PASTEL : UN PROTOCOLE INFORMATISÉ D'AIDE À L'INTERPRÉTATION DES TEXTES

Ludovic & Théodore THLIVITIS
École Nationale Supérieure des Télécommunications de Bretagne

(Article paru dans Informatique et Langue Naturelle 1996, Nantes)

1. Introduction

Si le problème de la sémantique en langue, avec sa longue suite de questions et d'implications déchaîne l'intérêt des chercheurs, et depuis peu des développeurs informatiques, les progrès ne sont guère aussi nets que dans d'autres applications du traitement automatique de la langue. Un des grands problèmes est que la sémantique manque cruellement d'objets manipulables. La phonologie a ses phonèmes, la morphologie a ses morphèmes, la syntaxe ses syntagmes, phrases, ou au pire ses mots, et nous devons malheureusement arrêter tôt cette liste sans doute trop simpliste.

Vouloir en effet localiser la notion de sens nous semble dangereux et peu souhaitable : du morphème au texte, le sens rôde et influe. Pire que cela, toute notion de sens semble relative, dépendant de tant de facteurs liés à l'humain (connaissances, objectifs, présuppositions diverses), que nous nous refusons à vouloir simplement aborder l'idée du sens d'un texte, mais plutôt d'un sens, résultat instable d'un acte d'interprétation.

Que faire alors face à toutes ces négations ? Heureusement pour nous, ces problèmes ne sont pas propres au seul traitement de la langue naturelle, même si c'est dans ce domaine qu'ils semblent prendre toute leur ampleur. Les autres champs de l'IA, principalement la représentation de connaissances et le raisonnement automatique se heurtent toujours à la spécificité individuelle ou contextuelle. Yves-Marie Visetti annonçait un renversement de tendance, au vu des échecs des tentatives d'artificialiser et de copier l'humain, et proposait la coopération entre l'homme et la machine. Qui remettrait en cause une telle coopération pour le langage ? Sûrement pas nous, qui utilisons un traitement de texte pour cet article, et un correcteur d'orthographe pour vérifier sa place dans une norme langagière. Mais nous allons ici proposer un nouveau type d'outils, que l'on pourrait grossièrement appeler des outils de traitement de sens. Tout comme les textes que nous tapons ne proviennent pas de la machine sur laquelle ils sont simplement mis en forme, une interprétation, ou une attribution de sens à un texte relève uniquement de l'humain, avec tout ce que cette notion peut supporter de psychologique et de social. Dans le type d'outils que nous proposons, la machine ne sert donc qu'à mettre en forme une interprétation, et surtout à guider cette opération dans un ensemble de contraintes et d'étapes. Nous verrons également comment cet ensemble d'opérations peut se révéler source de création, en compensant l'aspect exhaustif de ce processus par la proposition de nouvelles directions dans l'exploration du sens. Enfin, la << standardisation >> des données interprétatives permet également la qualification d'une interprétation, et propose des voies vers l'appréhension de l'intertextualité, toujours en utilisant les facultés de calcul de la machine.

Nous allons maintenant exposer le cadre théorique, du coté linguistique, de notre approche, et parcourir rapidement les spécificités de la sémantique interprétative de F. Rastier.


2. La sémantique interprétative

La théorie de F. Rastier se veut avant tout une tentative de rationalisation des phénomènes complexes de sens. Il propose d'utiliser des sèmes , ou traits sémantiques élémentaires pour la description des signifiés linguistiques. Ces signifiés, ou sémèmes sont attribués à des signifiants définis de façon souple, du morphème à la lexie (groupement stable de morphèmes). Au niveau local, un sémème sera une collection de sèmes, de statuts différents. Au niveau global, ces sèmes correspondent à des classes de sémèmes ou à des formes de structuration de ces classes. Le principe est donc de justifier toute attribution d'un sème à un sémème, et cette justification ne peut se faire que par la mise en relation du sémème à décrire avec un ou plusieurs autres sémèmes ; cette justification se fait donc de façon globale. Le sens découle alors d'un système, suivant le paradigme structuraliste.

