CRÉOLA BALTARETU-THÉNAULT
Résumé : Particulièrement nourrie de l’événement inespéré qu’est la découverte en 1996 du manuscrit de Ferdinand de Saussure titré « De l’essence double du langage », la linguistique saussurienne est entrée, à partir des années 90, dans une véritable phase de renouveau, de renaissance. La vraie nature de ce renouvellement dit par Simon Bouquet « néosaussurien » en linguistique, véritable révolution épistémologique, est de fait une renaissance – dont seul François Rastier a su porter depuis longue date la flamme vivante –, du paradigme différentiel en sémantique. Pourtant, il est facile de montrer comment l’histoire des théories linguistiques affiche le caractère largement impensé du principe de différentialité en science du langage. Pour cela nous avons examiné, comme un cas d’école, le traitement réservé par les grammaires à la théorie du présent de l’indicatif en français. Nous avons constaté que les grammaires anciennes (du XVIe siècle à la fin du XIXe siècle), antérieures à la divulgation du principe de différentialité par le Cours de linguistique générale de 1916, tout autant que les grammaires modernes, postérieures au Cours, sont enferrées dans le paradoxe d’une continuité théorique conjuguée à l’absence d’une théorie satisfaisante et partagée ; or, ce paradoxe tient précisément à ce que ces grammaires rejettent de facto le principe saussurien de différentialité. En conclusion, sous forme d’ouverture, nous proposons l’esquisse consistante d’une grammaire différentielle décrivant, du point de vue de la langue, le système sémantique du présent en français, ainsi que des lois de corrélation postulées par une linguistique (néo)saussurienne pour rendre compte de l’essence double du langage qui est d’être simultanément langue et parole.
CRÉOLA BALTARETU-THÉNAULT
Résumé : S’il est en linguistique une pensée bien difficile à comprendre, c’est bien la pensée problématique de Ferdinand de Saussure. La découverte récente du manuscrit De l’essence double du langage rappelle non seulement l’existence d’un important corpus de textes saussuriens originaux accessible depuis les années 1960-1970 (notes d’étudiants et autographes), mais il permet en outre de réinterpréter l’intégralité de ce corpus, et partant de réévaluer et de postuler une compréhension entièrement renouvelée du programme scientifique pensé par le grand Genevois. Parmi la diversité apparente des problématiques traitées par les spécialistes de Saussure (questions philologiques, questions herméneutiques, problèmes linguistiques, etc.), la plus importante semble être celle du rapport entre linguistique générale et linguistique descriptive. Autrement-dit quel est le statut du projet scientifique de De l’essence double du langage ? Epistémologie ou gnoséologie ?, telle est la question que l’on se pose devant les textes de Saussure. Or, selon le point de vue que l’on adopte – hormis un accord d’ensemble sur une critique radicale du Cours de 1916 qui ne visait qu’une épistémologie fallacieusement réduite à la langue en elle-même et pour elle-même, les auteurs s’accordent sur l’idée d’un projet unitaire qui se révèle à la lecture De l’essence, incluant inséparablement langue et parole –, les réponses à cette problématique divergent.