RÉFÉRENCE ET TEXTUALITÉ : LE POINT DE VUE DE LA SÉMANTIQUE INTERPRÉTATIVE

Carine DUTEIL-MOUGEL
Université de Toulouse-Le Mirail

Introduction

François Rastier formule le projet d’une Herméneutique matérielle - expression reprise à Schleiermacher - prenant la forme d’une Sémantique interprétative et adoptant une problématique rhétorique-herméneutique [1]. Cette problématique prend pour objet les textes [2] dans leur production et leur interprétation ; et s’oppose à une problématique du signe de tradition logico-grammaticale [3].

La problématique du texte renvoie à la problématique de la parole (chez Saussure) ; Saussure ayant développé les bases d’une linguistique de la parole (cf. Eléments de linguistique générale, 2002) :

« La façon la mieux éprouvée de réduire Saussure, c’est d’en faire un théoricien de la Langue, alors même que la valeur est déjà un phénomène contextuel, et qu’il envisageait explicitement dans ses cours deux linguistiques complémentaires, celle de la langue et celle de la parole. » (Rastier, 2003a, p. 24) ;

« Une réflexion sur la linguistique de la parole, c’était bien le projet de Saussure pour la dernière partie de son ultime cours de linguistique générale, une partie dont il avait annoncé le titre au début de l’année : “la faculté et l’exercice du langage chez les individus”. » (Rastier, 2003a, p. 46) – (cf. Bouquet, 1999).

François Rastier propose le tableau schématique suivant pour résumer les oppositions entre les deux problématiques (Rastier, 2003b, p. 5) :

Problématiques

Logico-grammaticale

Rhétorique/herméneutique

 

 

 

Relation fondamentale

Représentation

Interprétation

 

 

 

Objets

Langage

Textes

 

Système

Procès

 

Signification

Sens

 

 

 

Mode opératoire

Spéculation

Action

 

 

 

Fondements

Métaphysique

Ethique

 

Ontologie

Déontologie

- Par ontologie, Rastier entend essentiellement celle qui est présentée dans la Métaphysique d’Aristote, et la tradition d’ontologie positive qui en procède ; devenue évidence de sens commun, elle légitime encore de fait divers positivismes, dont le positivisme logique reste le plus influent (cf. Rastier, 2001a, p.102).


1. Critique du paradigme référentiel

Rastier parle du paradigme référentiel qui associe la triade aristotélicienne et la tripartition sémiotique :

« Le paradigme référentiel s’est maintenu d’autant mieux que Morris a fondé sur la triade aristotélicienne la fameuse tripartition sémiotique (syntaxe, sémantique, pragmatique) reprise par Carnap, puis Chomsky et Montague, et qui sert de cadre à la plupart des recherches en sciences du langage. » (Rastier, 2001d, p. 109).

1.1. Sémantique vériconditionnelle et sémantique psychologique ou cognitive

Rastier formule des critiques à l’encontre de la sémantique vériconditionnelle (sémantique logique [4]) et de la sémantique psychologique ou cognitive [5]. Aucune de ces deux sémantiques ne traitent selon lui, du Signifié linguistique ; elles rapportent le Signifié soit à un concept logique [6], soit à un concept psychologique - le sens linguistique relève ainsi indéfiniment de la logique (depuis la dialectique des stoïciens) ou de la psychologie [7] (depuis Steinthal). 

- La première relie les mots au monde [8] et considère que le sens réside dans le rapport entre des concepts et des objets.

Selon Rastier, la sémantique vériconditionnelle (issue de Tarski notamment) « étudie les rapports entre des intensions (ou concepts) et des extensions (souvent assimilées à des objets). » (Rastier, 2001d, p. 123). À un palier supérieur, elle considère que le sens réside dans le rapport entre des propositions et des états de choses. D’autre part, une involution mentaliste caractérise le passage de la sémantique vériconditionnelle à la sémantique cognitive [le mentalisme excluant alors la dénotation directe (des expressions aux objets)].

- La seconde relie ainsi les mots à des états mentaux ; elle adopte une position mentaliste (cf. le mentalisme universaliste de Fodor : la ‘lingua mentis') et considère que le sens réside dans des conceptualisations.

1.2. Le modèle triadique de la signification linguistique

Selon Rastier, c’est Aristote - suivi par Boèce puis Thomas d’Aquin - qui est à l’origine du modèle triadique de la signification linguistique.

Rappelons ce modèle :

Le signe, réduit à sa simple expression (Signifiant), renvoie à un objet [9] (un référent) par la médiation d’un concept [10] ; « l'aristotélisme du triangle sémiotique est durci par le positivisme logique qui exprime un idéal de correspondance terme à terme entre un mot, un concept et un objet. » (Rastier, 1995).

C'est l'identité à soi de la chose qui garantit celle du concept qui la représente, et, par cette médiation, l'univocité du mot  :

« Pas plus que le concept, jugé universel, le référent ne varie. Non seulement parce que les choses sont “les mêmes pour tout le monde” comme le dit Aristote, mais, plus profondément, et dès lors que l'on place l'être dans les choses, parce que l'être lui-même se définit comme permanence. Nous devons cela à la fondation parménidienne de l'ontologie, qui eut pour première conséquence le programme d'univocité de l'école éléatique. » (Rastier, 1995).

1.2.1. La triade aristotélicienne

« Or, depuis Aristote (et particulièrement le début du Péri hermêneias), la philosophie du langage se fonde sur un modèle triadique ; cf. I, 16a, 3-8 : “La parole est un ensemble d’éléments symbolisant les états de l’âme, et l’écriture un ensemble d’éléments symbolisant la parole. Et, de même que les hommes n’ont pas tous le même système d’écriture, ils ne parlent pas tous de la même façon. Toutefois, ce que la parole signifie immédiatement, ce sont des états de l’âme qui, eux sont identiques pour tous les hommes ; et ce que ces états de l’âme représentent, ce sont des choses, non moins identiques pour tout le monde.” Aristote oppose très clairement la variété des signes vocaux et écrits à l’universalisme traditionnel en sémantique. » (Rastier, 2001d, p. 75).

« Le commentaire de Boèce, mille fois repris, retient que “trois facteurs, dit-il [Aristote], interviennent dans tout entretien et toute discussion : des choses, des pensées (intellectus), des paroles (voces). Les choses sont ce que notre esprit perçoit et que notre intellect saisit. Les pensées, ce moyennant quoi nous connaissons les choses-mêmes. Les paroles, ce par quoi nous signifions ce que nous saisissons intellectuellement.” (In librum Aristotelis de interpretatione libri duo, in J.-P. Migne, éd., Patrologiae cursus completus, t. XLIV, p. 297).
[…]
Thomas d’Aquin interprète ainsi Aristote : “Il convient de dire que, selon le Philosophe, les paroles sont les signes des pensées et les pensées des similitudes (similitudines) des choses. D’où il suit que les paroles se réfèrent aux choses désignées moyennant les concepts” (Somme théologique, I-ap, 2.13, a.1, resp.). » (Rastier, 1990, pp. 6-7).

Soit la triade scolastique [11]  :                                            

 
(vox = phonè dans la triade aristotélicienne) 

Puis avec Arnauld et Nicole (1683) :

1.2.2. Le “Triangle” d’Ogden et Richards

Le “Triangle” d’Ogden et Richards (1923) d’inspiration peircienne - modèle reformulé par Lyons (1978) dans le cadre de la linguistique (Form / Meaning (Concept) / Referent) - fonde, selon Rastier, la théorie de la dénotation directe, qui met en relation directe un symbole (pur signifiant, simple expression) et un objet :


(sans la médiation du concept)

« Ils apportent cependant une nouveauté (jadis refusée par saint Thomas) : en traçant une ligne pointillée du symbole au référent, ils admettent obliquement une référence directe, qui ne soit plus médiatisée par la pensée. Cette référence directe permettra la sémantique formelle (cf. l’auteur, 1990a). » (Rastier, 2001d, p. 108 note 4).

1.3. La tripartition sémiotique

Rastier étudie la généalogie de la tripartition sémiotique (Syntaxe / Sémantique / Pragmatique) et présente les travaux de Morris (1971) basés sur la théorie de Peirce (1960) : Representamen =>  Interpretant => Object.

Selon Rastier, la tripartition sémiotique reprend l'antique division du Trivium : Grammaire / Logique / Rhétorique et constitue, depuis cinquante ans, l'obstacle épistémologique principal au développement unifié de la linguistique (cf. Rastier, 1990).

1.4. Le mot établi comme base de la signification [12]

Rastier critique la reprise, par la thèse réaliste, de la distinction entre catégorématiques et syncatégorématiques ; cette reprise amène à privilégier les mots “référentiels”, ils sont l’objet de la sémantique vériconditionnelle - le palier de la proposition y est également défini comme palier catégorématique -, alors que les mots “non-référentiels” (les connecteurs), réputés dépourvus de signification, sont étudiés par la pragmatique (cf. les études sur les mots du discours). La sémantique et la pragmatique sont ainsi envisagées comme deux théories  complémentaires – ces deux théories se complètent également dans l’étude du sens : à la première revient l’étude du sens littéral [13] ; à la seconde, l’étude du  sens dérivé.

Pour Rastier, « un mot même est un passage : son expression est un extrait d’un texte : son contenu, un fragment d’un mythe. » (Rastier, 2003a, p. 36). Plus largement, Rastier remplace le modèle du signe par un modèle du passage (la semiosis est décrite par l’articulation entre les plans du langage).

1.5. La thèse onomastique 

Rastier critique largement le point de vue réaliste et en son sein ce qu’il nomme la thèse onomastique : le nom y est considéré comme le mot par excellence. L’auteur situe l’origine de cette thèse dans la Grèce archaïque où la notion de mot est issue de celle de nom : « tous les mots étaient appelés des noms (onoma), car il n’existait pas d’autre façon de les désigner. » (Rastier, 1990, p. 29).

« Retenons que la philosophie du langage est d’abord une réflexion sur les noms et sur leur origine (tout le Cratyle en témoigne). Aussi elle engage à concevoir la langue comme une nomenclature, ce qui a certainement entravé le développement d’une linguistique scientifique. » (ibid., pp. 31-32).

L’autonomie du nom (le rêve d'orthonymie, tel que chaque mot indexerait sa chose [14]) assure sa précellence sur les autres parties du discours :

« La classification des parties du discours est restée à peu près invariable depuis l’exposé canonique de Denys le Thrace jusqu’à nos jours (de Chomsky à Langacker). Les critères ontologiques qui la fondent transparaissent encore dans la terminologie (e.g. substantif : substance, ousia). Le privilège ontologique du nom l’a fait apparaître depuis vingt-cinq siècles en tête de toutes les listes de parties du discours. Bien entendu, la classification des parties du discours n’est pas fondée sur le seul critère ontologique, car il est redoublé ou complété depuis Aristote par des critères purement morphologiques qui, en quelque sorte, le naturalisent. Mais il demeure prééminent : par exemple, Langacker (1991) définit les noms par rapport aux objets (avec redéfinition spatiale de l’objectivité). Et Charaudeau rappelle : “Les êtres sont exprimés par une catégorie traditionnellement appelée nom ou substantif ” (1992, p. 21). » (Rastier, 2001c, note 1, p. 144).

