DE LA SÉMANTIQUE À LA SÉMIOTIQUE

Entretien de François Rastier avec les étudiants
du séminaire Sémiotique narrative et discursive, octobre 1998.
 [*]

(Texte publié dans Débats Sémiotiques, 2000, vol. 6, n°1-2, Société de sémiotique du Québec, p. 5-15)


Diane Brière : Vous êtes le premier étudiant que Greimas ait encadré aux cycles supérieurs. Selon vous, quelles sont les différences et les ressemblances entre votre conception de la sémiotique et de la sémantique et celle de l'École de Paris ?

François Rastier : Greimas est revenu de Turquie en 1965, il avait encadré des gens là-bas, par exemple Tahsin Yücel, dont la thèse sur Bernanos est à la base du dernier chapitre de Sémantique structurale. Qu’après son retour j’aie été le premier étudiant français qu’il ait encadré, c’est un fait somme toute anecdotique inutilement monté en épingle (je l’ai vu mentionné dans un Que sais-je !).

En ce qui concerne l'École de Paris, je n'ai pas suivi son évolution dans le détail, car je n’en ai pas fait partie (cf. l’ouvrage collectif éponyme, paru chez Hachette en 1977) ; mais au risque de paraître plus greimassien que Greimas, il me semble que la sémantique du texte présentée dans Sémantique structurale reste toujours un bon programme ; j'ai donc continué dans cette voie, sans pour autant m’intéresser passionnément à d’autres évolutions théoriques, comme la sémiotique des passions.

Au demeurant, faut-il des écoles ? Tant que l'écrit restait rare, l'enseignement de maître à disciple avait une fonction aujourd’hui perdue ; mais avec l'invention de l'imprimerie, la notion d’école a perdu de son lustre. Ecoutons Pottier : « Je veux bien des élèves, mais surtout pas de disciples ». Nous sommes les disciples des textes que nous étudions.

L’autarcie de la sémiotique greimassienne et sa prétention totalisante pouvaient s’expliquer par des raisons « politiques » aujourd’hui disparues. Au début des années 1970, on pouvait penser qu'il n'y aurait jamais de linguistique du texte ; la vogue était à la grammaire générative. Greimas, qui était linguiste et même philologue, en a conclu qu'il n'y avait plus rien à attendre de la linguistique et qu'il fallait créer une sémiotique discursive.

Toutefois, si l’on s'intéresse à la sémiotique des langues, autant rester en linguistique plutôt que de créer des groupes sans implantation académique  — il n’y a pour ainsi dire aucun département de sémiotique dans le monde.

Valérie Lizotte : Vous avez mentionné la sémiotique des passions, qu'en pensez-vous ?

François Rastier : Si l’on traite du sujet philosophique, il faut le faire sérieusement, au sein de la philosophie ; mais évitons de recréer une théorie du sujet philosophique au sein des sciences du langage. Elles ont justement à mes yeux le mérite de se priver de la question du sujet, qu’il soit philosophique ou psychologique — c’est d’ailleurs ce qui leur permet de saines relations interdisciplinaires avec la psychologie.

Prenons pour objet les textes, sans poser la question de l'intentionnalité comme explication. Comment saurait-on ce que les auteurs ont voulu dire ? Les auteurs restent faciles à comprendre, du moins peut-on se plaire à le croire, mais en revanche les textes demeurent difficiles, et même, ajoutait Schlegel, les textes classiques ne peuvent jamais être complètement compris. Aussi la critique évite trop souvent de parler des oeuvres, et préfère parler des auteurs ; au besoin, on invente même “l'inconscient du texte”. L'idée qu'il faut comprendre l'auteur mieux qu'il ne se comprend lui-même est un vieux thème romantique.

Le sujet de l’énonciation est une sorte d’auteur abstrait du discours. Comme pour mouvoir ou émouvoir le parcours génératif de l’énonciation, Greimas a proposé une théorie des passions. De quelles passions est-il question ? S'agit-il des passions de l'âme comme chez Descartes ? La colère, que Greimas étudie à partir de l’article du Petit Robert, vaut-elle pour le mot français colère comme pour l’allemand Zorn ou l’italien ira ? Ces questions élémentaires mais légitimes, formulées jadis par Baldinger, sont restées sans réponse.

