2000_03_18
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SdT volume 6, numero 1.
LA CITATION DU MOIS
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" Augmentons le dépôt de ces hautes connaissances,
délices des êtres pensants "
Laplace
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SOMMAIRE
Editorial
1- Coordonnees
- Bienvenue a Jean-Pierre Lepri, Stephane Massa, Boyan Mantchev,
et Moche Tabachnik.
- Renato Prada et Franson Manjali changent d'adresse.
2- Textes electroniques
- Textes intégraux de litterature francaise : principaux sites Web.
- Guide to digital resources for the humanities : 360 adresses.
3- Publications
- These de Valerie Beaudouin :
"Rythme et rime de l'alexandrin classique.
Etude empirique des 80 000 vers du théâtre de Corneille et Racine"
- Les theses de Ludovic Tanguy et de Thierry Mezaille disponibles
sur la toile.
- Livres qui viennent de paraitre :
Renato Prada Oropeza
"Publiqué en el Fondo de Cultura Económica el libro
Literatura y realidad"
Pascal Vaillant
"Semiotique des langages d'icones"
- H-G Ruprecht fait part de deux de ses publications recentes :
"Intertextual Grounds for Construction and Deconstruction :
Joyce's 'Cabman's Shelter' Revisited"
"Lecture, traduction et conscience :
Brecht lecteur de Benjamin"
- Troisieme partie des notes de Mathieu Brugidou sur le colloque
"Semiotique des cultures et sciences cognitives" (Geneve-Archamps,
20-23 juin 1999).
4- Textes
- Nouveaux phenomenes semantiques saisis, reveles ou produits par
l'outil informatique : numero de Semiotiques, en preparation.
- Simon Bouquet (communication inedite a ICHOLS, 1999) :
"La linguistique generale de Ferdinand de Saussure :
textes et retour aux textes"
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{FR, 29/02/2000}
EDITORIAL
La liste SdT entre dans sa sixième année : elle a pris son temps, et refuse
de vivre dans le "temps réel" du "passage à l'acte".
Le bogue, qui a coûté 600 milliards de dollars (estimation du Monde), est
déjà oublié. Mais quelle était sa cause ? Ouvrez les actes d'un congrès
d'Intelligence artificielle, vous n'y verrez que des bibliographies à deux
chiffres, tant il semblait impensable de mentionner un auteur d'un autre
siècle. L'oubli du passé a coûté très cher.
Bref, comme nous n'oublions pas le passé proche, nous vous souhaitons une :
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Quelques cartes de nos lecteurs :
De José María Nadal :
¡Feliz Navidad y próspero año nuevo!
De Franck Neveu :
Tante belle cose a lei per l'anno nuovo, e coraggio per il passaggio al
terzo millennio ! A proposito del nuovo mondo, qualche linee del Calvino
(Collezione di sabbia) : "Scoprire il Nuovo Mondo era un'impresa ben
difficile, come tutti abbiamo imparato. Ma ancora più difficile, une volta
scoperto il Nuovo Mondo, era vederlo, capire che era nuovo, tutto nuovo,
diverso da tutto cio che ci s'era sempre aspettati di trovare come nuovo. E
la domanda che viene naturale di farsi è : se un nuovo Nuovo Mondo venisse
scoperto ora, lo sapremmo vedere ?"
De Renato Prada Oropeza :
Queridos amigos,
con toda la fe fraternal, a pesar del dominio del poder económico político
que nos aplasta, les manifiesto mis mejores votos por el 2000.
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Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees
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BIENVENUE AUX NOUVEAUX ABONNÉS
[information réservée aux abonnés]
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Textes electroniques Textes electroniques Textes electroniques Textes
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{FR, 29/02/2000}
BEAUX SITES
Textes intégraux de littérature française sur le Web
1. Les grands sites de référence
* Association des Bibliophiles Universels (ABU)
http://cedric.cnam.fr/ABU/
Regroupe des textes saisis (ou scannés) par un grand nombre de personnes.
C'est un peu le centre fédérateur qui met à disposition de tous les
contributions individuelles à la numérisation de textes. Par construction,
c'est donc un site riche mais hétérogène (qualité de l'édition, origine du
texte papier,...).
* Gallica
http://gallica.bnf.fr/
"Bibliothèque numérique" de la Bibliothèque Nationale de France. Les
documents textuels (il y a aussi des collections d'images et de rares
archives sonores) sont sous forme image (page scannée) ou / et en texte
intégral. Il semble cependant que l'essentiel des textes intégraux
proviennent de trois sources externes : la base Frantext de l'InaLF, la
société Bibliopolis (qui a maintenant ouvert son propre site avec les
textes en ligne), et les éditions Acamédia (qui ont donné une partie des
textes qu'elles distribuent par ailleurs, commercialement, sous forme de
CD-ROM). Il s'agit d'un fonds général, avec la présence non seulement
d'oeuvres dela littérature française, mais aussi d'ouvrages et de
périodiques d'autres secteurs (art, histoire, religion, sciences, etc.)
* Une petite bibliothèque portative
http://www.diplomatie.gouv.fr/culture/france/
Anthologie présentée par le Ministère des Affaires Etrangères. Oeuvres
célèbres de la littérature française, sans restriction sur les genres
(romans, théâtre, poésie, nouvelles).
* Anthologie Hypertextuelle de la Poésie Française
http://www.ambafrance.org/FLORILEGE/
Emane de l'ambassade de France au Canada. Appelée également "Florilège",
cette anthologie rassemble par ailleurs 365 poèmes d'une centaine d'auteurs.
2. Sites classiques et connus
* ClicNet
http://www.swarthmore.edu/Humanities/clicnet/
Tenu à jour par Carole Netter. Concerne plus largement des textes d'auteurs
contemporains, et se place dans la perspective de l'enseignement du
français langue étrangère.
* American Research on the Treasury of the French Language
http://humanities.uchicago.edu/ARTFL/ARTFL.html
La base Frantext de l'INaLF, corrigée d'une partie de ses coquilles et
consultable via une interface d'interrogation. N'est pas en accès libre :
suppose de s'inscrire.
* Athéna
http://un2sg4.unige.ch/athena/html/francaut.html
Grand inventaire d'oeuvres francophones, avec pour la très grande majorité
un pointeur qui renvoie à l'un des grands sites de référence.
* Bibliothèque Municipale de Lisieux
http://www.bmlisieux.com/
Textes courts, plus ou moins connus, d'auteurs plus ou moins connus.
3. Sites nouveaux et prometteurs
* Biblionet
http://minotaure.bibliopolis.fr:7999/HTML/
Textes intégraux de 101 "Classiques Garnier", par les éditions Bibliopolis
et avec le soutien de Radio France. Un moteur de recherche (TREVI) permet
de visualiser les occurrences de mots avec des opérateurs (ET, OU, SAUF).
* Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI)
http://inalf.ivry.cnrs.fr/ccrti/index.htm
Ouvert par une équipe de l'Institut National de la Langue Française (INaLF)
à l'automne 1999. L'objectif est de recenser les bases de textes
littéraires, avec une caractérisation très précise de chacune (choix des
éditions, présence de traductions, etc.) : un formulaire descriptif est
associé à chaque base.
4. Sites particuliers à remarquer
Mention importante : Il existe un grand nombre de sites consacrés à un
auteur, émanant quelquefois d'associations, ainsi que des sites qui mettent
à disposition de petites bases de textes constituées par des amateurs, sur
des initiatives individuelles. Ils ne sont pas mentionnés ici vu leur
nombre et la spécificité de chacun, mais restent des ressources
complémentaires importantes.
* Biblio.tic
http://www.amiens.iufm.fr/mail_art/textes/cadres.htm
Initiative dans le domaine de l'enseignement. Télédéchargement de fichiers
permettant de récupérer le texte intégral d'une oeuvre sur disquettes.
* Lili, Littérature en Ligne
http://lili.bibliopolis.fr/
Site émanant de la société Bibliopolis, à l'intention des professeurs de
Lettres. Se présente comme un centre de ressources de tous ordres (textes
mais aussi documents pédagogiques, cours, etc.) et d'échanges.
* Webnet / Poésie française
http://poesie.webnet.fr/
Initiative de type mécénat, sur le site d'une entreprise. Plus de deux
mille poèmes français, de La Renaissance au début du XXème siècle.
* [Lettres.Net]
http://www.lettres.net/
Site très vivant, de la communauté des enseignants du Français s'intéressant
aux nouvelles technologies.
* Site du Ministère de l'Education Nationale, pour l'Enseignement des
Lettres
http://www.educnet.education.fr/lettres/default.htm
Riche et tenu à jour, pour tout ce qui concerne l'application des
technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement
des Lettres.
