LA CONTRE-ANALOGIE
RÉFLEXION SUR LA RÉCUSATION DE CERTAINES ANALOGIES POURTANT BIEN FORMÉES COGNITIVEMENT

Françoise DOUAY-SOUBLIN
CNRS / Université de Provence

(Paru : G.T.A. Recueil de textes ndeg.10, Paris, janvier 1987, polycopié, 50 exemplaires. )

"Pour néant pense, qui ne contre-pense"

anonyme du XVe siècle.

Il est permis de penser qu'en chaque fidèle d'un Groupe de Travail sur l'Analogie, il y a une analogie idéale qui sommeille. La mienne parle en langue naturelle et, résolument explicative, rêve de jeter sur une question obscure un jour décisif venu d'ailleurs. En voici un premier exemple ; il est certes plus long que l'ordinaire formule aristotélicienne, mais met mieux en valeur le point qui m'intéresse : l'efficacité du déclic analogique.

(ex. 1) Dans son Cours de Belles-Lettres de 1746, l'abbé Batteux, éminent professeur de Rhétorique à la Sorbonne, soutient que si, dans les langues naturelles, un ordre des mots doit être tenu pour premier, alors, en vertu de l'instinct qui pousse naturellement tout homme à aller d'abord vers ce qui l'intéresse le plus, il ne saurait s'agir que de l'ordre d'intérêt ; Dumarsais, encyclopédiste et grammairien-philosophe, défend en réponse l'existence première d'un ordre grammatical autonome, qu'il argumente ainsi :

Ce simple rapprochement permet au lecteur d'élaborer à son tour, par transfert sur le domaine discuté, une proposition qu'il aurait été incapable de formuler quelques instants auparavant : /l'intérêt porte le locuteur à se servir de la langue ; mais la langue suit sa loi indépendamment de l'intérêt du locuteur/, et, gravée dans sa mémoire, l'image du pilote et de sa boussole plaidera désormais en lui pour l'autonomie de l'ordre grammatical - argument et non preuve, bien évidemment.

C'est cet effet d'élucidation soudaine, et souvent durable, de la représentation, produite par un rapprochement "éclairant", une image "juste", que j'appelle déclic analogique, et je serais tentée, en pratique, d'accorder le statut d'abfc (analogie bien formée cognitivement) à toutes les formes symboliques qui déclenchent effectivement ce transfert de connaissance, quel que soit le nom que leur donne la tradition. Aristote en l'occurrence n'aurait pas parlé d'analogie, terme qu'il réserve aux proportions quadrinominales à prédicat élidé /a est à b ce que c est à d/ (Poétique 21 57b) :

(ex. 2) /Le chef est à l'Etat ce que le pilote est au navire/

mais d'argumentation par l'exemple inventé où l'on s'autorise d'une proportion ou d'un lien plus faible entre deux domaines X et Y pour transférer en X, dans une proposition à prédicat non-élidable, une propriété ou une relation bien admise en Y (Rhétorique II 1393b) :

(ex. 3) "on ne doit pas tirer au sort les chefs d'état :

tire-t-on au sort les pilotes de navire ?"

Pour cette même forme et ses variantes, la tradition rhétorique a dit tour à tour parabole, similitude, parallèle, comparaison, équivalence, correspondance, trans-position, métaphore, ou, familièrement, rapprochement voire image... Qu'importe l'étiquette pourvu qu'on ait la forme ; avec le GTA je dis analogie pour ce transfert explicatif dont les conditions de bonne formation m'importent plus que le nom.

1. L'ANALOGIE BIEN FORMÉE COGNITIVEMENT : CONDITIONS FONDAMENTALES

1.1. Que transfère le transfert ?

Bien que leurs dimensions, amples ou réduites, leur impact, plutôt syntaxique ou plutôt lexical, leur montage, en parallèle ou en substitution, créent entre les analogies de multiples différences "intéressantes", je les laisserai de côté pour m'en tenir à deux types de transfert : le transfert de propriétés et le transfert de relations.

* le transfert de propriétés attribue à un terme x de X un prédicat bien établi pour un terme y de Y :

(ex. 4) "Les larmes sont comme la lumière des étoiles : elle nous parvient quelquefois quand la source en est tarie depuis longtemps". (Jeanne Hyvrard Mère la Mort).

On peut le formuler ainsi :

Y != X,
P(y)
d'où, P(x)

Une telle formule peut paraître aberrante : on attribuerait à un x une propriété définie en Y parce que X est différent de Y ! Elle note pourtant assez fidèlement ce qui se passe en pareil cas dans le langage ; car pour construire une analogie, les seules prémisses requises sont, d'une part, deux domaines nettement distincts -ici, nous, êtres souffrants, domaine d'interrogation X, et Y le cosmos, d'où l'on espère tirer des éclaircissements- et, d'autre part, un prédicat bien défini en Y : /la lumière des étoiles nous parvient quelquefois quand la source en est tarie depuis longtemps/ ; et l'on s'autorise bel et bien de ces deux seules prémisses pour poser : /les larmes nous parviennent quelquefois quand la source en est tarie depuis longtemps/... proposition fort instructive, assurément, et difficilement constructible sans le détour de l'analogie.

* le transfert de relations impose dans le domaine X un réseau de places et de dépendances hiérarchiques bien établi dans le domaine Y :

(ex. 5) "La mort est le boucher ; le troupeau lamentable,

C'est nous, et l'univers n'est rien que notre étable".

(Palladas in Yourcenar La couronne et la lyre p.423).

On peut le formuler ainsi :
Y != X,
R (y1, y2,... yi)
d'où, R (x1, x2,... xi)

Nous avons en effet deux domaines distincts : nous, notre condition humaine, X et Y l'élevage d'animaux pour la boucherie ; avec en Y un réseau de relations bien définies entre y1 l'agent : l'éleveur-boucher, y2 l'objet : le troupeau, et y3 un lieu caractéristique : l'étable... plus une action et un but : tuer pour s'alimenter, non explicités mais suggérés par l'évocation du réseau, assez connu pour être tacitement complété. Une projection banale de ce réseau bien structuré sur notre condition humaine problématique consisterait à faire de nous l'agent, l'éleveur-boucher ; à faire de l'univers, l'étable, dont nous serions les propriétaires-exploitants ; et de l'ensemble des animaux sauvages, notre troupeau : nous serions alors blâmés (ou loués) de nous comporter en maîtres et prédateurs de la création, l'asservissant à nos besoins. Mais la projection qu'opère Palladas est toute autre, et beaucoup plus saisissante, puisque c'est dans la position de l'objet qu'il nous insère dans ce réseau préconstruit, non pas en x1 mais bien en x2 : nous sommes le troupeau et l'univers x3 est l'étable où nous vivons parqués dans l'attente grégaire de notre destin lamentable : le caprice de la Mort... qui occupe, elle, la position de l'agent x1. Sombre vision, invitant au désespoir... ou au sursaut ; mais vision nette et forte, créée par l'analogie, qui transfère ici non pas un prédicat complexe mais un réseau de relations, un faisceau de places à remplir.

Par contre, je ne parlerai pas d'analogie pour le simple transfert de dénomination ou métaphore µ(x), admettant avec Aristote que sa fonction première est de modifier les valeurs associées aux représentations plutôt que les représentations elles-mêmes : la rose rouge et le sang sont bien de même couleur, mais qui veut louer l'Aurore ne peut changer en doigts de sang ses doigts de rose (Rhétorique III 1405b) . L'adresse métaphorique, en particulier, ne pose pas sur son x une véritable image ; par des mots choisis suaves ou contondants -empruntés, il est vrai, à des domaines non-X- elle l'environne d'un murmure de louange ou de blâme, comme dans le mot d'amour ou l'injure :

(ex.6) "Rose mystique, Tour de David, Maison d'or,

Arche d'alliance, Porte du ciel, Etoile du matin..."

(Litanies de la Sainte Vierge Missel Feder p.1726)

(ex.7) "Canailles ! emplâtres ! va-nu-pieds ! troglodytes ! tchouck-tchouck-nougat ! sauvages ! aztèques ! grenouilles ! marchands de tapis ! iconoclastes ! chenapan ! ectoplasmes ! marins d'eau douce ! Bachi-Bouzouk ! zoulous ! doryphores ! froussards ! macaques ! parasites ! moules à gauffres !"

(Hergé Le crabe aux pinces d'or p.37-38)

Et lorsqu'il s'étoffe en métaphore filée, où, contrairement aux exemples 6 et 7, les termes transférés sur X sont tous empruntés au même domaine Y, alors le transfert de dénomination rejoint en fait le transfert de propriétés ou de relations, comme dans cette chanson de Léo Ferré qui rôde autour du sexe féminin et s'intitule Cette blessure... :

(ex.8) "Cette blessure qui se referme à l'orée de l'ennui

Comme une cicatrice de la nuit
Et qui n'en finit pas de se rouvrir
Sous des larmes qu'affine le désir...".

1.2. Une clarté partagée

En envisageant d'emblée le déclic analogique comme un processus d'élucidation, j'ai ipso facto admis pour fondamentale une règle de clarté : /le phore Y doit être plus clair que le thème X/.

Cette règle de clarté du phore, qui ne doit pas être "obscur", "inconnu", "tiré de loin", ne va pas de soi, et n'est défendue avec force que dans les traités rationalistes de la France classique, hostiles aux sophistications baroques des jésuites espagnols. L'un des premiers traités qui donne pour Première Règle du Bon Usage des Métaphores la clarté -plutôt que l'agrément, la noblesse ou l'ingéniosité- est, en 1675, L'Art de Parler du père Lamy, oratorien, qui l'explique par une analogie :

Le problème est que ce qui est clair aux uns peut être obscur aux autres, et même en ayant pris soin d'en développer le prédicat complexe, j'ai plongé mes propres étudiants de Lettres dans la perplexité en contestant ainsi le caractère subversif des tropes :

1.3. Faut-il exclure tout jeu de mots ?

Opposant les arguments légitimes aux arguments sophistiques, Aristote donne inlassablement pour règle première (TopiquesVI 139b, Rhétorique III 1404b, Réfutations Sophistiques 4.30) le rejet de l'homonymie et des ambiguïtés qu'elle entraîne. Les adaptations françaises d'Aristote, comme Salabert Les adresses du parfait raisonnement 1638 (p.314), donnent pour exemple de ce sophisme ndeg.1 la proposition ambiguë : "les lions sont belliqueux" qui joue sur l'homonymie entre le nom de l'animal et celui de la constellation, et réprouvent comme "fallacieux" le raisonnement analogique correspondant qui transfère des propriétés entre homonymes :

(ex.10) /les [animaux nommés] lions sont belliqueux ;

donc, les [natifs du] Lion sont belliqueux./

Cette règle d'or de la rhétorique non-sophistique, les scrupuleux l'étendent aux jeux sur le nom propre dont on s'interdit de tirer argument, même dans l'éloge : Quintilien reproche à Cicéron, non seulement d'avoir traité Verrès de "verrat"[1], mais encore d'avoir loué publiquement la "délicatesse" d'Elie Catès (Institution oratoire VIII 6.37).

C'est à la syllepse de sens enfin que s'en prennent les logiciens puristes ; Dumarsais est le premier à la définir, à partir de ce passage de l'Andromaque de Racine -Brûlé "de plus de feux que je n'en allumai"- où Pyrrhus, par le mot feu, évoque simultanément l'incendie qu'il alluma en vainqueur dans Troie et l'amour non partagé qu'il conçut alors pour la femme du vaincu ; c'est, dit Dumarsais, "une espèce de métaphore ou de comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la même phrase, l'un au propre, l'autre au figuré" (Des Tropes 1988 p.145) ; mais il ajoute aussitôt : "cette figure joue trop sur les mots pour ne pas demander bien de la circonspection" (idem p.146). Condillac fait chorus dans L'Art d'écrire (1775 p.601), en dénigrant ces "pointes" ambiguës dont s'ornait fièrement l'aphorisme Grand Siècle ; tel celui-ci, de La Bruyère (De la Cour 8) :

(ex.11) "La cour est comme un édifice bâti de marbre :

Je veux dire qu'elle est composée d'hommes fort durs et fort polis".