Bref, la sémiotique des passions semble me résulter d’une involution spéculative qui rappelle fort le subjectivisme du romantisme tard. À la fin du parcours génératif, le texte était devenu une variable, une manifestation de surface, mais cessait d’être l’objet de la description. Cependant, il me semble que rien n’est plus profond que le texte : un moraliste disait d’ailleurs que dans l’homme rien n’est plus profond que la peau.

Sans théoriser les passions, j’ai coordonné un petit groupe de recherche sur les sentiments dans 350 romans français de 1830 à 1970 [1] : ce sont naturellement des formes sémantiques complexes, nombreuses (environ cent soixante), certaines sans lexicalisations privilégiées, et qui évoluent rapidement en diachronie. La description donnée ne se prétend pas valide hors de ce corpus, mais témoigne d’une autre problématique : ce ne sont pas les passions du sujet de l’énonciation qui permettent de comprendre les textes ; mais peut-être les formes sémantiques que nous appelons sentimentsnous permettent-elles de catégoriser nos affects, de les nommer, de les ordonner et de pouvoir raconter notre histoire.

Jean-Paul Lemoyne : Devant le constat qu'il n'y a aucun département de sémiotique dans les universités, comment peut-on concevoir l'avenir de la sémiotique comme discipline universitaire ?

François Rastier : J'exagère, bien sûr, il y a d'excellents mais trop rares départements de sémiotique. Je suis d’ailleurs partisan de cours obligatoires de sémiotique dans les cursus de sciences humaines, comme on le fait depuis peu en Italie, et même si l’on ne sait pas très bien ce que c'est — ou justement parce que l’on ne sait pas très bien ce que c'est.

Seul Eco est parvenu un temps à concilier les différents courants au sein de l’Association internationale de sémiotique. L’intérêt pour la sémiotique était grand, au début des années 70, mais il était impossible de refuser des papiers aux congrès, puisqu’on ne pouvait pas demander aux greimassiens d’évaluer les papiers des peirciens et inversement. Or, comment attirer les bonnes contributions si l’on ne refuse pas les mauvaises ?

Maintenant, je pourrais dire de la sémiotique, comme de Gaulle du gaullisme : « C'est un état d'esprit ! ». N’en restons pas au passé : à présent, avec le multimédia et la Toile notamment, de nouvelles formes de demandes sociales sont apparues. Peu importe le pavillon (inter)disciplinaire accueillant sous lesquelles elles seront satisfaites, cognition, communication, etc., la sémiotique a tout à y gagner.

Valérie Lizotte : Selon vous quelle est la position de la sémiotique par rapport aux sciences humaines ?

François Rastier : Nous sommes devant une alternative épistémologique : faut-il créer une trans-sémiotique qui va prétendre coiffer l'ensemble des sciences humaines ou bien une inter-sémiotique qui les fédère ? Je suis partisan, en la matière, d’un fédéralisme respectueux des autonomies — et ne voyez aucune isotopie politique dans mon propos. Les sciences humaines étudient toutes des objets sémiotiques, mais restent différenciées.

De ce point de vue, la sémiotique doit à mon avis éviter de devenir ou de rester une sorte de philosophie de la signification, comme elle doit se garder de devenir une science des sciences. Considérons plutôt chacune des sciences humaines comme une sémiotique particulière.

Hugues Fournier : Vous êtes celui qui avez le plus approfondi la notion d'isotopie lancée par Greimas en 1966. Croyez-vous que cette notion a atteint un point d'équilibre ou sera-t-elle, comme beaucoup de notions de sémiotique, appelée à se transformer ?

François Rastier : Elle a évolué, notamment par la notion de parcours interprétatif, et par l’ouverture herméneutique qu’il impose. L'originalité du concept d'isotopie se trouve, à mon avis, dans le fait qu’il permet de lier une microsémantique et une sémantique du texte. L'isotopie permet donc de franchir la frontière de la phrase, ce qui en fait un bon point d’entrée dans le domaine de la textualité. Ce n'est évidemment pas le seul, car l’étude des isotopies n'est qu'une partie de la thématique ; et la thématique n'est elle-même qu'une des composantes qui permettent la description d’un texte.

Le concept d'isotopie permet aussi de dépasser le problème du sens littéral, qui devient celui de l’isotopie dominante en cours ; or, si l’on n’a pas de critères pour déterminer en quoi un sens est littéral, on a pu en définir qui permettent de déterminer si une isotopie est dominante.

