SÉMANTIQUE TEXTUELLE 1

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2. La sémantique

On aborde ici la discipline qui a pour but la description de la signification, la sémantique.

Les problèmes de signification envisagés dans le cadre du mot (lexique) sont plutôt du ressort de la lexicologie qui étudie notamment certaines relations de sens bien connues : l'homonymie, la polysémie, la synonymie, l'antonymie, l'hyperonymie/hyponymie ; ce dernier couple, moins connu que les autres, renvoie à la notion mathématique d'inclusion : par ex. « fleur » est l'hyperonyme d'un ensemble qui comprend les co-hyponymes « tulipe », « rose », « lys » etc.. Dans la perspective, textuelle, qui est celle de ce cours, il convient d’être attentif à la manière dont les textes utilisent ou construisent, de façon plus ou moins originale, ces relations de sens. Certains textes publicitaires, notamment, sont intéressants de ce point de vue : « Lego développe l’ego » (homonymie qui dépasse le cadre strict du mot), « à ce prix-là, elle ne devrait pas être à ce prix-là » (publicité Leclerc pour une bague ; exemple de polysémie jouant sur des syntagmes), « au lieu d’acheter une voiture, achetez une SAAB », « quand on regarde Canal +, au moins on n’est pas devant la télé » (dans ces deux derniers exemples, c’est la relation d’hyperonymie/hyponymie qui est en jeu). Nous reviendrons plus loin sur certains de ces exemples pour les analyser. De même, lorsqu’on évoque l’antonymie, on cite des termes dont la relation antonymique « va de soi » (noir/blanc, pair/impair…) ; mais il arrive, et c’est le plus intéressant, que des termes sans relation antonymique attestée en langue soient présentés, dans des textes, comme des antonymes ; par exemple, les termes « beauté » et « confort » ne s'opposent pas en soi ; pourtant, on a pu voir une publicité pour soutien-gorge, de marque X, comportant cet énoncé : « Vous choisissez entre confort et beauté ? Moi pas ». C'est dire que jusqu'à l'apparition de la marque X, confort et beauté sont présentés comme ayant été en relation d’antonymie pour ce type de produit : il fallait choisir l'une ou l'autre qualité, exclusivement, et le nouveau produit défait la relation d'antonymie (relations que ce discours publicitaire présuppose).    

La lexicologie utilise aussi la notion de champ : le champ peut correspondre à l'ensemble des unités lexicales construites à partir d'un mot-base (lune =>  lunaire, lunatique, lunaison... ; champ morphologique), à l'ensemble de termes relevant d'une même notion (automobile =>  ensemble structuré des termes qui renvoient à cette notion : garagiste, mécano.../carburateur, frein.../garage, parking.../ vignette, permis... ; c'est le champ notionnel ou lexical), à l'ensemble des emplois d'un mot (les emplois de « rouler » par exemple, cf. l'article de dictionnaire ; c'est le champ sémantique). Pour une vue plus précise sur la lexicologie structurale (basée sur la notion capitale de différence, fondatrice de l'apparition du sens), se reporter aux ouvrages mentionnés en Bibliographie – section Lexicologie.

