EXERCICE 2 :

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Eléments de corrigé :

N. B. Possibilité de représentation en graphes (liens et nœuds), non exploitée ici, mais qui pourrait avoir quelque utilité.
Le « visage » est l’élément sémantique stable dans les deux énoncés ; acquiescement et refus sont employés absolument. 

1. La distinction générique/spécifique joue à deux niveaux dans la théorie (et perspective fond/forme autant pour les classes et catégories que pour le texte) :

- dans la structuration des catégories et des classes d’une façon paradigmatique. Ainsi /acquiescement/ et /refus/ sont les sèmes spécifiques d’un sème générique (axe catégoriel) /décision/. De même que /éclairer/ et /donner la beauté/ sont les sèmes spécifiques d’un sème générique /axiologie, esthétique/ (créé textuellement, cette catégorie, ainsi lexicalisée, n’existe pas en langue).

- dans la structuration du texte, joue, d’un point de vue syntagmatique, l’opposition générique/spécifique. Ici, générique peut renvoyer au thème, au topic (ce dont le texte parle), au fond, à l’impression référentielle. C’est le texte qui va répartir isotopie générique et isotopie spécifique dans ce sens-là, les isotopies spécifiques spécifiant (comme formes) la ou les isotopies génériques. L’analyse textuelle interprétative va mettre des isotopies spécifiques sous la dépendance d’isotopies génériques : celles-ci vont être spécifiées, investies par celles-là. L’opposition générique/spécifique peut articuler autant les isotopies génériques que les isotopies spécifiques, c’est-à-dire leurs contenus sémiques respectifs et indépendants. Ainsi, bien que l’on ait dans le texte de Char deux catégories (décision et axiologie ou esthétique), la seconde va fonctionner comme isotopie (récurrence sémique axiologique) spécifique de la première (devenant isotopie générique, récurrence là aussi), puisqu’elle la caractérise (articulation signe/texte). Le genre de l’aphorisme (cf. plus bas) vise souvent à redéfinir, remodeler notions, classes et catégories, articulant ou mêlant la perspective des classes et celle des isotopies.

La distinction générique/spécifique fonctionne de la même façon dans les deux cas (spécification d’une grandeur, de grandeurs, par une autre, par d’autres), mais dans un cas, ce sont des sèmes spécifiques qui spécifient des sèmes génériques, et dans le second cas, ce sont des catégories, des ensembles qui en spécifient d’autres (isotopies), dans ce cas précis. Rapport d’analysé à analysant dans les deux cas. Ainsi, le plan générique textuel semble constitué du couple d’antonymes {acquiescement / refus} constituant taxème, et le plan spécifique textuel paraît résider dans la paire graduée {« éclairer » / « donner la beauté »} : nous sommes peut-être dans les valeurs faibles de l’intensité et de l’extensité dans le premier membre et dans les valeurs fortes dans le second), manifestations figuratives (/éclat/) d’une axiologie/esthétique positive, sorte de taxème également, mais idiolectal.

2. Premier temps interprétatif (limité au Feuillet 81)

Genre de l’aphorisme, goûté par Char, et qui évoque de façon quelque peu paradoxale les valeurs de l’acquiescement et du refus (thématique et dialogique). Contexte historique : période 1939-45 : Char participa activement à la Résistance, rédigeant les Feuillets d’Hypnos au bivouac. 

- condition d’accueil et problème interprétatif :

D’un point de vue syntaxique, ce texte est composé de deux phrases de type SN+SV, avec différenciation des SV (V+SN pour la première phrase et V+SP+SN dans le second). Dans les deux cas, on a la structure thème/prédicat.

D’un point de vue sémantique, les SN sujets se répondent et sont articulés sur une opposition ; les SV, eux, semblent participer d’une même idée, « positive », avec une gradation (à évaluer) de l’un à l’autre (« donner la beauté » est supératif par rapport à « éclairer », à traiter en terme d’intensité graduée). On retrouverait le même type de structure dans le proverbe « la parole est d’argent, mais le silence est d’or », ou une structure analogue dans cette publicité, plus retorse, de E. Leclerc : « Vous aimez la nature, les arbres, les petits oiseaux. Vous adorerez nos sacs plastiques » et il y aurait là matière à recherche thématique et topique. C’est peut-être là qu’il y a un premier problème interprétatif, qui surgit à la lecture de la seconde phrase (on attendrait autre chose – rôle de la tactique) : deux antonymes dont les effets prédiqués vont dans le même sens, le second allant plus loin que le premier. On ne fera pas surgir ici, en vue d’une hypothétique reconstruction, les antonymes structuraux  « assombrir » et « donner la laideur ».

Le couple {acquiescement / refus} constitue une catégorie et vraisemblablement une classe (restreinte), un taxème avec sème microgénérique /décision/ et sèmes spécifiques /oui/ et /non/ (positif/négatif si on veut, mais à distinguer d’une positivité/négativité axiologique : c’est l’objet de la décision qui peut-être axiologisé, strictement, pas l’acquiescement ou le refus en eux-mêmes) ; mais on ne peut guère prétendre que ce taxème appartienne à un domaine ou alors ce n’est pas un taxème, mais la théorie (F. Rastier) admet l’existence de taxèmes, grammaticaux notamment, qui n’appartiennent pas en propre à des domaines, ce qui semble être le cas ici, bien que ce ne soit pas un taxème grammatical : ne se référant pas à une pratique sociale déterminée, il peut structurer divers comportements, attitudes… 

N.B. La structure déterminant (adjectif, verbe…)/déterminé (nom…) détermine le sens des afférences ; le nom donne ses marques au verbe, à l’adjectif, mais ce sont ces derniers qui sont en principe source de l’afférence, de l’inhibition… 

- quel interprétant pour quelle opération interprétative ?

