BRÈVES RÉMARQUES SUR QUELQUES PROBLÈMES
SOULEVÉS DANS L'ARTICLE DE SÉMIR BADIR "SÈME INHÉRENT ET SÈME AFFÉRENT.
EXAMEN DES CRITÈRES THÉORIQUES DANS
LA SÉMANTIQUE INTERPRÉTATIVE DE FRANCOIS RASTIER"

Régis MISSIRE
Université Toulouse II Le Mirail


Attendu l’importance des concepts d’inhérence et d’afférence d’une part, de généricité et de spécificité d’autre part dans le cadre de la Sémantique interprétative de François Rastier, l’intérêt de l’article critique de Sémir Badir est de venir réinterroger les assises épistémologiques de la théorie s'agissant de ces concepts quand les préoccupations du moment se seraient peut-être déplacées vers d’autres objets.

Bien que les brèves remarques [1] qui suivent empruntent également la voie jalonnée de la critique, leur objectif voudrait moins résider dans la contestation des résultats auxquels parvient Badir que dans une tentative pour établir quelques réflexions dont ils ont été la source. On signalera d'ailleurs rapidement que pour certains aspects de cette critique, notamment regardant le distinguo essentiel entre « particularisation des contenus linguistiques en fonction des groupes sociaux ou d’individus déterminés et diversification générale des mêmes contenus linguistiques en fonction de l’usage hétérogène que l’ensemble du groupe dialectal fait de sa langue. » (SB. 4.2) [2], Rastier a largement précisé dans ses travaux postérieurs à Sémantique interprétative - qui reste la référence principale de Badir dans son article - l’indétermination qu’on pouvait y entendre [3].

L’essentiel de la discussion qui suit porte principalement sur la quatrième partie de l’article de Badir (Deuxième approche définitionnelle de l’inhérent et de l’afférent). Deux points la justifient à nos yeux : tout d’abord la présomption qu’un aspect important de la théorie de l’afférence a été oublié dans la critique menée par l’auteur ; ensuite, mais on ne fera que l’effleurer, l’idée qu’il n’y a pas contradiction à ce que les nouveaux acquis au sein d’un cadre théorique permettent de reconsidérer les difficultés d’un état antérieur, quand bien même les premiers procèderaient des secondes.

On se propose donc de reconsidérer la définition intertaxémique de l’afférence proposée par Rastier, en essayant de montrer que l’interprétation qu'en fait Badir néglige le rôle essentiel conféré aux topoï dans cette opération ; la restauration du topos nous permettra alors, via une analogie entre structures thématique et topique, de rendre commensurables les deux types d’afférence. Ce détour devrait autoriser une reprise de deux des problèmes soulevés par Badir : la légitimité du couple spécifique/générique (4.1 et 5) et la contradiction du sème spécifique présupposant le taxème (4.3).


1. Définition intertaxémique de l’afférence

L’évocation et l’interprétation proposées par Badir de l’analyse de Rastier définissant le sème afférent comme extrémité d’une relation antisymétrique entre deux sémèmes appartenant à des taxèmes distincts et reposant sur un topos (4.2), semble fâcheuse pour la bonne compréhension de ce qui est en jeu dans la description : l’analyse de Rastier (SI, p. 47) pose en effet le topos « la femme est un être faible » comme interprétant de la relation inter-taxémique, et donne pour exemple, afin d’attester la plausibilité et la généralité d’un tel axiome, un vers de Corneille “Mon père, je suis femme et je sais ma faiblesse(Cinna,V, 2). Commentant ce vers, Badir note : “ La cohésion de l’énoncé est due à une relation d'afférence entre le sémème ‘femme’ et le sémème ‘faiblesse’ (distinct bien entendu du sémème ‘faiblesse’ actualisé par le signifiant faiblesse présent dans le vers). Cette relation manifeste « un axiome normatif, dépendant de normes socialisées, qui peut s’énoncer : La femme est un être faible » (Rastier, 1987 : 47).” (4.2).

