2001_12_18

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SdT volume 7, numero 7.

 

 

                                                                                LA CITATION DU MOIS

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             Grâce à la poésie, l'ordre des choses, épuré et rendu léger,

             libère les mots de leur obligation à les représenter.

                                                                                Sémir Badir

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                                                     SOMMAIRE

 

 

1- Coordonnees

             - Bienvenue a Dora Riestra, H.S. Gill, Anna Rahal, Martine

               Versel, Olivier Laugt, Jean-Louis Vaxelaire, Mehran

               Zendehboudi

             - Nouvelle adresse pour Regis Burnet

 

2- Carnet

             - Alain Herreman devient MdC en epistemologie a Rennes.

             - Association des Professionnels des Industries de la Langue

               (APIL)

             - Stage Le métier des archives dans l'environnement électronique

             - Precautions generales vis a vis des virus

 

3- Publications

             Theses et habilitations :

             - Regis Burnet : La pratique epistolaire chretienne au 1er et

                          2e siecle : de Paul de Tarse a Polycarpe de Smyrne

             - Jean-Louis Vaxelaire : Pour une lexicologie du nom propre

             - Driss Ablali : Le discontinu et le continu du texte :

                                          de Hjelmslev aux recherches cognitives

             - Simon Bouquet : Signes, jeux et genres. Relectures de

                           Saussure, Peirce, Wittgenstein et Bakhtine dans la

                           perspective d'une linguistique de l'interprétation

             - Mathieu Valette : Les linguistiques enonciatives et cognitives

                                            De Gustave Guillaume à Bernard Pottier,

                                            Maurice Toussaint, et Antoine Culioli.

             - Franck Neveu : Detachement et construction de la reference

             Ouvrages :

             - Maria Dolores Vivero Garcia :

                           El texto: teoria y analisis linguistico

             - Francois Rastier : Semantique et recherches cognitives

                                                     (Seconde edition augmentee)

             Et les nouveautés sur le site Texto!

 

4- Textes

             - Bruno Schulz : La mythification de la realite

 

5- Appels : Colloques et revues

             - "text-e - Ecrans et réseaux, vers une transformation du

                rapport à l'écrit ?", sur Internet, octobre 2001 - mars 2002.

             - Journée Conscila "Les formes sémantiques, du mot au texte"

               1er février 2002, Paris. (Résumés des communications)

                          

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BIENVENUE AUX NOUVEAUX ABONNÉS

[information réservée aux abonnés]

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{FR, 10/12/2001}

 

BONNE NOUVELLE

 

Alain HERREMAN vient d'obtenir un poste de maître de conférence en

épistémologie et histoire des sciences à l'université de Rennes.

 

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{FR, 13/12/2001}

 

Sur le haut de l'APIL

 

Nous sommes heureux de vous annoncer la création de l'Association des

Professionnels des Industries de la Langue (APIL). Comme son nom

l'indique, l'APIL regroupe les personnes qui oeuvrent dans le domaine

des industries de la langue (notamment, ceux qui sont en contrat CDI,

CDD, indépendants... auprès des industriels, producteurs ou

utilisateurs).

 

Les objectifs de l'Association sont :

* l'information des professionnels (nous avons mis en place un forum à

cet effet) ;

* la structuration des métiers (nous avons commencé une description des

métiers des industries de la langue) ;

* l'aide à l'emploi (nous mettrons en place bientôt une bourse d'offres

dans le domaine).

 

Pour mieux nous connaître, vous pouvez aller sur le site de

l'association

             www.apil.asso.fr

 

En espérant vous compter bientôt parmi nos membres,

Apilement votre Lionel STOUDER

 

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{Chabin 03/12/2001}

 

STAGE

 

Archive 17 propose deux nouvelles sessions du stage

 

"Le métier des archives dans l'environnement électronique"

 

Date et lieu :

lundi et mardi 11-12 février 2002 à Paris (lieu à préciser ultérieurement)

mardi et mercredi 9-10 avril 2002 à Paris (lieu à préciser ultérieurement)

 

Pour recevoir le programme détaillé et le formulaire d'inscription,

ou pour toute question, contacter Marie-Anne Chabin :

             tél. 01 43 49 42 62

             marie-anne.chabin@archive17.fr

 

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{FR 05/12/2001, BP 12/12/2001}

 

VIRUS

 

Eh oui, les abonnés SdT en rencontrent aussi. Les uns s'inquiètent d'en

avoir transmis malgré eux, les autres font part d'alertes et

d'instructions thérapeutiques détaillées.

 

Contentons-nous ici de rappeler les précautions générales de base :

 

- ne jamais ouvrir de pièce jointe, surtout celles annoncées par un

message vide, incohérent ou en anglais (et que ce n'est pas la langue

habituelle du correspondant qui vous l'envoie), et à l'intitulé

mystérieux ou aguicheur. Ou au moins, tourner 7 fois sa souris sur le

tapis avant de cliquer.

 

- corollaire : désactiver l'option HTML du courriel, et toute autre

option qui ouvre automatiquement les fichiers.

 

- mettre régulièrement à jour son anti-virus (au moins une fois par

mois). Cela se fait généralement via internet, sur le site du

fournisseur d'anti-virus.

 

- savoir qu'on est particulièrement vulnérable et redoubler de prudence

(ou changer d'équipement) si on est sur Outlook ou/et sous Windows

95/98/2000.

 

- et pour tous les échanges avec la liste, merci d'éviter les pièces

jointes. Par exemple, si l'annonce que vous voulez transmettre se

présente comme un .doc ou un .rtf, enregistrez-la en texte seul (.txt)

et/ou faites-en un copier-coller dans le corps de votre message.

 

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{FR, 10/12/2001}

 

AUTOMNE, SAISON DES BELLES THÈSES

 

Régis Burnet

 

                La pratique épistolaire chrétienne au 1er et 2e siècle :

                           de Paul de Tarse à Polycarpe de Smyrne

 

 

Hautes Etudes, section des Sciences religieuses.

Soutenue le 24 novembre 2001.

 

Jury : François Rastier (DR CNRS), Louis Panier (directeur du CADIR à

Lyon), Alain Le Boulluec et J.-D. Dubois (professeurs aux H. Etudes),

J.-P. Lémonon (professeur de à l'université catholique de Lyon).

 

Position de thèse :

 

Qui ne serait d'accord pour reconnaître qu'au sein du genre épistolaire,

les épîtres du premier christianisme, qui mêlent le corpus des épîtres

néo-testamentaire (épîtres de Paul, de Jacques, de Jude, de Jean, de

Pierre, Épître aux Hébreux) et les écrits des "Pères apostoliques"

(épîtres d'Ignace d'Antioche, de Clément de Rome, de Barnabé et de

Polycarpe) forment un ensemble bien déterminé et autonome ? En ion de l'orthodoxie, qui occupera les

écrits suivants du christianisme.

 

Or, malgré l'évidente unité du corpus, bien peu de travaux

l'envisagèrent dans son ensemble. Deux raisons à ce fait. La première

tient à la clôture du Canon des Écritures qui trace une partition nette

entre écrits canoniques et écrits non canoniques et déprécie les écrits

non canoniques. Ceux-ci se voient confiés à des patrologues, tandis que

l'étude des textes canoniques demeure le domaine réservé des exégètes.

Chacun revendique ses usages disciplinaires, ses méthodes de lecture et

sa perspective historique. La seconde tient à la personnalité de Paul de

Tarse qui écrase de son importance le champ des études épistolaires

chrétiennes. Dans l'opinion des commentateurs, cette influence

prépondérante ravala au rang de simples imitateurs ceux qui prétendaient

écrire des lettres après l'apôtre, qui jouit du privilège de

l'ancienneté et passe pour l'inventeur du genre épistolaire chrétien. On

trouve dans tous les manuels d'introduction au Nouveau Testament le

préjugé suivant qui fait de Paul l'épistolier par excellence : Paul, ne

pouvant faire autrement (a), a écrit des lettres personnelles (et non

des épîtres publiques) (b) et a fait du genre épistolaire, dont il

hérite et qu'il christianise (c), un moyen privilégié d'évangélisation

(d), marquant ainsi durablement la pratique épistolaire chrétienne (e).

 

À la vérité, cette phrase recèle dès son énoncé une série de

contradictions. Comment concilier (a) et (d), la conception de la lettre

comme pis-aller et celle de la lettre comme méthode par excellence de

l'évangélisation, comment l'apôtre aurait-il pu à la fois se défier de

la lettre et lui confier son apostolat ? De même, comment croire que

Paul écrit des lettres privées (b) alors qu'il les adresse à des

communautés entières ? En outre, qu'il y a-t-il donc de commun entre les

vastes lettres pauliniennes et les courtes missives usuelles dans

l'Antiquité ? Plutôt que d'admettre qu'il christianise (c) le genre

épistolaire, ne faut-il pas imaginer qu'il change purement et simplement

de genre ? Enfin, en lisant les longs sermons que représentent l'Épître

aux Hébreux ou l'Épître de Jacques ou bien en consultant les brèves

lettres johanniques, comment peut-on prétendre que Paul eut des

continuateurs (e) ?

