2000_03_18

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SdT volume 6, numero 1.

 

 

                                                                                             LA CITATION DU MOIS

                                        ____________________________________________________

 

                                        " Augmentons le dépôt de ces hautes connaissances,

                                          délices des êtres pensants "

                                                                                             Laplace

                                        ____________________________________________________

 

                          

 

                                                     SOMMAIRE

 

   Editorial

 

1- Coordonnees

             - Bienvenue a Jean-Pierre Lepri, Stephane Massa, Boyan Mantchev,

               et Moche Tabachnik.

             - Renato Prada et Franson Manjali changent d'adresse.

 

2- Textes electroniques

             - Textes intégraux de litterature francaise : principaux sites Web.

             - Guide to digital resources for the humanities : 360 adresses.

 

3- Publications

             - These de Valerie Beaudouin :

                           "Rythme et rime de l'alexandrin classique.

             Etude empirique des 80 000 vers du théâtre de Corneille et Racine"

             - Les theses de Ludovic Tanguy et de Thierry Mezaille disponibles

               sur la toile.

             - Livres qui viennent de paraitre :

               Renato Prada Oropeza

                           "Publiqué en el Fondo de Cultura Económica el libro

                             Literatura y realidad"

               Pascal Vaillant

                           "Semiotique des langages d'icones"

             - H-G Ruprecht fait part de deux de ses publications recentes :

                           "Intertextual Grounds for Construction and Deconstruction :

                             Joyce's 'Cabman's Shelter' Revisited"

                           "Lecture, traduction et conscience :

                             Brecht lecteur de Benjamin"

             - Troisieme partie des notes de Mathieu Brugidou sur le colloque

             "Semiotique des cultures et sciences cognitives" (Geneve-Archamps,

             20-23 juin 1999).

 

4- Textes

             - Nouveaux phenomenes semantiques saisis, reveles ou produits par

               l'outil informatique : numero de Semiotiques, en preparation.

             - Simon Bouquet (communication inedite a ICHOLS, 1999) :

                           "La linguistique generale de Ferdinand de Saussure :

                             textes et retour aux textes"

                                        ___________________________

 

{FR, 29/02/2000}

 

EDITORIAL

 

La liste SdT entre dans sa sixième année : elle a pris son temps, et refuse

de vivre dans le "temps réel" du "passage à l'acte".

 

Le bogue, qui a coûté 600 milliards de dollars (estimation du Monde), est

déjà oublié. Mais quelle était sa cause ? Ouvrez les actes d'un congrès

d'Intelligence artificielle, vous n'y verrez que des bibliographies à deux

chiffres, tant il semblait impensable de mentionner un auteur d'un autre

siècle. L'oubli du passé a coûté très cher.

 

Bref, comme nous n'oublions pas le passé proche, nous vous souhaitons une :

 

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Quelques cartes de nos lecteurs :

 

De José María Nadal :

¡Feliz Navidad y próspero año nuevo!

 

De Franck Neveu :

Tante belle cose a lei per l'anno nuovo, e coraggio per il passaggio al

terzo millennio ! A proposito del nuovo mondo, qualche linee del Calvino

(Collezione di sabbia) : "Scoprire il Nuovo Mondo era un'impresa ben

difficile, come tutti abbiamo imparato. Ma ancora più difficile, une volta

scoperto il Nuovo Mondo, era vederlo, capire che era nuovo, tutto nuovo,

diverso da tutto cio che ci s'era sempre aspettati di trovare come nuovo. E

la domanda che viene naturale di farsi è : se un nuovo Nuovo Mondo venisse

scoperto ora, lo sapremmo vedere ?"

 

De Renato Prada Oropeza :

Queridos amigos,

con toda la fe fraternal, a pesar del dominio del poder económico político

que nos aplasta, les manifiesto mis mejores votos por el 2000.

                          

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Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees

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BIENVENUE AUX NOUVEAUX ABONNÉS

[information réservée aux abonnés]

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Textes electroniques Textes electroniques Textes electroniques Textes

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{FR, 29/02/2000}

 

BEAUX SITES

 

             Textes intégraux de littérature française sur le Web

 

1. Les grands sites de référence

 

* Association des Bibliophiles Universels (ABU)

             http://cedric.cnam.fr/ABU/

Regroupe des textes saisis (ou scannés) par un grand nombre de personnes.

C'est un peu le centre fédérateur qui met à disposition de tous les

contributions individuelles à la numérisation de textes. Par construction,

c'est donc un site riche mais hétérogène (qualité de l'édition, origine du

texte papier,...).

 

* Gallica

             http://gallica.bnf.fr/

"Bibliothèque numérique" de la Bibliothèque Nationale de France. Les

documents textuels (il y a aussi des collections d'images et de rares

archives sonores) sont sous forme image (page scannée) ou / et en texte

intégral. Il semble cependant que l'essentiel des textes intégraux

proviennent de trois sources externes : la base Frantext de l'InaLF, la

société Bibliopolis (qui a maintenant ouvert son propre site avec les

textes en ligne), et les éditions Acamédia (qui ont donné une partie des

textes qu'elles distribuent par ailleurs, commercialement, sous forme de

CD-ROM). Il s'agit d'un fonds général, avec la présence non seulement

d'oeuvres dela littérature française, mais aussi d'ouvrages et de

périodiques d'autres secteurs (art, histoire, religion, sciences, etc.)

 

* Une petite bibliothèque portative

             http://www.diplomatie.gouv.fr/culture/france/

Anthologie présentée par le Ministère des Affaires Etrangères. Oeuvres

célèbres de la littérature française, sans restriction sur les genres

(romans, théâtre, poésie, nouvelles).

 

* Anthologie Hypertextuelle de la Poésie Française

             http://www.ambafrance.org/FLORILEGE/

Emane de l'ambassade de France au Canada. Appelée également "Florilège",

cette anthologie rassemble par ailleurs 365 poèmes d'une centaine d'auteurs.

 

2. Sites classiques et connus

 

* ClicNet

             http://www.swarthmore.edu/Humanities/clicnet/

Tenu à jour par Carole Netter. Concerne plus largement des textes d'auteurs

contemporains, et se place dans la perspective de l'enseignement du

français langue étrangère.

 

* American Research on the Treasury of the French Language

             http://humanities.uchicago.edu/ARTFL/ARTFL.html

La base Frantext de l'INaLF, corrigée d'une partie de ses coquilles et

consultable via une interface d'interrogation. N'est pas en accès libre :

suppose de s'inscrire.

 

* Athéna

             http://un2sg4.unige.ch/athena/html/francaut.html

Grand inventaire d'oeuvres francophones, avec pour la très grande majorité

un pointeur qui renvoie à l'un des grands sites de référence.

 

* Bibliothèque Municipale de Lisieux

             http://www.bmlisieux.com/

Textes courts, plus ou moins connus, d'auteurs plus ou moins connus.

 

3. Sites nouveaux et prometteurs

 

* Biblionet

             http://minotaure.bibliopolis.fr:7999/HTML/

Textes intégraux de 101 "Classiques Garnier", par les éditions Bibliopolis

et avec le soutien de Radio France. Un moteur de recherche (TREVI) permet

de visualiser les occurrences de mots avec des opérateurs (ET, OU, SAUF).

 

* Catalogue critique des ressources textuelles sur internet (CCRTI)

             http://inalf.ivry.cnrs.fr/ccrti/index.htm

Ouvert par une équipe de l'Institut National de la Langue Française (INaLF)

à l'automne 1999. L'objectif est de recenser les bases de textes

littéraires, avec une caractérisation très précise de chacune (choix des

éditions, présence de traductions, etc.) : un formulaire descriptif est

associé à chaque base.

 

4. Sites particuliers à remarquer

 

Mention importante : Il existe un grand nombre de sites consacrés à un

auteur, émanant quelquefois d'associations, ainsi que des sites qui mettent

à disposition de petites bases de textes constituées par des amateurs, sur

des initiatives individuelles. Ils ne sont pas mentionnés ici vu leur

nombre et la spécificité de chacun, mais restent des ressources

complémentaires importantes.

 

* Biblio.tic

             http://www.amiens.iufm.fr/mail_art/textes/cadres.htm

Initiative dans le domaine de l'enseignement. Télédéchargement de fichiers

permettant de récupérer le texte intégral d'une oeuvre sur disquettes.

 

* Lili, Littérature en Ligne

             http://lili.bibliopolis.fr/

Site émanant de la société Bibliopolis, à l'intention des professeurs de

Lettres. Se présente comme un centre de ressources de tous ordres (textes

mais aussi documents pédagogiques, cours, etc.) et d'échanges.

 

* Webnet / Poésie française

             http://poesie.webnet.fr/

Initiative de type mécénat, sur le site d'une entreprise. Plus de deux

mille poèmes français, de La Renaissance au début du XXème siècle.

 

* [Lettres.Net]

             http://www.lettres.net/

Site très vivant, de la communauté des enseignants du Français s'intéressant

aux nouvelles technologies.