F. Rastier met également l'accent sur la notion de norme dans de telles considérations : il est clair que les caractérisations sémantiques d'une entité lexicale ne sont pas toutes au même niveau de validité ni de pertinence. En langue, on peut repérer principalement trois niveaux : le dialecte, relevant du système fonctionnel, le sociolecte, de portée socioculturelle, et l'idiolecte, propre à un individu. Les sèmes attribués via le système fonctionnel sont définis comme inhérents , ou stables. Ceux des normes plus locales sont << afférents >>, donc plus liés au contexte que les précédents. Cette notion dont le principal atout est la souplesse couvre en théorie les notions de connotations, de symbolisme, de métaphore, d'analogie et autres << effets de contexte >>. Faire la part des choses n'est pas une mince entreprise, et nous devrons laisser à l'humain le rôle principal ici aussi. Cependant, comme nous le verrons par la suite, nous reprenons à notre compte la distinction inhérence - afférence, en proposant des caractérisations différentes, sans postuler pour autant un recoupement des deux définitions. Quoiqu'il en soit, nous proposerons comme perspectives une façon de << récupérer >> la notion de norme.

Qu'entendons-nous par classe sémantique ? C'est la première forme d'organisation des signifiés : elle traduit un sème commun entre ses éléments. Par exemple, si l'on regroupe les sémèmes 'fourchette' [1] et 'couteau' dans une classe, c'est qu'ils possèdent un sème commun, /couvert/. Nous identifierons donc la classe comme //couverts//, en utilisant comme << étiquette >> la même chaîne que pour le sème organisateur. Un tel sème aura un statut générique pour les sémèmes de la classe ; la classe constitue donc la forme du sème générique.

Précisons maintenant le phénomène de structuration des classes sémantiques. << Dans la langue il n'y a que des différences >> nous rappelle un vieil adage structuraliste. Encore faut-il qualifier ces différences, et leur donner une forme. Un sème servant à distinguer les sémèmes d'une même classe possède un statut spécifique . Il est attribué à un ou plusieurs sémèmes pour les distinguer d'un ou plusieurs autres sémèmes. Il caractérise donc, de façon minimale, un sémème par rapport à un autre. Par exemple, le sème /pour prendre/ distingue 'fourchette' de 'couteau', mais pas de 'cuiller'. Nous proposerons plus loin le choix formalisateur que nous avons opéré pour identifier la forme exacte du support d'un sème spécifique.

Voilà rapidement pour la langue. Si nous revenons au texte, partiellement décrit comme une suite de sémèmes, ces sèmes peuvent présenter des récurrences le long de l'axe syntagmatique. Une telle récurrence d'un même sème est appelée isotopie. Un exemple simple, emprunté à F. Rastier, peut être aussi minimal que la phrase << L'amiral fit carguer la voile >>. Si nous ne nous intéressons qu'aux trois sémèmes 'amiral', 'carguer' et 'voile', nous pouvons identifier pour chacun d'eux le sème /marine/. Pour le justifier, nous pouvons l'utiliser pour rapprocher 'amiral' de 'capitaine' par exemple, et traduire l'appartenance à la classe //dirigeant de navire//, elle-même sous-classe de notre //marine// (considérée comme une classe de grande généralité). Et ce même sème récurrent, nous pouvons l'utiliser pour distinguer 'voile' de 'drap', si nous considérons 'voile' dans une classe comme //pièce de tissu//. Il est important de noter que divers statuts attribués aux sèmes peuvent se combiner au sein d'une même isotopie, et donc qu'un même sème peut jouer divers rôles organisateurs en langue. De plus, tout comme l'identification de la forme d'un sème est propre à une interprétation, son statut est également relatif.

Cet exemple minimal montre bien la nécessité, avant de parler de sèmes, de disposer d'une organisation des sémèmes considérés au sein d'un système. L'isotopie, si nous la considérons comme un phénomène simplement constaté, n'est donc qu'un appauvrissement du contenu informationnel d'un tel système, une << projection de l'axe paradigmatique sur l'axe syntagmatique >> [Jakobson ]. Mais l'isotopie présente l'intérêt d'un résumé, et dans l'exemple précédent, son repérage est une sorte de condensation de la phrase : cette dernière parle bien de /marine/. De telles notions ont d'ailleurs été utilisées pour des logiciels de classification automatique de textes par M. Cavazza, pour traiter des dépêches de l'AFP [Rastier ].

