Carine DUTEIL-MOUGEL : INTRODUCTION À LA RHÉTORIQUE

ANNEXE 5 : Tropes (Cicéron)

TROPES / précisions

DÉFINITIONS

la métaphore 
- « L’expression propre a peine à bien exprimer la chose ; au contraire l’expression métaphorique éclaire ce que nous voulons faire comprendre et cela grâce à la comparaison avec l’objet, exprimée au moyen d’un mot qui n’est pas le mot propre. Donc ces métaphores sont des espèces d’emprunts, grâce auxquels nous prenons ailleurs ce qui nous manque. Il en est d’autres un peu plus hardies, qui ne sont pas une preuve d’indigence, mais ajoutent un certain éclat au discours. »

(De l’orateur, Livre III, XXXVIII, 155-156, p.61) 
- « Dans tous les cas la métaphore doit être employée pour donner plus d’éclat » 
(De l’orateur, Livre III, XXXIX, 157, p.62) ;

- « La métaphore exprime également avec plus de relief toute l’idée, qu’il s’agisse d’un fait ou d’une intention. »

(De l’orateur, Livre III, XXXIX, 158, p.62) ;

- « Quelque fois aussi c’est à la concision que permet d’atteindre la métaphore »

(De l’orateur, Livre III, XXXIX, 158, p.62) ;

- « les métaphores , celles du moins qui sont faites avec goût, s’adressent directement à nos sens, et particulièrement aux yeux, le plus pénétrant des sens. »

(De l’orateur, Livre III, XL, 160, p.63)

- « J’appelle transposition (métaphore), le transfert d’un mot pris d’une autre notion, par l’intermédiaire de la ressemblance, à cause de l’agrément qu’on y trouve ou du manque d’expression »
(L’orateur, XXVII, 92, p.32) ;
- « les métaphores de toutes sortes seront très fréquentes, parce qu’elles utilisent un rapport de ressemblance pour faire passer l’esprit d’une notion à une autre et le ramener à la première dans un mouvement alternatif et que ce mouvement de la pensée dans un va-et-vient rapide contient en lui-même son charme. » (L’orateur, XXXIX, 134, p.47) 

l’allégorie1 

- « Il en est bien un autre, qui découle de celui-ci2, mais il ne porte pas sur un seul mot employé métaphoriquement ; il se trouve dans un groupe de mots formant un tout, qui semblent dire une chose et en font comprendre une autre. Exemple : “Et je ne souffrirai pas que la flotte des Grecs, comme autrefois, heurte un écueil ”. Ou encore : “Erreur, erreur ; tes transports, ta confiance exagérée en toi-même seront retenus par les rênes vigoureuses des lois, qui te feront sentir le joug du commandement ”. »
(De l’orateur, Livre III, XLI, 166, p.66) ;

- « On prend un terme de comparaison, et, comme je l’ai dit, on applique à un autre objet une série de mots qui conviennent au premier. C’est là un grand ornement du style ; mais il y faut éviter l’obscurité ; car c’est généralement ce genre de figures qui produit ce qu’on appelle les énigmes. »

(De l’orateur, Livre III, XLI-XLII, 167, p.66) ;
- « Quand plusieurs métaphores se déroulent à la suite, cela donne une manière de parler tout autre ; c’est pourquoi les Grecs appellent ce genre “allégorie”
3 » (L’orateur, XXVII, 94, p.33)

la métonymie

« Pour relever le style, on met un mot propre à la place d’un autre mot propre […] Comme ornement de style, ce genre de figure fait beaucoup d’effet et l’on doit l’employer souvent. Dans ce groupe entrent les exemples suivants : “Le Mars de la guerre est le même pour tous”, “Cérès” pour “les moissons”, “Liber” pour “le vin”, “Neptune” pour “la mer”, “la curie” pour “le sénat”, “le Champ-de-Mars” pour “les comices”, “la toge” pour “la paix, “les armes défensives” et “les armes offensives” pour “la guerre”. De même on emploie les noms de vertus et de vices pour désigner une personne chez qui on les trouve : “La maison que le luxe a envahie” “où la cupidité a pénétré” ou bien : “la bonne foi a triomphé, la justice l’a emporté”. »
(De l’orateur, Livre III, XLII, 167-168, p.67)
« Vous voyez bien tous les aspects de cette figure, qui, en détournant un mot de son sens, et en se servant d’un autre mot, exprime la même idée d’une façon plus brillante. »
(De l’orateur, Livre III, XLII, 168, p.67) ;
« [j’appelle] mutation (métonymie), le cas où au mot propre on en substitue un autre qui fournisse le même sens, emprunté d’une notion qui est avec la première dans un rapport de causalité »

(L’orateur, XXVII, 92, p.32)

l’hypallage 

 

« Quoique ceci se fasse par transposition, autre est la transposition quand Ennius dit : “J’ai perdu ma citadelle et ma ville”, autre [elle serait s’il avait dit “citadelle” dans le sens de patrie, et] quand il dit : “la farouche Afrique trembla d’un terrible tumulte”, Afrique au lieu de “Africains”. C’est la figure que les rhéteurs appellent hypallage parce qu’il y a en quelque sorte “substitution d’un mot à un autre, les grammairiens métonymie, parce qu’il y a “transfert” de mots. »
(L’orateur, XXVII, 93, p.32-33)

(la synecdoque)4 

« nous voulons faire entendre le tout en énonçant la partie (quand nous disons, par exemple, “les murs” ou “les toits” pour désigner l’édifice entier), ou la partie en énonçant le tout, (quand, pour un seul escadron, nous disons la “cavalerie romaine”), ou le pluriel en employant le singulier “Mais le Romain, même après le succès, est indécis au fond de son cœur ”, ou le singulier en employant le pluriel : “Nous5 sommes maintenant citoyen de Rome, après avoir été autrefois habitants de Rudies” ou, dans ce genre, un tour quelconque, tel qu’il faille comprendre non ce qui est dit, mais ce qui a été pensé. »6
(De l’orateur, Livre III, XLII, 168, p.67-68)

la catachrèse 
« Aristote subordonne à la métaphore ces deux tropes
7, ainsi que l’abusio, qu’il appelle “catachrèse”, par exemple quand nous disons un esprit “menu” au lieu de “petit” et que nous nous servons abusivement de termes voisins, en cas de besoin, soit parce qu’on y trouve de l’agrément, soit par convenance. »
(L’orateur, XXVII, 94, p.33)

« Il arrive aussi que nous étendions le sens d’un mot ; cette figure est moins élégante que la métaphore ; si elle est plus hardie, cela ne va pas forcément toujours jusqu'à l’effronterie ; ainsi nous disons “un discours imposant” pour “un long discours” et “un esprit mince” pour “un petit esprit”.»
(De l’orateur, Livre III, XLIII, 169, p.68)

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NOTES

1 Cicéron juge les procédés qui suivent moins brillants que la métaphore.

2 De la métaphore.

3 Voilà ce que dit Cicéron sur ces premiers tropes dont il a traité : « Le nom est correct, mais quand au genre il vaut mieux suivre Aristote qui appelle toutes ces figures des métaphores. Démétrius de Phalère les multiplie beaucoup et elles sont des plus agréables ; et quoique la métaphore soit chez lui fréquente, nulle part on ne trouve cependant davantage de métonymies. » (L’orateur, XXVII, 94, page 33).

4 Cicéron précise que cette figure est très voisine de la métonymie mais qu’elle est moins brillante.

5 Ennius parle de lui seul.

6 Il s’agit sans doute de l’ironie.

7 Il s’agit de l’hypallage et de la métonymie.