LES LIAISONS DANGEREUSES

2 extraits pour mettre en évidence le décalage axiologique et épistémique entre les deux rédacteurs qui sont respectivement la victime et le bourreau (des cœurs)

Lettre 108 :

Par contraste avec la triste solitude présente, il s’agit là du retour nostalgique sur le temps où l’amoureuse était touchée par les yeux de l'amant, fût-elle aveugle sur ses œillades. On fait remarquer qu’à cette dissimilation temporelle des deux cœur  : /dysph. actuelle vs euph. passée/ s’oppose l’assimilation de âme et cœur (pour signifier la totalité de la passion) – selon la terminologie de Rastier.

On retrouve la transmission intérieure (de Gautier au segment 1), dont l’échappement aux sens (cf. " sans passer par mes yeux ") traduit l’idéalisme .

Importance ses modalisateurs : l’euphorie passée sur laquelle s’achève le segment est rendue illusoire par le verbe ‘sembler’ qui insinue une erreur quant aux apparences sentimentales, dont la prise de conscience trop tardive fait de Tourvel la victime de Valmont, non seulement par ses actes, mais par ses impressions erronées.

Lettre 125 :

Il est intéressant de faire constater que dans le discours présent les yeux de la même Présidente sont indépendants de toute transmission affective et spontanée, mais l’organe du jugement moral face auquel Valmont prétendait se soumettre : ici plus proches du contexte moliéresque que de la passion cornélienne.

Le lecteur comprend – et surtout sa complice Merteuil – qu’il ne s’agit là que d’un prétexte pour conquérir les charmes et ainsi pervertir la droiture de la Présidente. Cynisme qui le rapproche du LUI de Diderot.

Enjeu rhétorique et générique : le binaire ici réitéré " charmes sur mon cœur vs vertus sur mon âme " (hiérarchie systématiquement et hypocritement reprise par le vil séducteur ; cf. lettre antérieure : " entouré d’objets séduisants, mais méprisables, aucun n’allait jusqu’à mon âme  : on m’offrait des plaisirs , je cherchais des vertus  ") et déclaré de façon aussi ostentatoire révèle une stratégie du paraître. L’aveuglement de la destinataire rend sa naïveté aussi condamnable que la rouerie inverse de Valmont (même si la blessure de la première est plus touchante que l’insupportable triomphalisme du second).

Comme pour les monologues (et dialogues) théâtraux, l’absence d’instance narratoriale dans la lettre ne tranche pas l’évaluation de cette triade cœur\âme\yeux. Le lecteur ne peut que deviner à partir de la morale qui se dégage… Et du fait que le récit de la lettre de Valmont est guidé par une mauvaise intention (= le plaisir de montrer à un tiers l’aboutissement de sa manipulation), son âme est d’autant plus noire. Segment représentatif du recueil épistolaire dans son ensemble : la spiritualité des protagonistes sort dégradée des liens qu’ils nouent mutuellement.