Mais l'isotopie présente une autre facette, sur laquelle nous mettrons l'accent. Plus qu'une simple projection, elle peut également servir de guide au repérage des sèmes, et donc à l'approche du système sémantique. Cette notion peut servir à capter les phénomènes globaux et intuitifs qui dirigent un acte d'interprétation. Pour être plus clair, si nous abordons une recette de cuisine, nous nous attendons généralement à y trouver des expressions ayant trait à l'alimentation, donc à repérer une solide isotopie du sème /alimentation/. Plus finement, en abordant une poésie de la période romantique, nous nous attendons à trouver un certain nombre de thèmes classiques (l'amour, la nature, la mort, etc.) ; qui plus est, ces thèmes peuvent souvent n'être que difficilement repérables dans des termes pris isolément. Le phénomène esquissé est donc ce que F. Rastier appelle une << présomption d'isotopie >>, et nous permet de capter dans un cadre rationnel ces intuitions interprétatives. En quelque sorte, nous proposons dans notre logiciel de guider le lecteur de la présomption d'isotopie à l'isotopie proprement dite, et de l'aider à justifier et rationaliser son interprétation.

Nous allons maintenant exposer quelques notions fondamentales du formalisme de représentation utilisé pour la conception du logiciel PASTEL, et par là-même préciser quelques concepts de la théorie de F. Rastier.


3. Éléments de formalisme

Nous proposons un formalisme d'inspiration ensembliste, présentant une structure de représentation en plusieurs niveaux. L'objectif de cette structure est bien évidemment de traduire l'attribution de sèmes à des sémèmes, via diverses structures intermédiaires servant à l'organisation des sémèmes et à la justification des sèmes.

À la base de cette structure se trouve l'ensemble des sémèmes, S , disposant d'une relation interne d'identité, basée sur la forme du signifiant et sa position dans le texte. Les sémèmes seront repérés par leur signifiant (une chaîne de caractères), et nous osons parler de signifié dès lors que ces éléments sont mis en place dans une structure sémantique.

À un niveau suivant, nous organisons les sémèmes en classes minimales, appelées taxèmes , par l'ensemble T qui forme une partition de S . À ce stade aucune considération sémique n'est attribuée à un taxème. L'ensemble T dispose donc d'une identité extensionnelle par S .

Il nous faut maintenant organiser ces classes, en utilisant des notions structuralistes d'opposition entre sémèmes. Deux sémèmes appartenant à un même taxème étant équivalents (modulo cette classe) nous devons établir leur identité sémantique en qualifiant leurs différences. Nous introduisons ainsi la notion de spécème , dont la forme est un couple de sémèmes ( s , s ') appartenant à un même taxème. Nous notons SP l'ensemble des spécèmes, mais ne voyons toujours aucun sème à l'horizon...

... Et il faut maintenant y remédier. Nous mettons donc en place un ensemble de sèmes, SE , indépendamment des autres notions. Un sème est également représenté par une simple chaîne de caractères.

Il ne nous reste plus qu'à relier ces diverses notions, et ce n'est qu'à ce stade que nous introduisons la notion d'isotopie. Nous utilisons pour cela une fonction d'isotopie I, reliant un sème à un triplet de familles des trois ensembles S, T et SP. On a donc . Ainsi, un même sème peut servir à qualifier une classe, une opposition, ou directement un sémème. Nous appelons isotopie l'image d'un sème par I . L'ensemble de la structure, agrémenté d'un exemple, est représenté dans la figure suivante :

Figure 1 : Exemple de structure

La façon dont est attribué un sème à un sémème ( via un taxème, un spécème ou directement) indique le type de sème pour ce sémème. Il y a trois principaux types :

Générique : le sème qualifie une classe qui contient le sémème concerné, comme /religion/ pour 'Église'.

Spécifique : le sème qualifie une opposition (un spécème) du sémème concerné par rapport à un autre sémème, comme /lieu/ pour 'mosquée' par opposition à 'muezzin'.

Afférent : le sème qualifie de façon non-déterminée le sémème. Cette notion souple nous permet de gérer certaines contraintes sur les isotopies. Par exemple, la partition de S par T . Il s'agit donc d'une attribution encore plus arbitraire d'un sème à un sémème.

