SÉMANTIQUE ET LINÉARITÉ DU TEXTE,
LA PLACE DU RYTHME EN SÉMANTIQUE DES TEXTES

Christophe GÉRARD
Université de Toulouse Le Mirail


Pour les disciplines du texte l’enjeu du rythme trouve son expression la plus générale dans l’opposition entre le statique et le dynamique, le second terme s’appliquant dans ce cas à la dimension linéaire du texte (cf. « lecture tabulaire vs lecture linéaire », « texte tableau vs texte sonate » [1], etc.). Comment investir cette dimension au plan du signifié ? Un premier élément de réponse consistera ici à chercher un cadre méthodologique pour la description de phénomènes qualifiables de rythmiques. L’étude se penche ensuite sur les dynamiques et temporalisations du sens observables dans un passage et entre plusieurs passages. L’ensemble situe ainsi la question du rythme au sein d’une dimension textuelle dont on indique les voies d’étude et les modes de réalisation.


1. Problématique du rythme et du sens

Associée à des modalités auditives et/ou visuelles, la notion de rythme est traditionnellement liée au plan de l’expression des productions artistiques. Dans les arts du langage, le rythme entretient avec le sens des rapports complexes. Le Formaliste I. Tynianov semble avoir été un des premiers à les envisager sous l’angle de la détermination du plan du signifiant [2] sur celui du signifié, le rythme exerçant selon lui « une influence originale sur le trait principal et les traits secondaires de la signification, ainsi que sur l’apparition des traits fluctuants » [3]. Centrée sur l’interaction entre les deux plans du texte, cette conception contraste avec celle défendue par H. Meschonnic pour qui le rythme, fondé sur la notion d’accent (final de groupe et d’attaque consonantique), est un processus de dynamisation du discours inscrit dans une sémantique sérielle, génératrice de « signifiance » [4]. Comme elle limite par là son parcours descriptif aux associations signifiantes entre mots, cette conception de l’interaction phono-sémantique met à l’arrière-plan le signifié qu’intègre, intuitivement, Tynianov (voir aussi Lotman 1973) [5]. Sans s’opposer comme une alternative, une troisième façon d’envisager les rapports entre rythme et sens consiste à se situer au seul plan du signifié.

Cette voie, le Groupe Mu (1977) la signalait jadis en attirant l’attention sur ces figures inaperçues que sont les « rythmes sémantiques », mais les descriptions proposées, au demeurant fondées sur l’unique critère de la répétition [6], n’ont pas dépassé le seuil de leur objet faute d’une sémantique appropriée. Il revient à F. Rastier d’avoir thématisé le rythme au sein d’une sémantique interprétative et de l’avoir défini, au palier textuel, comme une « correspondance réglée entre une forme tactique et une structure thématique, dialectique ou dialogique. » [7]. Cette définition ouverte incite à rappeler la conception du texte qui l’encadre dans la mesure où, comme le souligne M. Ballabriga :

Pour la conception morphosémantique du texte (infra 4.1), il n’existe en effet aucune dissociation entre un quelconque ordre schématique et le sens : les phénomènes auxquels elle donne accès sont faits de formes (i.e. groupements structurés de sèmes) et de fonds (i.e. isotopies génériques ou spécifiques) immédiatement sémantiques. Mais s’il appelle l’étude de phénomènes rythmiques, ce cadre théorique n’en oriente pas à lui seul l’observation. Une conception claire du rythme est en particulier requise [8]. Pierre Sauvanet (1992, 2000) propose une conceptualisation qui a aussi, pour nous, l’intérêt de vouloir répondre à un certain état de la question en linguistique [9]. Missire (2005) a su en tirer un profit critique pour discuter la définition de Rastier. Nous la reprenons à notre tour pour en exploiter le potentiel en sémantique des textes.


2. Une double définition du rythme

2.1. Structure et structuration

Où et quand y a-t-il rythme ? En réponse à cette question Sauvanet considère que la reconnaissance du phénomène repose sur une combinatoire à trois éléments : la structure (S), la périodicité (P) et le mouvement (M). Cette proposition, développée et étayée dans Le rythme et la raison (2000), est déjà formulée dans un article que nous nous permettrons de citer longuement (237) :

Le mouvement renvoie à diverses variations dont nous reparlerons. La périodicité, qui est le retour d’un même phénomène — structure ou élément — à intervalles réguliers, ne doit pas être confondue avec la simple répétition qui n’implique en soi aucun intervalle (ex. assonance, figure de l’anaphore, etc.). Quant à la structure, elle a pour principe organisateur le contraste. Celui-ci peut se réaliser au plan phonique comme une accentuation dans la durée, l’intensité, le timbre et/ou la hauteur. Au plan visuel, le contraste peut apparaître dans la dimension, l’intensité, la matière et/ou la couleur. Une telle structure s’illustre spécialement dans les métriques non syllabiques, fondées sur la notion de pied. Dans ce cas, le dactyle et l’anapeste apparaissent déjà comme des schémas complexes, la structure minimale se satisfaisant d’un contraste constitué par une forme binaire (trochée, iambe).

La structuration ne doit pas être située au seul niveau du schéma (abstrait) c’est-à-dire par rapport à une intériorité (ex. pour l’iambe, le contraste bref-long), alors qu’une structure rythmique, pour être identifiée, doit être reconnue entre les parties constitutives, successives, d’un tout constituant. Autrement dit, un rythme n’est pas une concaténation de schémas contrastifs. L’essentiel est donc que le schématisme ne secondarise pas une conception gestaltiste de la structuration du même et du différent dans la successivité [10]. Faute de quoi on s’expose aussi à réduire le phénomène rythmique à une version par trop figée ou « classiciste », au détriment peut-être de cas analogues au vers dit libre ou au rythme des proses (Dessons, Meschonnic 1998), où les formes canoniques font évidemment défaut.

L’importance de cette remarque s’impose au sémanticien qui se confronte toujours à des structurations imprévisibles. Ce qui n’empêche pas de prévoir une variété de structures rythmiques possibles, plus ou moins complexes et hiérarchisables (AB, AAB, ABC, etc.). Mais, insistons-y une fois encore, ces schémas de structure ne sont rien d’autre pour l’analyse qu’un moyen pour représenter ce qui — en contexte — se présentera comme une série de contrastes équivalents (formellement, si a et b sont des traits sémantiques opposés, on dira que …ab / ab / ab… représente une série de trois contrastes). Donc, d’un côté la structure rythmique, de l’autre la totalité où elle est identifiée parce qu’elle s’y concrétise, et peut donc varier.

2.2. Combinaisons binaires

Sauvanet retient sur cette base une première définition, générale, qui reflète la nature polymorphe du phénomène et pour laquelle des combinaisons binaires déterminent des rythmes au sens faible (2000 : 238). Sera appelé « rythme » (entre guillemets), « tout phénomène, perçu ou agi, auquel on peut attribuer au moins deux des qualités suivantes : structure, périodicité, mouvement ». On note trois cas de figure :

Combinatoire

Explication [11]

Exemple donné pour la poésie

S P

« rythmes » qu’il nous arrive de percevoir comme fixes, ou plus exactement comme figés

la versification

M S

Un rythme sans retour sur lui-même, sans régularité ni cycle perceptible. […]. Globalement apériodique certes, mais accentuelle, qui permet précisément l’impression poétique de l’expression

le vers libre

P M

Périodicité floue […] c'est-à-dire fluctuant autour d’une constante [non structurée]

-

Tableau I : combinaisons rythmiques binaires.