Ce commentaire peut surprendre, car c’est sans doute un caractère herméneutique d’une portée générale que le topos n’a pas à être interprété puisqu’il commande l’interprétation en tant qu’interprétant : on conviendra en effet que dans le cas de « la femme est un être faible », tout comme icipour le vers de Corneille, il n’est d’aucune utilité d’invoquer une afférence entre les deux sémèmes attendu que c’est précisément ce topos qui l’administre, d’ailleurs seule raison pour laquelle il a été convoqué. C’est un statut très particulier qui est ainsi conféré au vers de Corneille : alors que Rastier le décontextualise afin de le rendre homogène au topos et justifier la validité de sa convocation, Badir paraît le recontextualiser et l'interpréter à l’aune du topos dans sa formulation propositionnelle (raison pour laquelle, sans doute, il précise que le sémème ‘faiblesse’ n’est pas celui du vers). Evidemment pertinent pour le vers de Corneille si on le thématisait comme à décrire, le commentaire de Badir a ici pour effet de convertir le topos en passage de texte, inversant la fonction initialement dévolue au vers de Corneille dans l’exposé de Rastier : car si on interprète en effet ce vers en convoquant le topos, on peut difficilement alléguer dans le même temps - ou plus précisément : avec les mêmes objectifs- que ce vers atteste la généralité du topos. Bien sûr, le vers de Corneille présuppose le topos tout en le reconduisant, mais ce double aspect doit être provisoirement secondarisé dans le cadre de l’exposition du statut fonctionnel du topos relativement à l’afférence.

Et si on se montre peut-être ici exagérément pointilleux, c’est que ce que Badir retient de la définition inter-taxémique de l’afférence, alors même qu’il ne fait encore que présenter la théorie de Rastier, détermine en partie la critique qu’il va mener par la suite, la démunissant d’un caractère propre à reformuler de façon moins aporétique les difficultés soulevées : cette recontextualisation nous semble en effet dissimuler l’aspect fonctionnel et structurel du topos, et il n’en est de fait plus question dans la suite de l’article (ce glissement, qui pourrait paraître ténu, devient évident à la fin de l'article quand Badir reconsidère dans le cadre de ses nouvelles propositions les énoncés auparavant décrits par Rastier (‘renard’, ‘saladier’, 'caviar') : y figure en effet comme mentionné plus haut le vers de Corneille que Rastier ne décrivait pas puisqu’il lui servait à analyser un autre énoncé. Devenu énoncé, le topos disparaît).


2. Structures topiques et thématiques

Or il est sans doute utile de rappeler que l’axiome sténographiant le topos prend forme dans un schéma qui ressortit strictement à une logique prédicative, s’émancipant de la logique différentielle des classes de définition : le format propositionnel du topos justifie en effet de l’interpréter comme un jugement, au sens logique du terme, synthétisant des énoncés recueillis dans la phraséologie où l’élément permettant la synthèse est le schéma prédicatif. De ce point de vue, le topos apparaît comme le terme de l’interprétation : le terme ab quo puisqu’en tant qu’interprétant il fonde une actualisation sémique ; le terme ad quem, car il signale le niveau de pertinence décidé par l’interprète au-delà duquel, au sein d’une pratique descriptive donnée avec les objectifs qui lui sont propres, l’interprétation prendra fin.