Ainsi, notre définition de l'isotopie joue le double rôle de description syntagmatique (par projection sur l'ensemble des sémèmes) et de structure paradigmatique (comme lien entre les sèmes et les sémèmes et autres notions dérivées). La fonction isotopante I doit satisfaire un grand nombre de contraintes, assez lourdes pour justifier amplement l'utilisation des capacités calculatoires de la machine. Nous ne nous étendrons pas sur ces contraintes, nous nous contenterons de préciser qu'elles servent à garantir l'identité sémantique des classes, des sémèmes, et à préserver le statut organisateur des spécèmes. Pour plus de détails, voir 97.

Maintenant que nous avons vu comment était organisée notre structure sémantique, nous allons décrire la façon dont elle est activée et construite via le logiciel PASTEL.


4. Une application : PASTEL

Le logiciel PASTEL (pour Programme d'Aide à l'Analyse Sémantique des TExtes, même Littéraires), est avant tout un moteur de gestion des contraintes inhérentes à la structure sémantique décrite précédemment. Il est constitué d'une interface graphique centrée sur un texte, et propose diverses fonctionnalités pour la manipulation des concepts de cette structure.

4.1. Description du protocole

Son utilisation peut se découper en les étapes suivantes :

4.2. Un support pour l'analyse

Malgré les revendications pro-globales que nous avons manifestées dans la rapide description des fondements théoriques de cette méthode, avouons que l'étape de repérage des oppositions est limitée à la localité d'un couple de lexies. Toutefois, cet aspect restrictif va tout de même nous permettre de renforcer cette notion de << présomption d'isotopie >> évoquée plus haut. Rien de tel qu'un exemple pour cela : nous nous baserons pour cela sur le poème << En sourdine >> de P. Verlaine (voir en annexe). Comme nous l'avons énoncé précédemment, l'approche d'un tel poème se fait via l'identification de classes ou thèmes << romantiques >> comme //mort//, //nature//, amour//, et bien d'autres. Pour préciser une partie de l'analyse, exprimons le contenu en terme de lexies des classes //nature// et //mort// :

//nature// = {'chênes', 'gazon', 'arbousiers', 'pins', 'branches', 'rossignol'}

//mort//= {'noirs', 'désespoir', 'croise tes bras sur ton sein'}.

Ainsi, l'exploration des oppositions qui organisent le taxème //nature// demandera une caractérisation de 'rossignol' par opposition à un ou plusieurs autres sémèmes de cette classe. Dans PASTEL, nous proposons la liste des sèmes identifiés à ce stade de l'interprétation. Ainsi, l'utilisation du sème /mort/ est proposée, et sa sélection peut ainsi traduire la symbolique funeste de cet oiseau. Sans modifier le contenu du taxème //mort//, nous avons tout de même étendu la portée de l'isotopie correspondante, et renforcé sa thématique dans le poème. Certes, cet exemple ne met pas en évidence la créativité du lecteur, mais dans certains cas les rapports sont plus spécifiques. Dans un autre exemple (pour lequel nous ne revendiquons aucune finesse de transition), tiré d'un article du Canard Enchaîné [2] , dans lequel l'auteur met en place des corrélations entre le domaine de la politique et celui de la religion. Nous disposons dans ce cas de deux grandes classes, et des phénomènes d'analogie peuvent se mettre en place, en passant, par exemple, de l'opposition de 'carême' et 'dogme' à celle de 'rigueur salariale' et 'emploi', par une notion de /privation/.

Ainsi, la caractérisation des oppositions intra-classe permet également de traverser ces classes elles-mêmes. Quoiqu'il en soit, puisque par la suite nous considérerons les isotopies dans leur simple projection syntagmatique, un tel phénomène apporte surtout une richesse de structure à ces projections.

