SAUSSURE AU FUTUR
ÉCRITS RETROUVÉS ET NOUVELLES RÉCEPTIONS
Introduction à une relecture de Saussure
François RASTIER
CNRS
À la mémoire de Rudolf Engler.
Les choses existent, non pas par leurs déterminations positives, dans c’cas là, è’ n’existent pas, mais par la multitude infinie de leurs déterminations négatives. Queneau, Le Chiendent |
De l’histoire à l’épistémologie. — Indice de ses difficultés épistémologiques, la linguistique ne sait plus raconter son histoire. En linguistique cognitive, Saussure n’est mentionné que par Langacker qui lui emprunte un dessin d’image mentale. Le structuralisme avait certes été associé au nom de Saussure, mais l’on confondait sous cette notion la linguistique structurale de l’entre-deux-guerres, le distributionnalisme américain, et certain phénomène médiatique des années soixante [1]. La damnatio chomskyenne puis cognitive qui a frappé Saussure avec le structuralisme relève d’une historiographie péremptoire, au sens où chaque nouvelle « école » est censée périmer les autres [2].
Si l’on entend parler depuis quelque temps de « retour à Saussure » [3], la situation est bien différente de celle qui prévalait voici cinquante ans, quand Greimas écrivait L’actualité du saussurisme (1954) voire lors de la commémoration Saussure après un demi-siècle (Genève, 1963). En effet, le corpus saussurien s’est accru de manuscrits et de cahiers d’étudiants qui permettent de nouvelles lectures, philologiquement établies, de la théorie saussurienne [4]. On a regrettablement considéré ces documents comme des matériaux préparatoires au Cours de linguistique générale, comme s’il était la synthèse indépassable de la pensée de Saussure, et sans véritablement le reconsidérer à leur lumière. Ainsi, l’accès à la pensée de Saussure a tout à la fois été permis et entravé par le CLG, qui a tous les caractères d’une vulgate : indispensable, partout cité, sans valeur scientifique. Non seulement il fait l’impasse sur les développements épistémologiques par lesquels commençait le deuxième cours à l’Université de Genève, mais surtout il surtout minimise l’apport de Saussure à la linguistique de la parole, finissant sur une citation apocryphe (de Bopp , 1816 !) qui fait de lui un linguiste de « la langue en elle-même et pour elle-même ». En somme, les manuscrits sont les seuls écrits authentiques à partir desquels l’on doive travailler, les cahiers d’étudiants et le Cours n’étant que des documents annexes et complémentaires [5].
Au-delà de la curiosité qu’attise le thème romanesque du manuscrit retrouvé, la publication des cent pages de notes retrouvées en 1996 dans l’Orangerie des Saussure à Genève n’explique qu’en partie le succès des Ecrits de linguistique générale [6]. On assiste en effet à tout à la fois à une relecture de l’œuvre de Saussure, facilitée par l’extension du corpus, et à un regain d’intérêt pour le saussurisme, favorisé sans doute par la faillite théorique et pratique du chomskysme, la faiblesse descriptive du cognitivisme et l’anecdotisme de la pragmatique ordinaire. Cela présage une réappropriation de Saussure et, souhaitons-le, un nouvel essor de la linguistique saussurienne. Paradoxalement, Saussure n’est pas dépassé : soit on n’a pas encore pris la peine de le lire [7], soit, faute d’avoir su reconstituer les principaux enjeux de sa pensée, on n’en a pas saisi la radicalité fondatrice, soit enfin on ne se l’est pas approprié de manière à pouvoir la critiquer de manière à la dépasser : un véritable retour conduirait en avant. Comme l’histoire de la linguistique et son affermissement épistémologique se complètent, l’étude des manuscrits saussuriens accompagne un approfondissement théorique. Sans pouvoir ici détailler les problèmes herméneutiques qu’ils posent, précisons en quoi ils permettent de reconsidérer les idées reçues à propos de deux dualités, entre la langue et la parole, entre le signifiant et le signifié ; cela permettra ensuite de préciser la méthode « aphoristique » propre à l’épistémologie saussurienne.
La dualité langue/parole. — Bien que le CLG fasse faussement de lui un linguiste de la langue, Saussure est tout autant sinon plus un théoricien de la parole, et la Note sur le discours en est une preuve évidente (cf. ELG, p. 277). On a continué cependant à faire de Saussure un linguiste de la langue : par exemple Greimas lui attribuait la thèse que la parole présuppose la langue, ce que Hjelmslev aurait repris en affirmant que le procès présuppose le système. Ce genre de méprise reste le prétexte de la damnatio rituelle de Saussure par la linguistique de l’énonciation [8], et notamment par l’école française d’Analyse du discours.
Or, pour Saussure, la parole est l’élément déterminant dans la dualité langue / parole. Dans son discours à l’occasion de la création de la chaire de pour Bally, il dit ainsi de la linguistique : « elle comporte deux parties : l’une qui est plus près de la langue, dépôt passif, l’autre qui est plus près de la parole, force active et véritable origine des phénomènes qui s’aperçoivent ensuite peu à peu dans l’autre moitié du langage. Ce n’est pas trop que les deux » (ELG, p. 273, je souligne).
