinente" du moment serait rassemblée, ou bien la ligne précise à partir de laquelle l'ordre d'arrivée de ces mêmes informations serait identique à l'ordre de présentation des événements corrélés dans l'expérience des sujets. Mais selon Dennett, il n'y a pas de lieu ou de moment privilégié dans le cerveau où toute l'information converge et se laisse intégrer. C'est de toute façon une mauvaise question, selon lui, car la conscience ne présente pas le type d'unité que lui suppose le théâtre cartésien, et en conséquence il n'y a pas à chercher à fonder une telle unité inconsistante dans le cerveau lui-même (thèse extrêmement discutable). Et surtout, quand bien même on admettrait l'unité et la cohérence des phénomènes, tout ce que nous savons sur le cerveau nous détournerait de chercher à les construire matériellement de cette façon (thèse en revanche peu discutable). Les processus sous-jacents à la conscience sont distribués partout dans le cerveau ; tout en étant connectés, ils conservent une relative indépendance, et c'est ainsi qu'ils contribuent à l'expérience consciente, chacun mettant à sa disposition un fragment construit par ses soins. Le modèle de l'intégration cérébrale selon Dennett n'est pas la scène perceptive unique, mais la narration construite par bribes, et pas nécessairement dans l'ordre des "contenus" représentés, à l'intérieur d'un atelier cérébral où s'activent des équipes concurrentes de rédacteurs. La conscience émerge de ce processus de révision éditoriale continue, où il n'y a plus ni version originale, ni version finale du fil de l'expérience - pas davantage et même plutôt moins que sur Internet. L'expérience n'est rien d'autre que son propre récit, attribué à la profusion de ses narrateurs. C'est ce que Dennett appelle le modèle des Versions Multiples de la Conscience, qu'il présente de façon équivoque à la fois comme un modèle fonctionnel du cerveau, et comme un schéma narratif général de l'expérience subjective. Trop général, peut-être, car Dennett ne se soucie pas, en dépit de la finesse de certaines de ses analyses, de distinguer différentes acceptions de la conscience. Block, par exemple, estime que le modèle des Versions Multiples ne concerne que ce qu'il appelle lui-même conscience d'accès ou A-conscience (voir plus haut, modes de la conscience). Ce qui demeure en tout cas largement inexpliqué par la tentative de Dennett, c'est bien la conscience phénoménale comme apparaître pur et simple, comme mode de donation des objets et des épisodes. Mais Dennett n'admet pas, il est vrai, qu'une perspective complémentaire en première personne, subjective et réflexive, soit nécessaire à une étude de la conscience. Et par ailleurs il n'a guère d'estime pour ceux qui se préoccupent de la singularité des qualia (ou sensations). Tout aussi sommaire, d'ailleurs, est sa conception de la narration comme métaphore de l'intégration cérébrale : s'agit-il en effet de monologue ou de polylogue intérieur, de roman balzacien, de nouveau roman ? quand verse-t-on dans l'écriture automatique, le cut-up ? D'autres aspects, par contre, sont bien traités : l'indistinction, à telle échelle de l'enquête, à telle vitesse de l'expérience, entre le véridique et le fictif, la mémoire et l'imagination (voir plus bas, révisions orwelliennes et staliniennes).

Qu'est-ce que la fidélité, dans ces conditions, si on la cherche comme un accord entre le bouillonnement intérieur des versions multiples, et le discours qui l'emporte dans la conscience ? Tout est fidèle et infidèle à la fois, car la narration officielle de la conscience est sans rapport vérifiable avec le matériau dont elle est tissée, la texture de ce matériau intérieur n'est pas celle d'un texte, ni a fortiori ne définit un original. Si ce matériau est en effet précurseur, c'est à la façon d'un ingrédient ou d'un support, et nous n'avons pas à lui être fidèles. Il est donc vain de chercher à écrire ou parler comme lui, car il n'écrit, ni ne raconte encore jamais rien.

EXPÉRIENCES NOUVELLES ET ANCIENNES

Sources : Dennett, Block.

