2007_12_10
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SdT volume 13, numero 5.


                        LA CITATION DU MOIS
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        Das Gedicht ist der Ort, wo das Synonyme
                        unmöglich wird:
        es hat nur seine Sprach- und damit Bedeutungsebene.
        Aus der Sprache hervortretend,
        tritt das Gedicht der Sprache gegenüber.
        Dieses Gegenüber ist unaufhebbar.

                    Paul Celan, Der Meridian
                (Endfassung - Entwürfe - Materialien
                Suhrkamp, Francfort /Main, 1999, p. 104)
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                SOMMAIRE


1- Presentations
    - Bienvenue a nos 12 nouveaux abonnes, dont Vivian Therese
      Mathiot et Laetitia Aujard.
    - Nouvelles adresses : pensez a nous faire part de vos
      changements d'adresse electronique.

2- Carnet
    - Voeux
    - These de Smail Djaoud, Nanterre, 12 decembre :
      "Semantique de la doxa dans les sciences sociales sur le
       Maghreb - De Charles Andre Julien a Germaine Tillion"
    - These de Christian Mauceri, Paris La Défense, 14 decembre :
      "Indexation et isotopie :
       vers une analyse interprétative des données textuelles"
    - Seminaire de Pierre Judet de La Combe :
      "L'interpretation litteraire. Theories et pratiques -
       Formes discursives en Grece archaique : mythe et cosmologie"
    - Seminaire coordonne par Alain Berthoz :
      "Le cerveau, le reel et le virtuel"
    - Seminaire de Henri Atlan :
      "La biologie post-genomique a l'usage des sciences humaines"
      et seminaire coordonne avec Claudine Cohen :
      "Biologie et societe"
    - Seminaire de Francois Rastier :
      "Semantique des textes -
       Corpus, connaissances et linguistique des textes"

3- Textes
    - Pierre Judet de la Combe : "Langues d'Europe et "identite" "
    - Francois Rastier : Mort-spectacle et succes annonce
       
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[informations réservées aux abonnés]

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{FR, 07/12/2007}

VOEUX

Bonnes fêtes et bonne année à tous !

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{FR, 07/12/2007}

SOUTENANCE DE THÈSE

Université Paris X Nanterre
Le mercredi 12 décembre à 14h, Batiment B, salle 016.

Smaïl DJAOUD
Université de Paris X Nanterre
Sous la direction de François Rastier

    Sémantique de la doxa dans les sciences sociales sur le Maghreb
    De Charles André Julien à Germaine Tillion

Résumé

Cette étude présente une approche sémantique des sciences sociales
élaborées sur le Maghreb à travers un corpus de quatre auteurs
importants : Charles André Julien, Pierre Bourdieu, Mostéfa Lacheraf et
Germaine Tillon. Elle s'efforce de saisir la variété des doxas au plus
près des textes étudiés et d'appréhender la manière dont ces penseurs
assument l'héritage que constituent pour eux les savoirs de la période
coloniale. Elle caractérise notamment la manière dont ils dépassent ces
savoirs et plus globalement les modalités de leur passage vers un mode
de connaissance postcolonial plus soumis aux exigences épistémologiques
et méthodologiques du champ intellectuel métropolitain et mondial.

La méthode, essentiellement sémantique, fondée sur la construction de
parcours interprétatifs, et consolidée parfois par des constats
lexicométriques d'appoint, est d'abord appliquée au texte historique de
Julien (1952). Un imaginaire géographique particulier et cohérent,
fondé sur l'opposition des parties du relief et sur une représentation
insulaire du Maghreb a ainsi pu être décrit. Impliquée jusque dans la
composition de l'histoire, cette vision  voit en les Almohades des
"montagnards" et en les Almoravides des "Sahariens",  et conçoit les
"invasions hilaliennes" comme un phénomène climatique néfaste. Le
résultat de cette géographisation de l'histoire est une re-construction
de l'espace  physique et culturel maghrébins, dont ont largement hérité
l'ensemble des sciences sociales qui traitent de ce "terrain".

A l'inverse, la pensée lacherafienne est caractérisée par une
construction sémiotique qui consiste à distinguer entre deux espaces
antagoniques, l'espace identitaire /national/ et l'espace distal
/colonial/. Le premier, présenté comme lieu d'énonciation et de
subjectivité, comprend une pluralité de notions et de valeurs définies
comme formant ou appartenant à l'espace du "nous" ; tandis que le
second, auquel il ne cesse de s'opposer, est celui des "autres", de
l'"ennemi", de l'étranger. Non seulement le premier est positif (zone 
de la révolution, du peuple, de la libération, de l'émancipation, de
l'opprimé, etc.) et le second négatif (zone du peuplement, du génocide,
de la dévastation, de l'extermination), mais l'ensemble de cette
organisation, avec ses valeurs et ses présupposés, se trouve investie
dans l'interprétation des phénomènes historiques et sociologiques les
plus divers : l'antagonisme du "nous" (l'identitaire) et du "eux"
(distal) est traduit par l'opposition du Tiers-Monde opprimé et de
l'Occident armé en histoire récente et en politique internationale, par
le contraste entre le Sud, autochtone, et le Nord, romain, pendant
l'antiquité romaine de l'Afrique du Nord, du Donatisme et de l'Eglise
officielle dans le christianisme nord-africain de la même époque, des
Musulmans et des Byzantins au 7ème siècle, du colonisé et du
colonisateur aux XIXè et XXème siècles, etc. Ce qu'opère ainsi le point
de vue nationaliste de Mostéfa Lacheraf consiste en une inversion des
valeurs.

Un autre auteur qui a retravaillé ces savoirs est Bourdieu dans sa
"Sociologie de l'Algérie" (1958). Il reprend les divisions de l'espace
culturel nord-africain, telle que construites par l'historiographie
"coloniale". Il retravaille la représentation du Maghreb en archipel et
la réécrit pour l'Algérie sous les traits d'une "koïné culturelle".
Mais c'est surtout le ton écologique de cette sociologie, conféré par
une lutte omniprésente et sans cesse recommencée du paysan (l'acteur
Homme) contre la nature (l'acteur Milieu), qui finit par la
caractériser, en  figurant comme un récit sous-jacent à nombre
d'explications : le défi lancé par la nature impérieuse, le surcroît de
solidarité des paysans, les femmes comme "prêtresses agraires"
conjurant les dangers du milieu physique, les marabouts comme chefs de
services spirituels intercédant auprès des forces naturelles, etc. sont
autant de séquences narratives d'une joute écologique entre des
protagonistes collectifs. Au final, la survie du groupe n'est assurée
qu'en vertu d'un équilibre précaire, sans cesse menacé de rupture.