Traditionnellement, le rapport entre une grammaire et les productions linguistiques qu’elle règle est conçu comme un rapport entre la puissance et l’acte, dans la tradition aristotélicienne ; ou encore entre energeia et ergon, selon Humboldt qui la reprend ; ou enfin entre compétence et performance selon Chomsky, qui se recommandait de Humboldt sur ce point. Or, faute peut-être de l’avoir posé de façon satisfaisante, aucune théorie linguistique n’est parvenue à résoudre le problème de leur articulation.
Si l'on convient que la puissance ne préexiste pas à l'acte [9], la langue ne préexiste pas à la parole : elle est apprise en son sein, et la compétence des sujets évolue au cours de leurs pratiques effectives. Le "chaînon manquant" entre la langue et la parole est constitué par l'espace des normes, comme y a justement insisté Coseriu. Toutefois, même dans la tradition saussurienne, les deux linguistiques, celle de la langue et celle de la parole, sont restées séparées parce qu’une linguistique des normes n’a pas encore été édifiée [10].
À présent, la linguistique de corpus peut offrir les moyens théoriques et techniques d'étudier l'espace des normes et de transformer en dualité la fausse antinomie entre langue et parole. Pour cela il faut mener une étude comparative, tant des discours que des champs génériques et des genres, voire des styles – c’est là un aboutissement de la problématique de la linguistique comparée [11]. Si l’on prend la mesure des diversités effectives des discours, champs génériques [12] et genres, le noyau invariant qu’on peut appeler langue se réduit drastiquement à l’inventaire des morphèmes, à des contraintes comme la structure de la syllabe, la structure du syntagme, etc. ; par exemple, les lexèmes n’en font pas partie, car ils sont déjà des phénomènes de « discours » [13]. Aucun texte n’est écrit seulement « dans une langue » : il est écrit dans un genre et au sein d’un discours, en tenant compte évidemment des contraintes d’une langue.
Entre l’espace normatif des règles et le désordre apparent des usages, entre l’universel de la langue et la singularité des emplois, l’espace des normes s’étend de la généralité de la doxa jusqu’à la particularité du paradoxe. La dualité langue / parole n’est évidemment pas une contradiction : les règles de la langue sont sans doute des normes invétérées et les performances de la parole ne restent évidemment pas exemptes de normativité puisqu’elles instaurent et manifestent les règles de la langue et diverses normes sociolectales.
Bref, la linguistique prend de droit pour objet de description l’espace des normes : au lieu de les édicter, comme elle le faisait naguère en frappant d’inacceptabilité des énoncés, alors même qu’ils sont attestés, elle doit les décrire et pour cela exploiter des corpus [14]. Avec les méthodes de la linguistique de corpus, on dispose à présent de moyens nouveaux pour tester les hypothèses sur le rapport entre normes et règles, comme sur le rapport entre les deux plans du langage (plans du signifiant et signifié) [15].
La dualité signifiant / signifié. — L’opposition entre les deux plans du langage doit beaucoup à l’opposition entre le sensible et l’intelligible. Alors que depuis des millénaires on opposait la pensée au langage, la signification au signe, etc., Saussure met fin au dualisme entre le sensible et l’intelligible par sa théorie de l’unité linguistique. Cette nouveauté radicale n’a guère été comprise, et le dualisme demeure la règle dans les conceptions logicistes et cognitivistes du langage. Cependant, la théorie saussurienne de la « forme-sens » reconnaît une dualité non-antinomique entre ces niveaux : « Il est aussi vain de vouloir considérer l’idée hors du signe que le signe hors de l’idée » (ELG, p. 44) [16]. Le caractère indissociable des deux faces du signe et des deux plans du langage a été pensé comme celui d’un recto et d’un verso, selon les termes du CLG, ou comme une présupposition réciproque (selon les termes de Hjelmslev). En fait, des corrélations de différences impliquent plusieurs signes différents en syntagmatique : sans être préalablement codées en langue, elles s’établissent dans l’action énonciative et interprétative. Les parcours entre plans du langage sont reconnus par Saussure en tant que forme élémentaire, comme en témoigne la figure qui juxtapose deux signes A et B en reliant l’idée a au son b et l’idée b au son a (ELG, p. 290), indiquant ainsi que le contexte d’une unité de l’expression peut être une unité du contenu, et réciproquement.