Un problème demeure, celui de l’économie descriptive, afin d’éviter de faire proliférer des isotopies oiseuses et / ou extrinsèques. Pour établir ou rétablir des isotopies justifiables et intéressantes, il faut une déontologie générale de la lecture. Par exemple, on pourrait très bien reconnaître une isophonie entre le e muet du premier mot de Un certain sourire et le e muet de son dernier mot. Mais en quoi est-ce pertinent ? Un problème analogue se pose pour des isotopies sémantiques peu denses, car une connexion isotopique entre le premier et le dernier mot d’un texte peut se révéler légitime.

En la matière, il faut fuir le « bon sens ». Par exemple, dans L’union libre de Breton, il n’y a pas d’isotopie sexuelle, mais deux isotopies érotiques ! Autre exemple, l'isotopie animale dans La cousine Bette. Ce roman pullule de noms d’animaux, et la Bette est une bête, mais on aurait tort d’en conclure qu’il comporte une et une seule isotopie animale. Ce récit contradictoire en comporte plusieurs, car il oppose les animaux domestiques, le bichon, le chat, la chatte, etc., et les animaux prédateurs et sauvages. Par exemple, sur l'isotopie animale apparente, la cousine Bette est une chèvre, mais une lionne sur l'isotopie animale fondamentale.

Ainsi, il n'existe pas d'inventaire a priori des dimensions ou des domaines à partir desquels les isotopies seront lues — je parle ici des isotopies génériques, mais on peut étendre ce propos aux isotopies spécifiques.

La possibilité de constituer des isotopies dépend des stratégies d'énigmatisation ou d'éclaircissement mises en œuvre dans les textes. Par exemple, chez Balzac, le rat est présent partout : l'homme, qui entretient une fille et qui ne veut pas payer est appelé un rat, et le rat d'opéra, la fille, est aussi un rat entretenu par le premier. Cette polysémie de rat en fait un connecteur entre l’isotopie animale apparente et l’isotopie humaine. À partir de cette équivoque largement attestée à son époque, Balzac noue un point crucial de son univers romanesque.

Mélanie Joncas : Vous êtes le "co-inventeur" avec Greimas du carré sémiotique, que pensez-vous de la fortune de ce concept ?

François Rastier : Le “carré sémiotique” ne présente pas de graves défauts, mais sa fortune a été exorbitante ; et il n'est même pas complètement oublié, car des auteurs travaillant dans le multimédia le redécouvrent actuellement. Cette redécouverte est de bonne guerre, car il reformulait lui-même un modèle courant en logique médiévale.

Je pense qu'il peut être utile, à condition de l'employer à bon escient ; mais pour ma part je n'en ai pas ressenti le besoin depuis 1971.

J'ai reçu un jour un coup de fil qui m'a quelque peu inquiété : " — Monsieur Rastier, aidez-moi à finir ma thèse. — Que puis-je faire ? — Aidez-moi à faire mon carré. — Mais quel carré ? — Mon carré pour finir ma thèse. — Vous faites une thèse sur quoi ? — Sur un romancier péruvien. — Et vous ne voulez pas me dire son nom ? — Si... — Mais pourquoi il faut faire un carré ?" Mon interlocuteur n'a su que répondre et semblait s’étonner que je lui demande le sujet de sa thèse. Le carré était devenu un emblème vaguement héraldique : je l'ai même vu tricoté sur un pull-over. Plutôt que d’hypostasier cette figure close, il aurait mieux valu faire varier les formalismes. Des modèles continuistes, par exemple, n’ont pas moins de mérites – et sans doute pas plus.

Le carré sémiotique est une des représentations possibles de certaines structures taxémiques, mais pourquoi l’universaliser et surtout l’abstraire ? Ce modèle d'oppositions lexicales devint le modèle constitutionnel de toutes les manifestations sémiotiques.

Une théorie ne doit pas au demeurant être liée à tel ou tel formalisme : un formalisme n’a d’utilité que pour une implantation déterminée, et l’on peut en changer selon les applications. Par exemple, on peut représenter un sémème par un graphe conceptuel à la Sowa, ou par une configuration globalement stable dans un réseau connexionniste. Chaque formalisation ne retient qu’une partie de la théorie, ce qui lui permet d’ailleurs de devenir opératoire.