Que faire d'une milliseconde ?
Au cinéma : une image envoyée toutes les 42 millisecondes ; une même image est répétée trois fois dans ce laps de temps, en alternance avec des plages de noir (= 8,5 ms d'image, puis 5,4 ms de noir).
La télévision aux Etats-Unis : une même image deux fois toutes les 33 millisecondes, sans noir intercalaire, mais au contraire avec superposition partielle des images.
On tape sur un doigt avec un marteau : en 20 millisecondes les premiers messages arrivent au cerveau par les fibres rapides avec myéline, mais il faut 500 millisecondes pour les fibres lentes sans myéline, à l'origine de la douleur.
Ton crâne est ouvert, délicatement. Petite stimulation électrique au cortex, tu sens qu'on te chatouille la main 500 millisecondes plus tard, selon tes dires et l'horloge. On te chatouille vraiment la main, cette fois. Curieux : tu déclares une sensation consciente beaucoup plus vite (moins de 500 ms), alors qu'il faut cette fois aux messages le temps de gagner le cortex.
Pour articuler “Mississipy” : une seconde. Une seule syllabe : 200 millisecondes.
Dans un pénalty, la balle arrive sur le goal à 120 km/heure : soit un tiers de seconde entre la frappe et le but.
Le cycle de base d'un neurone est à peu près de 10 millisecondes.
Le cycle de base d'un ordinateur personnel est de 0,0001 milliseconde.

Le non expérimenté se manifeste.

Il ne s'agit pas ici d'un inconscient à élaboration lente, mais d'un conscient-inconscient à effet rapide. Soit un simple geste qui indique une direction, un mot qui manifeste une préférence : nous comprenons que le sujet a été influencé, qu'il a rencontré à l'instant quelque chose qui l'a orienté à son insu, sans qu'il en fasse l'expérience consciente - ou sans qu'il puisse se souvenir de cette expérience qu'il aurait eue malgré tout, sans qu'il puisse la relater, voire l'inventer (il l'aurait irrémédiablement "oubliée", et les mots n'y pourraient plus rien). Jusqu'à quel point, d'ailleurs, pourrait-il se montrer véridique, s'il devait relater quelque chose qu'il n'expérimente pas, mais dont il est seulement le siège ? Ci-dessous, quelques exemples célèbres.

Amorçages. - On te montre des mots très brièvement. Tu vois que ce sont des mots, tu distingues le nombre de lettres qu'ils comportent, mais tu n'as aucune perception qui les identifie, aucun souvenir de ces lettres ou des mots qu'elles forment. Cependant, tes réactions sont modifiées par les mots projetés, du moins pendant un certain temps : ainsi par exemple tu complèteras plus rapidement et plus sûrement des mots à demi-masqués (mort-) s'ils figuraient dans la liste (mortadelle).

Vision aveugle. - Certains patients qui souffrent de lésions corticales, notamment dans le cortex dit visuel, présentent des zones aveugles, ou scotomes, dans leur champ de vision. Ces scotomes ne sont pas des taches sombres, dont le bord obscur se détacherait sur le reste du champ visuel : ce sont des gouffres, des trous noirs de la vision, parfaitement invisibles du sujet qui n'en a qu'une conscience indirecte. Si l'expérimentateur introduit un stimulus dans la zone du scotome, et demande au sujet ce qu'il voit, la réponse est rien. Le scotome détruit parfois le champ tout entier, ce qui signifie alors une complète cécité en ce sens. Car le fait extraordinaire est qu'une certaine forme de vision, non éprouvée comme telle, continue d'avoir lieu. Si l'on demande en effet à ces patients de se prononcer sur telle ou telle caractéristique du stimulus prescrite à l'avance (direction, mouvement), ils donneront presque toujours des réponses correctes, ils devineront la réponse, plus exactement, car si cette réponse est juste, ils sont incapables de l'étayer sur une évidence phénoménale, une expérience qu'ils pourraient rapporter. La vision aveugle parvient à voir, sans même avoir conscience qu'il y avait quelque chose à voir - quelque chose qu'elle ne peut voir de toute façon à cette place. Cette vision ne voit qu'en raison de l'indication qu'on donne au sujet qu'il y a là du visible. Les voyants aveugles peuvent même diriger convenablement leur main vers un objet présent dans leur scotome, à condition toutefois qu'on leur en signale l'existence. A l'évidence, leurs yeux sont encore reliés à d'autres parties du cortex. Mais en quoi cela nous éclaire-t-il sur la possibilité d'une telle perception inconsciente, bref d'une conscience inconsciente, totalement paradoxale à cette échelle de temps ?

