SÉMANTIQUE TEXTUELLE 1

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3.1.2. Analyse textuelle

B. Éléments de commentaire

N.B. Les champs lexicaux ne constituent pas une grille a priori ; ils se bâtissent dans l'interaction constante entre chaque texte particulier et l'observation systématique et méthodique du descripteur/interprète. C'est la méthode qui est générale. Cela dit, certaines catégories très larges peuvent fort bien se retrouver dans l'analyse de différents textes (ainsi de l'actorialité, de la spatialité, de la temporalité par exemple, la plupart des textes ayant ce type de coordonnées).

L'établissement des champs s'effectue par des lectures répétées qui balaient l'ensemble textuel, ce qui permet de repérer le plus de récurrences sémiques et de les articuler. C'est le sens contextuel qui est premier.

Les études distributionnelles, syntagmatiques et syntaxiques (relations entre les champs) interviennent dans le commentaire.

Ainsi, si nous examinons la première phrase (en tenant compte de l'ensemble du texte), on peut ouvrir un certain nombre de champs (confirmés par le contexte) : tous les termes lexicaux renvoient à la temporalité (« labours », « automne » et « ce matin » expriment diverses références temporelles, moment de l'année et moment de la journée ; « ont commencé » et « ce matin » expriment l'inchoativité : strictement celle-ci désigne le début d'un procès ou le premier procès d'une série cf. « dès le premier tranchant ») ; « ont commencé » renvoie à l'activité tout comme « labours » (activité transformatrice et productive, dont l'acteur-agent n'est pas présenté à ce stade) renvoie à culture, terre, horizontal (spatialité donc). « Labours » a le trait /activité en cours/ et non /résultat de l'activité/ du fait de l'association avec « ont commencé » (cf. a contrario « un corbeau s'est posé sur les labours »).

Un certain nombre de constatations sur l'implantation des champs et leurs relations invitent à voir deux parties dans ce texte, la première allant jusqu'à « colonne de neige » (on a déjà signalé la double appartenance du lexème « colonne », précision du contour, cohésion et densité, le syntagme « colonne de neige » associant l'idée de quelque chose de compact et celle de quelque chose de non compact) ; ces deux parties sont à la fois en continuité et en opposition.

Le travail agricole (la culture globalement) occupe essentiellement le début du texte (sous les aspects inchoatif - cf. supra - et résultatif cf. « maintenant que voilà déjà... ») ainsi que l'inchoatif, quasiment cantonné d'ailleurs à la première partie : on perçoit le rôle initial et déclencheur du labour qui transforme l'objet (terre) ; cet objet devenu sujet se transforme partiellement, est le lieu d'une réaction physique - dégagement de vapeur - à laquelle s'associe un élément dynamique (« monter »). On peut représenter cette succession : labour=> (objet) terre (sujet) => se mettre à fumer (inchoatif+action) [état résultant métaphorique « un feu »], => état réel résultant (« maintenant que voilà... six sillons côte à côte » [cause]) => présence de la vapeur au-dessus du champ (extension spatiale « là-dessous » => « au-dessus » et quantitative « feu » => « brasier ») [état résultant métaphorique « un brasier »] => dynamisme vertical (« monter ») et occupation en extension d'un volume (« dans » deux fois) [état résultant métaphorique et extension « colonne de neige »]. Fin de l'ascension et de la transformation qui associe, fait communiquer les éléments feu et eau, même sur un mode métaphorique (cf. les champs lexicaux) à partir de l'élément terre lui-même transformé par le laboureur. Cette communication des éléments est favorisée par l'air (qui ne joue pas un rôle explicite dans cette partie). Dans le syntagme « dès le premier tranchant de l'araire » la préposition « dès » et l'ordinal « premier » occultent la signification propre de ce terme (« côté effilé, mince, d'un instrument tranchant ») pour lui conférer un sens d'activité, d'action équivalant à *tranchement : on peut dire que l'on a là une ellipse à valeur métonymique l'expression signifiant à peu près « dès la première entaille effectuée par le tranchant de l'araire ».

Dans le champ de la nature, les éléments terre (à laquelle appartiennent Panturle et la vermine)/eau/feu sont massivement présents (et en association) dans la première partie, alors que l'air (associé aux corbeaux) domine dans la seconde partie ; en outre, l'eau et le feu ont souvent des valeurs métaphoriques (comparatives) au contraire de la terre et de l'air. Pour ce qui est des règnes, le végétal n'a qu'une valeur métaphorique ici (cf. « comme ») ; le règne minéral est surtout présent explicitement dans la première partie alors que la seconde partie fait intervenir l'animé (humain et animal). Luminosité et obscurité (celle-ci étant peu représentée) connaissent la même distribution, de même qu'à l'euphorie (production, amélioration) de la première partie s'oppose la dysphorie (dégradation) de la seconde.