 

* Site du Ministère de l'Education Nationale, pour l'Enseignement des

Lettres

             http://www.educnet.education.fr/lettres/default.htm

Riche et tenu à jour, pour tout ce qui concerne l'application des

technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement

des Lettres.

 

(Notes de Bénédicte Pincemin, décembre 1999).

 

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{FR, 29/02/2000}

 

TEXTUAL STUDIES

 

             Guide to digital resources for the humanities

 

Un volume sous ce titre vient d'être publié par le "CTI Centre for textual

studies" à Oxford. Il recense 360 ressources, accompagnées par des articles

sur les différents domaines traités, dont, par exemple, les lettres

classiques, les langues et la linguistique, la littérature, le cinéma,

"Text creation and analysis", ...

Commande aux CTI Textual Studies, 13 Banbury Road, Oxford OX2 6NN.

 

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Publications Publications Publications Publications Publications

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{FR, 29/02/2000}

 

PRÉSENTATION DE THÈSE

 

Valérie BEAUDOUIN

 

                           "Rythme et rime de l'alexandrin classique.

             Etude empirique des 80 000 vers du théâtre de Corneille et Racine"

 

sous la direction de Jacques Roubaud.

Jury : Bernard Cerquiglini, Sophie Fisher, Benoît Habert, Pierre Lusson,

François   Rastier),

soutenue le 24 janvier 2000, à l'Ehess.

 

Résumé

______

 

Ce mémoire présente une approche empirique du rythme et de la rime du vers

alexandrin classique. Un outil d'analyse systématique du vers, le

métromètre, a été mis au point avec F. Yvon. Il transcrit le vers dans

l'alphabet phonétique, le découpe selon les positions ou syllabes métriques,

en respectant les règles de la versification (diérèse/synérèse, décompte du

e muet et liaison) ; finalement, il attribue à chacune des positions un

certain nombre de marquages ou étiquettes d'ordre exclusivement

linguistique : syllabe et noyau vocalique de la position, catégorie morpho-

syntaxique, situation dans le mot et présence d'une marque accentuelle sur

la position. L'outil repose sur un analyseur syntaxique, Sylex, développé

par P. Constant et un phonétiseur développé par F. Yvon, qui ont été adaptés

aux particularités du vers.

 

Le métromètre a été utilisé pour analyser les 80 000 vers des oeuvres

théâtrales complètes de Corneille et Racine. Il en résulte que la structure

rythmique du vers est bel et bien le résultat d'un agencement spécifique

des éléments de la langue (il n'y a pas " d'accent de vers ", mais des

marquages de langue qui viennent s'inscrire en des positions particulières

du vers). Des corrélations apparaissent de manière systématique entre les

positions métriques et les marquages linguistiques. Nous montrons que tous

les marquages, qui relèvent de composantes de la langue a priori

indépendantes, contribuent chacun à leur manière à caractériser la forme

rythmique de chaque hémistiche. Cette forme existe par l'allure symétrique

que prend la répartition des marquages sur les deux hémistiches, et par le

contraste fort qui s'établit entre la dernière position de chaque

hémistiche et ses positions adjacentes. La fin d'hémistiche est, en effet,

très fortement marquée par rapport au début de l'hémistiche suivant et

cette saillance est renforcée par le faible marquage de l'avant-dernière

position. Les corrélations entre ces niveaux a priori indépendants semblent

être constitutives du rythme.

 

L'unité rythmique semble donc être l'hémistiche. L'unité du vers est

cependant assurée par tout le système de règles phonétiques qui s'applique

à la césure, lieu de jonction entre hémistiches, par la structure rythmique

plus régulière du second hémistiche au regard du premier et bien entendu

par la rime. L'alexandrin est bien un " segment métrique, concaténation de

deux segments métriques équivalents ", comme l'écrit J. Roubaud dans La

Vieillesse d'Alexandre.

 

Parallèlement, l'examen systématique de la rime chez Corneille et Racine a

permis de montrer l'existence de régularités, non attestées dans les traités

de métrique (la voyelle [e], par exemple, a toujours besoin d'une consonne

d'appui) et de proposer, sur des bases empiriques, une définition

contextuelle des concepts de rime riche, suffisante ou pauvre, qui dépendent

du type de terminaison examiné. Les classes de mots rimant ensemble et les terminaisons graphico-phonétiques qui subsument ces classes ("rimèmes") sont

systématiquement décrites.

 

Enfin, nous avons tenté de montrer en quoi la structure rythmique et rimique

des vers pouvait contribuer à enrichir l'analyse stylistique : nous avons

ainsi mis à jour des corrélations entre des univers de discours et des

rythmes spécifiques. Ainsi, dans la tragédie classique, la thématique de

l'amour, associée à la confrontation des personnages sur scène et au

dialogue, s'accorde avec un vers assez débridé, tandis que celle de la mort,

qui s'exprime souvent dans le récit, privilégie un rythme plus régulier et

emphatique.

 

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{FR, 29/02/2000}

 

BELLES THÈSES EN LIGNE

 

* Une version en ligne de la thèse de Ludovic Tanguy :

 

Tanguy L. (1997)

             Traitement automatique de la langue naturelle et interprétation :

             contribution à l'élaboration informatique d'un modèle de la

             sémantique interprétative

thèse de doctorat, Informatique, Université de Rennes I, Brest, ENST

 

se trouve à l'adresse suivante :

             http://www-iasc.enst-bretagne.fr/~tanguy/

(en postscript et HTML).

 

* La thèse de Thierry Mézaille :

 

             Micro-sémantique et génétique chez Proust -

             Le thème de la blondeur

Université Paris IV, 1993, dir. F. Rastier

 

se trouve, dans une version refondue, à l'adresse suivante :

             http://www.chez.com/mezaille

 

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{FR, 29/02/2000}

 

VIENNENT DE PARAÎTRE

 

De Renato Prada Oropeza (professeur à l'université de Xalapa, Mexique) :

 

Publiqué en el Fondo de Cultura Económica el libro Literatura y realidad.

Es un libro de 572 página. Su índice es el siguiente:

 

1. Literatura y sociedad: la obra literaria como realidad social

2. Realidad , efecto de realidad: ficción y literatura

3. Literatura, verdad y conocimiento

4. Producción y recepción del discurso literario

5. Los géneros literarios

Liminares:

1. Objetos y cosas, conceptos y significados

2. Razón, cultura y ciencia

3. El simbolismo estético y el espacio literario

 

El libro parte de la hipótesis de trabajo de que el mundo es un ser social

que "construye" su mundo, mundo que a su vez influye decisivamente en él :

no hay hombre sin mundo, ni mundo que no remita al hombre. En esta

construcción social del mundo (la realidad) la literatura, como otras artes

y otros tipos de discursos (mítico, religioso...) juegan un papel

importante, además del lenguaje y la proxémica (las acciones en su relación

con la configuración del espacio y del sentido). La parte titulada Liminares desarrolla los aspectos filosóficos que implica la teoría literaria

desarrollada en los primeros cinco capítulos. El Cap. 2 "Realidad, efecto

de realidad : ficción y literatura", es deudora de la semántica textual de

F. Rastier en gran medida.

 

                                        _________________________

 

 

PASCAL VAILLANT : SÉMIOTIQUE DES LANGAGES D'ICÔNES, Paris, Champion, 2000

 

Comment interprète-t-on les icônes, symboles, et autres pictogrammes ?

Quel est le sens qui est caché derrière, et comment le raccorde-t-on à une

formulation dans sa langue natale ? Comment ces icônes se combinent-elles

entre elles et avec du texte ? Ont-elles une signification internationale ?

 

Ces questions gagnent en intérêt au fur et à mesure de la multiplication,

autour de nous, dans les aires d'autoroute, aux informations télévisées ou

sur les réseaux informatiques, de ces icônes en tous genres. On attend

d'elles qu'elles fournissent une information complète, universellement et

immédiatement perceptible. La compréhension de leur mode de fonctionnement,

de leur dynamique sémantique, est donc plus que jamais une nécessité à

l'époque où l'image sous toutes ses formes déborde de plus en plus le texte

dans la communication.

 

Cet ouvrage explore le thème de la sémiotique des icônes et de ses liens

avec la sémiotique linguistique. Outre un aperçu historique sur le concept

d'iconicité, on y trouvera un cadre de description théorique des systèmes

de signes visuels et multimodaux qui permet de comprendre des règles de

lecture en oeuvre aussi bien dans la bande dessinée que dans les

pictogrammes employés sur les machines-outils.

 

Voir aussi :

             http://www.compling.hu-berlin.de/~vaillant/semicone/

 

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{Ruprecht, 15/02/2000, FR, 14/03/2000}

 

Hans-George Ruprecht nous adresse la référence de ces études récentes :

 

HANS-GEORGE RUPRECHT

"Intertextual Grounds for Construction and Deconstruction: Joyce's 'Cabman's

Shelter' Revisited", Versus / Quaderni di studi semiotici,  77/78 (1997),

35-55.

