Innovations du XVIIIè s. grâce à la Fronde des Lettres

- Siècle des Lumières : l’éclairement est d’abord dû à la raison humaine, dans son indépendance (le libertin est d’abord celui qui ne veut se diriger que par la raison, en suivant la nature). Lumières est alors un antonyme d’illuminisme qui se complaît dans les superstitions. Pas d’esprit de système : le philosophe "sait demeurer indéterminé en l’absence de raisons de juger".
- Les
progrès de l’esprit scientifique : rigueur, méthode des faits contrôlés, recherche des causes premières et chasse aux préjugés, ceci afin d’éviter par exemple la « métaphysico-théologo-cosmolo-nigologie » que le docteur Pangloss enseigne à Candide (Voltaire).
- La
philosophie cesse d’être considérée comme la servante de la théologie et devient un moyen de connaître et de transformer le réel ; elle passe de la contemplation passive à l’action, militante.
- Evolution de la morale qui remplace l’idée de salut par celle de
bonheur terrestre (homme heureux maintenant, non après la mort).
-
Anticléricalisme dans la mesure où l’Eglise apparaît comme une force de résistance au progrès des Lumières. Les philosophes ont en commun la volonté de lutter POUR la raison et les droits de l’homme, quels que soient les obstacles dressés soit par le pouvoir soit par la religion. Leur optimisme et leur générosité (à l’image de Diderot) leur permet d’oublier les dangers auxquels leur courage les expose.
- Mise en cause des anciennes structures sociales (dialectique maître/esclave ou titre/mérites).

I. L’Encyclopédie

Exemple remarquable de la hardiesse des idées, outre l’accumulation des connaissances. A retenir :
- Développement et lutte, ce qui montre l’aspect contestataire derrière le didactique.
- Aspect gigantesque de l’œuvre.
- Aspect symbolique de l’entreprise : rejet de l’Ancien Régime par le philosophe.