(Notes de Bénédicte Pincemin, décembre 1999).
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{FR, 29/02/2000}
TEXTUAL STUDIES
Guide to digital resources for the humanities
Un volume sous ce titre vient d'être publié par le "CTI Centre for textual
studies" à Oxford. Il recense 360 ressources, accompagnées par des articles
sur les différents domaines traités, dont, par exemple, les lettres
classiques, les langues et la linguistique, la littérature, le cinéma,
"Text creation and analysis", ...
Commande aux CTI Textual Studies, 13 Banbury Road, Oxford OX2 6NN.
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{FR, 29/02/2000}
PRÉSENTATION DE THÈSE
Valérie BEAUDOUIN
"Rythme et rime de l'alexandrin classique.
Etude empirique des 80 000 vers du théâtre de Corneille et Racine"
sous la direction de Jacques Roubaud.
Jury : Bernard Cerquiglini, Sophie Fisher, Benoît Habert, Pierre Lusson,
François Rastier),
soutenue le 24 janvier 2000, à l'Ehess.
Résumé
______
Ce mémoire présente une approche empirique du rythme et de la rime du vers
alexandrin classique. Un outil d'analyse systématique du vers, le
métromètre, a été mis au point avec F. Yvon. Il transcrit le vers dans
l'alphabet phonétique, le découpe selon les positions ou syllabes métriques,
en respectant les règles de la versification (diérèse/synérèse, décompte du
e muet et liaison) ; finalement, il attribue à chacune des positions un
certain nombre de marquages ou étiquettes d'ordre exclusivement
linguistique : syllabe et noyau vocalique de la position, catégorie morpho-
syntaxique, situation dans le mot et présence d'une marque accentuelle sur
la position. L'outil repose sur un analyseur syntaxique, Sylex, développé
par P. Constant et un phonétiseur développé par F. Yvon, qui ont été adaptés
aux particularités du vers.
Le métromètre a été utilisé pour analyser les 80 000 vers des oeuvres
théâtrales complètes de Corneille et Racine. Il en résulte que la structure
rythmique du vers est bel et bien le résultat d'un agencement spécifique
des éléments de la langue (il n'y a pas " d'accent de vers ", mais des
marquages de langue qui viennent s'inscrire en des positions particulières
du vers). Des corrélations apparaissent de manière systématique entre les
positions métriques et les marquages linguistiques. Nous montrons que tous
les marquages, qui relèvent de composantes de la langue a priori
indépendantes, contribuent chacun à leur manière à caractériser la forme
rythmique de chaque hémistiche. Cette forme existe par l'allure symétrique
que prend la répartition des marquages sur les deux hémistiches, et par le
contraste fort qui s'établit entre la dernière position de chaque
hémistiche et ses positions adjacentes. La fin d'hémistiche est, en effet,
très fortement marquée par rapport au début de l'hémistiche suivant et
cette saillance est renforcée par le faible marquage de l'avant-dernière
position. Les corrélations entre ces niveaux a priori indépendants semblent
être constitutives du rythme.
L'unité rythmique semble donc être l'hémistiche. L'unité du vers est
cependant assurée par tout le système de règles phonétiques qui s'applique
à la césure, lieu de jonction entre hémistiches, par la structure rythmique
plus régulière du second hémistiche au regard du premier et bien entendu
par la rime. L'alexandrin est bien un " segment métrique, concaténation de
deux segments métriques équivalents ", comme l'écrit J. Roubaud dans La
Vieillesse d'Alexandre.
Parallèlement, l'examen systématique de la rime chez Corneille et Racine a
permis de montrer l'existence de régularités, non attestées dans les traités
de métrique (la voyelle [e], par exemple, a toujours besoin d'une consonne
d'appui) et de proposer, sur des bases empiriques, une définition
contextuelle des concepts de rime riche, suffisante ou pauvre, qui dépendent
du type de terminaison examiné. Les classes de mots rimant ensemble et les terminaisons graphico-phonétiques qui subsument ces classes ("rimèmes") sont
systématiquement décrites.
Enfin, nous avons tenté de montrer en quoi la structure rythmique et rimique
des vers pouvait contribuer à enrichir l'analyse stylistique : nous avons
ainsi mis à jour des corrélations entre des univers de discours et des
rythmes spécifiques. Ainsi, dans la tragédie classique, la thématique de
l'amour, associée à la confrontation des personnages sur scène et au
dialogue, s'accorde avec un vers assez débridé, tandis que celle de la mort,
qui s'exprime souvent dans le récit, privilégie un rythme plus régulier et
emphatique.
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{FR, 29/02/2000}
BELLES THÈSES EN LIGNE
* Une version en ligne de la thèse de Ludovic Tanguy :
Tanguy L. (1997)
Traitement automatique de la langue naturelle et interprétation :
contribution à l'élaboration informatique d'un modèle de la
sémantique interprétative
thèse de doctorat, Informatique, Université de Rennes I, Brest, ENST
se trouve à l'adresse suivante :
http://www-iasc.enst-bretagne.fr/~tanguy/
(en postscript et HTML).
* La thèse de Thierry Mézaille :
Micro-sémantique et génétique chez Proust -
Le thème de la blondeur
Université Paris IV, 1993, dir. F. Rastier
se trouve, dans une version refondue, à l'adresse suivante :
http://www.chez.com/mezaille
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{FR, 29/02/2000}
VIENNENT DE PARAÎTRE
De Renato Prada Oropeza (professeur à l'université de Xalapa, Mexique) :
Publiqué en el Fondo de Cultura Económica el libro Literatura y realidad.
Es un libro de 572 página. Su índice es el siguiente:
1. Literatura y sociedad: la obra literaria como realidad social
2. Realidad , efecto de realidad: ficción y literatura
3. Literatura, verdad y conocimiento
4. Producción y recepción del discurso literario
5. Los géneros literarios
Liminares:
1. Objetos y cosas, conceptos y significados
2. Razón, cultura y ciencia
3. El simbolismo estético y el espacio literario
El libro parte de la hipótesis de trabajo de que el mundo es un ser social
que "construye" su mundo, mundo que a su vez influye decisivamente en él :
no hay hombre sin mundo, ni mundo que no remita al hombre. En esta
construcción social del mundo (la realidad) la literatura, como otras artes
y otros tipos de discursos (mítico, religioso...) juegan un papel
importante, además del lenguaje y la proxémica (las acciones en su relación
con la configuración del espacio y del sentido). La parte titulada Liminares desarrolla los aspectos filosóficos que implica la teoría literaria
desarrollada en los primeros cinco capítulos. El Cap. 2 "Realidad, efecto
de realidad : ficción y literatura", es deudora de la semántica textual de
F. Rastier en gran medida.
_________________________
PASCAL VAILLANT : SÉMIOTIQUE DES LANGAGES D'ICÔNES, Paris, Champion, 2000
Comment interprète-t-on les icônes, symboles, et autres pictogrammes ?
Quel est le sens qui est caché derrière, et comment le raccorde-t-on à une
formulation dans sa langue natale ? Comment ces icônes se combinent-elles
entre elles et avec du texte ? Ont-elles une signification internationale ?
Ces questions gagnent en intérêt au fur et à mesure de la multiplication,
autour de nous, dans les aires d'autoroute, aux informations télévisées ou
sur les réseaux informatiques, de ces icônes en tous genres. On attend
d'elles qu'elles fournissent une information complète, universellement et
immédiatement perceptible. La compréhension de leur mode de fonctionnement,
de leur dynamique sémantique, est donc plus que jamais une nécessité à
l'époque où l'image sous toutes ses formes déborde de plus en plus le texte
dans la communication.
Cet ouvrage explore le thème de la sémiotique des icônes et de ses liens
avec la sémiotique linguistique. Outre un aperçu historique sur le concept
d'iconicité, on y trouvera un cadre de description théorique des systèmes
de signes visuels et multimodaux qui permet de comprendre des règles de
lecture en oeuvre aussi bien dans la bande dessinée que dans les
pictogrammes employés sur les machines-outils.
Voir aussi :
http://www.compling.hu-berlin.de/~vaillant/semicone/
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{Ruprecht, 15/02/2000, FR, 14/03/2000}
Hans-George Ruprecht nous adresse la référence de ces études récentes :
HANS-GEORGE RUPRECHT
"Intertextual Grounds for Construction and Deconstruction: Joyce's 'Cabman's
Shelter' Revisited", Versus / Quaderni di studi semiotici, 77/78 (1997),
35-55.
"Lecture, traduction et conscience: Brecht lecteur de Benjamin", Degrés, 95
(1998), d1-d19.