"Lecture, traduction et conscience: Brecht lecteur de Benjamin", Degrés, 95

(1998), d1-d19.

 

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{FR, 29/02/2000}

 

COLLOQUE SEMIOTIQUE DES CULTURES

 

Note de la rédaction :

Nous poursuivons la publication de notes prises au colloque inaugural de

l'Institut Ferdinand de Saussure : Sémiotique des cultures et sciences

cognitives (Genève-Archamps, juin 1999). Nous les devons à l'un des

inscrits,

Mathieu Brugidou, chercheur à l'Electricité de France. Le lecteur gardera en

tête que ce document n'a pas été rédigé à notre demande, et, dit son auteur,

"est plus une retranscription de mes notes qu'un compte rendu critique à

proprement parler".

                                ____________

 

Petit débat....

 

Une première intervention autour de Peirce (Daniele Gambarara)

 

Peirce met en évidence la relation triple du signe et sa dégradation en

relation dyadique (index, icône)

 

                                 mind

 

                sign                            object

 

 

 

 

                                 (mind)

 

 

                 sign <------------------------> object

 

 

On peut relire dans l'autre direction l'indication de Peirce. L'esprit est

le lieu où il y a les interprétants.

 

Cf. La distinction entre les pidgins, formations langagières de compromis

("Langue de contact, système composite plus complet qu'un sabir - quelles

que soient les langues concernées -" selon le Robert), et les créoles où

l'on note des relations structurales. Il y aurait deux mécanismes

différents, le Pidgin étant un protolangage, formation langagière produit

d'un compromis entre deux langues, le créole étant une langue a part entière

(celle en quelque sorte des enfants des premiers locuteurs...).

 

Une deuxième intervention sur l'histoire de la syntaxe souligne que le

système des cas serait un précédent du système verbal. Avant il y avait un

système de mots invariables. Ce qui est parfait, c'est ce qui est le plus

récent (contre Humboldt). Bref, les différents sous-systèmes d'une langue

sont historiques.

 

Une troisième intervention sur l'histoire de la rhétorique (F. Douay) qui

montre :

 

- d'une part la distinction faite par les grecs entre le langage

"enchaînement valide de propositions valides" et les cas où le langage ne

peut plus prétendre à la vérité mais seulement à des fonctions de cohésion

sociale. Cf. Aristote qui classe les genres suivants

 

Epopée                   politique

Théâtre                  juridique

 

C'est précisément le juridique qui va donner lieu à la naissance de la

rhétorique. Dracon réalise la synthèse des coutumes des archontes qu'il

codifie. Il interdit (de manière draconienne) les vendettas, qu'il remplace

par l'exposé des faits et la discussion des parties en présences.

C'est la naissance de l'opposition entre thème (du coté du nom et du sujet)

et rhème (du coté du verbe et du commentaire). Le rhème, c'est ce que l'on

dit à propos de ce qui a été posé. Ainsi, à propos du fait :

             "la jeune fille est partie nuitamment avec un jeune homme"

les deux familles peuvent soutenir : a) la thèse de l'enlèvement, b) la

thèse de la fugue amoureuse

 

Les deux thèses sont également possibles. Leurs exposés et la délibération

démocratique (c'est à dire quantifiée par le vote, puisque cela ne relève

pas du vrai ou du faux) permettent de résoudre la question sans s'égorger.

On   montre donc le lien originel entre la rhétorique et la démocratie.

D'emblée celle ci se donne comme une technique (teckné) au service de la

démocratie. L'auteur montre par ailleurs que les catégories utilisées par

l'usage démocratique se refonctionnalisent (cf. tyranie...) par la suite

dans des catégories littéraires, ce qui permettra d'ailleurs de retrouver

l'usage démocratique de cette technique en refonctionnalisant à nouveau ces

catégories lors de périodes plus clémentes. Elle distingue plusieurs

traditions dont certaines sont incontestablement pour nous proches.

[Cette analyse me paraît intéressante pour notre compréhension de la

controverse, cf. aussi ce qu'en dit Ricoeur aussi dans  "Autour du

politique".]

Bref, Démosthène, Ciceron assassiné par César, c'est nous et le Baroque,

c'est pas nous.

 

Un quatrième intervenant (J.P. Caprile) sur la représentation des nombres

dans le langage qui plaide non seulement pour une conception de la langue

comme "système ouvert" mais aussi pour l'intrication des systèmes verbaux

et non verbaux (ici les signes gestuels). Dans le début de son intervention,

il souligne une série de curiosités dans la langue, irrégularités, fruits

de contingences historiques, par exemple :

 

onze      on-ze                 un-dix

douze    dou-ze              deux-dix

treize     trois-ze             trois-dix

|              |                          |

dix-sept : inversion du système, pourquoi ?

 

On peut ainsi montrer toutes une série d'irrégularités dans les langues à

propos de la représentation de système de numération, par exemple l'hôpital

des quinze-vingt à Paris trace d'un système à "base" (l'auteur préfère dire

"nombre d'appui") vingt etc. Il montre à partir de langues d'Afrique

centrale, les systèmes de numération dérivés de calcul sur soit une main,

soit deux mains, soit de systèmes encore qui utilisent les pieds en

utilisant un système ordinal ou cardinal...

 

                                ____________

 

Boris CYRULNIK      - Les objets saillants ou l'historicisation de nos

                             perceptions -

 

Le cerveau est un organe actif qui va " palper " l'information avec les sens.

De l'araignée de mer (et ces quelques synapses) aux oiseaux munis de deux

lobes préfrontaux qui leur permettent de traiter des informations non

immédiatement perçues.

Décrit les processus de phylogenèse comme un processus biologique de

liberté : celui d'un échappement progressif au contexte (et à son

immédiateté qui demande de traiter sur-le-champ l'info). Par exemple, la

graisse représente un degré de liberté supplémentaire dans cette évolution,

comme l'homéothermie qui permet de garder stable la température du vivant

alors que l'extérieure varie. Dans le même ordre d'idées, le sommeil

paradoxal est une alerte cérébrale coûteuse en terme d'énergie mais qui

permet à l'organisme d'intégrer les informations du jour. Ainsi selon les

espèces la quantité de sommeil paradoxal varie selon qu'elles sont

confrontées à des apprentissages plus ou moins importants. Dans la durée

d'une vie, la durée de sommeil paradoxal peut aussi varier (phases

d'apprentissage).

Le jeu est un comportement apparemment inadapté mais qui a une fonction :

faire semblant, idem mentir, avec un geste un mot je peux manipuler des

émotions, des représentations.

Notion de "promesses génétiques" : cf. divers exemples où des canards

sont "élevés" par des boules ou des cubes, si on enlève (avec un système

de poulies) les boules ou les cubes, le stress du caneton croît, du coup il

n'accomplit pas ses "promesses génétiques".

Même type d'exemple avec des enfants abandonnés en Roumanie où laissé dans

un dessert affectif et sensoriel  on consiste que ces enfants présentent un

sous développement du cerveau. Replacé dans un milieu "normal" (affectif

et perceptif, bref, une famille) l'enfant retrouve un cerveau normal au

bout d'un an. Cyrulnik souligne l'extrême plasticité du cerveau des enfants

jusqu'à trois ans.

 

Il développe la notion de "cohérence du monde" à travers des exemples de

négligence hémiplégique gauche suite à altération (trou) d'une partie du

cerveau (située je ne sais où). Dans un premier exemple, l'homme bien qu'il

possède une main gauche, n'a pas conscience de l'existence de cette main.

Quand elle entre dans son champ de vision (par exemple on la pose sur son

lit d'hôpital), il demande à qui appartient cette main sur son lit etc.

Deuxième exemple : la vue à gauche fonctionne mais le patient n'a pas

conscience de cette vision. On montre ainsi deux séries de maisons, dans la

série A, la moitié droite de la maison est intacte, la moitié gauche de la

maison est la proie des flammes. Dans la série B , la maison est intacte.

On montre les deux séries aux patients qui invariablement bien qu'ils

disent ne pas percevoir à gauche choisissent la maison de la série B. Quand

on leur demande demande de justifier leur choix, ils trouvent de "bonnes

raisons". Bref, ils voient, n'ont pas conscience de cette vision, mais

agissent parfois en fonction d'élément perceptif qu'ils ne sont pas sensés

avoir et justifient leurs actions avec des arguments "raisonnables". Ils

maintienent vaille que vaille une cohérence dans le monde.

 

L'orateur rapporte une série d'expériences menées avec son équipe

pluridisciplinaire. D'abord à propos d'un corpus de films réalisés lors de

la dernière échographie. Il demande à la mère de parler pendant ce film,

parfois de chanter etc.