II. Les moyens de la fronde : classification par genres

1. Le pamphlet (écrit satirique d’actualité, polémique, bref et violent) : utilisé surtout par Voltaire qui veut associer l’opinion à ses luttes et harcèle ses adversaires. Par exemple la Relation de la maladie du jésuite Berthier s’en prend au Journal de Trévoux et à son rédacteur ; le malade est soigné à coups de pages de l’Encyclopédie . Art de l’anecdote et du trait qui ne pardonne pas : le diagnostic hésite entre une vésicule de fiel trop pleine ou une cervelle trop vide !
2. L’
article de dictionnaire : ses vertus didactiques permettent un exposé rapide et convaincant (par exemple "Philosophe" rédigé par Dumarsais dans l’Encyclopédie , ou Voltaire dans son Dictionnaire philosophique ). Jeu subtil des renvois d’un article à l’autre.
3. Les
contes : ils permettent de faire passer à travers des situations extraordinaires les préoccupations des philosophes (chez Voltaire, Zadig renvoie à la physique newtonienne ; Candide constitue un débat sur la question du mal). Par l’intrusion immodeste du conteur à tout propos dans le cours de son récit - et dont le pouvoir fantaisiste est tourné en dérision - (cf. Jacques le Fataliste de Diderot), ils détruisent l’illusion réaliste que vise normalement la narration. A cela s’ajoute la parodie ouverte des thèmes traditionnels du récit d’aventures.
4. Les
romans : Déjà avec Manon Lescaut , l’Abbé Prévost avait dénoncé la société fondée sur l’argent, le vice du jeu et la débauche, et avec la perspective du voyageur qui a l’audace de la critique, dans les Lettres persanes Montesquieu augmentait le recul de la fiction romanesque. Avec la Religieuse , Diderot poursuit la dénonciation des vices, en l’occurrence ceux qu’entraîne une réclusion monacale antinaturelle.
5. Le
théâtre : il est le lieu capital "où la nation se rassemble" (Voltaire). Il s’ouvre au monde réel, c’est-à-dire bourgeois (cf. Diderot : Le Fils naturel et Le Père de famille ). L’idée est que les malheurs domestiques de personnages issus de la classe moyenne peuvent être aussi tragiques que les catastrophes ayant touché les héros des tragédies du siècle passé (Corneille & Racine), et que leurs sentiments sont aussi élevés voire sublimes. Outre les échanges d’habits chez Marivaux permettant de jouer sur la dialectique Paraître / Etre et de remettre en question la condition sociale, le drame bourgeois multiplie les indications de mise en scène et libère l’émotion des personnages pour mettre au premier plan leur expressivité.
6. La
poésie elle-même se fait encyclopédiste, en devenant le lieu d’une méditation. Par exemple chez Voltaire sa plaidoirie épicurienne pour les raffinements de la civilisation dans Le Mondain – la Fronde n’est plus négative – ou au contraire sa dénonciation du problème du Mal par rapport à Dieu dans le Poème sur le désastre de Lisbonne . L’engagement poétique se traduit aussi par le lyrisme de Chénier, qui, après la Révolution, dénonce l’injustice de ses bourreaux : la fronde dans son cas équivaut à la sédition dans un cri de détresse.
7. Si l’écriture en VERS n’est pas négligeable (cf. le triomphe de la tragédie
Zaïre de Voltaire, qui maintient le goût classique), la PROSE se prête mieux à l’expression rigoureuse et à la diffusion des idées, non seulement au théâtre mais dans les textes de type narratif et démonstratif.
8. Les ouvrages théoriques :
·
Traités : celui de Montesquieu, De l’Esprit des lois présente des attaques acerbes où se renforcent argumentation et pamphlet, notamment contre les esclavagistes (cf. aussi le Traité sur la tolérance de Voltaire).
·
Discours : notamment le Discours sur l’origine de l’inégalité , où Rousseau reconstitue l’évolution de l’homme primitif en remettant en cause la vision de la société (cf. la réponse de Voltaire, maître de l’ironie). Alors que le Discours sur la poésie dramatique de Diderot définit une esthétique opposée à la tradition classique, dont le caractère tourmenté se retrouve dans les tableaux de Fragonard ou de Vernet.
· Ouvrages inspirés par une
démarche expérimentale (l’expérience vérifie les résultats de l’observation des faits) : dans la Lettre sur les aveugles Diderot pose que nos connaissances viennent des sens et débouche sur le matérialisme athée (alors que Voltaire reste déiste ; cf. sa "Prière à dieu"). Ainsi selon lui, dans Le Rêve de d’Alembert qui remet en question les explications théologiques et métaphysiques, nous serions déterminés par une substance unique, la matière, laquelle, mise en mouvement et sensible, donnerait lieu à la pensée. Cela revient à nier une différence de nature entre l’homme et les autres organismes.

En conclusion, si les philosophes du XVIIIè s. se sont livrés à une révision critique des notions fondamentales concernant le destin de l’homme et l’organisation de la société, il ne faut pas seulement retenir que la polémique, la satire et le travail d’érosion exercés par des esprits pénétrants et exigeants. L’esprit philosophique se définit aussi par une foi optimiste dans le progrès et souhaite pour l’homme un bonheur immédiat (lequel n’est plus antinomique de la vie du corps - avec la mise en scène de la pantomime et des larmes - et de notions associées : libertinage, volupté, sensualité, à l’image des Liaisons dangereuses de Laclos ou de la vie de Casanova, auteur aujourd’hui revalorisé par un écrivain comme Sollers).
Il convient enfin de ne pas oublier que parallèlement au rationalisme critique, se développe en ce siècle un art plus affectif, dont le pouvoir réside dans
l’évocation des sentiments et de la "sensibilité" (c’est le préromantisme de Rousseau dont on observe l’introspection liée au sentiment d’injustice dans Les Confessions , liée d’autre part à la perception intime de la nature dans Les Rêveries du promeneur solitaire . Ou bien c’est l’expression d’un fort tempérament qui fascine Diderot dans Le Neveu de Rameau , personnage à la fois pétri de contradictions et artiste dans ses jeux de physionomie, au cours de sa conversation à bâtons rompus avec "Moi" où s’élabore une satire de la société ; la fronde réside ici dans l’invention d’un genre narratif \ dialogal nouveau ; on peut en outre rapporter à ce goût de la conversation la correspondance publiée – Lettres à Sophie Volland , et Lettre sur les aveugles de Diderot – mais surtout la transformation épistolaire du roman, de la Nouvelle Héloïse de Rousseau aux Liaisons dangereuses de Laclos.