L'idéal qui sous-tend cette règlementation se comprend aisément : l'analogie idéale doit opérer cognitivement et ne rien devoir aux hasards de la langue.

Et pourtant, je ne suivrai pas Condillac jusqu'au bout de sa critique rationalisante, lorsqu'il récuse comme fausse symétrie la maxime de La Rochefoucauld (1678 max. 276) :

(ex.12) "L'absence diminue les médiocres passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu.

Impossible d'imaginer quelque ressemblance entre la manière dont l'absence agit sur les passions et celle dont le vent agit sur le feu." (idem p.605).

Il me semble au contraire (mais c'est passer par la langue et non par l'image) que ce rapprochement éclairant et juste développe avec bonheur une métaphore codée, donc admise : "le feu" pour "la passion" : y = µ(x) ; par ailleurs, le feu, comme le vent, synonyme de l'air, appartient à la série conventionnelle des quatre éléments : {y1, y2, y3, y4}. Dès lors est en place un dispositif de recherche de la quatrième proportionnelle, recherche faite de confrontation et d'ajustement entre les deux réseaux constructibles, d'une part, autour du couple imposé {y1, y2: vent, feu}, et d'autre part, autour des différents couples {x1, x2} obtenus par hypothèse sur x1, x2 : passion étant fixé ; il s'agit donc de résoudre une énigme : qu'est-ce qui agit sur [le feu de] la passion comme le vent sur le feu [véritable] ? - le temps ? le succès ? la jalousie ? etc... :

x1 : ?
x2 : passion
= y1 : vent
y2 : feu
{y1, y2}
y2 = µ(x2)
 

Je renvoie ici aux beaux travaux de Mary Hesse sur l'analogie positive, négative et neutre (The structure of scientific Inference 1964, The explanatory function of Metaphor 1965, Models and Analogies in Science 1966) auxquels je souscris sans réticence.

Ainsi, au lieu d'exclure purement et simplement tout jeu de mots, je distingue deux cas, estimant raisonnable d'interdire les transferts entre homonymes y = x qui font voler en éclats tout le "sérieux" du cognitif ; en revanche, il me paraît déraisonnable, irréaliste à l'échelle des langues naturelles, d'interdire les transferts entre termes reliés par une convention métaphorique y = µ(x), feu : passion, surtout quand une syllepse P(y) = P ( µ(x)), brûlé par le feu / brûlé par la passion, vient renforcer cette convention. D'ailleurs dans l'exemple (4), la syllepse source de lumière/ source des larmes ajoute beaucoup à la crédibilité de l'analogie.

Encore un exemple pour justifier cette position ; considérons ce court fragment de Sappho cité, sans autre contexte, comme exemple de description, par le traité Du Style de Démétrios de Phalère :

(ex.12) ..."Le troupeau en passant a brisé la jacinthe ;

Elle fleurit encore contre le sol couchée..." (Yourcenar p.82).

Cette image, appliquée dans l'ordre humain, ferait un phore tout-à-fait convaincant ; or ce bon potentiel analogique, s'il doit beaucoup au caractère dramatique de l'évocation (chute et survie), tient aussi à deux autres propriétés indépendantes du contenu cognitif ; l'une est symbolique : comparer les humains à des plantes, et plus particulièrement les femmes à des fleurs, est, depuis l'Antiquité, une convention métaphorique bien admise ; l'autre est linguistique : mieux que ses parasynonymes casser ou rompre, le verbe français briser, choisi en traduction par Marguerite Yourcenar, s'applique couramment dans les deux ordres : briser une plante / briser quelqu'un, son courage, son énergie... ouvrant ainsi vers une syllepse qui faciliterait considérablement un éventuel transfert, en donnant une allure "naturelle" à la proposition résultante représentant une personne, brisée par la vie, qui malgré tout s'épanouit... La langue a ses raisons que la raison ne connaît pas.

En résumé,

Ce qui vaut pour le transfert de propriétés valant aussi pour le transfert de relations
 

INTERDIT
homonymes
lion = Lion
y = x
P(y)
d'où, P(x)
AUTORISÉ
métaphore codée
fleur == qqn2
y = µ(x)
P(y)
d'où, P(x)
AUTORISÉ
syllepse
briser une fleur = briser qqn
P1(y) = P1(µ(x))
P2(y)

d'où, P2(x)

1.4. Faut-il exiger un lien préalable entre X et Y ?

Récuser les "fausses symétries", les rapprochements "gratuits", c'est exiger en fait quelque lien préalable, soit entre les domaines X et Y envisagés globalement, soit au moins entre tel x de X et tel y de Y.

Bien qu'implicite, cette exigence est déjà présente chez Aristote, qui transfère à la langue naturelle une conception proportionnelle de l'analogie, élaborée, pour la comparaison des grandeurs incommensurables, par son contemporain Eudoxe de Cnide, dont les recherches, poursuivies au siècle suivant par Euclide, aboutiront à la formulation de la proposition 5 du livre V des Eléments :

"Quatre grandeurs sont dans le même rapport deux à deux, la première par rapport à la deuxième et la troisième par rapport à la quatrième, lorsque n'importe quels communs multiples de la première et de la troisième sont en même temps plus grands, égaux ou plus petits que n'importe quels communs multiples de la deuxième et de la quatrième, ou
a
b
= c
d
si et seulement si ma >= nb implique mc >= nd et ma <= nb implique mc <= nd"

Cette théorie mathématique de la proportion permet d'établir des rapports entre des domaines distincts : "entre des longueurs et des surfaces, entre la surface de cercles et la surface de carrés", bref, "d'organiser le monde des grandeurs au-delà des limites du genre" (Molino 1979 p.89). Il n'en reste pas moins vrai que les rapports "intéressants", ouvrant la voie à des théorèmes, prendront pour termes des x et des y liés entre eux, par exemple, la surface de deux cercles et la longueur de leurs rayons.

Qu'il applique ce modèle en biologie ou en poétique :

(ex.13)"l'écaille est au poisson ce que la plume est à l'oiseau" (Parties des Animaux 644)

(ex.14) "la coupe est à Dionysos ce que le bouclier est à Arès" (Poétique 205b)

(ex.15) "la vieillesse est à la vie ce que le soir est au jour" (idem)

Aristote, tout en insistant sur les corrélations entre séries qu'entraîne une structure identique (relation de partie à tout 13, de symbole à symbolisé 14, d'ordre temporel 15), fait reposer de fait l'édifice analogique sur l'existence préalable de séries déjà constituées : les parties du corps, les espèces animales, la liste des emblèmes, le Panthéon des dieux, les heures du jour, les âges de la vie. Ces séries qui existent dans la mémoire collective sont parfois longues, voire indéfinies : les nombres, les couleurs, la flore, la faune, les métiers, les outils, les habitats, les aliments, les vices et les vertus ; d'autres sont limitées : les 22 à 26 lettres de l'alphabet ; les douze travaux d'Hercule, les douze Apôtres, les douze signes du zodiaque ; les dix commandements, les neuf Muses, les sept merveilles du monde, les cinq sens, les quatre points cardinaux ; avant/pendant/après : les trois phases du temps ; les deux sexes enfin, corps et âme, nuit et jour, non et oui.

Conventionnelles ou "naturelles", ces séries ont mis ou mettent encore en ordre l'univers symbolique, et l'histoire des formes symboliques, surtout pré-scientifiques (Curtius, De Bruynhe, Yates) a bien mis en lumière l'extraordinaire potentiel analogique que recèlent les quadri-, tri-, et bi-catégorisations : le carré, le triangle et le couple, dont l'un des effets les plus remarquables est d'organiser en règnes quadri-, tri-, ou bi-hiérarchiques ou en figures quadri-, tri-, ou bi-polaires la mise en regard des séries longues : climats, astres, métaux, maladies, dits au Moyen-Age "de terre", "d'air", "d'eau" ou "de feu" ; l'homme entre l'ange et la bête, l'enfant entre le père et la mère ; les métiers nobles ou roturiers (cf. Nietzche Généalogie de la morale) ... les rôles sociaux masculins ou féminins.

Dans la forme et l'efficacité d'une abfc, l'importance de la catégorisation et celle de la relation prédicative sont en quelque sorte inversement pro-portionnelles : si les séries et leurs hiérarchies sont bien en place, le prédicat peut être élidé ; c'est ce qui se passe dans tous les exemples d'analogie au sens strict choisis par Aristote, qui peuvent être ramenés à la formule /a et à b ce que c est à d/ parce qu'ils opèrent "à séries fortement reliées" : les espèces vivantes et leurs parties du corps, les dieux et leurs emblèmes, les heures et les âges, mesures du temps. Dès que l'on veut opérer "à séries lâchement reliées" -avec des liens moins conventionnels en X, en Y, et entre X et Y- le prédicat, qui explicite les relations que l'on pose entre les termes, devient décisif et nécessaire.

C'est très clair chez celui des auteurs français qui a le plus et le mieux cultivé ces sortes d'analogies proportionnelles, le La Rochefoucauld des Maximes : seules celles qui mettent en oeuvre simultanément des relations strictement binaires d'inclusion ou d'ordre (qualité, haut degré) et des bi-catégorisations bien établies dans l'univers de référence, en l'occurrence la morale (le corps et l'esprit, le mérite et la beauté, le vice et la vertu, ...) revêtent la forme dite canonique, à prédicat élidé :

(ex.16) "La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit". (max. 67)

(ex.17) "L'élévation est au mérite ce que la parure est aux belles personnes". (max. 401)

(ex.18) "La sagesse est à l'âme ce que la santé est pour le corps". (posthume 41)

Notons incidemment qu'après l'avoir risquée, La Rochefoucauld recule devant ce que certains (Pask 1975) appellent l'analogie continue : /a est à b ce que b est à c/, et la maxime suivante est supprimée :

(ex.19) "L'amour est à l'âme de celui qui aime

ce que l'âme est au corps qu'elle anime". (max. supprimée 13)

Dès que sont en jeu des rapports moins attendus, c'est-à-dire non-indexés en mémoire, la formule aristotélicienne, pour satisfaire à la règle de clarté, s'accompagne d'une explication qui la précède ou la suit et qui comporte immanquablement le prédicat plein ("... empêche d'envisager la mort", ... "s'efface aisément", ..."ne revient jamais") que la seule donnée des couples de termes n'aurait pas permis de reconstruire :

(ex.20) "Ceux qu'on condamne au supplice affectent quelquefois une constance et un mépris de la mort qui n'est en effet que la crainte de l'envisager. De sorte qu'on peut dire que cette constance et ce mépris sont à leur esprit ce que le bandeau est à leurs yeux".(max. 21)

(ex.21) "La grâce de la nouveauté est à l'amour ce que la fleur[3] est sur les fruits : elle y donne un lustre qui s'efface aisément, et qui ne revient jamais" (max. 274)

En résumé,

Seul un lien préalable entre X et Y autorise une analogie formulaire à prédicat élidé, satisfaisant à la règle, fondamentale, de clarté ; mais si l'on explique, par une phrase à prédicat plein et assignation des places sujet/complément, la propriété ou la relation considérée, alors à peu près n'importe quels domaines présentant au moins quelques termes compatibles -sans jeu de mots- avec cette propriété ou cette relation peuvent être rapprochés analogiquement ; et c'est cette explication, convaincante ou non, qui justifiera a posteriori l'analogie, c'est-à-dire le bien-fondé du rapprochement.