Quelques considérations de sémiotique graphique nous aideront à retracer les conséquences de cette rupture ontologique sur la conception même du signe linguistique. Dans le CLG, le signe linguistique est figuré par une ellipse divisée dans sa largeur par une ligne horizontale (cf. 1972, p. 99). Cette ellipse devenue canonique a naturellement une histoire et dérive sans doute de la forme circulaire que l’on attribuait au concept [17]. Bref, la figure graphique du signe a sans doute hérité sa rotondité du concept — qui elle-même représentait celle de l’Être. Or voici que dans le CLG cette monade sémiotique s’aplatit et se clive. L’aplatissement présage peut-être son ouverture vers les signes voisins. Malgré la fin du dualisme et le rapatriement du signifié dans les langues, le clivage témoigne sans doute encore de la disparate ontologique entre le signifié (qui appartient encore à l’ordre intelligible) et le signifiant (qui relève encore de l’ordre sensible, bien que l’image acoustique soit cosa mentale) : alors même que Saussure insiste sur le fait que ce sont des réalités du même ordre (psychique). Leur position respective s’accorde d’ailleurs avec cette hypothèse : en bas la matière, en haut l’esprit.
La nécessaire reconception du signe peut s’appuyer sur ce passage de Saussure : « vous n’avez plus le droit de diviser, et d’admettre d’un côté le mot, de l’autre sa signification. Cela fait tout un. — Vous pouvez seulement constater le kénôme et le sème associatif » (ELG, p. 93, § Kénôme ; le mot kénôme — sans doute de kénos, vide — rompt avec l’ontologie du plein que manifestait la monade sémiotique ; par sème associatif, il convient ici d’entendre le signe linguistique contextuellement défini). Un nouveau recours à la sémiotique visuelle permettra peut-être d’interpréter la forme graphique de ces figures. Le kénôme () représente, dans une perspective onomasiologique (allant donc du signifié vers le signifiant), le signifié ouvert vers des signifiants indéterminés. On remarque en outre que la représentation graphique ne figure pas de séparation entre signifiant et signifié : cela « fait tout un ». Quant au sème associatif (), sa figure s’oppose en tous points à la monade du CLG. La distinction haut / bas le cède à l’opposition droite / gauche, qui figure les contextes précédent et suivant. Par ailleurs, en rupture avec les formes rondes de l’ontologie identitaire de tradition parménidienne, ses formes sont concaves et non convexes, et traduisent ainsi graphiquement l’ontologie négative de la différence. Ces deux cavités se différencient par leur orientation spatio-temporelle vers l’avant et l’après — et non plus par l’opposition haut / bas, qui figurait entre les deux faces du signe saussurien de la vulgate désormais dépassée les différences ontologiques entre matière et esprit ou entre langage et pensée.
Articulations entre les deux dualités. — La dualité signifiant / signifié précède, au moins dans l’exposition, la dualité langue / parole : « le signe, préalablement double par l’association intérieure qu’il comporte et double par son existence en deux systèmes, est livré à une manutention double » (ELG, p. 299).
On pourrait en tirer l’hypothèse suivante : puisque la parole commande la langue, le signe est d’abord un segment de parole [18]. Au plan du signifiant, le signe linguistique est un extrait — entre deux blancs, s’il s’agit d’une chaîne de caractères ; entre deux pauses ou ponctuations, s’il s’agit par exemple d’une période. Ce passage peut renvoyer aux étendues connexes, par exemple par des règles d’isophonie, d’isotopie sémantique ou de concordance de morphèmes.
Au plan du signifié, c’est un fragment qui pointe vers ses contextes gauche et droit, proche et lointain. Cela vaut pour le sémème comme pour le contenu du syntagme ou de la période — malgré la tradition logique qui voudrait que la proposition soit close sur elle-même. On peut ainsi substituer à la monade sémiotique cette figure du passage :
Figure 1 : Le passage
Si l’on maintient le vœu de pouvoir opérer sur des unités minimales, on observe que la sélection d’un passage, et a fortiori l’isolation d’un « signe » exigent deux opérations : faire l’hypothèse qu’à un extrait minimal correspond un fragment, de façon à pouvoir les isoler en les associant ; puis, en les décontextualisant, leur assigner un rapport terme à terme entre la signification et l’expression qui littéralise la première et fixe la seconde.
Un autre parallélisme entre les deux dualités se trouve dans cette série de figures qui semblait énigmatique : outre le pointillé, qui décloisonne le sensible et l’intelligible, la relation de gradualité semble figurée par l’utilisation d’une diagonale ; c’est ce que suggère une Note item (ELG, p. 103) :
Or le cartouche rectangulaire représente ordinairement la dualité langue / parole, et dans cet extrait Saussure étend cette figuration à la dualité signifiant / signifié, qui dès lors ne correspond plus aucunement à une monade, même clivée (cf. aussi ELG, p. 95). Il s’agit en effet, non seulement d’une opposition relative, mais encore graduelle, et Saussure affirme que vouloir « séparer les deux choses », ici les deux faces du signe, est « ce que nous croyons être le vice fondamental des considérations grammaticales auxquelles nous sommes habitués » (ELG, p. 52). Ainsi, paradoxalement, la dualité signifiant / signifié ruine-t-elle le dualisme qui séparait le sensible et l’intelligible [19].