Quelques remarques s’imposent. Étant donné que le tempo [12] (rapide/lent, accélération/ralentissement) est intrinsèque à P mais non à S, la combinaison MS renvoie à des « rythmes » sans vitesse. En revanche lorsque S et P sont réunis la structure devient prégnante au sens où « la périodicité de la structure est la force de la forme » (Sauvanet 2000 : 178). La combinaison SP s’accompagne en d’autres termes d’une anticipation qui, n’étant pas due à la répétition, correspond à l’attente — dans l’intervalle périodique — du retour de S.

Dans la notation adoptée l’ordre des lettres n’est pas sans importance. Choisir de noter PM plutôt que MP c’est signifier qu’« il y a bien quelque chose qui retourne, quelque chose qui alterne, quelque chose qui se répète — mais […] que ce « quelque chose » en lui-même n’est pas structuré » (2000 : 203). On reconnaît ainsi aux pauses (question de la durée) de la ponctuation ainsi qu’aux blancs (question de la dimension) de la poésie moderne, par exemple, un rôle structurant susceptible de créer des groupes malgré l’absence de contraste (on aurait par ex. …aaa / aaa / aaa…). De même, MS indiquera l’influence du mouvement sur la structure ou plutôt l’idée d’une « structure mouvante », sans isochronisme, qui se crée à partir du mouvement. On relève ainsi que « dans l’exemple de la poésie moderne, la structure […] se crée a posteriori dans le mouvement même du discours » (2000 : 221). Dans ce cas de figure l’absence de périodicité concède toutefois la présence d’un certain relief accentuel, de « points qualifiés » générateurs de groupes rythmiques. Plus généralement, nous croyons identifier chez Sauvanet quatre sortes de mouvements. On aurait, par ordre de complexité :

  1. la nécessaire variation contextuelle de schémas périodiques issus de la tradition (M=>SP) [13] ;
  2. la transformation d’une périodicité, où la répétition d’un élément ‘a’ s’accompagne d’une variation remarquable de l’intervalle (M=>P, sans S) ;
  3. la transformation d’une même forme dans la durée (M=>S, sans P) ;
  4. « l’émergence d’une structure et/ou d’une périodicité au cœur même d’un mouvement premier » (2000 : 209) (M=>S/P, avec SPM).

Les mouvements M=>S et M=>S/P comprennent l’action sur les parties unitaires de la forme, c’est-à-dire sur la structure récurrente, dans le cours du rythme. Il semble que l’inversion (ab =>ba), la substitution (ab =>cb) et la suppression mémorisée qu’est la virtualisation (abc => a_c, _bc ou ab_) soient des modes d’action simples du mouvement. Les mouvements M=>P et M=>S/P sont eux des transformations qui affectent le tempo.

2.3. Combinaison ternaire

Ces trois versions binaires du rythme se partagent le phénomène avec une seconde définition, restreinte, garante du rythme proprement dit : « tout phénomène, perçu ou agi, auquel on peut attribuer chacune de ces trois qualités ». Le mouvement M=>S/P relève de cette combinaison ternaire. À ce niveau, l’effet de syncope se définit comme la conservation d’une périodicité avec variation partielle voire totale de la structure de base. Schématiquement, il conviendrait de faire une distinction entre l’action ponctuelle qui ne remet pas cause l’identité du rythme (ex. ab /…/ ab / cb / ab / ab…) et l’action continuée où la modification de la structure, parce qu’elle est reprise, opère un changement partiel du rythme (ex. abc /…/ abc / a_c / ac / ac…) ou total (ex. ab /…/ ab / cb / cd / cd…). On aura noté l’existence d’événements marquant le tournant d’un rythme (a_c et cb).

Structure périodique, périodicité floue et forme mouvante, aspects (ici ponctuel/duratif) et modes de l’action, types de mouvement, syncope et tempo des rythmes peuvent inspirer les propositions descriptives du sémanticien. Illustrons comment les combinaisons SPM et PM s’appliquent au plan du signifié.


3. Rythmes sémantiques : illustrations

3.1. Forme tactique et structure rythmique

Soit un des exemples pris par Rastier pour illustrer sa définition du rythme en sémantique : écrivain ou plumitif, percheron ou pur sang (J. Gracq). Ce extrait, qu’on pourrait prendre pour une sentence, est construit sur un parallélisme syntaxique où les isotopies se répartissent ainsi selon l’ordination des sémèmes :

‘écrivain’

‘plumitif’

‘percheron’

‘pur sang’

/mélioratif/

/péjoratif/

/péjoratif/

/mélioratif/

/humain/

/humain/

/animal/

/animal/

On observe en particulier deux isotopies évaluatives opposées, l’une encadrant l’autre à la manière de rimes embrassées. Dans l’espace syntaxique de l’extrait, cet ensemble s’organise en une sorte de chiasme. D’après la définition de la tactique(qui « rend compte de la disposition séquentielle du signifié »), qui suppose une ordination, la récurrence des sèmes isotopants (/mélioratif/, /péjoratif/) suit un schéma d’inversion : ab => ba. Est-on autorisé à qualifier ce phénomène de rythmique ? Pour la même raison qui nous fait reconnaître une double répétition sémique plutôt qu’une périodicité, il paraît abusif de voir dans cette inversion une action sur les parties unitaires d’une structure rythmique de type AB. Dans l’espace clôt et réduit de cet extrait aucun rythme n’a en effet le temps de commencer ou de finir [14] : c’est un cas de structuration linguistique où le simultané domine le successif et où la temporalité se rapporte essentiellement aux parcours interprétatifs. Absence de mouvement, absence de périodicité, mais aussi absence de structure. Non pas de structuration, puisque la description retient bien le chiasme sémantique abba (auquel se superpose une seconde forme aabb), mais de structure rythmique, au sens de Sauvanet, c’est-à-dire d’une cellule de base, d’un contraste récurrent et attendu. Ce qui est observé ce sont des exemplaires de forme tactique, autrement dit des structures séquentielles du plan du signifié (infra, 4.4), alors que la structure rythmique relève d´un processus d´identification/reconnaissance d´une séquence de sèmes récurrente.

La question de l’attente, et par là la reconnaissance d’un rythme, est bien entendu une question d’échelle. Ainsi, dans ce premier vers d’un poème d’Etienne Jodelle, Des astres, des forests, et d’Acheron l’honneur, l’énumération conditionne une simple séquentialité des traits //cieux//, //terre// et //enfers//, et ce n’est qu’à l’échelle de la strophe puis du texte dans sa totalité que se manifeste un rythme sémantique. On a (les lettres notent des traits sémantiques, //cieux// : A, //terre// : B, //enfers// : C, pour le détail de l’analyse cf. Rastier 1989 : 113-136) :

Des astres, des forests, et d’Acheron l’honneur,
Diane, au Monde hault, moyen et bas preside,
Et ses chevaulx, ses chiens, ses Eumenides guide,
Pour esclairer, chasser, donner mort et horreur.

A B C
A B C
A B C
A B C C

Tel est le lustre grand, la chasse, et la frayeur
Qu’on sent sous la beauté claire, prompte, homicide,
Que le haut Jupiter, Phebus et Pluton cuide,
Son foudre moins pouvoir, son arc, et sa terreur.