L'enfant, qui passe son temps à dormir, se réveille systématiquement à ce

moment. Il entend la mère à travers le liquide amniotique, ce sont les

graves qui agissent comme des vibrations et agissent comme des caresses sur

l'enfant. Les nourissons réagissent différemment à cette voix : certains

agitent les membres inférieurs et supérieurs, d'autres seulement les bras,

certains sucent leur pouce, d'autres essayent de "palper" le liquide

amniotique se saisissent de leur pied -est-ce le leur ?-, ou sucent le

cordon ombilical... Il a dressé des profils types des ces différentes

configurations de réactions (révélateurs précoces du caractère de l'enfant

???).

A partir de ces études il espère notamment mettre en place des tests de

dépistages précoce de l'autisme (après la naissance mais assez tôt dans le

développement du nourrisson).

 

Autre exemple ou anecdote, c'est selon, celle de deux jumeaux prénommés par

la   mère (?) "Julie La douce" et "Kristeva l'intello". La mère distingue

très tôt dans ces deux jumeaux deux caractères différents,

qu'elle différencie, l'un plutôt réservé, proche du sien dit-elle, l'autre

plus "agressif". L'observation montre que les échanges physiques entre la

mère et "Julie la douce" (sic) sont importants, le nourrisson se calme

très rapidement quand la mère le prend dans ses bras (la mère est ici une

figure d'attachement, un peu comme la boule pour le caneton). En revanche,

le second "Kristeva" reste très longtemps inconsolable. Au moment de

l'acquisition du langage, la capacité pour Kristeva de nommer le monde, en

pointant le doigt et en nommant semble aller de pair avec un apaisement du

monde. En bref, tout se passe comme si le langage constituait un objet

transitionnel. C'est une autre façon de montrer que le monde est sémantisé

avant la parole.

 

Par ailleurs, bientôt les récits sociaux [mais la reconnaissance de la mère

et sa typification par Cyrulnik en "Julie la douce" et "Kristeva l'intello"

relèvent déjà du récit social] vont accompagner et prendre le relais de

cette ontogenèse.

                                ____________

 

Patrick SERIOT          - Les théories de la culture en Russie -

 

 

Les russes ont toujours eu un rapport différent à la nationalité :

citoyenneté et nationalité ne sont pas du tout équivalents. Le terme de

nationalité serait mieux traduit la plupart du temps par ethnie (cf.

l'anecdote du Citoyen soviétique et par ailleurs de nationalité Française

selon les autorités soviétiques).

Il existait en Union soviétique une matière intitulée DIAMAT obligatoire

quelle que soit la matière ou le cursus choisi : on y enseignait le

MATérialisme DIAlectique. Que sont devenus les millions d'enseignants de

cette matière, la plupart se sont reconvertis en culturologie.

 

L'auteur souligne que de nombreux travaux ont par exemple pour ambition de

faire apparaître comment la vision linguistique du monde est isomorphe avec

la mentalité nationale (incorporé dans la langue). Influence importante de

Sapir dans ces recherches dont les critères paraissent parfois étonnants

aux yeux d'un occidental.

 

Les problèmes d'identité surgissent avec Pierre Le Grand (après Ivan le

terrible). La question, c'est en quelle langue traduire sa propre langue.

Pierre Le Grand a besoin d'importer des techniques pour construire des

bateaux, il lui faut aussi importer des concepts, les écrire. Le slavon est

une langue écrite créer pour la liturgie qui se prête mal à une pensée

technique.

 

Impact formidable des guerres Napoléoniennes. L'intelligentsia russe

découvre qu'un pays vaincu peut avoir des valeurs. Trois questions qui vont

hanter l'âme russe : - Que faire ? - Qui sommes-nous ? - A qui la faute ?

Deux types de réponses, soit évolutionniste (retard sur l'occident), soit

singularité (notre pays et notre culture sont fondamentalement différents)

---> thèse slavophile.

La guerre de Crimée est très grave pour les russes (alors que les français

et les anglais n'en ont aucun souvenir) :  les français et les anglais

s'allient aux turcs contre les russes. Preuve que l'autre, c'est le

catholique, le protestant vs le monde orthodoxe.

N. Danilevsky décrit la culture comme un organisme vivant dont le cycle de

vie est d'environ 1000 ans (c'est ancêtre de Spengler et de Toynbee), donne

naissance à l'idéologie EURASISME.

 

Ainsi Jakobson et Troubetzkoy ont une vision profondément organiciste des

cultures, celles-ci sont des objets fermés qui n'ont de cohérence que par

leur fermeture : totalité organique (Si la Russie est un organisme vivant,

je ne peux lui enlever l'Ukraine....)

 

Il suit de cela qu'il ne peut exister de culture panhumaine. Les besoins

spirituels ne vivent que dans des entités fermées. La naissance du

structuralisme est marquée par cet enracinement (importance notamment de la

notion de fermeture).

Théorie de l'harmonie du monde est une théorie des correspondances. ainsi

Jakobson décrivant des oppositions phonologiques entre une région isoglosse

du [?] et une région du [g] fait correspondre une opposition pays d'ovin vs

bovin, vent dominant nord vs vent est, bref tous les savoirs s'organisent

selon ces coupures entre totalités fermées.

Il faut que tout soit lié. Prouver l'existence de l'objet, c'est montrer

l'existence d'un lien avec quelque chose d'autre (comme dit l'orateur,

"c'est dans le lien organique que réside le bonheur épistémique"). Ce sont

donc des obsédés de la synthèse.

On assiste récemment à un regain d'intérêt dans la Russie eltsinienne pour

les théories de la culture.

                                ____________

 

Yves-Marie VISETTI             - A propos de la Gestalttheorie -

 

 

La perception comme structure générale de la cognition, définie comme une

"structure dynamique incarnée". Hypothèse d'un isomorphisme psychophysique.

Proche de la psychologie expérimentale mais différente de la méthode

béhavioriste.

La Gestalt theorie reprend l'idée d'une psychologie de l'intentionnalité

"possiblement" expérimentale. Métaphore de la mélodie qui se superpose (en

tant que qualité) au flux sonore.

 

Les caractéristiques de la Gestalttheorie :

 

- pas de différence entre sensation et perception,

- pas d'antériorité des éléments mais contemporanéité (pas de compositionnalité)

L'expression d'un regard nous saisit sans que l'on discerne la couleur des

yeux. On saisit la mélodie sans reconnaître les notes.

- les formes sont transposables d'un champ à l'autre, exemple le crescendo

est un schème dynamique qui n'appartient à aucune modalité sensorielle.

 

On distingue des unités plus ou moins fortes qui sont transposables.

Deux contraintes pour une théorie générale des formes :

1) toutes les parties d'un champ sont en relation de détermination réciproque

2) il faut que cela soit transposable

 

L'orateur insiste par ailleurs sur :

 

- la requalification des qualités dans les différents systèmes

- la communauté immédiate des structures : par exemple la forme du Saule

est la forme de la tristesse humaine, non pas parce que cette forme "

évoque " la tristesse, mais par incarnation de la prostration humaine.

 

                                ____________

 

...SUITE ET FIN AU PROCHAIN SdT !...

 

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{FR, 29/02/2000}

 

PRÉSENTATION DE NUMERO SPÉCIAL DE LA REVUE SÉMIOTIQUES

 

David Piotrowski (INaLF - Institut National de la Langue Française),

responsable de la revue Sémiotiques, nous a chargés de la réalisation d'un

numéro consacré aux nouveaux phénomènes sémantiques saisis/révélés ou

produits par l'outil informatique. La nouveauté peut tenir à l'acuité

renouvelée de phénomènes déjà problématisés (comme celui de la stabilité

des catégorisations sémantiques) ou à la production effective de nouveaux

phénomènes (comme de nouvelles pratiques de lecture).

Ce numéro de la revue Sémiotiques paraîtra fin 2000.

 

L'accessibilité actuelle de données textuelles numérisées en grandes

quantités et d'outils de traitement à angle d'attaque varié (navigation

hypertextuelle, moteurs de recherche, segmentation thématique, analyse

robuste, etc.) ainsi que le croisement des médias dans l'hypermédia

renouvellent pour partie l'accès au sens :

- l'hypertextualité ainsi que les résultats de traitements automatiques

favorise de nouvelles pratiques de lecture et d'écriture, en somme de

nouvelles modalités de production du sens - et cela dans deux directions :

celle liée à la puissance de traitement et de communication des ordinateurs

(recherches multirequêtes, affichage par multifenêtrage, etc) et celle liée

aux formes descriptives utilisées pour l'informatisation des données de

langue,   cf. infra ;

- l'hypermédia croise les médias entre eux et suscite une cohabitation

inédite ou oubliée (enluminures).

- des phénomènes langagiers deviennent perceptibles ou changent de nature :

l'examen des corrélations de traits linguistiques observéees dans des corpus

représentatifs, débouche sur de nouvelles typologies textuelles,

paramétrages du dire qui contraignent et constituent le dit.