Parmi les noms, les noms propres sont privilégiés :

« À son tour, la notion de nom procède de celle de nom propre ou singulier. Désigner, c’est d’abord appeler par son nom un homme ou un dieu. Et les noms particuliers ont été longtemps considérés comme les premiers mots, à l'origine du langage. » (Rastier, 1990, pp. 29-30) ;

« Sans revenir aux théonymies antiques, ni à la tentation toujours renaissante de concevoir le langage comme un inventaire de noms propres ou particuliers, on doit reconnaître que la philosophie du langage contemporaine et la linguistique qu'elle influence ont été fascinées par les noms propres. Ils représentent en effet pour elles l'idéal de noms purement référentiels : “le point de vue le plus répandu aujourd'hui consiste à affirmer que les noms propres peuvent avoir une référence, mais n'ont pas de sens” (Lyons, 1978, p. 178). Pour certains même, le nom propre, pur index, reste pointé pour l'éternité et dans tous les mondes sur une et une seule personne. C'est du moins la thèse absurde que défend brillamment Kripke dans Naming and Necessity (1972). Ne fait-il pas alors retour, sans paraître le savoir, aux sources indo-européennes de la philosophie du langage présocratique : le nom, c'est le nom propre donné par le père, et qui peut survivre à la mort ? » (Rastier, 1990, pp. 32-33).

1.6. Les traits référentiels

Ainsi, la thèse réaliste traditionnelle, rapportée au lexique, « fonde la théorie des traits sémantiques référentiels, telle qu’on la trouve de Morris à Katz [15]. » (Rastier, 2001d, p. 191).

La position réaliste naïve confond alors traits sémantiques et qualités du réel (Rastier (2001d, Chapitre VII « Catégorisation, typicalité et lexicologie ») étudie les travaux de Rosch et sa théorie du prototype qui s’appuie selon lui, sur trois thèses issues de la philosophie du langage la plus archaïque : (i) la structure du lexique est déterminée par celle de la réalité mondaine (non par la culture) ; (ii) consécutivement, les mots sont des étiquettes désignant des choses ; (iii) les langues sont des nomenclatures.


2. Positionnement de la Sémantique interprétative

Rastier développe une conception non-réaliste du sens et redéfinit la référence en termes d’impressions référentielles - représentations mentales contraintes par l’interprétation d’un passage ou d’un texte (à noter : Rastier souligne que l’impression référentielle n’est pas une illusion (position de Barthes [16] et de Riffaterre) car elle est faite d’images mentales).

2.1. Une sémantique dé-ontologique

Rastier se positionne en rupture avec les préoccupations ontologiques [17] de la linguistique, élaborant ainsi ce qu’il nomme une dé-ontologie [18] - dé-ontologie conduisant à une praxéologie [19]. Il refuse l’idée d'une fonction ontologique du langage qui par nécessité représenterait l'Être - l'Être assimilé positivement au monde [20] - : la linguistique n'est pas une théorie du monde ; et la signification n’est pas renvoi à un référent.

Il dénonce ce qu’il juge comme étant un raisonnement circulaire, raisonnement qui fait du préjugé de la capacité référentielle du langage la preuve ontologique de l'existence du monde :

« Kleiber affirme ainsi : “Je ne puis renvoyer à quelque chose avec une expression linguistique que s'il y a quelque chose à quoi référer, donc que si ce quelque chose existe.” (1999, p.  17). On réfère à ce qui existe, donc ce à quoi on réfère doit exister. Cet argument reprend, sous une forme moins convaincante, l'argument d'Anselme d'Aoste pour prouver l'existence de Dieu : puisque nous le nommons, il existe. » (Rastier, texte inédit).

Ce préjugé sur la référence empêche précisément que le langage soit considéré comme un niveau d'objectivité autonome  :

« la signification a toujours été réduite à une référence, soit externe et cela conduit à une réduction physicaliste, soit, par une involution cognitive, à une référence interne qui conduit à une réduction mentaliste. Dans tous les cas, le sens n'étant pas "dans" le langage, on conclut qu'il est au dehors, dans une extériorité physique ou dans une intériorité psychique. » (Rastier, texte inédit).

Or, pour lui, ni interne ni externe, le langage est un lieu du couplage entre l’individu et son environnement [21] :

« Le langage n’est pas un instrument, mais le milieu où nous vivons : dirait-on que l’air est un instrument des oiseaux ? L’enfant naît environné de la langue qu’il a déjà entendue in utero, et à laquelle il réagit déjà sélectivement.

Retenons que l’organe du langage, c’est la société. Corrélativement, le langage n’a pas d’origine, car il est à l’origine, sinon de tout, du moins des mythes d’origine, néodarwiniens ou non. Le langage est un milieu et non une simple faculté : c’est pourquoi, dans la phylogenèse, aussi loin que l’on croie remonter, il n’apparaît pas après l’homme. Ils vont toujours ensemble, et se définissent l’un l’autre.

Cette conception du langage comme milieu nous sépare des théories externalistes.» (Rastier, 2003b, p. 2).

« Comme le langage fait partie du milieu dans lequel nous agissons, c'est dans des pratiques diversifiées, dont témoignent les discours et les genres, que nous nous lions à notre environnement. » (Rastier, 2003b, p. 3).

C'est pourquoi « le sens n'est ni interne ni externe, mais immanent aux pratiques d'énonciation et d'interprétation. » (Rastier, texte inédit) ; « La problématique rhétorique/herméneutique rompt ainsi avec les postulats ontologiques qui fondent la problématique logico-grammaticale : elle admet en effet le caractère déterminant des contextes et des situations, et conduit alors, pourrait-on dire, à une “dé-ontologie” [22]. » (Rastier, 2003b, p. 5).

Quatre décisions s’imposent alors :

« (i) Délier le symbolique du physique (externe) en récusant les théories traditionnelles de la référence. Elles sont le produit du réalisme millénaire en philosophie du langage, qui entend gager les signes sur un ordre du monde. Cela suppose notamment l’abandon des conditions de dénotation nécessaires et suffisantes. La seule position correcte à nos yeux admet avec Quine l’inscrutabilité de la référence [23].

(ii) Refuser le mentalisme […]

(iii) Elargir le sémiotique au-delà du symbolique […]

(iv) Corrélativement, distinguer avec soin le symbolique du représentationnel, qu’il s’agisse de représentations mentales individuelles ou collectives.

Ce programme conduit à un démembrement de la triade aristotélicienne signe/concept /référent et à un remembrement de la tripartition syntaxe/sémantique/pragmatique que Morris lui avait associée. » (Rastier, 2001d, p. 238).

2.2. Une sémantique linguistique [24]

La position de Rastier s’inscrit dans la tradition saussurienne - « La sémantique, discipline récente et toujours menacée, n’a pu formuler de programme scientifique autonome qu’en s’appuyant sur la critique radicale de l’ontologie formulée par Saussure. » (Rastier, 2001a, p. 126) - ; il s’agit pour l’auteur de fonder une sémantique linguistique.

Saussure [25] révoque le problème de la référence [26] ; pour lui, « la signification consiste en valeur, ce qui s’accorde avec l’abandon décisif de toute référence. » (Rastier, 2003a, p. 24).

« Ce qui n’existe pas, ce sont a) les significations, les idées, les catégories grammaticales hors des signes ; elles existent peut-être extérieurement au domaine linguistique ; c’est une question très douteuse, à examiner en tout cas par d’autres que le linguiste. » (Saussure, Ecrits de linguistique générale, p. 73) ;

« Ainsi l’existence des faits matériels est, aussi bien que l’existence des faits d’un autre ordre, indifférente à la langue [27]. Tout le temps elle [la langue] s’avance et se meut à l’aide de la formidable marche de ses catégories négatives, véritablement dégagée de tout fait concret, et par là-même immédiatement prêt[e]s à emmagasiner une idée quelconque qui vient s’ajouter aux précédentes. » (Saussure, Ecrits de linguistique générale, p. 76).

Aussi « La reconnaissance d’une négativité [28], poussée à son terme, fait du langage un système différentiel d’oppositions et non un codage d’identités référentielles. » (Rastier, 2003a, p. 26).

Dans son article « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée », Rastier retrace les conséquences de la rupture ontologique sur la conception même du signe linguistique.

« La sempiternelle triade sémiotique de tradition aristotélicienne (signe =>  concept => référent) se trouve complètement démantelée. Outre la relation de représentation du concept à l’objet, celle qui liait le signe et le concept devient inconcevable : en effet, pas plus que le signifié ne représente l’objet, le signifiant ne représente le signifié. » (Rastier, 2003a, p. 28).

Car Saussure procède au « rapatriement » du signifié dans les langues, en le distinguant du concept logique ou psychologique :

« Il faut alors admettre que le contenu du signe n’est pas un concept universel, mais un signifié relatif à une langue. » (Rastier, 2001d, p. 102).

2.3. Une sémantique différentielle [29]

« Nous avons adopté la problématique sémantique la plus sensible aux diversités, la sémantique différentielle. De tradition saussurienne, elle a intégré certains acquis de la sémantique componentielle des années soixante, mais l’a dépassée – à nos yeux – en récusant précisément ses prétentions à l’universalisme, pour pouvoir rendre compte de la complexité textuelle et contextuelle. » (Rastier, 2001d, p. 14).

2.3.1. Les sèmes  

a) analyse différentielle

Les traits qui composent le signifié linguistique sont dénommés par des paraphrases intralinguistiques (de longueur variable : de la lexie [30] au syntagme complexe) elles-mêmes relatives à la langue décrite => les sèmes.

« Ce sont des éléments de définition (non des descriptions de “l’objet” dénoté) » (Rastier, 2001d, p. 103).

Les sèmes ne sont ni des traits référentiels, traits qui dans certaines sémantiques de la dénotation, sont autant de conditions nécessaires et suffisantes pour apparier une expression et un objet, ni des primitives ou archétypes, qui dans nombre de sémantiques structurales ou cognitives, sont autant d’atomes conceptuels indépendants des langues. (cf. Rastier, 2001d, p. 103).

b) pertinence sémantique vs principes référentialistes

Selon Rastier, « la méthode qui préside à l’analyse différentielle peut elle seule résoudre le problème de la pertinence des composants, puisqu’elle opère sur des classes de contenus constituées en fonction de critères linguistiques, et non sur des contenus isolés de la langue pour les définir relativement à leurs référents. » (Rastier, 2001d, p. 146).

