OÙ VA L'ANALYSE DE DISCOURS ?
AUTOUR DE LA NOTION DE FORMATION DISCURSIVE

Jacques GUILHAUMOU
C.N.R.S. / Ecole Normale Supérieure de Lyon


Depuis les années 1990, l’analyse de discours a obtenu droit de cité dans le milieu universitaire, alors qu’elle s’était constituée, dans son moment fondateur, aux marges des disciplines. En prévision de ce tournant, Michel Pêcheux réunit autour de lui au début des années 1980, dans le groupe « Analyse de discours et lecture d’archive », des chercheurs d’horizons divers, mais soucieux de conserver une place centrale à l’interrogation initiale sur les matérialités discursives (Conein et al., 1981 ; Pêcheux 1990). C’est aussi le temps, où le sociologue Bernard Conein et l’historien linguiste que nous sommes assurent la direction d’un sous-groupe sur « L’archive socio-historique » : nous considérons alors que la description discursive est avant tout redécouverte de catégories énonçables à partir des propriétés empiriques des textes analysés. Un tel choix herméneutique tend à faire disparaître la notion de formation discursive, trop emprunte d’extériorité.  Michel Pêcheux se demande donc comment situer un espace conceptuel propre à l’analyse de discours du fait de la prise en compte d’une telle configuration des énoncés attestés, et de leur réflexivité propre ; il en vient à retravailler des catégories centrales de l’analyse de discours, en particulier la notion de formation discursive, tout en demeurant dans la lignée des réflexions initiales de Michel Foucault en ce domaine. 

Notre présent objectif n’est pas d’effectuer un bilan de ce « tournant herméneutique » de l’histoire du discours, d’autant plus que nous l’avons fait par ailleurs (1993) et qu’il pose désormais le problème complexe du lien de cette histoire langagière avec l’histoire des concepts dans son ensemble (Guilhaumou, 2000b ; Keller, 2004). Nous souhaitons seulement reprendre l’itinéraire des historiens du discours, là encore hors de toute approche d’ensemble - objet d’étude en soi (Guilhaumou, 2003) - mais du point de vue de cette notion de formation discursive.

Cependant il convient d’abord de préciser notre positionnement dans le champ de l’analyse de discours, en profitant de l’opportunité de la publication récente de deux Dictionnaires des termes et des concepts de  l’analyse de discours.

1. Un bilan critique

Alors que les bilans se multiplient – pour ne citer que le cas allemand (Keller et al., 2001-2003) - la publication en français de deux dictionnaires d’analyse du discours, de ses termes et de ses concepts (Charaudeau, Maingueneau, 2002 ; Détrie, Siblot, Verine, 2001) dresse un panorama très complet d’un champ de recherche situé à la frontière de plusieurs disciplines, tout en étant fortement marqué par son ancrage dans la linguistique. Certes les auteurs réunis à cette occasion se situent plutôt dans un réseau, avec ses multiples interconnexions, qu’au sein d’un mouvement unifié. Mais il n’en reste pas moins que les objectifs « unitaires » présentés par les éditeurs méritent d’être pris au sérieux, d’autant plus qu’ils ont réalisé, avec l’aide des nombreux auteurs, un énorme travail, et d’une grande utilité pour l’ensemble de la communauté des chercheurs. Nous sommes l’un de ces auteurs (2002a), au titre de la relation histoire-discours au sein du Dictionnaire d’analyse du discours, et, à ce titre, nous sommes donc partie intégrante de cette entreprise. Cependant, prenant nos distance avec l’esprit général de cette entreprise, nous nous permettons d’en faire un bilan plutôt critique, quitte à revenir sur le problème de la spécificité de l’analyse de discours.

Nous nous proposons donc d’examiner en premier lieu le bilan actuel de l’analyse de discours proposé par ces deux dictionnaires, tout en privilégiant leur comparaison, au titre de leur complémentarité, voire de leurs limites.

Pour Patrick Charaudeau et surtout Dominique Maingueneau, la réalisation d’un Dictionnaire d’analyse du discours marque fortement l’émergence d’une discipline qui aurait quelque peu mis de côté sa dimension critique initiale en s’élargissant « à l’ensemble des productions verbales ». Discipline qui aurait donc « développé un appareil conceptuel spécifique, fait dialoguer de plus en plus ses multiples courants et défini des méthodes distinctes «  (entrée Analyse du discours). Au dialogue ainsi entamé entre divers courants de l’analyse de discours - richesse de cette publication - s’ajoute alors l’incitation auprès de chaque auteur à bien marquer, dans leur contribution, la perspective d’analyse du discours, par rapport aux points de vue de la linguistique, de la philosophie du langage, de l’analyse textuelle, etc.

Au-delà de ce dialogue fécond, les responsables de ce dictionnaire veulent imposer l’idée que la stabilisation de l’analyse du discours au sein des disciplines constituées nécessite la marginalisation de sa valeur critique initiale, en tant que lieu d’interrogation et d’expérimentation. A contrario, nous considérons que la perpétuation du champ de l’analyse de discours passe en permanence par une interrogation historique et épistémologique. C’est pourquoi nous revenons sans cesse vers le geste inaugural de l’analyse de discours, son inscription dans la matérialité de la langue, à charge d’expliciter les différentes figures de cette matérialité, y compris sous une forme aléatoire, au fil de l’histoire de l’analyse de discours. 

En affirmant que l’analyse du discours n’est pas apparue, du moins en France, sur la base d’un acte fondateur, les éditeurs de ce Dictionnaire contournent volontairement cette réalité inaugurale, en laissant aux divers auteurs le soin d’y revenir ou non selon leur sensibilité au problème. Les choix épistémologiques des éditeurs de Termes et concepts pour l’analyse du discours (2001), dictionnaire d’orientation praxématique donc inscrit dans la perspective de la production du sens, sont plus précis en ce domaine. Ils répondent mieux à notre attente épistémologique. L’entrée  Épistémologie, absente du premier Dictionnaire, met ici l’accent sur la nécessité d’opérer un va-et-vient entre l’interrogation philosophique et l’expérimentation pratique, et dans le cas présent de s’interroger sur l’épistémé des objets discursifs.

Ces auteurs n’hésitent donc pas, dans une entrée significativement intitulée Idéalisme et matérialisme en linguistique, donc d’une évidente résonance philosophique, à nous renvoyer aux fondements matérialistes de la langue, et d’abord à son statut matériel, tout en soulignant que l’occultation de ce geste « réaliste » inaugural a des conséquences majeures dans les choix théoriques en analyse du discours. L’entrée Dialectique, présente dans les deux dictionnaires, souligne encore plus ce contraste : notion seulement argumentative et logique pour l’auteur du Dictionnaire d’analyse du discours, elle constitue, pour l’auteur de Termes et concepts pour l’analyse du discours, une notion fondamentale pour comprendre l’articulation du langage au réel.