Pour ce qui est de l'évaluation, au caractère précis, limité et ordonné de la première partie s'oppose le caractère étendu et désorganisé de la seconde partie (on a noté le rôle intermédiaire du syntagme « colonne de neige » qui associe la précision du contour à l'expression d'une densité, à de l'étendu donc; par ailleurs à ce syntagme fait pendant « l'air épais » qui évoque une densité lourde et imprécise opposée à la densité aérienne aux contours précis de la « colonne ») ; d'une façon plus fine, on remarquera le passage, dans la seconde partie, du précis, organisé (« l’un après l'autre ») à l'imprécis, au désorganisé (« paquets », « débris ») ; en association avec un mouvement descendant, on voit que les corbeaux, d'abord individualisés (« l'un après l'autre »), sont présentés ensuite collectivement mais avec une certaine réification qui les rend assez anonymes (« par paquets ») et enfin comme des fragments (éclatement de l'individualité dans « débris » ; noter aussi la correspondance « vermine »/ « débris ») ; à l'inverse, le passage de « feu » à « brasier » puis à « colonne », dans un mouvement ascendant montre la constitution progressive et consistante d'une unité.

Du point de vue de l'actorialité, si on note dans la première partie un grand rôle de la matière, de l'inanimé dont les éléments communiquent et s'associent (cf. le jeu de l'indéfini « on » et du neutre, de l'impersonnel « c' », « ça » qui connaissent une certaine personnification alors que les corbeaux seront réifiés), il y a une prépondérance de l'animé dans la seconde partie, des corbeaux surtout, car l'humain « Panturle » a un rôle très réduit; toutefois, l'utilisation du verbe « venir » (« ils sont tous venus... ils sont là autour de Panturle ») qui marque un déplacement aboutissant à l'endroit où on (c'est-à-dire le foyer énonciatif) se trouve, au lieu du verbe arriver par exemple, implique un rôle (énonciatif) central d'observateur du laboureur (dont le patronyme est probablement motivé puisque « turla » en occitan signifie « motte de terre »).

Ces constatations doivent être liées à d'autres concernant les champs état/procès et spatialité.

Dans l'état on trouve essentiellement le résultat de l'action du labour et des segments comparatifs (cinq occurrences introduites par « comme » ; à vrai dire, dans les deux premières occurrences ce terme, qui pourrait être supprimé, fonctionne comme adverbe modalisateur qui atténue l'affirmation ; il n'a sa pleine valeur comparative que dans les trois dernières occurrences).

On remarque, en relation avec les procès, une articulation de l'espace : dans la première partie, un espace horizontal correspondant à la transformation de l'objet (travail aratoire), puis un espace vertical articulé en profondeur/hauteur (« là-dessous », « au-dessus », « monter ») associé à une certaine transformation du sujet et à son mouvement et enfin une dimension englobante (« dans le jour clair », « dans le soleil ») ; un mouvement ascendant caractérise cette première partie ; au centre du texte apparaît l'activité cognitive intersubjective (les éléments communiquent aux corbeaux une information « et ça a dit... vermine », puis les corbeaux communiquent entre eux) ; le mouvement, qui caractérise les corbeaux et est déclenché par cette communication des éléments,  est surtout présent dans la seconde partie : on trouve d'abord un mouvement plutôt horizontal (« en volant sur le vent du plateau »), puis, par la suite, un mouvement descendant qui retrouve la proximité de la terre; l'englobement réapparaît en fin de texte (« autour » deux fois et « dans » : l'air épais englobe les corbeaux qui cernent Panturle comme les débris de bois cernent une barque).  Dans l'activité dynamique des corbeaux une certaine progression, à relier avec les remarques concernant le quantitatif de ce passage, apparaît : on passe de l'association inactivité/activité (« dormaient en volant ») à une activité volontaire (« ils sont tous venus »), puis à une activité subie en régime comparatif (« comme de grandes feuilles emportées par le vent ») et enfin à une faible activité (« flotter »). On a dans ce texte la représentation  d'une boucle, d'un certain cycle transformationnel décrivant l'interaction de l'inanimé et de l'animé qui ne permet cependant pas de dégager des valeurs précises.

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