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{FR, 29/02/2000}
COLLOQUE SEMIOTIQUE DES CULTURES
Note de la rédaction :
Nous poursuivons la publication de notes prises au colloque inaugural de
l'Institut Ferdinand de Saussure : Sémiotique des cultures et sciences
cognitives (Genève-Archamps, juin 1999). Nous les devons à l'un des
inscrits,
Mathieu Brugidou, chercheur à l'Electricité de France. Le lecteur gardera en
tête que ce document n'a pas été rédigé à notre demande, et, dit son auteur,
"est plus une retranscription de mes notes qu'un compte rendu critique à
proprement parler".
____________
Petit débat....
Une première intervention autour de Peirce (Daniele Gambarara)
Peirce met en évidence la relation triple du signe et sa dégradation en
relation dyadique (index, icône)
mind
sign object
(mind)
sign <------------------------> object
On peut relire dans l'autre direction l'indication de Peirce. L'esprit est
le lieu où il y a les interprétants.
Cf. La distinction entre les pidgins, formations langagières de compromis
("Langue de contact, système composite plus complet qu'un sabir - quelles
que soient les langues concernées -" selon le Robert), et les créoles où
l'on note des relations structurales. Il y aurait deux mécanismes
différents, le Pidgin étant un protolangage, formation langagière produit
d'un compromis entre deux langues, le créole étant une langue a part entière
(celle en quelque sorte des enfants des premiers locuteurs...).
Une deuxième intervention sur l'histoire de la syntaxe souligne que le
système des cas serait un précédent du système verbal. Avant il y avait un
système de mots invariables. Ce qui est parfait, c'est ce qui est le plus
récent (contre Humboldt). Bref, les différents sous-systèmes d'une langue
sont historiques.
Une troisième intervention sur l'histoire de la rhétorique (F. Douay) qui
montre :
- d'une part la distinction faite par les grecs entre le langage
"enchaînement valide de propositions valides" et les cas où le langage ne
peut plus prétendre à la vérité mais seulement à des fonctions de cohésion
sociale. Cf. Aristote qui classe les genres suivants
Epopée politique
Théâtre juridique
C'est précisément le juridique qui va donner lieu à la naissance de la
rhétorique. Dracon réalise la synthèse des coutumes des archontes qu'il
codifie. Il interdit (de manière draconienne) les vendettas, qu'il remplace
par l'exposé des faits et la discussion des parties en présences.
C'est la naissance de l'opposition entre thème (du coté du nom et du sujet)
et rhème (du coté du verbe et du commentaire). Le rhème, c'est ce que l'on
dit à propos de ce qui a été posé. Ainsi, à propos du fait :
"la jeune fille est partie nuitamment avec un jeune homme"
les deux familles peuvent soutenir : a) la thèse de l'enlèvement, b) la
thèse de la fugue amoureuse
Les deux thèses sont également possibles. Leurs exposés et la délibération
démocratique (c'est à dire quantifiée par le vote, puisque cela ne relève
pas du vrai ou du faux) permettent de résoudre la question sans s'égorger.
On montre donc le lien originel entre la rhétorique et la démocratie.
D'emblée celle ci se donne comme une technique (teckné) au service de la
démocratie. L'auteur montre par ailleurs que les catégories utilisées par
l'usage démocratique se refonctionnalisent (cf. tyranie...) par la suite
dans des catégories littéraires, ce qui permettra d'ailleurs de retrouver
l'usage démocratique de cette technique en refonctionnalisant à nouveau ces
catégories lors de périodes plus clémentes. Elle distingue plusieurs
traditions dont certaines sont incontestablement pour nous proches.
[Cette analyse me paraît intéressante pour notre compréhension de la
controverse, cf. aussi ce qu'en dit Ricoeur aussi dans "Autour du
politique".]
Bref, Démosthène, Ciceron assassiné par César, c'est nous et le Baroque,
c'est pas nous.
Un quatrième intervenant (J.P. Caprile) sur la représentation des nombres
dans le langage qui plaide non seulement pour une conception de la langue
comme "système ouvert" mais aussi pour l'intrication des systèmes verbaux
et non verbaux (ici les signes gestuels). Dans le début de son intervention,
il souligne une série de curiosités dans la langue, irrégularités, fruits
de contingences historiques, par exemple :
onze on-ze un-dix
douze dou-ze deux-dix
treize trois-ze trois-dix
| | |
dix-sept : inversion du système, pourquoi ?
On peut ainsi montrer toutes une série d'irrégularités dans les langues à
propos de la représentation de système de numération, par exemple l'hôpital
des quinze-vingt à Paris trace d'un système à "base" (l'auteur préfère dire
"nombre d'appui") vingt etc. Il montre à partir de langues d'Afrique
centrale, les systèmes de numération dérivés de calcul sur soit une main,
soit deux mains, soit de systèmes encore qui utilisent les pieds en
utilisant un système ordinal ou cardinal...
____________
Boris CYRULNIK - Les objets saillants ou l'historicisation de nos
perceptions -
Le cerveau est un organe actif qui va " palper " l'information avec les sens.
De l'araignée de mer (et ces quelques synapses) aux oiseaux munis de deux
lobes préfrontaux qui leur permettent de traiter des informations non
immédiatement perçues.
Décrit les processus de phylogenèse comme un processus biologique de
liberté : celui d'un échappement progressif au contexte (et à son
immédiateté qui demande de traiter sur-le-champ l'info). Par exemple, la
graisse représente un degré de liberté supplémentaire dans cette évolution,
comme l'homéothermie qui permet de garder stable la température du vivant
alors que l'extérieure varie. Dans le même ordre d'idées, le sommeil
paradoxal est une alerte cérébrale coûteuse en terme d'énergie mais qui
permet à l'organisme d'intégrer les informations du jour. Ainsi selon les
espèces la quantité de sommeil paradoxal varie selon qu'elles sont
confrontées à des apprentissages plus ou moins importants. Dans la durée
d'une vie, la durée de sommeil paradoxal peut aussi varier (phases
d'apprentissage).
Le jeu est un comportement apparemment inadapté mais qui a une fonction :
faire semblant, idem mentir, avec un geste un mot je peux manipuler des
émotions, des représentations.
Notion de "promesses génétiques" : cf. divers exemples où des canards
sont "élevés" par des boules ou des cubes, si on enlève (avec un système
de poulies) les boules ou les cubes, le stress du caneton croît, du coup il
n'accomplit pas ses "promesses génétiques".
Même type d'exemple avec des enfants abandonnés en Roumanie où laissé dans
un dessert affectif et sensoriel on consiste que ces enfants présentent un
sous développement du cerveau. Replacé dans un milieu "normal" (affectif
et perceptif, bref, une famille) l'enfant retrouve un cerveau normal au
bout d'un an. Cyrulnik souligne l'extrême plasticité du cerveau des enfants
jusqu'à trois ans.
Il développe la notion de "cohérence du monde" à travers des exemples de
négligence hémiplégique gauche suite à altération (trou) d'une partie du
cerveau (située je ne sais où). Dans un premier exemple, l'homme bien qu'il
possède une main gauche, n'a pas conscience de l'existence de cette main.
Quand elle entre dans son champ de vision (par exemple on la pose sur son
lit d'hôpital), il demande à qui appartient cette main sur son lit etc.
Deuxième exemple : la vue à gauche fonctionne mais le patient n'a pas
conscience de cette vision. On montre ainsi deux séries de maisons, dans la
série A, la moitié droite de la maison est intacte, la moitié gauche de la
maison est la proie des flammes. Dans la série B , la maison est intacte.
On montre les deux séries aux patients qui invariablement bien qu'ils
disent ne pas percevoir à gauche choisissent la maison de la série B. Quand
on leur demande demande de justifier leur choix, ils trouvent de "bonnes
raisons". Bref, ils voient, n'ont pas conscience de cette vision, mais
agissent parfois en fonction d'élément perceptif qu'ils ne sont pas sensés
avoir et justifient leurs actions avec des arguments "raisonnables". Ils
maintienent vaille que vaille une cohérence dans le monde.
L'orateur rapporte une série d'expériences menées avec son équipe
pluridisciplinaire. D'abord à propos d'un corpus de films réalisés lors de
la dernière échographie. Il demande à la mère de parler pendant ce film,
parfois de chanter etc.
L'enfant, qui passe son temps à dormir, se réveille systématiquement à ce
moment. Il entend la mère à travers le liquide amniotique, ce sont les
graves qui agissent comme des vibrations et agissent comme des caresses sur
l'enfant. Les nourissons réagissent différemment à cette voix : certains
agitent les membres inférieurs et supérieurs, d'autres seulement les bras,
certains sucent leur pouce, d'autres essayent de "palper" le liquide
amniotique se saisissent de leur pied -est-ce le leur ?-, ou sucent le
cordon ombilical... Il a dressé des profils types des ces différentes
configurations de réactions (révélateurs précoces du caractère de l'enfant
???).