Bien différent est le Bourdieu de la Kabylie mythico-rituelle, que les
commentaires sur l'oeuvre du sociologue ont négligé. Placée au coeur de
l'espace identitaire méditerranéen et "euro-américain", cette Kabylie,
intégrée du point de vue de l'espace, est cependant vertigineusement
éloignée du point de vue du temps : conçue essentiellement comme une
Arché miraculeusement contemporaine, dans laquelle fonctionne
atemporellement "le vieux socle méditerranéen", elle relève d'un
"Inconscient androcentrique" pathogène. Les sociétés européennes sont
alors comme conviées à se débarrasser de ce qu'il y a de profondément
kabyle en elles, pour parvenir à un rapport plus juste entre les hommes
et les femmes. Décrite comme dépourvue d'institutions, encore à l'état
indifférencié, similaire à la Grèce archaïque et pré-philosophique qui
croyait en ses Dieux de l'Olympe (sa mythologie) et vivait cette
croyance, la Kabylie éternelle de Bourdieu fonctionne en vertu des
dispositions mythiques de son habitus. Elle constitue un monde où les
pratiques des agents sont des mythologies réalisées, où l'antagonisme
du masculin et du féminin est une  division du nomos multipliée à
l'infini : elle fonde l'ensemble des divisions qui structurent les
différents secteurs de la vie kabyle, maison, métier à tisser,
cueillette des olives, etc. La vision bourdieusienne fait ainsi de la
Kabylie un ensemble de pratiques qui chantent analogiquement et en
choeur la même mythologie sexuée (masculin/féminin). Le schéma
synoptique qu'il en donne, tout en concentrant l'essence d'une culture
dans une sphère, est construit sur le modèle d'une matrice générative
(Chomsky) : c'est l'une des rares fois, sinon l'unique fois, où le
sociologue dessine de façon problématique l'habitus de toute une
culture.

Tillion convoque à sa manière l'illusion de l'Arché, en concevant son
terrain ethnographique comme /vierge/, /authentique/, /inexploré/,
/isolé/, /mythique/, jamais en contact sérieux avec "notre
civilisation" ou avec l'histoire, tout en négligeant les aspects
politico-religieux de la société chaouïa. Elle ira jusqu'à voir en
l'Aurès contemporain un "étrange monde lointain", resté /immuable/,
copie relativement fidèle de l'archéo-société endogame et incestueuse
qu'aurait connu jadis tout le monde méditerranéen. Cette recréation
idéale n'est cependant menée qu'à moitié car malgré sa référence à la
préhistoire, il demeure que pour elle la "société traditionnelle"
demeure dans un statut intermédiaire, hybride, entre le sauvage et le
moderne, ce qui lui vaut une  évaluation cinglante notamment à travers
la notion de "survivance" et celle de "vieilles structures", formes
culturelles qui appellent non pas une sauvegarde mais une destruction
rapide et efficace. L'analyse sémantique de son concept ternaire
(société sauvage/traditionnelle/moderne) fondé sur l'opposition des
contenus montre que l'auteure, à travers l'opposition de la Tribu et de
l'Etat, de la Campagne et de la Ville, du rural et de l'urbain, de
l'endogamie et de l'exogamie, du Cousin et du Citoyen, de la fraternité
et du patriotisme, de l'entre soi (inceste) et de l'échange, d'Ibn
Khaldun et d'Averroès, etc., fonde un solide système d'interprétation
et d'évaluation des réalités maghrébines et méditerranéennes, qui n'est
pas étranger aux savoirs antérieurs sur le Maghreb.

Cinq manières de dépasser les savoirs de la période coloniale sont
distinguées, manières qui sont appelées des réécritures : une
réécriture géographique avec Julien, une réécriture nationaliste avec
Lacheraf, une réécriture écologiste puis mythologique avec Bourdieu, et
enfin une réécriture méditerranéiste (plutôt que féministe) avec
Germaine Tillon.

L'analyse est poursuivie par une réflexion sur les points de rencontre
entre ces différentes réécritures. Elle fait ressortir les cadres
doxiques au sein desquels certaines visions et certaines appréciations
des savoirs de la période coloniale ont été reformulées. Ils concernent
essentiellement la construction de l'espace physique et culturel
maghrébin dans les sciences sociales, la "permanence berbère",
l'appréciation de l'islam, les visions de la ruralité et de l'urbanité,
la recherche de l'Arché et le projet d'une sociologie de la
civilisation.
 
En conclusion, la doxa dans les sciences sociales qui traitent du 
Maghreb est loin de se manifester au travers d'une idéologie globale,
transversale et cohérente. Bien au contraire, une fois ces textes
envisagés épistémologiquement, et non plus seulement politiquement, du
point de vue de leur contribution réelle ou supposée à un quelconque
culture impérialiste, il apparaît que leurs cadres doxiques consistent
en des catégories de perception et de construction des connaissances
qui transparaissent à travers des réécritures souvent très novatrices.

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{FR, 07/12/2007}

SOUTENANCE DE THÈSE

Christian MAUCERI
    mauceri@fr.ibm.com

J'ai le plaisir de vous inviter à ma soutenance de thèse intitulée

            Indexation et isotopie :
        vers une analyse interprétative des données textuelles

ainsi qu'au pot qui suivra.

La soutenance se déroulera le vendredi 14 décembre 2007 à 10H dans la
salle Ile de France de la Tour Descartes (Tour IBM),
2, avenue Gambetta, Paris La Défense.
Essayez de m'envoyez un mail de confirmation 3 jours à l'avance de
façon à ce que je puisse faire le nécessaire auprès du service de
sécurité d'IBM pour que vos badges soient disponibles, il vous faudra
aussi vous munir d'une pièce d'identité.

Composition du Jury :

- Rapporteurs  :
François RASTIER, Directeur de recherche, CNRS
Monique SLODZIAN, Professeur, INALCO
- Examinateurs :
Diem HO, IBM Academy of Technology, IBM Europe
Ioannis KANELLOS, Professeur, ENST Bretagne
Philippe LENCA, Maître de conférence, ENST Bretagne
Pierre-François MARTEAU, Directeur du VALORIA, Univ. de Bretagne Sud

Résumé :

L'immense succès des moteurs de recherche sur le Web est loin d'épuiser
la problématique de l'indexation sujet surtout lorsque les textes à
indexer ne sont pas déjà mis en relation par des liens hypertextuels.
La nature intrinsèquement interprétative de l'indexation sujet se prête
mal, a priori, à l'automatisation. Nous montrerons qu'une approche
interprétative de la classification automatique s'appuyant sur les
acquis théoriques de la sémantique interprétative ouvre des voies
nouvelles à l'indexation sujet en particulier et, en général, à
l'herméneutique matérielle dont l'ambition est de réunifier
l'herméneutique et la philologie.