« Pour la sémantique différentielle, le nombre et la nature des composants d’un sémème sont directement déterminés par le nombre et la nature des autres sémèmes que comprend sa classe de définition. En revanche, pour une sémantique référentielle, aucun critère linguistique ne permet de choisir les composants, ni de limiter leur nombre (que l’on compare par exemple la définition en quatre traits de ‘chaise’ dans Pottier (1974, p. 98), à la définition de ‘chair’ en dix traits par Katz [31] (1972, p. 40)). » (ibid., p. 141).

Rastier critique une conception dénotationnelle (ou représentationnelle, extensionnelle) de la signification linguistique qui recourt aux traits référentiels (cf. le modèle de Katz et Fodor,1963) - les CNS sont autant de conditions de désignation nécessaires et suffisantes  =>  traits stables du monde réel selon Russel, Carnap et autres positivistes.

« Dans ce cadre théorique, l’analyse du contenu d’un signe consiste à énumérer les conditions auxquelles ce signe doit satisfaire pour dénoter correctement. Ces conditions correspondent à autant de qualités attribuées au référent. À la suite de Reichenbach (définitions de co-ordination) et d’Adjukiewicz (règles empiriques de signification), Ch. Morris définit ainsi les règles sémantiques  : “Le signifiant [sign vehicle] ‘x’ désigne les conditions a, b, c, en fonction desquelles il peut s’appliquer. L’énoncé de ces conditions constitue la règle sémantique pour ‘x’. Tout objet ou situation qui remplit les conditions requises est dénoté par ‘x’ ” (1971, p. 37). » (Rastier, 1996a, pp. 20-21).

Nous prendrons trois exemples :

(1) -  l’exemple de TONNEAU (dans Rastier, 2001d, pp. 214-215) :

« Quand A. N. Katz (1978, 1981) conclut au relief particulier des traits figuratifs, son étude se base par exemple sur le fait que la rondeur est un trait dominant du “concept TONNEAU”, et que cette propriété est représentée dans l’image visuelle d’un tonneau. Plutôt que de faire du TONNEAU une idée platonicienne, pourquoi ne pas convenir que le sémème ‘tonneau’ comprend /rondeur/ parmi ses sèmes définitoires au sein de sa classe sémantique, et c’est précisément ce qui le rend pertinent dans une sémiotique visuelle (dessin), voire dans les images mentales, voire dans les percepts eux-mêmes. »

(2) – l’exemple de « caviar » (présenté dans Rastier, 1985, pp. 11-13) :

Rastier demande à vingt-huit collégiens de troisième de définir le terme caviar. Alors que le sème (afférent socialement normé) /luxueux/, est absent de la définition lexicographique – cf. le Petit Robert : « Œufs d’esturgeon. » ; cf. le Petit Larousse : « Œufs d’esturgeon salés. » -, ce sème figure vingt-deux fois dans les réponses des collégiens. Aussi, « si l’on tient compte de la compétence réelle de la population questionnée, le trait /luxueux/ a tout autant de raisons que /poisson/ de figurer dans la définition. » (Rastier, 1985, p. 12). Mais « la conception ordinaire de la compétence idéalisée ne retient que les traits dits dénotatifs, et limite la définition à l’identification du référent ; selon elle, le trait /luxueux/ n’aurait pas à être retenu, puisqu’il apparaît comme une “connotation”, une valeur symbolique ou associative. » (ibid.).

Nous signalerons deux autres exemples avec caviar analysés par Rastier : dans le premier (Rastier, 1994b, p. 75), « caviar » figure aux côtés de « saumon » et de « foie gras » ; il s’agit du titre suivant de L’événement du Jeudi : « Caviar congelé, saumon louche, foie gras truqué » (4/12/1991). Cet énoncé confirme - nous dit Rastier - l’existence d’un taxème des aliments luxueux de fête (auquel appartiennent entre autres ‘caviar, ‘saumon’, ‘foie gras’).

Dans le second exemple (Rastier, 1996a, pp. 53-54), « caviar » est associé à « arêtes » dans un titre du Canard Enchaîné (30/11/1983) : « Le caviar et les arêtes ». Rastier en propose l’analyse suivante : le sème microgénérique inhérent /parties de poisson/ est commun à ‘caviar’ et ‘arêtes’ et ces deux sémèmes s’opposent par au moins un sème spécifique inhérent, /comestible/ pour ‘caviar’, /non comestible/ pour ‘arêtes’. Des inférences contextuelles et situationnelles (que Rastier détaille) permettent de construire des sèmes afférents : (i) un sème générique afférent /condition économique/ commun à ‘caviar’ et ‘arêtes’, (ii) le sème spécifique afférent à ‘caviar’ : /luxe/ et le sème spécifique afférent à ‘arêtes’ : /misère/.

(3) - l’exemple d’autobus/autocar : [32].

Nous commencerons par présenter la critique de G. Kleiber (dans Kleiber, 1997) :

« elle [l'approche structuraliste] – souligne-t-il - n'arrive finalement pas à échapper à la référence. Dire que le sème /pour ville/ est pertinent pour autobus, parce qu'il permet de distinguer autobus d'autocar (/pour la campagne/) revient à dire qu'un transport en commun de ce type, pour pouvoir être appelé autobus, doit être destiné aux parcours urbains. Par ailleurs, et c'est le reproche de fond qu'on peut émettre contre toute théorie sémantique uniquement différentielle, elle n'est en elle-même pas apte à dire quel est le sens d'une unité. En apparence, les sèmes sont dégagés par l'opposition des lexèmes entre eux, mais, en réalité, la connaissance de la signification de chacun de ces lexèmes doit précéder leur confrontation. Ainsi, la confrontation d'autobus avec autocar, censée faire apparaître les sèmes /pour la ville/ et /pour la campagne/, ne peut-elle aboutir à ce résultat que si je connais déjà le sens de ces deux expressions. Autrement dit, le principe oppositif peut certes dire quelles oppositions il y a, mais ne saurait dire en quoi elles consistent » (pp. 26-27).

- Soulignons cependant que Rastier n’isole pas les sèmes /ville/ et /campagne/ [ontologie] mais l’opposition /intra-urbain/ et /extra-urbain/, ce qui n’est pas la même chose.

Rastier examine les sémèmes : ‘métro’, ‘train’, ‘autobus’, ‘autocar’. Tous ces sémèmes relèvent du domaine [33] //transports// (moyens collectifs). L’auteur en propose deux analyses :

(1)

    //transports// (moyens collectifs)

//ferré//  

//routier//

‘métro’ /intra-urbain/ 

‘autobus’ /intra-urbain/

‘train’ /extra-urbain/  

‘autocar’ /extra-urbain/

  (2)   

//transports// (moyens collectifs)

//intra-urbain// 

//extra-urbain//

‘métro’ /ferré/ 

‘train’ /ferré/

‘autobus’ /routier/  

‘autocar’ /routier/

« par exemple, les notes de frais de la Cisi-Ingéniérie placent sous des rubriques différentes la classe autobus/métro, et la classe autocars/chemins de fer. Ces deux taxèmes diffèrent donc par les traits génériques /intra-urbain/ vs /extra-urbain/, et les oppositions sémiques qui les structurent sont alors identifiables sur la base de ces regroupements. » (Rastier, 1994b, p. 76).

Cette seconde présentation semble correspondre aux situations pragmatiques les plus courantes [34] : en principe, on choisit un moyen de transport en fonction de sa destination, et non parce qu’il est ferré ou routier. Mais les deux analyses restent valables, cela dépend de la situation, du contexte et l’on voit par là que la définition des sèmes génériques et des sèmes spécifiques est relative à une classe de sémèmes (cf. Rastier, 1996a, p. 49) – car aucun sème n’est par nature spécifique ou générique.

Rastier parle de pragmatique englobante lorsqu’il évoque les situations de choix au sein de pratiques sociales [35] [conditions attestées de communication - l'entour de la communication] ; selon l’auteur, les taxèmes reflètent ces situations de choix :

« Aussi, les énoncés que l’on aura à décrire seront du type : “Tu prends le métro ou le bus ?” ou “Je préfère y aller en train qu’en car”, plutôt que : “Tu prends l’autobus ou l’autocar ? ”. Cependant, des énoncés comme : “On y va en train ou en métro ?” restent évidemment possibles, et recevables. » (Rastier, 1996a, pp. 51-52).

Rastier ajoute : « Notons qu’ici encore, les situations concrètes restent déterminantes, et ne correspondent pas toujours aux situations canoniques : si par exemple je demande à un ami Tu rentres à pied ou en métro ? parce qu’il se trouve à une station de chez lui, cela n’entraîne pas que ‘à pied’ doive soudain figurer dans la classe des transports parisiens. » (Rastier, 1994b, pp. 76-77).

- Quels sèmes spécifiques ?

« Une fois identifiés les taxèmes, il reste à les structurer en précisant quels sèmes spécifiques distinguent leurs éléments. Ici encore, des considérations herméneutiques doivent guider la méthodologie. » [36] (Rastier, 1994b, p. 77).

Ainsi : « pour opposer ‘métro’ et ‘autobus’, on peut choisir la catégorie /ferré/ vs /routier/ dans un texte technique, mais aussi /lent/ vs /rapide/ si l’on décrit les raisons du choix des usagers, ou /en surface/ vs /souterrain/ si l’on dépouille une enquête sur la claustrophobie, etc. Bien entendu, ces divers axes ne s’excluent pas, mais une description pertinente doit rejeter les catégories inutiles. » (ibid., souligné par nous).

2.3.2. La problématique de la valeur et la notion de contexte

« Le concept de valeur rompt avec la conception traditionnelle de la langue, et particulièrement du lexique, comme nomenclature. Un mot ne peut être défini isolément, par rapport à ce qu’il désigne. Il doit l’être relativement à d’autres mots. » (Rastier, 2001d, p. 104).

Pour la sémantique différentielle, les mots hors contexte [37] sont des artefacts des linguistes [38]. Rastier oppose à la « problématique positiviste de la signification [39] », la « problématique herméneutique du sens ».

« Aux problématiques du signe, modèles de la signification hors contexte, s’oppose en effet la problématique du texte, fondée sur l’analyse différentielle, et qui définit le sens par l’interaction paradigmatique et syntagmatique des signes linguistiques, non seulement entre eux, mais avec le texte dans sa globalité. » (Rastier, 2001c, p. 17).

Rastier ajoute : « Le sens consiste pour l’essentiel en un réseau des relations entre signifiés au sein du texte – et dans cette perspective les signifiants peuvent être considérés comme des interprétants qui permettent de construire certaines de ces relations. » (Rastier, 2003a, p. 39). L’auteur étend ainsi au texte [40] la problématique saussurienne de la valeur, fondement de la sémantique différentielle [41] - « Ce point engage à redéfinir la semiosis : elle doit être rapportée aux deux plans du contenu et de l’expression des textes et des autres performances sémiotiques, et non plus définie comme simple relation entre le signifiant et le signifié du signe, comme l’inférence dans la tradition intentionnaliste, ou la présupposition réciproque dans la tradition structuraliste. Enfin, malgré les théories inférentielles ou associationnistes, le signifiant n’en est pas le point de départ, car il a lui-même à être reconnu. » (Rastier, 2001c, p. 103).