Comme la séparation entre les étants (divers et variables) et l’Etre (uniforme et invariable) reste gagée sur celle qui oppose la matière et l’esprit, la fin du dualisme sémiotique marque la fin de cette séparation constitutive de l’ontologie occidentale.
Les conséquences sont considérables, car on ne peut concevoir ni a fortiori isoler aucun signifiant pur [20], aucun signifié pur : toutes les entités sont à deux faces, mais aucune ne concorde avec le signe du CLG, puisque toutes connaissent pour ainsi dire des degrés de dominance entre signifiant et signifié. À titre d’exemple, nous proposons d’en ordonner certaines sur la diagonale qui délimite les deux faces du « signe de parole » présenté ci-dessus :
Thèmes, formes dialectiques et dialogiques Prédicats, périodes Lexies et « termes » Prosodie et formes rythmiques Ponctèmes Eléments et qualités typographiques
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Figure 2 :Quelques degrés de dominance relative entre signifiant et signifié
La reconnaissance de tels degrés permet de rendre compte de l’hétérogénéité sémiotique des unités linguistiques ainsi que de la différence non contradictoire entre première et seconde articulation : on conviendra sans peine qu’un ponctème ne fonctionne pas comme un lexème, et pourtant il est sémantisé et sémantisable.
La tradition logico-grammaticale s’est cantonnée dans l’espace médian de la diagonale ci-dessus, là où le rapport entre signifiant et signifié semble proportionné : se réduisant aux mots et des propositions, elle pouvait traiter de la signification lexicale en termes de référence et du contenu propositionnel en termes de vérité. Mais elle n’a pas su considérer les espaces périphériques : ni l’espace « supérieur » où les signifiés sont associés à des signifiants largement indéterminés (comme ceux des formes sémantiques au palier textuel), ni l’espace « inférieur » où des signifiants sont associés à des signifiés largement indéterminés. Il aurait fallu pour cela adopter une perspective interprétative que seule la problématique rhétorique / herméneutique semble capable d’assumer, en s’étendant au palier textuel.
Au-delà du problème des unités linguistiques, le modèle graduel de l’entité linguistique permet en outre une conciliation entre trois notions : (i) celle de discours, tant au sens transphrastique de la linguistique harrissienne qu’au sens psycho-sociologique des théories de l’énonciation ; (ii) celle de texte qui appartient aux champs disciplinaire de la linguistique de corpus ou de l’herméneutique ; (iii) celle de document, qui appartient entre autres à la philologie. Cette conciliation enrichit le concept de texte jusqu’à le refonder, puisqu’il peut être alors articulé aux pratiques sociales dans lesquelles il est produit, comme aux supports, y compris numériques, à partir desquels il est interprété.
En somme, les dualités langue / parole et signifiant / signifié trouvent une articulation commune dans une double conception de la textualité. La première, issue des études sur les textes narratifs, religieux et mythiques notamment, privilégie le rapport entre unités locales et unité globale, par ces médiations que sont les normes de genre et de discours ; la seconde, privilégiant la poésie, met l’accent sur les rapports entre plan du signifiant et plan du signifié. Ces deux conceptions se complètent, car les normes textuelles déterminent tout autant la sémiosis que le rapport entre local et global ; mieux, les rapports entre global et local sur chaque plan du langage ne peuvent être établis sans prendre en considération la sémiosis qui spécifie le rapport entre plan du signifié et plan du signifiant.
Les dualités. — Le principal manuscrit de l’0rangerie, qui s’intitule De l’essence double du langage, ne traite pas seulement de la distinction langue / parole mais de l’ensemble des dualités. Des notes pour le deuxième cours indiquent : « Le langage est réductible à cinq ou six dualités » (ELG, p. 298), et énumèrent celles-ci : (i) entre signifiant et signifié (« les deux côtés psychologiques du signe ») ; (ii) entre individuel et collectif (« individu et masse ») ; (iii) entre langue et parole (« La troisième paire de choses est constituée par la langue et la parole (le signe […] est livré à une manutention double) ») ; (iv) entre volonté individuelle et passivité sociale (cf. ELG, p. 299). Pour parvenir au nombre de six, il faudrait rajouter synchronie et diachronie, et sans doute paradigmatique et syntagmatique [21]. Ces dualités revêtent une fonction éminente pour une fondation épistémologique qui n’a rien d’axiomatique ni de déductif : « Ne parlons ni de principes, ni d’axiomes, ni de thèses. Ce sont simplement et au pur sens étymologique des aphorismes, des délimitations » (ELG, p. 123).
Or, dans notre tradition, deux problématiques se partagent l’histoire des idées linguistiques. Elles semblent inconciliables : la première, dominante, de tradition logique et grammaticale, est fondée sur l’ontologie et gagée sur le signe ; la seconde, moins unifiée, de tradition rhétorique ou herméneutique est fondée sur une praxéologie et gagée sur le texte [22]. Ces deux problématiques se partagent de fait les dualités saussuriennes : en bref, les pôles privilégiés par la tradition logico-grammaticale sont la langue, le signifiant, la synchronie, la masse, la nécessité, alors qu’en revanche la tradition rhétorique / herméneutique privilégie la parole, le signifié, la diachronie, l’individu, la volonté.