L’étude de la production du sens à partir du repérage linguistique de ses marques dans le discours effectif apparaît ici singulièrement concernée par le primat ou non d’un point de vue matérialiste. Si quelqu’un parle, c’est que quelque chose existe : le langage est donc ontologiquement concerné par le réel, certes de manière dynamique, actionnelle. Cette considération centrale rejoint notre insistance, dans la lignée d’une histoire linguistique des usages conceptuels, sur la connexion empirique entre la réalité et le discours (2001). Une analyse du discours épistémologiquement fondée sur le statut matériel du langage nous semble, avec les auteurs de Termes et concepts pour l’analyse de discours et en dépit de leur champ plus restreint d’intervention, mieux apte à répondre aux interrogations contemporaines sur les fonctionnements discursifs, que la confrontation des courants de l’analyse de discours avec des catégories discursives généralisantes définies au sein d’un espace disciplinaire. Partant de la relation entre le langage et la praxis, terme là encore repris de la philosophie mais reformulé dans un cadre linguistique, Paul Siblot s’en prend à juste titre aux « théorisations régies pas un processus d’abstraction idéaliste » qui tendent à restreindre le champ de l’analyse du sens en refusant de prendre en compte la dimension linguistique des expériences pratiques d’appréhension et de transformation du monde dans sa matérialité. A ce titre, si nous partageons, avec Georges-Elias Sarfati (1997, 106) le constat que « Dominique Maingueneau, à partir d’une lecture de Michel Foucault, a dérivé et introduit nombre de concepts dans le domaine de l’analyse de discours », il nous est impossible d’adhérer à la suite de son propos : « La portée de ce dispositif conceptuel ouvre à la discipline des perspectives de développement importantes, tout en lui conférant des assises solides ».

En effet, on peut se demander si la volonté de disciplinariser l’analyse de discours ne procède pas ici d’une certaine distanciation généralisante vis-à-vis des matériaux empiriques et de leurs ressources propres, par le fait d’une métacatégorisation ad hoc qui tout à la fois dilue les notions de la linguistique et limite l’appréhension de l’historicité des textes. Qui plus est, catégoriser hors des énoncés empiriques rassemblés dans les corpus, donc au plus loin d’une linguistique de corpus (Habert, Nazarenko, Salem, 1997), tend à restreindre l’espace conceptuel de l’analyse du discours. Ainsi s’opère une réduction de la dimension critique des concepts par le fait d’éluder la présentation du programme épistémologique de l’analyse de discours à partir de la connexion entre réalité et discours, voire du lien social entre connaissance et intérêt. Habermas (1976) ne nous rappelle-t-il pas que le profil foncièrement herméneutique de la connaissance en sciences humaines nous interdit d’abstraire un élément de savoir d’un contexte à la fois cognitif et historique, et qu’à ce titre chaque domaine de savoir répond à un intérêt spécifique ? De ce point de vue, l’analyse du discours ne peut faire l’économie d’une approche de la société critique, basée sur le potentiel réflexif des acteurs historiques présent dans les énoncés attestés, sans prendre le risque de négliger les conditions langagières de possibilité d’émergence des faits socio-historiques.

Un exemple parlant est celui de l’entrée Actualisation présente dans les deux dictionnaires. Pour Dominique Maingueneau, cette notion sert à désigner « la conversion, dans chaque prise de parole, du système linguistique en énoncé singulier ». Et il ajoute significativement : « mais sa valeur reste instable ». C’est en effet cette instabilité de la catégorie d’actualisation qui en fait, pour lui, une notion d’un intérêt limité dans son effort de constitution d’un ensemble de catégories stables de l’analyste du discours. Après avoir situé cette notion du côté de la praxématique, il précise qu’elle a « l’inconvénient de se trouver au cœur des sujets les plus controversés de la réflexion contemporaine sur le langage » !!! A contrario, les auteurs de Termes et concepts pour l’analyse du discours désignent tout l’intérêt de la notion d’actualisation définie comme ce qui permet de « passer des potentialités de la langue à la réalité du discours », inscrivant ainsi l’analyse de discours dans une perspective dynamique qui pose en permanence la question de la continuité/discontinuité entre la langue et le discours.

Il faut cependant reconnaître que le clivage entre une vision statique et approche dynamique des catégories de l’analyse du discours traverse les deux Dictionnaires. Ainsi, de l’exemple du Contexte, défini, du côté de la praxématique, comme le simple fait de « la relation entre deux ordres de phénomènes qui s’informent mutuellement » alors que l’auteur du Dictionnaire d’analyse du discours met l’accent sur la réflexion récente en la matière, qui tend à souligner le rôle processuel du contexte. Il en est de même de la notion de Corpus, forte importante pour pouvoir appréhender des phénomènes discursifs sur une vaste surface textuelle. Prise d’une part comme un simple geste technique de l’analyste du discours au moment du recueil des énoncés attestés, elle peut aussi d’autre part, pour l’auteure du Dictionnaire d’analyse du discours, se problématiser de telle façon qu’elle mette en jeu la conception même de la discursivité. C’est le cas tout particulièrement des corpus d’archive qui relèvent d’une geste de lecture ouvrant des perspectives nouvelles sur la dynamique des genres et les prises de parole des acteurs ordinaires, au-delà de l’accent mis au départ sur les discours fortement légitimés.

Il n’en reste pas moins que les catégories revendiquées comme pivots de l’analyse de discours dans ce Dictionnaire sont souvent les catégories jugées les plus stables et les moins concernées par les débats entre linguistes. Nous serions alors confrontés à une discipline pacifiée. Ce choix peut s’avérer dans certains cas très problématique, tant dans le rapport à la tradition linguistique, que dans la relation aux débats actuels. Ainsi pourquoi s’en tenir d’un côté à la seule notion de Champ discursif, catégorie ad hoc de l’analyse de discours, alors que, de l’autre côté, il est question de façon certes plus classique de Champ, Champ lexical, Champ sémantique, Champ notionnel, notions dont l’analyste de discours a usé de  façon courante dans ses descriptions textuelles ? De même, nous pouvons remarquer que l’entrée Définition, dans le Dictionnaire d’analyse du discours, ne fait pas référence au colloque de 1988 (Chaurand, 1990) qui s’inscrit dans une perspective linguistique. Mais là aussi, du fait de la diversité des auteurs, notre remarque critique n’induit aucun jugement globalisant. Par exemple, l’entrée Référence s’interroge d’emblée sur la place qu’occupe cette notion dans le débat philosophique et sémantique, l’interpellant donc à la fois dans son référent de réalité et sa manière de désigner une propriété du signe linguistique. Dans l’ensemble, le lien avec les débats actuels en lexicologie et en sémantique au sein de la linguistique est relativement bien traité, ce qui s’avère beaucoup moins vrai pour les autres domaines des sciences du langage, en particulier la syntaxe pourtant très présente dans les premiers travaux en analyse de discours.