 

Pour étudier les écrits épistolaires du premier christianisme, il faut

donc résister à l'habitude acquise ; refuser de morceler le corpus en

deux et de l'interpréter à l'aune du seul Paul.

 

Une première voie d'exploration consiste à interpréter le corpus au sein

même de son contexte de production, de le rapporter au genre dominant de

l'époque, la rhétorique, et de le comparer à l'épistolaire antique.

Cette double confrontation occupe la recherche contemporaine -avec la

rhétorique et avec le genre épistolaire. Malgré des résultats probants

dans chacune des branches, l'union des deux perspectives aboutit à un

résultat contradictoire dont les chercheurs prennent conscience depuis

quelques années. En effet, en cherchant, d'une part, à confronter les

écrits chrétiens avec les traités de rhétorique, on parvient certes à

les diviser en narrationes, probationes, suasiones, mais on contribue

surtout à les envisager comme des discours ou des plaidoiries mises par

écrit : que devient leur spécificité et pourquoi parler encore de

"lettres" ? D'autre part, en rapportant la pratique chrétienne à

l'épistolographie grecque, romaine et juive, on s'aperçoit vite qu'elle

n'obéit pas aux règles très précises théorisées dans les manuels et

observables dans la pratique, qui les voudraient brèves et simples : les

voilà menacées dans leur existence épistolaire, puisque détachées de

leur parenté.

 

Face à ces apories, nous entendons revenir au corpus pour rechercher ce

qui le définit en le rapportant à son trait dominant. La spécificité des

épîtres du premier christianisme réside avant tout dans la radicale

nouveauté de leur énonciation. Il ne s'agit plus comme dans certaines

lettres philosophiques par exemple de faire appel à la raison présente

en chaque homme pour lui faire reconnaître la validité d'un discours

issu des seules capacités de l'esprit humain mais de lui proposer un

message qui se réfère à une "parole" non humaine. Toutes les lettres

prétendent communiquer la Bonne Nouvelle (l'Évangile) du salut réalisé

en Jésus Christ et définir les comportements nouveaux qu'impose cette

Révélation. Toutes se posent en médiatrices de cet Évangile compris dès

l'origine comme une parole communiquée non d'homme à homme, mais de Dieu

à l'homme. La particularité de l'énonciation chrétienne réside dans

cette disproportion consciente, et pour ainsi dire mise en scène, entre

une parole issue de la transcendance et une mise en discours humain.

L'épistolaire s'établit sur l'aveu initial de la subordination du moi à

la parole créatrice qui a précédé de toute éternité la parole privée.

Pourquoi avoir choisi la lettre et par quels moyens épistolaires réussir

cette mise en texte d'un Évangile compris pour dépasser celui qui

l'énonce ?

 

Cette interrogation fondamentale, que l'on pourrait dire de "pragmatique

épistolaire" se double d'une seconde question de critique génétique.

S'il est vrai que Paul fut le premier à réaliser cette "mise en lettre"

de l'Évangile, il convient de se demander en quoi cette nouvelle

utilisation de la lettre actualisa des potentialités déjà exprimées dans

l'usage épistolaire précédent, et comment, ensuite, elle fut prolongée

ou récusée. Paul invente-t-il ex nihilo la lettre chrétienne et comment

ses successeurs ont-ils poursuivi et remis en cause l'usage qu'il en

fait ?

 

Le corpus épistolaire chrétien fournit donc un cas pratique idéal pour

vérifier la théorie de la genèse des genres : le genre littéraire, que

l'on peut définir comme une classe de textes entretenant une parenté de

forme et de contenu, ne fait que codifier un acte de parole ; une

utilisation particulière de la langue sert de modèle à d'autres textes

qui suivent plus ou moins les façons de faire mises en oeuvre par le

premier texte. Paul crée-t-il ses propres règles ou se contente-t-il de

modifier des règles existantes ? Ses successeurs suivent-ils les règles

qu'il a créées, les durcissent-ils ou en adoptent-ils d'autres ?

 

Les deux questions, celle de l'énonciation épistolaire et celle de la

génétique des genres, ne forment à vrai dire qu'une seule interrogation

littéraire formulée à deux niveaux, celle de la genèse et de l'évolution

d'un sous-genre épistolaire, qui ne se définit pas seulement par des

différences de forme, mais également par son énonciation.

 

Après avoir analysé les théories épistolaires modernes et antiques et

les avoir rapportées aux lettres chrétiennes, la recherche peut parvenir

à quelques résultats, et au moins répondre au préjugé sus-mentionné.

Tout d'abord, après avoir procédé à l'analyse des théories rhétoriques,

elle peut conclure à son inutilité dans la recherche d'un modèle de

fonctionnement épistolaire. Ensuite, s'intéressant à l'affirmation (b)

qui provient directement de la distinction entre Epistel et Brief

adoptée au siècle dernier par Adolf Deißmann, elle montre sa fécondité -

mettre sur la voie de l'autonomie épistolaire chrétienne-, mais démontre

en même temps qu'elle ne possède pas suffisamment de précision pour

caractériser la diversité de la pratique chrétienne. Quant à

l'affirmation (a), qui voit dans la lettre un substitut imparfait de

l'évangélisation orale, elle mérite d'être révisée. L'apôtre Paul

indique lui-même qu'il envisage la lettre comme un choix positif qui lui

permet de transmuter la tristesse d'une entrevue tumultueuse en une joie

et une preuve de l'amour qu'il porte à ses communautés. En outre,

l'ampleur des ressources textuelles qu'il met en œuvre pour faire de ses

écrits les vecteurs de sa présence -et partant de son autorité- en font

des oeuvres profitables, bien éloignées des pis-aller dans lesquels veut

les enfermer une vision pessimiste de l'usage épistolaire.

 

Certes un tel usage de l'écrit ne va pas de soi. La part d'invention de

Paul dépasse le stade de la simple "christianisation" de l'affirmation

(c), si du moins on entend par là la substitution de formules

christiques au souhait de bonne santé habituel dans l'épistolaire

antique. Les lettres pauliniennes bouleversent la pratique antique qui

fait de ces textes le lieu de la construction d'un ethos énoncé

permettant de faire de la figure de l'apôtre celle d'un homme sans

qualité qui laisse transparaître en lui la puissance divine. Seule cette

irruption de la subjectivité -mais d'une subjectivité informée par Dieu-

permet une conception de l'imitation et fait de la lettre un moyen de

construire un modèle à imiter (cf. affirmation (d).

 

L'affirmation (e), enfin, doit être entièrement révisée.Comment

prétendre que Paul marque durablement l'épistolaire chrétien, quand on

peut constater que ses successeurs ne respectent plus totalement sa

pratique ? Certes, ils imitent le formulaire et toutes les marques

extérieures coutumières à l'apôtre. Cependant, ils font déjà de Paul une

simple figure d'autorité et ne respectent plus les techniques textuelles

de construction de l'ethos énoncé.

 

Les autres lettres chrétiennes n'ont rien de paulinien. Ou bien elles

reviennent à la pratique d'avant Paul comme 2Jn ou 3Jn, ou bien comme

1P, elles adoptent la façon de faire des pastorales, celle d'une

pratique post-paulinienne. Ou bien elles inventent une nouvelle forme,

la lettre mémoriale, qui place l'émetteur dans la position d'une

instance de remémoration dont le prestige vient affermir la fonction. Il

n'est guère qu'Ignace d'Antioche à se rapprocher de l'apôtre, tant par

la forme que par la construction de sa propre figure.

 

L'analyse de l'épître de Polycarpe de Smyrne, enfin, conforte in fine

les options prises au début concernant la constitution du corpus. Avec

elle, les écrits chrétiens changent de régime : oeuvre de commentateur,

oeuvre de lecteur, elle se détache de la pratique épistolaire du premier

christianisme pour annoncer les écrits des Pères apologistes.

 

Prétendra-t-on alors, qu'à cette seule exception ignacienne, Paul n'a eu

aucune influence sur la littérature chrétienne ? L'enquête, qui insiste

sur la civilisation de l'oralité qui baigne ces écrits, ne saurait

mésestimer l'importance de l'apport paulinien : Paul est le premier

chrétien dont un écrit soit conservé. En écrivant, Paul se veut-il le

gardien des traditions ? Certes, l'apôtre fait état quelquefois d'un

kérygme et cite des éléments appartenant à la tradition de l'Église

naissante. Cependant, il reste très allusif sur ce qui pourrait

constituer une sorte de "catéchisme paulinien" : le contenu de ses

prédications dans les communautés. Au contraire, ses lettres renvoient

au moment de l'évangélisation, comme moment séminal et font assez peu

allusion à un système constitué qu'elles auraient en charge de

conserver.