4.3. Les données des isotopies

Nous allons donc considérer la projection de la fonction I sur l'ensemble S des sémèmes : . Plusieurs formes d'isotopies peuvent être considérées, et principalement se pose la question de la représentation des types d'attribution de sème. Si l'on en fait abstraction, on obtient comme image d'un sème un simple sous-ensemble de S . De plus, S étant l'ensemble des sémèmes extraits du texte, on peut aisément établir un ordre sur S. Les données résultant de la considération de cet ordre formeront le phénomène de la tactique , que F. Rastier considère comme une des plus essentielles des quatre composantes sémantiques. <<Deux d'entre elles [composantes sémantiques] sont nécessaires dans tout texte : la thématique et la tactique>> nous dit F. Rastier dans [ 4 , p.103,]. Nous admettrons que les informations issues de la structure sémantique précédemment décrite formeront la thématique [3]. Heureusement pour nous, F. Rastier admet la primauté des rapports entre thématique et tactique dans la caractérisation d'une interprétation [ Rastier]. Nous proposons dans PASTEL un simple calcul des caractérisations d'une isotopie, telles que :

Principalement, ces données numériques peuvent donner la zone de validité d'un thème, et la force de cette thématique. Par exemple, dans << En sourdine >> de Verlaine, une isotopie comme celle de /nature/ est bien << étalée >> dans le texte : fort volume (36, pour 39 occurrences dans le texte) et faible densité (19 %), alors que celle de /nous/ (couvrant des considérations amoureuses personnalisées) possède un très faible volume (7) et une très forte densité (71 %). Bien entendu, certaines isotopies trop restreintes, limitées à un ou deux sémèmes ne peuvent être caractérisées par ces données : une isotopie limitée à un sémème aura toujours une densité de 100 %.

De plus, nous pouvons également envisager des considérations de position entre plusieurs isotopies, comme indiqués par la figure 4.3 .

Ces différents cas traduisent les correspondances tactiques entre deux thèmes. En nous basant toujours sur Verlaine, nous avons repéré comme phénomènes intéressants les cas des isotopies suivantes [4] :

....xx..xxx............................. /Nous/ ................x..xxx.......x.......... /Toi/

Sans vouloir nous lancer dans une mauvaise critique littéraire, nous voyons assez clairement le passage d'une vision de couple à une vision de l'être aimé seul, un effacement du narrateur compatible avec un pessimisme progressif, comme le traduisent les isotopies /Mort/ et /Amour/ :

..................x...x.........xx.x.xx. /Mort/ .....x..xxxx.x..x..xxx......xx.......x.. /Amour/

Avec, de façon encore assez nette, une transition progressive de l'idyllique vers le morbide.

Bien entendu, une telle analyse grossière sur des données de ce type n'est pas acceptable, et nous espérons pouvoir rapidement exploiter automatiquement ces résultats, en utilisant pour cela des formes-archétypes d'isotopies.


5. Perspectives

Plus qu'une conclusion sur ce domaine encore loin d'être défriché, nous proposons un ensemble de projets se basant sur ce type d'outils. Certains de ces projets sont déjà bien avancés, d'autres restent de simples propositions.

5.1. Extraction d'expertise

Nous empruntons ce terme au paradigme de la coopération homme-machine, domaine dont, nous l'avons vu, les problématiques sont proches du TALN. Une telle direction consisterait en fait en un recentrage sur l'utilisateur d'un tel type d'outil, avec un accent mis sur les résultats de ses analyses face à un corpus donné. Il s'agirait en quelque sorte de résumer la compétence interprétative du sujet (à des fins pédagogiques, qui sait ?), tant au travers des structures qu'il met en évidence (sur un texte), que par la construction d'une sorte de lexique sémantique, agrégation des données qu'il met en place du point de vue de la sémantique lexicale.

5.2. Typologie des textes

Plus éloigné du sujet humain, il s'agit en fait d'un recentrage sur le texte. Sans prétendre à l'objectivité, nous pouvons du moins supposer une stabilisation relative de l'inter-subjectivité dans l'interprétation (moyennant le biais qu'est la méthode que nous avons proposée). Ainsi, nous obtenons une caractérisation d'un texte, qui devient alors comparable à d'autres textes [5]. La notion de comparaison entre textes doit s'inscrire dans un cadre plus général de relations intertextuelles. Ces relations ne peuvent pas se baser sur des indices simplement de l'ordre de l'expression (cf. Rastier 89, pp. 29-34,]), d'où l'intérêt d'utiliser les données extraites par PASTEL. La mise en relation entre des textes en vue d'une ébauche typologique se trouve ainsi inscrite dans des conditions de classification et d'analyse de données.