A A B C
A B C
A A A C
A A C

Ta beauté par ses rais, par son rets, par la craincte
Rend l’ame esprise, prise et au martyre estreinte :
Luy moi, pren moy, tien moy, mais hélas ne me pers.

A B C
A B C C
A B C C

Des flambans forts et griefs, feux, filez, et encombres,
Lune, Diane, Hecate, aux cieux, terre, et enfers
Ornant, questant, genant, nos Dieux, nous, et nos ombres.

A B C / A B C
A B C / A B C
A B C / A B C

Le principe vaut bien entendu pour des formes tactiques du type A B B A ou A B A B, ces dernières étant déjà des promesses de rythme au sens où elles potentialisent une triplication d’un groupe ab. On voit qu’une forme tactique peut renfermer le destin d’un rythme mais n’en manifester aucun au sein d’un empan restreint. De même, les vers 12, 13 et 14 accueillent chacun en eux-mêmes une organisation linéaire remarquable (avec des différences dont nous traiterons plus loin, 4.3.) qui ne participe au cours du rythme que parce qu’on y reconnaît une même structure rythmique récurrente par ailleurs.

Cette structure ternaire est du type ABC [15], sa périodicité est à la fois régie par la forme du sonnet, les parallélismes syntaxiques et la métrique. L’exemple montre par ailleurs comment le cours du rythme accueille des variations de la structure de base. Poursuivant la première strophe, la seconde présente un net effet de syncope avec une action (substitution) sur la structure qui transformerait partiellement le rythme (l’enchaînement de aaacet aac ouvrant la voie à la transformation ABC => AAC), si les strophes suivantes ne le rétablissaient. D’autre part, la périodicité est l’objet d’une modification qui affecte localement le tempo. Ballabriga en formule ainsi le principe :

Les régularités que note Rastier s’analysent ainsi en termes de périodicité et de structure mais aussi de mouvement, qui est l’indice d’un rythme au sens plein du terme. Comme ce genre d’analyse reconnaît l’échelle textuelle comme une condition nécessaire et repose par ailleurs sur la distinction entre forme tactique et structure rythmique, elle ne préjuge pas des effets rythmiques. On voit, de ce point de vue, que toute structuration du successif — dont l’expression « forme tactique » est un synonyme — n’implique pas rythme.

3.2. Périodicité et mouvement

Les rythmes sémantiques sans structure sont des temporalisations remarquables d’isotopie(s). Défini comme l’effet d’une récurrence d’au moins deux sèmes (Rastier 2001 : 299), le concept d’isotopie comprend un mode de la répétition [16] qui n’implique aucune périodicité, qui elle repose en l’espèce : 1. sur une récurrence suffisante de sèmes ; 2. sur une force extérieure qui détermine des intervalles réguliers entre les sémèmes par lesquels passe l’isotopie. Le problème n’est alors pas de mesurer l’intervalle mais de reconnaître ce qui en donne(rait) la mesuresur la dimension tactique. Par leur régularité et/ou leur symétrie, l’énumération, les parallélismes ou encore l’isosyllabisme sont à compter au nombre des facteurs non sémantiques de périodicité forte. Plusieurs configurations tactiques sont alors imaginables en introduisant le mouvement, agent du tempo (cas 2 et 3) :

Nous proposons d’étudier un quatrième cas, combinant périodicité et mouvement. Soit une description des isotopies génériques dans le poème Le vent est à la prose [17] de G. Macé :

Deux isotopies correspondent aux dimensions //mort// et //animal//, quatre renvoient à des domaines sémantiques, à savoir //religion//, //navigation//, //sciences occultes// et //poésie// (nous indiquons en gras le lieu des sèmes inhérents), isotopie comparée dont dépend la nature métapoétique de ce texte. D’autres inégalités qualitatives discriminent encore ces isotopies selon l’activité sémantique qui les affecte (notamment le statut inhérent/afférent des sèmes et les réécritures qu’elles accueillent [18]) mais aussi selon leur distribution dans le texte. L’analyse, que nous ne détaillons pas davantage ici, permet de comparer la densitédes fonds sémantiques (infra 4.1) [19] et, corrélativement, d’objectiver les qualités thématiques du texte [20] :

Isotopie

Poésie

Religion

Navigation

Occulte

Densité du fond

forte

forte

moyenne

très faible

Qualité du thème

explicite

explicite

implicite

+ implicite

Tableau II : qualification des fonds et des thèmes dans Le vent est à la prose.

Remarquons avant de poursuivre qu’au seul titre de sa densité un fond sémantique n’est bien évidemment affecté d’aucune temporalité. La densité d’un fond est toutefois une qualité susceptible d’être observée sur la linéarité du texte. La description prend alors pour objet la dynamique de raréfaction/densification du fond étudié. Mais un fond sémantique rare et sans dynamique remarquable, s’il est par exemple localisé au sein d’une période (au sens rhétorique), peut très bien se présenter d’une façon « isochrone » (cas 1), ou selon une progression régulière (cas 2 ou 3). Enfin, à certaines conditions, une densification de fond peut se produire selon une certaine périodicité. C’est le cas dans ce poème.

Un parcours linéaire du texte montre comment la génération de l’isotopie de la poésie conditionne un parcours de lecture. Le titre amorce une présomption d’isotopie (‘prose’) qui n’est pas immédiatement relayée par le texte où les deux premiers aliénas entretiennent une relative confusion thématique. Ce n’est qu’au troisième paragraphe que cette isotopie commence à se manifester par des traits afférents et surtout inhérents. On relève ainsi 7 actualisations par inhérence du trait /poésie/ : ‘prose’ (x2), ‘poésie’ (x2), ’rime’, ‘mètre régulier’, ‘vers’. Cette présence de la poésie correspond, à un autre niveau d’analyse, à une explicitation thématiquecroissante (ou une énigmatisation décroissante…), qui convainc de restituer la cohérence thématique des premiers alinéas au moyen de réécritures et d’afférences contextuelles [21]. La distribution des sémèmes est la suivante :

Alinéa

Sémèmes

1

2

3

‘prose’

4

‘poésie’

5

’rime’, ‘mètre régulier’

6

‘vers’, ‘poésie’, ‘prose’

Tableau III : position tactique des sémèmes actualisant le trait /poésie/ par inhérence

Caractéristique des poèmes en prose de Macé, l’alinéa donne ici la mesure périodique d’une densification de fond qui, en tant que telle, remplit le critère du mouvement — celui-ci produit dans le rythme une intensification qui n’est pas une modification du tempo. Le tissu esthétique du texte apparaît ainsi traversé par un rythme sémantique combinant les critères P et M, d’une façon différente des cas 2 et 3.

Pour mettre en perspective ces descriptions, il convient de montrer de quelle façon le phénomène rythmique participe à l’économie textuelle dans laquelle il s’insère. La conception morphosémantique du texte permettra d’élargir la discussion en ce sens.