 

L'événement qu'il s'agit de rappeler et de rendre présent est celui de

la première rencontre avec la prédication paulinienne, la première venue

de l'apôtre face à ses communautés. La première confrontation, non

répétable, avec la parole divine constitue en quelque sorte l'événement

constitutif de l'être chrétien : il contient en lui-même toutes les

potentialités de la vie future et possède cette étrange particularité,

que sa seule mention suffit à faire adopter une conduite juste et une

pensée droite. Sans doute convient-il de lier cette confrontation

originaire avec le baptême : Église, souviens-toi de ton baptême, répète

Paul, car il te sauve dans le futur, mais également dans le passé ; te

sachant sauvé, tu ne saurais mal de te comporter. Pour Paul, le but de

la lettre consiste à "rejouer" la confrontation primitive avec la Parole

et de remémorer les conditions de ce rappel en créant une manière de

représentation de cette communication par le médium épistolaire, dans

laquelle se suscite une présence de l'apôtre et de ces communautés. Non

seulement cette image rappelle l'événement fondateur de l'être chrétien,

mais elle recrée aussi les conditions d'énonciation de cette parole

fondatrice. Les lettres de Paul entretiennent bien des parentés avec la

complexe figure de l'hypotypose si délicate à définir. Comme elle, elles

cherchent à créer des tableaux frappants faits de papier (plus

exactement de papyrus) et d'encre, comme elle, elles font appel à tous

les sens du lecteur. Comme elle, surtout, elle croit aux pouvoirs de

l'écriture et à son efficacité : on peut faire des choses avec des mots

et un texte écrit peut autant modifier l'ordre du monde qu'un geste.

 

La situation est tout autre pour les pseudépigraphes, puisqu'il ne

s'agit plus seulement de réussir une nouvelle confrontation à l'évangile

oral, mais de s'appuyer sur la transmission ecclésiale du message de

l'apôtre que l'on imite. L'objet de la remémoration devient donc la

bonne éducation chrétienne, le message de l'apôtre ainsi que ce qui

risque de se perdre : l'image que l'apôtre a laissée de lui-même. Le

lecteur arpente le domaine de la commémoration, du souvenir que l'on

recherche et que l'on construit, en fournissant quelques lignes, à

charge au lecteur de combler les manques par son propre effort

intellectuel. Ainsi s'explique ce fait souvent relevé : la figure de

l'apôtre des pseudépigraphes demeure souvent allusive et son message

tracé à grands traits ; seuls importent les éléments pertinents, les

lignes de force, les éléments nouveaux issus d'une nouvelle

compréhension du monde. Pour le lecteur, il n'est que de faire appel à

son propre fonds de souvenirs et de sa propre expérience pour "remplir

les blancs" du texte. L'anamnèse fait de l'épître une de ces "machines

paresseuses" chères à Umberto Eco : se fondant sur un savoir préalable,

elles ne contiennent que la juste dose d'information nécessaire à la

compréhension de leur propos, qui sont les éléments nouveaux,

actualisés.

 

Il en va de même pour Barn et 1Clem, qui s'appuient sur du déjà connu.

Leur visée étant pédagogique, il leur appartient de mettre clairement en

lumière les éléments les plus importants : leur "recompréhension"

s'affirme avant tout comme une réévaluation du pertinent, objet de leur

insistance. Ils n'ont plus la prétention de transmettre une figure,

seuls leur importent l'enseignement et la tradition.

 

1Jn va encore plus loin : en présentant l'énonciateur sous la double

figure de celui qui reçoit un souvenir et de celui qui le retransmet en

le reformulant dans un commandement ancien-mais-nouveau, la lettre met à

nu les mécanismes littéraires de l'anamnèse : elle présente une anamnèse

qui se fait.

 

La manière d'Ignace, enfin, s'apparente beaucoup à celle de l'Apôtre des

Nations. D'ailleurs, ses fréquents tableaux le peignant en martyr,

quitte à employer un matériau intertextuel, ne sont-elles pas très

exactement des hypotyposes ? Pourtant, la structure anticipative de ses

lettres leur confère une autre signification. Ces hypotyposes  créent le

souvenir dont elles sont le signe. Il ajoute au rappel de la doctrine le

souvenir d'un comportement vertueux dont il est lui-même l'image et, ce

faisant, se sent appelé à orchestrer sa propre souvenance. De tous les

auteurs de notre corpus, Ignace manifeste le plus de sens littéraire :

il a en effet compris que la mise en discours ne reproduit pas la

réalité, mais représente une certaine forme de réalité, une forme

maîtrisée, interprétée, et qu'à la limite, une nouvelle forme de réalité

peut être créée littérairement.

                                        ____________________

 

Jean-Louis Vaxelaire

 

                           Pour une lexicologie du nom propre

 

Thèse de doctorat soutenue le 26 novembre 2001 à l'université Paris VII.

 

Résumé :

 

 

On assiste depuis quelques années à un regain d'intérêt pour le nom

propre en linguistique. Les conclusions générales nous semblent

toutefois insatisfaisantes : son sens ne serait que pragmatique, il ne

relèverait pas du dictionnaire mais de l'encyclopédie et, enfin, il ne

ferait pas partie du lexique mais d'un onomasticon.

 

Il est vrai que le nom propre dépend avant tout d'une distinction

d'ordre logique, mais nous désirons, dans cette thèse, replacer son

étude dans un cadre strictement linguistique car les mots que nous

analysons sont, avant d'être des noms propres, des noms.

 

Nous proposons dans un premier temps d'observer les traits

caractéristiques du nom propre (prétendus ou réels) et de présenter une

définition en extension car la catégorie ne se limite pas aux seuls

anthroponymes et toponymes. Dans un second temps, nous cernons son

contexte épistémologique : une vision claire de l'histoire du nom propre

doit nous permettre d'accéder à une compréhension plus juste. Il ressort

finalement de cette étude que la sémantique interprétative permet un

traitement novateur et pertinent du nom propre.

 

                                        ____________________

 

Driss Ablali

 

                           Le discontinu et le continu du texte :

                           de Hjelmslev aux recherches cognitives

 

Thèse de doctorat sous la direction de Michel Arrivé.

Soutenue le 27 novembre2001 à l'université de Paris-X-Nanterre.

 

Notre thèse s'inscrit dans le cadre de l'épistémologie sémiotique,

notamment de l'épistémologie du texte.

 

La question du discontinu et du continu est loin d'être un problème

nouveau. Mais elle reste à tout égard centrale : par son ancienneté,

puisque sa formulation remonte à la philosophie grecque, depuis

Pythagore, les Eléates et Aristote ; par sa permanence, puisqu'elle n'a

jamais cessé d'occuper le haut du pavé de disciplines aussi différentes

que la philosophie, les mathématiques, la logique, la physique, la

psychologie et, aujourd'hui, les recherches cognitives ; par son

actualité, puisqu'elle est aujourd'hui au centre des préoccupations des

linguistes, des cogniticiens et des sémioticiens. Et ce n'est donc pas à

ces questions d'ancienneté et de permanence, aussi importantes

soient-elles, que l'on s'efforcera de répondre, mais plutôt à celle de

l'actualité. Son actualité en sémiotique dans l'analyse de la

signification des textes.

 

La sémiotique comme une discipline parmi tant d'autres en sciences du

langage a vécu dans l'épistémè structuraliste, celle du discontinu. Ses

seuls objectifs étaient les actions et les transformations du texte,

sans se soucier de la nature de ces opérations. Mais depuis le début des

années 90, le continu a permis à la sémiotique d'éviter les

ressassements et l'immobilisme en remettant en question l'autonomie du

langage, il a conduit les recherches vers l'"allonomie", pour reprendre

une expression de J.Fr. Varela, vers la perception, l'intentionnalité,

le corps et la cognition. Mais ce n'est pas parce que la sémiotique peut

être mise au nombre des recherches cognitives, avec les travaux de

J. Petitot, P.A. Brandt, J. Fontanille et P. Ouellet, qui donnent plus

de dynamique -c'est le mot en vogue ces derniers temps-, à l'heuristique

sémiotique, qu'on doit faire tabula rasa de l'immense puzzle de la

sémiotique du discontinu. Voilà ce qui justifie les deux axes retenus

par cette étude, Hjelmslev, d'un côté, comme le point de départ de la

sémiotique du discontinu, et les recherches cognitives, d'un autre,

comme ce qui va pousser la sémiotique à lever les yeux au-delà du texte,

au-delà des réalités discrètes et observables.

                                        ____________________

 

Simon Bouquet

 

                                        Signes, jeux et genres

             Relectures de Saussure, Peirce, Wittgenstein et Bakhtine

             dans la perspective d'une linguistique de l'interprétation

 

Habilitation à diriger des recherches,

Université Paris X Nanterre, 1er décembre 2001.

 

Résumé :

 

Ce mémoire présente deux synthèses, d'inégale longueur.

 

La première sacrifie aux règles du genre en présentant un parcours

intellectuel, éclairé sous le jour de la pluridisciplinarité qui en est

un caractère récurrent (recherches philologiques et recherches

théoriques ; linguistique et épistémologie ; pluridisciplinarité

également au regard des champs de la linguistique). 