Prosopagnosie. - C'est l'incapacité de reconnaître des visages pourtant familiers, au sens radical où le sentiment de familiarité et la capacité de nommer à bon escient sont détruits. Non, je ne connais pas ce monsieur (en réponse à la présentation d'une photo de Nixon). Cependant, invité à choisir entre plusieurs noms possibles, le sujet atteint de prosopagnosie devinera souvent le nom exact, sans que cela change quoi que ce soit au sentiment d'étrangeté qu'il éprouve. De même, il reconnaîtra, perdus parmi d'autres au milieu d'une liste, les termes ou noms propres associés au visage non reconnu : president, Watergate.

Dissociation.  - Certains sujets, très doués il est vrai, peuvent subir sous hypnose des opérations autrement impossibles sans anesthésie. Il est arrivé que l'hypnotiseur parvienne en même temps à échanger quelques propos avec un "double" intérieur au sujet, une sorte de deuxième conscience. Interrogé sur la question de savoir s'il ressentait quoi que ce soit, ce double répondit en effet qu'il éprouvait une douleur atroce. Les témoignages s'accumulent également à propos de sujets "s'éveillant" (sans pour autant esquisser le moindre mouvement) alors qu'ils sont sous anesthésie générale, et rapportant par la suite que l'opération avait provoqué de vives douleurs. Si cela est le cas, mieux vaut qu'il n'en reste aucun souvenir : d'où, parfois, l'ajout de valium au cocktail anesthésiant. Voir plus haut à Modes de la conscience la discussion sur la P- et la A-conscience (Block).

Les mouvements apparents.

Il est bien connu qu'une succession rapide d'images statiques crée l'impression d'une image en mouvement, principe qui est au fondement du cinéma. En 1912, le gestaltiste Wertheimer étudiait des versions simplifiées de ce phénomène, qu'il nommait "phénomène phi" (voir la présentation classique de la psychologie de la Forme par Paul Guillaume). On allume successivement plusieurs petites diodes séparées par un angle visuel d'au plus 4 degrés. L'impression est celle d'un seul point en mouvement. Soulignons que si l'on allumait une seule de ces diodes, exactement le même temps qu'elle le reste à l'intérieur d'une séquence, on la percevrait tout à fait, mais évidemment comme une brève lumière ponctuelle, immobile. Cette expérience bien familière devient toutefois plus surprenante si l'on utilise des diodes de couleurs différentes, par exemple rouge et verte : on voit encore un seul point en mouvement, mais qui change de couleur à mi-chemin.

Question : comment le cerveau fait-il pour compléter la trajectoire perçue à partir de la donnée de ses deux extrémités et de leurs couleurs ? Mais après tout, qui nous dit qu'il doit compléter quoi que ce soit, gâcher du crayon et de la peinture pour tracer dans ses répertoires visuels la même trace qu'un mouvement "réel" aurait provoquée ? C'est au contraire la perception du mouvement "réel" qui est peut-être construite de cette manière économique, lacunaire. Le cerveau n'aurait pas besoin de restaurer quoi que ce soit pour déployer dans la conscience le champ continu de la vision ou de l'ouïe, il n'a pas besoin d'être lui-même continu dans son activité pour créer le continu de la perception. Il y a des trous, du bruit, des lacunes : fort bien, mais qui est là, dans le cerveau, pour s'en plaindre ? Il suffit peut-être de ne pas y faire attention, et le cerveau n'y verra que du feu...

Autre question : comment le cerveau fait-il pour décider, entre toutes les versions perceptives qui s'esquissent en lui, celle qui doit l'emporter ? Doit-il écraser la vision naissante des diodes immobiles avant qu'elle parvienne à la conscience, de façon à ce que la perception d'un-point-unique-en-mouvement triomphe à coup sûr ? Ou peut-il laisser passer, très fugitivement, la vison consciente des diodes immobiles, le temps de construire le mouvement dont l'apparition dans la conscience déclenchera l'oubli instantané des tentatives précédentes, jetées aux poubelles de son histoire ? Les expériences de masquage visuel posent encore plus fortement ces questions. On te montre un petit disque noir, puis très vite à sa place un anneau noir qui l'entoure exactement (ou plus exactement l'entourerait si le disque était encore projeté). Le résultat est que tu vois l'anneau seulement. Pourtant, si le disque était montré seul, exactement le même temps qu'il apparaît dans l'expérience du masquage, tu aurais largement le temps de l'apercevoir. Que dire : le disque a-t-il été perçu consciemment, puis définitivement effacé par l'anneau qui a suivi ? Ou bien le disque n'a-t-il jamais été perçu en réalité ?

Les révisions orwelliennes et staliniennes (Dennett).

