MARINE AL DAHDAH et MATHIEU QUET
Résumé : La circulation croissante de faux médicaments et de médicaments de mauvaise qualité soulève d'importants enjeux de santé publique. Mais la formulation actuelle du problème public des faux médicaments génère des controverses. Celles-ci offrent l'occasion d'interroger le rôle des médias dans la construction des problèmes de santé publique.Depuis la déclaration de Doha en 2001, les entreprises des pays émergents ou en développement sont autorisées, sous certaines conditions, à produire, exporter ou importer des médicaments génériques sans nécessairement être détentrices du brevet. Par exemple, en cas de crise sanitaire au Kenya, la version générique d'un médicament nécessaire pourrait être produite en Inde et exportée légalement au Kenya, même si le brevet d'origine était toujours en vigueur aux Etats-Unis ou en Europe.Parallèlement, invoquant le problème des faux médicaments, des organisations internationales (Organisation Mondiale de la Santé, Organisation Mondiale du Commerce) et certains gouvernements ont mis en place des politiques de lutte contre la « contrefaçon » qui interfèrent avec ces dispositions. En effet, la notion de contrefaçon, employée en droit des brevets, remet en cause la circulation des médicaments génériques qui peuvent parfois être considérés comme des copies pirates de médicaments de marque.Dans ce contexte, les politiques anti-contrefaçon sont dénoncées par de nombreux acteurs (gouvernements et associations) comme l'instrumentalisation d'un problème public (celui des faux médicaments) à des fins commerciales privilégiant les intérêts des pays industrialisés et menaçant l'accès aux médicaments des malades des pays du Sud.Dès lors, le cadrage de la lutte contre les faux médicaments et son relais par les médias soulèvent des enjeux de communication à l'échelle internationale. Qu'est-ce qui provoque la médiatisation particulière du problème des faux médicaments et son « événementialisation » dans des contextes nationaux variables ? Comment les médias relaient-ils le cadrage « anti-contrefaçon » et avec quelles spécificités nationales ? Quels sont les cadrages alternatifs proposés ?Une hypothèse de départ consiste à pointer la position globalement contradictoire de la presse, relayant le cadrage en termes de contrefaçon et de défense de la propriété intellectuelle tout en défendant la cause des génériques. Mais nous verrons également en observant les variations nationales (en France, en Inde et au Kenya) que ce positionnement est très dépendant du contexte national.Nous nous appuierons sur une enquête de terrain et des corpus de presse réalisés en Inde, au Kenya et en France, afin de mener une analyse comparée. La méthode articule ainsi des entretiens sociologiques et des analyses socioinformatiques de grands corpus (1000 textes et plus) au moyen du logiciel Prospéro.