S’agissant des deux types d’afférence, on peut alors distinguer un fond commun sur lequel elles se profilent : à la structure prédicative caractéristique du topos requis comme interprétant dans l’afférence1 (socialement normée), on peut en effet faire correspondre la thématisation présupposée dans l’afférence2 (contextuelle) ; de fait, le saladier de Zola invoqué pour illustrer l’afférence contextuelle suppose bien que ce dernier soit thématisé comme un acteur (serait-ce à rebours), relevant donc de la composante dialectique de la SI. Quelle que soit alors la représentation que l’on en proposera (molécule sémique ou autre), on sera face à un objet théorique justiciable d’une description en termes d’objet et d’attributs (l'intensité sera un attribut de l’objet ‘saladier’). Cet aspect pointe vers une tension, sinon tue à tout le moins irrésolue, au sujet de l'acteur : en dépit des remaniements, déformations et transformations qui l’affectent, il faut en effet convenir qu’il accède à une existence localement déliée de ces « accidents », existence qui doit permettre au minimum de l’identifier comme l’invariant des modifications dont il est le site. La forclusion de cet ubi consistam dans la tradition structurale n’empêche pas son retour, trivialement nécessaire bien que rarement problématisé. A l'intangibilité substantielle du terme de gauche dans l’axiome topique correspondra ainsi la “rigidité” de la grandeur thématisée dans l’afférence contextuelle. Sans développer davantage [4], on se contentera de noter que, regardant l’afférence contextuelle, on observe encore une subsidence de la logique différentielle des classes de définition.

On peut alors spécifier ce qui contraste les deux types d’afférence sur ce fond commun : ce que l’on pourrait appeler une “ distance herméneutique ” entre le site d’actualisation du sème afférent et la structure thématique ou topique source de l’afférence. Alors que dans le cas de l'afférence contextuelle, on propage un sème déjà actualisé dans le texte considéré à une autre unité linguistique, dans le cas de l’afférence dite socialement normée la propagation du sème nécessitera, souvent implicitement, un recours à l’intertexte ; et en réalité, le concept de topos permet bien souvent de faire l’économie du détail du parcours intertextuel : il “écrase” le corpus dans une prédication. Ce qui distingue fondamentalement les deux types d’afférence consiste alors dans la proximité plus ou moins grande du sème d’ “origine ” avec le site de l’actualisation. Distance qui doit être sinon mesurée au moins évaluée dans une théorie consistante de l’intertextualité. L’inhérence (dont on sait que la définition a changé chez Rastier, passant d’une relation intrataxémique entre sémèmes à l’héritage par défaut du type dans l’occurrence) sera dans ce cadre la distance zéro, en quoi la problématique de l’inhérence est préférentiellement traitée dans la perspective logico-grammaticale, qui ne se soucie guère des hapax.

Incidemment, on retiendra que dans le cadre théorique de la SI, dont on sait qu’il accorde une place de choix à l’idée saussurienne de valeur différentielle, les structures topiques et thématiques interviennent fonctionnellement comme des positivités dont la convocation dans le champ interprétatif doit être soumise à l’ordre herméneutique. Par image, de telles structures seraient dans la zone fovéale en tant que cibles d’un parcours interprétatif, para-fovéales lorsque sous-tendant une afférence contextuelle, mémorielles pour une afférence socialement normée.


3. Afférence, généricité et spécificité

Mais le fond substantiel commun aux deux afférences emporte une autre conséquence : c’est l’indétermination a priori du caractère générique ou spécifique du sème afférent corrélative de la sortie de la logique de classes : la détermination des classes de définition commandant l’analyse microsémantique, on doit concéder une contingence de nature du sème afférent (qui à vrai dire ne souscrit donc provisoirement plus à la définition théorique du sème).

Dans le cas de l’actualisation d’un sème afférent, contrairement à ce qu’écrit Badir au sujet du spécifique et du générique : « [..] il faut présupposer un champ dans lequel on observe ces possibilités de rapprochement et d’opposition. Ce n’est pas entre les différentes unités du texte que peuvent s'observer ordinairement de telles relations ; ce champ est évidemment celui d’un système. » (4.1. Nous soulignons), il semble que ce soit toujours contextuellement que se détermine la généricité ou la spécificité du sème (comparer par exemple ces deux énoncés pour l’afférence /faiblesse/ pour ‘femme’ : les femmes et les enfants d’abord et Aux hommes l’épée, aux femmes l’aiguille à tricoter…). Même pour les sèmes inhérents, on ne peut exclure des conversions par rapport à la catégorie générique/spécifique. Pour une sémantique textuelle du reste, le seul texte qui reproduirait à l'identique les relations du système qu’elle convoque comme hypothèse régulatrice, serait celui, idéal, de sa linéarisation [5].