Si la seconde partie de l’énoncé nous surprend par rapport à une attente stéréotypée dont la réalisation n’apporterait pas grand-chose et serait déplacée dans le genre, comme une lapalissade (« le refus l’assombrit », voire « lui donne la laideur » ?) peut-on pour autant procéder à une assimilation ou à une dissimilation qui ferait retrouver une doxa ? C’est plutôt ici la voie de l’accommodation qui sera choisie, parce que c’est une nouvelle vérité qui tend à s’exprimer. Pas si nouvelle que cela : Char est dans la Résistance (interprétant historique) et rejoint ici le topos (autre interprétant) de la belle révolte, de la noble insoumission (cf. notamment le Feuillet 145 qui parle « d’une insubordination admirable ») et un « mais » sous-jacent relie les deux phrases. On a donc affaire ici à des propagations de sèmes afférents contextuels, et le genre de l’aphorisme tend à les élever au rang de sèmes inhérents (effet de sens : vérité) : « acquiescement » et « refus » ont respectivement les traits inhérents spécifiques /positif/ et /négatif/ (dans un sens non axiologique), « éclairer le visage » et « donner la beauté » ont les traits axiologiques inhérents spécifiques /positif+/ et /positif++/ ; via la structure de détermination, ces derniers traits sont afférés respectivement sur « acquiescement » et « refus ». Est-ce à dire que la graduation positive neutralise l’antonymie de départ entre les deux substantifs, en positivant axiologiquement ses deux termes (cf. J. Gracq sur le « sentiment » du oui et du non dans Entretiens, J. Corti, 2002, p. 74) pour assurer toutefois la supériorité du refus sur l’acquiescement, ou que la prégnance massive de l’antonymie tend à faire percevoir la graduation comme une opposition (on peut s’opposer à quelqu’un parce qu’on dit le contraire ou parce que, dans le même sens, on va plus loin, ce qui est une autre façon de remporter la victoire argumentative…) ; on n’en a pas fini avec l’orientation des afférences qui, outre les structures morphosyntaxiques notamment, doivent compter avec les poids et densité sémantiques des termes.

3. Second temps interprétatif (avec les Feuillets 114 et 237 comme interprétants)

Raisons du choix de ces Feuillets : le Feuillet 114 est le seul qui comporte dans le recueil, avec le Feuillet 81 bien sûr, le terme d’acquiescement. Le Feuillet 237, qui est le dernier du recueil (rôle de la tactique), fait une place exclusive au thème de la beauté. Ce balisage, manuel et primaire, pourrait certes être étendu et complexifié. On veut ici, simplement, montrer le rôle d’un contexte élargi au recueil en se limitant à ces deux termes. Les remarques seront brèves.

- 114 : exclu du procès de l’écriture poétique, l’acquiescement (qui est lié à l’éclairement en 81) devient sans valeur axiologique, voire négatif. 

- 237 : la Beauté (liée au refus en 81) est posée comme valeur exclusive et absolue : contribuant à cet effet de sens, on notera la répétition du lexème et sa majuscule à l’initiale (phénomène d’emphase expressive à corréler au plan du contenu) ; il est probable aussi que le déterminant « la », en relation avec la majuscule se charge d’une valeur totalisante bien différente de la valeur plus faible qu’il a en 81. Cette valorisation est exaltée par contraste avec « ténèbres » (le Feuillet 178 parle sans détour de « ténèbres hitlériennes »). L’intensité et l’extensité sont ici maximales pour ce terme. On notera la dynamique de ce Feuillet : la lecture qui se suspend brièvement à la fin de la première phrase tend à faire comprendre « il n’y a pas une [de] place pour la Beauté », lecture activée par le syntagme initial « Dans nos ténèbres » ; la lecture de la seconde phrase fait opérer une rétrolecture qui affecte un autre sens au déterminant « une », qui, par cette négation polémique, s’oppose à « toute ».

- à la différence de la première interprétation où « éclairer le visage » et « donner la beauté » s’opposaient, certes, mais graduellement comme le bien au mieux, entraînant l’acquiescement et le refus dans cette gradation, dans cette seconde interprétation, étant données les valeurs de l’acquiescement (et du refus, que l’on retrouvera sans peine chez Char – cf. plus haut « insubordination admirable »), les syntagmes semblent s’opposer fermement comme le négatif, exclu même, au positif exclusif, plus peut-être que par une opposition de type être/paraître (quoique cet effet de sens soit présent comme on peut s’en rendre compte en étudiant quelque peu précisément le sens de « éclairer », qui renvoie à une surface, et de « donner » qui héberge un sémantisme plus profond, et le visage devient ici un véritable destinataire, cf. les graphes possibles). Au final, c’est une antithèse idiolectale, que l’on n’aurait peut-être pas pensé à voir, qui se propose au terme de ce parcours et qui, en outre, redéfinit les valeurs (axiologiques) de l’acquiescement et du refus dans cette portion d’univers de Char, dans des inférences (de type si… alors) complexes.

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