4. Constitution du sens et linéarité du texte

4.1. La description morphosémantique [22]

Cette conception assume l’hypothèse d’une perception du langage au plan du signifié et conduit à approfondir, dans le cadre d’une sémantique interprétative, l’idée que

Le texte est ainsi conçu sous l’angle de rapports constituants, et variablement solidaires, entre fonds (décrits comme des isotopies génériques ou spécifiques) et formes sémantiques (décrites comme des groupements structurés de traits sémantiques). Il ne se définit donc plus seulement comme le produit d’une composition d’unités élémentaires (propositions) nécessairement localisables et identifiables par des procédures d’analyse grammaticale (segmentation, commutation) [23]. À la différence de la manifestation discrète des unités compositionnelles, la localisation spatio-temporelle des formes sémantiques doit alors être problématisée car celles-ci n’ont pas de signifiant privilégié. La lexicalisation d’une forme peut en effet être analytique (i.e. partielle, ci-dessous) et n’est jamais déterminable qu’à l’issue de parcours interprétatifs effectués au sein d’un passage donné. Plus généralement, une forme varie dans le temps de l’énonciation et de l’interprétation et ses façons d’évoluer sont fonction des déterminations contextuelles (les variations d’un thème, ou forme thématique, en sont un exemple connu).

La description morphosémantique a pour tâche de rendre compte des liens entre formes, entre fonds ainsi que des rapports formes/fonds. L’étude de ces rapports permet de reconsidérer divers phénomènes textuels et intertextuels. Définitoires, le caractère transposable des formes, ou transposabilité, et la fonction d’unification (contextualisante) des fonds invitent notamment à revisiter le problème de la traduction (Rastier, à paraître) ou encore les sortes d’hypertextualité (la parodie, le pastiche, etc. [24]). Au palier de la phrase ou de la période, en régime métaphorique, la restitution d’un terme in absentia réalise la transposition d’une forme d’un fond sur un autre [25]. À l’inverse, la rareté et/ou une divergence des fonds peut contrarier la stabilisation locale des formes. Ainsi, dans ce poème de Jacques Dupin (p. 11) [26]

Rouge éteint dans la fenêtre
vif-argent

dans le muret de granit

je ne sais pas qui j’oublie,
qui je laisse…

là, il n’y a plus de points
ni de lignes, ni de crampons
dans le schiste,

de volet noir

battant, battu,
pour descendre à l’esprit-de-bois

et gravir le versant nord
où tout se joue, et se lave,
varie, renâcle, et se perd

dans le miroir de l’écorce
tu me regardes

me haïr

comme les sens de ‘crampons’ [27], ‘points’ et ‘lignes’ demeurent indécidables, la forme ou groupement de traits {/locatif/, /fixité/, /stabilité/} qu’ils représentent chacun à leur manière prend un caractère flottant. En quoi le régime sémantique de l’inaccompli répond à la facture fragmentaire du poème qui à son tour iconifie la négation du fixe, du stable.

Au palier supérieur du texte, la transposition à longue distance d’une forme sémantique peut par exemple contribuer à un effet de clôture, en connectant le début et la fin d’un texte. Dans Rouge éteint… on observe entre fenêtre vif-argent et muret de granit d’un côté, et miroir de l’écorce de l’autre, la connectivité suivante (où, a : /bordure/, b : /visuel/, c : /clarté/, d : /séparation/, e : /dureté/, f : /rugosité/) [28] :


Schéma I : Transposition de forme sémantique.

On construit en somme, par sélection réciproque entre les passages concernés, deux formes sémantiques simples — {/bordure/, /visuel/, /clarté/} et {/séparation/, /dureté/, /rugosité/}. Présentes de manière analytique dans fenêtre vif-argent et muret de granit, ces formes sont différemment accueillies dans le syntagme miroir de l’écorcemiroir et écorce lexicalisent respectivement, de manière synthétique, les contenus de fenêtre vif-argent et muret de granit. L’effet de clôture relève ici d’une double unification des plans du texte : 1.  au plan du signifié, on connecte à distance des sémèmes impliqués dans des zones actancielles non contiguës ; 2. zones qui correspondent, au plan du signifiant (médiatique), au début et à la fin du texte.

Appliquée toutefois à la linéarité du texte, la conception morphosémantique donne à observer une autre complexité où s’entremêlent à différents niveaux dynamique et temporalisation du sens.

4.2. Dynamique et temporalisation du sens entre plusieurs passages

La constitution du sens textuel est un remaniement constant de formes auquel on accède en restituant l’action continuée responsable de l’évolution d’une forme donnée (thème, acteur ou position énonciative). Voici, pour illustration, une description dynamique du foyer interprétatif (Tu) dans la partie « Orties » du recueil Le grésil (Dupin) :

Minutieux, ce parcours intertextuel décrit un volet de la dynamique énonciative pour une série autonome de textes. Il en retrace l’action (potentialisation, virtualisation et mise en saillance de traits) pour en dégager progressivement une forme {/animé/, /féminin/ ; /corporel/ ; /mutisme/ - /non interlocutif/ ; /écriture (poétique)/} qui définit le profil sémantique de Tu, figure innommée de ce recueil.

Occupant la linéarité du texte, cette sorte de dynamique est générée par une activité interprétative orientée, tant prospective que rétroactive, qui ponctue le cours d’action d’événements sémantiques plus ou moins marquants. Comme elle relaie à distance des actualisations locales de la forme, cette dialectique d’interruption et de reprise occupe un vaste empan (inter)textuel. Dans ces conditions, la perception d’une variation continuée repose généralement sur des formes prégnantes, dites parangons, du type acteur principal, thème obsédant, concept central. La temporalité qu’implique cette dynamique globale se révèle alors beaucoup trop distendue pour correspondre aux rythmes sémantiques identifiables au sein d’un texte singulier (supra 3).

Il paraît néanmoins possible de prévoir, à ce palier, une « rythmicité » due aux événements marquants du cours d’action, sur un plan thématique, narratif et/ou énonciatif. On traiterait ainsi de ce que Sauvanet identifie aux « macro-structures » :

Les événements en question peuvent consister en des modifications intempestives du rapport fonds-formes, imputables à la qualité du contexte local et en premier lieu aux isotopies génériques qui le sous-tendent. Ainsi dans la première zone actancielle du poème Nos chevaux, nos étrangères… (Dupin, ibid., p. 19),

deux acteurs de l’énonciation se trouvent identifiés au domaine pastoral, Tu via « tiens » et Je via « miens ». De même, dans le contexte de l’ombre des juments sœurs / qui me gardent, que / j’abreuve, la dernière occurrence de Je dans la Zone 4 tend fortement à être lue ainsi. Entre ces deux moments du texte, l’assimilation isotopique de Je, en particulier, connaît elle un sort tout différent. En effet, dans les Zones 2 et 3 tout d’abord mais aussi vraisemblablement au tout début de la Zone 4, on relève d’une part un indéniable éloignement du domaine pastoral (à l’étal d’une boutique), d’autre part une tendance à assimiler les occurrences de Je à l’isotopie de l’écriture poétique. Les sémèmes ‘lu’, ‘parole’, ‘langue’ ainsi que ‘à l’écoute’, voire même ‘prends’, y conduisent, sous la pression d’une présomption d’isotopie globale notamment impulsée le thème dupinien de l’écriture, très présent dans l’œuvre. Un schéma peut nous aider à visualiser cette analyse [30] :

Schéma II : Assimilations contextuelles dans Nos chevaux, nos étrangères...