C'est, au XVIIIe siècle, l'avis des rhétoriques bien tempérées, qui militent pour la clarté sans verser dans le purisme logique ; c'est ainsi que la Rhétorique françoise à l'usage des jeunes demoiselles (Gaillard 1746), au chapitre De la figure appelée Parallèle, propose pour modèle ce délicieux Parallèle du chien Marquès avec l'Amour (6ème éd. 1787 p.356-57) -je ne résiste pas au plaisir de le citer in extenso.

(ex. 22)

"Savez-vous avec qui, Philis, ce petit chien
Peut avoir de la ressemblance ?
La chose est assez d'importance.

Pour percer le mystère et vous y faire jour,
Examinez Marquès, son humeur, si figure.
Mais enfin cette énigme est-elle trop obscure ?
Vous rendez-vous ? Il ressemble à l'Amour.

A l'Amour ! direz-vous : la comparaison cloche,
Si jamais on a vu comparaison clocher.
Un chien avec l'Amour ! Eh bien ! il faut tâcher
D'en faire un parallèle exact et sans reproche.

Marquès sur vos genoux a mille privautés ;
Entre vos bras il se loge à toute heure :
Et c'est là que l'Amour établit sa demeure,
Lorsqu'il est bien reçu par vous autres beautés.

On voit Marquès se mettre aisément en colère,
Et s'apaiser fort aisément.
Connaissez-vous l'Amour ? Voilà son caractère :
Il se fâche, il s'apaise en un même moment.

Afin que votre chien ait la taille mieux faite,
Vous le traitez assez frugalement ;
Et le pauvre Marquès, qui fait toujours diète,
Subsiste je ne sais comment.

L'Amour ne peut chez vous trouver de subsistance,
Vous ne lui servez pas un seul mets nourrissant,
Et s'il ne vivait d'espérance,
Je crois qu'il mourrait en naissant.

Avec ce petit chien vous folâtrez sans cesse ;
En folâtrant, ce petit chien vous mord ;
On joue avec l'Amour ; il badine d'abord,
Mais en badinant il vous blesse.

Loin de punir ce petit animal,
Ne rit-on pas de ses morsures ?
Encor que de l'Amour on sente les blessures,
A l'Amour qui les fait on n'en veut point de mal.

On veut qu'un chien soit tel que quand il vient de naître ;
Et de peur qu'il ne croisse, on y prend mille soins :
Il ne faut pas[*] en prendre moins
Pour empêcher l'Amour de croître.

Vous caressez Marquès parce qu'il est petit ;
S'il devenait trop grand, il n'aurait rien d'aimable :
Un petit Amour divertit ;
S'il devient trop grand, il accable".

Ces règles de bon usage, débattues depuis l'Antiquité, visent à limiter l'influence, jugée délétère, du signifiant[4] sur le cognitif, de l'arbitraire linguistique sur l'ordre logique. Telles que je les ai précisées : /une abfc transfère sur un thème X, sans jeu d'homonymie, une propriété ou une relation, préalable ou explicitement établie dans un domaine Y, plus clair, lié à X par convention préalable ou explicitation d'un prédicat commun/, elles expriment une position "glossophile mais rationaliste" bien attestée dans les rhétoriques classiques tempérées, compromis entre la position "glossophobe" des ennemis du signifiant (l'Aristote de l'Organon, les rationalistes du XVIIIe siècle, la plupart des logiciens contemporains) et la position "glossolâtre" des amis -ou des fous- du signifiant (les Sophistes, les Grands Rhétoriqueurs du XVe siècle, les Baroques du XVIIe, la plupart des psychanalystes contemporains).

Ce premier repérage m'était nécessaire pour dégager les abords de la question, plus rarement débattue, qui m'occupe sous le nom de contre-analogie : comment se fait-il que -de fait- un grand nombre d'analogies pourtant bien formées cognitivement, du moins à première vue, soient récusées : immédiatement réfutées ou rejetées comme ridicules ? J'examinerai ces deux cas l'un après l'autre avant de tenter une hypothèse de synthèse.


2. LES RÈGLES DU TRANSFERT : ANALOGIES A PARI, A FORTIORI, A CONTRARIO

2.1. Y-a-t-il retournement du transfert ?

Dans son Traité de l'Argumentation, Chaïm Perelman attire l'attention sur le fait que l'argument a pari, qui procède par identification de deux cas que l'on déclare analogues, bien souvent, au lieu d'entraîner l'adhésion, "suscite la réplique par l'argument a contrario", qui refuse cette analogie et la retourne en opposition. Il en donne un exemple juridique :

(ex. 23) "Une loi édicte certaines dispositions relatives aux fils héritiers ; grâce à l'argument a pari, on cherche à étendre ces dispositions aux filles ; l'argument a contrario, par contre, permet de prétendre qu'elles ne s'appliquent pas aux personnes de sexe féminin. Dans le premier cas, la loi est considérée comme un exemple d'une règle qui concerne le genre tout entier ; dans le deuxième, elle est conçue comme une exception à une règle sous-entendue concernant le genre" (p. 325)

Joignons à cet exemple deux épitaphes antiques où s'exprime une hésitation du même ordre entre la règle et l'exception, puisque, d'un même fait, tragique, un naufrage, on tire a pari une consigne de prudence, et a contrario une leçon d'insouciance :

(ex.24) "Bonne chance sur mer, ô hardis matelots !

Mais sachez que jadis je péris sous les flots". Tombe d'un noyé

(ex.25) "Embarquez-vous sans peur. La mer causa ma mort,

Mais d'autres, ce jour-là, sont arrivés au port". Tombeau d'un naufragé

(in Yourcenar p.298-99)

Dans l'un et l'autre cas, nous avons des termes x et y ,{fille & fils} , {vous & moi}, bien reliés, sous un prédicat commun (enfant ; matelot), et, dans un cas une règle, dans l'autre un fait traduisant une probabilité, également bien établies en y ; les conditions du transfert analogique telles que nous les avons délimitées plus haut sont donc bien réunies ; or le transfert ne semble nullement garanti puisque l'on rencontre en libre concurrence les deux types d'argument :
a pari
{x, y}
P(y)

d'où, P(x)
& a contrario
{x, y}
P(y)

d'où, non-P(x)

Que les arguments sophistiques, que l'on tire des hasards de la langue, se retournent "comme des crêpes" est dans la logique de leur absence de logique, et lorsqu'on prend le risque, comme dans les campagnes récurrentes de promotion du téléphone, de recourir à des arguments tels que :

(ex.26) "coup de fil, coup de coeur
coup de fil, coup de tête
coup de fil, coup de foudre...", etc...

on doit bien s'attendre à des ripostes de la même venue :

(ex.27) "coup de fil, coup de fusil
coup de fil, coup monté
coup de fil, coup fourré...", etc...

Mais qu'un transfert bien formé cognitivement ait la même fragilité est évidemment grave pour la théorie de l'analogie ; car si l'on se résigne à l'idée qu'en règle générale, étant donnés deux termes {x, y} ou deux domaines {X, Y} bien reliés et une propriété ou une relation bien établie en Y : P(y) ou R (y1, y2,..., yi), on peut librement, au choix, sans contraintes, conclure de là aussi bien non-P(x) que P(x), non-R(x1, x2,...,xi) que R(x1, x2,...,xi), alors c'est toute la fiabilité, relative certes mais non-nulle, du transfert analogique qui s'effondre irrémédiablement. La chose mérite donc examen.

Dans le cas des épitaphes, on peut apaiser ses angoisses logiques en considérant que l'on a opéré successivement des prélèvements binaires distincts dans la série normalement ternaire du système des personnes : moi et les autres étant affectés de prédicats opposés (périr en mer == ne pas arriver au port), la deuxième personne vous est assimilée, tantôt à la première, tantôt à la troisième ; mais quelle que soit la branche choisie dans l'alternative, la propriété se transfère identique, sans retournement :
{x, y, z}
{x, y}
P(y)

d'où, P(x)
{x, z}
non-P(z)

d'où, non-P(x)

Par contre, dans le cas strictement binaire invoqué par Perelman, c'est le couple, unique, de termes fortement reliés {fils & fille} ou {frère & soeur} qui est lui-même ambivalent, puisque ses termes s'interprètent soit comme équivalents, soit comme opposés :
{x, y}
x == y
P(y)

d'où, P(x)
x == non-y
non-P(y)

d'où, non-P(x)

Or si la propriété transférée entre termes équivalents se conserve identique, elle s'inverse lorsqu'elle est transférée entre termes opposés. Ce ne serait donc pas le transfert lui-même qui serait responsable du retournement, mais le statut du lien qui unit les termes du couple {x, y}.

Cette question n'a pas échappé à l'attention des rhétoriques anciennes, puisque dès l'Institution oratoire de Quintilien (96 ap. JC) au chapitre du Raisonnement par l'exemple (Livre V chap. II), il est admis qu'une confrontation entre deux domaines ou deux cas particuliers a pour effet de mettre en lumière, soit ce qu'ils ont de "tout-à-fait semblable" (totum simile), soit ce qu'ils ont d'"inégal" quantitativement (impar) ou de "dissemblable" qualitativement (dissimile), soit enfin ce qu'ils ont de "contraire" (contrarium), ce dernier mode de raisonnement étant presque exclusivement réservé à la réfutation.

La Logique de Port-Royal (1662) se fait, dans son langage austère, l'écho fidèle de cette analyse classique :

Or, et c'est essentiel à mes yeux, ces paragraphes allusifs et succincts sur les trois modes de raisonnement analogique (a pari, a fortiori, a contrario) viennent conclure le chapitre consacré par Port-Royal à la théorie rhétorique des lieux, qui n'est autre qu'un inventaire traditionnel, et des liens susceptibles a priori de relier les termes d'un couple ou d'une série, et des types de transfert que ces liens autorisent.

2.2. Couples de termes et accord de transfert

Issue des Topiques d'Aristote, puis de Cicéron, moultement discutées, remaniées, enrichies au fil des siècles jusqu'au XVIIe, où l'on commence à critiquer leur "mauvaise facilité", la théorie rhétorique des lieux ne dénombre pas moins de seize catégories fondamentales, et laisse proliférer d'innombrables distinctions subsidiaires. Il est donc hors de question de l'exposer ici en détail ; je ne prélève, dans l'exposé volontairement simplificateur de Port-Royal, que quelques éléments, suffisants pour éclairer mon propos actuel.

En me limitant aux Adjectifs et aux Noms (car les Verbes posent des problèmes beaucoup plus complexes dans la double mesure où ils distribuent des réseaux de places autour d'eux et sont soumis, non seulement à la négation et aux degrés, mais aussi aux alternances de voix, de mode, de temps, de nombre, de personne et de dérivation), je m'en tiendrai à six relations simples que je résume dans le tableau suivant (Tableau I) :
 

termes exemples adjectivaux exemples nominaux
synonymes {méchant, mauvais} {roi, souverain}
équivalents {bon, beau}, {mauvais, laid} {roi de France, czar de Russie}
graduels {bon, meilleur, excellent}, {mauvais, pire, exécrable} {comte, marquis, duc, roi}
relatifs {meilleur, moins bon}  
opposés négatifs {bon, mauvais} {roi, sujet}
opposés extrêmes {meilleur, pire} {roi, pas roi}, {roi, serf}

La seule notion inusuelle aujourd'hui (mais banale au XVIIIe cf.Encyclopédie 1765 article RELATIFS, Logique) qui appelle un éclaircissement est celle de termes relatifs : deux termes x et y sont dits relatifs s'ils satisfont à la relation :

/si a est le x de b, b est le y de a/.

Tels sont "père & fils, mari & femme, frère & soeur, aîné & cadet, maître & disciple, maître & serviteur, médecin & malade, roi & sujet, etc..." ; la liste est très longue, puisque cette relation antisymétrique englobe quelques parités supposées réciproques[5] ("amant & maîtresse"), des consécutions temporelles ou causales ("prédécesseur & successeur, cause & effet"), et toutes sortes de hiérarchies (inférieur & supérieur, possesseur & possession, prédateur & proie...), que certains appellent disparités.