 

La seconde synthèse -l'essentiel, en volume- est une réflexion sur

l'épistémologie des sciences du langage et la philosophie du langage

dans la perspective d'une linguistique de l'interprétation. Cette

réflexion trace un double horizon : d'une part, l'horizon rétrospectif

d'une lecture d'auteurs abordant, dans des cadres divers, la question du

sens : Saussure, Peirce, Wittgenstein, Bakhtine ; d'autre part,

l'horizon prospectif que cette lecture permet de dessiner. Ce double

horizon se projette à partir d'une position fondamentalement

présentiste, entendant lire des textes du passé en fonction de

problèmes, de questions et d'irrésolutions des sciences du langage

aujourd'hui, avec lesquelles ces textes peuvent entrer en dialogue.

 

Le chapitre premier "Paradigmes contemporains et disciplines : des

sciences cognitives à une linguistique de l'interprétation" analyse les

questions et les irrésolutions du paradigme des sciences cognitives dans

la deuxième moitié du XXe siècle. Le propos de ce chapitre est de mettre

en évidence, relativement à ce mouvement de l'histoire contemporaine des

idées, et plus particulièrement à l'histoire des conceptions du langage,

l'existence d'un autre paradigme, celui des sciences de

l'interprétation, confronté au précédent selon deux raisons :

(1) l'échec du cognitivisme orthodoxe à prendre en compte les dimensions

interprétatives (historique, affective, intersubjective) du sens ;

(2) la nécessité d'articuler entièrement les sciences de

l'interprétation aux acquis des sciences cognitives.

 

Le chapitre 2 "Saussure : une sémantique inachevée" a pour but de

montrer que le programme épistémologique saussurien reste inachevé,

regardant une théorie du sens, sur deux points distinguables : sa

conception d'une sémiotique de la langue et sa conception d'une

sémiotique de la parole. L'examen des textes originaux (notes de cours

et écrits du linguiste) permet de préciser comment cet inachèvement est

occulté dans le Cours de linguistique générale et comment, à cet égard,

la présentation par Bally et Sechehaye de la linguistique comme "science

de la langue en elle-même et pour elle-même" est non seulement apocryphe

mais encore diamétralement opposée à la vision de Saussure.

 

Le chapitre 3 "Une sémiotique peircienne de la langue saussurienne"

propose de compléter le premier inachèvement de la sémantique

saussurienne. L'objet de ce chapitre est de réinscrire la linguistique

de la langue, telle qu'elle est définie par Saussure, dans une

perspective sémiotique générale requise par Peirce. Cette réinscription

revient à esquisser une typologie des grammaires, illustrée et justifiée

par des phénomènes linguistiques dont la description aura, pour

certains, pris forme de manière plus précise au cours du XX° siècle.

 

Au chapitre 4, "Wittgenstein : de la logique des jeux à une linguistique

des genres", la réflexion de l'auteur des Investigations philosophiques

sur les jeux de langage est envisagée comme soutenant un programme

épistémologique rejoignant celui tracé par Mikhaïl Bakhtine dans son

article posthume "Les genres du discours". L'argument soutenu est que ce

programme, en ce qu'il définit un fondement philosophique pour une

linguistique de la parole, permet de compléter le second inachèvement de

la sémantique saussurienne.

 

En conclusion, le chapitre 5 "Perspective pour une linguistique de

l'interprétation" esquisse ce que pourrait être une sémantique assise à

la fois sur l'épistémologie programmatique saussurienne et sur les

principes posés, dans des optiques différentes, par Peirce, Wittgenstein

et Bakhtine. Cette sémantique, dont la visée entend être strictement

différentielle, se fonde sur une dualité sémiotique -analysée par

François Rastier comme celle des traditions logico-grammaticale et

rhétorique/herméneutique dans l'histoire des sciences du langage- érigée

ici en dualité descriptive et méthodologique.

                                        ____________________

 

Mathieu Valette

 

                           Les linguistiques énonciatives et cognitives.

                           De Gustave Guillaume à Bernard Pottier,

                           Maurice Toussaint, et Antoine Culioli.

 

Jury : Michel Arrivé (directeur), André Dedet, François Rastier,

Olivier Soutet, Francis Tollis.

 

Soutenance le 19 décembre 2001 à 14h30, à l'Université Paris X-Nanterre,

Bât. B, Salle B15.

 

Si l'on trace à grands traits l'histoire des linguistiques ayant pour

objet l'énonciation, on distingue deux faits marquants : en premier

lieu, on songe à la publication en 1916 du "Cours de linguistique

générale", où il est arrêté que la langue est le seul et unique objet de

la nouvelle science, au détriment de la parole, mais aussi de la pensée,

objet de la psychologie. Les théories de l'énonciation sont nées d'une

critique de cette position. Puis, au tout début des années 60, la

problématique est réévaluée à l'aune de nouvelles conceptions issues des

travaux cybernétiques. Il s'agit alors de modéliser et de simuler l'acte

de langage, et non plus de le décrire. En distrayant de la pensée sa

dimension proprement cognitive pour la reverser à la langue et en

articulant énonciation et cognition en un système homogène, la

"psychomécanique du langage" élaborée par Gustave Guillaume (1883-1960)

dans les années 40 préfigure cette rupture paradigmatique, tout en

faisant le lien avec l'ancienne tradition. À partir d'un travail de

relecture reposant sur un corpus composé d'articles, de conférences,

mais aussi de brouillons et de réflexions inédites, nous entendons

rendre compte de cet effort de problématisation et de théorisation de la

relation langue/pensée. Il s'agit de reconstruire les positions de G.

Guillaume de façon à en dégager les aspects novateurs et susceptibles

d'avoir fécondé les recherches de ses héritiers, directs ou indirects.

On proposera d'illustrer la portée de cet héritage par le truchement de

trois théories énonciatives et cognitives françaises dont les auteurs

appartiennent à la première génération post-guillaumienne : la théorie

des opérations énonciatives d'A. Culioli, la sémantique énonciative

conceptuelle de B. Pottier et la neurolinguistique analytique de

M. Toussaint.

                                        ____________________

 

{Neveu, 22/11/2001 et FR, 13/12/2001}

 

Franck Neveu

 

                           Détachement et construction de la référence

                                        Aspects de la syntaxe détachée

             et autres questions de grammaire pour l'analyse des textes

 

Habilitation, soutenue à Nancy 2, le samedi 8 décembre 2001.

 

Jury : Denis Apothéloz, Bernard Combettes, Danielle Leeman,

Michèle Noailly, François Rastier, Jacques-Philippe Saint-Gérand.

 

Résumé :

 

Premier parcours

 

La perspective théorique et méthodologique adoptée dans la première

partie (Le texte comme observatoire et institution de la langue)

s'inscrit dans le sillage des études (principalement celles représentées

dans les travaux de François Rastier) portant sur la problématique

rhétorique/herméneutique, où le texte est pensé comme l'unité

linguistique fondamentale, conditionnant l'accès aux unités de rang

inférieur, et elle-même déterminée par l'unité supérieure qu'est le

corpus (objet construit, et non pas donné) . Dans cette perspective,

suivant le principe herméneutique selon lequel le niveau global de

l'énoncé détermine le niveau local, le contexte, défini comme une zone

de localité (un passage) dans un texte, ne saurait avoir une fonction

d'attestation (validation) ou de modification (déformation) du type par

l'occurrence, car les types sont nécessairement reconstitués à partir

des occurrences , c'est-à-dire à partir de la matérialité du discours.

Il ne s'agit donc pas dans ce cadre d'étude de décrire la langue sur la

base d'un rapport explicatif entre des faits linguistiques et leur

idéalisation. À tout le moins peut-on légitimement envisager

d'entreprendre, à partir d'une telle dialectique, l'épistémologie

critique d'une science du langage fondée sur le parallélisme logico-

grammatical, et sur l'ontologie statique qu'il suppose. Le contexte a en

fait une fonction d'institution des unités de langue, celles-ci étant

identifiées formellement et sémantiquement par des parcours

interprétatifs effectués à l'intérieur d'un texte. Si bien que

l'actualisation -donc la réalité- des unités linguistiques ne peut être

saisie en dehors du processus interprétatif, et qu'un segment de mément au cadre théorique précédemment évoqué, on y

expose la relativité ontologique des notions linguistiques utilisées

dans le cadre de la catégorisation des unités de la langue, notions

nécessairement déterminées par un poste d'observation. Saisir le fait

dans le continuum textuel où il a été isolé, c'est, même au prix d'une

indécidabilité provisoire de l'analyse, se donner une chance de décrire

un fragment de réalité, et par là même rendre possible une

reconfiguration des niveaux d'analyse de la langue. Ignorer cette

relativité ontologique, c'est en rester au niveau des idéalités

linguistiques, qui ne peuvent s'épanouir que dans la description d'une

langue imaginaire.