Nous proposons dans un premier temps une pratique renouvelée de la
classification automatique basée d'une part sur un nouvel algorithme de
classification utilisant la densité de fonctions noyau et d'autre part
sur,une méthode d'utilisation de cet algorithme qui se fonde sur le
cercle herméneutique de la détermination du local par le global et du
global par le local.

Dans un second temps nous proposons deux améliorations de la technique
d'indexation par sémantique latente. La première utilise le filtrage
d'une matrice de cooccurrences par le test exact de Fisher appliqué à
des tableaux de contingence à vaste marge. Ce filtrage est rendu
aujourd'hui possible par l'algorithme de Lanczos approximant
efficacement la fonction Gamma. La seconde utilise une approximation
d'analyse en composantes principales permettant de représenter les
facteurs principaux d'une matrice de cooccurrences par les mots
caractéristiques du graphe de cooccurrences.

Nous montrerons enfin qu'il est dès lors possible de soumettre à
l'appréciation d'un interprète des classes de passages de textes
décrites par des facteurs, lui permettant ainsi de mettre rapidement en
évidence des molécules sémiques caractéristiques d'un corpus comme de
rejeter des regroupements artificiels. Les facteurs qualifiés au sein
de ces molécules sémiques rendent compte de formes sémantiques se
détachant sur un fond isotopique offrant par là même une indexation
rapide, régulière et de qualité de vastes corpus.

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{FR, 07/12/2007}

SÉMINAIRE

Pierre Judet de La Combe,
Directeur d'études à l'EHESS et Directeur de recherches au CNRS.

Séminaire de Pierre Judet de La Combe à l'EHESS :
    L'interprétation littéraire. Théories et pratiques.
 
Thème de l'année 2007-2008 :
    Formes discursives en Grèce archaïque : mythe et cosmologie

séminaire ouvert aux étudiants de master.
Le lundi, de 11 h. à 13 h., au 105 Boulevard Raspail, salle 5.
Hebdomadaire. Première séance le 12 novembre.
 
En prolongeant la réflexion sur la relation qui s'instaure dans les
oeuvres poétiques de la Grèce archaïque entre les formes de "vérité"
qu'elles revendiquent -vérités de l'ordre de la connaissance, de
l'ordre des normes politiques, religieuses et poétiques, ou de
l'expressivité- et leur historicité comme événements marquants [NDLR :
voir dans le précédent SdT le compte-rendu du séminaire de l'an
dernier], nous travaillerons cette année sur une forme qui prétend
totaliser la tradition narrative dans une construction systématique
nouvelle, à savoir le mythe, tel que le conçoit et le pratique la
poésie savante (notamment chez Hésiode, dans sa confrontation constante
avec la tradition homérique). L'hypothèse sera que le mythe, sous cette
forme savante, est à comprendre comme mytho-logie, comme science de la
tradition mythique, de sa variance, de ses contradictions, de ses
potentialités. Le mythe, selon ce point de vue, parle moins des choses
que de la manière dont on les raconte. Les séances porteront sur les
épisodes majeurs de la Théogonie (dans une traduction originale,
proposée pour la discussion, avec référence au texte grec pour les
points critiques où le sens littéral fait problème). L'enjeu sera de
reconstruire le type de systématicité qui est à l'oeuvre dans ce poème
généalogique, et d'articuler les deux orientations majeures de ce
récit : à savoir l'interprétation de histoire divine comme histoire de
la totalité des choses, et la forme de réflexion critique sur la
tradition poétique antérieure (et notamment, mais pas seulement, la
tradition "homérique") qu'un tel travail suppose. Cela nous permettra
de réévaluer la pertinence de plusieurs concepts habituels dans
l'analyse des textes anciens : performance, oralité, individualité d'un
auteur, rapport parole/langue.

Comme la notion de "mythe" a été fortement remise en cause ces
dernières années (comme notion anachronique, extérieure à la tradition
narrative parce que posée par la critique philosophique de cette
tradition), nous lirons parallèlement plusieurs textes philosophiques
et scientifiques marquants, depuis la fin du XVIIIe siècle, relatifs à
la nature du mythe, de manière à faire le point.

Nous reviendrons ensuite sur la question classique de la césure
historique, sans doute à remettre en question, entre récit mythique et
système cosmologique. Après l'examen des schémas qui posent une rupture
essentielle entre muthos et logos et de ceux qui, au contraire,
réintroduisent une continuité et expliquent le changement d'abord par
la différence des conditions sociales et politiques du discours savant,
nous tenterons de proposer des hypothèses sur la signification
historique du changement qu'introduit, au sein de la tradition
narrative, le passage d'un intérêt pour l'histoire des dieux à un
intérêt pour l'histoire de la nature.

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{FR, 07/12/2007}

SÉMINAIRE

Année académique 2007-2008
 
Chaire de Physiologie de la Perception et de l'Action
M. Alain BERTHOZ, Professeur
 
Séminaires :
        Le cerveau, le réel et le virtuel

Amphithéâtre Marguerite de Navarre
11 Place Marcelin Berthelot - 75005 Paris
 
Mercredi 16 Janvier
16h - Pr Nicolas Franck, Institut des Sciences Cognitives CNRS Lyon
  Les hallucinations. Altérations de la prise en compte du réel dans
  les psychoses
17h - Dr Marie Odile Krebs, INSERM, Hôpital Saint Anne Paris
  Hallucination et schizophrénie
 
Mercredi 23 Janvier
16h - Dr Jean Becchio, Université Paris Sud Orsay
  Données récente sur les bases neurales et les applications clinique
  de l'hypnose
17h - Dr Jean Philippe Lachaux, INSERM Lyon, Dr Ph. Kahane, Hôpital
      Nord, Grenoble et Dr Karim Jerbi, LPPA Collège de France
  Brain TV : voir, contrôler et moduler l'activité de son cerveau
  Bases du neurofeedback et des interfaces cerveau - machine
 
Mercredi 30 Janvier
16h - Pr Patrick Haggard, Institute of Cognitive Neuroscience
      University College Londres
  Sensation corporelle et représentation de soi
  [en anglais avec traduction française]
17h - Discussion : Pr Alain Berthoz et Pr Jean Luc Petit
  La notion de corps virtuel
 
Mercredi 6 Février
16h - Pr Liliane Manning, Laboratoire de Neuropsychologie CNRS,
      Université de Strasbourg
  Le réel et la fiction dans la mémoire autobiographique
  Etudes comportementales et en imagerie cérébrale
17h - Pr Pascale Piolino, Université Paris V
  A la recherche du temps perdu : bases neurales de la mémoire
  autobiographique et de ses dysfonctionnements
 
Mercredi 13 Février
16h - Pr Salvatore Aglioti, Université La Sapienza, Rome
  Le corps et le soi dans le cerveau
  [en anglais avec traduction française]
17h - Pr Alain Berthoz, Halim Hicheur, Julie Grèzes, Josh Houben, Lydia
      Yahia-Cherif, LPPA Collège de France et Ecole Jacques Lecoq
  L'expression corporelle des émotions
 
Mercredi 20 Février
16h - Pr Daniel Thalmann, Ecole polytechnique de Lausanne,
      Laboratoire de Réalité virtuelle
  La simulation des foules par la réalité virtuelle
17h - Dr Stéphane Donikian, IRISA /CNRS Université de Rennes
  Comment s'inspirer des comportements humains pour réaliser des
  créatures virtuelles avec des images numériques
 
Ces séminaires seront complétés par :
Deux conférences du Pr I. Takanishi (Université de Waseda, Japon) sur
les robots humanoïdes japonais (dernière semaine de Février).
 