Affirmer l’autonomie du texte ne conduit pas cependant à une « réontologisation du texte » - il trouverait en lui-même son sens, et pourrait faire l’objet d’une étude immanente  (cf. Rastier, 2001c, p. 35).

« Or l'autonomie structurale n'est pas l'indépendance : si les rapports internes priment, souvent les rapports externes permettent seuls de les discerner, par un détour dans le corpus ; on ne peut alors établir les relations internes que par le biais des relations externes. […] À condition d’établir et de caractériser de façon critique les relations structurales, la décision de clore le texte et de l’étudier comme globalité peut échapper à l’ontologie » (Rastier, 2001c, pp. 35-36).

Alors que la signification [42] « résulte d’un processus de décontextualisation », le sens [43] « suppose une contextualisation maximale » (cf. Rastier, 2003b, p. 4). Le contexte connaît autant de zones de localité qu’il y a de paliers de complexité ; ces paliers de description sémantique (degré de complexité croissant) sont les suivants : la lexie, le syntagme, la période, le texte - « Au palier supérieur, le contexte se confond avec la totalité du texte. » (Rastier, 2001c, contexte, p. 298). La Sémantique interprétative privilégie alors le palier du texte et reformule dans ce cadre le rapport entre global et local ; elle réaffirme le principe herméneutique général du primat du global sur le local [44] - l’identification du signe dépend de la lecture en cours.

« La détermination du local par le global s’exerce en somme de deux façons, par l’incidence du texte sur ses parties, par l’incidence du corpus sur le texte. » [45] (Rastier, 2001c, pp. 108-109).

Nous allons préciser :

(i) l’incidence du texte sur ses parties [cf. les travaux de Rastier sur les opérations interprétatives (notamment, 1994b, pp. 69-73)].

(ii) l’incidence du corpus sur le texte : le texte est situé dans son intertexte - et en premier lieu dans son corpus d’étude : « il est perçu alors en fonction des autres textes, car les rapports d’interprétance mutuelle font que la lecture d’un texte exige des “détours” par d’autres. » (Rastier, 2001c, p. 91).

Ainsi, selon Rastier, « le texte est l’unité fondamentale, mais l’unité linguistique maximale est le corpus de référence. » - « Le mot référence s’entend ici dans l’acception philologique. » (ibid., p. 108).

(iii) « À cette détermination s'ajoute une détermination de la situation de communication sur le texte lui-même considéré dans son ensemble. Or la situation de communication n'est pas neutre, et ne peut être définie abstraitement. Elle prend toujours place dans une pratique sociale, qui définit le discours dont relève le texte, et le genre qui le structure. Par là, elle détermine jusqu’au sens de ses mots, et les tactiques interprétatives qui permettent de l’actualiser. » (Rastier, 1994a, p. 332).

Rastier étudie le sens textuel dans une praxéologie des discours et des genres [46].

« À chaque type de pratique sociale correspond un discours qui se divise en genres textuels oraux ou écrits. Tout texte relève d’un genre. Par ailleurs, tout texte est la partie sémiotique, prépondérante ou non, d’un cours d’action. » (Rastier, 2003b, p. 25).

L’auteur ajoute : « La “dé-ontologie” pourra formuler une réponse cohérente à l'ontologie quand la notion de pratique, réélaborée, ne sera plus seulement une sorte d'action collective stéréotypée, asymbolique, conçue à l'image des pratiques de production. L'ontologie dite matérialiste ne suffit pas à fonder la notion de pratique, car elle lui fait préexister un monde des choses ou des états-de-choses. La sémiotique des pratiques sociales exige naturellement une collaboration interdisciplinaire. » (Rastier, 2001b, p. 212).

(iv) « Enfin, l'interprétation aussi est située. Elle prend également place dans une pratique sociale, et obéit par là-même aux objectifs définis par cette pratique. Ils définissent à leur tour les éléments retenus comme pertinents. Si l'on en convient, on récuse par là-même l'idée d'une interprétation totalisante et définitive, car l'interprétation d'un texte change avec les motifs et les conditions de sa description. » (Rastier, 1994a, p. 333).

Ainsi pour la Sémantique interprétative, le sens n’est pas immanent aux textes, il est toujours le produit d'une interprétation [47]  et l’interprète est situé dans une pratique :

« En disant que le sens du texte est immanent non au texte, mais à la pratique d’interprétation, nous reconnaissons que chaque lecture, “savante” ou non, trace un parcours interprétatif [48] qui correspond à l’horizon du lecteur. La sémantique des textes propose une description des parcours interprétatifs : le sens actuel du texte n’est qu’une de ses actualisations possibles ; le sens “complet” serait constitué de l’ensemble des actualisations, en d’autres termes l’ensemble des horizons possibles. » (Rastier, 2001c, pp. 277-278).

2.4. Le monde sémiotique (le symbolique)

Rastier précise : « le seul problème ontologique qui se pose à l’herméneutique matérielle reste celui de l’ontologie du sémiotique. Il n’est certes pas mince, et l’on peut tracer deux directions pour l’aborder : (i) soit une ontologie différenciée ferait du sémiotique une “couche de l’Être” particulière, dont les rapports avec les autres couches restent à élucider ; (ii) soit une rupture avec l’ontologie conduirait à assumer que le sens fonde et manifeste la doxa, et ne peut alors se percevoir qu’au sein de pratiques sociales de génération et d’interprétation de signes. Nous préférons emprunter cette seconde direction, qui s’inspire sans doute de la tradition rhétorique. » (ibid., p. 132).

2.4.1. Précisions  

a) sens et (re)présentations mentales

Rastier ne reprend pas le terme de « concept », il parle de (re)présentations mentales – l’auteur précise qu’il s’agit de simulacres multimodaux [49], qui mettent en jeu des analogues non seulement des percepts visuels, mais auditifs, etc. 

« Les représentations attachées au signifié d’une lexie constituent son contenu éidétique. Les contenus éidétiques ne relèvent pas de la linguistique au sens restreint, mais de la psychologie et, au-delà, de la sociologie.

Le contenu opératoire contraint le contenu éidétique, sans toutefois le déterminer au sens fort. L’étude de cette contrainte pourrait instituer un rapport privilégié entre linguistique et psychologie, pour peu que cette dernière reconnaisse l’existence des contenus opératoires. » (Rastier, 2001d, p. 103).

Ainsi, selon lui, les structures sémantiques d’un texte contraignent les représentations psychiques qui accompagnent son énonciation comme son interprétation, sans pour autant les déterminer au sens fort du terme. 

« Nous n’assimilons pas pour autant les significations aux images mentales, ni même aux simulacres multimodaux. Nous proposons simplement l’hypothèse que les structures sémantiques d’un message contraignent l’imagerie mentale (qui reste du domaine psychologique). Elles définissent les conditions socialisées de la production des simulacres.» (ibid., p. 211).

b) impressions référentielles et percepts

(1) Rastier, 2001d, p. 111 :

« La sémantique différentielle traite en premier lieu de la référence en décrivant les contraintes sémantiques sur les représentations. Les images mentales, notamment, sont des corrélats psychiques des signifiés. La question de la référence devient alors celle de la constitution des impressions référentielles. Son étude requiert une collaboration de la sémantique et de la psychologie. Au palier mésosémantique, nous avons pu montrer que les types d’impression référentielle dépendaient du type d’isotopie génériquede l’énoncé. »

Exemples d’impressions référentielles : par exemple, Une paupière pavée paradait presbytéralement (exemple repris de Martin, 1983, p. 20) n’induit pas d’impression référentielle, car ses lexèmes ne sont pas indexés dans un même domaine sémantique [il s’agit d’un énoncé absurde, cf. infra] ; il en va autrement pour La truite fario se pêche à la mouche et au lancer léger. (ibid., note 3)

(2) Rastier, 2001d, p. 111 :

« Dans un second temps, qui n’est plus du ressort de la sémantique mais exclusivement de la psychologie, l’étude de la référence devient celle de l’appariement [50] entre des représentations mentales et des percepts. »

Aussi :

« Pour déterminer une référence, il faut donc préciser à quelles conditions une suite linguistique induit une impression référentielle, et à quelles conditions une impression référentielle est appariée à la perception d’un objet, ou à la mémoire de cet objet. » (Rastier, 1994b, p. 18).

Rastier proposait le schéma suivant dans Sens et textualité (p. 252) :

R1 correspond vraisemblablement à ce que l’auteur nomme imagisation ; R2 correspond vraisemblablement à ce qu’il nomme référenciation [cf. Rastier, 1989, note 39, p. 274 : « Aussi préférons-nous utiliser les termes de référenciation pour l’appariement entre la perception d’un objet et un signifié, et d’imagisation pour l’appariement entre un signifié et une image mentale. »].

L’auteur précise :

« Le problème de la référence ainsi posé ne concerne plus pour la linguistique que son rapport avec la psychologie cognitive.
Le rapport des images mentales avec des régions phénoménales relève pour sa part de la psychologie cognitive : à son propos se posent des questions comme celle de la typicalité, celle de la reconnaissance et de l’identification des objets, etc.
Les deux relations, R1 et R2, n’ont donc, quoiqu’il y paraisse dans notre schéma, rien de simple ni de commensurable. 
R1 : Le signifié détermine les images mentales qui lui sont associées.
Il ne les contraint pas absolument pour autant, puisqu’un sujet imageant peut susciter spontanément des images non déterminées par le contexte linguistique et la situation de communication. Le contexte toutefois détermine subtilement les signifiés, qui se définissent par leur interaction [51]. » (Rastier, 1989, p. 252).

Rastier souligne l’incidence du contexte sur les images mentales : « Le principe interprétatif d’assimilation générique rend ainsi compte de la modification des images mentales par le contexte, et d’abord le contexte immédiat : ainsi l’image mentale du poisson dans le canari et le poisson n’est-elle pas la même que dans le cormoran et le poisson, car l’impression référentielle dépend du contexte. » (Rastier, 2001d, p. 211).

c) les isotopies [52]   génériques

« Au sens faible [53], intralinguistique : la référence est une relation forme/fond, quand les fonds sont des isotopies génériques. L'isotopie générique dominante est reçue comme le “sujet” [54] du texte (ex. Salut, une histoire de marins, dit le groupe Mu).

Au sens fort, extralinguistique : la référence n'est pas un phénomène descriptible en termes de mots ou de phrases, mais en termes de stratégies textuelles (genre et style) et d'insertion du texte dans une pratique sociale déterminante. Elle appartient donc à la description des pratiques : elle devient la question de la relation entre niveau physique et niveau (re)présentationnel de la pratique, par la médiation du niveau sémiotique. » (Rastier, texte inédit).