Or ces termes relatifs sont particulièrement intéressants (et source d'innombrables exercices dans les manuels classiques) parce qu'ils forment des couples d'une excellente cohésion et néanmoins susceptibles des plus grandes variations d'interprétation -et, partant, de la plus large gamme de transferts potentiels. Je les utiliserai donc pour mettre en lumière un phénomène qui affecte aussi, à un moindre degré, les autres types de couples.

Prenons donc le couple {maître & serviteur} et admettons qu'Untel est bon serviteur ; quelle sorte de maître serait-il ?
 
{x, y}
P(y)
d'où, ?(x)

Le type de transfert appliqué et, par voie de conséquence, la proposition résultante, vont dépendre, comme souvent en linguistique, non pas des données brutes (perspective -etic) mais du trait jugé décisif dans l'interprétation des données (perspective -emic). Or tout le tableau précédent peut être parcouru : qu'il en tire : "Seul le contexte, l'appréciation de la situation, la détermination du but poursuivi [...] permettra dans chaque cas [...] de préférer l'identification de deux espèces à leur opposition, ou inversement" (p.325) a donc une portée plus large qu'il ne l'envisageait, puisqu'elle concerne non seulement l'identification et l'opposition mais aussi les autres types de transfert : l'équivalence, les gradations, et le passage d'un extrême à l'autre.

Ainsi, on imagine sans peine, entre une règle d'équivalence :

/même héritage au fils et à la fille/

et une règle d'opposition extrême :

/tout pour le fils, rien pour la fille/

une règle de proportion qui conserve une inégalité symbolique :

/un fils, vaut deux, trois,... dix filles ;

donc, l'héritage du fils sera 2, 3,... 10 fois celui de la fille/.

Or cette élargissement restaure, me semble-t-il, une certaine rationalité, en faisant apparaître que le transfert analogique, s'il inverse parfois une propriété ou une relation :

(ex.28)

La constatation de Perelman et la conclusion qu'il en tire : "Seul le contexte, l'appréciation de la situation, la détermination du but poursuivi [...] permettra dans chaque cas [...] de préférer l'identification de deux espèces à leur opposition, ou inversement" (p.325) a donc une portée plus large qu'il ne l'envisageait, puisqu'elle concerne non seulement l'identification et l'opposition mais aussi les autres types de transfert : l'équivalence, les gradations, et le passage d'un extrême à l'autre.

Ainsi, on imagine sans peine, entre une règle d'équivalence :

/même héritage au fils et à la fille/

et une règle d'opposition extrême :

/tout pour le fils, rien pour la fille/

une règle de proportion qui conserve une inégalité symbolique :

/un fils, vaut deux, trois,... dix filles ;

donc, l'héritage du fils sera 2, 3,... 10 fois celui de la fille/.

Or cette élargissement restaure, me semble-t-il, une certaine rationalité, en faisant apparaître que le transfert analogique, s'il inverse parfois une propriété ou une relation :

(ex.28) "Qui m'aima généreux me haïrait infâme" (Corneille Le Cid)

(ex.29) "S'il y a de la gloire à vaincre les passions,

Il y a de la honte à en être vaincu" (Bary Rhétorique françoise)

(ex.30) "La guerre apporte-t-elle la confusin ?

La paix apporte donc l'ordre" (idem 1665 p.74)

ne le fait pas au gré de sa libre fantaisie, mais qu'il est au contraire astreint à conserver, en tout état de cause, les liens préalables -identité, équivalence, gradation : ascendante ou descendante, opposition : relative, négative ou extrême- qui lient les domaines X, Y ou leurs termes x, y. On aurait donc ici l'une de ces règles qu'en grammaire on appelle règle d'accord : accord entre les types de lien préalable et les types de transfert :

- à domaines semblables, transfert identique : a pari

: c'est précisément ce qui fonde le caractère rhétorique : a fortiori - à domaines opposés, transfert inverse : a contrario

Cette belle règle de rhétorique non-sophistique unifie l'analogie a pari, a fortiori, a contrario, en faisant du transfert une fonction monotone ; mais c'est au prix d'un report de la difficulté "en amont" : vers le statut exact du lien préalable ; c'est pourquoi les traités classiques apprennent à l'élève de rhétorique, en plus de la théorie des lieux -c'est-à-dire des liens potentiels entre termes-, l'art d'expliciter les préalables qui lui permettront de construire effectivement les différentes conclusions envisageables, le choix ultime de l'une ou l'autre d'entre elles, pro ou contra, qui se fait en fonction du contexte, de la situation et du but recherché comme nous le rappelle très justement Perelman, restant à sa charge d'orateur, responsable de sa décision. Partant des mêmes données explorées in utramque partem (de l'un et l'autre point de vue), son adversaire éventuel pourra donc, avec le même ensemble de règles, discuter sa décision : c'est précisément ce qui fonde le caractère rhétorique de ce type de raisonnement, ouvert à la discussion.

(ex.31) Question : "Si on ne doit pas punir un mal forcé,

doit-on reconnaître un bienfait contraint ?" (Bary 1665 p.74)

Démarche : Que doit-on faire ? P : sanctionner ou non-P : ne pas sanctionner

étant entendu que sanctionner un mal == punir, sanctionner un bien == le reconnaître

préalable 1 : {forcé, contraint} : synonymes

préalable 2 : {mal, bienfait} : opposés

1/ accent sur le préalable 1 : synonymie, d'où raisonnement analogique a pari :

règle : /aucun acte contraint et forcé ne peut être sanctionné/ (le préalable 2 est neutralisé)

doit-on sanctionner ? NON ; d'où : "on ne doit pas reconnaître un bienfait contraint"

2/ accent sur le préalable 2 : opposition, d'où raisonnement analogique a contrario :

/un bienfait ne peut pas être traité comme un méfait/ (le préalable 1 est neutralisé)

donc, au lieu de la règle, exception en faveur du bienfait ; doit-on sanctionner ? OUI ;

d'où : on doit [toujours] reconnaître un bienfait [même contraint].

La décision -qui dans aucun des deux cas n'est illogique, reviendra donc en définitive à l'appréciation de la situation : requiert-elle un application stricte de la règle, ou le bienfait peut-il bénéficier d'un traitement d'exception ? en d'autres termes, vaut-il mieux faire preuve en l'occurrence d'équité parfaite ou de générosité ?

(ex.32) Question : "Je t'aimais inconstant ; qu'aurais-je fait fidèle ?"

(Racine : soupir d'Hermione pour Pyrrhus, qui la délaisse pour Andromaque)

Démarche : P : aimer y : inconstant x : fidèle

préalable 1 : {inconstant, fidèle} : opposés

préalable 2 : aimer qqn d'inconstant est plus difficile qu'aimer qqn de fidèle : gradation

1/ accent sur le préalable 1 : opposition, d'où raisonnement analogique a contrario :

Qui l'aima inconstant ne l'aimerait pas fidèle cf "Qui m'aima généreux me haïrait infâme"

(le préalable 2 : on aime en dépit de l'inconstance et non à cause d'elle, est neutralisé)

2/ accent sur le préalable 2 : gradation, d'où raisonnement analogique a fortiori :

/si ce qui est moins probable est, ce qui est plus probable est aussi./ (cf p.14 Port-Royal ) D'où, avec gradation ascendante : Qui l'aima inconstant l'eût adoré fidèle !

(le préalable 1 est neutralisé : {inconstant, fidèle}ne sont pas aussi radicalement opposés que {généreux, infâme}).

Quant à choisir entre ces deux conclusions envisageables (inégalement, il est vrai), il est hautement probable qu'Hermione souhaite insinuer la seconde dans l'esprit de Pyrrhus ; mais il n'est pas exclu que Racine, qui fait d'Hermione une femme si violente, insinue la première dans notre esprit à nous.

Privés du support des lieux, les manuels modernes doivent tendre à leurs élèves, sous forme d'indices syntaxiques ou de notes explicatives, des perches de bonne taille :

(ex.33) "L'argent est un bon serviteur, mais il est un ___________ ____________".

(ex.34) "Lynx* envers nos pareils, et ________ envers ___________.

* Sorte de chat sauvage d'Europe, réputé, à tort semble-t-il, pour l'extrême acuité de sa vue." (Courault Manuel pratique de l'art d'écrire 1957 p.205)

Inversement, soumis à un enseignement systématique de ces formes, même l'étudiant qui "sèche" de prime d'abord sur de telles formules passe ensuite très vite du premier déclic analogique au cliché à grand tirage, produisant à foison des réponses "de tout poil" :

"Lynx envers nos pareils... et taupes envers nous."

loups agneaux

tigres colombes

rats chats

ours, etc... nounours etc...

Le problème se pose donc réellement de savoir si ces règles de transfert -comme d'autres règles rhétoriques, grammaticales ou logiques- sont autre chose qu'un pur artefact, une règlementation qui autorise, certes, une production mais en même temps la normalise. Aussi, devant la belle ordonnance de ces transferts d'école, me suis-je demandé ce qu'il en était des analogies moins savantes : présentent-elles également cette tendance à l'accord entre types de transferts et couples de termes, qui fait de l'analogie, même a contrario, une fonction monotone ?

2.3 . La contre-analogie comme transfert non-monotone

Lorsqu'on parcourt les quelques trois mille Proverbes Moraux qui forment la série XV de Livre des Proverbes français de Le Roux de Lincy (1842 t.II pp.162 à 334), que je prendrai pour corpus en modernisant l'orthographe, parfois la syntaxe, mais non le lexique, on rencontre d'emblée, sur le terrain de l'analogie, deux phénomènes attendus car souvent décrits dans les corpus proverbiaux : la prépondérance marquée (plus d'un millier d'exemples) des jeux sur les homonymes et les paronymes ou homonymes à un son près :

(ex.36) "Mort ne mord" (265 ce chiffre indique la page)

(ex.37) "Une goutte de miel, une goutte de fiel" (332)

(ex.38) "Hardi de la langue, couard de la lance" (227)

et l'importance (près d'un millier d'exemples) de ces rappels d'évidence, de ces allusions, de ces conseils à la cantonade, qui forment autant de phores potentiels pour des applications encore indéterminées :

(ex.39) "Il y a fagot et fagot" (241)

(ex.40) "Une main lave l'autre" (332)

(ex.41) "Ne romps pas ton oeuf mollet

Avant que ton pain soit bien prêt" (316).

Ces faits massifs admis, j'insisterai sur trois autres caractères, qui concernent directement notre propos : la forme grammaticale des formules analogiques, les schémas temporels et les échelles de gradation.