 

En marge de ces travaux, cette partie développe également des analyses

consacrées à la problématique typologique telle qu'elle a été abordée en

linguistique textuelle, entre autres, chez Jean-Michel Adam, et François

Rastier (3. Typologie textuelle et description syntaxique). Plus

particulièrement, on expose ici un mode d'exploitation des

superstructures textuelles (ou types macrosémantiques) et de leur

organisation séquentielle et propositionnelle, dont les normes et

régularités, en dépit de l'hétérogénéité des orientations

communicationnelles qui peut se manifester dans un texte, permettent

d'identifier, de décrire, et d'expliquer le fonctionnement de certaines

structures syntaxiques. Ces analyses ont été exploitées principalement

dans le cadre d'une recherche portant sur la syntaxe et la sémantique

des constructions appositives en français, où les types macrosémantiques

ont servi à l'étiquetage des constructions dans le corpus et à leur

étude quantitative.

 

Enfin, entre dans le champ d'application de la problématique du texte

pris comme observatoire et institution de la langue la question de la

structure linguistique du texte littéraire, et plus spécifiquement la

question du style (4. Singularités linguistiques du discours et

contraintes génériques : la notion d'idiolecte et son rendement dans les

sciences du langage). L'entrée dans la notion de style ne peut être

aussi aisée du point de vue linguistique que du point de vue littéraire.

Les réticences de la linguistique à se saisir de l'objet style -dont la

problématique semble pourtant intéresser directement les sciences du

langage- s'explique par le très tardif engouement de ces mêmes sciences

pour le problème épistémologique du contexte, et pour la question du

statut de l'interprétation dans l'analyse. Il y a là une véritable

difficulté, car les déterminations linguistiques qui affectent une

séquence textuelle susceptible de faire l'objet d'une description

stylistique, ou d'une évaluation partielle formulée en termes d'effets

stylistiques, pèsent en fait sur toute forme de production énonciative.

Et tout particulièrement les déterminations du composant idiolectal du

discours, c'est-à-dire les déterminations individuelles produites par le

régime singulier d'un énonciateur mis au contact d'une situation.

L'idiolecte, dont on fait le point nodal du style, doit être pourtant

tenu plus largement pour un composant nécessaire de la parole. L'intérêt

pour les sciences du langage d'une réflexion sur l'idiolecte (littéraire

ou non, autrement dit quel que soit son degré de systématicité) est de

mettre en débat, comme l'a montré François Rastier, le statut

épistémologique de la linguistique formelle -dominante-, qui ne saurait

par nature rendre compte du singulier puisqu'elle a pour vocation de se

constituer en science, autrement dit, pour la vulgate, de rendre compte

de l'universel. Seule une linguistique descriptive, opérant sur corpus,

peut entreprendre une étude des singularités linguistiques du discours.

La problématique idiolectale, corrélée à celle du style, est traitée ici

par l'examen d'un ensemble d'études portant sur les rapports, qui

s'observent particulièrement au plan de la structure phrastique, entre

des faits d'individuation discursive et des contraintes génériques.

 

Deuxième parcours

 

La deuxième partie (Des marges de la phrase aux marges de la grammaire -

Sur la grammatisation de quelques notions relatives au détachement en

linguistique française) adopte une perspective qui est celle de

l'épistémologie historique appliquée aux principales catégories

fonctionnelles sollicitées en linguistique française pour rendre compte

des faits de syntaxe détachée. Partant de ce qui est couramment décrit

comme situé aux marges de la phrase, c'est-à-dire placé dans une zone de

localité tenue pour périphérique à la structure argumentale de l'énoncé,

on s'interroge sur le traitement explicatif de ces faits dans la

grammaire et sur leur marginalisation linguistique, qui est durable en

dépit du regain d'intérêt dont jouit la question du détachement depuis

une vingtaine d'années.

 

Pour ce faire, on convoque la notion de grammatisation, qui est

généralement sollicitée dans les sciences du langage pour désigner deux

types de faits différents : (i) l'apprentissage de la grammaire

scolaire, c'est-à-dire une formation grammaticale commune à tous les

citoyens, membres d'une communauté linguistique (on grammatise un

individu ou un groupe d'individus), acception développée par Renée

Balibar (1985), sur le modèle d'alphabétisation ; (ii) le processus par

lequel on décrit une langue au moyen d'un outillage métalinguistique,

que fournissent les grammaires et les dictionnaires, et qui est

subordonné à un dispositif conceptuel préalable (on grammatise une

langue), acception développée par les historiens des sciences du

langage. L'acception ici retenue se situe dans le prolongement de cette

dernière valeur. Elle est limitée au cas où une notion, au terme d'un

parcours historique qui en a stabilisé le sens par l'identification

régulière d'un fait ou d'un ensemble de faits qu'elle a rendu possible,

se trouve intégrée à un dispositif métalinguistique qui tend à se

reproduire, quelle que puisse être l'approche théorique que lui

réservent les ouvrages qui en attestent l'existence (on grammatise une

notion). Ce processus de grammatisation, qui est réversible

(dégrammatisation), est un processus historique dont l'extension

chronologique peut varier considérablement selon le degré de

développement technologique dans lequel il s'inscrit. On explore ainsi

à propos des faits de syntaxe détachée l'argument de la "tradition

grammaticale", utilisé comme procédé d'évitement d'une approche

historique des notions dans les grammaires (procédé générateur de

multiples apories et d'opacités de l'analyse linguistique), tout en

soulignant les limites explicatives de l'épistémologie historique.

 

À partir de quelques-uns des travaux que nous avons publiés sur les

constructions détachées en français moderne, on examine tout d'abord en

détail le passage de la notion de "détachement" à celle d' "annexe" dans

le discours linguistique, ce qui ouvre le champ à une réflexion sur

l'intégration syntaxique et sur les représentations de la phrase dans la

perspective logico-grammaticale (1. L' "annexe syntaxique" : un

indicateur de la réflexion sur les niveaux d'analyse linguistique). On

développe ainsi l'approche historique de trois types de constructions

(appositives, vocatives, disloquées), qui ont fait l'objet d'une très

durable indistinction syntaxique, et qui ont illustré, et illustrent

encore aujourd'hui, la relativité historique et théorique des espaces

disciplinaires respectifs de la grammaire et de la rhétorique.

 

Enfin, la section propose, pour conclure ce parcours critique du

traitement conceptuel et descriptif du détachement dans l'histoire de la

grammaire, une mise au point typologique des faits de syntaxe détachée

relativement à la problématique actancielle (2. La problématique

actancielle du détachement : perspective typologique). On fait ainsi

retour, en la développant et en l'amendant, sur l'esquisse d'une

typologie des principales formes de détachements -que nous avons

proposée dans quelques travaux récents-, en examinant successivement les

détachements par redoublement actanciel (vocatifs et dislocations dont

le référent est instancié dans la prédication principale), par

caractérisation actancielle (le système appositif), et par expansion de

relation prédicative (vocatifs et dislocations dont le référent n'est

pas instancié dans la prédication principale, et autres constructions

associées au système appositif).

 

Troisième parcours

 

La troisième partie (Place, position, information -Le système appositif

et la question des formats syntaxiques) propose une description

sémantique du système appositif, corrélée à la question de la

démarcation graphique de la phrase et à celle des formats (micro/

macro)syntaxiques des segments linguistiques.

 

On expose tout d'abord le problème de la disqualification du critère

graphique dans l'étude de la phrase, qui constitue une manifestation du

rejet de l'écrit dans la description de la langue, et on développe une

réflexion sur les conditions de l'éviction de ce critère ainsi que sur

les enseignements épistémologiques que l'on peut retirer de la

contradiction linguistique révélée par cette éviction (1. La notion de

phrase graphique dans le discours linguistique : entre maniérisme

idiolectal et format d'expression socialement normé). Car si la phrase

conçue comme un synthétiseur grammatical appelle à statuer sur la non-

pertinence du critère graphique, la phrase conçue comme un synthétiseur

tout à la fois grammatical et informationnel exige de tenir pour crucial

dans l'explication linguistique le paramètre de la spatialisation du

discours dans lequel s'inscrit manifestement ce critère. Ce qu'illustre,

entre autres, le placement frontal des constructions détachées. Que

serait une frontalité que ne viendrait déterminer une frontière

graphique, quels qu'en soient les modes de réalisation ? La place des

constituants dans l'énoncé ne fait que marquer une ordination purement

séquentielle liée à la linéarité du discours. Elle n'a pas vocation à

intervenir au niveau des marquages d'ouverture et de clôture. La

ponctuation intervient à ce niveau, pour transformer une place en

position informationnelle.

 

C'est ce que décrit la section suivante, en examinant le comportement

référentiel du système appositif (2. Sémantique des caractérisants

détachés : de la place à la position informationnelle). On revient tout

d'abord sur le critère de la coréférence dans la formation de la notion,

et sur le mode de contrôle référentiel tout à fait spécifique du système

appositif. Puis on expose la problématique du type de connexité

(morphosyntaxique ou sémanticopragmatique) entre les constituants du

système. L'examen détaillé de la place des termes descripteurs détachés

dans l'énoncé permet de statuer sur le rôle informationnel de cette

place, qui est celui d'indice iconique du domaine d'interprétation du

contrôleur référentiel de la construction. Cet examen est en outre

l'occasion de noter que, contrairement à leur approche logico-

grammaticale, l'approche herméneutique des formats syntaxiques, qui ne

place pas dans une situation de stricte opposition structurale les

combinatoires micro et macrosyntaxique, manifeste un meilleur rendement

explicatif.