Un colloque international qui se tiendra au Collège de France le 11 et
12 Juin 2008, organisé avec les Professeurs Brian Stock (Université de
Toronto) et Carlo Ossola (Collège de France).
Sujet : "La pluralité interprétative et les fondements historiques et
cognitifs des changements de point de vue".

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{FR, 09/12/2007}

SÉMINAIRES


* Henri Atlan, séminaire propre:

    La biologie post-génomique à l'usage des sciences humaines.

se tiendra les Mardis de 19 h à 21 h salle 8, 105 Bd Raspail
les 15 janvier, 12 février, 11 mars et 15 avril 2008


* Séminaire EHESS 2007-2008
  sous la direction de Henri ATLAN et Claudine COHEN

        Biologie et société

Lundi 14 janvier 2008 de 11 H à 13 H
    M. Daniel JACOBI (Université dAvignon)
"Le patrimoine naturel en France, entre protection et diffusion
touristique"

Lundi 11 février 2008 de 11 H à 13 H
    M. Paul-André ROSENTAL (EHESS)
"Les traits distinctifs de l'eugénisme français"

Lundi 10 mars 2008 de 11 h à 13 h
    M. Arnold MUNICH (Hopital Necker)
"Traitement des maladies génétiques : le poids de l'idéologie"

Lundi 14 avril 2008 de 11 H à 13 H
    M. François RASTIER (CNRS).
"Naturalisation et post-humanité"

Lundi 5 mai 2008 de 11 H à 13 H
    M. Pierre-Henri GOUYON (MNHN)
"L'Information en biologie de l'évolution"

Lundi 9 juin 2006 de 11 H à 13 H
    M. André WAKEFIELD (Université de Claremont, Californie) et
    Mme Claudine COHEN (EHESS)
"Histoire naturelle et géographie naturelle dans la Protogée de Leibniz"

Toutes les séances du Séminaire auront lieu à lEHESS,
Salle Lombard, 96 bd Raspail, 75006 Paris, de 11h à 13h.

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{FR, 07/12/2007}

SÉMINAIRE

Séminaire Sémantique des textes, année 2007-2008

François RASTIER
Directeur de recherche

CORPUS, CONNAISSANCES ET LINGUISTIQUE DES TEXTES

Thèmes abordés : - La linguistique des textes, la linguistique des
langues et la linguistique du langage. - Corpus et connaissances. - Les
concepts comme formes sémiotiques. - Unités textuelles et passages. -
Sémantique des textes et analyse de la doxa. - Pour une sémantique du
web. - De la sémantique des valeurs à une sémiotique des cultures.

Institut national des langues et civilisations orientales [Centre de
Recherches en Ingéniérie Multilingue], 2 rue de Lille, 75007 Paris -
Salons de l'Inalco, escalier C, deuxième étage, salle 223.
Métro : Saint-Germain, Musée d'Orsay ou Palais-Royal.

Six séances le jeudi, une le mercredi.
Les jeudis 10, 17, 24 janvier ; jeudi 7 février ; jeudi 20 mars ;
mercredi 26 mars ; jeudi 3 avril. Horaire : de 17h30 à 19h15.

Contact: Lpe2@ext.jussieu.fr
Références : http://www.revue-texto.net

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{FR, 07 et 10/12/2007}

TEXTE

Pierre Judet de la Combe

        Langues d'Europe et "identité"

[conférence donnée à Toulouse le 16 mars 2007 au colloque international
Trajectoires de l'Europe (Université de Toulouse 1, Sciences sociales)]


Deux fonctions du langage ? - Une opinion commune veut que les langues
aient, chacune, deux fonctions principales : permettre la communication
entre les humains et exprimer une identité. La langue serait, d'un
côté, ouverte à l'universel, puisque, non seulement, nous pouvons
communiquer les idées les plus générales entre sujets parlant la même
langue, mais qu'au-delà, la traduction, même approximative, assure la
possibilité d'une entente généralisée entre des individus d'origine
différente. D'un autre côté, les langues, par leurs différences,
rappelleraient que nous sommes aussi toujours liés à des histoires à
des traditions diverses, particulières. La langue, selon ce second
point de vue, exprimerait ce que nous sommes, à savoir notre identité
comme origine. Quand nous parlons, et quoi que nous disions, nous
faisons entendre que nous sommes de tel pays, de telle région, ou de
tel milieu social. D'un côté, donc : l'universel, idéalement ; de
l'autre, concrètement : une singularité. D'un côté, l'accent est mis
sur ce que l'on dit, de l'autre, sur l'idiome que l'on parle, langue
nationale, dialecte, ou sociolecte.


Conflit de valeurs : ouverture ou patrimoine. - A ces deux dimensions
du langage, sont attachées des valorisations différentes, dont les
relations ne manquent pas d'être conflictuelles. Comme outil de
communication, la langue ne s'embarrasse pas des identités d'origine.
La réussite que l'on attend d'une prise de parole n'est pas qu'elle
signifie clairement le lieu de naissance de celui qui parle, mais
qu'elle sache faire valoir une opinion, qu'elle la rende intelligible
et, si possible, convaincante. La pluralité des langues, qui est l'un
des caractères essentiels de l'Europe, tend, de ce point de vue, à
devenir un obstacle. Ce qui importe est le message que l'on veut
transmettre dans le monde ouvert qui est le nôtre. L'idéal serait que
tout le monde parle la même langue. Pour cette raison, on a vu, aux
différentes époques de l'histoire, s'imposer des "langues franches",
destinées à la seule communication : tour à tour l'araméen, le grec, le
latin, l'arabe, puis le français et enfin l'anglais, sans compter les
très nombreux sabirs qui ont accompagné le commerce et les conquêtes
ont servi à remplir cette fonction. Mais la simple liste de ces langues
montre que l'idéal n'est jamais réalisé : il restera toujours des
mondes que ces langues n'atteindront pas, ou des groupes sociaux qui,
enfermés dans leurs langues nationales ou leurs dialectes, n'auront pas
accès à cette communication générale. D'où l'idéal d'une langue
vraiment universelle qui n'ait comme support aucune des langues
historiques, pas même l'anglais, mais des langues purement
conceptuelles, formalisées, comme on les voit se construire dans les
programmes actuels de traduction automatique.