* La forme des formules :

Le premier point remarquable est, avec l'absence totale de la formule aristotélicienne /a est à b ce que c est à d/, la rareté des formules isolées à 4 termes pleins distincts : pour l'identité, deux douzaines d'exemples :

(ex.42) "Vieux en amour : hiver en fleurs" (333)

et pour la gradation, avec de la bonne volonté, quelques unités :

(ex.43) "Le mort n'a pas d'ami ; le malade, un demi" (249)

Pour l'opposition, cette formule quadrinominale est nettement plus productive (un bon cent d'exemples) :

(ex.44) "De bois tordu on ne fait droite flèche" (255)

(ex.45) "A l'emprunter cousin germain,

Mais au rendre fils de putain" (164)

non sans dissymétrie toutefois, deux des quatre termes servant le plus souvent de cadre stéréotypé aux deux autres :

(ex.46) "Grande chère, petit testament" (226)

(ex.47) "Diseurs de bons mots, mauvais caractère" (repris de Pascal 215)

(ex.48) "Aujourd'hui chevalier, demain vacher" (176)

Ce que l'on rencontre en revanche, à côté de quelques variations sur un seul terme :

(ex.49) "Qui a bu boira" (289)

(ex.50) "A trompeur, trompeur et demi" (167)

ce sont, par centaines, des formules à 2 termes pleins insérés dans un cadre où la symétrie est assurée, soit par une corrélation syntaxique (Qui V1, V2, ; à N1, N2 ex. 49-50) ou morpholexicale (l'un... l'autre ex.40 ; on peut y faire entrer : aujourd'hui... demain ex.48), soit par la répétition identique d'un troisième terme, terme plein (ex.37) ou, le plus souvent, terme-outil :

(ex.51) "Telle main, telle moufle" (324)

(ex.52) "Tôt gagné, tôt gaspillé" (326)

(ex.53) "Un temps pour tailler, un temps pour coudre" (231)

les deux procédés, morphologique et syntaxique, étant d'ailleurs compatibles :

(ex.54) "A tel pot, telle cuiller" (166)

(ex.55) "De si haut, si bas" (213)

(ex.56) "Qui bon l'achète, bon le boit" (293)

Notons enfin la propension de ces formules à s'organiser en séries, parfois de deux sentences, mettant ainsi quatre termes en rapport proportionnel :

(ex.57) "Trop gratter cuit,

Trop parler nuit" (328)

(ex.58) "Tel grain tel pain,

Tel père tel fils" (323)

mais, plus volontiers, de quatre, huit, douze sentences et davantage, scellées par un écho ou par une rime qui n'exclut pas toujours la raison :

(ex.59) "A tel pot, telle cuiller

A telle dame, telle chambrière

A tel maître, tel valet

A tel couteau, telle gaine" (166)

(ex.60) "Il y a un temps pour parler et un temps pour se taire

souffler humer

tailler coudre

tuer... saler... (231)

C'est à bon droit que Le Roux de Lincy parle à ce sujet de litanies proverbiales (t. I iij), la plus longue de ces séries (36 sentences), encore assez connue aujourd'hui et qui commence ainsi :

(ex.61) "De ces choses Dieu nous garde :

D'une femme qui se farde

D'un valet qui se regarde

D'un boeuf salé sans moutarde [...]

D'un fol qui porte massue,

De charrette en petite rue..." etc. (210-11)

étant, dans certaines de ses variantes riches en termes latins, une caricature explicite des offices religieux :

(ex.62) "Des et coetera de notaire... Des qui pro quo d'apothicaire...

... Libera nos, Domine" (212)

Toutes populaires qu'elles sont, ces analogies proverbiales ont aussi leurs normes et leurs modèles.

** Les schémas temporels :

Cet univers proverbial n'ignore pas les schémas de conservation ou de croissance linéaire dans le temps :

(ex.56) "Qui bon l'achète, bon le boit" (293)

(ex.49) "Qui a bu boira" (289)

mais il leur préfère nettement les schémas cycliques : alternance et retour périodique du souffle, des saisons, de la liturgie... (cf. ex.60 "un temps pour ceci et un temps pour cela") ; ou encore, engendrement progressif de tous les degrés successifs d'un long parcours rotatif, qu'exprime un sorite [6] circulaire :

(ex.63) "Paix engendre prospérité,
De prospérité vient richesse,
De richesse orgueil et fierté,
D'orgueil contention sans cesse,
Contention la guerre adresse.
La guerre engendre pauvreté,
Pauvreté humilité,
D'humilité revient la paix,
Ainsi retournent les humains". (277)

La concurrence de ces deux schémas crée une première difficulté, puisque, si c'est dans le temps que s'ordonne les deux termes d'un couple, père & fils par exemple, alors les propriétés du fils se déduiront de celles du père, soit par une règle de conservation (prévision a pari) :

(ex.58) "Tel père, tel fils" (323)
soit au contraire par une règle d'alternance (prévision a contrario) :

(ex.64) "A père amasseur, fils gaspilleur" (165)
ou dans notre vocabulaire : "A père avare, fils prodigue".

Cette difficulté est plus grave que celles que nous avons rencontrées précédemment car il n'est pas possible ici d'extraire de l'interprétation du couple lui-même des traits qui rendent prévisible le choix du type de transfert : schémas linéaires et schémas périodiques semblent librement concurrents.

Cette alternative initiale tranchée, ces schémas, linéaires ou périodiques, de périodicité rapide ou lente, sont-ils au moins assez réguliers, assez "monotones", pour autoriser malgré tout une certaine prévision par analogie ?

NON car cet univers proverbial rappelle incessamment que la Fortune, comme la Mort, frappe à toute heure et en toute situation :

(ex.65) "Il n'est chance qui ne retourne" (235)

(ex.66) "Fortune fait d'un petit un grand,
Fortune fait d'un grand un petit" (225)

Il est donc a priori impossible de prévoir si les processus, linéaires ou périodiques, se dérouleront jusqu'à leur terme ou s'ils seront brutalement interrompus, s'ils suivront leur cours normal ou s'ils se "retourneront" : la Fortune et la Mort, parce qu'elles interviennent "on ne sait quand", tiennent en échec et la monotonie des processus et l'analogie qu'autoriserait cette monotonie. Cette seconde difficulté est insoluble ; tenter de la résoudre, c'est être déjà sorti de cet univers de hasard où l'on ne gère pas l'avenir.

Notons pourtant que si les formules abstraites (ex.65, 66) promettent des retournements en tous sens, et, partant, autant de bonnes fortunes que de mauvaises, c'est en fait la seule figure de la chute -ex. 55 "De si haut si bas !"- qu'inlassablement les litanies ressassent :

(ex.67) "Aujourd'hui à moi, demain, à toi.
Aujourd'hui ami, demain ennemi.
Aujourd'hui chevalier, demain vacher.
Aujourd'hui en chère, demain en bière.
Aujourd'hui en fleur, demain en pleur.
Aujourd'hui en siège, demain en piège.
Aujourd'hui grand, demain petit.
Aujourd'hui marié, demain marri.
Aujourd'hui maître, demain valet.
Aujourd'hui trompeur, demain trompé.
Aujourd'hui roi, demain rien". (176)

Au point que l'on se demande si la Fortune, loin de frapper en aveugle, ne viendrait mettre bon ordre aux seules fortunes "insolentes" : trop bonnes ou trop grandes ; accomplir dans le temps, comme l'Ange au dernier jour, un retournement "bien mérité" : souhaitable et souhaité ? Pour étayer cette hypothèse, ce sont les échelles de gradation qu'il faut interroger.

*** Les échelles de gradation [7] :

L'un des points remarquables de ce corpus proverbial est une relative abondance (quelques douzaines) de formules très abstraites, qui, sans support anecdotique ni appui lexical, livrent en quelque sorte les règles mêmes du transfert, identique, opposé ou graduel :

(ex.68) "De rien, rien" (213)

(ex.69) "De petit, petit et d'assez, assez" (212)

(ex.70) "Mieux vaut peu que rien" (263)

(ex.71) "De petit on vient au grand" (217)

(ex.72) "Trop, c'est trop" (328)

(ex.73) "Qui tout tient, tout perd" (311)

Les quantifieurs mis en jeu peuvent certes s'ordonner linéairement par gradation ascendante :
 

Cependant, un système de règles qualitatives, (mieux vaut... ex.70, c'est trop... ex.72) s'y superpose et définit, entre les quantités, un ordre de préférence ou les "moyens" (le "juste milieu", l'aurea mediocritas, ou le bon objet idéalement "petit", comme le chien Marquès rencontré plus haut) se trouvent placés au-dessus des extrêmes :

(ex.74) "Le milieu est le meilleur" (248)

(ex.75) "Mieux vaut assez que trop" (261)

(ex.76) "Petite chose est bonne" (281)

Cette échelle de gradation proverbiale présente donc un optimum tout-à-fait distinct de son maximum : le noyau privilégié (peu, petit, assez), qui fixe dans la gradation ascendante un seuil de rebroussement au-delà duquel commence l'excès, c'est-à-dire la quantité plus importante mais de valeur moindre, voire nulle :
 

Ce désaccord, au-delà d'un certain seuil, entre accroissement quantitatif et progression de la valeur s'exprime à travers des formules qui autorisent, dans un cadre d'identification (par verbe être, répétition ou corrélation), le passage d'un terme valorisé à son opposé, dévalorisé :

(ex.77) "Grande science est folie" (227)

(ex.73) "Qui tout tient, tout perd" (311)

(ex.78) "Qui toujours grandit fait petit profit" (311)

On observe donc bien, au seul voisinage des termes grand, trop, tout dans cette échelle de gradation où petit est un optimum, un véritable retournement du transfert, puisque la progression de la valeur est proportionnelle à l'accroissement de la quantité (analogie a pari) en-deçà du seuil de rebroussement :

(ex.70) "Mieux vaut peu que rien"

et qu'elle lui devient inversement proportionnelle (analogie a contrario) au-delà du seuil de rebroussement :

(ex.75) "Mieux vaut assez que trop".

Or c'est bien ce type de retournement qui, dans les schémas temporels, se trouvait privilégié par la fonction "Fortune" ; j'avancerai donc l'idée que dans ce micro-système symbolique des proverbes est à l'oeuvre une fonction non-monotone, que l'on peut traduire par la double injonction : "croissance modérée des petits et annulation des grands" ; cette figure du "deux poids, deux mesures" est pour moi l'une des formes de la contre-analogie.

Une dernière remarque. Dans ce concert de sentences à la gloire du "juste milieu", je n'ai relevé qu'un seul contre-exemple :

(ex.79) "Rien n'a qui assez a" (315)

Ce proverbe évoque, isolément, une toute autre échelle de gradation :
 

celle des maximes héroïques (Corneille, La Rochefoucauld), qui place son optimum dans la grandeur, l'extrême degré du bien ou du mal, et pour qui rien n'est trop :

(ex.80) "Il y a des héros en mal comme en bien" La Rochefoucauld max.185 (et autres).

Cet univers héroïque (Paul Bénichou, Morales du grand Siècle, 1948) qui radicalise la différence entre le grand, magnifié, et le petit ou le médiocre, annihilé, forme un second exemple de micro-système symbolique où la valeur -nulle en deçà d'un certain seuil, sans borne au-delà- est une fonction non-monotone de la grandeur. Si bien que reprenant la maxime :

(ex.12) "L'absence diminue les médiocre passions, et augmente les grandes, comme le vent éteint les bougies et allume le feu"

on pourrait l'analyser, non plus par l'analogie entre les domaines X {absence, passions} et Y {vent, feu}, mais par la contre-analogie, comme application à ces domaines d'une fonction héroïque non-monotone, celle de l'épreuve, qui a pour effet, ou plutôt pour objectif : /diminuer les petits et les médiocres et augmenter les grands/.

En résumé,

la règle d'accord entre couples de termes et types de transfert qui ressort des traités de logique et de rhétorique les plus classiques suppose un univers régulier, où le transfert analogique, directement ou inversement proportionnel (a pari ou a contrario), s'applique, certaines conditions initiales étant fixées, de façon monotone. Ces clauses de régularité et de monotonie instaurent un ordre rationnel qui oublie : très légitimement, le hasard (fonction contre-analogique par excellence) ; légitimement sans doute, la mort (dont il organise la dénégation) ; moins légitimement enfin, s'il prétend s'instaurer ici-bas, la fixation sur une valeur fétichisée qui caractérise les divers micro-systèmes symboliques que se donnent les humains, et qui s'accompagne de retournements en certains seuils qui ne sont pas universellement partagés ; c'est l'ensemble -encore à décrire- de ces fonctions symboliques non-monotones que j'appelle contre-analogie.