 

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{FR, 10/12/2001}

 

PARUTION

 

María Dolores Vivero García

 

                           El texto : teoría y análisis lingüístico

Madrid, Arrecife, 2001, 317 pages, ISBN 84-932132-0-9.

Prix : 13,70 euros, les commandes peuvent être adressées à :

             arrecif@arrakis.es

 

Ce livre part de la considération du texte comme le résultat d'une

activité énonciative inscrite dans un contexte socio-discoursif de

production et d'interprétation et présente une étude des structures

textuelles ainsi qu'une proposition concrète pour l'analyse des textes.

L'on propose de distinguer trois plans d'organisation textuelle qui

interagissent : l'organisation énonciative, l'organisation thématique et

l'organisation compositionnelle.

 

En ce qui concerne la première, l'on aborde la spécificité énonciative

des textes littéraires, genre discursif auquel appartiennent la plupart

des textes analysés dans cet ouvrage. L'on étudie la polyphonie et la

mise en scène d'un énonciateur comme origine perceptive. L'analyse de la

scène énonciative de "La Légende de saint Julien l'Hospitalier"

s'efforce de montrer les procédés énonciatifs qui contribuent à

produire un effet de réel. L'étude de l'énonciation dans le discours

autobiographique souligne les facteurs qui favorisent l'effacement de

l'instance énonciative et l'effet de dialogue avec un sujet de

conscience actuel lié à l'écriture.

 

Quant à l'organisation thématique, l'on se base notamment sur le concept

d'isotopie textuelle avancé par François Rastier, pour étudier

l'impression référentielle produite par le texte. Sont analysés de ce

point de vue un poème de Góngora, une description de "Doña Perfecta" de

Galdós et la "pièce montée" de "Madame Bovary", entre autres. L'on

étudie aussi les chaînes anaphoriques et l'on tente d'apporter des

éléments pour l'analyse des anaphores dans "Un coeur simple".

 

Enfin, quant à son organisation compositionnelle, l'on considère que le

texte peut être formé de séquences dont les unités s'articulent suivant

différents types de relations ; une lecture critique de la typologie

séquentielle de Jean-Michel Adam mène à une reconceptualisation des

types narratif, descriptif, argumentatif et explicatif auxquels l'on

ajoute la "texture", conceptualisée à partir de la textique de Jean

Ricardou.

 

Cet ouvrage associe la linguistique à la littérature. Les

positionnements théoriques adoptés résultent d'un bilan critique de

différentes perspectives qui apparaissent comme complémentaires à

l'intérieur d'une cohérence théorique globale. La théorie est toujours

articulée à l'analyse de textes espagnols et français.

 

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{10/12/2001}

 

VIENT DE PARAÎTRE

 

François Rastier

 

                           Sémantique et recherches cognitives

 

Seconde édition augmentée, Paris, PUF.

 

Au cours de la décennie qui vient de s'écouler, le décor des sciences

cognitives a certes changé, comme l'équilibre entre les disciplines qui

s'en recommandaient. L'informatique a perdu de son lustre, du moins

économique, et se banalise comme naguère l'électricité. L'Intelligence

Artificielle, victime du computationnalisme qu'elle avait contribué à

répandre, est passée au second plan : son programme global de simulation

ne jouit plus d'aucun soutien notable. Le centre de l'intérêt s'est

déplacé vers les sciences de la vie, et en quelque sorte le programme

génétique a pris la place du programme informatique, même si la notion

même de programme commence à être contestée. Parallèlement, l'intérêt

s'est déplacé de l'ordinateur vers le cerveau, maintenant beaucoup mieux

connu et encore plus problématique qu'il y a dix ans. L'imagerie

cérébrale a ouvert des champs d'investigation très prometteurs.

 

Plus encore que le poids relatif des différentes disciplines, le mode de

l'interdisciplinarité a changé. Alors que les échanges et les débats

publics étaient constants, un courant de disciplinarisation, lié à

l'élargissement des communautés scientifiques et techniques, a conduit à

séparer des domaines académiques : par exemple, les informaticiens

connexionnistes ont créé leurs propres revues, congrès, associations,

etc. ; au lieu d'une alternative théorique globale, leurs travaux se

présentent à bon droit comme un complément technique, et si l'efficacité

y gagne peut-être, le débat s'est à peu près éteint.

 

Enfin, avec le développement très rapide d'Internet, l'intérêt des

décideurs et du public (ou du moins des médias) s'est déplacé du domaine

de la cognition vers celui de la communication.

 

Ces rapides changements de décor restent toutefois sans incidence

directe sur les questions sémantiques qui font l'essentiel de notre

propos. Par exemple, les réseaux sémantiques qui font l'objet du

quatrième chapitre de ce livre, sans rien modifier de leurs principes,

ont donné matière à de grands dictionnaires terminologiques unilingues

(projet Wordnet développé à Princeton) ou multilingues (Eurowordnet)*,

fort coûteux,  dont la conception reste tributaires des théories

développées par Miller et Johnson-Laird dans les années soixante-dix :

ils sont ainsi partagés en trois secteurs différents, pour les noms, les

verbes et les adjectifs, sans aucune autre justification que des

préjugés ontologiques sur la référence supposée de ces parties du

discours.

 

La sémantique cognitive a cependant accentué son évolution d'une

problématique logique vers une problématique phénoménologique.

Abandonnant les prétentions rationalistes du cognitivisme orthodoxe,

elle a fondé l'universalité postulée des opérations sémantiques non plus

sur les contraintes de la raison mais sur celles du corps, les schèmes

naissant non plus d'une concrétisation de la raison, mais d'une

abstraction ou transposition générale, par métaphorisation, du sensible

phénonénologique : le sens linguistique serait ancré dans notre

corporéité ; cependant la thèse de l'embodiment fait aussi peu de cas

que la thèse rationaliste de sa dimension culturelle.

 

En plusieurs endroits de ce livre, la sémantique cognitive est

confrontée voire opposée avec la sémantique interprétative. La

sémantique interprétative a connu des développements, remaniements,

applications informatiques. Elle a précisé ses liens, soulignés dans

l'épilogue de cet ouvrage, avec une sémiotique des cultures.

 

Les débats qui s'ouvrent aujourd'hui trouvent leur inspiration dans les

résultats récents de disciplines qui n'appartiennent pas au noyau

historique des sciences cognitives : depuis une quinzaine d'années, les

convergences sans précédent de recherches dans le domaine de la

génétique des populations, de la linguistique historique et comparée, de

l'archéologie préhistorique et de la paléoanthropologie permettent de

concevoir de façon nouvelle la genèse des cultures et l'émergence du

monde sémiotique. Elles conduiront sans doute à reformuler le partage

entre les sciences de la culture et les sciences de la nature et de la

vie.

 

* Cf. Slodzian, Monique (2001) - "Wordnet et Eurowordnet, une question

de pertinence linguistique", Sémiotiques.

 

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{FR, 18/12/2001}

 

DU NOUVEAU SUR TEXTO!

 

Le site Texto! de l'équipe Sémantique des Textes

             http://www.revue-texto.net/   ou

             http://www.msh-paris.fr/texto/

s'est enrichi de nouvelles contributions :

 

Thierry Mézaille -       "Analyse d'une méditation lamartinienne

                                          -ou la phrase comme passage"

François Rastier -        "La Belle et la Bête -une aporie du réalisme"

Thomas Beauvisage - "Exploiter des données morphosyntaxiques pour

                                          l'étude statistique des genres -Application au

                                          roman policier"

Victor Rosenthal -       "Approche microgénétique du langage et de la

                                          perception"

Denis Thouard -                       "La contre-poésie de Paul Célan"

François Rastier -        "Sémiotique et sciences de la culture"

 

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Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes Textes

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{FR, 10/12/2001}

 

Bruno Schulz

 

                           La mythification de la réalité

 

Traduction de Thérèse Douchy, reprise dans l'édition française des

Boutiques de cannelle.

 

L'essentiel de la réalité est le sens. Ce qui n'a pas de sens n'est pas

réel pour nous. Chaque parcelle de la réalité vit dans la mesure où elle

participe d'un sens universel. De vieilles cosmogonies exprimaient cela

par la sentence : "Au commencement était le Verbe". Ce qui n'est pas

nommé n'existe pas pour nous. Nommer une chose équivaut à l'englober

dans un sens universel. Un mot isolé, pièce de mosaïque, est un produit

récent, résultat -déjà- de la technique. Le mot primitif était

divagation tournant autour du sens de la lumière, il était un grand tout

universel. Dans son acception courante, le mot n'est plus aujourd'hui

qu'un fragment, un rudiment d'une ancienne et intégrale mythologie. D'où

cette tendance en lui à se régénérer, à repousser, à se compléter pour

revenir à son sens entier. La vie du mot. La vie du mot consiste en ce

qu'il tend vers des milliers de combinaisons, tels les morceaux du corps

écartelé du serpent légendaire qui se cherchaient dans les ténèbres. Cet

organisme complexe a été déchiré en vocables séparés, en syllabes, en

discours quotidiens ; utilisé sous cette forme nouvelle, il est devenu

un instrument de communication. La vie, le développement du verbe, ont

été poussés sur le chemin utilitaire, soumis à des règles étrangères.