Il est un fait que la position de Dominique Maingueneau n’est pas celle de tous les auteurs du Dictionnaire d’analyse du discours tant ils demeurent soucieux, pour une partie d’entre eux, de conserver le lien de la discursivité à la matérialité de la langue en tant que « lieu matériel ou se réalisent des effets de sens », pour reprendre une expression de Michel Pêcheux. La richesse de ce Dictionnaire d’analyse du discours procède donc, au-delà d’une catégorisation recherchant des valeurs stables en analyse de discours, de la grande diversité des champs abordés. Une mention particulière peut être faite du champ de la communication langagière, circonscrit par Patrick Charaudeau. La progression, et donc l’entrée, de ce champ de recherche en analyse de discours s’est faite sur la base d’un enrichissement progressif au contact de la pragmatique, de l’ethnographie de la communication, de l’ethnométhodologie, de la sociolinguistique et de la socio-psychologie du langage, au point de nous présenter un ensemble de perspectives beaucoup plus riches que celles des communicologues des années 1970, plus tournés vers le conseil en communication des hommes politiques. Le point d’aboutissement - l’insistance sur la co-construction du sens dans tout acte de langage - permet d’appréhender diverses modalités contemporaines du contrat de communication, au plus près des énoncés attestés et de leur articulation extralinguistique.

Cependant, ne faut-il pas avancer dans notre réflexion en considérant, pour reprendre une formule percutante de Sylvain Auroux (1998), que « la sphère du concept c’est la sphère du sens » ? Tout objet de l’analyse de discours ne relève donc pas nécessairement d’un positionnement au sens où Dominique Maingueneau renvoie les catégories de champ, univers, espace discursif à une identité énonciative qui se constitue en son sein de façon stable. Cette approche très peu dynamique (pour ne pas dire très peu historique) de l’analyse du discours prend le risque de faire l’économie du rapport de l’énoncé à ses objets, ses sujets et ses concepts : cet espace corrélatif, selon Michel Foucault (voir l’entrée Analyse archéologique), qui met en évidence des positions intrinsèques très variables au sein même de l’énoncé, et rend donc compte de « la délocalisation tendantielle du sujet énonciatif » pour reprendre une expression de Michel Pêcheux en introduction du colloque Matérialités discursives (Conein, Pêcheux et al., 1981, 17). Tout se passe présentement comme si le discours généralisant de ce Dictionnaire d’analyse du discours devait rendre disponible un certain nombre de catégories discursives dans le but de répondre au besoin de tel ou tel terme chez l’analyste de discours décrivant des pratiques discursives. Ne convient-il pas plutôt de s’intéresser, en analyse de discours, aux conditions langagières de production des concepts qui permettent d’appréhender l’ensemble d’une réalité sociale par la médiation de la langue comme fait matériel, contexte et ressource ?

Sous son apparence plus restreinte, le Dictionnaire desTermes et concepts pour l’analyse du discours nous permet de mieux appréhender, certes d’un point de vue praxématique, les relations qui s’établissent entre les concepts au sein d’une analyse de discours qui demeurent bien sûr proche des objets et des sujets empiriques. Il met par là même l’accent sur la dimension critique de l’analyse de discours, en appui sur les questions sociales et idéologiques, au moment même où une telle analyse critique du discours connaît d’importants développements dans le monde anglophone (Fairclough, 2003) et germanique (Jäger, 1999). Il fait ainsi contraste avec le projet des éditeurs du Dictionnaire d’analyse du discours qui tend à instrumentaliser le métadiscours des intervenants, en proposant une idéologie strictement disciplinaire, même si ces auteurs demeurent attachés à une histoire sociale du discours dans leur intervention.

D’une telle approche critique d’une démarche d’ensemble présentée sous le format dictionnaire, nous nous proposons maintenant d’en reprendre l’argument principal - la nécessaire relation à la matérialité de la langue - dans la description de notre démarche en analyse du discours. Mais nous le faisons à partir d’une notion en analyse de discours, la formation discursive, dont Paul Siblot a judicieusement écrit, dans son Dictionnaire, qu’elle demeure plus un champ d’étude et d’interrogations, qu’une « notion théoriquement établie ». C’est pourquoi il s’est proposé récemment de la mettre en débat parmi les analystes du discours : c’est grâce à notre participation à ce débat, tenu à l’Université de Montpellier les 26 et 27 avril 2002 sur le thème « De l’analyse du discours à celle d’idéologie : les formations discursives »,  que nous avons pu mener à bien la présente réflexion.


2. Les historiens du discours et la notion-concept de formation discursive. Récit d’une transvaluation immanente

Depuis nos premiers travaux en collaboration avec Denise Maldidier, nous pratiquons l’exercice intellectuel qui consiste à revenir sur le trajet historique de l’analyse de discours, en partant de la démarche inaugurale des années 1970. Ce retour réflexif s’est adressé essentiellement ces derniers temps à nos collègues étrangers, manifestement les plus intéressés, ne serait-ce que dans une perspective comparative avec d’autres courants de l’histoire langagière des concepts (Guilhaumou, 2000b). 

Dans le cas présent, nous allons nous en tenir à diverses pauses réflexives - au sein du trajet des historiens du discours - où la notion-concept de formation discursive connaît un devenir contrasté. Très présente dans les premières recherches en analyse de discours, cette notion disparaît tout aussi rapidement au début des années 1980, et, dans notre cas, de manière définitive au moment du retour réflexif que nous effectuons en 1983 au colloque Histoire et linguistique sur nos premiers travaux (1984a). Cependant les interventions au colloque de Montpellier mentionné plus haut reposent le problème de la pertinence ou non d’un usage dynamique de la notion de formation discursive. Nous y revenons dans une dernière partie à notre façon, c’est-à-dire en centrant notre attention sur les avancées récentes en matière de co-construction du discours, auxquelles nous participons sur la base de l’analyse d’un corpus de récits de vie de dits exclus de la société contemporaine

Notre objectif présent est donc d’abord d’interroger cette « mise en retrait » d’une notion cardinale de la démarche inaugurale de l’analyse de discours sur la base des sources d’archive de l’analyse de discours elle-même. De fait, nous disposons de deux types de sources :

-     D’une part les textes initiaux des historiens, essentiellement publiés par Régine Robin et nous-même, sur le discours comme objet de l’histoire, où se formule au début des années 1970 la relation de nos premières études concrètes à la définition canonique de la formation discursive (Haroche, Henri, Pêcheux, 1971) dans son articulation au marxisme. Nous y adjoignons un inédit que nous avons rédigé de retour du colloque de Mexico en 1977 et qui doit paraître prochainement en portugais dans un ouvrage collectif sur Michel Pêcheux.

-     D’autre part des retours critiques amorcés à la fin des années 1970 en collaboration avec Denise Maldidier, dans le cadre d’une histoire de l’analyse de discours.