Le schéma représente des variations tendancielles du contexte au palier global du texte. Les flèches A et B indiquent des ruptures d’isotopie générique (soit Pastoral – A – écriture – B – Pastoral) en amont et/ou en aval desquelles bascule le rapport entre une forme énonciative et le fond dominant du passage parcouru par la lecture. Pour la description, la lexicalisation de la forme légitime le phénomène : alors qu’entre A et B le contexte offre la possibilité de lexicaliser Je par « poète », au-delà de B mais aussi antérieurement au point A, le foyer énonciatif pourrait être nommé « berger » ou recevoir une dénomination équivalente. Enfin, cette sorte de variation dépend toujours d’un principe de continuité donné par l’identité de la forme dont on suit les modifications de passage en passage.

Prise dans la durée, la dynamique événementielle s’inscrit aussi dans la linéarité sémiotique du texte. On note à ce sujet que la première rupture d’isotopie, entre les zones 1 et 2, correspond au plan de l’expression à une augmentation de l’interligne. Cette correspondance locale entre les plans du signifié et du signifiant indique le franchissement d’un moment textuel. Selon un principe analogue, on imagine qu’une multiplication de variations fonds-forme, notamment à certaines conditions de périodicité (au plan de l’expression, une division en poèmes, parties, chapitres peut régler l’intervalle entre les passages), puisse introduire un rythme global sur un plan thématique, narratif ou énonciatif. Plus généralement, nous retiendrons que l’évolution d’une forme parangon peut faire l’objet d’une temporalisation génératrice d’une qualité rythmique agie voire perçue à l’échelle d’un recueil, d’un traité, d’un roman, etc. Cette piste « macro-structurale » concerne un domaine de recherche étendu qui comprend le thème notoire de la vitesse du récit [31].

4.3. Dynamique et temporalisation du sens au sein d’un passage

Au sein d’un passage la dynamique peut se voir caractérisée par un mode de présentation linéaire analysable en termes de sommation/diffusion de forme. Rastier (2003) observe ainsi un phénomène de diffusion dans Hérodias (Flaubert) où ‘Mer morte’ actualise dans la première phrase une forme {/maritime/, /terminatif/, /descendant/, /funèbre/} qui sera reprise

Cette diffusion peut être étudiée en elle-même, dans sa dynamique et sa temporalisation. La question est la suivante : la forme est diffusée, mais comment ? Rastier prend la peine de préciser que le texte « alterne les sèmes /maritime/, /descendant/, /funèbre/ ». Ce comment de la diffusion situe la temporalisation du sens textuel sur un plan qui n’est ni celui de l’évolution d’une forme ni à proprement parler celui du rapport sommation/diffusion, mais sur un plan qui spécifie in fine leur temporalité. En précisant les modalités de l’alternance, on comprendra aussi mieux l’objet complexe d’une description qui intègre le mouvement global de génération des fonds et des formes, alors même qu’elle opère sur une localité du texte. Pratiquement, il s’agit d’étudier les facteurs responsables d’une dynamisation/temporalisation plus ou moins remarquable des fonds et des formes sémantiques en cours, pour un moment relativement déterminé.

Dans cet extrait d’Hérodias les conditions d’actualisation des traits /maritime/, /descendant/, /funèbre/ ne sont pas homogènes. Remarquons tout d’abord que la diffusion se répartit en deux moments situés l’un en début, l’autre en fin de texte, au sein de deux phrases séparées par une ponctuation forte. Soit (nous augmentons l’analyse du trait /d/ sur ‘falaises’) :

Plus précisément, des traits inhérents et afférents (notés entre parenthèses) sont accueillis 1. par des syntagmes de niveau syntaxique inégal, 2. par une structure comparative dénuée de ponctuation :

L’alternance des traits apparaît ainsi régie par une syntaxe qui, outre une ordination, établit des distances syntagmatiques, en vertu desquelles d.2 jouit d’une autre régularité que d.1, mais aussi des groupements syntagmatiques :

Dans ce cas, la syntaxe semble occasionner, au plan du signifié, une inflexion qui, couplée au jeu des distances, solidarise la succession finale des traits /m/ et /d/. À l’échelle de la diffusion, ces facteurs produisent une gradation concernant la connectivitéde /d/, d’abord isolé, puis adjoint à /m/, enfin associé à /m/ (et on imagine au-delà un point d’orgue marqué par la co-présence de /m/ et /d/ pour un même sémème). À notre avis, une telle gradation, si elle peut être reversée au dossier du tempo, a principalement un rôle structurant pour la dynamique du sens.

Bien qu’encore imprécis, ces éléments de description suffisent à montrer que les moments de la diffusion font bien eux-mêmes l’objet d’une temporalisation différenciée. Se poserait alors la question du rythme. Affirmera-t-on que d.1 se réalise selon un rythme « sans retour sur lui-même, sans régularité ni cycle perceptible » (Sauvanet 2000 : 200) ? Que seule la périodicité de /d/ ponctue d.2 ? L’identification d’un rythme (SPM, SP, MS, PM) relevant à vrai dire d’une tâche spéciale de la description sémantique, nous nous bornerons ici à souligner que la diffusion, parce qu’elle implique une certaine étendue textuelle et un ensemble restreint de traits sémantiques, est un phénomène propice à l’apparition d’effets rythmiques.

Reprenons l’analyse. Alors que l’ordination et la proximité (distance et groupement) syntagmatiques organisent la succession des traits, la dynamique de diffusion dépend tout aussi nécessairement des actualisations sémantiques. De ce point de vue, elle connaîtra des localités stabilisées mais aussi des points critiques qui modulent, comme un relief, la continuité du phénomène. Dans le cas présent, outre la plausibilité quelque peu affaiblie de l’afférence contextuelle de /d/ sur ‘falaise’ (’abîme’ est lui clairement descendant), on ne relève pas de points critiques : une stabilité caractérise les deux moments de diffusion. C’est surtout la simplicité qui distingue la seconde dynamique de la première :

Les différences relevées définissent ainsi une temporalisation et une dynamique du sens au palier phrastique, au sein d’un passage. Elles dépendent ici de facteurs syntaxiques et sémantiques et valent pour des morphologies qu’il importe à présent d’identifier.

4.4. Fonds, formes et formes tactiques

On pourrait argumenter que la linéarisation du sens textuel peut aussi être conçue comme une structuration locale de fonds sémantiques. Il y a du vrai dans cette approximation mais il convient de réduire le paradoxe, ce qui nous conduit à reparler du concept de forme tactique. La conception morphosémantique présuppose que,

Pour l’exemple d’Hérodias, il s’ensuit d’abord que d.1linéarise, pour partie, les contours d’une forme ainsi perçue pour les lexicalisations partielles ‘gouffres’, ‘falaises’, ‘abîmes’, d’autre part que d.2 linéarise un fond que trament les isotopies générées par la récurrence de /maritime/ et /descendant/. Dans son ensemble, la diffusion présente par conséquent un moment davantage manifeste auquel s’oppose un moment que nous dirions perceptivement sourd, ce prédicat traduisant une propriété définitoire du fond. Rastier affirme sur un autre registre qu’« un fond est une forme « oubliée » » (2003). L’oubli et la surdité propres au fond sémantique méritent d’être précisés dans la mesure où une mutabilité qualitative des fonds est admise (qu’on distingue d’éventuelles raréfactions/densifications) [36]. On conçoit en effet trois cas de figure où le fond sortirait pour ainsi dire de sa position d’arrière-plan :

  1. l’influence à plus ou moins longue distance d’une forme parangon dont la présence se rappelle en faisant « émerger un fond », d’une façon qui semble à vrai dire propre à la reconnaissance du phénomène de diffusion en d.2 ;
  2. dans le contexte proche, l’influence d’un passage sur un autre, au sens où un arrêt sur d.2 peut aussi être motivé par la saillance de d.1, et/ou par la forme normale qui lui correspond ;
  3. l’incidence des qualités internes du passage selon le principe que toute structuration revêt des qualités qui la font apparaître comme plus ou moins prégnante [37].