Selon Rastier, les isotopies génériques [55] - principalement les isotopies mésogénériques [56], constituées par la récurrence de sémèmes appartenant au même domaine sémantique - déterminent l’impression référentielle de l’énoncé [57].

« Quatre cas remarquables [58] se présentent, que nous illustrons par des énoncés, mais qui pourraient l’être par des textes entiers.
(1) Plusieurs sémèmes ou sémies sont indexés dans un et un seul domaine ; aucun autre n’est contradictoire avec ce domaine. Exemple : Sans virer de bord, et par vent arrière, le catamaran d’Éric Loiseau a gagné la transat. L’énoncé induit alors une impression référentielle univoque. Ce type d’énoncé, quelle que soit par ailleurs sa véridicité, fait le fond des textes techniques et scientifiques ; en d’autres termes, il est caractéristique des textes pratiques. Pour une sémantique qui, dans la tradition saussurienne, s’est séparée de la philosophie du langage et lui a abandonné le problème de la référence, le problème de la représentation de la réalité devient celui de l’impression référentielle univoque. Une telle impression est induite par une isotopie générique exclusive.
(2) Aucune isotopie générique ne peut être construite. Exemple : Le zirconium carguait les polyptotes. L’énoncé ne suscite pas d’impression référentielle [59]. Les énoncés de ce type pullulent dans les soties, jusqu’au dadaïsme inclus.
(3) L’énoncé présente une isotopie générique [60], mais des isotopies obligatoires [61] (ou contraintes de sélection) n’y sont pas respectées [62]. Exemple : Le train disparu, la gare part en riant à la recherche du voyageur [63] (René Char). L’énoncé de ce type paraît référer à un monde contrefactuel. Il est très fréquent dans les textes merveilleux [64].
(4) L’énoncé présente deux ou plus de deux isotopies génériques entrelacées. Prenons pour exemple le second vers de Zone d’Apollinaire : Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. Parce que plusieurs sémèmes sont indexés alternativement dans les domaines //ville// et //campagne// [65], l’énoncé induit une impression référentielle complexe [66]. Les énoncés de ce type sont ordinaires dans les textes mythiques, notamment religieux ou poétiques. De par leur structure sémantique, ils paraissent renvoyer à plus d’un monde. […]
Au palier textuel, il faut cependant distinguer entre les textes poly-isotopes qui présentent une isotopie générique dominante, et ceux où une telle dominance n’est pas établie [67]. En outre, il faut tenir compte des hiérarchies évaluatives entre isotopies. 
Il reste que bon nombre de textes réputés réalistes, et notamment des romans, présentent une isotopie générique dominante (ou un faisceau d’isotopies génériques dominantes), ce qui les rapproche des textes pratiques ; mais cette domination ne doit pas masquer les isotopies dominées, car la poly-isotopie est caractéristique des textes mythiques. » (Rastier, 1992b).
Voici deux conclusions retenues par l’auteur : « l’isotopie générique est une – voire la – condition de l’impression référentielle, qu’il s’agisse de référence à l’univers standard ou à des mondes contrefactuels. Corrélativement, son absence est une condition de l’absurdité et de l’absence d’impression référentielle. » (Rastier, 1996a, p. 159).

Ainsi, dans la perspective d’une sémantique interprétative, « l’interprétabilité d’un énoncé est déterminée plutôt par ses isotopies facultatives que par ses isotopies obligatoires […] En d’autres termes les isosémies (ou isotopies à fonction syntaxique) ont un rôle secondaire. » (Rastier, 1994b, p. 127).

d) L’effet ontogonique  des dispositifs textuels

Rastier appelle ontogonie la constitution de types d’impressions référentielles par des structures sémantiques déterminées [68] (cf. Rastier, 2001e, note 17, p. 16). Il ajoute que « corrélativement aux contraintes qu'ils exercent sur la constitution des impressions référentielles, les textes suscitent des effets de réel. » (Rastier, 1996c).

Mais il précise : « Une sémantique peut tout au plus décrire les dispositifs textuels qui favorisent les effets de réel, et nous laissent croire que nous nous approprions le monde. Comme on n’interprète jamais que des langages par du langage, l’interprétation se déroule tout entière au sein de la sphère sémiotique. » (Rastier, 2003b, pp. 14-15).

Aussi pour une sémantique des textes, il ne s’agit pas d’hypostasier les représentations mentales que suscite le texte et de les constituer en monde pour sauver la mimésis (cf. Rastier, 1992a, p. 86).

Rastier précise : « Nous nous écartons ici de la philosophie du langage (pour laquelle au demeurant la psychologie et a fortiori la neuropsychologie ne tiennent aucune place).Traditionnellement, elle ne traite guère des énoncés fictionnels, dans la mesure où elle ne peut leur attribuer de valeur de vérité [69]. Même si elle admet aujourd’hui qu’ils puissent prendre des valeurs de vérité dans des mondes possibles ou contrefactuels, et par là-même devenir susceptibles d’un traitement vériconditionnel [70], cette évolution ne modifie pas sa problématique fondamentale. Nous allons à l’inverse : pour la sémantique différentielle, tout énoncé, tout texte est analysé comme fictionnel [71]. En d’autres termes, son sens est purement intensionnel. » (Rastier, 2001d, note 3, p. 211) .

- Précision concernant la vérité : selon Rastier, la sémantique ne peut connaître que la vérité au sens faible [72] (terminologie de Kalinowski) déterminée, en dernière analyse, par la cohésion textuelle : « Privée de son rapport aux sciences, la vérité devient un phénomène purement linguistique, l’effet d’une cohésion sémantique. » (Rastier, 1996a, p. 160).

Ainsi, appartiennent à l’objet d’une sémantique des textes, la référence au sens faible et la vérité au sens faible.

2.4.2. Dispositif

Rastier (2001d, dédicace, p. 237) cite Ernst Cassirer (1933) :

« La représentation « objective » […] n’est pas le point de départ du processus de formation du langage, mais le but auquel ce processus conduit ; elle n’est pas son terminus a quo, mais son terminus ad quem. Le langage n’entre pas dans un monde de perceptions objectives achevées, pour adjoindre seulement à des objets individuels des signes purement extérieurs et arbitraires ; mais il est lui-même un médiateur par excellence, l’instrument le plus important et le plus précieux pour la conquête et pour la construction d’un vrai monde d’objets. » 

Voici le dispositif présenté par Rastier :

L’auteur relativise et spécifie l’opposition entre Umwelt - le monde propre des individus - et Welt, tels que ces concepts sont définis par Uexküll (1934). Il souligne la spécificité sémiotique de l’environnement humain, qui en fait un entour [73].

« Les “états internes” des sujets humains sont des présentations [74] - non des représentations, car ils apparaissent dans des couplages spécifiques entre l’individu et son entour mais ils ne représentent pas pour autant cet entour ou ce couplage. Le substrat, notamment physique, de l’entour, le Welt venant en arrière-plan, nous l’appellerons arrière-monde. Ainsi souhaitons nous réarticuler les oppositions entre le phénomène et l’objet, l’événement et le fait.

L’entour est composé des niveaux présentationnel et sémiotique des pratiques. Le niveau physique n’y figure pas en tant que tel, mais en tant qu’il est perçu, c’est-à-dire dans la mesure où il a une incidence sur les présentations (“d’objets” ou de signifiants) ; aussi nous empruntons à Thom le terme de phéno-physique. » (Rastier, 2002, p. 247)

Rastier précise que toute performance sémiotique participe d’une pratique – sans la refléter pour autant – et qu’un cours d’action met en jeu les trois niveaux de la pratique : (re)présentations, performances sémiotiques et niveau phéno-physique, ainsi que les deux interactions du sémiotique au (re)présentationnel, du sémiotique au phéno-physique - « qui jointes ensemble constituent ce que nous avons nommé la médiation sémiotique » (Rastier, 2003c, note 1, p. 222).

« À ces trois niveaux [75], en jeu dans toute pratique (définie comme un mode réglé de leur interrelation), on peut faire correspondre, selon l’importance prépondérante qu’ils prennent, trois praxéologies ou théories de l’action : la praxéologie représentationnelle comprend les arts de mémoire, le raisonnement, l’effort mémoriel, etc. ; la praxéologie sémiotique concerne la génération et l’interprétation des performances sémiotiques ; la praxéologie physique intéresse en premier lieu l’activité technique et productive. » (Rastier, 2003b, p. 25).

2.4.3. Sensible et intelligible

Rastier conteste la séparation du sensible et de l’intelligible (cf. Rastier, 2001d, chapitre VIII, « La perception sémantique »).

« La division du sensible et de l’intelligible est comme on le sait un fondement de l’idéalisme occidental, de Platon (à qui Aristote reprochait déjà d’avoir “séparé les idées” cf. Métaphysique, Z, chap. 13-15 ; M, chap. 4-10) à Kant (dont le réalisme critique souligne cette contradiction plutôt qu’il ne la résout). Elle est renforcée par notre tradition religieuse : séparation du corps et de l’âme, du matériel et du spirituel, du signe et du sens, du linguistique et du conceptuel. » (Rastier, 2001d, p. 205).

Le dualisme de la tradition aristotélicienne sépare le signifié, considéré comme pur objet mental, du signifiant, considéré comme simple objet physique  - Morris donne une définition purement physique du signe : « Un événement physique particulier » (1971, p. 96). Or Rastier précise que les signes du monde sémiotique relèvent du monde physique par leurs signifiants mais les signes sont irréductibles à des évènements physiques :

« Le régime de matérialité des signes reste spécifique, car les stimuli sémiotiques ne sont pas perçus ni traités comme les autres, ce qu'illustre par exemple le phénomène de la perception catégorielle [76] : malgré Morris, qui définissait le signe comme un événement physique, les signes restent irréductibles à des événements physiques "comme les autres", et ce livre n'est pas fait que de traces noires. » (Rastier, 2001d, p. 252).

a) le signe saussurien

L’auteur reprend des figures proposées par Saussure [77] dans lesquelles Saussure adopte le pointillé – pointillé qui décloisonne le sensible et l’intelligible :

Saussure propose également la figure suivante (ELG, p. 23) :

« La distinction haut/bas le cède à l’opposition droite/gauche, qui figure les contextes précédent et suivant [78]. Par ailleurs, en rupture avec les formes rondes de l’ontologie identitaire de tradition parménidienne, ses formes sont concaves et non convexes, et traduisent graphiquement l’ontologie négative de la différence. Ces deux cavités se différencient par leur orientation spatio-temporelle vers l’avant et l’après – et non plus par l’opposition haut/bas, qui figurait entre les deux faces du signe saussurien de la vulgate la différence ontologique entre matière et esprit ou entre langage et pensée. » (Rastier, 2003a, p. 34).

b) la semiosis textuelle

Rastier ajoute : « Une conception non dualiste se doit d'intégrer signifiants et signifiés dans les mêmes parcours : ils sont discrétisés d'ailleurs par les mêmes types d'opérations, et les signifiants ne sont pas plus “donnés” que les signifiés. […] La notion de parcours interprétatif permet de rendre compte du lien problématique entre les deux plans du langage [79]. En effet, la sémantique interprétative a maintes fois souligné que l'actualisation de traits sémantiques exigeait le passage par ces interprétants que sont selon elle les signifiants. […] Bref, la sémantique des textes souligne les contacts qu'établissent entre les plans du langage les parcours interprétatifs, non seulement pour affirmer la solidarité de ces plans, mais pour affaiblir le préjugé millénaire que le sens est indépendant des langues. » (Rastier, 2001c, pp. 34-35).