  Il ne s’agit pas de proposer ici un récit de conversion, qui, entrelaçant la source initiale et la source critique, nous ferait cheminer des vérités marxistes premières à des vérités plus actuelles toutes empruntes de post-modernisme, trajet qui justifierait la non-opérativité de la notion-concept de formation discursive au début des années 1980 dans les textes des historiens du discours. Il n’est pas non plus question de savoir si la notion de formation discursive est consusbstantielle à l’analyse de discours, c’est-à-dire si elle fait partie des catégorisations fondamentales de cette nouvelle discipline. Il s’agit plutôt, dans une perspective critique, de se demander quelles sont les ressources interprétatives initialement véhiculées par cette notion, et donc de s’interroger sur leur devenir au-delà de son usage explicite.

Nous nous intéressons alors à ce qu’on peut appeler, avec Julian Bourg (2002), au moment où il caractérise l’esprit de mai 68, la transvaluation immanente. Transvaluation au sens où des valeurs liées à un intérêt émancipatoire se transmettent à l’intérieur même du déplacement de la notion de formation discursive vers son épuisement conceptuel. Immanence dans la mesure où le geste fondateur de l’analyse de discours, son inscription dans la matérialité de la langue, demeure, selon nous,  omniprésent jusqu’à aujourd’hui. La mobilisation initiale des ressources du marxisme autour de la notion-concept de formation discursive subit alors des  métamorphoses dans quelque chose qui n’en est pas la négation, par le fait même de conserver la matérialité et les potentialités émancipatoires d’un objet médiateur par excellence, le discours.

Cependant, décrire la transmutation de valeurs suppose la mise en œuvre d’un récit avec pour objectif de maintenir en permanence le parcours de la narration au concept sur la ligne d’horizon du sujet parlant. Il nous est alors apparu possible de construire un récit au sein du cercle restreint des historiens du discours, dans la mesure où l’élément  formation discursive s’y déplace de manière limitée, donc aisément perceptible. Qui plus est, ce trajet aboutit, par épuisement de la notion de formation discursive, à la formulation princeps de l’horizon du sujet parlant en analyse de discours, l’expression de « délocalisation tendantielle du sujet énonciateur » énoncée par Michel  Pêcheux (Conein, Pêcheux et al.,1981, 17).

2.1. La formation discursive confrontée à la complexité des agencements discursifs (les années 1970)

Au cours des années 1967-1968 où il enseigne à Tunis, Michel Foucault profite de la disponibilité que lui laisse l’absence des sollicitations parisiennes pour mettre au point « un travail de méthodologie concernant les formes d’existence du langagedans une culture comme la nôtre »  (1994, I, 584). Il établit alors un ensemble conceptuel à propos du discours, sur lequel il restera discret jusqu’en mai 1968, même s’il a acquis la certitude de pouvoir en faire un livre, publié en 1969 sous le titre L’archéologie du savoir. Au centre d’une telle configuration conceptuelle se trouve la notion de formation discursive, ou tout du moins, dans sa première formulation, l’expression de « formation discursive individualisée » (Id., 675). Il s’agit alors de mettre l’accent sur l’importance du « champ des événements discursifs » (Id., 701), et de son corrélat l’individuation des formations discursives, en liaison avec l’archive définie comme « le jeu des règles qui déterminent dans une culture l’apparition et la disparition des énoncés, leur rémanence et leur effacement, leur existence paradoxale d’événements et de choses » (Id., 708). Ainsi le critère de formation du discours est l’un des trois critères, avec ceux de seuil et de corrélation, retenus par Foucault pour rendre compte de « l’univers de nos discours ». Sans doute le plus « unitaire », il est « ce qui permet d’individualiser un discours » sous des règles tant du côté des événements que des objets et des concepts. Il convient alors, sur la base d’un travail d’archive - Michel Foucault est un lecteur assidu de la bibliothèque nationale à Tunis comme à Paris – de « détecter, à l’intérieur d’une formation discursive déterminée, les changements qui affectent les objets, les opérations, les concepts, les options théoriques » (Id., 678). Ainsi s’ouvre, à l’analyse discursive, « un domaine immense […] constitué par l’ensemble de tous les énoncés effectifs dans leur dispersion d’événements et dans l’instance qui est propre à chacun » (Id., 705). Le « projet d’une description pure des faits de discours » prend ainsi corps.

Dans le même temps, Michel Foucault défend la fécondité méthodologique du marxisme à l’encontre  de ses détracteurs et de ses vulgarisateurs : il y voit la tentative la plus aboutie de « comprendre, dans sa complexité, l’ensemble des relations qui ont constitué notre histoire » (Id., 583). Cette proximité particulière avec Marx, c’est-à-dire dans un regard à la fois proche et critique d’Althusser (id., 587), se devait d’attirer l’attention d’un groupe de chercheurs, certes proche de La Pensée et de La Nouvelle critique par sa référence constante au marxisme, mais dont l’attention porte avant tout sur la formation historique d’un jeu d’écarts, d’interstices et de distances dans les discours. Michel Pêcheux en est le plus actif : il préside ainsi à l’avènement de la citation princeps - « Les formations idéologiques comportent nécessairement comme une de leurs composantes une ou plusieurs formations discursives interreliées qui déterminent ce qui peut et doit être dit… » (Haroche/Henry/Pêcheux,1971, 102) - de toute référence inaugurale à la notion de formation discursive dans le champ de l’analyse de discours. 

Tout commence alors, du côté des historiens, avec Histoire et linguistique [1] de Régine Robin, ouvrage publié en 1973. La dimension conceptuelle de l’histoire du discours y est abordée dans le chapitre 4 sous le titre  « Formation sociale, pratique discursive et idéologie ». Certes la notion-concept de formation discursive est absente de ce titre. Mais c’est pour mieux marquer l’emprunt direct, après le rappel du rôle central de Foucault, à la définition de Michel Pêcheux de la notion de formation discursive, longuement commentée (Robin, 1973, 104-105), et de son lien consubstantiel à la « la théorie des idéologies », revue et réactualisée par Louis Althusser [2].

C’est bien le moment initial où Régine et moi-même, nous situons les formations discursives du côté des formations idéologiques, certes avec leur autonomie propre, c’est-à-dire dans leur rapport à des systèmes de représentation, plus précisément à leurs conditions de production au sein d’une réalité sociale marquée par l’idéologie dominante. La première approche critique (Guilhaumou, Maldidier, 1979) de cette démarche théorique inaugurale montre que l’espèce discursive était ainsi classée dans le genre « idéologie », et que la question du sens était renvoyée au seul extérieur idéologique.

Il a été souvent dit que cette approche avait engendré un fantasme de « théorie du discours », à vrai dire qui n’a existé qu’un temps très bref, puisque, dès Les Vérités de la Palice (1975), ce fantasme est significativement révoqué par Michel Pêcheux lui-même dans les annexes à l’aide d’un correctif dont la formulation nous intéresse au premier chef :

Notons ici la désignation explicite du caractère transvaluateur de la notion-concept de formation discursive, en tant qu’élément conceptuel jugé temporairement stable, à l’horizon d’une donnée immanente, la matérialité signifiante.