Face à cela, les langues nationales, ou régionales, sont défendues au
nom d'une tout autre valeur. Si la communication, pour se généraliser,
se dote d'une langue universelle, ou quasi universelle, comme l'est
actuellement l'anglais des échanges, la perte semble trop grande : des
identités historiques sont bafouées, les individus qui parlent se
sentent dépossédés de leur culture, qui est toujours singulière et dont
le support et l'expression seraient fournis avant tout par la langue.
Les phrases prononcées par les gens sont censées valoir non seulement
par la réussite de la communication, mais par leur authenticité : tel
ou tel parle en tant que Français, qu'Espagnol ou Catalan, et non pas
comme un individu abstrait, coupé de tout passé. On assiste alors à des
défenses, parfois désespérées, des langues "locales", c'est-à-dire de
toutes langues historiques en dehors de l'anglais, ou plutôt du
pseudo-anglais international. Ces défenses se font d'habitude selon
deux lignes d'argumentation qui sont en fait contradictoires et qui
font bien ressortir par là dans toute sa richesse le problème que nous
pose la pluralité des langues. On dira, par exemple, pendant les phases
d'impérialisme, que telle ou telle langue a plus que d'autres vocation
à dire l'universel en raison de sa constitution interne (ainsi
l'argument fameux de la "clarté française") ; dans les phases
historiques plus pacifiées, on dira, et à raison, que toutes les
langues ont par définition accès à l'universel. Ou, au contraire, on
fera valoir que c'est la différence entre les langues qui est par
elle-même une valeur, comme l'est pour la nature la diversité des
espèces. La singularité est alors valorisée en tant que telle. La
langue devient un patrimoine à préserver, puisque sans lui nous ne
serions pas ce que nous sommes, et que nous sommes d'abord des êtres
situés, dépendants d'une tradition.

La tension entre ces deux valeurs -réussite d'une communication
généralisée, d'une part, et authenticité des énoncés, de l'autre-
engendre des conflits persistants au sein des politiques nationales et
internationales des langues, que ce soit pour leur apprentissage à
l'Ecole, ou au sein des institutions chargées de régler ou de mettre en
place les échanges au niveau d'un continent ou du monde : peut-on se
passer d'un instrument d'entente générale comme l'anglais
international, mais comment, alors, ne pas priver les individus des
ressources de leur milieu linguistique d'origine ? Ou, pour le dire
positivement, comment considérer les humains à la fois comme des sujets
potentiellement universels et comme des singularités ? Selon les
idéologies et les modes, l'accent sera mis sur l'un ou sur l'autre
pôle. L'anglais international deviendra, par exemple, une matière
obligatoire à l'Ecole primaire, ou au contraire, là où s'affirme une
volonté identitaire, la langue nationale ou régionale servira de base
de l'éducation. Cette seconde ligne, qui est défensive, aura plus de
mal à s'imposer.


L'Europe et les langues. - Mais les termes du débat sont-ils justes ?
Le fait même que l'on parle, avec toutes les précautions nécessaires,
d'une "identité européenne" montre que la question n'est pas si simple.
L'Europe est une pluralité de langues, et le sentiment, plus ou moins
fort, d'appartenance à cet ensemble n'est pas lié à la langue, à telle
ou telle langue nationale, mais à une histoire complexe et souvent
conflictuelle, qui est une histoire agie et écrite en plusieurs
langues. Les débats, non tranchés, sur les limites géographiques de
l'Europe, comme sur ses prétendues "racines" civilisationnelles
montrent qu'une solidarité politique et culturelle européenne ne peut
pas être fondée sur un "donné" acquis une fois pour toutes, comme sont
supposées être "données" aux individus leurs langues naturelles, dont
on dit qu'elles expriment leur identité. Cette solidarité ne peut
résulter que de l'acceptation d'un projet qui à la fois soit commun,
c'est-à-dire dépasse les différences d'origine, et rende justice, d'une
manière ou d'une autre, à ces différences. L'appartenance européenne
n'est donc pas un état de fait, mais un travail collectif qui, pour
réussir, doit parvenir à une médiation acceptée entre le passé, ou
plutôt les passés des différentes sociétés, et un futur partagé. Elle
ne peut donc ni être déduite d'un passé supposé commun, et en fait
introuvable, tant les traditions diffèrent, ni être construite à partir
d'un futur abstrait défini en commun. Dans cette tension, c'est aussi
le concept même d'identité qui devra être discuté.


Langues et conceptions idéologiques du langage. - Cela nous renvoie
bien à la question de la, ou des langues. Un premier examen montre
vite, en effet, que les deux positions évoquées plus haut quant à la
langue, avec l'accent mis ou bien sur l'efficacité ou sur
l'authenticité de la communication, sont en réalité parfaitement
solidaires et résultent l'une et l'autre d'un même rétrécissement de
l'idée qu'on peut se faire des capacités du langage. Dans l'un et
l'autre cas, on suppose qu'il existe un donné préalable à l'acte de
communiquer, un donné que le langage n'aurait qu'à transmettre le mieux
possible.

Selon l'optique de la communication efficace, on pose en général que
les individus parlent de quelque chose qui existe indépendamment de
leur prise de parole : ils auraient un message à transmettre sur l'état
des choses. Le problème devient seulement celui d'être bien entendu.
Cela suppose qu'il existe bien un monde objectif partagé, formulable en
énoncés adéquats ; les individus n'ont donc qu'à apprendre à s'exprimer
clairement, et si possible dans une langue vraiment internationale.
D'où l'emprise progressive d'un anglais commun, présentée parfois comme
un destin. C'est tout simplement faire abstraction du fait que la
relation que nous pouvons avoir avec le monde est toujours différente
selon les situations historiques où l'on se trouve, selon les cultures,
les traditions, les individus et les projets. Ce qui fait consensus
dans une culture peut être problématique dans une autre, ce qui fait
qu'il y a dissensus dans une société peut être opaque pour une autre.
Le monde éventuellement partagé n'est pas un préalable, mais le
résultat d'une entente qui passe par le langage, c'est-à-dire par des
langues différentes ; il ne se réalise que si les individus comprennent
la signification de ce qu'ils disent par rapport à leur propre passé
culturel et s'ils comprennent les raisons qui font que d'autres
individus, parlant une autre langue, ne trouvent pas "naturel" ce
qu'ils disent. Penser qu'une compréhension internationale réussie
demande uniquement que le brouillage linguistique des informations ou
des opinions données soit éliminé participe de l'idéologie selon
laquelle le réel est évident, immédiatement partagé. Parler reviendrait
à se conformer le mieux possible à ce réel commun, ou à tenter de le
maîtriser. Mais si le monde commun n'est pas simplement conçu comme un
réel objectif sur lequel il faudrait s'entendre, mais comme un monde
social et politique rassemblant des individus et des sociétés qui
agissent et se parlent, il devient difficile de dire qu'il est
antérieur aux discussions ; il apparaît plutôt comme produit par elles.
Il suppose, en effet, que les raisons différentes de s'intéresser à lui
et de le construire soient elles-mêmes claires, qu'une entente soit
déjà produite à ce niveau-là : un projet tel que l'Union européenne ne
demande pas seulement qu'on s'entende sur des choses ou des normes
juridiques repérables, mais sur le sens que prend dans chaque culture
le fait de chercher une entente : quel type de solidarité, par-delà les
histoires nationales, cherche-t-on à mettre en place, avec quels effets
prévisibles vu ce que sont les histoires de chaque partenaire ?