À s’en tenir à un seul formalisme élémentaire, la théorie devient trop puissante, et s'applique partout sans apporter grand chose. Aussi, par exemple, le problème en sémiotique de l’image n’est pas d’y introduire des carrés, mais d’y faire mieux que Panofsky.

Ce qui reste intéressant dans le carré sémiotique, c'est l'idée d'un parcours : de l’espace topique à un espace utopique et retour, cela résume abruptement une structure narrative mythique. La structure narrative mythique, contrairement à la structure événementielle, suppose toujours une médiation. Il faut bien distinguer les deux. Voici par exemple ce que Schank appelle a narrative : « Margie jette sa balle derrière le mur. Elle pleure parce qu'elle ne l'a pas retrouvée ». En fait, il ne s’agit là que d'un récit événementiel. Ce qui caractérise en revanche le récit mythique, c’est le passage par la médiation de l’espace utopique. Dans les termes de la théorie des zones anthropiques [2], la médiation narrative s’établit entre la zone identitaire et la zone proximale (c'est-à-dire un point de repérage et ce qui l'entoure) prises ensemble d’une part, et la zone distale d’autre part — l’espace utopique est en effet une figuration de la zone distale). Le récit mythique permet ainsi une médiation par l’absence.

Anthropologiquement, cela paraît vraisemblable : or, la sémiotique des cultures se fonde sur une anthropologie où le langage tient évidemment une grande place.

Nathalie Landreville : Est-ce que vous croyez que l'aide à l'interprétation que permettent les banques textuelles va modifier la sémantique interprétative ?

François Rastier : Ce sera plutôt dans son champ d’application que dans son principe, encore qu’il reste beaucoup à faire sur les parcours interprétatifs intertextuels. Je poserai plutôt le problème dans l’autre sens : la sémantique interprétative est en train de modifier l’accès aux banques textuelles, qui dans l’ensemble en restait aux méthodes lexicométriques. Des concepts comme celui de diffusion sémantique, qui traduit des phénomènes d’isotopie, permettent de sortir de la logique documentaire du mot-clé.

L’usage des banques textuelles ne constitue pas par lui-même un progrès théorique, mais il requiert des renouvellements de problématique, et permet en outre un nouveau rapport à l’empirique, je veux dire aux textes — la linguistique s’est trop vite satisfaite d’exemples forgés.

Par le changement d'échelle que permettent les banques textuelles, certaines hypothèses informulables ou invérifiables deviennent testables. J'avais fait, par exemple, l'hypothèse d'une corrélation entre des sentiments et des ponctuations, en supposant que les sentiments imperfectifs, comme l’ennui, devaient être associés à des points de suspension et les sentiments ponctuels, comme la joie, à des points d'exclamation. C'était vraisemblable, à ceci près que la formulation des hypothèses était en partie fausse. Dans une remarquable étude, Evelyne Bourion a mis en évidence des corrélations très fortes, mais a infirmé l’association entre points de suspension et sèmes imperfectifs (cette ponctuation est associée à l’aspect ponctuel). Je m’étais trompé grossièrement sur la sémantique des points de suspension, mais sans l’accès à une banque textuelle, et le travail d’Evelyne Bourion, je n’en saurais rien.

Autre exemple : un illustre critique citait dans un colloque un mot caractéristique de Balzac. Par malheur, ce mot ne figure pas dans l’œuvre de Balzac ; mais il était tellement balzacien que chacun l’a reconnu comme tel. Méfions-nous donc de nos intuitions, il ne suffit pas de patrouiller dans des textes ! Beaucoup reste à faire pour que les études littéraires parviennent à concilier leur principe de plaisir — sinon de bon plaisir — et le principe de réalité.

Avec les banques textuelles, on doit se soumettre à un impératif philologique, et l’on est conduit à abandonner la conception monumentale de la littérature ; et en caractérisant le contraste entre les textes littéraires et les autres corpus, on peut mieux comprendre la diversité des discours.

Le point de vue critique qui doit présider à la réunion des corpus doit guider aussi les parcours en leur sein. Pour formuler et tester des hypothèses, il faut une théorie de la textualité, afin par exemple d’utiliser à bon escient des outils statistiques qui ne tiennent compte que des chaînes de caractères.