A partir de ces études il espère notamment mettre en place des tests de
dépistages précoce de l'autisme (après la naissance mais assez tôt dans le
développement du nourrisson).
Autre exemple ou anecdote, c'est selon, celle de deux jumeaux prénommés par
la mère (?) "Julie La douce" et "Kristeva l'intello". La mère distingue
très tôt dans ces deux jumeaux deux caractères différents,
qu'elle différencie, l'un plutôt réservé, proche du sien dit-elle, l'autre
plus "agressif". L'observation montre que les échanges physiques entre la
mère et "Julie la douce" (sic) sont importants, le nourrisson se calme
très rapidement quand la mère le prend dans ses bras (la mère est ici une
figure d'attachement, un peu comme la boule pour le caneton). En revanche,
le second "Kristeva" reste très longtemps inconsolable. Au moment de
l'acquisition du langage, la capacité pour Kristeva de nommer le monde, en
pointant le doigt et en nommant semble aller de pair avec un apaisement du
monde. En bref, tout se passe comme si le langage constituait un objet
transitionnel. C'est une autre façon de montrer que le monde est sémantisé
avant la parole.
Par ailleurs, bientôt les récits sociaux [mais la reconnaissance de la mère
et sa typification par Cyrulnik en "Julie la douce" et "Kristeva l'intello"
relèvent déjà du récit social] vont accompagner et prendre le relais de
cette ontogenèse.
____________
Patrick SERIOT - Les théories de la culture en Russie -
Les russes ont toujours eu un rapport différent à la nationalité :
citoyenneté et nationalité ne sont pas du tout équivalents. Le terme de
nationalité serait mieux traduit la plupart du temps par ethnie (cf.
l'anecdote du Citoyen soviétique et par ailleurs de nationalité Française
selon les autorités soviétiques).
Il existait en Union soviétique une matière intitulée DIAMAT obligatoire
quelle que soit la matière ou le cursus choisi : on y enseignait le
MATérialisme DIAlectique. Que sont devenus les millions d'enseignants de
cette matière, la plupart se sont reconvertis en culturologie.
L'auteur souligne que de nombreux travaux ont par exemple pour ambition de
faire apparaître comment la vision linguistique du monde est isomorphe avec
la mentalité nationale (incorporé dans la langue). Influence importante de
Sapir dans ces recherches dont les critères paraissent parfois étonnants
aux yeux d'un occidental.
Les problèmes d'identité surgissent avec Pierre Le Grand (après Ivan le
terrible). La question, c'est en quelle langue traduire sa propre langue.
Pierre Le Grand a besoin d'importer des techniques pour construire des
bateaux, il lui faut aussi importer des concepts, les écrire. Le slavon est
une langue écrite créer pour la liturgie qui se prête mal à une pensée
technique.
Impact formidable des guerres Napoléoniennes. L'intelligentsia russe
découvre qu'un pays vaincu peut avoir des valeurs. Trois questions qui vont
hanter l'âme russe : - Que faire ? - Qui sommes-nous ? - A qui la faute ?
Deux types de réponses, soit évolutionniste (retard sur l'occident), soit
singularité (notre pays et notre culture sont fondamentalement différents)
---> thèse slavophile.
La guerre de Crimée est très grave pour les russes (alors que les français
et les anglais n'en ont aucun souvenir) : les français et les anglais
s'allient aux turcs contre les russes. Preuve que l'autre, c'est le
catholique, le protestant vs le monde orthodoxe.
N. Danilevsky décrit la culture comme un organisme vivant dont le cycle de
vie est d'environ 1000 ans (c'est ancêtre de Spengler et de Toynbee), donne
naissance à l'idéologie EURASISME.
Ainsi Jakobson et Troubetzkoy ont une vision profondément organiciste des
cultures, celles-ci sont des objets fermés qui n'ont de cohérence que par
leur fermeture : totalité organique (Si la Russie est un organisme vivant,
je ne peux lui enlever l'Ukraine....)
Il suit de cela qu'il ne peut exister de culture panhumaine. Les besoins
spirituels ne vivent que dans des entités fermées. La naissance du
structuralisme est marquée par cet enracinement (importance notamment de la
notion de fermeture).
Théorie de l'harmonie du monde est une théorie des correspondances. ainsi
Jakobson décrivant des oppositions phonologiques entre une région isoglosse
du [?] et une région du [g] fait correspondre une opposition pays d'ovin vs
bovin, vent dominant nord vs vent est, bref tous les savoirs s'organisent
selon ces coupures entre totalités fermées.
Il faut que tout soit lié. Prouver l'existence de l'objet, c'est montrer
l'existence d'un lien avec quelque chose d'autre (comme dit l'orateur,
"c'est dans le lien organique que réside le bonheur épistémique"). Ce sont
donc des obsédés de la synthèse.
On assiste récemment à un regain d'intérêt dans la Russie eltsinienne pour
les théories de la culture.
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Yves-Marie VISETTI - A propos de la Gestalttheorie -
La perception comme structure générale de la cognition, définie comme une
"structure dynamique incarnée". Hypothèse d'un isomorphisme psychophysique.
Proche de la psychologie expérimentale mais différente de la méthode
béhavioriste.
La Gestalt theorie reprend l'idée d'une psychologie de l'intentionnalité
"possiblement" expérimentale. Métaphore de la mélodie qui se superpose (en
tant que qualité) au flux sonore.
Les caractéristiques de la Gestalttheorie :
- pas de différence entre sensation et perception,
- pas d'antériorité des éléments mais contemporanéité (pas de compositionnalité)
L'expression d'un regard nous saisit sans que l'on discerne la couleur des
yeux. On saisit la mélodie sans reconnaître les notes.
- les formes sont transposables d'un champ à l'autre, exemple le crescendo
est un schème dynamique qui n'appartient à aucune modalité sensorielle.
On distingue des unités plus ou moins fortes qui sont transposables.
Deux contraintes pour une théorie générale des formes :
1) toutes les parties d'un champ sont en relation de détermination réciproque
2) il faut que cela soit transposable
L'orateur insiste par ailleurs sur :
- la requalification des qualités dans les différents systèmes
- la communauté immédiate des structures : par exemple la forme du Saule
est la forme de la tristesse humaine, non pas parce que cette forme "
évoque " la tristesse, mais par incarnation de la prostration humaine.
____________
...SUITE ET FIN AU PROCHAIN SdT !...
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{FR, 29/02/2000}
PRÉSENTATION DE NUMERO SPÉCIAL DE LA REVUE SÉMIOTIQUES
David Piotrowski (INaLF - Institut National de la Langue Française),
responsable de la revue Sémiotiques, nous a chargés de la réalisation d'un
numéro consacré aux nouveaux phénomènes sémantiques saisis/révélés ou
produits par l'outil informatique. La nouveauté peut tenir à l'acuité
renouvelée de phénomènes déjà problématisés (comme celui de la stabilité
des catégorisations sémantiques) ou à la production effective de nouveaux
phénomènes (comme de nouvelles pratiques de lecture).
Ce numéro de la revue Sémiotiques paraîtra fin 2000.
L'accessibilité actuelle de données textuelles numérisées en grandes
quantités et d'outils de traitement à angle d'attaque varié (navigation
hypertextuelle, moteurs de recherche, segmentation thématique, analyse
robuste, etc.) ainsi que le croisement des médias dans l'hypermédia
renouvellent pour partie l'accès au sens :
- l'hypertextualité ainsi que les résultats de traitements automatiques
favorise de nouvelles pratiques de lecture et d'écriture, en somme de
nouvelles modalités de production du sens - et cela dans deux directions :
celle liée à la puissance de traitement et de communication des ordinateurs
(recherches multirequêtes, affichage par multifenêtrage, etc) et celle liée
aux formes descriptives utilisées pour l'informatisation des données de
langue, cf. infra ;
- l'hypermédia croise les médias entre eux et suscite une cohabitation
inédite ou oubliée (enluminures).
- des phénomènes langagiers deviennent perceptibles ou changent de nature :
l'examen des corrélations de traits linguistiques observéees dans des corpus
représentatifs, débouche sur de nouvelles typologies textuelles,
paramétrages du dire qui contraignent et constituent le dit.
Les distinctions de sens faites par les dictionnaires peuvent être mises à l'épreuve des données, voire amendées en fonction des préférences observées. La sémantique n'échappe plus alors à une perspective de quantification. La question de la généralité des représentations sémantiques proposées voit
également son acuité renouvelée : une description sémantique peut-elle
dépasser le localisme et valoir en langue, ou faut-il se satisfaire de
régulations régionales (propres à un domaine, à un genre) ?