Le monde commun n'est pas un objet disponible, déjà là ; il est
historique, c'est-à-dire toujours à faire. Le langage, à savoir chaque
langue, a sa part dans cette construction. En effet, si ce monde était
donné et si le langage tirait sa force de ce qu'il sait clairement s'y
référer (ce qu'on appelle sa fonction référentielle), la langue devant
dès lors être commune, on ne comprendrait tout simplement pas comment
un projet serait possible. Pour proposer une orientation quant à
l'avenir, par définition inconnu, la fonction référentielle ou
dénotative du langage ne suffit pas. Au-delà, il convient de mobiliser
des facultés langagières capables de poser un monde non réel. Pour
cela, les individus auront à activer des ressources de leur propre
langue, la seule qu'ils connaissent en profondeur, de manière à tirer
de leur tradition langagière (vocables anciens d'autant plus ouverts à
des sens nouveaux qu'ils sont inusités, métaphores littéraires ou
autres) des symboles renvoyant à une réalité possible. Le travail sur
le passé de la langue sert ainsi de condition à la préfiguration d'un
avenir, comme c'est en fait le cas dans les sciences dites exactes :
une métaphore, encore imprécise, y sert à anticiper un objet théorique
possible que la science aura ensuite à déterminer conceptuellement ; la
langue "naturelle" oriente le travail de formalisation qui est requis
de toute science. Il en va de même pour les projets politiques ou
économiques, qui sont d'abord portés par des termes qu'un travail de
discussion et d'argumentation contradictoire aura à définir. Les
individus seront d'autant plus libres et compétents dans ce travail
qu'ils appuieront l'inventivité linguistique requise pour la
formulation et l'argumentation de leurs projets sur la maîtrise d'une
langue dans sa dimension historique, c'est-à-dire, en fait, s'ils
s'appuient sur leur propre langue, et non sur une langue standard à
visée purement référentielle. Le respect de la pluralité des langues
historiques n'est ainsi pas un obstacle à un projet européen, mais la
condition de sa réussite.

De manière complémentaire, les idéologies de l'identité, nationale ou
régionale, supposent que nous savons ce que nous sommes et, plus
fondamentalement, que nous sommes bien quelque chose de collectivement
défini (comme le dit le mot "identité", qui renvoie au fait d'être ceci
et non cela), la langue étant l'expression la plus claire de cette
chose. Mais on sait, par exemple, que dans l'espace politique français
pas moins de quatre cents langues maternelles ont été transmises et
parlées au cours du XXe siècle. Les ramener à une seule est déjà un
coup de force. Dire qu'il y a une "langue nationale" n'est pas une
description de ce qui est, mais un programme ; il est posé qu'une
certaine norme linguistique, qu'un usage, parmi d'autres, fera la
langue commune, du mieux qu'elle peut ; et l'entreprise sera d'autant
moins ressentie comme violente et injuste qu'elle sera débattue,
argumentée au sein d'institutions vraiment représentatives. Ce ne fut,
de loin, pas souvent le cas, mais on a vu en France que l'emploi du
français a pu se généraliser avec le renforcement de la République à
partir de la fin du XIXe siècle avec les innovations que furent, entre
autres, l'Ecole, la liberté de la presse puis le développement des
médias. Cela est déjà un argument contre les souverainistes actuels :
la nation n'est pas la condition nécessaire à la démocratie, le seul
espace historique possible où elle pourrait se déployer. La nation est
plutôt un effet de la démocratie. Tout comme l'Europe, elle n'est pas
un donné, une origine, mais une construction historique, par principe
inachevée. Le concept même d'"identité nationale" fige ce processus
ouvert.


Complémentarité des idéologies identitaires et "mondialistes" (au sens
du marché). - Dans les deux accentuations différentes des fonctions
majeures prêtées au langage, communication de messages ou expression de
ce que l'on est, on voit donc à l'oeuvre la même tendance à transformer
ce qui est un long travail d'élaboration historique, ouvert et d'abord
indéterminé, en réalité donnée, posée là comme étant indiscutable, que
ce soit la réalité commune de ce dont il conviendrait de parler (en
fait, il s'agit souvent de la "réalité" du marché considérée comme
étant la base des échanges internationaux, avec les normes juridiques
et les savoirs qui l'encadrent ou la nourrissent), ou la réalité
originelle de ceux qui parlent. On assiste à une double tentative de
réification, de pétrification, tant du monde dont on parle que des
sujets. Il n'y a donc pas de contradiction entre le modernisme des
discours qui font du marché et des échanges d'information le milieu où
devrait se réaliser la dimension universelle de l'humain, et les replis
identitaires sur des traditions passées. Ces deux mouvements à la fois
se compensent et relèvent de la même idée de ce qui est réel, de ce qui
compte. Ce n'est donc sans doute pas un hasard si les fondamentalismes
nationaux, religieux ou moraux se développent, en Occident comme
partout ailleurs, à une période où l'ouverture mondiale par les marchés
et la communication est devenue la règle. On voit bien, en Europe et
ailleurs, les mêmes gouvernements batailler pour l'ouverture des
échanges commerciaux et scientifiques et pour la crispation sur une
"identité nationale". D'un côté on prône la fluidité de la circulation
mondiale des prestations économiques et des savoirs, de l'autre, on
sanctuarise les milieux touchés par cette ouverture au nom de la
culture, conçue comme un patrimoine inaliénable.

Au concept d'identité, sans doute conviendrait-il alors de substituer
celui, plus riche parce que toujours problématique et ouvert au devenir
historique, d'appartenance. Nous ne sommes pas ceci ou cela, mais nous
nous reconnaissons individuellement et collectivement comme des sujets
capables de penser et d'agir dans des milieux d'appartenance
différents, la nation, l'Europe ou le monde, et aussi la religion, la
science, l'art, l'économie et le monde privé. Ces appartenances
multiples ne sont pas incompatibles en soi, mais, dans leur étagement
toujours changeant, constituent des individualités. Seulement aux
moments de crise aiguë nous avons à choisir entre ces appartenances
diverses. En état de guerre, on se dira (ou on ne se dira pas)
"français" ou "russe", plutôt que corse, musulman, artiste ou père de
famille.