3. DES ANALOGIES RIDICULES AUX ANALOGIES SACRILÈGES

3.1. Peut-on dire que le ridicule est à l'argument ce que l'absurde est à la preuve ?

Etudiant "le ridicule et son rôle dans l'argumentation" (Traité de l'Argumentation 1970 pp.276-282), Perelman le met en parallèle avec l'absurde et son rôle dans la démonstration :

L'un de ses exemples est un rapport proportionnel (analogon) tiré d'Aristote (Rhétorique II 23.16) :

Cette dernière proposition /les hommes petits sont des enfants/, ressentie comme "ridicule", c'est-à-dire sanctionnée par un rire spontané qui la rejette comme inadmissible, invalide la première proposition /les enfants grands sont des hommes/ dont elle est une conséquence analogique ; taxer une proposition de ridicule revient à l'affecter d'une négation forte, ou même de la modalité /impossible/ :

P implique Q ; or Q "ridicule" , donc, non-P (ou impossible P).[8]

Notons cependant que ce type d'argumentation par les conséquences ridicules est assez rare et que, beaucoup plus facilement que ne le fait l'absurde -propriété caractéristique des seules propositions-, le ridicule rejaillit sur les interlocuteurs : en tenant des propos ridicules, l'orateur se rend lui-même ridicule, il se ridiculise ; il peut aussi ridiculiser un adversaire ; il peut encore -s'il est doué, précise Perelman, "d'une certaine capacité de surmonter l'anxiété" (p.281)- "braver le ridicule" en soutenant devant un auditoire narquois une proposition fortement paradoxale... Rien de tout cela du côté de l'absurde, qui n'engage pas la personne de la même façon, et ne souffre aucune transgression.

D'ailleurs Perelman, en dehors du chapitre où il définit LE ridicule, examine, en fait, les attitudes argumentatives qui rendent un orateur ridicule et ruinent son crédit en le faisant apparaître, soit comme un menteur malhabile, soit comme un inconscient qui ne contrôle pas ce qu'il dit. Il insiste sur trois de ces attitudes :

1. l'orateur se contredit, il présente des arguments incompatibles entre eux :

(ex.82) ... "telle la défense de cette ménagère, accusée de ne pas vouloir rendre un pot : Ce pot, d'abord je ne l'ai jamais vu ; et puis je ne l'ai pas emprunté ; par ailleurs, je l'ai déjà rendu, et, au surplus, il était fêlé" (p.639)

Mutatis mutandis, c'est ce qui se produit avec les métaphores incohérentes, critiquées depuis l'Antiquité, où l'incompatibilité des éléments empêche l'élaboration d'une image :

(ex.83) "Tu lui passes la main dans le dos par devant,

mais tu lui craches à la figure par derrière"[9]

la plupart de ces incohérences étant dues à cette sorte de lapsus qui consiste à croiser involontairement deux métaphores synonymes :

(ex.84) "C'est la goutte d'eau qui met le feu aux poudres"

(ex.85) "C'est l'étincelle qui fait déborder le vase".

2. L'orateur exagère, ses arguments ont une extension incompatible avec le réel :

(ex.86) "Quintilien (VIII 3.76) cite des expressions qu'il entendait répéter partout lorsqu'il était jeune : Même les sources des grands fleuves sont navigables. Et un arbre vraiment fécond produit dès qu'il est planté". (p.511)

Ce reproche de démesure, d'excès dans l'exactitude, les traités classiques l'adressent à l'hyperbole, à la métaphore et à l'analogie outrées, telle cette épitaphe grandiloquente du roi Charles V d'Espagne composée par Jaime Falcone en 1522 et citée par Hugh Blair :

(ex.87) Pro tumulo ponas orbem, pro tegmine coelum,

Sidera pro facibus, pro lacrymis maria.

[Aie pour tombeau la terre, pour catafalque l'air,

Les étoiles pour flambeaux, et pour larmes les mers].

(Leçons de rhétorique 1820 t. I p.330)

3. L'orateur se trompe sur les faits :

Perelman ne cite pas moins de trois fois (p.150, 277, 419) la maxime de La Bruyère :

"Une erreur de fait jette un homme sage dans le ridicule" (Des Jugements max.47).

L'exemple, emprunté à Locke, qui lui sert d'illustration (p.419), est assez troublant :

(ex.88) ..."L'ambassadeur de Hollande, entretenant le roi de Siam des curiosités de la Hollande, lui dit entre autres "que l'eau, dans son pays devenait parfois si dure, par temps froid, que les hommes pouvaient se promener à sa surface, et qu'elle supporterait le poids d'un éléphant s'il y en avait là". A cela le roi répondit : "Jusqu'à présent j'ai cru les choses étranges que vous m'avez racontées, par ce que je vous prends pour un homme sérieux et honnête, mais maintenant je suis sûr que vous mentez". (Essai sur l'Entendement Humain IV XV.5)

Car l'ambassadeur de Hollande qui se ridiculise ainsi et perd tout crédit auprès du roi de Siam, commet moins une erreur de fait qu'une imprudence argumentative : un cavalier sur la glace aurait pu convaincre, puis deux, puis une cavalerie, mais l'éléphant le perd, moins par son poids -hyperbolique- que parce qu'il est déplacé. Sachant que le vrai en Hollande n'est pas vraisemblable au Siam, et que les conditions -atmosphériques, en particulier- ne lui permettront pas d'apporter la preuve empirique de ses dires, il prend un risque inconsidéré en usant d'une proposition "conditionnelle feinte et forcée"[10] : "un éléphant, s'il y en avait là..." Qui envoie si légèrement des éléphants au bout du monde, vers une scène hypothétique infalsifiable, peut en effet dire n'importe quoi.

A ces trois attitudes qui ridiculisent un orateur, joignons en une quatrième, destinée à ridiculiser l'adversaire : la dissociation de la valeur et du fait (p.447), à l'oeuvre chaque fois qu'un objet revêtu d'une valeur symbolique -un drapeau, un sceptre, un contrat, une croix, une alliance au doigt- est explicitement réduit à son support matériel : bout de tissu, bâton, bout de papier et bijoux ; cette dénonciation sacrilège d'un consensus symbolique ne pouvant à son tour se faire sans ridicule qu'au nom d'un autre ordre de valeur, qu'il s'agisse d'un autre système politique, religieux ou légal, investissant d'autres objets -un poing levé, un croissant, un bracelet de cheville- ou bien d'une éthique iconoclaste prohibant l'usage même des symboles. Je donnerai pour exemple de cette dernière attitude cette jolie chanson où Mistinguett ridiculise, par la dissociation, le rituel du mariage bourgeois :

(ex.89) "Y a des poules qui / Font des tas d'chichis / Quand elles se marient

E's'collent en blanc / E'publient des bans / E'z'invitent l'arrière-ban

Y a un lunch / On bouffe et on guinche

Enfin, toute la France / Sait qu'è'vont perdre leur innocence.

Quand je m'suis donnée à mon homme / Y avait pas d'cloches ni d'harmonium

J'ai fait ça en douce / Sans toutes ces complications..." (En douce 1922)

Les quatre cas retenus par Perelman concourent à imposer l'idée que la notion de ridicule traduit un affrontement entre un auditoire homogène, où règne un consensus sur un ensemble de règles symboliques (non-contradiction, mesure, exactitude des faits, reconnaissance des valeurs attachées à certains objets) et un individu qui s'isole du groupe en transgressant ces règles symboliques, par ignorance, maladresse ou défi.

Cette description ne manque certes pas de pertinence synchroniquement -c'est-à-dire aussi "psychologiquement" ; mais un regard historique sur ces questions laisse plutôt penser que le ridicule ne sanctionne pas tant la transgression individuelle -l'affrontement d'une norme et d'une aberration, dont la notion de folie se charge- que l'affrontement d'une norme et d'une autre norme statuant sur les faits intégrables, les valeurs, les objectifs, les règles symboliques. Nous avons vu plus haut Lamy trouver "ridicules" ceux qui ne font pas régner la clarté dans leurs discours ; Condillac trouver "ridicules" les pointes de La Bruyère et les fausses symétries de La Rochefoucauld tellement à la mode au siècle précédent : de façon récurrente dans l'histoire des formes symboliques, on voit des rationalistes taxer de "ridicules" les recherches formelles de poètes glossolâtres qui, eux, jugent "ridicules" les prétentions glossophobes des scientifiques. Or, même si le rationalisme a, dans l'ensemble, triomphé, il me semble qu'il importe à son renouvellement de comprendre que d'autres formes symboliques historiquement attestées ont pu être autre chose qu'aberration pure.

De la Renaissance au XIXe siècle, les critiques ont eu beau jeu de ridiculiser les productions médiévales, leur prolixité, leur lettrisme et l'extravagance de leurs analogies : comment sauver du ridicule -ou de l'absurde ?- les infatigables litanies de ces mystiques anglais ou allemands détaillant en latin médiéval, Stéphane de Langton vers 1220, Conrad de Haimbourg vers 1350, etc... les plantes innombrables qui croissent "au jardin clos de Marie" (Mariae Hortus conclusus) :

(ex.90) "Là se récoltent l'aloès, le roseau, le romarin,

le galbanum, la résine, la tutie, l'hysope,

le safran, le sucre, l'amande, le genièvre,

le térébinthe, le nard, la cinnamone, le laurier".

Il appartint à Rémy de Gourmont (à qui j'emprunte cette traduction : Le Latin mystique 1930 p.179) d'émettre, en notre siècle relativiste, une hypothèse bienveillante :

"... Ce merveilleux jardin, n'est autre que le ventre de la Vierge, ce ventre béni dénommé aussi palais, cellule, chapelle, cloître, -le ventre où Jésus prit chair pour réparer les dégâts causés par la chair première et coupable en un autre jardin ; de sorte que toutes ces métaphores d'apparence incohérente apparaissent finalement d'une admirable logique et qu'il semble que penser mystiquement -ou symboliquement- ce soit le plus haut et le plus noble effort de l'esprit.

"Salut, Vierge, au jardin de laquelle le Seigneur descendit en personne. De là, ayant pris le vêtement de chair, oeuvre de ses propres mains, il sortit, franchissant l'enclos ; emportant hors du jardin où Adam avait péché, le glaive levé sur les pécheurs..." " (idem p.180)

Ce transfert en miroir n'opère donc, ni a pari, ni a contrario, ni selon le schéma non-monotone de la contre-analogie en "deux poids, deux mesures", mais selon la règle de réversibilité qui sous-tend logiquement[11] la théologie de la Rédemption. Or, quand bien même on ne la partage pas, dès qu'une règle du jeu, c'est-à-dire du transfert, devient intelligible, le "ridicule" de l'analogie s'estompe : ce jugement -sanctionnant la transgression d'un système symbolique spontanément tenu pour unique et nécessaire- fait place au sentiment d'étrangeté réciproque qui accompagne la découverte de systèmes symboliques concurrents, inassimilables certes, mais indéniablement attestés.

3.2. L'analogie, un privilège de l'ignorance

Ceux-là même qui la récusent dans la science et la démonstration rigoureuse admettent l'analogie dans le discours didactique que le savant adresse à l'ignorant : "elle est nécessaire en toute sorte d'enseignement" dit Aristote (Rhétorique III 1404a). L'analogie peut, dans les écoles, se munir d'une lampe électrique et d'une orange percée d'une aiguille à tricoter pour montrer aux petits enfants que c'est à la rotation de la terre qu'est due l'alternance du jour et de la nuit ; elle a le droit, dans la vulgarisation scientifique, d'éclairer l'inconnu par des images simples ... ou réputées telles :

Ce privilège, sans cesse réaffirmé, du dialogue avec l'ignorance, installe l'analogie dans la schématisation, les linéaments, les grandes lignes -c'est ce qui fait sa force révélatrice ; mais, parce qu'elle peut ignorer les détails, minimiser les divergences, négliger les exceptions, les faits ont en définitive peu de prise sur elle, et une analogie qui plaît peut traverser les siècles sans être réfutée par les progrès du savoir : depuis l'Antiquité, la "petite graine" paternelle, seule porteuse du patrimoine génétique, s'enfouit dans la "terre" maternelle qui forme son milieu naturel... Un autre exemple : l'un de mes collègues, estimant que l'Université imposait des programmes trop techniques à des enseignants trop peu spécialisés, stigmatisait cette orientation, en argumentant, impavide, par le ridicule, au moyen de la proposition analogique :

(ex.92) "C'est demander à un daltonien d'enseigner les couleurs !".

