SÉMANTIQUE TEXTUELLE 2

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2.2. Typologie sémique

Nous avons vu les définitions du sème et du sémème. Il faut maintenant apporter certaines précisions qui découlent du point précédent sur les classes.

Plus précisément, le sémème est constitué par le sémantème (ensemble de sèmes spécifiques du sémème) et le classème (ensemble des sèmes génériques du sémème). Le plus important est toutefois constitué par les définitions de sème générique et de sème spécifique, distinction en rapport avec la notion de classe(s).


2.2.1. Sèmes génériques et sèmes spécifiques

(dans la présentation, on utilisera souvent les abréviations sg et sp pour les désigner)

Le sème générique marque l’appartenance du sémème à une classe sémantique : il peut être microgénérique (relatif à un taxème), mésogénérique (relatif à un domaine), macrogénérique (relatif à une dimension) – cf. plus haut pour certains exemples, au paragraphe sur les classes.

Le sème spécifique marque l’opposition du sémème à un ou plusieurs sémèmes de la classe (en principe le taxème) à laquelle il appartient.

Ainsi ‘couteau’ et ‘cuiller’, de par leur appartenance au même taxème //couvert//, ont le même sème microgénérique /couvert/  et s’opposent par les sèmes spécifiques /pour couper/ vs /pour puiser/. Ou encore, si on revient aux définitions de ‘femme 1 ‘ et de ‘femme 2’, le premier a pour sème générique /personne/ et pour sème spécifique /de sexe féminin/, du fait de la classe considérée soit {‘femme’, ‘homme’}, et le second a pour sèmes génériques /personne/ et /de sexe féminin/ et pour sème spécifique /qui a été ou est mariée/, du fait de la classe considérée soit {‘femme’ vs ‘fille’ ou ‘demoiselle’}.

L’opposition générique/spécifique est donc relative à son ensemble de définition (classe) et cet ensemble de définition n’est pas forcément donné en langue (a priori), il peut (doit) souvent être construit à partir de l’examen du texte.

Il convient de ne pas assimiler la spécificité d’un sème à une restriction de généralité. Tout ce qu’il faut voir pour l’instant est que les sèmes spécifiques disjoignent des sémèmes qui sont par ailleurs conjoints par un ou des sèmes génériques communs

En outre, spécifiques ou génériques, les sèmes peuvent être inhérents ou afférents.


2.2.2. Sèmes inhérents et sèmes afférents

(dans la présentation, on utilisera souvent les abréviations si et sa pour les désigner)

Les définitions de ces notions ont varié et/ou se sont diversifiées dans la théorie. On a réservé pour la licence le débat que ces variations et leurs implications théoriques/pratiques peuvent susciter.

Dans FR 87, le sème inhérent est défini comme « l’extrémité d’une relation symétrique entre deux sémèmes appartenant au même taxème » et le sème afférent comme « l’extrémité d’une relation anti-symétrique entre deux sémèmes appartenant à des taxèmes différents ».

Ces deux notions se présupposent, comme se présupposent les notions de générique/spécifique, et il faut les penser ensemble, sinon on pourrait ne pas comprendre la distinction entre sème spécifique et sème inhérent, qui semble substantiellement la même. Ce qui compte ici, c’est cette opposition « symétrique vs anti-symétrique » qui met en relation ces deux types de sèmes. Prenons quelques exemples.

Soit le titre de l’ouvrage de Stendhal Le Rouge et Le Noir. On a là une sorte de taxème textuel, avec le sg /couleur/ et les sp /rougeur/ vs /noirceur/ pour ‘rouge’ et ‘noir’.

Par ailleurs, on sait que Julien hésite dans le choix de sa carrière : va-t-il choisir l’église ou l’armée ? Nous avons là un second taxème avec pour sg /carrière/ et pour sp /église/ vs /armée/.

A l’intérieur de chacun de ces taxèmes, nous n’avons que des relations d’inhérence (/rougeur/ et /noirceur/ sont symétriques, comme /église/ et /armée/). Mais le titre de l’ouvrage renvoie de façon anti-symétrique à la carrière (c’est-à-dire que /rougeur/ et /noirceur/ sont mis pour /armée/ et /église/, mais pas l’inverse ; on n’aura pas /armée/ pour /rougeur/ etc. : cela ne fonctionne que dans un sens), si bien que dans ce complexe de signification, /couleur/ est sgi (sème générique inhérent) et /rougeur/ ainsi que /noirceur/ spi (sèmes spécifiques inhérents) et /carrière/ est sga (sème générique afférent) et /armée/ comme /église/ sont spa (sèmes spécifiques afférents).