Ce dernier point revient à enregistrer, pour une localité textuelle, une structuration linéaire susceptible de donner à voir une forme tactique plutôt qu’un fond, en tout ou partie. Ainsi, alors que d’un certain point de vue d.2 réalise bien la diffusion d’une forme {/maritime/, /descendant/, /funèbre/} en un fond (les liens de la forme sont défaits), d.2 manifeste aussi des qualités structurelles qui rendent au moins prégnante une localité (en position finale mdmd voire dmdmd), qui possède bien dès lors le statut général de forme. Le sujet débordant à présent le cadre de cet article, nous ne ferons qu’évoquer ce statut :

Parler de forme tactique c’est ainsi concevoir un type distinct des formes et des fonds sémantiques présentés en début de section.


5. Conclusions

À ce point de la réflexion, il apparaît que la linéarité du texte, au plan du signifié, s’analyse principalement en termes de forme tactique d’une part, de dynamique de formes et de temporalisation de formes et de fonds d’autre part. Ressaisissons ces propositions en soulignant les rapports qui les unissent.

5.1. Dynamique, temporalisation et textualité

Les descriptions proposées dans cette étude reposent toutes sur le principe que les mots restent porteurs du sens qu´ils contextualisent, alors même que le sens se constitue essentiellement entre eux, selon des parcours entre signifiés. Aussi les formes, établies et modifiées localement, sont-elles lexicalisées en tout ou partie, par quoi elles apparaissent attachées à la lettre du texte. Bref, le texte n’oublie pas le signe, l´ordinationtextuelle des lexies conditionnant la linéarisation des fonds et des formes. C’est sur la base de ce principe que la pratique descriptive applique les points de vue, non exclusifs, de la dynamiqueet de la temporalisation.

Décrire une dynamique consiste généralement à suivre le devenir d´une forme comme une suite d´événements constitutifs aux plans narratif, thématique ou énonciatif. Au-delà de la période, l´enchaînement et l´interruption unilatérale/réciproque de différentes dynamiques contribuent à déterminer la singularité d’un texte ou d’une suite de textes. En deçà de la période, la textualité n’est bien sûr pas sans mouvement comme le montre la connectivité observée au sein d´un phénomène de diffusion (Flaubert). Dans un sens élargi, on considérera également que les variations associées à un fond intègrent les dynamiques locales du sens (cf. la comparaison de d.1 et d.2 en termes de stabilité et de simplicité).

La temporalisation engage elle des contraintes linguistiques qui spécifient l´ordination des lexies concernées. En tant que phénomène sémiotique, elle repose en effet sur des facteurs tant syntaxiques (on y inclut l’ordre des mots et la ponctuation, avec ses blancs) qu’accentuels et, plus spécialement, médiatiques (mise en page, dimension du blanc typographique et de l’interligne). Pour la plupart des rythmes (SPM, SP, PM), ce sont des facteurs de périodicité qui s´appliquent non seulement à des fonds (Macé, Jodelle) [39] mais aussi à des formes sémantiques, c’est-à-dire à la présentation linéaire de leurs contours au sein d´un passage ou pour une suite de textes. De ce point de vue, la dynamique des formes voit sa durée qualifiée par l’interaction des plans du signifiant et du signifié. On passe ainsi d’une dynamique à sa temporalisation, celle-ci n’impliquant pas celle-là (ex. PM), et inversement. À ce titre, on notera que les formes tactiques sont susceptibles de concourir à un ralentissement du tempo textuel : ramenée au rapport entre le local et le global, la perception d’une forme tactique fortea pour effet de relâcher ou suspendre momentanément la dynamique globale des formes.

S’agissant de rythmes clairement catégorisables, on pourrait encore s’interroger sur la représentativité d’un exemple comme celui de Jodelle : au-delà de ce poème baroque, à quels textes s’étend la combinaison SPM à trois variables (ABC) ? Vraisemblablement, plus un rythme est complexe, plus il singularise la textualité et plus l’ensemble des exemplaires se réduit ; la prise en compte des contraintes de réalisation de chaque combinaison rythmique laissant supposer une complexité décroissante entre SPM, SP, PM et MS (S est soit binaire soit ternaire).

5.2. Le thème perceptif

Une chose est la description d’un rythme défini, une autre la temporalisation des formes et des fonds où des rythmes peuvent être agis et/ou perçus. Convenons qu´un rythme sémantique soit au minimum agi dans le cours de la lecture : à quelles conditions sera-t-il effectivement perçu ? Sans minimiser la portée expérimentale de la question, nous répondrons tout d’abord que la prégnance d´un rythme est le fait d´un tout sémiotique qui se renforce ainsi lui-même. De fait, de même que les similarités du plan du signifiant stimulent la perception d’équivalences au plan du signifié, l’évidence de certains rythmes sémantiques tient souvent à des configurations déjà remarquables en elles-mêmes, comme les parallélismes syntaxiques. Conjointement, la qualité des fonds et des formes favorise leur perception quand le statut des traits est davantage inhérent qu’afférent, générique que spécifique, quand un fond est dense ou une forme prééminente. Enfin, les inégalités déjà constatées entre rythmes jouent ici un rôle non négligeable dans la mesure où l’on conçoit plus facilement les combinaisons SP et PM que la combinaison MS.

Ces ultimes précisions dépendent d’une sémantique des textes qui intègre le thème perceptif à sa pratique. S’agissant des arts du langage, on entrevoit là une tâche particulière : alors qu’elle n’entend pas revivifier les thèmes du « vécu poétique » ou de la « tonalité » [40], la description morphosémantique peut en effet prétendre restituer les conditions d’une réception esthétique. Avec leurs degrés de prégnance, les concepts de forme tactique, de forme et de fond paraissent à même de servir ce propos au plan du signifié. À un autre niveau, ce que le paragraphe précédent signale, il convient de reconnaître au thème perceptif une valeur critique pour la caractérisation linguistique des textes : elle présuppose un seuil de recevabilité fondé sur l’interaction des plans du signifiant et du signifié.

GERARD, Christophe. Sémantique et linéarité du texte. La place du rythme en sémantique des textes. In Ballabriga, M. (dir.), Rythme et textualités, Toulouse : Éditions Universitaires du Sud, 2006 (sous presse).


NOTES

1 J. Rousset (1962, Forme et signification, Paris, Corti, pp. i-xxvi) se représente ainsi la composition artistique achevée comme une totalité indissociable des dimensions de l’espace et du temps, où le dynamisme des formes constitue le fait primordial.

2 Ce plan du texte est fait de relations phoniques et/ou graphiques entre des signifiants dont l’identification s’effectue au sein d’une dimension médiatique (à l’écrit, informée par sa bi-dimensionnalité et dynamisée par la linéarité de la parole). Ce plan impose ses contraintes aux parcours interprétatifs et les signifiants fonctionnent en ce sens comme des interprétants pour le plan du signifié qui stabilise en retour certaines relations d’abord potentielles entre signifiants.