Filant la métaphore en direction de l'oxymore, j'osais répliquer qu'il y a bel et bien, auprès des tribunaux et des services de police, des experts en couleurs daltoniens : compensant leur absence de perception chromatique par une perception extrêmement fine des intensités lumineuses, et associant ces perceptions-là aux termes de couleurs qui circulent constamment dans le discours, eux seuls sont capables de lire sans erreur, en termes de couleurs, les informations lumineuses d'une photo noir-et-blanc.

Le fait est paradoxal, puisqu'il va à l'encontre des simplifications admises ; mais c'est un fait établi ; il devrait donc, en bonne logique, servir de contre-exemple et inverser la modalité qui pesait sur la proposition jugée ridicule -ou au moins l'atténuer : s'il existe des daltoniens experts en couleurs, alors /demander à un daltonien d'enseigner les couleurs/ est une proposition surprenante a priori mais finalement "pas si ridicule que ça". Pourtant, parce que cela reste un fait de caractère exceptionnel, ne concernant qu'une minorité de personnes, appelées à rester minoritaires ; et un fait très peu connu, nécessitant une explication circonstanciée, à prédicat développé : /le daltonien lit en couleurs le noir-et-blanc/, il n'est pas de nature à invalider auprès du grand public la schématisation, à prédicat élidé, que l'analogie opère : laissé en tête à tête avec les couleurs, le daltonien continuera longtemps de représenter le contraire du connaisseur.

Pour accroître le pouvoir cognitif de l'analogie, il faut, ou il faudrait, s'astreindre à expliciter les prédicats liant les termes en présence, et les soumettre à la règle du contre-exemple... mais cette consigne -empiriste autant que rationaliste- qui cherche à limiter "l'induction défectueuse" suppose, pour être partagée, un communauté de savants déjà fort exigeants ; en tant qu'adresse du savant à l'ignorant, l'analogie ne vise pas le savoir dans tous ses développements, mais seulement une première approximation, une schématisation menant du non-savoir au semi-savoir : il faut à l'analogie un ignorant pour alibi.

Dans sa tragédie d'Alzire (1736), qui prend pour théâtre le Nouveau Monde, Voltaire fait dire au conquistador Alvarès :

(ex.93) "Je montrai le premier aux indiens du Mexique

L'appareil inouï pour ces peuples nouveaux

De nos châteaux ailés qui volaient sur les eaux."

Commentant ce passage dans Le Lycée, La Harpe souligne que cette étrange description analogique des vaisseaux espagnols ne peut se justifier que par l'ignorance des indiens, dont Alvarès cite allusivement les paroles :

... "Supposons qu'Alvarès n'ayant point à parler des Mexicains [...] eût dit, en parlant du départ de la flotte espagnole pour toute autre expédition :

Et nos châteaux ailés volèrent sur les eaux

Il eût fait de la poésie très mal à-propos ; il eût abusé des figures, parce que ce n'est pas à lui à voir dans des vaisseaux des châteaux ailés."(Le Lycée <1799> 1825 t.XI p.338)

Dans la bouche de celui qui sait déjà, l'analogie d'ignorance est ridicule.

Certes, ce précepte ne se trouve jamais formulé en tant que tel, mais l'on devine sa présence et perçoit ses effets chaque fois que le savoir constitué, institué, bien en place, vient, sous la forme d'un argument d'autorité, renvoyer l'analogie, sinon aux ténèbres d'une ignorance complète, du moins aux brumes d'une représentation imaginaire. C'est très frappant dans le long exemple d'épichérème qu'analyse la Logique de Port-Royal au chapitre Des syllogismes composés de plus de trois propositions :

(ex. 94) "Le péché originel se prouverait par les misères des enfants, selon la méthode dialectique en cette manière.

Les enfants ne sauraient être misérables qu'en punition de quelque péché qu'ils tirent de leur naissance. Or ils sont misérables ; donc c'est à cause du péché originel. Ensuite il faudrait prouver la majeure & la mineure ; la majeure par cet argument disjonctif : la misère des enfants ne peut procéder que de l'une de ces quatres causes.

1deg. Des péchés précédents commis en une autre vie. 2deg. De l'impuissance de Dieu qui n'avait pas le pouvoir de les en garantir. 3deg. De l'injustice de Dieu qui les y asservirait sans sujet. 4deg. Du péché originel. Or il est impie de dire qu'elle vienne des trois premières causes : Elle ne peut donc venir que de la quatrième qui est le péché originel.

La mineure, que les enfants sont misérables, se prouverait par le dénombrement de leurs misères.

Mais il est aisé de voir combien S. Augustin a proposé cette preuve du péché originel avec plus de grâce et de force, en la renfermant dans un argument composé en cette sorte.

Dans ce raisonnement complexe, étayé par une évidence (les enfants sont misérables) et par plusieurs arguments d'autorité (il est impie de dire... opinion rejetée par l'Apôtre...) -sans compter la métaphore inquestionnée de la terre-mère-, la seule analogie, d'ailleurs assez séduisante, qui soit mentionnée puis réfutée, est attribuée aux Philosophes Payens qui, ne sachant rien de la Vérité Révélée, formulaient des hypothèses à partir de leur expérience :

Ry : /par supplice, les tyrans de Toscane attachaient des vivants à des morts/

donc, Rx : /de même, Dieu a attaché nos âmes à des corps corruptibles/

Ce transfert de relations, tout-à-fait éclairant dans un domaine aussi obscur, est sans conteste une analogie bien formée cognitivement, qui suppose comme lien préalable :

x == y /Dieu est un tyran qui supplicie/.

C'est cette équivalence qui, avec l'autorité de l'apôtre Paul, est rejetée comme impie ; l'impie, ou le sacrilège, étant à l'ordre tragique ce que le ridicule est à l'ordre comique : la figure même d'un inquestionnable rejet, que le corps spontanément exprime, ici par le rire, là par l'horreur.

A l'autorité de la Révélation, rejetant comme impies certaines analogies pourtant bien formées cognitivement, va succéder de plus en plus souvent, dans le courant du XVIIIe siècle, l'autorité de l'évidence empirique, rejetant comme ridicules certaines analogies pourtant cautionnées par l'Ecriture Sainte.

A l'article Figuré (Littérature) de l'Encyclopédie, Voltaire se montre très réservé à l'égard de ce style riche en "expressions métaphoriques qui figurent les choses dont on parle & qui les défigurent quand les métaphores ne sont pas justes" (1756 t. VI p.783) ; et particulièrement sévère pour ceux qu'il appelle "les Orientaux" :

"Les Orientaux ont toujours prodigué la métaphore, sans mesure et sans art. On ne voit dans leurs écrits que des collines qui sautent, des fleurs qui sèchent de crainte, des étoiles qui tressaillent de joie. Leur imagination trop vive ne leur a jamais permis d'écrire avec méthode et sagesse".

Sous ce nom d'Orientaux, ce sont essentiellement les écrits bibliques qui sont incriminés, par exemple le Psaume CXIV de David (versets 3-4) :

(ex. 95) "La mer voit et s'enfuit, le Jourdain retourne en arrière,

les montagnes bondissent comme des bêliers, les collines comme des agneaux."

Car si l'expérience sensible, visible, peut et doit nous fournir des schémas de représentation pour le domaine, invisible, ignoré, des sentiments et des pensées, le mouvement inverse, qui prête vie et sentiment à l'inanimé, est, aux yeux de Voltaire, l'indice d'une mentalité primitive qu'un homme des Lumières ne saurait, sans ridicule, partager.

Un peu plus tard, dans les Leçons de Rhétorique qu'il donne à Edimbourg vers 1780, le grand Hugh Blair, pour qui "ne pas goûter ces images est la preuve d'une bien fausse délicatesse" (trad. Quénot 1821 t. III p.70) les justifiera par l'expérience des "violentes secousses de la nature" -brusques crues, tempêtes électriques, tourbillons de vent, tremblements de terre- familières aux habitants de ces contrées désertiques.

Mais avant que ne se développe ce goût à la fois réaliste et romantique pour "la farouche grandeur de l'expérience primitive", ces analogies ne sont sauvées du ridicule que par un rappel de la logique très particulière qui les sous-tend. C'est ce que fait, dans son essai "Sur la poésie sacrée des Hébreux" (De sacra poesi Hebraeorum 1753) le docteur Lowth, qui parvient à concilier la subtilité critique et la théologie en insistant sur le parallélisme textuel qui lie ces versets aux suivants (5 à 8) :

(ex. 96) "Qu'as-tu, mer, à t'enfuir, Jourdain, à retourner en arrière,

Montagnes, à bondir comme des bêliers, Collines, comme des agneaux ?

En présence du Seigneur, tremble, terre, en présence du Dieu de Jacob,

Qui change le rocher en nappe d'eau, le caillou en fontaine d'eau !"

De la sorte se trouve restauré un cadre plus vaste où une certaine logique analogique peut s'exercer ; car les miracles attestés rappelés aux versets 7-8 autorisent les prodiges évoqués tout d'abord, et, à la question des versets 5-6, permettent de répondre : "telles sont les circonstances terribles qui accompagnent l'apparition du Tout-Puissant" (Lowth cité par Blair 1821 t. III p.69).

Or cette fonction "miracle" dans l'univers biblique, comme la fonction "fortune" dans l'univers proverbial, parce qu'elles peuvent à tout instant subvertir ce que l'on croyait établi, ruinant de ce fait toute prévision, toute gestion du savoir, forment ce que j'appelle des arguments d'ignorance ; ignorance des frontières de catégories et des assignations de l'a pari et de l'a contrario ; ignorance où prolifère (ce qui est vrai de la poésie biblique comme des litanies proverbiales), dans l'arbitraire de la toute-puissance, une analogie libre.

Contrainte par un réseau complexe de conditions et de règles, limitée en tant qu'argument, savoir schématique, hypothèse, soumise pour satisfaire à son idéal de justesse à la contre-épreuve des faits, l'analogie bien formée cognitivement que j'ai prise pour favorite doit se garder à droite contre l'argument d'autorité qui tend à l'interdire complètement, et elle doit se garder à gauche contre l'argument d'ignorance qui la pousse à proliférer arbitrairement.

3.3. La contre-analogie comme frontière infranchissable

Aux inversions & perversions "contre-nature" auxquelles se livrent certains humains dans l'exercice de leur sexualité, les tenants de la morale "naturelle" opposent volontiers le modèle d'une sexualité ordonnée à la procréation, puisant leurs illustrations dans le monde animal : "deux pigeons s'aimaient d'amour tendre..." l'un des emblèmes de l'après-guerre (ex.97) fut la suave image du nid, nid douillet que le père édifie brin à brin, où la mère couve patiemment, où tous deux donnent enfin la becquée à leur nichée, vigoureuse et fournie.

Or l'analogie qui sous-tend cette injonction familialiste peut être mise en cause sur deux modes d'argumentation, bien différents logiquement :

1deg. empruntant la voie des contre-exemples, on peut discuter la schématisation opérée par le modèle dans les données de fait, en rappelant, par exemple, que la polygamie, l'inceste, la sodomie, les rapports mutilants ou meurtriers sont bien attestés dans le monde animal, où la mante religieuse est loin d'être la seule à n'obtenir la semence de son mâle qu'à condition de lui dévorer le cerveau ;

2deg. on peut aussi récuser sans discussion l'analogie, refuser purement et simplement l'identification qu'elle suggère, en posant une règle de la forme :

/quoi que fassent les animaux,

nous ne sommes pas des animaux/.