Mais, dès que les exigences de la pratique se relâchent, dès que le mot

libéré de la contrainte est laissé à lui-même et rétabli dans ses

propres lois, il se produit en lui une régression : il tend alors à se

compléter, à retrouver ses liens anciens, son sens, son état primordial

dans la patrie originelle des mots -et c'est alors que naît la poésie.

 

La poésie, ce sont des courts-circuits de sens qui se produisent entre

les mots, c'est un brusque jaillissement de mythes primitifs.

 

En utilisant les mots courants nous oublions qu'ils sont des fragments

d'histoires anciennes et éternelles, que -comme les barbares- nous

sommes en train de bâtir notre maison avec des débris de statues des

dieux. Nos concepts et nos termes les plus concrets en sont de lointains

dérivés. Pas un atome, dans nos idées, qui n'en provienne, qui ne soit

une mythologie transformée, estropiée, changée. La fonction la plus

primitive de l'esprit est la création de contes, "d'histoire ". La

science a toujours trouvé sa force motrice dans la conviction de trouver

au bout de ses efforts le sens dernier du monde, qu'elle cherche au

sommet de ses échafaudages artificiels. Mais les éléments qu'elle

utilise ont déjà servi, ils proviennent d'histoires anciennes démontées.

La poésie reconnaît le sens perdu, elle restitue aux mots leur place,

les relie selon certaines significations. Manié par un poète, le verbe

reprend conscience, si l'on peut dire, de son sens premier, il

s'épanouit spontanément selon ses propres lois, il recouvre son

intégralité. Voilà pourquoi toute poésie est création de mythologie,

tend à recréer les mythes du monde. La mythification du monde n'est pas

terminée. Ce processus a été seulement freiné par le développement de la

science, poussé sur une voie latérale où il végète, son sens ayant été

égaré. La science elle non plus n'est pas autre chose qu'un effort pour

construire le mythe du monde, puisque le mythe est contenu dans les

éléments qu'elle utilise et que nous ne pouvons pas aller au-delà du

mythe. La poésie atteint le sens du monde par déduction, par

anticipation à partir de grands raccourcis et d'audacieux

rapprochements. La science vise au même but par induction,

méthodiquement, tenant compte de tout le matériau de l'expérience. Mais,

au fond, toutes les deux cherchent la même chose.

 

Infatigablement, l'esprit humain ajoute à la vie ses gloses -des

mythes-, infatigablement il cherche à "donner un sens" à la réalité.

 

Le sens est ce qui entraîne l'humanité dans le processus de la réalité.

Il est une donnée absolue et qui ne peut être déduite d'autres données.

Impossible d'expliquer pourquoi une chose nous paraît "sensée". Donner

un sens au monde est une fonction indissociable du mot. La parole est

l'organe métaphysique de l'homme. Avec le temps, le mot se fige, il

cesse de véhiculer des sens nouveaux. Le poète rend aux mots leur vertu

de corps conducteurs, en créant des accumulations où naissent des

tensions nouvelles. Les symboles mathématiques sont un élargissement du

mot à de nouveaux domaines. Le tableau lui aussi est un dérivé du verbe,

de celui qui n'était pas encore signe, mais mythe, histoire, sens.

 

On considère généralement le mot comme une ombre de la réalité, comme un

reflet. Il serait plus juste de dire le contraire ! La réalité est une

ombre du mot. La philosophie est, au fond, philologie, étude profonde et

créatrice du verbe.

 

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Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels Appels

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{10/12/2001}

 

COLLOQUE VIRTUEL

 

                                                     text-e

                                        Ecrans et réseaux,

                           vers une transformation du rapport à l'écrit ?

 

octobre 2001 - mars 2002

 

L'annonce de cet important colloque de la BPI que l'on peut joindre

directement à l'adresse :

             http://www.text-e.org/

(fonctionne mieux avec Internet Explorer qu'avec Netscape)

 

Dates à retenir et Thèmes abordés par les dix invités :

 

  1-14 déc. 2001 - Bruno Patino, Le Monde Interactif

             Journalisme numérique : journalisme virtuel ?

15-31 déc. 2001 - Theodore Zeldin, Oxford

             Conversation personnelle et conversation professionnelle

  1-14 jan. 2002 - Jason Epstein, Random House

             Lire : le futur digital

15-31 jan. 2002 - Equipe de la Bibliothèque publique d'information

             Babel ou le choix du caviste : la bibliothèque à l'heure du

             numérique

  1-14 fév. 2002 - Dan Sperber, Institut Jean Nicod, C.N.R.S., Paris

             Vers une lecture sans écriture ?

15-28 fév. 2002 - Stephana Broadbent &Francesco Cara, IconMedialab,Paris

             La nouvelle architecture de l'information 

  1-14 mars 2002 - Umberto Eco, Université de Bologne, Italie

             Auteurs et autorité

 

Questions et contributions peuvent être apportées sur le site Remue.net:

             http://www.remue.net/site/colloqueBPI.html

 

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{FR, 10 et 14/12/2001}

 

JOURNÉE FORMES SÉMANTIQUES

 

                           Les formes sémantiques, du mot au texte

 

Vendredi premier février 2002

 

Institut d'anglais de l'université Paris VII - salles 33-34

10 rue Charles V, 75004 PARIS - M°Sully-Morland, Saint-Paul ou Bastille.

 

Journée d'étude organisée par François Rastier et Yves-Marie Visetti

dans le cadre des Journées Conscila (Confrontations en sciences du

langage).

 

* Présentation :

 

Inspirée par les traditions gestaltistes et phénoménologiques, la

réflexion sur les formes sémantiques a connu depuis le milieu des années

quatre-vingts des élaborations diverses dans des théories cognitives ou

non. Qu'en est-il de la perception sémantique ?

 

Quels sont les niveaux et paliers de définition de ces formes ?

Morphèmes, lexies ? Syntagmes, périodes ? Les théories de formes

sémantiques conduisent à réviser les rapports entre la syntaxe et le

lexique.

 

Au palier des configurations textuelles, on questionnera

particulièrement la notion de thème.

 

Enfin, on tentera de cerner les dynamiques de constitution, de

stabilisation et de dissolution de ces formes, ainsi que leurs modes

d'évolution dans l'intertexte.

 

* Programme :

 

  9h30-10h30    Victor Rosenthal (Inserm, Psychologie)

             La physionomie du  sens dans les théories de la Gestalt.

 

10h30-11h30    Yves-Marie Visetti (CNRS, Lattice)

             La sémantique reconstruite comme une théorie des Formes.

 

11h30-12h30    Pierre Cadiot (Paris 8 et CNRS-Lattice)

             Prédication métaphorique et motifs nominaux.

 

14h - 15h         Régis Missire (CPST, Toulouse)

             Morphologies sémantiques et aspectualisation des parcours

             interprétatifs

 

15h - 16h         François Rastier (CNRS, Paris X)

             Des formes textuelles aux formes intertextuelles.

 

16h - 17h         Table-ronde et débat avec la participation de

                           Jean-Michel Salanskis et Michel Charolles.

 

* Résumés :

 

9h30-10h30      Victor Rosenthal (Inserm, Psychologie)

             La physionomie du sens dans les théories de la Gestalt.

 

"Le sens -dit Bruno Schulz- est ce qui entraîne l'humanité dans le

processus de la réalité." Les psychologies holistiques des premières

décennies du 20e siècle ont toutes eu pour dénominateur commun une

vision phénoménologique du réel et ont, chacune à sa manière, postulé

que les formes que prend la réalité sont intrinsèquement des formes du

sens. L'intérêt général des théories de la Gestalt ne se réduit donc pas

à l'idée simple de la prééminence de l'organisation globale des formes

par rapport à leurs parties constituantes -organisation, dont elles ont

d'ailleurs souligné le caractère qualitatif ; la structuration du champ,

la dynamique de formation et de dissolution d'unités qui s'y déploient

ont été constitutivement liées, dans ces théories, au processus de la

réalité et donc, à divers degrés, à la dynamique de différenciation, de

stabilisation et d'évolution du sens dans notre Lebenswelt.

 

Nous proposons de décrire la façon dont ces différentes théories de la

Gestalt (l'école austro-italienne, celle de Berlin, l'Aktualgenese de

Leipzig, la microgenèse de Werner) conçoivent le lien entre la forme et

le sens, notamment à partir des concepts de Prägnanz, de perception

physionomique, de dynamique affective des formes et d'expressivité.

Chemin faisant, nous insisterons sur la problématique génétique de

co-différenciation et de co-stabilisation des formes et du sens et la

rapprocherons de celle de structuration thématique du champ de

l'expérience.

 

 

10h30-11h30    Yves-Marie Visetti (CNRS, Lattice)

             La sémantique reconstruite comme une théorie des Formes.