Aux textes numérisés, on peut ajouter des balisages divers, morpho-syntaxiques, sémantiques : vous pouvez étiqueter un texte ad libitum. Cette possibilité concrétise l’idée que toute lecture accroît le texte. Permettre des accès différenciés aux textes avec des moyens informatiques légers peut grandement faciliter le travail ; mais l’aide à l'interprétation ne dispense pas du travail herméneutique.

On peut concevoir dans cette direction une science des idéologies qui serait tout simplement une sémantique de la doxa, et qui ne soit pas simplement appuyée sur une théorie politique, mais par des analyses de corpus bien constitués.

Il reste à adapter les stratégies interprétatives aux types de textes et à ce que l’on recherche. Plutôt que d’une démarche uniforme, nous avons besoin d’une déontologie, en rupture avec les préoccupations ontologiques de l’herméneutique philosophique — je serais tenté de dire une dé-ontologie. La dimension critique de l’herméneutique philologique devient ainsi un impératif pour la sémantique de l’interprétation.

Cela me paraît nécessaire pour étendre la problématique du texte, de tradition rhétorique / herméneutique, à l’étude des performances sémiotiques complexes : cinéma, opéra, textes multimédia, rituels, jeux interactifs, etc.

En outre, ce sont les parcours et énonciatifs et interprétatifs qui permettent de surmonter l’hétérogénéité apparente des différents systèmes de signes en interaction dans une performance sémiotique. Un « vieux » principe de la sémantique interprétative reconnaît d’ailleurs que l’interprétant externe d’une relation sémique au sein d’un texte peut appartenir à un autre texte ou à une autre manifestation sémiotique.

Ainsi, la sémantique, conçue comme description de parcours, peut proposer, au prix d’un nécessaire approfondissement, le cadre théorique de l’intersémiotique qui fait aujourd’hui l’objet d’une grande demande sociale.

Alors que les théories sémiotiques traditionnelles sont pour l’essentiel des théories de la représentation et supposent une ontologie qui assure la catégorisation et la discrétisation des objets représentés, la sémiotique interprétative est ainsi fondée sur une théorie de l’action ou praxéologie. Par là, elle suppose une déontologie, et s’ouvre vers l’ensemble des disciplines de l’action, des plus appliquées, comme l’ergonomie, aux plus réflexives, comme l’éthique.


NOTES

[1] L’analyse thématique des données textuelles — L’exemple des sentiments, Paris, Didier, 1995. Rééd. pdf. http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Themes.html

[2] Cf. Représentation ou interprétation ? — Une perspective herméneutique sur la médiation sémiotique, in V. Rialle et D. Fisette (dir.), Penser l'esprit : des sciences de la cognition à une philosophie de l'esprit, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1996, pp. 219-239.
Dans les langues, peut noter que les positions homologues sur les axes de la personne, du temps, du lieu et du mode sont fréquemment combinées ou confondues : en français, par exemple, les emplois modaux du futur et de l’imparfait sont légion, le futur antérieur a également une valeur modale, etc.

Les homologies entre ces ruptures permettent de distinguer trois zones : une de coïncidence, la zone identitaire ; une d’adjacence, la zone proximale ; une d’étrangeté, la zone distale. La principale rupture sépare les deux premières zones de la troisième.

La particularité des langues réside sans doute dans la possibilité de parler de ce qui n’est pas là : la zone distale. Sur l’axe de la personne, cela permet de parler des absents. L’homologation des ruptures les situe de préférence dans un autre temps (ancêtres, postérité, envoyés à venir), d’autres lieux et d’autres mondes (héros, dieux, esprits). Sur l’axe du temps, cela ouvre les aires de la tradition et de l’avenir. Sur ceux de l’espace et du mode, celle de l’utopie.

La zone proximale, où par exemple les congénères sont reconnus pour tels, appartient vraisemblablement aussi à l’entour des autres mammifères. En revanche, la zone distale est spécifique de l’entour humain, sans doute parce qu’elle est établie par les langues. Évidemment, le contenu des zones varie avec les cultures, et a fortioriles pratiques sociales. La zone identitaire n’est pas nécessairement celle d’un individu, et peut être instanciée par un groupe, un ancêtre totémique, une nation, etc.