DIDIER BOTTINEAU
Résumé : En linguistique cognitive, le terme de corporéité (embodiment) désigne la conceptualisation du rapport incarné du sujet au monde par l’engagement moteur et sensoriel multimodal, et les traces que laissent ces représentations dans les formalismes langagiers (organisation du lexique, constructions). Dans la présente étude, on montre que l’embodiment en linguistique cognitive n’a pas été pris en compte dans la définition du signifiant et dans la caractérisation de l’acte de parole en tant qu’expérience vivante (languaging). Pour rendre compte de ce fait, on le resitue dans le contexte historique de l’émergence de la linguistique cognitive au sein de la révolution cognitiviste, son positionnement ambigu par rapport au générativisme, et le rendez-vous manqué avec des modèles cognitifs pré-cognitivistes comme la psychomécanique du langage. Et pour le dépasser, on présente un courant de pensée actuel qui s’achemine vers une refondation de la problématique de la parole vécue à l’interface de la cognition incarnée par l’individu et de la cognition sociale intersubjectivement distribuée. Ce croisement permet d’échapper à une approche représentationnaliste de type encodagiste, reconsidère la parole comme un processus et une modalité de l’action, précise la nature de la dynamique, et précise les modalités d’application du programme de recherche en redéfinissant dans cette perspective les catégories analytiques traditionnelles (lexique, morphosyntaxe, prosodie) dans leur variation typologique au sein des langues naturelles.