Les distinctions de sens faites par les dictionnaires peuvent être mises à l'épreuve des données, voire amendées en fonction des préférences observées. La sémantique n'échappe plus alors à une perspective de quantification. La question de la généralité des représentations sémantiques proposées voit

également son acuité renouvelée : une description sémantique peut-elle

dépasser le localisme et valoir en langue, ou  faut-il se satisfaire de

régulations régionales (propres à un domaine, à un genre) ?

 

La mise en forme calculatoire de la langue bouleverse donc ou reconfigure

certains de ses aspects. Il faudrait d'ailleurs s'interroger sur la

légitimité théorique de cette reconfiguration, sachant que la légitimité

pratique est un fait acquis. Par ailleurs, les nouvelles pratiques

introduites par l'informatisation sont déterminées en profondeur par les

formes opératoires actuelles des systèmes de traitement. Ces formes

opératoires procèdent de "choix" théoriques et descriptifs qui restent

implicites, qui sont liés à l'évolution des techniques et des paradigmes

calculatoires et qui partagent leurs faiblesses. Comment rendre compte de

la tension, pas toujours perçue, entre les nouvelles perspectives ouvertes

sur la langue et les limites des schémas descriptifs enmployés ?

 

Ce sont ces nouveaux observables et nouveaux regards qu'entend analyser

cette livraison de Sémiotiques. Il serait utile également de pointer le

vieux qui s'obstine sous le recours incantatoire aux nouveaux outils

informatiques. Par exemple, interroger le rapport sémantique conceptuelle/

sémantique linguistique dans la conception et l'utilisation de dictionnaires

sémantiques comme WordNet ou EuroWordNet.

 

Nous joignons en annexe un texte de David Piotrowski qui débroussaille

certaines des pistes évoquées supra.

 

             Bruno Bachimont        (INA - Direction de la Recherche)

                           bbachimont@ina.fr

             Benoît Habert (UMR 8503 et ENS de Fontenay/Saint-Cloud)

                           habert@limsi.fr

                                        _________________________

 

INTRODUCTION A LA PROBLÉMATIQUE

 

par David PIOTROWSKI

 

C'est par deux voies, distinctes mais étroitement entrecroisées, que la

réalité d'un traitement automatique des langues naturelles s'est

progressivement affirmée. Par la première voie, il s'est agi d'établir

sur des bases rationnelles l'idée, longtemps confinée au registre de la

fantasmagorie, d'un appareillage à même d'accomplir diverses activités qui

requièrent une compétence langagière, comme par exemple : répondre, résumer,

traduire... La seconde voie a suivi le cours des développements de la

technologie informatique, de ses applications au traitement de l'information

et de son inscription dans le tissu des activités socio-professionnelles et,

plus généralement, culturelles. On sait que la diffusion des dispositifs

informatiques et leur mise en réseau connaît aujourd'hui une croissance

spectaculaire et apparaît comme un des faits culturels majeurs de ces

dernières décennies. Pour de très larges catégories d'usagers et, de plus en

plus, pour le grand public, le dispositif informatique s'est banalisé iques et phraséologiques) d'une langue spécialisée (en termes de

domaines de connaissance et d'action à accomplir) peuvent efficacement être

traitées par le dispositif informatique. Cette contrainte imposée aux

utilisateurs serait rédhibitoire si le système s'adressait au grand public.

La familiarisation avec une langue "calibrée" suppose en effet une période

d'adaptation et des usages suffisamment fréquents pour maintenir la

mémorisation. Mais dans les milieux professionnels, ce "corset" linguistique

est relativement bien accepté - si tant est qu'il améliore réellement

l'efficacité du travail. Il en est de même pour les systèmes de traduction

automatique qui imposent aux utilisateurs des contraintes importantes sur

la composition des textes à traduire (mise en forme particulière, rédaction

ajustée, personnalisation des dictionnaires...). On notera d'ailleurs que la

tendance actuelle privilégie la réalisation d'outils interactifs d'aide à la

traduction (dictionnaires en ligne, mémoires de traduction, concordances

bilingues...).

 

Les objectifs premiers du traitement automatique des langues naturelles

(dorénavant TALN) (résumé et traduction automatique sur du texte tout

venant) conçus dans l'abstrait de la pensée théorique, et tels quels jamais

atteints, ont ainsi été revus à l'empan de la raison pratique. Les ambitions

grandiloquentes et universalistes ont maintenant cédé la place à des projets

d'application ciblés qui prennent en considération, avec réalisme, les

capacités des technologies disponibles et la nature des besoins réels qui,

dans ce contexte, prennent donc progressivement forme. C'est dans ce même

esprit que de nombreux programmes de recherche et de développement

concentrent leurs efforts sur l'amélioration et la généralisation des

techniques existantes et sur la production d'outils et de ressources

calibrées, en vue de répondre, donc, à des besoins maintenant mieux

circonscrits et en constante augmentation.

 

Le domaine du TALN apparaît donc aujourd'hui comme un mixte de ontenu

textuel. Corollairement, au plan des activités de production, comme les

textes se prêtent ainsi aisément à de nombreuses modifications, parfois

réalisées d'ailleurs par plusieurs auteurs, il a fallu poser le problème de

la gestion des différentes versions.

 

Dans le prolongement du traitement de texte, à savoir dans la perspective

d'appliquer aux données textuelles des procédures plus sophistiquées, et en

vue aussi d'un emploi optimal du potentiel des communications électroniques,

la définition de normes d'encodage des documents est devenue impérieuse.

Cette norme concerne tant les conventions typographiques (polices, casses,

mise en page, etc.) que les structures logiques des documents

(ordonnancement en titres, niveaux de paragraphes, renvois, etc.). On voit

donc ici, de nouveau, que les contraintes du traitement informatique ont

pour effet de calibrer les pratiques textuelles.

 

Le second exemple concerne le dialogue homme-machine. L'expérience montre

que les usagers adaptent leur mode d'expression lorsqu'ils pensent se

trouver en communication avec un système automatique. Ainsi, on observe que

"ils respectent mieux les contraintes syntaxiques (...), ils précisent mieux

les repérages temporels (...) ils vont dans le sens de la concision et

[évitent] les connecteurs dits pragmatiques". Dans un perspective similaire,

où les contraintes de l'outil informatique contribuent à reconfigurer

l'activité langagière, on pourra aussi mentionner la langue "télématique"

"(...) bien connue des adeptes du Minitel et du courrier électronique, qui

présente simultanément les deux caractères de "codage acceptable par la

machine" et de spontanéité".

 

Ces deux exemples laissent entrevoir la nature propre - et apparemment

pressentie par les usagers du grand public, puisque, dans un exemple

précédent, ils semblent s'y adapter - des régimes de traitement des

grandeurs langagières mis en oeuvre dans le cadre des systèmes automatisés -

à savoir des régimes fondés sur des structures articulant des urs se mêlent et se motivent mutuellement : les textes originaux

permettent de susciter de nouvelles interprétations de cette "pensée de

Saussure" qu'on a chacun dans notre tête,... et nos interprétations de cette

"pensée de Saussure", le plus souvent largement fondées sur le Cours,

peuvent nous mener à la quête de confirmations dans les textes originaux.

 

En bref, le "retour à Saussure", s'il en est - mais, au fond, il est évident

qu'il en est, puisqu'il suffit que des linguistes repensent à Saussure pour

que retour il y ait - eh bien ce retour à Saussure est confronté, au

minimum, à une situation philologique particulièrement compliquée.

 

C'est pourquoi je voudrais contribuer à éclairer cette question du "retour à

Saussure" en revenant sur l'histoire éditoriale singulière des textes

saussuriens de linguistique générale.

 

1. Les textes saussuriens de linguistique générale : une histoire éditoriale

   singulière

 

1.1. Définition de l'expression textes de linguistique générale

 

Tout d'abord "textes saussuriens de linguistique générale", qu'est-ce que ça

veut dire ?

 

Saussure ne s'est jamais préoccupé, ni lors de ses cours, ni dans aucun

écrit connu, de définir de manière explicite cette expression. On sait

qu'elle recouvre à son époque un ensemble assez hétéroclite de

problématiques (je renvoie aux travaux de S. Auroux (2)). - Finalement, sans

perdre l'arrière-plan historique, on peut préciser le sens qu'elle prend

de facto dans le domaine spécifique de la production intellectuelle de

Saussure.

 

J'ai proposé, dans mon Introduction à la lecture de Saussure (3),

d'envisager cette "linguistique générale" saussurienne comme relevant de

trois approches distinctes : 1° une réflexion sur les principes d'une

science existante, dont le linguiste genevois était un expert : la grammaire

comparée (autrement dit une épistémologie de la grammaire comparée) ; 2° une

réflexion sur une discipline à venir, conçue comme susceptible de devenir

aussi scientifique que la grammaire comparée (en d'autres termes un pari

épistémologique ou encore une épistémologie programmatique) ; 3° une

réflexion sur le fait de la signification linguistique, qu'on peut appeler

philosophie du langage, et que je préfère appeler, dans un sens technique,

métaphysique.