Ce dernier point permet sans doute de reformuler l’aporie de la définition intertaxémique que met au jour Badir : « […] De fait, cette définition implique que le sème spécifique [afférent ici - RM] présuppose le taxème et non qu’il soit présupposé par lui. […] On ne saurait donc prétendre sans contradiction définir le sème afférent par une relation entre deux taxèmes si l’un de ces taxèmes présuppose que soit déjà analysé le sème pour lequel la relation d’afférence est établie. » (4.3) Car formuler l’afférence en termes intertaxémiques consiste à rebrousser le chemin parcouru dans la convocation du topos, c’est-à-dire à faire retour dans la thématique et les classes de définition tout en thésaurisant l’accroissement sémantique conféré par la “sortie topique”. Et dans ce cadre, la définition intertaxémique de l’afférence n’est pas une description du processus de l’afférence mais une tentative a posteriori et un peu statique de représentation des rapprochements préférentiels en termes de classes. Conséquence immédiate, du fait qu’un sémème doive s’entendre comme l’intersection de classes de définition, la nature prédicative du topos rend inexacte l'équation ‘sémème’ —  /sème/ pour présenter l’afférence (qui masque l’aller-retour): on devrait écrire thème — faiblesse, retrouvant ce que d’autres appellent dénomination prédicative, et dont l’incommensurabilité sème/sémème est une approximation.

S’il vient alors à se trouver dans tel cas que le sème afférent est spécifique et semble présupposer le taxème, ce n’est pas par nécessité mais parce que l’on aura fait le geste de trouver un second taxème ad hoc. Et si l’on assume les concessions ménagées envers l’épistémologie différentielle impliquées dans ce double parcours, on n’est plus en présence d’une inconséquence théorique où le sème spécifique présuppose le taxème, mais au point de rencontre des deux instances que doit concilier la description sémantique, herméneutique et linguistique, pour reprendre les termes de Badir.


4. Negociations

Il reste toutefois à rendre compte d’une part de la généralité empiriquement observable de la définition intertaxémique proposée par Rastier, d’autre part de la validité ponctuelle du schéma que Badir met en concurrence avec le précédent.

Commençons par noter que la représentation intertaxémique de la relation d’afférence n’a pas toujours la même évidence : si, quand le renard est rusé, l'idiot est souvent le corbeau, on a déjà plus de difficultés avec la fierté du coq. Pour autant, on ne peut accepter tel quel le schéma proposé par Badir (4.2) qui repose sur le constat qu’il n’y aurait que des sèmes génériques, et dont on voit mal comment il pourrait rendre compte de la différence entre les deux énoncés proposés supra. Pour nous, il s’agit moins de proposer un autre schéma qu’essayer de ménager la possibilité des deux précédents, puisque qu’ils s’avèrent complémentairement plausibles. D’ailleurs, au niveau de généralité auquel on considère l’afférence, il est probablement utile d’entretenir une certaine indétermination qui conditionnera proportionnellement la “réceptivité” contextuelle de la théorie descriptive dont on s’occupe.