En affirmant l’incidence déterminante de la parole sur la langue, Saussure a suggéré la détermination de la problématique rhétorique / herméneutique sur la problématique logico-grammaticale qui en semble alors une inversion simplifiée sinon appauvrie. S’il n’a pas établi que cette dominance relative permet d’échapper à l’antinomie entre problématiques, il a cependant projeté un remembrement, au sein de la sémiologie, des disciplines du langage et secteurs de la linguistique : « Sémiologie = morphologie, grammaire, syntaxe, synonymie, rhétorique, stylistique, lexicologie, etc., le tout étant inséparable » (ELG, p. 45). Dans la mesure où la problématique rhétorique / herméneutique reste primordiale, ce remembrement suggère une reconception de la linguistique à partir des études textuelles — les travaux de Saussure sur la poésie latine et les légendes germaniques ont d’ailleurs accompagné l’élaboration de sa linguistique générale.
Bref, tout en concrétisant le constraste de traditions épistémologiques, ces dualités apparaissent comme des transcendantaux différentiels, cadres généraux pour la formulation des catégories descriptives. Elles font système, mais plutôt qu’une hiérarchie constituent une hétérarchie [23]. Comme elles connaissent des oppositions graduelles, elles échappent à l’apodictique qui assure l’ancrage ontologique de la tradition logico-grammaticale.
En établissant ces dualités, Saussure dépassait la préconception du réel issue de l’ontologie aristotélicienne et inspiratrice de l’objectivisme (notamment positiviste), pour lui substituer une « dé-ontologie » conforme au statut des sciences de la culture. Du même mouvement qu’il définissait leur mode propre d’objectivation, il suggérait le type de vérité auxquels ces sciences peuvent prétendre : « La linguistique procède de fait par induction et divination, et elle doit procéder ainsi pour arriver à des résultats féconds » (ELG, p. 132). Il ébauche ainsi une épistémologie de la conjecture et une méthode indiciaire.
Si notre lecture, fort résumée, semble elle-même conjecturale, la sémiotique ainsi conçue peut toutefois devenir, comme l’avait compris Lévi-Strauss, un organon commun à l’ensemble des sciences de la culture, dans la mesure où elle propose une nouvelle conception, adaptée aux objets culturels, de l’objectivation et de l’élaboration de la connaissance. La sémiotique n’a pas de fondation, qui supposerait un point de départ, mais des fondements herméneutiques et critiques [24]. C’est pourquoi sans doute elle n’a pu être exposée sous la forme systématique d’un traité : « Quant à un livre sur ce sujet, on ne peut y songer : il doit donner la pensée définitive de son auteur », affirmait Saussure dans un entretien de 1909 avec un de ses étudiants. Ce propos conserve sans doute une portée plus générale : la linguistique et les sciences de la culture sont-elles le lieu des pensées définitives ? Sans doute non, mais la volonté de synthèse demeure, et les trois cours de linguistique générale en sont une tentative pour l’essentiel réussie, qui justifie, malgré ses manquements, le succès du CLG.
Pour une nouvelle linguistique saussurienne. — Ce n’est pas ici le lieu de faire le bilan de la linguistique saussurienne ; toutefois, ses principaux développements, comme les travaux de Hjelmslev sur la stratification du langage ou ceux de Coseriu sur le rapport langue / parole sont pour l’essentiel antérieurs à la publication des manuscrits [25]. Par ailleurs, la sémiologie qui se réclame de Saussure s’est appuyée sur un modèle du signe qui ne reprend rien des aspects les plus novateurs de sa réflexion.
À la lumière d’un corpus restitué, une révision d’ensemble du saussurisme s’impose donc aujourd’hui, non pour établir une orthodoxie heureusement impossible puisque la pensée de Saussure reste à bien des égards énigmatique, mais pour en reconnaître et en exploiter la vigueur et l’originalité.
Incontestables au plan scientifique, pour ce qui concerne la linguistique proprement dite (et le CLG reflète assez bien les conceptions de Saussure dans ce domaine), elles intéressent également la philosophie et l’épistémologie que le CLG en revanche oblitère.
Au plan philosophique, Saussure met en œuvre une préconception originale de l’objectivité, qui témoigne d’une rupture avec la tradition ontologique qui sous-tendait la problématique logico-grammaticale, puisque sa conception purement relationnelle des entités les vide de toute substance. En outre, du même geste qu’il abandonne le problème métaphysique du rapport entre les mots et les choses, il libère du problème de la connaissance la théorie du langage : si l’on trouve chez Saussure des éléments de gnoséologie, il s’écarte de la tradition antique et moderne par un approche décidément non-cognitive. Enfin, il met en œuvre une éthique scientifique très exigeante qui l’a sans doute dissuadé de publier ses réflexions.