La mise en forme calculatoire de la langue bouleverse donc ou reconfigure
certains de ses aspects. Il faudrait d'ailleurs s'interroger sur la
légitimité théorique de cette reconfiguration, sachant que la légitimité
pratique est un fait acquis. Par ailleurs, les nouvelles pratiques
introduites par l'informatisation sont déterminées en profondeur par les
formes opératoires actuelles des systèmes de traitement. Ces formes
opératoires procèdent de "choix" théoriques et descriptifs qui restent
implicites, qui sont liés à l'évolution des techniques et des paradigmes
calculatoires et qui partagent leurs faiblesses. Comment rendre compte de
la tension, pas toujours perçue, entre les nouvelles perspectives ouvertes
sur la langue et les limites des schémas descriptifs enmployés ?
Ce sont ces nouveaux observables et nouveaux regards qu'entend analyser
cette livraison de Sémiotiques. Il serait utile également de pointer le
vieux qui s'obstine sous le recours incantatoire aux nouveaux outils
informatiques. Par exemple, interroger le rapport sémantique conceptuelle/
sémantique linguistique dans la conception et l'utilisation de dictionnaires
sémantiques comme WordNet ou EuroWordNet.
Nous joignons en annexe un texte de David Piotrowski qui débroussaille
certaines des pistes évoquées supra.
Bruno Bachimont (INA - Direction de la Recherche)
bbachimont@ina.fr
Benoît Habert (UMR 8503 et ENS de Fontenay/Saint-Cloud)
habert@limsi.fr
_________________________
INTRODUCTION A LA PROBLÉMATIQUE
par David PIOTROWSKI
C'est par deux voies, distinctes mais étroitement entrecroisées, que la
réalité d'un traitement automatique des langues naturelles s'est
progressivement affirmée. Par la première voie, il s'est agi d'établir
sur des bases rationnelles l'idée, longtemps confinée au registre de la
fantasmagorie, d'un appareillage à même d'accomplir diverses activités qui
requièrent une compétence langagière, comme par exemple : répondre, résumer,
traduire... La seconde voie a suivi le cours des développements de la
technologie informatique, de ses applications au traitement de l'information
et de son inscription dans le tissu des activités socio-professionnelles et,
plus généralement, culturelles. On sait que la diffusion des dispositifs
informatiques et leur mise en réseau connaît aujourd'hui une croissance
spectaculaire et apparaît comme un des faits culturels majeurs de ces
dernières décennies. Pour de très larges catégories d'usagers et, de plus en
plus, pour le grand public, le dispositif informatique s'est banalisé iques et phraséologiques) d'une langue spécialisée (en termes de
domaines de connaissance et d'action à accomplir) peuvent efficacement être
traitées par le dispositif informatique. Cette contrainte imposée aux
utilisateurs serait rédhibitoire si le système s'adressait au grand public.
La familiarisation avec une langue "calibrée" suppose en effet une période
d'adaptation et des usages suffisamment fréquents pour maintenir la
mémorisation. Mais dans les milieux professionnels, ce "corset" linguistique
est relativement bien accepté - si tant est qu'il améliore réellement
l'efficacité du travail. Il en est de même pour les systèmes de traduction
automatique qui imposent aux utilisateurs des contraintes importantes sur
la composition des textes à traduire (mise en forme particulière, rédaction
ajustée, personnalisation des dictionnaires...). On notera d'ailleurs que la
tendance actuelle privilégie la réalisation d'outils interactifs d'aide à la
traduction (dictionnaires en ligne, mémoires de traduction, concordances
bilingues...).
Les objectifs premiers du traitement automatique des langues naturelles
(dorénavant TALN) (résumé et traduction automatique sur du texte tout
venant) conçus dans l'abstrait de la pensée théorique, et tels quels jamais
atteints, ont ainsi été revus à l'empan de la raison pratique. Les ambitions
grandiloquentes et universalistes ont maintenant cédé la place à des projets
d'application ciblés qui prennent en considération, avec réalisme, les
capacités des technologies disponibles et la nature des besoins réels qui,
dans ce contexte, prennent donc progressivement forme. C'est dans ce même
esprit que de nombreux programmes de recherche et de développement
concentrent leurs efforts sur l'amélioration et la généralisation des
techniques existantes et sur la production d'outils et de ressources
calibrées, en vue de répondre, donc, à des besoins maintenant mieux
circonscrits et en constante augmentation.
Le domaine du TALN apparaît donc aujourd'hui comme un mixte de ontenu
textuel. Corollairement, au plan des activités de production, comme les
textes se prêtent ainsi aisément à de nombreuses modifications, parfois
réalisées d'ailleurs par plusieurs auteurs, il a fallu poser le problème de
la gestion des différentes versions.
Dans le prolongement du traitement de texte, à savoir dans la perspective
d'appliquer aux données textuelles des procédures plus sophistiquées, et en
vue aussi d'un emploi optimal du potentiel des communications électroniques,
la définition de normes d'encodage des documents est devenue impérieuse.
Cette norme concerne tant les conventions typographiques (polices, casses,
mise en page, etc.) que les structures logiques des documents
(ordonnancement en titres, niveaux de paragraphes, renvois, etc.). On voit
donc ici, de nouveau, que les contraintes du traitement informatique ont
pour effet de calibrer les pratiques textuelles.
Le second exemple concerne le dialogue homme-machine. L'expérience montre
que les usagers adaptent leur mode d'expression lorsqu'ils pensent se
trouver en communication avec un système automatique. Ainsi, on observe que
"ils respectent mieux les contraintes syntaxiques (...), ils précisent mieux
les repérages temporels (...) ils vont dans le sens de la concision et
[évitent] les connecteurs dits pragmatiques". Dans un perspective similaire,
où les contraintes de l'outil informatique contribuent à reconfigurer
l'activité langagière, on pourra aussi mentionner la langue "télématique"
"(...) bien connue des adeptes du Minitel et du courrier électronique, qui
présente simultanément les deux caractères de "codage acceptable par la
machine" et de spontanéité".
Ces deux exemples laissent entrevoir la nature propre - et apparemment
pressentie par les usagers du grand public, puisque, dans un exemple
précédent, ils semblent s'y adapter - des régimes de traitement des
grandeurs langagières mis en oeuvre dans le cadre des systèmes automatisés -
à savoir des régimes fondés sur des structures articulant des urs se mêlent et se motivent mutuellement : les textes originaux
permettent de susciter de nouvelles interprétations de cette "pensée de
Saussure" qu'on a chacun dans notre tête,... et nos interprétations de cette
"pensée de Saussure", le plus souvent largement fondées sur le Cours,
peuvent nous mener à la quête de confirmations dans les textes originaux.
En bref, le "retour à Saussure", s'il en est - mais, au fond, il est évident
qu'il en est, puisqu'il suffit que des linguistes repensent à Saussure pour
que retour il y ait - eh bien ce retour à Saussure est confronté, au
minimum, à une situation philologique particulièrement compliquée.
C'est pourquoi je voudrais contribuer à éclairer cette question du "retour à
Saussure" en revenant sur l'histoire éditoriale singulière des textes
saussuriens de linguistique générale.
1. Les textes saussuriens de linguistique générale : une histoire éditoriale
singulière
1.1. Définition de l'expression textes de linguistique générale
Tout d'abord "textes saussuriens de linguistique générale", qu'est-ce que ça
veut dire ?
Saussure ne s'est jamais préoccupé, ni lors de ses cours, ni dans aucun
écrit connu, de définir de manière explicite cette expression. On sait
qu'elle recouvre à son époque un ensemble assez hétéroclite de
problématiques (je renvoie aux travaux de S. Auroux (2)). - Finalement, sans
perdre l'arrière-plan historique, on peut préciser le sens qu'elle prend
de facto dans le domaine spécifique de la production intellectuelle de
Saussure.
J'ai proposé, dans mon Introduction à la lecture de Saussure (3),
d'envisager cette "linguistique générale" saussurienne comme relevant de
trois approches distinctes : 1° une réflexion sur les principes d'une
science existante, dont le linguiste genevois était un expert : la grammaire
comparée (autrement dit une épistémologie de la grammaire comparée) ; 2° une
réflexion sur une discipline à venir, conçue comme susceptible de devenir
aussi scientifique que la grammaire comparée (en d'autres termes un pari
épistémologique ou encore une épistémologie programmatique) ; 3° une
réflexion sur le fait de la signification linguistique, qu'on peut appeler
philosophie du langage, et que je préfère appeler, dans un sens technique,
métaphysique.