 

Plusieurs linguistiques, cognitives ou énonciatives, postulent une

certaine continuité, ou du moins une forte analogie, entre construction

perceptive et construction du sens. Toutefois, le rapprochement proposé

se fonde dans la plupart des cas sur un certain type de schématisme

grammatical, qui est source de dissociations dommageables dans le jeu

sémantique : entre grammaire et lexique, entre signification générique

et sens 'figurés', entre schèmes énonciatifs locaux et formes

thématiques globales.

 

Nous proposons donc de repartir de certains principes de la

phénoménologie et de la théorie gestaltiste des Formes, elle-même

approfondie à la lumière des concepts mathématiques d'instabilité, pour

les transposer dans le cadre d'une théorie générale des "formes

sémantiques". On distinguera ainsi trois 'régimes de sens', appelés

"motifs", "profils", et "thèmes", qui co-existent dans l'organisation

sémantique et l'activité interprétative. Seront évoquées quelques

contraintes fondamentales pesant sur la stabilisation de formes

sémantiques construites suivant ces trois régimes, par conséquent

d'emblée au palier du texte et du discours. A l'opposé d'une vision

immanentiste, on soulignera que les dynamiques de formation dépendent

constitutivement d'un parcours sémantique global, notamment de

thématisation, qui est inextricablement langagier, sémiotique et

situationnel (indiciel). La question de la polysémie devient alors celle

d'une distribution des anticipations et des effets sur les différentes

'phases' du sens postulées.

 

 

11h30-12h30    Pierre Cadiot, Paris 8 et CNRS-Lattice

             Prédication métaphorique et motifs nominaux.

 

Même s'il s'en faut, surtout du côté des philosophes, que tous les

auteurs soient sur cette ligne, la métaphore prédicative (Paul est un

lion) est couramment présentée dans les termes d'une rupture d'isotopie,

comme un problème de conceptualisation (indue) du référent. Une telle

conception -qui commence par envisager la langue dans une unique strate

thématique déjà constituée (le mot "lion" renvoie à la catégorie animale

des lions ; le verbe ÊTRE désigne une catégorie d'appartenance

référentielle)- fait l'impasse sur l'instabilité et le mode de

constitution de ces strates. D'un côté, les motifs lexicaux sont bien

plus ouverts et intègrent ce que d'autres nomment 'afférences' ou

'connotations' : ils restent donc largement indépendants des catégories

dénominatives pré-constituées. Quant à la prédication, elle intègre elle

aussi de nombreux régimes de sens. Nous mettrons l'accent dans cette

communication sur les spécificités d'une prédication (la "prédication

métaphorique", au sens large), qui loin d'être "d'appartenance", est

étroitement dépendante d'un profil énonciatif particulier, à propos

duquel nous développerons les notions de disposition (Goodman 1984), de

présent "massif", de contingence de la visée, et de conformité. Le

caractère constitutivement énonciatif de ces prédications est par

exemple illustré par les régularités contrastées suivantes (cf. aussi,

Ducrot et. al, 1980) : Ces derniers temps, Paul est un chien /*Ces

derniers temps, Médor est un chien // Je trouve que Paul est un chien

/*Je trouve que Médor est un chien // Pour moi, Paul est un chien /*Pour

moi, Médor est un chien. // C'est un chien, Paul ! /??C'est un chien,

Médor ! // ?Je trouve que le cheval est un mammifère /?Pour moi, le

cheval est un mammifère.

 

Cette mise au clair des spécificités grammaticales de la prédication

métaphorique est absolument nécessaire en tant que complément de la

notion de motif lexical (développée notamment dans Cadiot & Visetti,

2001a. et b.).

 

Références :

Cadiot P. & Y.M. Visetti (2001a), Pour une théorie des formes

sémantiques : motifs, profils, thèmes, Presses Universitaires de France.

Cadiot P. & Y.M. Visetti (2001b), "Motifs linguistiques et construction

des formes sémantiques : schématicité, généricité, figuralité", in

Lagorgette, Larrivé, eds., Représentation du sens linguistique, actes du

colloque de Bucarest (Mai 2001).

Ducrot O. et al. (1980), "Je trouve que", in Les mots du discours,

pp. 57-92, Paris, Minuit.

Goodman N. (1984), Faits, fictions et prédictions, Paris, Minuit.

 

 

14h-15h                          Régis Missire (CPST, Université de Toulouse le Mirail)

             Morphologies sémantiques et aspectualisation des parcours

             interprétatifs

 

En deça même de toute vertu explicative, transposer le concept

gestaltiste de forme dans une sémantique textuelle a pour effet immédiat

de déployer un nouvel horizon de phénomènes. On ne peut toutefois

exciper de l'enthousiasme légitime lié à la possibilité de leur

description pour ne pas se poser le problème de la congruence

epistémologique des concepts transposés et de ceux avec lesquels ils

voisinent au sein du cadre qui les accueille. Si Pierre Cadiot et

Yves-Marie Visetti ont montré par exemple l'inadéquation d'un imaginaire

schématique de type kantien pour une théorie des formes sémantiques, on

peut plus généralement rappeler l'ambiguité de l'eïdos aristotélicen,

entre son versant logique (instanciant un type) et son versant

proprement morphologique (qui renverrait ici au concept de perception).

Dans le cadre de la sémantique interprétative de François Rastier, on se

préoccupera plus particulièrement des relations entre les concepts

dynamiques de la description (perception sémantique, morphologies

sémantiques, etc.) et des concepts plus "taxinomiques" (particulièrement

les classes de définitions). Car outre la considération de formes qui

paraissent ponctuellement données, il faut se réserver la possibilité

d'en décrire d'autres, originales, qui se stabilisent au fil d'une

certaine durée. Une sémantique interprétative aura alors vocation à

détailler leurs modes de constitution et, ces formes ne se distinguant

plus de leur dynamique d'élaboration, s'ouvrent alors les problématiques

liées de la fluence sémantique, des contrastes aspectuels, de la

prosodisation du contenu, éventuellement des rythmes sémantiques. De

façon imagée, on se propose ainsi d'évaluer les relations possibles

entre la triade eïdos (type), morphè (forme perçue) et ruthmos (forme en

devenir, fluente), dans le cadre d'une sémantique linguistique

interprétative à orientation phénoménologique. On s'efforcera d'y

accéder via le concept de parcours interprétatif et la question de son

aspectualisation. Pour simplifier, on limitera les illustrations au

palier mésosémantique.

 

Références :

Cadiot P. & Visetti Y.-M., "Pour une théorie des formes sémantiques",

Formes sémiotiques, PUF, 2001.

Coquet J.-Cl., "La quête du sens, le langage en question", Formes

sémiotiques, PUF, 1997.

Gayon J., "L'espèce sans la forme", in Les figures de la forme, J. Gayon

& J.-J Wunenburger, L'Harmattan, 1992.

Rastier F., "Sens et textualité", Hachette, 1989. "Sémantique et

recherches cognitives", Formes sémiotiques, PUF, 1991. "Arts et sciences

du texte", Formes sémiotiques, PUF, 2001.

Rosenthal V. & Visetti Y.-M., "Sens et temps de la Gestalt",

Intellectica, 28, 147-227.

 

 

15h-16h                          François Rastier (CNRS, Paris X)

             Des formes textuelles aux formes intertextuelles

 

On a souvent suggéré que la phrase (Tesnière), voire le sémème (Greimas)

étaient "déjà" de petits récits. Comme en témoignent les limites

assumées de l'analyse isotopique et de la lexicométrie, on ne peut

cependant passer du palier microsémantique au palier macrosémantique

sans tenir compte de paliers de complexité : on en donnera exemple à

propos de la construction des thèmes et des acteurs.            

 

On s'attachera à questionner les rapports forme/fond au palier textuel,

ainsi que les transformations systématiques entre formes, les relations

entre parties régulières et parties singulières des formes, enfin leurs

indices de connectivité.

 

Pour ne pas demeurer une totalité romantique, l'intertexte appelle un

examen philologique, appuyé sur la linguistique de corpus. Nous

évoquerons trois types de parcours intertextuels : entre brouillons d'un

même texte, entre écrits d'un même auteur, puis entre un texte et ceux

qu'il réécrit, implicitement ou non. Pour mieux saisir le rapport entre

thématique et topique, on présentera des exemples de transformations

intertextuelles. Une théorie de ces transformations est évidemment

nécessaire si l'on veut considérer les corpus autrement que comme un

simple "échantillon du langage". L'espace de l'intertexte semble en

effet hautement structuré par des relations spécifiques aux discours et

aux genres.

 

Références :

Petitot, J. (1985) Morphogenèse du sens, Paris, PUF.

Rastier, F. (1994) La conception morphosémantique du texte, in Rastier,

F. et coll. Sémantique pour l'analyse, Paris, Masson. (2001) Arts et

sciences du texte, Paris, PUF.

 

 

16h-17h

 

Table-ronde et débat. Avec la participation de Jean-Michel Salanskis

(Philosophie, Paris X) et Michel Charolles (Université Paris III, UMR

Lattice, ENS Ulm).

 

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