 

C'est donc à l'ensemble de ces domaines que j'attacherai l'étiquette de

linguistique générale concernant Saussure - et qu'a été couramment attachée,

de fait, cette étiquette, quand bien même la partition de ces domaines

n'était-elle pas nécessairement évoquée dans les termes que je propose. Il

est clair, par ailleurs, que si ces trois domaines de réflexion de la pensée

saussurienne, pris proposition par proposition, obéissent à une logique qui

permet de les distinguer, il arrive bien souvent que leurs propositions

s'entrecroisent au sein des mêmes textes.

 

1.2. Le corpus disponible

 

Avant d'aborder l'histoire proprement dite des éditions des textes

saussuriens de linguistique générale, un bref rappel de l'état des textes

existants. On peut répartir ces textes en trois catégories.

 

1° catégorie : les textes autographes de Saussure. Parmi ces textes, très

peu de textes achevés : il y a le manuscrit des trois leçons inaugurales de

la chaire de grammaire comparée, (novembre 1891), et des cahiers

d'aphorismes qui peuvent être considérés comme des textes achevés ; à côté

de cela, on trouve un très grand nombre de brouillons, d'ébauches de

chapitres, de notes éparses en vue d'un livre à venir, de notes prises pour

les cours genevois de linguistique générale. La plupart de ces textes ne

peuvent pas être datés avec précision (il s'échelonnent entre 1891 et 1912).

Leur très grande majorité  est conservée en grande majorité à la

Bibliothèque publique et universitaire de Genève (comprenant une importante

donation récente en cours de classement, sur laquelle je reviendrai). Et un

petit nombre de textes ont été vendus par la famille Saussure à la Houghton

Library de l'université d'Harvard (4).

 

2° catégorie de textes : les notes d'étudiants des trois cours genevois de

linguistique générale. Il en existe aujourd'hui : 2 versions pour le cours

de 1907 ; 3 versions pour le cours de 1908-1909 ; 5 versions pour le cours

de 1910-11 (toutes conservées à la Bibliothèque publique et universitaire

de Genève) (5).

 

3° catégorie de textes : le texte rédigé par Bally et Sechehaye intitulé

Cours de linguistique générale.

 

1.3. Les deux paradigmes éditoriaux

 

J'en viens maintenant aux éditions de ces textes. Mon intention ici n'est

pas de prendre en compte toutes les parutions des textes saussuriens de

linguistique générale, mais de relever les événements éditoriaux qui, en

langue française et sous la forme achevée d'un livre, auront balisé la

diffusion de la pensée saussurienne et auront servi de référence à la

critique (ou devraient se montrer propre à lui servir de référence, si l'on

considère les futures éditions). De fait, ces événements éditoriaux auront

concouru à créer deux objets distincts - correspondant à ce que j'appellerai

deux paradigmes éditoriaux (6).

 

Le premier paradigme éditorial peut être nommé paradigme du Cours de

linguistique générale comme oeuvre. Au plan du contenu, le caractère

remarquable de ce paradigme est qu'il revient, fondamentalement, à

construire et à légitimer la pensée de Saussure dans sa dimension d'une

épistémologie programmatique de la linguistique.

 

Le second paradigme peut être nommé paradigme des leçons orales et des

autographes de Saussure comme oeuvre. Ce second paradigme éditorial a pour

caractère spécifique de refléter, sans opérer de tri, une pensée beaucoup

plus multiforme : à savoir, selon mon analyse, celle qui envisage à la fois

une épistémologie programmatique de la linguistique, mais aussi une

philosophie des sciences (en l'occurrence d'une épistémologie de la

grammaire comparée) et une philosophie du langage (ou, pour utiliser ma

terminologie, d'une métaphysique).

 

Examinons maintenant l'histoire des éditions qui constituent ces paradigmes.

 

A. Le paradigme du Cours comme oeuvre

 

a. Le Cours de 1916 (7)

 

Si le Cours peut être considéré comme l'oeuvre de Ferdinand de Saussure,

c'est en tout cas comme une oeuvre bien particulière. Cette particularité

s'enracine dans la vision et dans la volonté de Bally et Sechehaye. Ceux-ci,

quelques semaines après la mort de Saussure, après avoir consulté des notes

d'étudiants et quelques autographes du linguiste disparu, vont, d'une part,

imaginer un livre et, d'autre part, infléchir le contenu de ce livre vers

une pure épistémologie programmatique de la linguistique, en élaguant

quelque peu ce qui dans les textes originaux (notes d'étudiants et

autographes de Saussure) ressortissait à une réflexion épistémologique au

sens strict (autrement dit à une épistémologie de la grammaire comparée) et,

bien plus systématiquement encore, ce qui ressortissait à une métaphysique

(la conséquence en sera une réduction, dans le Cours, de la place tenue par

la sémiologie dans les leçons orales et dans les autographes). Si la

rédaction du Cours aura été une oeuvre menée conjointement par les deux

collègues, Bally semble avoir joué un rôle crucial dans le projet initial -

dans la conception de l'oeuvre à créer. Deux témoignages récemment retrouvés

en attestent. Ils datent tous deux de 1913 (Saussure étant mort le 22

février 1913). Un premier témoignage remonte au mois de mai. C'est une

lettre de Bally à Meillet (que j'ai découverte dans les papiers de ce

dernier au Collège de France il y a quelques années). Bally y prend

vigoureusement parti contre un projet d'édition des leçons de Saussure

d'après les cahiers d'étudiants - projet conçu avec l'appui de Meillet par

un auditeur des cours de linguistique générale, Paul Regard (8). Ce projet

consistait en une publication, partielle, des notes de Regard. Si, par

retour de courrier, Meillet répond à Bally :

 

(...) le projet que j'avais esquissé avec le jeune Regard est abandonné ;

ce projet a toujours été subordonné à votre agrément, et, dès l'instant que

vous avez d'autres vues, il ne doit pas en être question. (9)

 

l'examen de la correspondance entre Bally et Meillet, tout au long des

années suivantes, n'en montre pas moins que le savant parisien aurait, sans

aucun doute, préféré une édition philologiquement fidèle aux leçons. Bally,

lui, ne voit pas les choses ainsi et, lorsqu'il critique le projet de Regard

en mai 1913, c'est déjà sa vision qu'il défend : un livre reconstruit, et

non la publication des notes d'étudiants. Un second témoignage, issu lui

aussi des archives Meillet, corrobore le premier. C'est une lettre de Marie

de Saussure, la veuve de Ferdinand, remerciant Meillet pour sa notice

nécrologique. La lettre, datée du 30 novembre 1913, se termine ainsi :

 

Quant au Cours de linguistique générale, je crois que Monsieur Bally fera

pour le mieux et qu'en tout cas il vous soumettra son projet. (10)

 

Ainsi, en novembre 1913, le titre du livre, qui reflète sa conception,

existe déjà : c'est "le Cours de linguistique générale" ; et Bally en est le

maître d'oeuvre incontesté.

 

La vision de Bally, relayée par Sechehaye, a été claire et ferme : là où le

maître, dans ses écrits et dans ses cours, élaborait une méditation de

philosophie des sciences à propos de la grammaire comparée, ou se livrait à

une réflexion métaphysique parfois effilée et hésitante, les élèves se

devaient de réduire la pensée saussurienne au pur programme d'une

linguistique future. C'est à ce prix que la "recréation" du Cours pouvait

avoir lieu. Aussi le Cours ne pouvait-il naître qu'en tronquant de son

caractère multiforme et foisonnant, lié à son esprit exploratoire, la parole

qui avait tenu ses auditeurs sous son charme. On comprend que Regard ait pu

dire après la parution du Cours :

 

Un élève qui a entendu lui-même une part importante des leçons de Ferdinand

de Saussure sur la linguistique générale, et connu plusieurs des documents

sur lesquels repose la publication, éprouve nécessairement une désillusion à

ne plus retrouver le charme exquis et prenant des leçons du maître. Au prix

de quelques redites, la publication des notes de cours n'aurait-elle pas

conservé plus fidèlement la pensée de Ferdinand de Saussure, avec sa

puissance, avec son originalité ? Et les variations elles-mêmes que les

éditeurs paraissent avoir craint de mettre au jour n'auraient-elles pas

offert un intérêt singulier ? (11)

 

Si Regard est déçu par le Cours, il en va de même de Riedlinger, quand bien

même ce dernier, contrairement à Regard, n'a jamais fait ouvertement part

de sa déception ; une lettre (inédite à ma connaissance) écrite en 1957,

soixante ans après qu'il a entendu les cours de linguistique générale, en

conserve cependant la trace. C'est une réponse à son ancien condisciple

Gautier qui l'a prié d'écrire un article sur Saussure pour la Tribune de

Genève. Riedlinger décline l'invitation en ces termes, bien durs à l'égard

de Bally :

 

Il me serait impossible de donner une idée de la vraie grandeur de F. de S.