Régine Robin et moi-même, de notre côté, nous mettons d’emblée l’accent sur le rapport à la conjoncture, donc sur la confrontation des positions discursives, certes rapportées de manière marxiste aux positions des agents dans le champ des luttes sociales et idéologiques. Régine Robin précise ainsi sa position dans un texte de 1974 publié en 1976, « discours politique et conjoncture » dont nous trouvons une formulation programmatique dans son article de Dialectiques, cosigné avec Michel Grenon, sous la forme suivante :

Il s’opère ainsi un déplacement majeur de la définition de la formation discursive au sein du discours comme objet de l’histoire vers une problématique des stratégies discursives [3]. Qui plus est, la notion-concept de formation discursive se complexifie dans les travaux concrets des historiens du discours par l’apport des notions d’effet de conjoncture et de stratégie discursive. Ainsi, Denise Maldidier, Régine Robin et moi-même, nous introduisons très rapidement la notion de formation rhétorique qui tend à spécifier celle de formation discursive pour désigner les stratégies discursives décrites en tant qu’effets de la conjoncture, manifestations du moment actuel. Je parle même de façon plus extensive d’effets du moment de la conjoncture et de l’événement.

Ce n’est donc pas un hasard si c’est dans l’étude, publiée en 1976 et menée conjointement par Denise Maldidier et Régine Robin, sur un événement de mai 68, Charléty, que se formule le plus clairement ce déplacement :

Travaillant aussi dans l’appareil presse, mais dans la conjoncture de 1793, je ne fais alors que décrire des stratégies discursives, tout en conservant à l’horizon l’interdiscours jacobin. Le cas le plus exemplaire est celui de la stratégie de masquage par des effets populaires du discours jacobin du Père Duchesne d’Hébert, par contraste avec l’idéologie de la « démocratie directe » des journalistes « enragés », en particulier Jacques Roux dans la même période de la Révolution française (Guilhaumou 1975b).

Dans un retour critique, nous écrivions alors  Denise Maldidier, Régine Robin et moi-même :

C’est ainsi que nous citions un extrait d’un texte inédit sur « Linguistique et analyse de discours. Lecture d’une crise » - actuellement en cours de publication -  où je mets en cause le fait de vouloir « isoler dans le corps complexe des discours des éléments simples tels que discours bourgeois/discours féodal, discours jacobin/discours sans-culotte ». Ce texte avait été rédigé en janvier 1978 à la suite du colloque de Mexico (novembre 1977) qui introduit, nous allons le voir, un  second déplacement.

Mais terminons par un résumé, sous la plume de Denise Maldidier, du premier déplacement :

2.2. Une transvaluation à l’horizon de la matérialité des textes (les années 1980)

La suite de notre récit montre comment, au début des années 1980, la transvaluation approche de son terme, la disparition relativement rapide de la notion-concept de formation discursive au profit d’une nouvelle manière de faire de l’histoire du discours.

Michel Pêcheux opère à Mexico  en 1977 un retour à Foucault (« Remontons de Foucault à Spinoza »). Il en ressort une vision non-identitaire de l’idéologie qui n’existe alors que sous la modalité de la division. Et Michel Pêcheux de préciser : « l’idéologie n’existe que dans la contradiction qui organise en elle l’unité et la lutte des contraires » (1990, 255). L’analyse synthétique, que nous proposons de notre côté (1980), des travaux sur les discours politiques contemporains avec en son centre le travail de Jean-Pierre Faye et ses notions d’acceptabilité du discours et d’effet de récit, œuvre dans le même sens.

Il en ressort une critique de l’usage « unifiant » de la notion-concept de formation discursive. De fait cette notion laisse trop de place à la tentation taxinomique, typologique ; elle reproduit une approche totalitaire et externe de la formation discursive dominante qui contraste totalement avec la manière dont Jean-Pierre Faye décrit les mécanismes d’acceptabilité de l’idéologie nazie (1972). Il n’est donc plus possible de s’en tenir à la caractérisation des formations discursives comme des systèmes de représentation qui ne font sens que dans le discours dominant.

L’accent est mis désormais sur le jeu contradictoire des formations discursives, sur le rapport interne, local qu’elles entretiennent avec leur extérieur spécifique, ce qui équivaut à les considérer tant du point de vue régional de leur intérêt propre que du point du marxiste de la lutte des classes. Il convenait aussi, pour l’historien du discours, de recentrer l’attention sur  la connexion entre faits discursifs et pratiques non discursives de manière non homologique, à la façon dont l’historien Reinhart Koselleck (1979) pose la compréhension du réel à partir de ses conditions langagières de formation, sans se confondre avec lui.

A suivre toujours Michel Pêcheux, il fallait en finir avec une conception de la formation discursive comme un bloc homogène rapporté à une idéologie dominante : elle est prise désormais comme non identique à elle-même, par référence à la catégorie spinoziste de contradiction. Il s’agissait alors de se poser la question de la présence en son sein de l’idéologie dominée, ce qui n’est sans conséquence sur notre choix actuel de  repenser la notion de formation discursive dans le cadre d’une recherche sur l’exclusion [4].  S’énonce aussi, dans cette nouvelle conjoncture, un bougé dans la référence à la tradition marxiste : l’accent est plutôt mis sur l’histoire des groupes sociaux subalternes, à l’exemple de Gramsci dans le dernier cahier des Cahiers de prison (Guilhaumou, 1979).

Par un apparent paradoxe, c’est au moment où tous les éléments sont réunis pour épuiser l’opérativité initiale de la notion-concept de formation discursive que nous la trouvons très présente sous la plume de Jean-Jacques Courtine (1980) et de Jean-Marie Marandin (1979), alors qu’ils viennent de produire une description située du discours communiste dans leur thèse respective, comme s’il avait voulu produire un ultime effort pour préciser ce qu’il en est du travail théorique effectué autour de ce concept, avant son épuisement. « Nous considérons une formation discursive comme hétérogène à elle-même » en concluent-ils dans leur intervention au colloque sur les Matérialités discursives (Conein et al., 1981).

Ainsi la notion-concept de formation discursive est prise in fine dans l’hétérogène, elle ne renvoie plus à des places énonciatives référées à un extérieur idéologique. La description de la relation en son sein entre intradiscours et interdiscours, donc du déplacement des sujets, du passage d’une place énonciative à l’autre devient primordial. Le métadiscours sur les positions énonciatives disparaît au profit d’une attention à ce que Pêcheux appelle, dans l’introduction au colloque Matérialités discursives, « la délocalisation tendantielle du sujet énonciateur » au sein même de la matérialité des textes [5].

A vrai dire la critique de l’historien du discours porte alors essentiellement sur le poids du métadiscours qui tend à engluer les discours analysés dans une extériorité idéologique. Soupçonnée de véhiculer insidieusement ce métadiscours, donc de rendre inaccessible la matérialité propre des textes, la notion de formation discursive ne sera  guère plus utilisée par les historiens du discours jusqu’à l’interrogation présente [6].