3. Conclusion

En guise de conclusion, nous présenterons plusieurs hypothèses formulées par Rastier à propos du monde sémiotique et de son rôle de médiation.

« Les rapports entre le monde sémiotique et le monde physique posent deux problèmes fondamentaux : (i) celui du traitement des signaux et de l’articulation du physique et du symbolique en leur sein, qui donne lieu à la perception catégorielle ; (ii) celui de l’émergence du symbolique. Ces deux questions sont mêlées dans les débats sur le subsymbolique. Une des façons de réduire ou de méconnaître l’autonomie du sémiotique consiste à le faire émaner du physique en supposant une sémiotique du “monde naturel” ou une sémiophysique. Cependant, les théories épiphaniques peuvent difficilement rompre avec la tradition mystique qui ouvrait devant nous le Grand Livre de la Nature. Certaines discontinuités physiques sont certes perceptivement saillantes, mais elles ne déterminent pas le symbolique. En ce sens, le symbolique n’émerge pas du physique : il sélectionne simplement dans le physique ce qui se prête à la discrétisation (cf. supra, chap. VII, sur la théorie de Berlin et Kay). Quant aux rapports entre le monde sémiotique et celui des représentations, nous avons formulé l’hypothèse que les images mentales sont contraintes (mais non entièrement déterminées) par les signifiés. Cependant, il convient de distinguer dans tous les cas les contenus éidétiques (qui relèvent du troisième monde) et les signifiés opératoires (qui appartiennent au deuxième). Les premiers ont un caractère à la fois individuel et subjectif ; les seconds procèdent de normes sociales. L’autonomie relative de ces deux mondes rend contestables les tentatives d’explication de l’un par l’autre. […]

Quant aux relations globales entre les trois mondes, nous retiendrons surtout le rôle médiateur du monde sémiotique. Il tient à la double nature des signes (symboles, icônes, et signaux), qui relèvent du physique par leurs signifiants, et qui peuvent être associés à des représentations mentales par les signifiés qu’on leur attribue, directement ou non.

Ce rôle s’entend de deux façons, puisque le biologique est inclus dans le physique. Relativement au physique (au sens très restreint de l’objectivité perçue), le sémiotique est le médiateur entre les “états de choses” et leurs représentations. En d’autres termes, le face-à-face millénaire et figé qui oppose le sujet à l’objet devrait s’effacer avec le dualisme dont il procède : car on ne passe pas directement d’une objectivité physique à une représentation subjective. […] Touchant la médiation entre le représentationnel et le biologique, nous formulons l’hypothèse que le sémiotique constitue corrélativement l’instance médiatrice entre les états mentaux et les états cérébraux – indépendamment du fait que les échanges sémiotiques structurent une part des tissus cérébraux. Alors l’étude du sémiotique, sans résoudre le Mind / Brain problem que les recherches cognitives ont hérité du dualisme le plus traditionnel, permettrait peut-être de poser scientifiquement ce problème formulé jusqu’à présent en termes métaphysiques, et qu’un monisme réducteur n’apercevrait même pas. » (Rastier, 2001d, pp. 242-243).

Ces considérations amènent Rastier à proposer une classification des disciplines selon les objets qu’elles donnent à voir :

« Les sciences de la nature et les sciences de la vie traitent du premier monde. Les sciences sociales étudient le deuxième. Le statut de la sémiotique, science particulière ou projet pluridisciplinaire fédérateur, reste en discussion. Le troisième monde a toujours compté parmi les objets de la philosophie, fût-elle conçue comme une “science des idées” (cf. e.g. l’idéologie de Tracy). Depuis plus d’un siècle, la psychologie en a commencé la conquête, disputée aujourd’hui par la neuropsychologie. La question de savoir si les représentations mentales peuvent constituer l’objet d’une science reste ouverte.
Ces trois mondes ne jouissent pas du même type d’objectivité. Et les disciplines qui nous les donnent à voir diffèrent donc par leur statut : les premières sont exactes, les deuxièmes ne sont que rigoureuses, et les dernières cherchent leur voie. Aussi les définitions de l’objectivité issues des sciences expérimentales demeurent-elles trop fortes pour pouvoir être étendues aux autres disciplines. » (Rastier, 2001d, pp. 244-245).


NOTES

[1] Rhétorique/herméneutique (problématique)  : problématique peu unifiée, de tradition rhétorique ou herméneutique, qui prend pour objet les textes, discours et performances sémiotiques complexes dans leur production et leur interprétation. Centrée sur la communication et plus généralement sur la transmission, elle entend déterminer ses conditions historiques et ses effets individuels et sociaux, notamment sur le plan artistique.  (Rastier, 2001c, pp. 301-302).

[2] Texte : suite linguistique autonome (orale ou écrite) constituant une unité empirique, et produite par un ou plusieurs énonciateurs dans une pratique sociale attestée. (Rastier, 2001c, p. 302).

[3] Logico-grammaticale (problématique) : définissant la signification comme une relation de représentation, elle privilégie le signe et la proposition et pose donc les problèmes de la référence et de la vérité, fussent-elles fictionnelles ; elle rapporte les faits de langage aux lois de la pensée rationnelle et se centre sur la cognition. (Rastier, 2001c, p. 300).

[4] « Elle s’attache à juger de la vérité des énoncés, et des conditions auxquelles le langage peut dire le vrai ; c’est pourquoi on l’appelle aussi sémantique vériconditionnelle. » (Rastier, 1994b, p. 23).

[5] « La sémantique cognitive pourrait apparaître comme un développement de la sémantique psychologique, car elle définit la signification comme une représentation mentale. Cependant, elle n’a pas défini d’objectifs ni de protocoles expérimentaux. Ses principaux animateurs sont des linguistes (Lakoff, Langacker) et elle procède d’une linguistique mentaliste, qui rapporte tous les phénomènes linguistiques à des opérations mentales. » (Rastier, 1994b, p. 24).

[6] Rastier précise que la linguistique, placée sous la domination millénaire de la philosophie du langage, emploie la notion de concept conformément aux traditions de la logique et de la philosophie du langage.

[7] Psychologie logicisée par Fodor (langage formel mental) et par Johnson-Laird (modèles mentaux) ; cf. sur ce point Rastier, 2001d, p. 89.

[8] Rastier, 2001d, p. 109 : « Faisant l’éloge de la sémantique vériconditionnelle, Johnson-Laird affirme par exemple : “Qu’elle le veuille ou non, une théorie qui relie les mots au monde permet aussi de relier les mots entre eux, rendant ainsi superflues celles qui s’en tiennent aux relations entre les mots” (1988, p. 62). ».

[9] Selon Rastier, les Idées platoniciennes ont été “remplacées” par les objets du monde profane répertoriés par l’Encyclopédie et que la philosophie analytique nomme aujourd’hui encore le mobilier ontologique du monde.

[10] Partir du signifiant pour viser le concept et, à travers lui, le référent, conduit à la représentation sémasiologique du lexique, qui associe et interdéfinit l’ensemble des significations qu’un signifiant est susceptible de véhiculer. Or cette méthode se heurte à de nombreuses difficultés : cf. Langacker (1987) qui cherche à interdéfinir les diverses significations de ring ; ou Kintsch (1991) qui interdéfinit bank (rivage) et bank (banque) ; cf. également Katz et Fodor (1963) pour bachelor ; Fillmore (1982) pour write ; Lakoff (1987) pour over. Rastier lui préfère la méthode onomasiologique, qui part des classes de signifiés pour les structurer - cf. ses propositions sur les classes sémantiques - « L’essentiel réside dans le caractère différentiel de la méthode : le sens d’un mot se définit non par rapport à ses autres sens, mais par rapport au sens des mots voisins, aussi bien dans l’ordre paradigmatique que dans l’ordre syntagmatique. » (Rastier, 1994b, p. 46).

[11] Cf. l’adage scolastique : vox significat mediantibus conceptibus.

[12] « Le mot établi comme base de la signification, la thèse réaliste veut qu'il soit étudié relativement à sa référence. » (Rastier, 1990, p. 30).

[13] Pour les partisans d’un réalisme empirique, les tropes font obstacle à la représentation du monde par le langage (cf. Rastier, 2001c, chapitre V « Rhétorique et interprétation : l’exemple des tropes »).

[14] « Philosophes et grammairiens rêvent depuis le Cratyle de l’orthonymie, désignation correcte et directe. Les Stoïciens estimaient que le nom tombe droit de la pensée vers ce qu’il désigne, et comparaient cette chute à celle d’un stylet qui se fiche droit (orthon) dans le sol (cf. Lallot, 1989, p. 141). » (Rastier, 2001c, p. 139).

[15] La sémantique de Katz est une sémantique référentielle et componentielle ; elle se démarque ainsi de la sémantique vériconditionnelle qui traditionnellement s’oppose toujours à la décomposition du sens lexical (Montague, Kamp, D. Lewis). D. Lewis (1975, p. 1, cité par Rastier, 1985, p. 4) : « la sémantique qui ne traite pas des conditions de vérité n’est pas une sémantique ».

[16] Barthes parle notamment de procédés servant à connoter le réel.

[17] Réalisme non critique associé à un non-contextualisme : le signe est isolé, coupé de son contexte et privé par là-même de ses conditions d'interprétation ; cf. Eco 1999.

[18] « La dette, d’ailleurs réciproque, des sciences du langage en Occident à l’égard de l’ontologie reste si grande qu’elle semble ineffaçable : on peut interpréter de cette manière le silence de Saussure, dont la perspective différentielle est clairement anti-ontologique, ou dé-ontologique » (Rastier, 2001a, p. 120).

[19] Praxéologie : étude des performances sémiotiques dans leur relation avec les deux autres niveaux de la pratique, représentationnel et physique. (Rastier, 2001c, p. 301).

