Laclos : Lettre de Madame de Volanges à madame de Rosemonde

Lecture méthodique de cette dernière lettre des Liaisons dangereuses

RESUME de ce roman épistolaire (1782) :
Au début, deux actions vont être engagées, qui coïncideront chacune avec un lieu géographique différent.
La première répond aux vœux de la marquise de Merteuil, qui pousse son complice, le vicomte de Valmont, à séduire l’innocente Cécile Volanges au sortir du couvent. Cette entreprise libertine est motivée par le désir qu’a Mme de Merteuil de se venger de son ancien amant, le comte de Gercourt, auquel on destine la petite Cécile pour épouse. Cécile, quant à elle, aime en secret son maître de chant, le chevalier Danceny. Pauvre Cécile, qui est passive face à la volonté maternelle (Gercourt), au projet libertin (Valmont), au désir amoureux (Danceny).
La seconde tient au projet personnel de Valmont, qui désire prouver sa maîtrise libertine en séduisant une femme (mariée) connue pour sa vertu et sa dévotion, la présidente de Tourvel.
Au fil du texte, ces deux actions d’abord juxtaposées vont s’unifier. La symétrie des entreprises de Valmont se construit autour d’un personnage central, la marquise de Merteuil, qui dirige tout. Leur complicité tournera à l’affrontement par personnes interposées.

Le final est destructeur avec la mort de Valmont et de Mme de Tourvel, et l'entrée de Cécile au couvent ; la dernière lettre dresse un bilan de la tragédie, par la confidence d'une mère aveugle et impuissante devant le poids de la fatalité.

Avant d'étudier les 2 parties qui se dégagent du texte (§ 1 à 6 ; et § 6 à 10), montrons les caractéristiques de la lettre :
- Interpellation de l'interlocutrice : "ma chère et digne amie" (= rappel du rang social noble de Rosemonde, qui se trouve sali par l'indignité qui va suivre) ; au final : "adieu" et le sort commun marqué par le pronom "nous".
- Adaptation des temps du discours : le présent de constat (au moment où la lettre est écrite) domine, avec autour de lui le passé composé pour faire le récit des événements récents ("elle est revenue", "elle a perdu un œil", "elle a emporté ses diamants", etc.), futur proche pour annoncer les suivants ("doit s'assembler demain", "je ne m'y trouverai pas", etc.), conditionnel d'hypothèse et de regret (§ 9 : "Quelle femme ne fuirait pas au premiers propos d'un séducteur ?").
- Adverbes et locutions rattachés à la situation d'énonciation : § 3 : "avant-hier", § 4 : "aujourd'hui", § 6 : "demain", § 7 : "il y a près de 15 jours", § 8 : "depuis quelque temps".

Partie 1 : Une accumulation de catastrophes

Le sort de la marquise le Merteuil est particulièrement atroce : sa laideur est non seulement physique avec "sa petite vérole" - maladie fréquente à l'époque - mais aussi morale, puisque son côté machiavélique est dévoilé à la société mondaine, si bien quelle est marquée d'infamie et doit s'enfuir pour la Hollande (§ 4) : "son âme était sur sa figure… l'expression était juste". Il y a maintenant concordance entre la personnalité apparente et la personnalité cachée de l'héroïne négative. Cette révélation et cette punition redonnent un côté moral au roman qui s'amusait jusque-là avec les jeux pervers des personnages, où chacun profitait des autres, au mépris de toute morale, ce dont témoigne la "méchanceté" du marquis (§ 2).
Cependant sa fuite avec les diamants de la succession de son mari, et les dégâts financiers qu'elle occasionne, relativise cette morale.

Partie 2 : Le mouvement de retraite

Amorcé par celui de la marquise de Merteuil, le mouvement de fuite loin d'un monde corrompu concerne aussi bien
- la fille qui "prend demain l'habit de postulante" (= entre au couvent), "cérémonie plus triste encore" que celle de l'arrangement avec les créanciers, car en faisant le "grand sacrifice" de sa fille, Mme de Volanges perd tout.
- Que l'exil du chevaler Danceny à Malte. La mère ne peut le retenir car elle acquiert "l'affreuse certitude" que sa fille est "coupable". Cette séparation définitive des différents protagonistes les isole et leur ôte toute possibilité de communication. Si bien que les 4 derniers § de la lettre apparaissent porteurs d'une morale dérisoire. Quand Mme de Volanges s'interroge ("Il serait peut-être encore temps de le retenir ?") elle ne cherche qu'à conjurer une "fatalité" dont elle prend conscience peu après.
De même sa lucidité est inutile : elle comprend que ses interrogations en cascade ("Qui pourrait ne pas frémir… quelles peines ne s'éviterait-on point… quelle femme ne fuirait pas… quelle mère pourrait, sans trembler, voir…?) signalent la voie de la sagesse qu'il aurait fallu suivre, et qu'elles ne sont que des "réflexions tardives qui n'arrivent qu'après l'événement", donc impuissantes à modifier le cours des choses. L'image du "tourbillon de nos mœurs inconséquentes", c'est-à-dire nos comportements sociaux dépravés auxquels on ne peut échapper, explique que cette vérité morale "reste étouffée et sans usage". Amer constat que retire, trop tard, cette mère victime d'une vie de plaisirs qui ont dégénéré.
La dernière phrase a ainsi une allure de SENTENCE en montrant la prise de conscience d'une vérité toute entière négative (cf. "insuffisante", "malheur") : l'échec de cette valeur sûre pour le philosophe des Lumières qu'est "notre raison", dans ses deux buts symétriques ("prévenir" et "consoler"). L'affirmation dépasse ainsi le cadre de l'échange épistolaire pour servir de leçon à toutes les mères : derrière le cas particulier ("je", "ma", "notre"), se profile la généralisation et l'application à autrui.

On comprend que la publication de ce roman épistolaire ait fait scandale, car aucune conclusion vraiment morale n'est donnée par l'auteur. Celui-ci se contente de réduire au silence les coupables, qui n'ont pas l'occasion de donner une lettre ultime pouvant expliquer leurs comportements et attitudes.