C'est donc à l'ensemble de ces domaines que j'attacherai l'étiquette de
linguistique générale concernant Saussure - et qu'a été couramment attachée,
de fait, cette étiquette, quand bien même la partition de ces domaines
n'était-elle pas nécessairement évoquée dans les termes que je propose. Il
est clair, par ailleurs, que si ces trois domaines de réflexion de la pensée
saussurienne, pris proposition par proposition, obéissent à une logique qui
permet de les distinguer, il arrive bien souvent que leurs propositions
s'entrecroisent au sein des mêmes textes.
1.2. Le corpus disponible
Avant d'aborder l'histoire proprement dite des éditions des textes
saussuriens de linguistique générale, un bref rappel de l'état des textes
existants. On peut répartir ces textes en trois catégories.
1° catégorie : les textes autographes de Saussure. Parmi ces textes, très
peu de textes achevés : il y a le manuscrit des trois leçons inaugurales de
la chaire de grammaire comparée, (novembre 1891), et des cahiers
d'aphorismes qui peuvent être considérés comme des textes achevés ; à côté
de cela, on trouve un très grand nombre de brouillons, d'ébauches de
chapitres, de notes éparses en vue d'un livre à venir, de notes prises pour
les cours genevois de linguistique générale. La plupart de ces textes ne
peuvent pas être datés avec précision (il s'échelonnent entre 1891 et 1912).
Leur très grande majorité est conservée en grande majorité à la
Bibliothèque publique et universitaire de Genève (comprenant une importante
donation récente en cours de classement, sur laquelle je reviendrai). Et un
petit nombre de textes ont été vendus par la famille Saussure à la Houghton
Library de l'université d'Harvard (4).
2° catégorie de textes : les notes d'étudiants des trois cours genevois de
linguistique générale. Il en existe aujourd'hui : 2 versions pour le cours
de 1907 ; 3 versions pour le cours de 1908-1909 ; 5 versions pour le cours
de 1910-11 (toutes conservées à la Bibliothèque publique et universitaire
de Genève) (5).
3° catégorie de textes : le texte rédigé par Bally et Sechehaye intitulé
Cours de linguistique générale.
1.3. Les deux paradigmes éditoriaux
J'en viens maintenant aux éditions de ces textes. Mon intention ici n'est
pas de prendre en compte toutes les parutions des textes saussuriens de
linguistique générale, mais de relever les événements éditoriaux qui, en
langue française et sous la forme achevée d'un livre, auront balisé la
diffusion de la pensée saussurienne et auront servi de référence à la
critique (ou devraient se montrer propre à lui servir de référence, si l'on
considère les futures éditions). De fait, ces événements éditoriaux auront
concouru à créer deux objets distincts - correspondant à ce que j'appellerai
deux paradigmes éditoriaux (6).
Le premier paradigme éditorial peut être nommé paradigme du Cours de
linguistique générale comme oeuvre. Au plan du contenu, le caractère
remarquable de ce paradigme est qu'il revient, fondamentalement, à
construire et à légitimer la pensée de Saussure dans sa dimension d'une
épistémologie programmatique de la linguistique.
Le second paradigme peut être nommé paradigme des leçons orales et des
autographes de Saussure comme oeuvre. Ce second paradigme éditorial a pour
caractère spécifique de refléter, sans opérer de tri, une pensée beaucoup
plus multiforme : à savoir, selon mon analyse, celle qui envisage à la fois
une épistémologie programmatique de la linguistique, mais aussi une
philosophie des sciences (en l'occurrence d'une épistémologie de la
grammaire comparée) et une philosophie du langage (ou, pour utiliser ma
terminologie, d'une métaphysique).
Examinons maintenant l'histoire des éditions qui constituent ces paradigmes.
A. Le paradigme du Cours comme oeuvre
a. Le Cours de 1916 (7)
Si le Cours peut être considéré comme l'oeuvre de Ferdinand de Saussure,
c'est en tout cas comme une oeuvre bien particulière. Cette particularité
s'enracine dans la vision et dans la volonté de Bally et Sechehaye. Ceux-ci,
quelques semaines après la mort de Saussure, après avoir consulté des notes
d'étudiants et quelques autographes du linguiste disparu, vont, d'une part,
imaginer un livre et, d'autre part, infléchir le contenu de ce livre vers
une pure épistémologie programmatique de la linguistique, en élaguant
quelque peu ce qui dans les textes originaux (notes d'étudiants et
autographes de Saussure) ressortissait à une réflexion épistémologique au
sens strict (autrement dit à une épistémologie de la grammaire comparée) et,
bien plus systématiquement encore, ce qui ressortissait à une métaphysique
(la conséquence en sera une réduction, dans le Cours, de la place tenue par
la sémiologie dans les leçons orales et dans les autographes). Si la
rédaction du Cours aura été une oeuvre menée conjointement par les deux
collègues, Bally semble avoir joué un rôle crucial dans le projet initial -
dans la conception de l'oeuvre à créer. Deux témoignages récemment retrouvés
en attestent. Ils datent tous deux de 1913 (Saussure étant mort le 22
février 1913). Un premier témoignage remonte au mois de mai. C'est une
lettre de Bally à Meillet (que j'ai découverte dans les papiers de ce
dernier au Collège de France il y a quelques années). Bally y prend
vigoureusement parti contre un projet d'édition des leçons de Saussure
d'après les cahiers d'étudiants - projet conçu avec l'appui de Meillet par
un auditeur des cours de linguistique générale, Paul Regard (8). Ce projet
consistait en une publication, partielle, des notes de Regard. Si, par
retour de courrier, Meillet répond à Bally :
(...) le projet que j'avais esquissé avec le jeune Regard est abandonné ;
ce projet a toujours été subordonné à votre agrément, et, dès l'instant que
vous avez d'autres vues, il ne doit pas en être question. (9)
l'examen de la correspondance entre Bally et Meillet, tout au long des
années suivantes, n'en montre pas moins que le savant parisien aurait, sans
aucun doute, préféré une édition philologiquement fidèle aux leçons. Bally,
lui, ne voit pas les choses ainsi et, lorsqu'il critique le projet de Regard
en mai 1913, c'est déjà sa vision qu'il défend : un livre reconstruit, et
non la publication des notes d'étudiants. Un second témoignage, issu lui
aussi des archives Meillet, corrobore le premier. C'est une lettre de Marie
de Saussure, la veuve de Ferdinand, remerciant Meillet pour sa notice
nécrologique. La lettre, datée du 30 novembre 1913, se termine ainsi :
Quant au Cours de linguistique générale, je crois que Monsieur Bally fera
pour le mieux et qu'en tout cas il vous soumettra son projet. (10)
Ainsi, en novembre 1913, le titre du livre, qui reflète sa conception,
existe déjà : c'est "le Cours de linguistique générale" ; et Bally en est le
maître d'oeuvre incontesté.
La vision de Bally, relayée par Sechehaye, a été claire et ferme : là où le
maître, dans ses écrits et dans ses cours, élaborait une méditation de
philosophie des sciences à propos de la grammaire comparée, ou se livrait à
une réflexion métaphysique parfois effilée et hésitante, les élèves se
devaient de réduire la pensée saussurienne au pur programme d'une
linguistique future. C'est à ce prix que la "recréation" du Cours pouvait
avoir lieu. Aussi le Cours ne pouvait-il naître qu'en tronquant de son
caractère multiforme et foisonnant, lié à son esprit exploratoire, la parole
qui avait tenu ses auditeurs sous son charme. On comprend que Regard ait pu
dire après la parution du Cours :
Un élève qui a entendu lui-même une part importante des leçons de Ferdinand
de Saussure sur la linguistique générale, et connu plusieurs des documents
sur lesquels repose la publication, éprouve nécessairement une désillusion à
ne plus retrouver le charme exquis et prenant des leçons du maître. Au prix
de quelques redites, la publication des notes de cours n'aurait-elle pas
conservé plus fidèlement la pensée de Ferdinand de Saussure, avec sa
puissance, avec son originalité ? Et les variations elles-mêmes que les
éditeurs paraissent avoir craint de mettre au jour n'auraient-elles pas
offert un intérêt singulier ? (11)
Si Regard est déçu par le Cours, il en va de même de Riedlinger, quand bien
même ce dernier, contrairement à Regard, n'a jamais fait ouvertement part
de sa déception ; une lettre (inédite à ma connaissance) écrite en 1957,
soixante ans après qu'il a entendu les cours de linguistique générale, en
conserve cependant la trace. C'est une réponse à son ancien condisciple
Gautier qui l'a prié d'écrire un article sur Saussure pour la Tribune de
Genève. Riedlinger décline l'invitation en ces termes, bien durs à l'égard
de Bally :
Il me serait impossible de donner une idée de la vraie grandeur de F. de S.
