Chénier : La jeune Tarentine

Lecture méthodique de ce poème

Idyllique et élégiaque, ce poème aux alexandrins anoblissants partage un autre point commun avec la tempête du roman de Bernardin de Saint-Pierre : la mort pathétique de l'héroïne, que ce soit Virginie ou la jeune italienne.

Dans les deux cas, la mythologie antique idéalisante est bien présente dans le récit, que ce soit avant avec Hercule contre la mer monstrueuse, ou ici avec les "doux alcyons", "Thétis", "Myrto", ou "les belles Néréides". Mais ce côté légendaire n'exclut nullement l'émotion et la sensibilité que l'on ressent devant la peine du poète due à cette mort prématurée et tragique.

On décèle 4 parties nettement structurées :

V. 1-2 : Ces deux premiers vers au rythme similaire (2 + 4 + 2 + 4 // 2 + 4 + 4 + 2) forment une unité par le chiasme qui les unit : pleurez / oiseaux / oiseaux / pleurez. Cela fait naître une impression de tristesse, de malheur infini. Il s'agit d'une invocation aux oiseaux de mer, témoins du naufrage, et dont le côté "sacré" donne la tonalité religieuse du poème.

V. 3-14 : Premier tableau avec l'espoir et le bonheur de l'hymen attendu, puis l'accident imprévu et la mort. Il est introduit par un refrain, sorte de lamentation, qui annonce le drame : "Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine", comme sera introduit le second tableau au v. 15 par cet écho : "Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine". Départ vers le bonheur du cortège riche : "cèdre", "or", "festin", "parés" et joyeux : "chansons", "flûtes".
On a pensé ("vigilante") à mettre à l'abri les attributs de la cérémonie ("sa robe d'hyménée", "bijoux", "parfums"), Mais le bois du coffre, le cèdre, est aussi celui du cercueil...
Les v. 4-10 se déroulent sur un rythme égal, mesuré, tranquille, comme la mer qui porte les rêves de Myrto ; ce qui n'est pas le cas de v. 11-14.
La brutalité inattendue de "elle crie, elle tombe" au présent narratif marquant la soudaineté de l'action apparaissait avec la coupure du v. 13 due au REJET de l'élément perturbateur : le vent qui enveloppe.

V. 15-26 : Second tableau symétrique au précédent, avec la magnification de cette mort et les funérailles conduites par les divinités de la mer. Le premier hémistiche enchaîne, toujours sous forme de chiasme, avec le second hémistiche du v. 14, tout simplement répété.
L'intervention de Thétis, protectrice et attentive, émue elle-même ("les yeux en pleurs"), rend les derniers hommages à Myrto (élévation et douceur manifestée par les Néréides aux "ordres") ainsi que toute la nature (énumération : "bois, sources, montagnes").

V. 27-30 : Les lamentations s'expriment par 4 négations ("ne… point…") qui accentuent l'idée de disparition et de mort. Cela est accru par l'emploi systématique du passé composé dans ces 4 derniers vers. 4 symboles de la jeunesse joyeuse, confiante en la vie, qui courait au-devant du bonheur et dont l'essor a été brusquement brisé. On pourrait voir là, sans exagérer, comme une préfiguration du propre destin de Chénier (cf. biographie).
La reprise de l'exclamation précédente "Hélas !" résume l'impuissance devant ce qui est irrémédiable et devant le chagrin que cela suscite. La répétition est particulièrement importante en ce final car elle oppose très nettement, mot pour mot, ces 4 derniers vers aux v. 6-10, comme pour montrer que tout espoir est anéanti.
La liquidité du dernier vers avec "coulé sur tes cheveux" est symbolique : elle suggère l'union de cette féminité et jeunesse disparues avec la Mer profonde de Thétis.

Conclusion : La personnalité particulière de Chénier s'exprime parfaitement dans ce poème : on y trouve à la fois sa riche culture antique, sa mélancolie, sa sensibilité, un certain lyrisme dont il est difficile de dire s'il aurait évolué vers un romantisme plus marqué, son goût aussi pour la beauté de la forme.