5.3. Renforcement de l'automatisation

Utiliser PASTEL est parfois fastidieux, généralement dans les cas où les informations apportées par le sujet semblent venir du << sens commun >>, ou plutôt d'un niveau de langue assez général. Idéalement, nous pourrions envisager une plus grande part d'automatisation du processus en couplant notre logiciel avec une base de données lexicales, sorte de dictionnaire électronique des sèmes. Bien entendu, il ne s'agirait que d'une facilité d'utilisation, puisqu'un des postulats les plus forts de la sémantique interprétative est la primauté du contexte lors de l'identification des sèmes.

5.4. Aspects psychanalytiques et oulipiens

Des aspects périphériques de l'utilisation de PASTEL peuvent, de façon anecdotique, être séparés en deux groupes. Il s'agit ici de jouer sur les conséquences de la pré-interprétation sur le résultat de l'interprétation elle-même. On connaît déjà les travaux de certaines écoles de psychanalyse appliqués aux textes littéraires, en s'efforçant de plaquer des thématiques archétypales sur l'ensemble des significations repérables (symboles phalliques et autres classiques, comme chez Kristeva). D'un autre côté peut-être moins sérieux, les travaux de l'OULIPO ont eu ce mérite de combiner littérature et informatique, du moins à des fins créatrices. Nous proposons ici le jeu inverse, qui serait par exemple de calquer des thèmes a priori très éloignés du sujet du texte, et d'en justifier l'adéquation (comment lire un roman policier sous des aspects culinaires ?).


6. Conclusion

En conclusion, nous ne prétendons pas révolutionner le domaine du traitement automatique de la langue, mais plutôt nous inscrire dans une nouvelle tendance, plus modeste, mais dont les enjeux ne sont pas négligeables. Du point de vue de la pluridisciplinarité, ce type d'approche possède au moins l'avantage de permettre un rapprochement plus aisé entre l'informatique et la linguistique, et il est également envisageable d'utiliser une telle méthode pour d'autres formalismes de description de la langue.


NOTES :

[1] Nous utilisons la notation typographique de F. Rastier pour distinguer les différentes entités utilisées : 'sémème', /sème/, //classe//.

[2] 'Chirac envisage de se convertir, mais à quoi ?', Frédéric Pagès, 11.10.1995.

[3] Ce qui laisse donc deux composantes sémantiques intouchées : la dialectique et la dialogique.

[4] Notre codage est simple : un point (.) indique que le sémème situé à cet endroit dans la liste totale de ces entités n'est pas concerné par l'isotopie (le sème de l'isotopie ne lui est pas attribué). Un x, par contre, indique la présence du sème.

[5] Ce projet est actuellement mis en oeuvre au cours d'un stage de DEA, et se base sur la comparaison de deux sous-corpus de textes poétiques.


BIBLIOGRAPHIE :

Jakobson (R.). - Essais de linguistique générale . - Editions de Minuit, 1963.

OULIPO. - La littérature potentielle . - Gallimard, 1973.

Rastier (François). - Sémantique interprétative . - Paris, PUF, 1987.

Rastier (François). - Sens et textualité . - Paris, Hachette, 1989.

Rastier (François), Cavazza (Marc) et Abeillé (Anne). - Sémantique pour l'analyse : de la linguistique à l'informatique . - Paris, Masson, 1994.

(Ludovic). - Traitement automatique de la langue naturelle et interprétation : contribution à l'élaboration d'un modèle informatique de la sémantique interprétative . - Thèse de Doctorat, Rennes 1, 1997.

Visetti (Yves-Marie). - Des systèmes experts aux systèmes à base de connaissances : à la recherche d'un nouveau schéma régulateur. Intellectica , vol. 12, 1991, pp. 221-280.


ANNEXE : Un peu de poésie...

En sourdine

Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond

Fondons nos âmes, nos coeurs
Et nos sens extasiés
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.

Ferme tes yeux à demi
Croise tes bras sur ton sein
Et de ton coeur endormi
Chasse à jamais tout dessein

Laissons nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazon roux

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera
Voix de mon désespoir
Le rossignol chantera.

P. Verlaine


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©  décembre 1998 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : , Ludovic, THLIVITIS, Théodore. PASTEL : un protocole informatisé d'aide à l'interprétation des textes. Texto ! décembre 1998 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Tanguy/Tanguy_Pastel.html>. (Consultée le ...).