La question précédente se généralise. Tu sors dans la rue. Passe une fille sans lunettes. Tu la regardes sans y penser. Pourtant tu te souviendras d'avoir vu une fille avec des lunettes. Première hypothèse : tu l'as d'abord vue brièvement et authentiquement sans ses lunettes. L'instant d'après, ton cerveau, probablement agité de souvenirs qui n'en finissent pas, lui a ajouté les lunettes de ton désir. Deuxième hypothèse : ton désir a été plus rapide encore que ta perception, et la première fois que tu l'as vue, ton cerveau lui avait déjà mis ses lunettes. Tu ne l'as donc jamais vue autrement. La première hypothèse est celle que Dennett qualifie d'orwellienne : comme en 1984, les historiens révisionnistes du cerveau détruisent toute trace des faits historiques effectivement advenus, et les remplacent par leurs constructions personnelles. La deuxième hypothèse est dite stalinienne : le cerveau fabrique tout bonnement de faux faits historiques, de véritables procès de Moscou, dont l'enregistrement et la remémoration sont ensuite "normalement" et véridiquement traités. La différence entre ces deux types de révision tient à savoir si le montage ou la falsification se produisent avant ou après le moment présumé de la prise de conscience. Fidèle à ses options vérificationnistes, qui l'amènent à identifier expérience consciente et jugement sur l'expérience, Dennett affirme qu'aux échelles de temps comme celle du phénomène phi, il n'y a pas moyen de distinguer entre une révision antérieure et une révision postérieure à l'expérience. De ce qu'il n'y a pas moyen, il déduit qu'il n'y a pas non plus de sens à postuler une telle distinction. Les deux modèles sont compatibles avec ce que le sujet ressent, et selon lui ce serait encore tomber dans un piège "cartésien" que de chercher à établir dans la conscience le moment d'entrée qui ferait foi et définirait l'origine de ce qui a été finalement vécu. Du reste, il n'y pas non plus de fin à ce qui a été vécu, puisque nous n'y avons accès que par la relation que nous en faisons, et qu'il faut toujours la recommencer.

Deux temps, deux espaces.

Le temps neurophysiologique des événements n'est donc pas le temps de leur advenue à la conscience. La relation éventuelle de ces deux temps ne repose pas nécessairement sur un alignement. Pas d'isomorphisme simple entre le temps vécu et le temps cérébral, y compris pour ce qui concerne l'ordre de la succession. Mais il est vrai que le cerveau doit respecter certaines contraintes : les écarts doivent se limiter à une certaine zone temporelle, là où tout est encore négociable, où l'intégration reste possible. Au-delà, les inversions chronologiques sont plus difficilement constructibles, elles relèvent du souvenir et du langage, et non de la construction perceptive en cours. Il en va de même pour le mouvement : on peut provoquer des changements de direction, mais à des vitesses bien déterminées (les roues qui tournent dans le sens inverse de la marche au cinéma, les pales des ventilateurs qui s'inversent, etc.). De façon générale, le cas de l'espace semble analogue à celui du temps, il fait jouer aussi des "codages" paradoxaux. On objectera peut-être que le cerveau comporte un grand nombre de répertoires visuels de type cartographique, où se catégorisent des micro-événements en dépendance étroite avec la topologie de la rétine, et via l'optique, en relation avec une reconstruction géométrique de l'espace. Mais ce n'est que le début de l'histoire, et au-delà de ces premières aires visuelles, il n'y a pas lieu de supposer que l'espace du cerveau soit isomorphe à son espace perçu. Nous ne pouvons même pas comprendre comment la perception regroupe en un point tant de micro-caractéristiques que le cerveau disperse sur tant de répertoires différents (couleur, contraste, mouvement...).

Mais il y a bien sûr, outre l'espace-temps de la conscience et celui du cerveau, un troisième espace-temps, celui du dispositif expérimental, où se construisent des repérages encore différents.

Le lapin tactile. - Ton bras est au repos sur une table. On place des frappeurs mécaniques à plusieurs endroits : poignet, coude, épaule. Ils envoient une série de coups, à des intervalles compris entre 50 et 200 millisecondes, en remontant du poignet à l'épaule, mais sans respecter tout à fait l'ordre du trajet (on intercale quelques allers et retours d'une articulation à l'autre). Néanmoins, tu perçois presque toujours la même chose : une petite bête sautille sur ton bras, et le remonte en allant toujours dans le même sens. Deux interprétations encore, orwellienne ou stalinienne selon les goûts.

