
Volume XXX n°3-4 (2025). Coordonné par Créola THENAULT BALTARETU
Dits et inédits
— Les diffamations, proscriptions, interdictions, destructions que perpétuent les « cultural wars », la « cancel culture » et l’idéologie intersectionnelle touchent la plupart des pays démocratiques. Comment une telle détestation de la culture est-elle devenue une vertu politique parée des atours de la justice sociale ? Comment la culture est-elle devenue une cible pour les milieux culturels eux-mêmes ? François Rastier analyse la genèse de ce retournement en remontant à Heidegger et à ses successeurs déconstructionnistes : à la question anthropologique d’inspiration kantienne Que sommes-nous ? s’est substituée la question identitaire-nationaliste Qui sommes-nous ? Après avoir débusqué les apories isolationnistes et tautologiques de la logique identitaire, il expose la notion de culture mondiale en dialectisant la prétendue opposition entre les cultures et la culture selon le modèle de la dualité entre langage et langues. Il se penche sur la richesse de la traduction. Il expose, avec maints exemples, l’ouverture, effectuée par l’art mais aussi par la science et par le droit, de l’espace pluriculturel. La question n’est pas de diviser l’humanité, mais de la créer constamment à partir des humanités. L’humanité ne se réduit pas à une espèce fondée sur une parenté génétique : elle manifeste sa parenté sémiotique en élaborant un incessant et chatoyant processus d’humanisation qui se retourne contre elle dès qu’il est si peu que ce soit segmenté. Le cosmopolitisme est plus que jamais nécessaire.
Dits et inédits
— Les promoteurs de la langue inclusive s’appuient volontiers sur des expériences scientifiques pour démontrer le bien-fondé de cet outil. Or, quand on s’intéresse de près à ces expériences, force est de constater qu’elles ne démontrent pas ce qu’elles prétendent démontrer, quand elles ne démontrent pas tout simplement, en dépit de la volonté consciente de leurs concepteurs, le bon fonctionnement du masculin générique.
Dialogues et débats
— En 2023, un collectif sous le nom des Linguistes atterrées a publié un pamphlet intitulé Le français va très bien, merci. Se présentant comme les « scientifiques du langage », leur but déclaré était de dénoncer les « idées fausses » sur la langue en prétendant s’appuyer sur les acquis de la science. À la lecture du livre, j’ai observé une dérive constante des jugements de fait à des jugements de valeur, par définition non démontrables. Cela m’a amené, en 2024, à rédiger La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterrées, dans laquelle j’ai déconstruit leur discours, en montrant que, derrière la façade « scientifique », se développait un discours idéologique. En 2025, Philippe Blanchet Lunati a rédigé un compte rendu, entièrement à charge, de mon livre. Il l’a publié dans les Cahiers internationaux de sociolinguistique, dont il est le directeur, tout en refusant de publier ma réponse (que vous verrez ci-dessous) dans sa revue au motif qu’elle n’avait pas de section « débats ». Il a donc considéré que son propre compte rendu n’entrait pas dans le cadre d’un débat.
Saussurismes et sémiotiques
— Les premières incursions de Ferdinand de Saussure dans le domaine linguistique anticipent de loin son Mémoire sur le système primitif des voyelles dans les langues indo-européennes (1879). Dans l’article qui suit, en explorant son Essai pour réduire les mots du grec, du latin & de l'allemand à un petit nombre de racines (1872), un texte marginal rédigé alors qu’il n’avait pas encore quinze ans, on y découvre des « éléments de commencement » essentiels : un sens du jeu scientifique, des enjeux théoriques, un état d’esprit, une démarche, une position et une disposition, bref, des prémisses fondamentales d’une recherche riche et prometteuse, que l’on retrouvera développées ensuite dans ce qui deviendra toute la linguistique saussurienne.
Dits et inédits
— L’IA générative est entrée au nom de la modernité et du pragmatisme dans la vie de nombreux citoyens, qu’ils le veuillent ou non. C’est ce lieu commun que questionne cette contribution. Comme infrastructure planétaire dont les conséquences environnementales, sociétales, économiques et géopolitiques sont déjà palpables, l’IA articule sa propagation à une rhétorique destinée à en légitimer l’appropriation. Or, la rhétorique qui entoure l’IA est mise au service d’une idéologie portée et relayée par un ensemble d’acteurs (industriels, institutionnels, etc.) qui sous couvert de « bien commun », occultent aussi bien les enjeux de pouvoir et de domination que les menaces concrètes que l’IA fait déjà peser sur l’organisation sociale, sur l’ubérisation du travail, sur l’affaiblissement des capacités cognitives et les prérogatives décisionnelles des individus.
anthropologie, cosmopolitisme, culture, humanités, identité