Au-delà du cas des historiens du discours, la RCP « analyse de discours et lecture d’archive »  (1982-1983) marque bien le moment où cette notion disparaît lexicalement du champ de réflexion des analystes du discours toujours soucieux de la matérialité discursive. Une nouvelle opération de lecture, la lecture d’archive, par retour à la conception de l’archive chez Foucault, valide, en la problématisant, le travail d’archive des historiens du discours [7]. S’agit-il alors de passer à côté des intérêts du marxisme, à l’exemple de Foucault ? Il n’en est rien. L’intérêt pour le concept marxiste de formation sociale ne disparaît pas de l’horizon de l’historien du discours. Si la résonance marxiste de l’expression « formation discursive » se perd au profit d’une approche processuelle des mécanismes discursifs, il n’empêche que la dimension résultative de l’étude des formations discursives, sa valeur d’identité  au regard de l’articulation du social et du discours, demeure, sans pour autant passer par l’usage du terme de formation. 

Nous assistons donc à un retrait « stratégique » du concept de formation discursive, au titre de son imposition externe et au profit des ressources interprétatives internes à l’archive : toute une série de catégories descriptives prennent la place du métadiscours, renvoyé au jugement de savoir de l’historiographie. Il devient alors possible d’inscrire la démarche de l’historien du discours dans un tournant interprétatif et herméneutique (Dosse, 1995 ; Guilhaumou, 1993) sur la base d’une part d’un Foucault « nouvel archiviste » (Deleuze, 1986), d’autre part de la référence majeure à la traductibilité des langages et des cultures chez Gramsci [8],  et enfin d’une prise de connaissance, grâce au sociologue Bernard Conein qui travaille un temps sur la Révolution française (1981), de l’ethnométhodologie et de sa conception de la réflexivité des descriptions sociales. De la formation discursive à l’énoncé d’archive, il est désormais question du sujet énonciateur, de l’objet discursif et de la notion-concept dans un rapport intrinsèque à l’énoncé lui-même. Tout discours fait partie d’un énoncé, la distinction entre texte et contexte perd un temps de sa pertinence.

C’est là où notre intervention de 1983 au colloque  Histoire et linguistique est significative à la fois du mécanisme de transvaluation présentement décrit, et de son résultat, l’éclipse de la notion de formation discursive. Nous y retraçons l’itinéraire sur dix ans d’un historien du discours sans jamais user de la notion de formation discursive, dans la mesure où il y est essentiellement question de la redécouverte des textes, sous les auspices d’une description empirique de la matérialité de la langue au sein même de la discursivité de l’archive.

Nous pouvons ainsi constater, à la lecture des textes de cette époque, l’évolution suivante:

Au-delà de l’inventaire catégoriel minimal de cette évolution et du nouveau positionnement qui s’ensuit - que nous présentons dans les entrées Histoire/discours, configuration/archive et trajet thématique du Dictionnaire d’analyse du discours - l’historien du discours situe désormais ses recherches discursives à l’articulation entre la description des énoncés d’archive configurant un trajet thématique et la mise en évidence des effets de sens repérable dans l’analyse d’un moment de corpus. Ainsi en est-il des travaux les plus récents de jeunes historiens du discours tels que Marc Deleplace (2000), à propos de la notion-concept d’anarchie pendant la Révolution française, et Didier Le Gall (2003), à propos des principales notion-concepts du discours libéral napoléonien : tous deux mettent désormais plus l’accent sur l’élaboration conceptuelle de notions à partir de leur dynamique discursive propre que sur leur relation à un extérieur idéologique. De même, Damon Mayaffre (2000, 2002) montre, à propos du discours communiste des années 1930 en France, que l’ambivalence singulière de ce discours atypique relève plus de l’évolution interne de son vocabulaire que de l’influence externe du débat républicain.

Dans le même mouvement, mais de façon plus restreinte, se reformule avec une vigueur accrue, du côté des linguistes, dans notre cas en collaboration avec Denise Maldidier, puis avec Sonia Branca et Francine Mazière [9], l’intérêt majeur pour des fonctionnements linguistiques précis, marquant ainsi un ancrage du discours dans la matérialité de la langue. Cette préoccupation est au centre de l’ouvrage que nous avons publié, Régine Robin et moi-même, en 1994 sur nos travaux en commun avec Denise Maldidier, suite à sa disparition brutale. Nous la retrouvons dix ans après dans notre contribution au récent ouvrage collectif sur Résistances à l’exclusion (Mesini, Pelen, Guilhaumou, 2004), certes selon un nouveau point de vue, la co-construction du discours

Faut-il en conclure de tout cela que revenir aux usages « anciens » de la notion-concept de formation discursive n’a guère de sens dans la perspective présente de l’historien linguiste ? Faut-il en déduire que cette notion, tout en ayant joué un rôle essentiel en son temps,  n’est pas vraiment en adéquation avec l’histoire linguistique des usages conceptuels (2001) telle que nous la concevons actuellement à l’horizon de la connexion empirique entre la réalité et le discours,  une connexion qui relève de la distinction entre les faits réels et les faits de discours, tout en précisant que la connaissance de la réalité historique passe par la description de ses conditions langagières d’existence ? Nous reviendrons sur ce point dans notre propos conclusif. Toujours est-il qu’en aboutissant à la formulation centrale de « délocalisation tendantielle du sujet énonciateur » sous la plume de Michel Pêcheux, la notion « structurale » de formation discursive tendait à laisser la place, dans le domaine de l’histoire langagière des concepts, à la notion plus dynamique de sujet empirique, un sujet à la fois ancré dans des blocs de réalité et pris dans des effets discursifs transverses.

La dimension conceptuelle de l’analyse de discours s’investit désormais dans des constructions abstraites issues de matériaux empiriques – en l’occurrence des éléments de la langue empirique – collectés sur la base d’un esprit d’enquête auprès des acteurs tant historiques que contemporains. Elle s’articule donc plus aisément avec une histoire des pratiques langagières, évitant ainsi la taxinomie a priori des discours de X, Y, Z qui seraient autant de formations discursives.

Rappelons une fois encore que nous ne sommes pas ici dans un récit de conversion. Il ne s’agit pas de justifier l’abandon d’un concept, initialement lié à la relation complexe entre Foucault et le marxisme, au profit de la seule description des ressources textuelles dans une perspective herméneutique, compte-tenu du fait constaté que ces vérités initiales étaient prises dans un métadiscours extérieur aux textes. A contrario, notre récit d’une transvaluation immanente pointe la part immanente d’une analyse historique des discours, son rapport à la matérialité de la langue, tout en valorisant les configurations textuelles d’événements émancipateurs, là où s’autolégitiment des porte-parole distincts des acteurs légitimés a priori, donc toujours délocalisés par rapport à un positionnement initial. Il souligne seulement que la rencontre, à vrai dire accidentelle, entre Foucault et la tradition marxiste, à l’aide de la notion de formation discursive - en ce sens que Foucault défend le marxisme alors qu’il élabore sa propre conceptualisation hors du champ marxiste-althusserien alors dominant - a produit plus d’effets sur le devenir de l’analyse de discours que d’autres notions plus heuristiques au premier abord de ce champ de recherche. Mettre l’accent sur le fait même de l’accidentalité qui enclenche un processus de déplacement de valeurs consiste à rompre avec la conception usuelle de la construction scientifique d’une nouvelle discipline sur la base de catégories nécessaires.