La sémantique structurale proprement dite met l'accent sur la notion de différence, fondatrice de la signification qui est envisagée cette fois-ci dans le cadre du signifié (ou forme du contenu). La méthode est empruntée à l'analyse en traits distinctifs courante en phonologie (forme de l'expression) ; de même que le phonème est défini par un ensemble de traits distinctifs (mode et point d'articulation), le signifié est constitué de traits distinctifs sémantiques qui caractérisent tel signe par rapport aux autres au sein d'un ensemble ou champ ; ces traits se nomment sèmes et l'ensemble de ces traits constitue le sémème (dont l'équivalent approximatif est « acception »), étant entendu qu'un lexème peut comprendre plusieurs sémèmes (ex. du lexème « table » dans les dictionnaires : outre son acception courante, il comporte aussi les acceptions : table d’écoute, tables de la loi, table de multiplication etc.). Partant d’un ensemble de définition, on compare des signifiés entre eux pour établir les sèmes des termes comparés (cf. le champ lexical des sièges par B. Pottier où « fauteuil » s'oppose à « chaise » par le trait /avec accoudoir/). Sur un exemple plus réduit, si l'on prend les lexèmes « espérance » et « crainte », ces deux termes ont en commun notamment des traits comme /attitude psychologique/, /orienté vers le futur/ et s'opposent par l'aspect /agréable/ ou /désagréable/ de ce qui est attendu (un terme comme « regret » ferait ressortir le trait /orienté vers le passé/). Autre exemple : les lexèmes « dépouillé » et « dépourvu » sont entre eux en relation d’équivalence (ils possèdent en commun le sème /privation/) et d’opposition (le premier comporte le sème /avec possession antérieure/ et le second le sème /sans possession antérieure/, dans certains contextes du moins…). Les sèmes ont une valeur différentielle et relative, plutôt que minimale. On a ainsi pu constituer des grilles lexicales de certaines zones du lexique (dont vous trouverez des exemples dans l’ouvrage de Chiss, Filliolet et Maingueneau cf. bibliographie), mais la validité de ces grilles doit être appréciée en fonction des différentes situations de communication (caractère relatif). L'archilexème (« siège » par ex.) est substituable à tous les lexèmes dont il est l'archilexème quand le contexte n'exige pas plus de précisions (parfois l'archilexème n'existe pas, il est reconstruit : c'est l'archisémème, ensemble de traits communs à tous les termes du champ). Deux autres notions sont importantes, celles de compréhension et d'extension : une analyse en extension énumère tous les éléments d'un ensemble (l'ensemble des cas du latin par ex.) ; une analyse en compréhension indique les propriétés que les éléments de l'ensemble présentent nécessairement (pour décrire les phrases grammaticales d'une langue par ex.) ; un concept s'étend à d'autant plus d'éléments qu'il réunit moins de caractères ; ainsi, la compréhension et l'extension sont en raison inverse l'une de l'autre (par ex. « faire » a une grande extension et une faible compréhension, à l'inverse de « scier »). La méthode présentée relève d'une analyse en compréhension ; c'est ce qu'on appelle analyse sémique componentielle. La signification des mots repose sur un groupement de sèmes (ainsi, une des acceptions de « homme » : /mâle/+/humain/+/adulte/, par comparaison avec d'autres termes comme « femme », « enfant » ); avec quelques sèmes, on peut décomposer le sens de mots formant le micro-système lexical porteur du signifié 'siège' (présence de certains sèmes et absence d'autres). Un mot est composé d'unités de signification dont il peut partager certaines avec d'autres mots (si deux mots ont exactement les mêmes traits, ils sont synonymes).

Dénotation et connotation : La dénotation (ou désignation ou référence) est le rapport entre le signe et le référent (élément du monde réel ou imaginaire, par nature extralinguistique, mais de nature sémiotique). Cette question du référent est assez complexe et sera examinée en licence (relation référent, concept, signifié notamment). Il importe pour l’instant de ne pas confondre référent et signifié. Le schéma suivant, dit « triangle sémiotique », permet de fixer les idées :

Fig. 2 Le triangle sémiotique

Le signifié est constitué de traits distinctifs sémantiques qui, dans une langue donnée, caractérisent tel signe par rapport à d’autres. L’appel au référent passe le plus souvent par le signifié (la ligne pointillée signifie qu’en principe il n’y a pas de relation directe entre signifiant et référent). Le rapport signifiant-signifié est la signification (ou sémiosis).

Les signes « étoile du matin » et « étoile du soir » ont le même référent (Vénus), mais des signifiés différents. Un même signifié peut correspondre à des signes différents : le signifié ‘la femme du fils’ est rendu par les signes « belle-fille » et « bru » (cas de synonymie, mais partielle, car « belle-fille » a un autre sens que n’a pas « bru »).

A la suite de Hjelmslev, et de Barthes, la dénotation est conçue comme un premier système de signification, constitué d’une expression (E) ou signifiant, d’un contenu (C) ou signifié et de la relation entre ces deux plans (R), soit ERC. La connotation est un second système de signification dont le plan de l’expression est constitué lui-même par un système de signification ; un terme connoté comporte un signifiant constitué du signifiant et du signifié de dénotation, et son propre signifié : par exemple, le mot « flamme », en dénotation a un signifiant /flam/ et un signifié ‘mélange gazeux en combustion’, en littérature il connote ‘l’amour’. A un autre niveau, dire « flamme » pour « amour » c’est connoter ‘poésie’. Autre exemple : « t’es mon pote » signifie « tu es mon copain » et connote le niveau de langue populaire.

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