Au plan épistémologique, Saussure se distingue par sa volonté de trouver une méthode propre de fondation, appuyée la délimitation de grandes dualités qui sont autant d’axes de caractérisation d’un objet propre. Il s’éloigne ainsi des modèles épistémologiques des sciences logico-formelles, comme de celles de la nature et de la vie, et par là même il contribue à clarifier le statut propre des sciences de la culture. Il s’interdit ainsi toute conception fusionnelle de l’interdisciplinarité : en traçant et en révisant des frontières on la fait plus progresser qu’en parcourant des confins, fussent-ils cognitifs. Bien que les principaux aspects de l’épistémologie saussurienne restent presque absents du CLG, des auteurs comme Lévi-Strauss en ont perçu l’enjeu [26].
À présent, la refondation sémiotique de la linguistique et la révision épistémologique qui l’accompagne deviennent mieux perceptibles car la linguistique se trouve affrontée à de nouveaux besoins sociaux.
Induisant un nouveau rapport à l’empirique, la linguistique de corpus traite aujourd’hui essentiellement de textes numériques. Or, ces textes, notamment les documents dits hypertextuels, se signalent par leur complexité sémiotique : polices, codes html divers, couleurs, images, annotations sonores, etc. : tout cela exige un développement de la sémiotique. En outre, la linguistique de corpus permet de mettre en évidence des corrélations inaperçues entre niveaux d’analyse qui jusqu’ici faisaient l’objet d’études séparées (par exemple, dans un corpus de romans, une corrélation entre le point-virgule et l’imparfait).
C’est pourquoi il faut élaborer une théorie de la sémiosis textuelle, qui, loin d’être une lointaine extension de la linguistique, y occupe un rôle central, non seulement parce que le texte (oral ou écrit) est l’unité minimale d’étude, mais parce c’est elle qui détermine la sémiosis des paliers inférieurs et permet de concevoir l’unité du contenu et de l’expression [27]. Appuyée sur la sémiologie, une linguistique saussurienne renouvelée semble à présent la seule qui puisse rendre compte de ces phénomènes complexes et permette de concevoir trois complémentarités générales : (i) celle des niveaux de langage et de description (de la ponctuation et de la prosodie à la sémantique) ; (ii) celle des paliers d’organisation et de complexité : du mot à la période, au texte, au corpus ; (iii) celle des systèmes de signes à l’œuvre dans les documents polysémiotiques, en premier lieu les textes multimédia.
N.B. : J’ai plaisir à remercier de leur aide Simon Bouquet et Rossitza Milenkova-Kyheng.
NOTES
[1] En France, au milieu des années soixante, des magazines culturels regroupèrent sous le nom de structuralisme des auteurs comme Greimas, Lévi-Strauss, le Barthes d’alors, qui se réclamaient diversement du courant saussurien, de Hjelmslev ou de Jakobson. D’autres auteurs, Foucault, Althusser, Lacan, qui ne participaient nullement au projet d’une sémiotique générale, furent bien souvent agrégés, mais très vite, dans l’espace de cinq ans, on déclara le structuralisme dépassé, en dénonçant sa prétendue vision statique et abstraite, son immanentisme antisociologique voire antimarxiste, pour promouvoir un irrationalisme désirant — et un nouveau mandarinat.
[2] Par exemple, Geeraerts proposait naguère cette périodisation : la sémantique historico-philologique aurait disparu vers 1930, date d’apparition de la sémantique structuraliste, qui aurait disparu à son tour vers 1975, date d’apparition de la sémantique cognitive. Cela supposerait que l’apparition d’un courant de recherche s’accompagne de la disparition du précédent.
[3] Bouquet cite à ce propos des articles de Jean-Claude Milner « Retour à Saussure » (1994), Jean-Claude Chevalier « De nouveau Saussure » (1997) et Christian Stetter : « Am Ende des Chomsky-Paradigmas : zurück zu Saussure ? » (2001). On peut ajouter, dès 1985, le Retour à Saussure de Zilberberg.
[4] Ces écrits n’étaient pas édités en 1956 quand Greimas écrivit L’actualité du saussurisme (rééd. in La mode en 1830, Paris, PUF, 2000 ; toutefois, commentant cet article dans sa préface, Arrivé néglige de mentionner les travaux de Godel, Engler, Starobinski, De Mauro, Bouquet, entre autres). Déjà, dans sa conférence d’ouverture de la commémoration Saussure après un demi-siècle, Benveniste mentionnait l’ouvrage de Godel Les sources manuscrites du Cours de linguistique générale (1957) mais pour ajouter immédiatement, à propos de l’étude du corpus saussurien : « ce n’est pas notre propos » (Eléments de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966, p. 32). Il faudra attendre les synthèses de Simon Bouquet (Introduction à la lecture de Saussure, Paris, Payot, 1997, et de Arild Utaker (La philosophie du langage – une archéologie saussurienne, Paris, PUF, 2002) pour prendre toute la mesure de la théorie saussurienne, sans dépendre de l’image convenue et quelque peu sulpicienne léguée par la tradition académique.