sans le comparer à Bally et, par conséquent, rabaisser ce dernier. Je
m'explique : Bally a sabré la linguistique générale, ce que le travail en
cours de Godel démontrera sans discussion possible. (...) Plus grave encore
est la suppression complète de la magnifique introduction de 100 pages du
deuxième cours, que Godel m'a demandé par lettre l'autorisation de publier
in extenso d'après mes notes. Vous vous rappelez sans doute que Bally avait
décrété que le chapitre sur 'unités et identités' n'était pas clair, et vous
l'aviez soutenu. Godel, lui, voit dans cette introduction la quintessence de
la pensée saussurienne. Mais Bally, très doué par ailleurs pour
l'observation des faits linguistiques, n'avait pas le sens philosophique de
son maître. (12)
Si la nostalgie des étudiants s'explique, leur critique du texte de 1916
porte néanmoins partiellement à faux. Car il était probablement nécessaire
de n'être pas fidèle à la lettre des leçons et des écrits, de n'être pas
fidèle, même, à la complexité de la pensée saussurienne, pour être fidèle à
Saussure d'une autre manière. En simplifiant son discours et en l'unifiant,
dans l'énonciation d'une épistémologie programmatique de la linguistique, la
mise en forme de Bally et Sechehaye aura permis une réception des idées du
linguiste genevois qui justifiera leur parti-pris. En d'autres termes, ils
auront bien contribué à réaliser une oeuvre - quand bien même on saurait
dire que Saussure en est l'auteur, ou qu'ils en sont, eux, les auteurs.
b. L'édition critique de R. Engler, titrée Cours de linguistique générale,
Tome 1 (1968) (13)
Si l'ouvrage publié en 1957 par R. Godel sous le titre Les sources
manuscrites du Cours de linguistique générale est un événement capital pour
l'histoire des textes saussuriens, ce n'est pas à proprement parler une
édition de textes, mais (entre autres objectifs) un travail préparatoire
pour une édition des textes. (Je ne parle donc pas de ce livre, sauf pour
mentionner que son point de vue - et, plus particulièrement, celui de
l'édition qu'il projette - est, de fait, le point de vue de l'autre
paradigme éditorial, le paradigme que j'ai baptisé des leçons orales et des
autographes de Saussure comme oeuvre, paradigme que soutenaient Regard et
Meillet dès le printemps 1913.)
Or, retour des choses, l'édition de texte qui s'appuiera sur le travail de
Godel, celle de R. Engler, va adopter très nettement le point de vue opposé,
à savoir celui du Cours comme oeuvre.
L'ouvrage monumental qui paraît en 1968 sous le titre de Cours de
linguistique générale, Tome 1 est en effet explicitement l'édition critique
du texte de 1916. Celui-ci est donné dans sa continuité en première colonne,
fragmenté en 3281 segments, en regard desquels figurent (aux colonnes 2, 3
et 4) des passages des cahiers d'étudiants (parmi lesquels des cahiers
inconnus de Bally et Sechehaye) rapprochés, sur la base de l'analyse de
Godel, du texte de Bally et Sechehaye et (en colonne 6) des brouillons de
cours de la main de Saussure ainsi que quelques rares autres fragments de
textes autographes. Il est, de fait, bien difficile de lire, dans cette
édition, les minutes des leçons orales dans leur continuité. Il en va de
même des textes autographes. Le but de l'ouvrage est de permettre, partant
du texte du Cours de linguistique générale, et considérant des segmentations
très courtes de celui-ci, d'avoir accès aux textes originaux qui, selon
Godel, lui correspondent. Autrement dit : permettre d' "interpréter" des
passages problématiques du Cours de linguistique générale.
En bref, ce qui est d'une certaine façon barré par cette édition - alors
même qu'elle fournit les textes de tous les cahiers d'étudiants (14) et de
la quasi-totalité des trois cours (15) -, c'est l'accès aux leçons orales
considérées en elles-mêmes (c'est-à-dire l'accès au développement de
l'argumentation sur une leçon entière, sur un cours entier, voire sur les
trois cours).
B. Le paradigme des leçons orales et des autographes de Saussure comme
oeuvre
J'en viens au second paradigme, celui des leçons orales et des autographes
de Saussure comme oeuvre.
a. Les leçons orales (autrement dit les trois cours genevois de linguistique
générale)
Je laisse de côté des publications d'extraits, données principalement dans
les Cahiers Ferdinand de Saussure, et antérieures à 1968.
Au titre de ce paradigme, on peut mentionner, bien sûr, le Tome 1 de
l'édition Engler, - mais comme on l'a vu, bien que les textes y soient
présents, ils sont pratiquement illisibles, du point de vue de la logique
de leur continuité.
De fait, ce paradigme, appelé de leurs voeux par Meillet et par Godel, est
resté largement virtuel au cours du siècle : il aura fallu attendre 1993
pour que paraisse, sous forme de livre, la première édition (partielle) des
leçons genevoises dans leur continuité. Elle a été établie par E. Komatsu,
et concerne une partie du premier cours et le troisième cours. Outre
certains problèmes philologiques, cette édition se limite à un seul cahier
d'étudiant et ne comporte ni variantes, ni réel apparat critique, ni - ce
qui est plus handicapant - aucun système de correspondance permettant de la
rapprocher du texte de l'édition de 1968. Une édition partielle du deuxième
cours est parue - même éditeur (Komatsu) et même principe - en 1997.
Cette situation éditoriale nous a conduit à mettre en chantier ces dernières
années une édition critique qui procurera les trois sessions intégrales des
leçons genevoises de linguistique générale, dans leur continuité naturelle.
Un seul cahier d'étudiant - Riedlinger pour le premier cours, Constantin
pour le deuxième et le troisième cours - constituera à chaque fois le texte
de base, complété en notes de bas de page par des variantes significatives
issues des autres cahiers. Et, surtout, il y aura un appareil de
correspondance permettant d'utiliser, en complément de cette édition,
l'édition synoptique de 1968, pour avoir ainsi accès aux variantes de tous
les cahiers d'étudiants - et, du même coup, au Cours de linguistique
générale, si l'on veut s'y référer.
Les volumes de cette édition devraient paraître à la fin de l'année
prochaine. Ils figureront dans la Bibliothèque de Philosophie de Gallimard,
c'est-à-dire seront accessibles à un prix raisonnable.
b. Les écrits
Il y a d'abord des éditions fragmentaires d'écrits genevois, dans les
Cahiers Ferdinand de Saussure.
Il y a ensuite les fragments qui se trouvent en colonne 6 de l'édition
Engler de 1968.
Il y a surtout le second tome de cette édition, paru en 1974, consacré
exclusivement aux écrits de linguistique générale, qui reprend tous les
textes genevois disponibles à l'époque (16). Mais ce volume est conçu comme
une annexe au tome 1, et certains de ces écrits se trouvent de nouveau
fragmentés, avec renvoi à la colonne 6 du tome 1 pour les morceaux
manquants. Les écrits ne sont donc pas totalement lisibles dans leur
continuité.
Mentionnons encore de très rares écrits retrouvés à Genève dans les années
70 et 80, comme la "note sur le discours", publiés dans les Cahiers
Ferdinand de Saussure ; ainsi qu'une édition partielle par H. Parret,
toujours dans les Cahiers Ferdinand de Saussure des manuscrits de Harvard.
Et puis il y a eu la donation récente à la Bibliothèque publique et
universitaire d'un gros corpus d'écrits de linguistique générale retrouvés
récemment dans l'orangerie de l'Hotel de Saussure à Genève, dont un extrait
vient de paraître dans les Cahiers Ferdinand de Saussure.
Cette situation éditoriale et cette donation nous ont amenés, R. Engler et
moi, à préparer un volume procurant tous les écrits déjà publiés dans les
tomes 1 et 2 de l'édition critique de 1968-1974 (défragmentés cette fois),
les quelques écrits genevois publiés depuis, et surtout l'intégralité des
textes nouvellement découverts. Ce volume devrait paraître avant la fin de
cette année, ou début 2000.
Ainsi, si le développement du paradigme des leçons orales et des autographes
a été quelque peu chaotique au cours du siècle, on peut espérer qu'au XXI°
siècle ce paradigme accède à une meilleure reconnaissance. C'est l'un des
objectifs que s'est fixés l'Institut Ferdinand de Saussure, récemment créé,
qui entend soutenir également des travaux philologiques concernant les
autres aspects de l'oeuvre écrite du linguiste.
2. Pour illustrer le " retour à Saussure "
Pour terminer, quittant la pure philologie, je voudrais illustrer -
illustrer seulement, et très brièvement - ce que pourrait être un "retour à
Saussure" en terme de contenus.