L'Europe, une identité réflexive. - Une objection pourrait être de dire
que malgré tout des civilisations différentes se sont constituées et
que des traits caractéristiques tranchants les distinguent les unes des
autres. Même si les civilisations s'enrichissent par leurs échanges, il
y a bien des seuils entre elles parce que leurs passés et leurs valeurs
ne sont pas identiques. Mais précisément, ces différences héritées
peuvent être conçues ni comme un frein à une entente mondiale, ni comme
un fait indépassable (dans l'optique d'un conflit des civilisations),
mais comme le terrain initial à un travail universel de réflexion sur
le sens de ces différences, travail mené dans la perspective d'une
compréhension et d'une formulation de valeurs et de normes partagées.
Ce travail serait abstrait, et inopérant, s'il n'avait pas comme objet
les histoires de ces civilisations. Face à l'exigence de construire des
projets partagés, la prise de distance collective par rapport à soi, à
ce qui est établi par le passé, porte en elle-même une signification
universelle, comme détachement et comme réappropriation des
potentialités d'ouverture de chaque civilisation. C'est la base d'un
universel concret, qui fasse sens.

S'il faut définir une caractéristique de l'Europe moderne, c'est bien
qu'elle s'est périodiquement donné cette tâche de prise de distance.
Les grands moments de sa modernisation culturelle et politique ont
toujours été des "Renaissances", des moments de réappropriation
distante du passé, antique ou religieux, dont le but n'était
précisément pas la restauration de ce passé, mais la définition de
normes et de valeurs nouvelles. Cela dans un double geste
révolutionnaire : face à un présent qui ne satisfaisait pas, l'ancien
était posé comme détenteur d'une valeur, mais à condition qu'il soit
simultanément posé comme obscur, difficile à comprendre et non comme
immédiatement utilisable. La conscience historique qui caractérise nos
cultures et les sciences historiques elles-mêmes sont nées de ce double
geste : le passé n'était pas une origine, une "racine", mais une
question : pour le comprendre, il a fallu inventer des institutions
nouvelles porteuses d'un regard nouveau sur les traditions, dans les
Eglises, à certaines époques comme la Réforme ou Vatican II, dans les
Universités, dans le travail sur le droit romain, sur l'histoire
ancienne des institutions démocratiques. Si l'Europe s'est dotée d'une
individualité historique qui la différencie, c'est par cette réflexion
de nature critique sur elle-même, sur son passé. Le mot identité, s'il
fait sens, doit alors être compris comme processus historique, comme
identité réflexive de travail sur soi. L'Europe n'est pas un espace
plus ou moins défini mais une succession de réinterprétations ouvertes
de ses traditions. Ce qui l'unit est, outre des intérêts communs de
type géopolitiques, un intérêt affirmé par chacune de ses cultures pour
une reformulation critique, sur la base d'un regard distancié sur ses
traditions, de ses normes et des valeurs capables d'instaurer un
sentiment d'appartenance, d'abord à l'échelle des nations, puis du
continent.


Langue et réflexion. Vers une politique des langues.

Le modèle qui rend intelligibles ces transformations semble bien être
le langage, mais à condition que l'on prenne en compte sa dynamique
propre. A la fois il est présent, donné aux individus, comme ensemble
efficace de règles, comme grammaire, et il est perpétuellement
instable, comme milieu d'une innovation permanente, dans la différence
des usages, dans l'inventivité des locuteurs qui transforme peu à peu
les règles collectives. Le langage est en cela réflexif. Il permet aux
individus à  la fois de se faire entendre et de transformer par leurs
prises de paroles, par leurs inventions, les bases communes de
l'entente en leur donnant la capacité de s'interroger sur le sens des
expressions et des usages convenus. Il garantit la possibilité d'une
authenticité, non parce qu'il exprimerait une identité préalable, mais
parce qu'il est le lieu où l'effort, jamais certain de sa réussite, de
dire quelque chose d'important ou de nouveau peut être reconnu et
validé par autrui. En cela, il est bien le moyen et l'école de
l'insertion des individus dans l'histoire.

Une politique européenne des langues ne devrait donc pas avoir pour
visée principale la seule capacité de transmettre des informations dans
l'espace le plus vaste. Il s'agit, prioritairement, de donner aux
citoyens les moyens de cette liberté par rapport à la langue que l'on
appelle la "compétence linguistique", qui est une compétence
historique. Cela passe avant tout par la maîtrise, par chacun, de sa
propre langue, c'est-à-dire des ressources que son histoire y a
déposées. La citoyenneté s'enracine dans cette maîtrise, qui est à la
fois la condition première d'une participation active aux échanges
internationaux et le moyen, vis-à-vis des langages de plus en plus
obscurs que constituent les sciences, de comprendre notre
environnement : nous devons aussi, dans la complexité et l'opacité du
monde contemporain, être en mesure de formuler en langage naturel,
commun, les objectifs de ces sciences et la signification qu'elles
prennent dans nos mondes sociaux. Les individus, sinon, resteraient
indéfiniment aliénés face aux savoirs qui encadrent leur vie. L'accent
mis, dans l'éducation, sur la connaissance effective, c'est-à-dire
historique, des langues maternelles ne signifie donc pas un repli, mais
est au contraire la condition d'un projet vraiment cosmopolitique. Il
garantirait aux citoyens européens la jouissance du droit qui fonde
leur capacité d'exercer tous les autres, à savoir le droit à la langue.

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{FR, 07/12/2007}

COMPTE RENDU

François Rastier

        Mort-spectacle et succès annoncé

[paru en espagnol sous le titre "Muerte espectáculo y éxito anunciado",
Barcelone, La Vanguardia, 15.11.07, Cultura/s, p. 4.
Dossier coordonné par Xavier Antich à l'occasion de la sortie de la
traduction de "Les Bienveillantes", de Jonathan Littell]

Couronné de prix prestigieux, les Bienveillantes, best-seller
international, est un de ces gros livres dont tous parlent, que
beaucoup achètent et que certains lisent. Littell affiche un
professionnalisme à l'américaine, en compilant toute la documentation
classique pour attester que son roman est historiquement fondé. La
première phrase finit par : "laissez-moi vous raconter comment ça c'est
passé". Appuyé sur une caution historique revendiquée, qui a d'ailleurs
flatté certains historiens, un tout autre discours se développe.
Littell joue adroitement de sa judéité, mais son livre inverse en fait
tous les principes du témoignage de l'extermination.