Ainsi, à l’encontre d’une analyse de discours comme discipline constituée qui s’interrogerait sur la nécessité de conserver tel ou tel de ses concepts initiaux, et présentement celui de formation discursive, l’historien du discours s’inscrit plutôt dans une tradition interprétative, construite autour du marxisme, et plus largement dans l’esprit de mai 1968 où se conserve la portée émancipatoire de l’analyse de discours au regard de sa forme transvaluée d’un moment à l’autre de son trajet.

Loin de tout désenchantement, nous restons donc dans un récit de métamorphoses, de transmutations, au sein même de la traduction entre la théorie et la pratique, bref dans la transvaluation immanente qui a permis la mise en place d’un dispositif relativement stable de l’analyse de discours du côté de l’histoire, sans renonciation à la posture marxiste initiale. A l’encontre de tout état de choses existant, la description de la matérialité des textes focalise notre attention sur les pratiques discursives de sujets d’énonciation pris dans des relations de réciprocité à l’horizon d’une activité libre, donc émancipatoire. L’accent est mis sur la dimension inventive, donc interprétative, de l’énoncé.

Ce qui veut dire qu’autour de l’usage de concepts, en l’occurrence celui de formation discursive à l’horizon du marxisme, il a existé des ressources interprétatives, une traduction du conceptuel dans la pratique, qui ont ouvert des possibles, et ont permis de nouvelles expérimentations discursives. La parole émancipée des dominés est bien au bout de ce parcours. J’ai essayé de le montrer dans mon ouvrage sur La parole des Sans (1998b). Mais il fallait alors mener à terme un itinéraire complexe tout en maintenant les valeurs éthiques de l’analyse de discours. Je me suis toujours détourné de l’apparente nécessité de reproduire l’état de choses au profit d’un accent sur l’intentionnalité de l’analyste de discours affirmée jusque dans la co-construction de sa problématique émancipatoire avec les ressources propres des acteurs, des objets et des notions-concepts. Ainsi en est-il dans notre récent travail, en collaboration avec Béatrice Mesini et Jean-Noël Pelen (2004), sur les « récits de vie » des dits exclus de la société contemporaine, et du rapport de leurs actions émancipatoires à la tradition civique issue de la Révolution française (Donzel, Guilhaumou, 2001).


3. L’espace de co-construction en analyse de discours

Nous venons de voir que la dynamique de valeurs d’émancipation à forte portée éthique, portée par la notion de formation discursive, se maintient tout au long du déplacement, au cours des années 1970 et 1980, de l’horizon du sujet parlant propre à l’analyse de discours vers ce que Michel Pêcheux appelle « la délocalisation tendantielle du sujet énonciateur ». Ainsi le geste inaugural de l’analyse de discours enclenche une transvaluation, au sens où s’impose d’emblée et se maintient, dans l’approche discursive des matériaux empiriques construits à l’horizon d’un sujet émancipateur, un lien consubstantiel entre la matérialité de la langue et la discursivité de l’archive.

Inscrivant nos travaux empiriques en analyse de discours dans une telle perspective, nous en sommes donc venu à nous intéresser, dans l’espace de la parole des sans-part (Rancière, 1995), à la manière dont se co-construit, au sein de l’échange discursif entre le chercheur et le membre de la société, une perspective émancipatoire au plus près des ressources propres d’acteurs dits « exclus ». En ressort-il une nouvelle modalité de la formation discursive ?

3.1. Une démarche éthique

A vrai dire, je subis souvent la réprobation de mes collègues quand je construis mes descriptions discursives en empathie avec les arguments des acteurs, par défaut, disent-ils, de catégorisation de l’objet de recherche. Il est vrai que je fuis, dans la mesure du possible, tout discours en surplomb sur les sources archivistiques et les enquêtes sociologiques qui constituent à la fois mes matériaux empiriques de travail et mes ressources interprétatives. Cette prise de distance avec le métadiscours jugé par d’autres significatif de la maîtrise scientifique, je ne l’ai jamais expérimenté avec autant d’acuité que dans la recherche que j’ai menée conjointement avec Béatrice Mesini et Jean-Noël Pelen sur un corpus de « récits de vie » de dits exclus [10]. Ces deux chercheurs ont collecté ces récits tout au long de leur enquête sur l’exclusion aujourd’hui dans la région marseillaise et la vallée du Tarn ( Mesini,  Pelen, Guilhaumou, 2004). Ainsi s’est construit, d’un récit à l’autre, une œuvre dialogique où se légitime en permanence la qualité du positionnement relatif entre le témoin et le chercheur, une œuvre à valeur de train d’union entre le témoins et le chercheur dans la mesure où « il fait qu’il y ait accord sur le caractère irréductible de sa vérité, laquelle n’est pas ou n’était pas donné d’avance » (id., p. 226), ce qui réclame à vrai dire un certain déplacement du chercheur de sa position surplombante usuelle. Ainsi, en conclut Jean-Noël Pelen (id., p. 227), « s’il y a positionnement initiale de ‘l’enquêteur’ et de ‘l’enquêté’, dans lequel le premier sollicite, pour son information, le témoignage du second, l’acceptation par ce dernier de témoigner ressort à une complexification de l’échange, puisque c’est l’enquêteur qui devient, en définitive pour le narrateur, le témoin de son énonciation ».

Au fil de ce travail discursif d’une nature quelque peu particulière, comme nous allons le voir, j’ai donc eu le plaisir de décrire ce qu’on peut appeler un « récit construit ensemble », c’est-à-dire un espace discursif co-construit par l’enquêteur et l’enquêté dans le respect éthique de chacun. Ce travail m’a permis aussi de mener avec Jean-Noël Pelen une réflexion sur l’espace éthique où s’expriment, dans le même mouvement discursif, la responsabilité du chercheur et la quête d’émancipation du membre de la société dit « exclu » (Guilhaumou, Pelen, 2001).

J’ai donc voulu décrire des configurations de sens inédites contribuant à valoriser des sujets émergents. Il s’agit bien de désigner des formes nouvelles de subjectivation et des objets notionnels inédits au moment même où le chercheur prend conscience de ses responsabilités propres. De l’analyse d’un récit à l’autre, enclenché par l’énoncé premier du récit « Je suis né », j’ai tenté de mettre en évidence, à l’aide de fonctionnements linguistiques précis, un mouvement d’ensemble de conquête de l’autonomie discursive. Je me suis donc efforcé de rendre visible un espace de subjectivation dans le co-partage des arguments au sein même de la relation enquêteur-enquêté.