[5] Cf. Engler : « une fois apparues les “sources”, il était évidemment impérieusement nécessaire de travailler sur les textes “ authentiques ” » (in Bouquet, éd. Saussure, Cahiers de L’Herne, Paris, 2003, p. 18). Les cahiers d’étudiants restent plus fiables que le CLG, dès lors qu’ils sont étudiés avec l’attention philologique requise. Meillet voulait d’ailleurs publier celui de Regard, mais Bally l’en a dissuadé. Ni lui ni Séchehaye n’avaient cependant suivi les cours de linguistique générale de Saussure.
[6] Paris, Gallimard, 2002, éd. Simon Bouquet et Rudolf Engler (désormais ELG). Ces Écrits, déjà traduits en treize langues, seront suivis d’une nouvelle édition des Leçons établie à partir des cahiers d’étudiants.
[7] D’où de laborieuses redécouvertes : « differences between cognates across languages may not be due at all to lexical distinctions between the cognates, but rather may be accounted for by the differing competitors they face in their respective languages. This is what I call competitive narrowing. » (Ken Safir, 2004, The syntax of anaphora, Oxford, OUP, p. 183).
[8] À l’exception notable de Culioli.
[9] Cf. l'auteur, 2002, Saussure, l’Inde et la critique de l’ontologie, Revue de sémantique et de pragmatique, 11, pp. 123-146.
[10] On pense, sans doute à tort, qu’il ne peut y avoir de science des normes : elle serait une déontologie qui échapperait par son caractère relatif et conditionné à l’imaginaire logico-grammatical des règles, voire à l’imaginaire scientiste des lois. Aussi, le rapport entre langue et parole reste-t-il généralement conçu tantôt comme un passage du virtuel à l’actuel, tantôt comme le passage de contraintes à une liberté : dans les deux cas, on peine à concilier les virtualités impératives de la langue avec les libertés actuelles de la parole. En effet, passer de la langue, conçue abstraitement, à la parole, n’est pas seulement décliner des degrés de systématicité décroissants, mais aussi des statuts épistémologiques divers.
[11] Cf. l’auteur, 2001 b, Genres et variations morphosyntaxiques, Traitements automatiques du langage, 42, 2, pp. 547-577. En collaboration avec Denise Malrieu.
[12] Les champs génériques sont des groupements de genres, comme la poésie ou le théâtre.
[13] C’est pourquoi le lexique, du moins celui des lexies, n’appartient pas à la langue. De fait, comme la syntagmatique relève de la parole, les mots sont aussi des formations textuelles (à la différence des morphèmes).
[14] Elle n’a pas à se prononcer sur l’inacceptabilité : ce sont les théories normatives qui la créent et se rendent par là inacceptables. C’est par l’étude des textes que l’on peut restituer les normes linguistiques en vigueur. La langue est tout simplement ce qui rend les éléments du corpus comparables : il faut, pour établir ses régularités, vérifier des hypothèses d’isonomie (dans une synchronie) et d’homogénéité (malgré les variations de lieu et de registre). L’étude des corpus montre que le lexique, la morphosyntaxe, la manière dont se posent les problèmes sémantiques de l'ambiguïté et de l'implicite, tout cela varie avec les genres, les champs génériques et les discours. On peut même aller jusqu’aux styles en tant que phénomènes linguistiques et non seulement littéraires (cf. l’auteur, Arts et sciences du texte, Paris, PUF, 2001 a, ch. 6). Saussure affirmait d’ailleurs dans son rapport sur la création d’une chaire de stylistique : « c’est tout simplement de la linguistique qu’on nous offre sous le nom de stylistique. Oui, Messieurs, tout simplement de la linguistique. Mais la linguistique, si j’ose le dire, est vaste » (ELG, p. 273).
[15] Cf. l’auteur, 2004, Enjeux épistémologiques de la linguistique de corpus, In Texto !
[16] Si dans le modèle canonique du signe que présente le CLG, l’indissolubilité des deux faces du signe est affirmée, la ligne pleine qui sépare le signifiant du signifié reste apocryphe et trahit graphiquement le propos de Saussure, comme on peut le voir dans les ELG (p. 103), où ce modèle est explicitement récusé et la ligne pleine remplacée par un pointillé. Pour un développement, cf. l’auteur, 2003, Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée, in Bouquet, S., éd., Saussure, Paris, L’Herne, pp. 23-51, dont je reprends ici certains éléments.
