Hugo : Le Crapaud Lecture méthodique d'une partie de ce poème extrait de La Légende des Siècles II

Introduction : cette présentation laisse apparaître un découpage en 3 parties qui correspondent aux 3 mouvements que l'on peut déceler dans ce fragment de texte qui constitue en quelque sorte la morale du récit préalable (à la manière de La Fontaine) :
- La revalorisation du négatif ("idiot", "brute")
- Retour sur les protagonistes victimes, du récit, et comparaison avec les Philosophes (antiques : Socrate & Platon)
- La leçon qui leur est donnée par une nouvelle valeur (= la bonté, en anaphore insistante)
On retrouvera au cours de l'analyse la force des antithèses et autres figures de style hugoliennes.

On ne retiendra pour l'explication orale que les 15 premiers alexandrins, à partir de "Bonté de l’idiot..." (attention à la diérèse sur DI-A-MANT et I-DI-OT pour avoir 12 pieds).

Antithèse minérale : "diamant du charbon" : expression métaphorique qui revalorise ce qui est du côté de la noirceur sale : le crapaud mais aussi l'âne. En effet ce que l'on croyait initialement mauvais et du côté des "ténèbres" se révèle au cours du récit du côté de la "lumière", comme l'explique le vers suivant. Par son geste généreux, l'âne s'avère très précieux et brillant de qualité pour celui qu'il aide.

Attention au jeu sur le sens figuré : on pourrait croire d’après ces analyses qu’il s’agit d’une pierre précieuse métaphorique ; mais le mot crapaud signifie aussi « défaut dans un diamant » (P. Robert), ce qui fait du batracien en question un élément métaphorique lui aussi. Hugo brouille les pistes, sans doute pour que ce soit le sens figuré de son récit qui domine, avec sa portée moralisatrice (de l’éclat lumineux de la pierre à la manifestation de la vérité et la prise de conscience d’une valeur).

Le geste de l’âne est tellement surprenant et gratuit (pas obligé) qu'il constitue une "sainte énigme", vocabulaire religieux (cf. l'union de l'âne avec Dieu au vers final) qui se retrouve dans cet éclair "céleste" (vers suivant) qui vient toucher un des protagonistes martyrs, comme s'il fallait souffrir sur terre pour mériter d'être touché par la grâce divine qui vous sonne une qualité que vous n'auriez jamais eue.

Auguste = qui inspire la vénération : encore un terme de valorisation religieuse, comme plus loin ce "spectacle sacré" de l'entraide.
Comme celui-ci et les suivants, les deux premiers vers sont constitués de phrases nominales exclamatives : on sent bien la surprise admirative devant le miracle qui vient de s'accomplir : "le grand ignorant" devenu "le grand savant" (dernier vers) par l'acquisition de qualités et d'une sagesse.
Une condition est apportée à cette revalorisation : "Si…" : il faut que "les funèbres" martyrs ("châtiés") aient une attitude de solidarité entre eux ("l'ombre secourant l'ombre" : antanaclase : l'âne, "âme obscure", secourant le crapaud, "âme sombre" : une nuance est ici apportée au fil des vers) pour qu'ils puissent n'avoir "rien" à envier aux "célestes", c'est-à-dire à ceux qui ont d'emblée toutes les qualités dans la vie.

Le dualisme se confirme avec :
- ANE = "le stupide attendri se penchant" ;
- CRAPAUD = "l'affreux", "le damné bon" (oxymore),
Mais aussi avec l'antithèse entre (a) ce monde ANIMAL et (b) l'HOMME qui est cet "élu méchant" (autre oxymore), car il est certes choisi par Dieu, d'après la Bible, mais méchant par ses actes (enfants, prêtre, coquette, etc.) : "L'animal avançant lorsque l'homme recule", le "faisant rêver", mouvements à prendre au sens moral (progrès contre régression : les deux sont paradoxaux car la norme voudrait que ce soit l'inverse : homme avançant à l'opposé du recul animal).

"Dans la sérénité du pâle crépuscule" : ce vers qui en revient à la description initiale du récit reste habilement enchaîné au précédent par la rime plate recule/crépuscule. Cette reprise du monde céleste évoquée auparavant permet d'insister sur la qualité paradoxale des plus démunis : "La brute" (en général non plus dans le cadre particulier des protagonistes du récit) n'est pas opposée à la "douceur" dont elle est la "sœur" (antithèse persistante) : même les pires peuvent devenir les meilleurs, morale chrétienne appuyée lourdement par cette "grâce" qui soudain touche, comme elle avait atteint l'âne.

Cette conversion aboutit à ce qu'elle (la brute) "soit égale à l'étoile éternelle" : allitération en L et T et assonance en OI donnent à cette expression une unité, une force dans la conclusion de cette partie du poème qu'elles constituent : le plus bas moralement (crapaud par sa laideur et âne par son ignorance, comme le sont en réalité les blonds enfants (in)humains tortionnaires) remonte au firmament où il brille, guidé qu'il est par ce Dieu qui l'a touché de sa grâce, de sa lumière qu'il a mis dans son cœur et son esprit.

En conclusion, l'organisation remarquable du poème moralisateur en fonction de l'antithèse remarquable des champs lexicaux qui se trouvent conciliés ; relevé :
- LUMIERE et brillance (positives) venues du ciel : étoile, faisant rêver, diamant, sainte, douceur, bonté /bon, attendri, secourant, venant en aide, âme, se penchant, élu, songent / pense, pitié, pâle (crépuscule), sérénité, éclair de grâce brille ;
- TENEBRES (négatives) d'ici-bas : charbon, obscure, (s)ombre, funèbres, énigme, mystérieuse, aveugle et châtié, idiot, brute, stupide, affreux, damné, méchant, n'ayant pas (= privation du Bien).
Comme l'éclair, il a suffi d'un "moment" pour que la liaison de l'une avec l'autre revalorise la mauvaise : optimisme foncier de Hugo.