(i) Son "héros" et narrateur est un dignitaire SS homosexuel et
incestueux pour faire bonne mesure. La narration alterne inlassablement
les scènes de violence et de sexualité qui se conjoignent aux moments
forts. Un exemple : nous avons des photos et des récits de la pendaison
de Wolf Kieper à "Lemberg" (Lviv) ; dans le style de Bataille, son
modèle revendiqué, Littell y ajoute de son cru : "Sous sa chemise, il
était nu, je voyais avec horreur sa verge engorgée, il éjaculait
encore." C'est un affront abject à la mémoire du supplicié.

De fait, l'érotisation ne sert qu'à rendre la violence désirable :
ainsi, la femme du commandant d'Auschwitz se doit-elle de porter la
petite culotte d'une jeune fille gazée, "qui ornait et protégeait
maintenant le con de Hedwig Höss".

(ii) Alors que beaucoup de survivants ont trouvé dans la culture une
forme de résistance à la barbarie nazie, Littell réactualise, à la
suite de Steiner, les poncifs du Kulturpessimismus de l'époque
bismarckienne, avec le thème du bourreau amateur de musique classique.
Les chapitres sont titrés par les mouvements des suites de Bach
(courante, allemande), pour rappeler le raffinement du bourreau, alors
même que les nazis préféraient de beaucoup la musique militaire.

(iii) Le témoignage des survivants n'est pas autobiographique : il
s'adresse aux vivants mais se dédie aux victimes. Ici les victimes ne
sont qu'une partie du décor ; pour un bourreau comme Aue, les victimes
ne sont plus qu'une matière première, comme pour les libertins chez
Sade (Littell est  d'ailleurs traducteur de Sade).

(iv) Le choix du bourreau comme narrateur engage à partager son point
de vue, quand il s'adresse ainsi au lecteur : "Je suis un homme comme
les autres, je suis un homme comme vous." (p. 30). Or, l'identification
est impossible, à moins de conclure des bourreaux : ils étaient comme
nous, donc nous sommes déjà comme eux. Levi écrivait, dans sa préface à
Auschwitz, de Poliakov : "Pour expliquer, on ne doit pas comprendre, si
comprendre signifie se mettre à la place, s'identifier" ; il ajoute
qu'aucun homme normal ne peut s'identifier à Hitler, Eichmann et
autres. Qu'aux premiers mots du livre le narrateur-bourreau s'adresse
aux lecteurs par l'invocation "Frères humains", cela signifie que la
responsabilité s'étend à l'humanité tout entière, victimes comprises,
pourquoi pas : le Mal, catégorie métaphysique, cache commodément la
responsabilité des crimes historiques.

À présent, certains voudraient que la mission du témoignage passe des
survivants à leurs bourreaux. Dans un compte-rendu favorable des
Bienveillantes, un historien écrit : "Les lecteurs sont fascinés parce
qu'ils sentent bien que, si l'on veut comprendre les massacres, les
atrocités, il faut en passer par le discours des bourreaux, pas par
celui des victimes, innocentes par définition" (Christian Ingrao,
Libération). La parole, l'autorité, reviennent donc à Eichmann, Barbie,
etc., qui tous ont nié ou minimisé, euphémisé.

Bien que la première phrase du livre revendique le réalisme, que les
petits détails vrais soient multipliés ad nauseam, Littell fait de
l'extermination et de la guerre  une matière fabuleuse, comme la
Matière de Bretagne, celle des Amadis, celle que dans le Quichotte le
chanoine de Tolède récusait au profit de l'histoire : mais sous
l'inversion transgressive du merveilleux, l'on retrouve dans Les
Bienveillantes le saignant, le palpitant et l'érotico-macabre qui ont
fait les beaux jours du roman de gare depuis le début des chemins de
fer. Appliqué à l'histoire, où ce conformisme nous conduit-il ? Les
topoï de la littérature sadique une fois compilés avec de multiples
clins d'oeil culturels, il s'ensuit une extraordinaire déréalisation de
l'histoire qui n'est plus que pathos. Que signifie par exemple la scène
onirique, deux fois rappelée, où Hitler se revêt du châle de prière des
juifs pieux ? Rien de plus qu'une confusion de toutes les catégories où
bourreaux et victimes échangent leurs attributs, ce qui déréalise
l'histoire qui a servi de matière (1).

Ce serait une erreur de parler de négationnisme, comme l'ont fait
certains : il ne s'agit pas de nier, bien au contraire, mais de rendre
fascinant, ce qui est bien pire. Sade au moins ne prétendait pas
raconter l'histoire. Certes, Littell a parfaitement le droit de sidérer
son lecteur par neuf cents pages de pathos académique (bien que dans un
style fort approximatif -on a relevé des centaines d'impropriétés).
Mais la question des victimes demeure : on exploitait leurs cheveux,
leurs vêtements ; l'industrie éditoriale exploite aujourd'hui leur
mémoire et leurs dépouilles suppliciées. La mort-spectacle devient de
plus en plus rentable dans tous les médias.

En 1979, Primo Levi écrivait : "Il était prévisible que le sang, le
massacre, l'horreur intrinsèque des faits qui s'étaient déroulés en
Europe ces années-là attireraient des myriades d'écrivains de second
rang en quête de thèmes faciles à développer [...] et que cette
tragédie démesurée serait utilisée [...] pour satisfaire cette soif
trouble de macabre et de repoussant qui habite au profond de tout
lecteur". Littell sait bien qu'il couronne en effet une longue série
d'ouvrages médiocres et scabreux, mais il nous indique un tout autre
corpus, et, dans de multiples entretiens, se recommande de la grande
littérature universelle : Eschyle à qui il emprunte son titre (et
l'intrigue incestueuse de l'Orestie), mais aussi Shakespeare, Flaubert
(L'éducation sentimentale), Dostoïevski (Les Démons). En outre, il se
met volontiers sur le même plan que Robert Antelme ou Vassili Grossmann
(Vie et Destin).

Cela n'est qu'un leurre. Pour compenser peut-être l'inconsistance
flagrante de son héros, qui n'aurait pas tenu une heure dans l'appareil
nazi, Littell se prépare à publier un petit ouvrage, "Le sec et
l'humide", dans lequel il indique que son modèle est Léon Degrelle,
extrémiste belge qui forma et commanda sur le front de l'Est la
division SS Wallonie. Derrière cette figure se profile en fait la
principale source et patron stylistique des Bienveillantes : "La
campagne de Russie 1941-1945", long récit que Degrelle publia en 1949 ;
on y retrouve le même pompiérisme désuet, le même goût de l'horreur
sordide, le même mépris des victimes et du lecteur.

Notes
(1) Ces romans "historiques" sont bien le genre en vogue. Le
best-seller annoncé de Norman Mailer retrace la biographie de Hitler,
mais racontée par un démon : pour mieux vendre, on mélange Raul Hilberg
et Harry Potter, en ajoutant d'ailleurs là encore de l'inceste.

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