[17] Les planches des ouvrages de sémiotique classique, comme ceux de Pierre d’Espagne (Jean XXI), Pacius ou de Jean de Saint Thomas, le figurent toujours ainsi, sans doute parce que la forme circulaire a depuis Parménide toujours été attribuée à l’Être. Pour créer l’Être, Parménide, dans le huitième fragment, le décrit par des prédicats d’invariabilité (sans commencement ni fin, naissance ni perte) et immobile « dans la limite de larges liens». L’inclusion périphérique prépare l’image de la sphère, v. 43-44. On trouvait cette image chez Xénophane, on la retrouvera chez Empédocle avec le Sphairos, chez Platon, chez Simplicius avec la vérité “ bien ronde”, chez Leibnitz avec la monade, et même dans la “ boule topologique” de l’ontologie thomienne : sa fortune tient à ce qu’elle concorde à merveille avec l’invariabilité et l’isonomie de l’Être.
[18] Remarquablement, Saussure emploie l’expression signe de parole (cf. ELG, p. 265) mais non signe de langue.
[19] En effet, les signifiants et les signifiés s’interdéfinissent sans se correspondre terme à terme, et sous le titre Principe général de la sémiologie, Saussure note : « Il n’y a dans la langue ni signes ni significations, mais des DIFFÉRENCES de signes et des DIFFÉRENCES de significations, lesquelles 1° n’existent les unes absolument que par les autres, mais 2° n’arrivent jamais à se correspondre absolument » (ELG, p. 70).
[20] Cela, par parenthèse, rend fort difficile toute prétention formelle.
[21] Chacune de ces dualités appellerait évidemment un examen critique. Par exemple, il est clair que la dualité individu / masse relève de la sociologie (au temps de Saussure s’affrontaient la sociologie massive de Durkheim et la sociologie individualiste de Tarde) et n’appartient pas en propre à la linguistique, même si elle trouve un analogue spécifique dans la dualité langue / parole. Les variations et indécisions de Saussure à propos des dualités mériteraient d’être étudiées avec plus de soin que ne l’a fait Benveniste, qui propose une liste non limitative de huit dualités, dont trois au moins semblent de son cru (cf., op. cit ., 1966, p. 40). Ce qui nous importe ici c’est d’établir le lien entre les dualités et la méthode saussurienne de fondement épistémologique.
[22] Pour une présentation, on peut au besoin se reporter à l’auteur, 2001 a. Saussure semble avoir reconnu cette dualité des points de vue : « Il n’y a pas en linguistique différents points de vue qu’il serait loisible d’appliquer à son gré, mais deux points de vue forcés, résultant de l’objet même (synchronique et métachronique) » (ELG, p. 263).
[23] « Il y a cinq ou six vérités fondamentales qui sont tellement liées entre elles qu’on peut partir indifféremment de l’une ou de l’autre et qu’on arrivera logiquement à toutes les autres et à toute l’infime ramification des mêmes conséquences en partant de l’une quelconque d’entre elles » (ELG, p. 17). Cette pensée hétérarchique est sans doute liée au refus de la tradition ontologique qui a dominé la pensée occidentale. L’Etre, le Dieu des philosophes, a certes pris la place du panthéon des rhapsodes, mais il demeure une arché : au pouvoir divin s’est simplement substitué le Principe inconditionné. Corrélativement et par contraste, on trouve dans les traditions de pensée non-ontologiques des cercles conceptuels non-hiérarchiques ; par exemple, dans le bouddhisme, le cercle de la naissance et de la mort dit pratityasamutpada (dodécuple chaîne de la génération subordonnée) : si la tradition place l’avidya (ignorance) en tête de la liste de ses concepts, c’est uniquement pour des raisons didactiques, aurait précisé le Bouddha.
[24] Pour un développement, cf. l’auteur, 2001 a, ch. 4 ; et ch. 14, in Rastier et Bouquet, éds. Une introduction aux sciences de la culture, Paris, PUF.
[25] Chez Hjelmslev, les Prolégomènes à une théorie du langage datent de 1943, La stratification du langage est parue en 1954. Chez Coseriu, le magistral Sistema, norma y habla, critique et approfondissement du CLG, remonte à 1952.
[26] Greimas, en s’appuyant sur lui et sur Merleau-Ponty, écrit ainsi : « L’originalité de la contribution de F. de Saussure réside, croyons-nous, dans la transformation d’une vision du monde qui lui fut propre — et qui consiste à saisir le monde comme un vaste réseau de relations, comme une architecture de formes chargées de sens, portant en elles-mêmes leurs significations — en une théorie et une méthodologie linguistique. […] Saussure a su éprouver la valeur épistémologique de son postulat en l’appliquant à une science de l’homme particulière, la linguistique » (L’actualité du saussurisme (1956), in La mode en 1830, Paris, PUF, 2000, p. 372).
[27] Saussure remarquait : « l’entreprise de classer les faits d’une langue se trouve donc devant ce problème : de classer des accouplements d’objets hétérogènes (signes-idées), nullement, comme on est porté à le supposer, de classer des objets simples et homogènes, ce qui serait le cas si on avait à classer des signes ou des idées. Il y a deux grammaires, dont l’une est partie de l’idée, et l’autre du signe ; elles sont fausses ou incomplètes toutes deux. » (ELG, p. 20). Pour un développement, cf. l’auteur, op. cit. 2004.
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