Dans ce schéma, qui a pour seul objectif de ressaisir ce qui vient d’être développé, la ligne horizontale voudrait pointer l’hétérogénéité des grandeurs systématiquement convoquées dans les deux types d’afférence. Les chiffres ne visent pas à décrire les étapes d’un processus (ce n’est pas un parcours interprétatif) mais à différencier des moments logiquement présupposés dans le cadre théorique que l’on se donne. Les deux points d’interrogation signalent qu’à ce niveau on n’est pas confronté - on n’a théoriquement pas à se confronter - à des taxèmes bien stabilisés (en ce sens la représentation est abusive) : une zone de généricité s’ouvre qui trouvera peut-être à se stabiliser contextuellement. L’essentiel réside dans la co-existence d’un certain nombre de catégories sémantiques, dont la répartition entre généricité et spécificité ne se résout pas à ce niveau [6]. Dans Les femmes et les enfants d’abord, la diffusion de /faiblesse/ sur les deux lexèmes de la zone concernée lui confèrera une prégnance supérieure qui tendra à faire préférer la représentation de Badir ; à l’inverse, dans Aux hommes l’épée, aux femmes l’aiguille à tricoter, la prégnance en contexte du /genre/ redonnera à /faiblesse/ son caractère spécifique, conformément à la définition intertaxémique de Rastier. Il faudrait bien sûr préciser cela ; dans les bornes que nous nous sommes impartis, on se contentera de renvoyer ici à la remotivation contextuelle que Rastier a proposée de l’opposition générique/spécifique dans le cadre d’une théorie de la perception sémantique [7]

Cette ellipse nous permettra de conclure en revenant sur l’allégation de Badir selon laquelle il n’y aurait que des sèmes génériques : « Il va de soi dans cette perspective que les sèmes sont toujours génériques ; et que la notion de sème spécifique est contradictoire dans les termes. » [8] (5). On comprend l’argument : si construire une isotopie consiste à perpétuer de l’identique le long de la chaîne syntagmatique, on conviendra que les sites où s’actualise le sème isotopant se trouvent, d’une manière ou d’une autre, rapprochés par ce sème qui en est le modulo. Pourtant, à dire qu’il n’y a que des sèmes génériques (autant dire alors qu’il n’y a que des sèmes), on se trouve fort dépourvu pour contraster la valeur des isotopies construites : cas le plus simple, comment qualifier, ce qui se produit pour le moins fréquemment, la co-existence de deux sèmes actualisés pour un même lexème ? C’est bien l’exigence de différenciation de ces valeurs qui va relativiser en contexte ce que l’on appellera sème générique ou spécifique. Pour ne prendre qu’un exemple, reconsidérons la nouvelle description que Badir propose pour le titre Le caviar et les arêtes  : « Le sème /luxe/ est inhérent à ‘caviar’ ; le sème /misère/ est quant à lui afférent à ‘arêtes’ en fonction d’une interprétation fondée notamment sur la coordination syntaxique de ‘caviar’ et ‘arêtes’, sur la relation inhérente d’opposition existant entre les sémèmes ‘luxe’ et ‘misère’ et sur l’établissement du sème /condition économique/ inhérent au contexte, déterminant un taxème dont fait partie le sémème ‘misère’. » (5. Nous soulignons). Mais pourquoi invoquer une opposition entre les deux sémèmes ‘luxe’ et ‘misère’ dans ce cas ? ils ne sont certes pas lexicalisés dans le titre et, dans la relation d’inhérence pour ‘caviar’, d’afférence contextuelle pour ‘arêtes’, luxe et misère sont bien des sèmes (on écrirait ‘arêtes’ — /misère/, et non l'inverse) : si ces deux sèmes sont effectivement en relation d’opposition, comme l’allègue Badir, ils souscrivent alors entièrement à la définition du sème spécifique. Quant au « sème inhérent au contexte », on reconnaîtra dans l’expression bien accueillante de contexte la diffusion du sème /condition économique/ sur l’ensemble du titre, qui revêt donc ici une valence supérieure, l’instituant comme générique [9].

Il semble en définitive que ce soit la vocation de la Sémantique interprétative à être une sémantique textuelle qui justifie de préserver l’opposition générique/spécifique. Reste cependant à convenir d’une prééminence toute particulière de la généricité, comme on l’a vu en ce qui concerne l'afférence : si la conversion en valeurs des qualités prédiquées du thème impose de ménager la possibilité de grandeurs indifférentes à l’opposition générique/spécifique, cette indifférenciation suppose que ces grandeurs ne soient pas liées ; l’univocité de la présupposition spécifique/générique invitera donc à concéder une antériorité du générique (dont les spécificités seraient à définir plus avant ! ). Dans la pratique descriptive, il importe en outre de n’être pas trop définitif sur la labellisation des isotopies : faisant varier l’empan contextuel autour d’un site d’actualisation, il est fréquent d’observer un changement de statut des sèmes.