Dans le premier cas, on conteste que le phore Y ait tel ensemble de propriétés ou de relations, et l'on retravaille, à partir des éléments négligés, la représentation que véhicule Y avant d'accepter son transfert en X (cf. Mary Hesse 1964-65-66) ; dans le second cas, la récusation est radicale puisque c'est l'idée même d'un transfert, quel qu'il soit, de Y vers X, qui est contestée. Ce refus a priori qui frappe de nullité toute analogie de Y vers X est, avec le transfert non-monotone, la seconde forme de ce que j'appelle la contre-analogie.

Bien que cette attitude soit rarement décrite en tant que telle, j'inclinerai à la reconnaître dans les injonctions multiples qui, d'Aristote et Quintilien jusqu'aux traités classiques, qu'ils soient d'inspiration janséniste, jésuite ou voltarienne, condamnent avec véhémence métaphores basses, images sales et allusions obscènes ; même le père Dominique de Colonia, du collège jésuite de Lyon, qui fait preuve d'une grande tolérance pour les figures "extravagantes", s'emporte quand on mêle aux blanches serviettes des discours d'apparat les indignes torchons de la vie quotidienne : Tertullien, selon lui, n'aurait pas dû écrire (ex.98) que le Déluge, qui n'épargna que l'arche de Noé, fut, pour toute la nature, une grande lessive (1704 p.148).

Certes, la plupart des injonctions classiques nous paraissent aujourd'hui pudibondes ou timorées, mais nous n'avons pas pour autant fini de juger déplacées certaines allusions (ex.98), ni même de traquer les "syllabes sales" (ex.99) et les images "déplaisantes" qu'elles imposent intempestivement.

(ex.98) Dans un restaurant italien de Marseille, le serveur nous indique que, pour plat du jour, il y a "des fettucini. -A quoi ça ressemble, ça, les fettucini ?" demande l'un d'entre nous ; et le serveur ne craint pas de répondre : "Si quelqu'un a déjà eu le ver solitaire... les petites bandes blanches et plates, là... ça ressemble à ça, les fettucini." Tollé général, évidemment : l'analogie, assurément bien formée cognitivement coupait l'appétit et bravait trop les convenances (la règle d'adaptation des paroles aux circonstances) pour être admissible.

(ex.99) Dans une thèse d'algèbre non-commutative portant sur des espaces ayant pour seules propriétés la distributivité et la régularité, le jury fit changer le nom de distrégules, pourtant bien motivé morphologiquement, que le candidat avait choisi pour ces structures, sous prétexte qu'il évoquait "une spécialité pharmaceutique en ovules traitant la dysménorrhée" (sic) ; espaces médiaux, moins approprié mais plus "propre" -traduisez : plus ragoûtant- lui fut préféré (Jean-Pierre Soublin 1969).

Ces phénomènes de résistance, de rejet, de rappel à l'ordre, signalent l'existence d'une frontière infranchissable -pour certains, tout au moins- isolant des domaines tabous, auxquels on ne peut, sans inconvenance majeure, emprunter des phores pour éclairer d'autres domaines. La frontière qui isole le sale et le propre est bien repérée dans la tradition rhétorique, qui d'ailleurs autorise sur le mode comique des analogies burlesques qui, dans l'ordre sublime du tragique, seraient sacrilèges, et déplacées ou inconvenante dans l'ordre sérieux de la pédagogie (cf. P.T.N. Hurtaut L'Art de Péter, pastiche burlesque du très sérieux Manuale Rhetorices de 1757 dont il est également l'auteur).

J'évoquerai pour ma part deux autres types de frontières symboliques dont le franchissement, par transfert analogique, me valut de sévères rappels à l'ordre.

(ex. 100) Comme j'assistais, en tant qu'élève de quatrième dans un établissement catholique, à un cours d'instruction religieuse où l'élève interrogée ne parvenait pas à retrouver la date de l'Annonciation (jour où l'Ange Gabriel annonce à Marie qu'elle va être la mère du Christ), je suggérai une procédure méthodique : la date de la naissance du Christ -Noël, 25 décembre- étant inoubliable, partir de là et retrancher neuf mois pour obtenir la date recherchée : Annonciation, 25 mars. Comme mon professeur de religion m'objectait que je ne pouvais pas raisonner de la sorte, Dieu n'étant pas assujetti à respecter pour la naissance miraculeuse de son fils les contraintes de la physiologie humaine, j'osai répliquer que les historiens, en tout cas, avaient bien dû raisonner de cette façon pour fixer cette date justement au 25 mars. Non, me répondit-elle, cette date du 25 mars doit être considérée comme le fruit d'une révélation distincte et non comme le résultat d'un calcul, aucune analogie entre l'ordre humain et l'ordre divin n'étant recevable a priori. Convoquée chez madame la Directrice "pour motif d'ordre théologique plutôt que disciplinaire", je refusai de renoncer à mon analogie sacrilège... et dus à mon entêtement rationaliste d'être dirigée vers un lycée.

(ex. 101) Responsable du cours de morphologie française à l'Université de Provence il y a une vingtaine d'années, je jugeai instructif de faire apparaître chacune des catégories attestées dans notre langue : genre masculin/féminin, nombre singulier/pluriel, temps passé/présent/futur, personne première/ deuxième/ troisième, etc... comme une variante spécifique de catégorisations à l'oeuvre, sous d'autres formes, dans diverses langues du monde : genre et nombre tri-valents, autres modes de catégorisation des noms, temps circulaire et non linéaire, systèmes des personnes relationnels et hiérarchiques, etc... Or cette démarche comparative, liée à une interrogation de type anthropologique, me valut les foudres nationalistes du Bulletin de l'U.N.I. :

"Ce qui se cache derrière cet enseignement prétendu de "langue française" d'Aix (..) c'est une entreprise consciente pour retirer au français toutes les justifications qu'il tire de son passé, de l'usage d'écrivains admirés du monde entier ; pour ne faire de lui qu'un langage au milieu de mille autres, ni supérieur ni inférieur à celui de telle peuplade amazonienne..." (1977 1er trimestre p.4)

Dans une perspective nationaliste, toute analogie entre la langue nationale et les "mille autres" langues du monde est a priori sacrilège : l'objet d'amour, fétichisé, en devient incomparable.

Dans les deux expériences que je viens de relater, une identification (entre Marie et les autres femmes enceintes, entre le français et les autres langues catégorisées) possible et même "naturelle" pour certains (moi-même en l'occurrence) était, par d'autres, déclarée sacrilège ; on peut éclairer ces phénomènes sous l'angle inverse en soulignant, par exemple, que certains préjugés de race, de classe ou de sexe, entraînent "tout naturellement" des absences d'identification qui choquent le point de vue universaliste des Droits de l'Homme : ainsi, dans les journaux de bord des conquistadors, empreints d'un racisme naïf et radical :

(ex. 102) "... perdu aujourd'hui trois hommes et dix indiens..." (Todorov 1984 p.11) ;

ainsi, dans les maximes de La Bruyère, où s'exprime, non sans perfidie à l'égard des recluses, une morale de classe où les gens du monde savent tenir leur rang :

(ex. 103) "Pour les femmes du monde, un jardinier est un jardinier, et un maçon est un maçon ; pour quelques autres plus retirées, un maçon est un homme, un jardinier est un homme. Tout est tentation à qui la craint." (Des Femmes max. 34)

ainsi, dans les observations ingénument androcentrées de Claude Lévy-Strauss sur les bororos (1936), féministement épinglées par Claire Michard et Claudine Ribéry :

(ex. 104) "Le village entier s'en alla le lendemain dans une trentaine de pirogues, nous laissant seuls avec les femmes et les enfants dans les maisons abandonnées" (1982 p.7)

Si l'analogie bien formée cognitivement repose -nous l'avons vu plus haut- sur l'existence de séries classificatoires de type cognitif, dont elle abstrait schématiquement une identité de structure, elle est contrecarrée par l'existence de systèmes de valeurs fortement hiérarchiques qui projettent sur ces séries cognitives des discontinuités rendant infranchissables certaines frontières de catégories. Ce fonctionnement m'ayant paru analogue à celui des échelles qualitatives avec optimum et seuil projetées sur la série linéaire des gradations quantitatives, j'ai résolu (à tort peut-être : une investigation approfondie en décidera ultérieurement) de rassembler, en dépit de leurs différences, transferts non-monotones et frontières infranchissables sous la notion unique de contre-analogie ; avec, de surcroît, l'idée (à creuser) d'une cause commune : dans le cognitif, le travail du fétiche induit du non-monotone et du discontinu.

Au terme de ce très long parcours, je mettrai en regard, dans un tableau, les différents cas de figure que nous avons rencontrés : excès d'analogie, a.b.f.c., contre-analogie, non-analogie ou tautologie, accompagnés dans chaque cas des formules qui l'expriment.

On remarquera que dans la contre-analogie comme frontière infranchissable, caractérisée par le refus -ça n'a rien à voir- d'identifier X à Y, s'ouvre, dans les stratégies d'évitement de l'identification sacrilège, une alternative entre analogie a contrario et double tautologie : c'est un exemple du type de phénomènes qui devrait être abordé maintenant, le relief précis de ces paysages symboliques non-monotones ou discontinus, leur topologie exacte ou la forme algébrique exacte des fonctions qui les caractérisent restant entièrement à décrire.


NOTES :

[1] Le verrat est au cochon ce que le taureau est au boeuf, l'étalon au cheval, etc...

[2] 2 = note une identité formelle, == une équivalence sémantique. J'emprunte cette notation à Chourqui (1986).

[3] Fleur désigne ici la fine pellicule qui poudre de blanc les prunes ou le raisin très frais, et qui n'a reçu qu'au XIXème siècle son nom "propre" de pruine.

* Ici se révèle un trait de l'analogie et de la métaphore qu'a bien mis en lumière Charbonnel (1991) : son caractère (souvent) performatif.

[4] Le signifiant : les mots en tant qu'ils commutent avec leurs homonymes (ainsi que leurs paronymes et leurs associés au sein d'une expression toute faite) plutôt qu'avec leurs synonymes : seigneur / saigneur (soigneur / (seigneur et) maître) vs seigneur / suzerain ou sire.

[5] Les parités réciproques (a et b sont "parents, amis, voisins, compagnons, collègues, égaux,...") s'expriment en général par un terme unique : /si a est le x de b, b est le x de a/. En français, la bi-catégorisation de genre perturbe la parité réciproque, de façon majeure ("frère & soeur") ou mineure ("l'amant & l'amante, le collège & la collègue"), une réciprocité exacte ne pouvant s'exprimer qu'entre termes de même genre, soit masculin, soit féminin ; rappelons que la norme grammaticale imposerait de dire dans ce cas : une couple (monosexuée) et non un couple (bisexué) !

[6] Sorite : chaîne de raison de la forme : de a, b ; de b, c ; de c, d ; etc...

[7] Ma réflexion doit ici beaucoup à Oswald Ducrot : Les échelles argumentatives, Minuit 1980.

[8] Pour ces déductions hardies, dans lesquelles /non-Q/ est performatif, je remplace la flèche usuelle par une fléchette.

[9] exemple emprunté à Catherine Kerbrat-Orecchioni (communication personnelle). Un jour à la banque, voulant corriger une protestation spontanée : "ça coûte la peau des fesses !" en une expression plus convenable : "ça coûte les yeux de la tête !", je me suis entendue dire : "ça coûte la peau de la tête ! ...euh, non... les yeux des fesses !".

[10] Baltasar Gracian Agudeza y arte de ingenio <1642> trad. fr. 1983 p.152

[11] Si l'on préfère admettre, à bon droit, que LA logique est unique, alors c'est aux mathématiques qu'il faudra demander de quoi représenter ces systèmes symboliques non-standard, qui (j'en suis convaincue) ont encore cours et pas toujours là où on les attend.


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©  décembre 1999 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : DOUAY-SOUBLIN, Françoise. La contre-analogie. Réflexion sur la récusation de certaines analogies pourtant bien formées cognitivement. Texto ! décembre 1999 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Douay-Soublin/Douay_Analogie.html>. (Consultée le ...).