3 Tynianov 1977 : 94, cité par Capello 1990 : 101. D’autres modèles de l’interaction phono-sémantique peuvent être distingués (citons R. Jakobson, N. Ruwet, I. Lotman, A.-J. Greimas, H. Meschonnic). Les interactions phono-sémantique, syntactico-sémantique et au-delà grapho-sémantique sont autant de modes spécifiques où se réalisent différents types de sémiosis textuelle (sur la distinction entre appariement et corrélation sémiotiques, cf. l’auteur 2005a).

4 « […] une sémantique sérielle, avec une paradigmatique et une syntagmatique rythmiques et prosodique — l’organisation des signifiants consonantiques-vocaliques en chaînes thématiques, qui dégage une signifiance — organisation des chaînes prosodiques produisant une activité des mots qui ne se confond pas avec leur sens mais participe de leur force, indépendamment de toute conscience qu’on peut en avoir » (Dessons, Meschonnic 1998 : 44). Le concept non descriptif de « signifiance » évoque une qualification spéciale d’un plan du texte par l’autre. L’application au domaine linguistique du principe selon lequel « tout ce qui acquiert le statut phénoménologique de forme individuée acquiert ipso facto sens et valeur » (Rosenthal 2004 : 7) autorise en effet à concevoir que tout signifiant identifié fasse sens en tant que forme. Une ligne accentuelle ne serait ainsi autre chose qu’une forme expressive détachée sur un fond « neutre » de signifiants. Or toute forme expressive qualifie en retour les signifiés qu’elle implique, au sens où, par exemple, une assonance potentialise (sans les déterminer) des afférences contextuelles.

5 Les textes qui complexifient leur dimension médiatique, comme ceux de la modernité poétique, mettent à l’épreuve — de l’interprétation critique — l’affaiblissement des rapports signifiant / signifié auquel conduit une sémantique associative. Fort du concept de signifiance et faute d’une sémantique textuelle, les parcours de lecture sont parfois invités à tous les raccourcis dans une impressionnante « lecture plurielle, horizontale, verticale et oblique, de haut en bas et de bas en haut » (Favriaud 2004 : 239).

6 Leur Rhétorique de la poésie (1977) consacre deux pages aux rythmes sémantiques. Ainsi, cet octosyllabe d’Apollinaire (191) : L’aveugle berce un bel enfant / La biche passe avec ses faons / Le nain regarde d’un air triste / Grandir l’arlequin trismégiste, présenterait un rythme ternaire décrit comme une distribution régulière d’unités (les lexèmes en italiques) plus denses, sémantiquement, que d’autres (déterminants, etc.).

7 Rappelons que Rastier définit la textualité comme une interaction de quatre composantes sémantiques : 1 - La thématique rend compte des contenus investis (thèmes), c’est-à-dire du secteur de l’univers sémantique mis en œuvre dans le texte ; 2 – Associée au récit, la dialectique rend compte des intervalles temporels dans le temps représenté, de la succession des états entre ces intervalles, et du déroulement aspectuel des processus dans ces intervalles ; 3 – Associée à la narration, la dialogique rend compte des modalités, notamment énonciatives et évaluatives, ainsi que des espaces modaux qu’elles décrivent ; 4 - La tactique rend compte de la disposition séquentielle du signifié, et de l’ordre (linéaire ou non) selon lequel les unités sémantiques à tous les paliers sont produites et interprétées.

8 C’est une attitude méthodologique qui s’impose pour tous les objets situés à la croisée des chemins disciplinaires : 1. reconnaître les particularités du milieu sémiotique étudié, les textes écrits en l’occurrence, 2. sans négliger les caractéristiques définitoires de l’objet envisagé. Il en va ainsi du style, par exemple.

9 Soit ce bref état de l’art (Sauvanet 1992 : 236) : « C’est le moment d’un premier bilan de recherche, en compagnie de Valéry, Benveniste et Meschonnic. Le premier définit mieux le rythme par ses remarques pointues que par ses définitions inopérantes [dans les Cahiers] ; le second nous rappelle que toute définition qui ferait une part à l’écoulement, et non à la forme, serait caduque ; quant au troisième, il a raison de critiquer les définitions traditionnelles, mais définit mieux la critique elle-même que le rythme, si ce n’est négativement… ».

10 Pour mémoire, les principes gestaltistes de structuration « se laissent regrouper en six rubriques principales : proximité, similitude, continuité de direction, clôture, expérience passée, et prégnance. Ainsi le principe de proximité affirme que, toutes conditions étant égales par ailleurs, des “éléments” qui sont proches dans le champ tendent à être perçus comme appartenant à la même unité. Le principe de similitude affirme de même le regroupement des éléments semblables. Celui de continuité de direction regroupe au sein d’un même contour des éléments d’orientation compatibles, etc. […]. » (Rosenthal, Visetti 1999 : 177-180).

11 Sauvanet, respectivement, 1992 : 238 ; 2000 : 200 et 203.

12 Sauvanet l’associe à la fréquence ou « nombre de périodes par unités d’espace ou de temps » (2000 : 179), parce que « la fréquence pose la question de la vitesse de reproduction du cycle, et le nom de la fréquence n’est autre que le tempo » (ibid.).

13 C’est tout le thème de la singularité irréductible et donc au mieux imitable des textes : « En poésie classique […] se sera toute la différence entre le moule de la versification, qui répond bien aux critères de forme et de retour, et le rythme mouvant qui, lui, ne s’incarne que dans un vers particulier ou une lecture individuelle. […] en réalité aucun alexandrin ne ressemble à un autre, quand bien même la structure métrique serait parfaitement périodique » (Sauvanet 2000 : 199).

14 Par une autre voie Missire (2005) conclut lui de l’exemple à la définition : « Pour les raisons avancées, on considérera que la périodicitén’est pas constitutive du rythme sémantique tel que le définit F.Rastier ».

15 Pour une typologie fine des structures rythmiques « à l’image des unités rythmiques pédestres du plan de l’expression » cf. Missire 2005.

16 Souvenons-nous de ce débat terminologique oublié : décrira-t-on l’isotopie en termes de redondance, de récurrence ou d’itération sémique ? Rastier trancha jadis pour la récurrence parce qu’elle dénoterait, au contraire de l’itération, un parcours interprétatif motivé (Rastier 1987 : 93-94).

17 Macé G., 1993, La mémoire aime chasser dans le noir, Paris, Gallimard.

18 Les réécritures sont parfois indécidables. Le Robertdéfinit « amble » : « Allure d’un quadrupède […] qui se déplace en levant en même temps les deux jambes du même côté ». Dès lors plusieurs lectures sont recevables qui concernent des termes de versification, soit |’rime’|, |’mètre’| et |’vers’|. Dans ce contexte, on préférera laisser ouverte la lecture de la métaphore en suspendant la réécriture de ‘allure’ sur l’isotopie de la poésie.

19 Si l’établissement non détaillé des isotopies génériques peut parfaitement convenir à certaines tâches descriptives, d’autres tâches plus précises requièrent des critères spécifiques. Ainsi, « une isotopie est dite dense ou rare selon le nombre de ses sémèmes-occurrences dans une étendue de texte donnée, rapporté au nombre total de sémèmes qui constituent cette étendue » (Rastier 1989 : 178). Pour comparer entre elles des isotopies, il vaut mieux toutefois ressaisir l’opposition dense / rare comme une catégorie scalaire, selon un axe gradué à seuils, la densité se mesurant dès lors de très faible jusqu’à très forte. D’où une disparition du pôle « rare » au profit du seuil « faible / très faible ».