On aurait les mêmes relations entre les taxèmes {‘homme’, ‘femme’} et {‘force’, ‘faiblesse’}dans la phrase « je suis femme et je sais ma faiblesse » où ‘femme’ se trouve, via le contexte, doté du spa /faiblesse/.

Il est à noter qu’un sème afférent doit être actualisé par instruction contextuelle. Nous reverrons cela plus bas (opérations interprétatives). On voit d’ores et déjà que l’inhérence et l’afférence sont deux statuts différents qui caractérisent le mode d’actualisation des sèmes en contexte.

A partir de FR 89, le sème inhérent est défini comme « sème que l’occurrence hérite du type, par défaut : par ex. /noir/ pour ‘corbeau’ ». Cette variété de sème est définitoire du type. Cela signifie qui si, dans un texte, vous voyez l’occurrence de ‘corbeau’ – et s’il n’y a pas de contre-indication contextuelle du genre ‘corbeau blanc’ – ce terme a pour si /noir/. Mais le contexte peut imposer une valeur atypique ; aucun sème inhérent n’est donc manifesté en tout contexte. On est ici, semble-t-il mais c’est plus compliqué, au niveau du système de la langue (dialecte).

Pour les sèmes afférents, la définition initiale est gardée, mais il est noté que ces sèmes sont associés au type sans avoir de caractère définitoire au même titre que les sèmes inhérents : ce sont des valeurs prises dans l’occurrence par des attributs facultatifs du type ; ils ne sont pas hérités par défaut, mais doivent être actualisés par une instruction contextuelle. Par exemple, le sème /péjoratif/ n’est pas définitoire de ‘corbeau’, mais il peut être actualisé dans une expression comme « un corbeau de mauvais augure » : on dira alors que, du fait du contexte « de mauvais augure », il est afférent (actualisé) dans ‘corbeau’ Ces sèmes afférents ont un caractère périphérique par rapport aux sèmes inhérents (on n’est pas loin des phénomènes de connotation) et ils dépendent de normes sociales différentes du système de la langue. On voit que c’est un peu différent de la première définition des sèmes afférents. On parlera ici de sèmes afférents socialement normés (sasn). A rapprocher, mais des nuances s’imposeront, du degré sociolectal.

Enfin, on distingue une seconde sorte de sèmes afférents, lesquels ne dépendent pas de relations paradigmatiques entre classes (et du rapport type-occurrence), mais résultent uniquement de propagation de sèmes en contexte. On parlera de sèmes afférents contextuels (sac) : ce n’est pas le rapport entre types et occurrences qui est mis en jeu, mais uniquement le rapport entre occurrences dans le contexte. Ces sèmes ne sont pas représentés dans le type lexical, mais sont propagés dans l’occurrence par le contexte au moyen de déterminations ou de prédications : par exemple, dans l’expression « le corbeau apprivoisé » le sème /apprivoisé/ est actualisé dans l’occurrence ‘corbeau’. Ce sème, certes local, doit y être stocké pour permettre ultérieurement la construction de *l’acteur corbeau (composante dialectique, non étudiée cette année).

De toute façon, dans tous les cas (cf. point suivant), le contexte a un rôle primordial. Contexte : « pour une unité sémantique, ensemble des unités qui ont une incidence sur elle (contexte actif), et sur lequel elle a une incidence (contexte passif). Le contexte connaît autant de zones de localité qu’il y a de paliers de complexité. Au palier supérieur, le contexte se confond avec la totalité du texte » (FR 01). Dans le dernier exemple, « apprivoisé » est le contexte actif pour « le corbeau ».

Remarque : le contexte peut déformer les occurrences par rapport au type ; le type n’étant qu’une reconstruction conventionnelle à partir des occurrences, celles-ci peuvent modifier le type par création et/ou délétion (suppression) d’attributs. Il s’agit là d’une position théorique non réaliste qui va à l’encontre de la tradition aristotélicienne courante en philosophie du langage. Le type ne représente pas une substance dont les occurrences marqueraient les accidents ; il n’est lui même qu’une collection structurée d’accidents momentanément considérés comme invariants. Cette théorie renonce à l’ontologie des substances, d’où la modification de la notion de type.

On notera ici aussi, comme pour la différence spécifique/générique, que la distinction entre sèmes inhérents et sèmes afférents est toute relative (différence de degré plus que de nature – la réflexion sera poursuivie ultérieurement).

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