Nous vivons probablement actuellement un tournant dans les sciences du
langage. Le XX° siècle a été celui de théories linguistiques fondées sur des
présupposés épistémologiques fortement liés au positivisme logique - ou
disons, moins restrictivement, à une approche logico-grammaticale du langage
(je reprends ici termes et contenus de la réflexion épistémologique que mène
depuis plusieurs années François Rastier, à laquelle je souscris largement).
On en arrive, lentement, aujourd'hui à réarticuler l'approche logico-
grammaticale à l'autre tradition des sciences du langage, qui depuis plus de
2000 ans considère le sens par l'autre bout de la lorgnette, si j'ose dire,
à savoir la tradition rhétorico-herméneutique.
Du côté logico-grammmatical, on est frégéen (on analyse la compositionalité
atomique du sens). Du côté rhétorico-herméneutique, on prend en compte une
approche non-frégéenne (on interprète l'agencement des atomes de sens sur
d'autres bases que leur compositionalité).
La pensée de Saussure a beaucoup servi à accréditer le paradigme logico-
grammmatical de ce siècle. Ce phénomène a été favorisé par le fait que les
éditeurs du Cours ont renchéri sur le caractère logico-grammatical de la
pensée saussurienne, pour lui conférer son statut unifié de programme
épistémologique. Le geste, ici, est lourd de conséquences ; et il est signé
par la dernière phrase du texte de 1916 - posant que la linguistique sera la
science de la langue et reléguant aux oubliettes l'importance qu'accordait
Saussure à ce qu'il appelait "linguistique de la parole".
Or, une réflexion sur la linguistique de la parole, c'était bien le projet
de Saussure pour la dernière partie de son ultime cours de linguistique
générale, une partie dont il avait annoncé le titre au début de l'année :
"la faculté et l'exercice du langage chez les individus" (17). C'était aussi
son projet pour le quatrième cours de linguistique générale. L'importance de
la linguistique de la parole apparaît encore dans la remise en question,
faite dans le troisième cours, de la distinction langue/parole sur le
chapitre de la syntaxe. Et elle apparaît encore dans la réaffirmation de la
dualité de la linguistique - dans le dernier texte autographe connu traitant
de linguistique générale, écrit en 1912 à l'occasion de la création de la
chaire de stylistique de Bally (18). Ainsi, s'appuyer sur la dernière
phrase, parfaitement apocryphe, du Cours - présentant la linguistique comme
science de "la langue en elle-même et pour elle-même" - revient à faire de
Saussure le héraut d'une conception des sciences du langage qui n'a jamais
été la sienne.
En effet, si la théorie saussurienne du signe traite bien d'un signe
compositionnel, finalement Saussure thématise la valeur linguistique de
telle sorte qu'il laisse largement ouverte la question du sens (ou de la
signification, ou de la référence des énoncés) : de sorte qu'à cette
ouverture, puisse correspondre le domaine de la linguistique de la parole,
qu'il concevait, contrairement à ce que laisse entendre la dernière phrase
du Cours, comme formant un tout avec la linguistique de la langue.
Aussi Saussure peut apparaître aujourd'hui comme le théoricien, non
seulement de la seule dimension logico-grammaticale du langage, mais encore
de sa dimension rhétorico-herméneutique. (Si l'on peut parler
d'herméneutique, regardant Saussure et regardant une science du langage
aujourd'hui, il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'une herméneutique
métaphysique à la Heidegger, mais d'une herméneutique matérielle - fondée
sur une épistémologie des sciences du langage -, au sens que cette
expression de Schleiermacher a pu prendre dans des réflexions contemporaines
comme celle de P. Szondi ou de F. Rastier.)
De ce Saussure-là témoigne dans le corpus de textes inédits, une formulation
étonnante. Il s'agit d'un fragment qui peut être considéré comme une théorie
non plus du "signe de langue", mais du "signe de parole" - autrement dit,
une représentation du biface composé par un constituant phonologique (propre
à être conçu tout autant comme segmental que comme supra-segmental) et par
un "sens" qu'on peut dire "textuel", dans l'acception que Hjelmslev donnait
à ce terme, un sens ressortissant à une approche rhétorico-herméneutique de
nature à instancier les traits logico-gramaticaux qui le constituent :
(Sémiologie =
morphologie, grammaire, syntaxe,
synonymie, rhétorique, stylistique,
lexicologie, etc.
.. le tout étant inséparable)
______________________________
(phonétique)
Quelle que soit la date de rédaction de ce texte, on peut y voir l'esquisse
d'une conception de ce qu'en 1911 le professeur genevois proposera de nommer
signifiant et signifié, - mais ici la bifacialité du langage serait
envisagée non plus dans la tradition logico-grammaticale d'un théorie du
signe ; elle le serait au contraire dans la perspective
rhétorico-herméneutique d'une théorie du texte (19).
Je n'en dirai pas plus sur ce point, je voulais juste comme je l'ai dit,
illustrer brièvement l'intérêt de relectures de Saussure. Une relecture a
pu faire apparaître par exemple que la pensée saussurienne n'a pas seulement
présidé à la fondation du structuralisme, mais tout autant à celle de la
grammaire générative (20). D'autres relectures permettront peut-être, au
XXI° siècle, de découvrir dans les écrits et les leçons du professeur
genevois une inspiration pour une linguistique rhétorico-herméneutique -,
donnant raison à Rudolf Engler, sur une phrase duquel je terminerai mon
exposé : il parlait en effet, en juin dernier lors de l'inauguration de
l'Institut Ferdinand de Saussure, de "la vigueur d'une pensée qui, à l'image
du phénix, ne s éclipse que pour resurgir de plus belle".
Notes :
1. "A certains égards, écrit Milner, on peut affirmer que la linguistique
aujourd'hui n'est plus du tout saussurienne. Pour autant la tentative de
Saussure (...) oblige les linguistes à ne rien tenir pour évident ; ceux-là
mêmes qui s'en sont écartés devraient reprendre étape par étape l'itinéraire
théorique du Cours et affronter les objection, explicites ou implicites, qui
s'en déduisent." (" Retour à Saussure ", Lettres sur tous les sujets, Le
perroquet, p. 17)
2. Notamment : S. Auroux, "La notion de linguistique générale", Histoire
Epistémologie Langage, tome 10, fasc. II, 1988
3. S. Bouquet, Introduction à la lecture de Saussure, Payot, Paris, 1997
4. Il faudrait mentionner aussi de rares passages de travaux édités de
linguistique historique mentionnant des questions de linguistique générale.
5. Il faudrait ajouter ici les notes d'étudiants de quelques autres cours
genevois, pour quelques rares remarques de linguistique générale.
6. On trouvera la recension des textes saussuriens publiés dans les
Bibliographies saussuriennes de R. Engler, in : Cahiers Ferdinand de
Saussure n° 30 (1976), n° 31 (1977), n° 33 (1979), n° 40 (1986), n° 43
(1989), N° 50 (1997). - Cf. aussi mon article intitulé "Les deux paradigmes
éditoriaux de la linguistique générale de Ferdinand de Saussure", Cahiers
Ferdinand de Saussure n° 51, 1999, dont le présent article reprend une
partie du contenu.
7. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, publié par C. Bally et
A. Sechehaye avec la collaboration de A. Riedlinger, Lausanne-Paris, Payot,
1916 [Payot, Paris, 1995]
8. "Correspondance Bally-Meillet (1906-1932)" (R. Amacker et S. Bouquet,
éds.), Cahiers Ferdinand de Saussure, n° 43, 1989, p. 102-103
9. Ibid., p. 103-104.
10. In S. Bouquet, Documents retrouvés dans les archives d'Antoine Meillet
au Collège de France", C.F.S. N° 40, 1986, p. 9.
11. P.-F. Regard, préface à Contribution à l'étude des prépositions dans la
langue du Nouveau Testament, E. Leroux, Paris, 1919, p. 6
12. Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Papiers L. Gautier.
13. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par R.
Engler, tome 1, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1968 [Reproduction de
l'édition originale, 1989]
14. R. Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale de
Ferdinand de Saussure, Droz, Genève, 1957
15. Sauf le cahier Patois, non découvert à l'époque
16. A l'exception des parties indo-européennes de deux de ces cours
17. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par R.
Engler, tome 2 : Appendice, Notes de F. de Saussure sur la linguistique
générale, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1974 [Reproduction de l'édition
originale, 1990]
18. Cours de linguistique générale/Edition Engler : 1.24.122
19. Cf. mon Introduction à la lecture de Saussure, notamment pp. 264-269 et
334-345.
20. Il n'est pas certainement inintéressant de trouver dans les noms qu'on a
cités pour commencer pour illustrer cette mouvance d'un "retour à Saussure"
des épistémologues de la grammaire générative, fer de lance de la
linguistique logico-grammaticale.
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