20 Le mode interprétatif est corrélé avec la densité des fonds sémantiques, leur rareté correspondant, selon les passages, avec une augmentation de la difficulté interprétative.

21 Dans le premier alinéa ‘nous’ se réécrit par ‘poète’ sur l’isotopie de l’écriture, ‘impies’ sur celle de la religion et ‘voyants’ sur celle de l’occulte.

22 Pour davantage de précisions cf. Rastier 2003.

23 Citons par exemple Adam (1999 : 38-39, nous soulignons) : « La linguistique textuelle a pour objet la théorisation des agencementsde propositions et de paquets de propositions au sein de l’unité de haute complexité que constitue un texte. […]. Au niveau 1, les opérations de segmentationde la (des) propositions(s) aboutissent à une unité typographique ou à une unité orale de composition textuelle qui correspond rarement à ce que nous appelons une phrase. Au niveau 2, des paquets de propositions (périodes et séquences) sont soulignés par la segmentation. Au niveau 3, enfin, la segmentation met en évidence des plans de textes et elle aboutit à l’unité langagière d’un tout verbal souvent pluri-sémiotique […] possédant un début et une fin péritextuellement déterminés ».

24 Pour une présentation avec illustration sur la poésie de Gérard Macé, cf. l’auteur 2005b, Ch.IV.

25 Dans ce vers, le troupeau des ponts bêle ce matin (Apollinaire, Zone), ‘troupeau’ est compris comme ‘circulation automobile’ qui réalise la transposition du groupement de traits /mobilité/, /lenteur/, /groupement/ et /péjoratif/ sur le fond //urbain//.

26 Dupin J., 1996, Le Grésil, Paris, P.O.L.

27 Rappelons que ce terme a le sens de ‘pièce à pointes que l’on fixe provisoirement sous les talons des chaussures’ mais aussi celui de ‘Pièce de métal recourbée, servant à saisir, attacher, assembler. Pierres jointes par des crampons’.

28 L’établissement de relations actancielles autorise à construire trois zones de corrélation. La division de la première partie en deux zones 1a et 1b rend compte d’une difficulté de cette partie du texte. En effet, le rapprochement typographique des énoncés est d'un côté appuyé par i)des traits temporels (/actuel/), aspectuels (/cessatif/) communs à ‘éteint’, ‘oublie’ et ‘laisse’ ; ii)une compatibilité thématique et dialogique entre deux énoncés — l’un renvoyant à la certitude d’une fin sans objet défini (Zone 1a), l’autre à l’ignorance affirmée de ce qui se perd (Zone 1b). D'un autre côté, ce rapprochement est contredit par un double rattachement possible de « dans le muret de granit » à l'énoncé qui le précède (parallélisme avec « dans la fenêtre vif-argent ») et à celui qui suit. Le cas locatif attribué à 'muret de grabit' assure par là une médiation instable entre les zones 1a et 1b, zones dont on légitime ainsi l'existence.

29 Au palier de la phrase les anticipations peuvent être normées par les langues (cf. la syntaxe de l’allemand) comme relever du style.

30 La distance entre les sémèmes et la ligne figurant les fonds sémantiques tient compte (de manière intuitive) des degrés d’assimilation à l’isotopie concernée. Tout sémème est en effet prédisposé par ses traits génériques à des accrochements plus ou moins forts ou pertinents avec tel ou tel fond.

31 Qui pose la question du tempo au seul plan narratif. Il en existe différentes conceptions. Genette (1972 : 123 et 1983) : « On entend par vitesse le rapport entre une mesure temporelle et une mesure spatiale […] : la vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, […] et une longueur, celle du texte, mesurée en lignes et en pages. » ; Rastier (1989 : 101) : « relativement aux normes d’un genre, une narration est rapide si elle ménage beaucoup d’intervalles dialectiques dans peu d’unités tactiques ». D’autres auteurs envisagent le problème sous un angle élargi, cf. Ballabriga 2005, Gervais 1992.

32[Cette note de l’auteur cite le passage analysé. Nous le reproduisons plus bas pour des commodités de lecture].

33 La simplicité voire la transparence du parcours interprétatif qui actualise un trait inhérent le rend plus immédiat qu’un trait afférent.

34 Ce principe régit avec d’autres l’évolution du champ perceptif. Ces principes sont réunis par Rosenthal, Visetti (1999 : 180-181) : rapports tout-partie (synthèse par détermination réciproque) ; modulations continues des formes ; organisation par figures se détachant sur un fond ; présence d’un substrat continu ; temps de constitution interne à la forme ; caractère transposable des formes ; type des unités.

35 De fait, toute diffusion peut prendre un tour graduel dès lors que la forme, dans ce processus, change de statut pour s’identifier à un fond étendu. Le passage du statut de forme « complète » à celui de fond comprenant des états intermédiaires où s’actualisent des contours ou parties de forme (Rastier 2003) : la co-présence des traits /f/ et /d/ pour ‘abîme’ en offre un exemple.

36 On pourrait d’ailleurs retenir ce principe que la mutabilité du rythme, comme des formes et des fonds sémantiques en général, augmente avec l’échelle textuelle.

37 Au sens gestaltiste du terme (Rosenthal, Visetti 1999 : 192-193 ; et ici note 10) : « Dans un premier abord, Prägnanz fait appel à des notions très générales d’ordre, de régularité, simplicité, symétrie, stabilité, etc., et débouche sur une notion de bonne forme, qui serait donc, par définition, une forme qui présente à un degré convenable ces qualités, telles qu’elles s’instancient dans le champ considéré. ». Les auteurs insistent ensuite sur l’autocritique des gestaltistes vis-à-vis de la bonne forme et l’importance accordée par d’autres chercheurs à une prégnance graduelle.

38 Nous renvoyons sur ce point et le suivant aux analyses de Missire. En particulier : « une forme tactique s’imposera dans le champ perceptif à proportion de ce qu’elle sera synchronisée avec un découpage accentuel régulier de la chaîne parlée, et par exemple, dans le cas du chiasme, par la nécessité que la zone centrale appartienne à deux groupes accentuels distincts. Cette condition de discontinuité sur les deux plans du signifiant et du signifié peut se formuler comme un principe de saillanceperceptive ».

39 On rejoint Rastier 2003 : « Si les fonds sémantiques sont constitués par des isotopies, en général produites par la récurrence de traits génériques, la temporalisation de ces récurrences est assurée par des rythmes sémantiques ».

40 Développé dans la seconde moitié du 19ème siècle, le concept d’expérience poétique (Dilthey W., 1905, Das Erlebnis und die Dichtung) s’applique alors spécialement à la poésie lyrique « vécue » selon un processus sans médiation, élaboré dans le souvenir. Emil Staiger (1946, Grundbegriffe der Poetik) lui opposa le concept de Stimmung (encore nommé « tonalités affectives » (Heidegger), « atmosphère » (Baudelaire), etc.) tout aussi critiquable du point de vue de l’interprétation poétique.


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Référence bibliographique : GÉRARD, Christophe. Sémantique et linéarité du texte. La place du rythme en sémantique des textes. Texto! [en ligne], mars 2006, vol. XI, n°1. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Gerard/Gerard_Linearite.html>. (Consultée le ...).