[20] « L'ontologie qui a tant pesé sur l'histoire de la sémiotique ne s'est-elle pas édifiée sur l'oubli voire le déni de l'action ? L'Etre parménidien, unique, identique à lui-même, immobile et invariable, se définit par la négation des caractères fondamentaux de l'action (cf. l'auteur, 2001). Et si la connaissance était une action oubliée ? De même qu'une encyclopédie est une archive de passages de textes décontextualisés, une ontologie pourrait être définie comme une archive d'actions : les "choses" prétendues sont le résultat d'une objectivation dont on oublie qu'elle résulte d'un couplage entre les hommes et leur environnement. » (Rastier, 2001b, p. 199).

[21] « Cependant la validité de l’opposition interne/externe reste discutable : en effet, dans un couplage, ce qui compte, c’est l’interaction, qui conduit d’une part à une subjectivisation, d’autre part à une objectivation, par deux mouvements corrélatifs. » (Rastier, 2003b, p. 3).

[22] « Aussi le projet d’une sémantique des textes s’appuie-t-il sur la tradition de l’herméneutique philologique plutôt que sur celle de l’herméneutique philosophique. Il vise pourrait-on dire à élaborer une déontologie, tout à la fois rupture avec les préoccupations ontologiques de la linguistique, et étude du sens textuel dans une praxéologie des discours et des genres (cf. l’auteur, 1997, 1999). » (Rastier, 2001a, p. 101).

[23] i.e. l’indiscernabilité (inscrutability ) de la référence.

[24] « La sémantique linguistique autonome issue de la linguistique structurale européenne s’est développée peu à peu depuis le début du siècle. Elle définit la signification comme un rapport linguistique entre signes, plus précisément entre signifiés. Les signifiés ont à leur tour des corrélats psychologiques, voire physiques, mais ces corrélats ne les définissent pas en tant que tels. Les principaux auteurs contemporains (Pottier, Greimas, Mel’chuk, Coseriu, notamment) restent divisés sur des questions cruciales comme celles de l’autonomie de la sémantique, du statut conceptuel des unités minimales, etc. » (Rastier, 1994b, p. 24).

[25] Rastier précise que Saussure s’appuie sur l’expérience de la linguistique historique pour récuser la problématique de la référence en reprochant aux philosophes de négliger la dimension temporelle des langues (cf. CLG, p. 440).

[26] Chez Hjelmslev, la dénotation est définie comme une relation entre l’expression et le contenu linguistiques, et la réalité physique se trouve reléguée au troisième et dernier niveau d’analyse de la substance ; chez Greimas, la référence se trouve assimilée à l’anaphore et le référent devient interne (cf. Rastier, 1990).

[27] Le langage est le seul réel que la sémantique des textes ait à connaître (cf. Rastier, 1992a).

[28] Négation de la substance.

[29] Nous n’aborderons pas ici, faute de place, les propositions de Rastier pour une sémantique différentielle unifiée traitant des différents paliers de description linguistique et des différents degrés de systématicité, et conduisant au remembrement herméneutique des sciences du langage (cf. notamment Rastier, 1994b).

[30] Lexie : groupement stable de morphèmes, constituant une unité fonctionnelle. (Rastier, 2001c, p. 300).

[31] (Object)  (Physical)  (Non-living)  (Artefact)  (Furniture)  (Portable)  (Something wih legs)  (Something with back)  (Something whith a seat)  (Seat for one).

[32] Cet exemple est présenté dans Rastier, 1987 (1ère éd., chapitre II, « Principes et conditions de la sémantique componentielle »). Dans ce qui suit, nous nous référons à la seconde édition (1996a, chapitre II, pp. 50-52).

[33] Domaine : groupe de taxèmes lié à une pratique sociale. Il est commun aux divers genres propres au discours qui correspond à cette pratique. Dans un domaine déterminé, il n'existe généralement pas de polysémie. (Rastier, 2001c, p. 298).

Rastier précise que nos langues comptent trois à quatre cents domaines (cf. les indicateurs lexicographiques comme mar. ou cuis.).

[34] « En langue, les classes sont déterminées par des conditions pragmatiques globales ; en contexte, elles peuvent l’être par des conditions pragmatiques locales. Dans les deux cas, ces conditions jouent un rôle essentiel. » (Rastier, 1996a, p. 34).

[35] « En dernière instance, les classes sémantiques relèvent de normes sociales (qui appartiennent à l’objet d’une pragmatique englobante) : par exemple, en français, la classe des légumes du pot-au-feu. Ces classes ne sont donc pas des classes de référents, comme les espèces naturelles ou artificielles, selon Rosch. Elles se distinguent également des formations conceptuelles indépendantes des langues que la linguistique cognitive nomme frames ou scenes, même quand elle leur reconnaît un statut culturel, spontanément (cf. Fillmore) ou non (cf. Schank). » (Rastier, 2001d, p. 104). Illustration de la classe des légumes du pot-au-feu : « Par exemple, telle maraîchère répond à qui lui demande des poireaux : Pas de carottes ? ; à qui lui demande des poireaux et/ou des carottes : Des navets ?. Elle confirme ainsi l’existence d’un taxème drastiquement fermé des légumes du pot-au-feu. Si on lui demande des aubergines, elle demande : Pas de courgettes ? ; des aubergines et/ou des courgettes : Pas de tomates ?, ce qui établit le taxème des légumes de la ratatouille. » (Rastier, 1994b, p. 76).

[36] « En somme, le sème est certes défini par des relations entre sémèmes, mais ces relations elles-mêmes sont déterminées par le contexte linguistique et situationnel. Si bien que des données pragmatiques peuvent devenir des conditions d’existence et d’identification du sème. » (Rastier, 1996a, p. 36).

[37] « Au demeurant, ce non-contextualisme semble traditionnel en sémantique française, comme il apparaît dans la Logique de Port-Royal, la théorie de la signification chez Beauzée, et de nos jours dans les travaux de Kleiber et de Martin sur la référence des noms. Il a encore une incidence sur les débats contemporains. La fixité de la référence et le caractère non-contextuel de la signification vont évidemment de pair. » (Rastier, 1995).

[38] « La croyance qu’une langue est une nomenclature et l’habitude lexicographique ont accoutumé à définir les mots hors contexte. » (Rastier, 2001d, p. 106).

[39] La signification  est conçue alors comme relation entre les plans du signe (signifiant / signifié) ou les corrélats du signe (concept / référent).

[40] « Convenons que la signification est attribuée aux signes, et le sens aux textes. Si l’on approfondit cette distinction, un signe, du moins quand il est isolé, n’a pas de sens, et un texte n’a pas de signification. » (Rastier, 2003b, p. 4).

[41] « Pour pouvoir décrire des textes en eux-mêmes et pour eux-mêmes, il faut les soustraire à l’ontologie sur laquelle leur sens a toujours été gagé, par l’effet de la conception réaliste de la signification. » (Rastier, 2001c, p. 33).

[42] Signification : signifié d'une unité linguistique, défini en faisant abstraction des contextes et des situations. Toute signification est ainsi un artefact. (Rastier, 2001c, p. 302).

[43] Sens : ensemble des sèmes inhérents et afférents actualisés dans un passage ou dans un texte. Le sens se détermine relativement au contexte et à la situation, au sein d’une pratique sociale.(Rastier, 2001c, p. 302).

[44] « Que le global l'emporte sur le local, cela va évidemment à l'encontre du principe de compositionalité, ou loi de Frege, qui régit toutes les sémantiques logiques, et qui définit le sens d'une expression par la composition du sens de ses sous-expressions. » (Rastier, 1994a, p. 332).

[45] « L’activité interprétative procède principalement par contextualisation. Elle rapporte le passage considéré, si bref soit-il (ce peut être un mot), à son voisinage, selon des zones de localité (syntagme, période) de taille croissante ; à d’autres passages du même texte, convoqués par des procédures d’assimilation ou de contraste ; enfin, à d’autres passages d’autres textes, choisis dans le corpus de référence, et qui entrent ainsi dans le corpus de travail. » (Rastier,2001c, p. 92).

[46] Pratique sociale : activité codifiée qui met en jeu des rapports spécifiques entre le niveau sémiotique (dont relèvent les textes), le niveau des représentations mentales et le niveau physique. (ibid ., p. 301).

Discours: ensemble d'usages linguistiques codifiés attaché à un type de pratique sociale. Ex. : discours juridique, médical, religieux. (ibid., p. 298).

Genre : programme de prescriptions (positives ou négatives) et de licences qui règlent la production et l'interprétation d’un texte. Tout texte relève d'un genre et tout genre, d'un discours. (ibid., p. 299).

[47] « On soulignera certes l’aporie d’une interprétation sans recours à un sujet psychologique ou philosophique. Mais cette aporie définit notre propos : non pas dire qui donne du sens et pourquoi, mais quelles sont les conditions et contraintes linguistiques qui s’imposent alors à quiconque, qu’il les néglige ou qu’il en tienne compte. » (Rastier, 1994b, p. 21).

[48] Parcours interprétatif : suite d’opérations permettant d’assigner un ou plusieurs sens à un passage ou à un texte. (Rastier, 2001c, p. 301).

[49] « L’impression référentielle, simulacre multimodal à caractère perceptif, est le produit d’une élaboration psychologique des signifiés. Ainsi le problème de la fiction relève-t-il de la psychologie cognitive. De même pour le problème subsidiaire de la référence : la construction d’une impression référentielle est une condition, nécessaire et non suffisante, à l’établissement d’une référence. Le sujet apparie un simulacre multimodal à un percept ou une structure perceptive. 

Il ne s’agit pas cependant d’une simple reconnaissance, et l’on peut évidemment référer à des objets jamais vus auparavant. Les simulacres multimodaux résultent d’une élaboration sémantique (et donc culturelle). Relativement aux percepts, ce sont des types. Ils permettent la catégorisation des percepts occurrences. À la différence des conclusions de Rosch, la catégorisation ainsi conçue est un processus descendant fortement socialisé. » (Rastier, 2001d, pp. 211-212).

[50] Rastier précise qu’il traduit ainsi, en étendant son sens, le pattern-matching de l’I.A. (cf Rastier, 1989, note 38, p. 274).

[51] Rastier précise que la propriété de susciter des images mentales est propre aux syntagmes et non à chacun des signes qui les constituent. Il ajoute : « La sémantique textuelle devra, au-delà du mot et du syntagme, traiter de la composition des images mentales : elle dépend des quatre composantes sémantiques. Toutefois, la cohésion des impressions référentielles ne déterminera qu’un des aspects de la textualité. » (Rastier, 1989, p. 253).

[52] Isotopie sémantique : effet de la récurrence d'un même sème. Les relations d'identité entre les occurrences du sème isotopant induisent des relations d'équivalence entre les sémèmes qui l’incluent. (Rastier, 2001c, p. 299).