sans le comparer à Bally et, par conséquent, rabaisser ce dernier. Je

m'explique : Bally a sabré la linguistique générale, ce que le travail en

cours de Godel démontrera sans discussion possible. (...) Plus grave encore

est la suppression complète de la magnifique introduction de 100 pages du

deuxième cours, que Godel m'a demandé par lettre l'autorisation de publier

in extenso d'après mes notes. Vous vous rappelez sans doute que Bally avait

décrété que le chapitre sur 'unités et identités' n'était pas clair, et vous

l'aviez soutenu. Godel, lui, voit dans cette introduction la quintessence de

la pensée saussurienne. Mais Bally, très doué par ailleurs pour

l'observation des faits linguistiques, n'avait pas le sens philosophique de

son maître. (12)

 

Si la nostalgie des étudiants s'explique, leur critique du texte de 1916

porte néanmoins partiellement à faux. Car il était probablement nécessaire

de n'être pas fidèle à la lettre des leçons et des écrits, de n'être pas

fidèle, même, à la complexité de la pensée saussurienne, pour être fidèle à

Saussure d'une autre manière. En simplifiant son discours et en l'unifiant,

dans l'énonciation d'une épistémologie programmatique de la linguistique, la

mise en forme de Bally et Sechehaye aura permis une réception des idées du

linguiste genevois qui justifiera leur parti-pris. En d'autres termes, ils

auront bien contribué à réaliser une oeuvre - quand bien même on saurait

dire que Saussure en est l'auteur, ou qu'ils en sont, eux, les auteurs.

 

b. L'édition critique de R. Engler, titrée Cours de linguistique générale,

   Tome 1 (1968) (13)

 

Si l'ouvrage publié en 1957 par R. Godel sous le titre Les sources

manuscrites du Cours de linguistique générale est un événement capital pour

l'histoire des textes saussuriens, ce n'est pas à proprement parler une

édition de textes, mais (entre autres objectifs) un travail préparatoire

pour une édition des textes. (Je ne parle donc pas de ce livre, sauf pour

mentionner que son point de vue - et, plus particulièrement, celui de

l'édition qu'il projette - est, de fait, le point de vue de l'autre

paradigme éditorial, le paradigme que j'ai baptisé des leçons orales et des

autographes de Saussure comme oeuvre, paradigme que soutenaient Regard et

Meillet dès le printemps 1913.)

 

Or, retour des choses, l'édition de texte qui s'appuiera sur le travail de

Godel, celle de R. Engler, va adopter très nettement le point de vue opposé,

à savoir celui du Cours comme oeuvre.

 

L'ouvrage monumental qui paraît en 1968 sous le titre de Cours de

linguistique générale, Tome 1 est en effet explicitement l'édition critique

du texte de 1916. Celui-ci est donné dans sa continuité en première colonne,

fragmenté en 3281 segments, en regard desquels figurent (aux colonnes 2, 3

et 4) des passages des cahiers d'étudiants (parmi lesquels des cahiers

inconnus de Bally et Sechehaye) rapprochés, sur la base de l'analyse de

Godel, du texte de Bally et Sechehaye et (en colonne 6) des brouillons de

cours de la main de Saussure ainsi que quelques rares autres fragments de

textes autographes. Il est, de fait, bien difficile de lire, dans cette

édition, les minutes des leçons orales dans leur continuité. Il en va de

même des textes autographes. Le but de l'ouvrage est de permettre, partant

du texte du Cours de linguistique générale, et considérant des segmentations

très courtes de celui-ci, d'avoir accès aux textes originaux qui, selon

Godel, lui correspondent. Autrement dit : permettre d' "interpréter" des

passages problématiques du Cours de linguistique générale.

 

En bref, ce qui est d'une certaine façon barré par cette édition - alors

même qu'elle fournit les textes de tous les cahiers d'étudiants (14) et de

la quasi-totalité des trois cours (15) -, c'est l'accès aux leçons orales

considérées en elles-mêmes (c'est-à-dire l'accès au développement de

l'argumentation sur une leçon entière, sur un cours entier, voire sur les

trois cours).

 

B. Le paradigme des leçons orales et des autographes de Saussure comme

   oeuvre

 

J'en viens au second paradigme, celui des leçons orales et des autographes

de Saussure comme oeuvre.

 

a. Les leçons orales (autrement dit les trois cours genevois de linguistique

   générale)

 

Je laisse de côté des publications d'extraits, données principalement dans

les Cahiers Ferdinand de Saussure, et antérieures à 1968.

 

Au titre de ce paradigme, on peut mentionner, bien sûr, le Tome 1 de

l'édition Engler, - mais comme on l'a vu, bien que les textes y soient

présents, ils sont pratiquement illisibles, du point de vue de la logique

de leur continuité.

 

De fait, ce paradigme, appelé de leurs voeux par Meillet et par Godel, est

resté largement virtuel au cours du siècle : il aura fallu attendre 1993

pour que paraisse, sous forme de livre, la première édition (partielle) des

leçons genevoises dans leur continuité. Elle a été établie par E. Komatsu,

et concerne une partie du premier cours et le troisième cours. Outre

certains problèmes philologiques, cette édition se limite à un seul cahier

d'étudiant et ne comporte ni variantes, ni réel apparat critique, ni - ce

qui est plus handicapant - aucun système de correspondance permettant de la

rapprocher du texte de l'édition de 1968. Une édition partielle du deuxième

cours est parue - même éditeur (Komatsu) et même principe - en 1997.

 

Cette situation éditoriale nous a conduit à mettre en chantier ces dernières

années une édition critique qui procurera les trois sessions intégrales des

leçons genevoises de linguistique générale, dans leur continuité naturelle.

Un seul cahier d'étudiant - Riedlinger pour le premier cours, Constantin

pour le deuxième et le troisième cours - constituera à chaque fois le texte

de base, complété en notes de bas de page par des variantes significatives

issues des autres cahiers. Et, surtout, il y aura un appareil de

correspondance permettant d'utiliser, en complément de cette édition,

l'édition synoptique de 1968, pour avoir ainsi accès aux variantes de tous

les cahiers d'étudiants - et, du même coup, au Cours de linguistique

générale, si l'on veut s'y référer.

 

Les volumes de cette édition devraient paraître à la fin de l'année

prochaine. Ils figureront dans la Bibliothèque de Philosophie de Gallimard,

c'est-à-dire seront accessibles à un prix raisonnable.

 

b. Les écrits

 

Il y a d'abord des éditions fragmentaires d'écrits genevois, dans les

Cahiers Ferdinand de Saussure.

 

Il y a ensuite les fragments qui se trouvent en colonne 6 de l'édition

Engler de 1968.

 

Il y a surtout le second tome de cette édition, paru en 1974, consacré

exclusivement aux écrits de linguistique générale, qui reprend tous les

textes genevois disponibles à l'époque (16). Mais ce volume est conçu comme

une annexe au tome 1, et certains de ces écrits se trouvent de nouveau

fragmentés, avec renvoi à la colonne 6 du tome 1 pour les morceaux

manquants. Les écrits ne sont donc pas totalement lisibles dans leur

continuité.

 

Mentionnons encore de très rares écrits retrouvés à Genève dans les années

70 et 80, comme la "note sur le discours", publiés dans les Cahiers

Ferdinand de Saussure ; ainsi qu'une édition partielle par H. Parret,

toujours dans les Cahiers Ferdinand de Saussure des manuscrits de Harvard.

 

Et puis il y a eu la donation récente à la Bibliothèque publique et

universitaire d'un gros corpus d'écrits de linguistique générale retrouvés

récemment dans l'orangerie de l'Hotel de Saussure à Genève, dont un extrait

vient de paraître dans les Cahiers Ferdinand de Saussure.

 

Cette situation éditoriale et cette donation nous ont amenés, R. Engler et

moi, à préparer un volume procurant tous les écrits déjà publiés dans les

tomes 1 et 2 de l'édition critique de 1968-1974 (défragmentés cette fois),

les quelques écrits genevois publiés depuis, et surtout l'intégralité des

textes nouvellement découverts. Ce volume devrait paraître avant la fin de

cette année, ou début 2000.

 

Ainsi, si le développement du paradigme des leçons orales et des autographes

a été quelque peu chaotique au cours du siècle, on peut espérer qu'au XXI°

siècle ce paradigme accède à une meilleure reconnaissance. C'est l'un des

objectifs que s'est fixés l'Institut Ferdinand de Saussure, récemment créé,

qui entend soutenir également des travaux philologiques concernant les

autres aspects de l'oeuvre écrite du linguiste.

 

 

2. Pour illustrer le " retour à Saussure "

 

Pour terminer, quittant la pure philologie, je voudrais illustrer -

illustrer seulement, et très brièvement - ce que pourrait être un "retour à

Saussure" en terme de contenus.