L'araignée lumineuse. - Une variante du lapin tactile, proposée par Dennett. Par des petites stimulations lumineuses ponctuelles on te donne l'impression du déplacement d'une petite bête à plusieurs pattes, extrêmement légère, dont la marche se construit à coups de taches de lumière, qui sont comme ses empreintes.

Le texte fourmillant. - Quand tu regardes, tes yeux se meuvent par saccades et parcourent ainsi le champ de ta vision. C'est tout particulièrement et continûment le cas lorsque tu lis. Lors d'une saccade oculaire, le mouvement des yeux est balistique. Une fois lancés vers un certain point du texte, leur mouvement ne s'ajuste plus en cours de route ; il est entièrement déterminé par l'impulsion initiale. Ce qui est alors balayé par l'oeil entre deux fixations n'est pas intégré dans la lecture. On réalise l'expérience suivante. Tu es assise, tête maintenue immobile, devant un écran d'ordinateur ; un dispositif dépiste le début de chacune de tes saccades, calcule ton prochain point de fixation bien avant que tu l'aies atteint, et change tranquillement le mot sur lequel ta lecture repart aussitôt après. Résultat : tu crois lire un texte aussi stable que s'il était gravé dans le marbre, mais pour celui qui lit par dessus ton épaule - et dont les saccades oculaires ne sont pas synchronisées avec les tiennes - ce texte fourmille et se transforme sans cesse. Ta lecture est alors une allégorie d'elle-même : car ce sont tes saccades intérieures, ton propre parcours sémantique, qui construisent et stabilisent la signification que tu prêtes au texte. C'est en lui présupposant unité et cohérence, en respectant l'utopie d'une convergence de ta lecture, que tu y trouves ce que tes propres mouvements y ont placé. Qu'est-ce que l'herméneutique ? la stabilisation d'un savoir partageable de la lecture, par la synchronisation méthodique des saccades des lecteurs. Bien sûr il y a un reste, ce fourmillement que nous n'osons pas laisser reprendre, cette déstabilisation des textes et des sujets qui n'est que leur désynchronisation irréductible. Mais l'herméneutique est bien une discipline, nécessaire à la religion comme à la science (Rastier, Salanskis), et si l'on veut fourmiller, il faut aller voir ailleurs .


MICRO-BIBLIOGRAPHIE : 

Ned Block, "On a confusion about a function of consciousness", avec les commentaires et les réponses de l'auteur, Behavioral and Brain Sciences, 18, 227-287, 1995.

Francis Crick, The astonishing hypothesis, Scribner's, 1994.

Daniel Dennett, Consciousness explained, Little, Brown and Co, 1991 ; trad. fr. par P. Engel, 1993, La conscience expliquée, Odile Jacob.

Gerald Edelman, The remembered present: a biological theory of consciousness, Basic Books, 1989.

Gerald Edelman, Bright air, brilliant fire: on the matter of the mind, Basic Books, 1992 ; trad. fr. par A. Gerschenfeld, 1992, La biologie de la conscience, Odile jacob.

Paul Guillaume, La psychologie de la forme, réédition Flammarion, 1979.

Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie, 1913, trad.fr. P. Ricoeur, 1950, Gallimard ; et Leçons sur la conscience intime du temps, trad. fr. de S. Bachelard.

Roger Penrose, Shadows of the Mind. A search for the missing science of consciousness, Oxford, Oxford University Press, 1994.

Bernard Pachoud, "Les sciences de la nature peuvent-elles expliquer la conscience ?", recension critique de la "Conscience expliquée" de Dennett, Revue Internationale de Psychopathologie, 17, p. 123-155, 1995.

François Rastier, Jean-Michel Salanskis (éditeurs), Herméneutique : textes, sciences, Actes du colloque à Cerisy, à paraître, Paris, 1996.

John Searle, The rediscovery of mind, MIT Press, 1992 ; trad. fr. par C. Tiercelin, La redécouverte de l'esprit, Gallimard, 1995.

Bernard Stiegler, La technique et le temps. 1. La faute d'Epiméthée, 1994. 2. La désorientation, 1996, Galilée.

Francisco Varela, Evan Thompson, Eleanor Rosch, L'inscription corporelle de l'esprit, trad. fr. de V. Havelange, Paris, Seuil, 1993.


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©  avril 1997 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : VISETTI, Yves-Marie. Lapin tactile, araignée lumineuse, texte fourmillant. Texto ! avril 1997 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Visetti/Visetti_Lapin.html>. (Consultée le ...).