[53] « La référence ou désignation au sens fort reste explicitement dévolue à la philosophie du langage, fût-elle formelle. Elle n’appartient pas à l’objet de la sémantique. En revanche, lui appartient pleinement ce que Kalinowski a appelé la référence ou désignation au sens faible (1985, ch. VI). Ce type de référence n’est évidemment pas une propriété d’un signe isolé : par une typologie des isotopies génériques, on a pu montrer comment la redondance de certains sèmes induisait divers types d’impressions référentielles, cela au palier du syntagme, de l’énoncé, ou du texte (cf. l’auteur, 1987a, ch. VII ; 1989, II, ch. V). » (Rastier, 1990, pp. 19-20).

[54] Ou le thème ou encore le topic du texte décrit.

[55] Rastier précise qu’il serait réducteur de résumer le sens textuel à ces seules isotopies, comme le font les théories des sens multiples : « Si les fonds sémantiques responsables des impressions référentielles peuvent être représentés par des isotopies, on doit souligner que les isotopies génériques dominantes ne font pas du texte une succession isonome, unilinéaire ou plurilinéaire : on doit décrire aussi des faisceaux d’isotopies locales, interrompues, à dominances ponctuelles. » (Rastier, 2003c, p. 236).

[56] « L’effet des isotopies génériques varie selon les classes qu’elles manifestent. Les isotopies dimensionnelles (liées aux dimensions) sont responsables des tons (niveaux de langue) et des points de vue globaux (univers). Les isotopies domaniales sont responsables de l’impression référentielle globale. Les isotopies taxémiques, de l’impression référentielle locale. » (Rastier, 1994b, p. 129).

[57] Rastier envisage également les corrélats psychiques des molécules sémiques (formes sémantiques). On en donnera une illustration : l’auteur évoque une expérience de M. Denis et J.-F. Le Ny (1983) : « Si juste après la lecture d’une phrase comme La neige dévalait furieusement la pente, on demande si le mot avalanche figurait dans cette phrase, 15 à 20% des sujets répondent par l’affirmative. Vraisemblablement, ils ont constitué une molécule sémique composée des traits /neige/, /descente/, /intensité/, et si on leur en propose une lexicalisation synthétique, ils la reconnaissent. » (Rastier, 1994b, note 1, p. 137)- molécule sémique : groupement stable de sèmes, non nécessairement lexicalisé, ou dont la lexicalisation peut varier. (Rastier, 2001c, p. 300).

[58] Pour d’autres cas analysés, cf. Rastier, 1996a, Chapitre VII, «  La cohésion des énoncés étranges ».

[59] L’énoncé est logiquement absurde tout comme le sont les trois exemples forgés que Rastier reprend dans Sémantique interprétative (pp. 155-156) : « Colourless green ideas sleep furiously » (Chomsky) ; « Le silence vertébral indispose le voile licite » (Tesnière) ; « Le chlore lui a enlevé les anacoluthes (Martin). L’auteur s’interroge alors : est-ce à dire que ces énoncés ne sont pas interprétables ? « Ils ne le sont pas, si l’on s’en tient à leurs contenus inhérents ; mais ils le deviennent, si l’on considère les contenus afférents que l’on peut leur attribuer. On peut suppléer les lacunes de leur organisation sémantique en leur conférant des significations adventices par des réinterprétations pragmatiques fictives. Les esprits ingénieux n’ont pas manqué d’imaginer des situations rousselliennes où le chlore d’un détergent renversé effacerait les anacoluthes d’un manuscrit génial … À défaut d’isotopie générique construite en fonction d’un domaine sémantique socialement codifié, on imagine une situation fictive, plus ou moins convenue, à laquelle on confère le rôle d’interprétant pragmatique. En concevant ainsi une situation contrefactuelle qui rendrait recevable l’énoncé litigieux, on ne fait que déplacer l’absurdité sans résoudre le problème qu’elle pose. » (Rastier, 1996a, p. 156).

[60] Isotopie domaniale : les sémèmes ‘train’, ‘gare’, ‘voyageur’, ‘part’ comprennent un sème générique qui les indexent dans le domaine //transports//.

[61] Ou isosémie : isotopie prescrite par le système fonctionnel de la langue (ex.: accord, rection). (Rastier, 2001c, p. 299).

[62] Rastier parle ici d’isosémie affaiblie : « La mention affaiblie, pour isosémie, est justifiée par les allotopies relevées entre sèmes mutuellement exclusifs » (Rastier, 1996a, p. 159) - ici /animé/ vs /inanimé/. Il ajoute : « On pourrait dire qu’une suite qui serait totalement dépourvue d’isosémies ne mériterait même plus le nom de phrase. » (ibid.) - exemple donné par l’auteur (1994b, p. 127) : «  Que inutilement Au mais je Bianca cardinal la (suite obtenue par prélèvement aléatoire dans Les amants de Venise, de Michel Zévaco). Cette suite n’est ni une phrase, ni un énoncé. ».

[63] Il s’agit d’un énoncé «  faux » (fausseté analytique) - cf. Rastier, 1996a, pp. 157-158.

[64] Rastier évoque des syntagmes ou énoncés comme : « tonnerre muet » (Mallarmé), « Tout lui plaît et déplaît, tout le choque et l’oblige » (Boileau), « La nuit sera noire et blanche » (Nerval) ; « Pour notre part, nous considérons que ces trois exemples présentent chacun une certaine forme d’isotopie, par récurrence de contenus appartenant à une même classe ». (ibid., pp. 98-99).

[65] Isotopie /campagne/ : ‘Bergère’ ; ‘ troupeau’ ; ‘bêle’ ; Isotopie /ville/ : ‘ tour Eiffel’ ; ‘ponts’ ; ‘matin’

Avec réécriture de ‘bêle’ => /‘klaxonne’/ et de ‘ponts’ => /‘moutons’/ (ibid., p. 181).

[66] Rastier parle d’impression référentielle plurivoque (cf. Rastier, 1989).

[67] On pourrait reprendre ici l’analyse de Salut proposée par Rastier (1972, 1989). L’auteur repère trois isotopies génériques : i1  /navigation/ (parcours interprétatif simple) ; i2 /alimentation/ (parcours interprétatif plus complexe, recours à des interprétants externes) ; et i3 /littérature/ (isotopie essentiellement idolectale).

[68] Nous renvoyons le lecteur au chapitre V de Arts et sciences du texte dans lequel Rastier s’intéresse à l’esthésie des figures rhétoriques : « Par exemple, en étudiant les formes du réalisme transcendant en littérature, nous avons remarqué l’association fréquente de l’oxymore, de l’adynaton, de l’hypallage, de l’antithèse. S’y ajoutent par exemple, dans L’union libre de Breton, la syllepse, le zeugma, la paronomase. Toutes ces figures ont en commun d’affronter, soit par conjonction, soit par disjonction, des unités sémantiques diversement opposées. En rompant notamment les isotopies génériques, elles participent à la destruction de l’impression de référence empirique et favorisent l’impression de référence au transcendant (cf. l’auteur, 1992b) que recherche traditionnellement notre poésie lyrique, au moins jusqu’au surréalisme (cf. l’auteur, 1992b, 1998b). » (Rastier, 2001c, pp. 163-164).

[69] Selon lui, la tradition dominante a toujours subordonné le problème de la réalité à celui de la vérité (cf. Rastier, 1992a, p. 83).

[70] « Même quand l’univocité de l’interprétation selon la logique classique est abandonnée, son principe référentiel demeure, car elle est simplement déployée dans une pluralité de mondes possibles (cf. Eco, 1994, chapitre III). » (Rastier, 2001c, p. 103).

[71] Dans son article « Action et récit », Rastier s’intéresse aux « univers sémantiques » créés par les récits – ainsi, dans une perspective ontogonique, les mondes construits par les récits « ne sont que des formations sémantiques entièrement déterminées par les structures du récit et les techniques de la narration » (Rastier, 1999a, p. 181).

« Son objectivité [l’objectivité du récit] permet d’établir entre les épisodes les liaisons structurales qui les intègrent à une totalisation créatrice d’un effet d’univers (effet ontogonique). Mais la stabilité du récit n’est plus alors l’effet de son engagement ontologique dans une référence, ni le témoignage de l’accomplissement d’une suite d’actions, mais l’effet propre de sa structure de totalisation. C’est pourquoi le récit est la forme la plus ordinaire de fiction accomplie. » (ibid., p. 182).

[72] «Logiquement, il convient de distinguer la vérité au sens faible de propositions comme Ulysse est l’époux de Pénélope, et la vérité au sens fort dont Aristote est le précepteur d’Alexandre présente un exemple canonique (je reprends ici la terminologie de Kalinowski). Alors, les propositions que l’on peut tirer de textes littéraires ne témoignent que de vérités au sens faible, et leur valeur de connaissance se limite à la littérature elle-même. […] Les vérités au sens fort sont révisables, transitoires, et l’on pourrait découvrir demain qu’Aristote n’a pas été le précepteur d’Alexandre ; alors qu’Ulysse, tant qu’il y aura des éditions d’Homère, restera indéfectiblement l’époux de Pénélope. Ces évidences n’inquiètent que la logique. » (Rastier, 1992a, pp. 82-83).

[73] «Avec d’une part la différenciation des langues et des territoires, puis la division du travail et la création des arts, sciences et techniques, la partie sémiotique de l’entour s’est diversifiée de façon incomparable, dans l’espace comme dans le temps » (Rastier, 2003b, p. 21).

[74] Rastier adapte le concept de présentation, repris de Brentano, le maître de Husserl.

[75] « Sans réduire les uns aux autres, ni même les hiérarchiser, il faut au contraire tenir compte, dans toute pratique, des facteurs physiques, sémiotiques et présentationnels. » (Rastier, 2001b, p. 212).

[76] « Les travaux de Lieberman sur la perception des sons linguistiques ont montré qu’ils étaient discrétisés différemment des autres sons. La perception sémantique est également une perception catégorielle, à la fois immédiate et culturellement apprise. Elle est le substrat perceptif de l’ordre herméneutique. » (Rastier, 1994b, p. 65).

[77] Note item CLG, éd. Engler, t.2, 1974, p. 36 : 3310. 5 ; « En unissant dans une même figure fermée le signifiant sensible et le signifié intelligible, la sémiotique saussurienne provoque une double rupture avec l’ontologie. » (Rastier, 2003a, p. 32).

[78] « d’où une semiosis “horizontale”, qui lie tout signe à ses voisins » (ibid., p. 36) - application du principe différentiel à la syntagmatique. Rastier précise que « l’on distingue le contexte gauche (activateur) du contexte droit (activé) même si les activations rétrospectives sont monnaie courante. » (ibid., p. 41).

[79] « Au problème de la correspondance entre les deux faces du signe se substitue donc celui du rapport entre les deux plans du langage, qui dépend des structures textuelles et de leur interprétation – soit, en dernière analyse, d’une poétique et d’une herméneutique. » (Rastier, 2003a, p. 33).


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Référence bibliographique : DUTEIL-MOUGEL, Carine. Référence et textualité : le point de vue de la sémantique interprétative. Texto ! juin 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Duteil/Duteil_Reference.html>. (Consultée le ...).