On ne voudrait toutefois pas accorder trop d’importance à ce qui n’est peut-être qu’un problème de mots. Si c’est un truisme de rappeler que le langage discrétise ce qui est souvent justiciable d’une approche continuiste, il reste à souligner que l’opposition générique/spécifique est tout aussi graduelle que celle de l’inhérent et de l’afférent ; et si c’est effectivement dans l’activité interprétative située que se déploie le procès de répartition entre généricité et spécificité, conviendrait-on de qualifier la seconde comme le degré le plus faible de la première ?


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Voir l'article de Badir  


NOTES

[1] Comme facteur de brièveté, on excipera d’une certaine légèreté philologique reposant sur le travail que fait déjà Badir dans son article : il va sans dire qu’ici encore plus qu’ailleurs ce qui suit a peu de valeur sans une lecture préalable de son prétexte.

[2] Les renvois du type (4.n) sont ceux de la partition badirienne.

[3] Notamment dans Arts et sciences du texte, PUF, Formes sémiotiques, 2001, chap. VI et VIII.

[4] On l’a fait par ailleurs : R. Missire, « Examen fonctionnel du concept d’impression référentielle dans la Sémantique interprétative de F. Rastier : du domaine d’objectivité à l’objectivité du domaine », in Champs du signe,concours et recherche, CAPES et Agrégation de Lettres 2001, 12, Toulouse, Editions Universitaires du Sud.

[5] Et même dans ce cas, la simple tactique du contenu pourrait être un interprétant pour des afférences.

[6] Le schéma et les remarques qui l’accompagnent ont vocation à diagnostiquer une situation plus qu’à en rendre compte de façon épistémologiquement consistante. Peut-être pourrait-on convoquer ici les motifs, profils et thèmes élaborés par P. Cadiot et Y-.M. Visetti : les taxèmes bien stabilisés (profils), que l’on trouve sans doute dans les phases inchoatives et terminatives des parcours interprétatifs, ne se laissent pas départir de linéamentations plus instables (motifs) qui, au moins dans certains cas comme l’afférence, sont rendues possibles par une « fixation thématique » (dialectique). Cette interprétation reste bien entendu nôtre.

[7] Entre autres, dans Sémantique et recherches cognitives, Paris, PUF, 1991, chap. VIII ; Sémantique pour l’analyse, en collaboration avec Cavazza M. et Abeillé A., Paris, Masson, 1994, Chap. VII. 5 ; Arts et sciences du texte, PUF, Formes sémiotiques, 2001, chap. I.

[8] Certains aspects des sorites critiques de Badir peuvent parfois surprendre : ainsi du reproche de circularité des définitions de sémantème, classème, sème spécifique et sème générique (4.1) dans le glossaire de SI. Sans aller jusqu’à la qualifier de vertueuse, il faut noter que cette circularité n’existe que si on interprète le glossaire à l’aune d’un genre axiomatique ; or il semble bien que sa fonction soit avant tout pédagogique : dans ce genre, l’exigence d’interdéfinition rigoureuse n’est certes pas un réquisit.

[9] Il est par ailleurs dommage que dans cette nouvelle description Badir n’intègre pas le sème /partie de poisson/, qui correspond sans doute à la phase inchoative du parcours interprétatif : telle quelle, l’analyse conviendrait aussi bien pour décrire Le caviar et les souliers troués.


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©  décembre 2002 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : MISSIRE, Régis. Brèves remarques sur quelques problèmes soulevés dans l'article de Sémir Badir "Sème inhérent et sème afférent. Examen des critères théoriques dans la sémantique interprétative de François Rastier". Texto ! décembre 2002 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Dialogues/Debat_SI/Missire_Remarques.html>. (Consultée le ...).