 

Nous vivons probablement actuellement un tournant dans les sciences du

langage. Le XX° siècle a été celui de théories linguistiques fondées sur des

présupposés épistémologiques fortement liés au positivisme logique - ou

disons, moins restrictivement, à une approche logico-grammaticale du langage

(je reprends ici termes et contenus de la réflexion épistémologique que mène

depuis plusieurs années François Rastier, à laquelle je souscris largement).

On en arrive, lentement, aujourd'hui à réarticuler l'approche logico-

grammaticale à l'autre tradition des sciences du langage, qui depuis plus de

2000 ans considère le sens par l'autre bout de la lorgnette, si j'ose dire,

à savoir la tradition rhétorico-herméneutique.

 

Du côté logico-grammmatical, on est frégéen (on analyse la compositionalité

atomique du sens). Du côté rhétorico-herméneutique, on prend en compte une

approche non-frégéenne (on interprète l'agencement des atomes de sens sur

d'autres bases que leur compositionalité).

 

La pensée de Saussure a beaucoup servi à accréditer le paradigme logico-

grammmatical de ce siècle. Ce phénomène a été favorisé par le fait que les

éditeurs du Cours ont renchéri sur le caractère logico-grammatical de la

pensée saussurienne, pour lui conférer son statut unifié de programme

épistémologique. Le geste, ici, est lourd de conséquences ; et il est signé

par la dernière phrase du texte de 1916 - posant que la linguistique sera la

science de la langue et reléguant aux oubliettes l'importance qu'accordait

Saussure à ce qu'il appelait "linguistique de la parole".

 

Or, une réflexion sur la linguistique de la parole, c'était bien le projet

de Saussure pour la dernière partie de son ultime cours de linguistique

générale, une partie dont il avait annoncé le titre au début de l'année :

"la faculté et l'exercice du langage chez les individus" (17). C'était aussi

son projet pour le quatrième cours de linguistique générale. L'importance de

la linguistique de la parole apparaît encore dans la remise en question,

faite dans le troisième cours, de la distinction langue/parole sur le

chapitre de la syntaxe. Et elle apparaît encore dans la réaffirmation de la

dualité de la linguistique - dans le dernier texte autographe connu traitant

de linguistique générale, écrit en 1912 à l'occasion de la création de la

chaire de stylistique de Bally (18). Ainsi, s'appuyer sur la dernière

phrase, parfaitement apocryphe, du Cours - présentant la linguistique comme

science de "la langue en elle-même et pour elle-même" - revient à faire de

Saussure le héraut d'une conception des sciences du langage qui n'a jamais

été la sienne.

 

En effet, si la théorie saussurienne du signe traite bien d'un signe

compositionnel, finalement Saussure thématise la valeur linguistique de

telle sorte qu'il laisse largement ouverte la question du sens (ou de la

signification, ou de la référence des énoncés) : de sorte qu'à cette

ouverture, puisse correspondre le domaine de la linguistique de la parole,

qu'il concevait, contrairement à ce que laisse entendre la dernière phrase

du Cours, comme formant un tout avec la linguistique de la langue.

 

Aussi Saussure peut apparaître aujourd'hui comme le théoricien, non

seulement de la seule dimension logico-grammaticale du langage, mais encore

de sa dimension rhétorico-herméneutique. (Si l'on peut parler

d'herméneutique, regardant Saussure et regardant une science du langage

aujourd'hui, il ne s'agit pas, en l'occurrence, d'une herméneutique

métaphysique à la Heidegger, mais d'une herméneutique matérielle - fondée

sur une épistémologie des sciences du langage -, au sens que cette

expression de Schleiermacher a pu prendre dans des réflexions contemporaines

comme celle de P. Szondi ou de F. Rastier.)

 

De ce Saussure-là témoigne dans le corpus de textes inédits, une formulation

étonnante. Il s'agit d'un fragment qui peut être considéré comme une théorie

non plus du "signe de langue", mais du "signe de parole" - autrement dit,

une représentation du biface composé par un constituant phonologique (propre

à être conçu tout autant comme segmental que comme supra-segmental) et par

un "sens" qu'on peut dire "textuel", dans l'acception que Hjelmslev donnait

à ce terme, un sens ressortissant à une approche rhétorico-herméneutique de

nature à instancier les traits logico-gramaticaux qui le constituent :

 

             (Sémiologie =

morphologie, grammaire, syntaxe,

synonymie, rhétorique, stylistique,

lexicologie, etc.

.. le tout étant inséparable)

______________________________

             (phonétique)

 

Quelle que soit la date de rédaction de ce texte, on peut y voir l'esquisse

d'une conception de ce qu'en 1911 le professeur genevois proposera de nommer

signifiant et signifié, - mais ici la bifacialité du langage serait

envisagée non plus dans la tradition logico-grammaticale d'un théorie du

signe ; elle le serait au contraire dans la perspective

rhétorico-herméneutique d'une théorie du texte (19).

 

Je n'en dirai pas plus sur ce point, je voulais juste comme je l'ai dit,

illustrer brièvement l'intérêt de relectures de Saussure. Une relecture a

pu faire apparaître par exemple que la pensée saussurienne n'a pas seulement

présidé à la fondation du structuralisme, mais tout autant à celle de la

grammaire générative (20). D'autres relectures permettront peut-être, au

XXI° siècle, de découvrir dans les écrits et les leçons du professeur

genevois une inspiration pour une linguistique rhétorico-herméneutique -,

donnant raison à Rudolf Engler, sur une phrase duquel je terminerai mon

exposé : il parlait en effet, en juin dernier lors de l'inauguration de

l'Institut Ferdinand de Saussure, de "la vigueur d'une pensée qui, à l'image

du phénix, ne s éclipse que pour resurgir de plus belle".

 

 

Notes :

 

1. "A certains égards, écrit Milner, on peut affirmer que la linguistique

aujourd'hui n'est plus du tout saussurienne. Pour autant la tentative de

Saussure (...) oblige les linguistes à ne rien tenir pour évident ; ceux-là

mêmes qui s'en sont écartés devraient reprendre étape par étape l'itinéraire

théorique du Cours et affronter les objection, explicites ou implicites, qui

s'en déduisent." (" Retour à Saussure ", Lettres sur tous les sujets, Le

perroquet, p. 17)

2. Notamment : S. Auroux, "La notion de linguistique générale", Histoire

Epistémologie Langage, tome 10, fasc. II, 1988

3. S. Bouquet, Introduction à la lecture de Saussure, Payot, Paris, 1997

4. Il faudrait mentionner aussi de rares passages de travaux édités de

linguistique historique mentionnant des questions de linguistique générale.

5. Il faudrait ajouter ici les notes d'étudiants de quelques autres cours

genevois, pour quelques rares remarques de linguistique générale.

6. On trouvera la recension des textes saussuriens publiés dans les

Bibliographies saussuriennes de R. Engler, in : Cahiers Ferdinand de

Saussure n° 30 (1976), n° 31 (1977), n° 33 (1979), n° 40 (1986), n° 43

(1989), N° 50 (1997). - Cf. aussi mon article intitulé "Les deux paradigmes

éditoriaux de la linguistique générale de Ferdinand de Saussure", Cahiers

Ferdinand de Saussure n° 51, 1999, dont le présent article reprend une

partie du contenu.

7. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, publié par C. Bally et

A. Sechehaye avec la collaboration de A. Riedlinger, Lausanne-Paris, Payot,

1916 [Payot, Paris, 1995]

8. "Correspondance Bally-Meillet (1906-1932)" (R. Amacker et S. Bouquet,

éds.), Cahiers Ferdinand de Saussure, n° 43, 1989, p. 102-103

9. Ibid., p. 103-104.

10. In S. Bouquet,  Documents retrouvés dans les archives d'Antoine Meillet

au Collège de France", C.F.S. N° 40, 1986, p. 9.

11. P.-F. Regard, préface à Contribution à l'étude des prépositions dans la

langue du Nouveau Testament, E. Leroux, Paris, 1919, p. 6

12. Bibliothèque publique et universitaire de Genève, Papiers L. Gautier.

13. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par R.

Engler, tome 1, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1968 [Reproduction de

l'édition originale, 1989]

14. R. Godel, Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale de

Ferdinand de Saussure, Droz, Genève, 1957

15. Sauf le cahier Patois, non découvert à l'époque

16. A l'exception des parties indo-européennes de deux de ces cours

17. F. de Saussure, Cours de linguistique générale, édition critique par R.

Engler, tome 2 : Appendice, Notes de F. de Saussure sur la linguistique

générale, Otto Harrassowitz, Wiesbaden, 1974 [Reproduction de l'édition

originale, 1990]

18. Cours de linguistique générale/Edition Engler : 1.24.122

19. Cf. mon Introduction à la lecture de Saussure, notamment pp. 264-269 et

334-345.

20. Il n'est pas certainement inintéressant de trouver dans les noms qu'on a

cités pour commencer pour illustrer cette mouvance d'un "retour à Saussure"

des épistémologues de la grammaire générative, fer de lance de la

linguistique logico-grammaticale.

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