Ainsi, l’analyse discursive des « récits de vie » des dits « exclus » permet de singulariser un trajet narratif, en particulier dans la manière d'user des mots des autres, de déplacer leur signification, de les retourner parfois, et bien sûr de les définir selon un nouvel « ordre des choses ». Plus largement, elle caractérise la capacité et l’espace d'expression des témoins privilégiés de « l'exclusion » contemporaine dans une quête d'autonomie à forte résonance éthique.

L'implication de l’historien linguiste dans l'analyse discursive tend ici à mettre en valeur l'autonomie interprétative des ressources de cet espace discursif particulier, voire à lui donner un tour réaliste par la description conjointe de ses spécificités narratives et argumentatives. Ainsi, à travers la formation d'une identité narrative et argumentative, se forge une logique d'existence caractéristique d'une activité émancipatoire. Il existe donc bien un intérêt émancipatoire dans l'affirmation réflexive du moi au sein de ces « récits de vie ». Cet intérêt fonde les jugements tant de l’enquêteur que de l’enquêté et établit un lien étroit entre le monde moral et le travail singulier de l’esprit que l’on peut désigner sous la notion de raison discursive.

La part de la raison discursive dans l'enquête relève alors, me semble-t-il, du fait que l'analyste du discours ne s'en tient pas à une unique reconstruction narrative des trajets de sujets dits « exclus », et à leur étude comparative. Elle nous renvoie plus spécifiquement aux arguments de l'analyse tels qu'ils sont reconstruits par la prise au sérieux des ressources des coauteurs de l'enquête au sein même de la dynamique pragmatique enclenchée par l'énoncé premier du récit : « Je suis né ». Elle procède d'une reconnaissance réciproque où chacun légitime l'autre à part égale, plus exactement argumente sur les intuitions de l'autre, traduisant ainsi la violence exercée par la société sur les dits « exclus » en une certaine forme de réconciliation discursive. Dans la lignée des stimulantes réflexions de Jean-Marc Ferry (1996), nous considérons ainsi que la reconstruction discursive, opérée par l'analyse des « récits de vie », décentre la narration en tant que telle pour la situer dans un espace d'intercompréhension structuré par des arguments un temps copartagés par les protagonistes de l'échange sur le terrain.

De fait, l'irruption de la parole du dit « exclu », par la médiation du récit confronte en permanence l'enquêteur à une subjectivité si prégnante qu'elle est irréductible à toute vision d'un sujet socialement dépendant. Alors, interpellé par une recherche d'autonomie, l'enquêteur ne se contente pas de laisser s'exprimer les convictions de l'enquêté. Il a sa part de responsabilité dans l'émergence de la dimension universalisante de l'expression personnelle. Il finit par participer activement aux moments producteurs d'arguments dans le cours du trajet des récits.

3.2. La redescription discursive

3.2.1. Le « travail du négatif » : analyse linguistique

Prenons le cas du récit de vie de Yannick, 32 ans, marionnettiste et fondateur à Marseille d'une association de défense des Rmistes, dont nous donnons de courts extraits en annexe. Nous voyons d’emblée se succéder dans son récit une série de propositions négatives, sur la part d'adversité dans sa vie, et de propositions positives porteuses d'émancipation jusqu'au moment où c'est l'enquêteur lui-même, en l'occurrence Jean-Noël Pelen, qui formule l'argument central du trajet narratif. En effet, il pose, à Yannick, en fin de parcours, une question résumant le lien entre la série dédoublée des propositions, « C'est quoi le négatif et le positif ? », pour aboutir, suite à la réponse de Yannick, à un constat émancipatoire à valeur définitoire : « Fondamentalement, pour toi, être exclu c'est être inclus ». Suivons l’analyse linguistique de plus près.

Le mouvement discursif du « récit de vie » de Yannick se construit autour d'une connexion multiforme et d'emblée affirmée (« J'aime pas raconter ma vie, mais à la fois j'aime aussi le faire quoi »), mais conceptualisée tardivement par l'enquêteur sous l'expression: « le négatif et le positif ». Cette connexion diversifiée à l'extrême permet alors le constant déploiement, par l'usage répété de connecteurs entre propositions distinctes, voire même sémantiquement opposées, de l'expression forte d'une subjectivité qui part du « négatif » d'une vie (« Je préfère dire le négatif en premier et le positif après ») pour mieux installer en creux le « positif » d'une construction de l'identité dans l'exclusion ( « J'ai trouvé une identité dans cette exclusion »).

Le choix premier du récit au « négatif », dans les énoncés introductifs au récit que nous venons de citer, s'appuie ainsi sur l'usage fréquent de connecteurs, - surtout et, mais - , qui favorise l'instauration progressive d'un univers de référence basé sur le retournement du négatif dans le positif.

Constatons que c'est avant tout l'usage de mais, en position centrale dans la stratégie des connecteurs (Ducrot, 1980), qui permet, du récit d'un élément de vie à l'autre, de valoriser graduellement la seconde partie des propositions coordonnées, renvoyant ainsi au positif, par la marque des étapes de son émergence progressive. Il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit pas d'affirmer que l'usage répété de connecteurs est significatif en tant que tel, d'autant plus que l'oral se prête bien à la prolifération des connecteurs: c'est leur présence affirmée dans un contexte d'autonomisation discursive, par dégagement du positif dans le négatif, qui en définit leur valeur heuristique.

S'inscrivant désormais dans une vision de la vie qui s'organise autour de l'opposition inclus/exclu, tout en mettant en place le positionnement  de l'inclus dans l'exclu, le récit de vie, à la fois très «sensible » et très « factuel », rend compte, dans le cours de la narration, d'une existence particulièrement bien remplie. Certes, l'enquêté ne va pas jusqu'à la maîtrise explicite du retournement, à la différence d’un autre « récit de vie », celui de Zonpo, parce qu'il revient à l'enquêteur lui-même de thématiser ce retournement en fin de récit, mais il fournit le faisceau d'éléments susceptibles de permettre l'expression finale de ce retournement.

Le cheminement argumentatif de Yannick peut alors se résumer succinctement dans la double séquence d'énoncés thématisés suivante : /être fils de..., c'est être français moyen, c'est s'ennuyer/ vs /être exclu, c'est trouver, par son énergie propre, une identité dans l'exclusion/.

Enfin, c'est l'enquêteur, nous l'avons déjà dit, qui formule, thématise, en fin de parcours, le retournement à partir d'une expression généralisant l'usage des connecteurs :

La réitération de la copule c'est, selon une gradation d'un simple présentatif sous forme interrogative (C'est quoi X ?) à une thématisation contrastive (C'est dans X que) et définitoire ( X c'est Y), marque ici la transition finale vers une présentation « positive » multiforme de l'identité dans l'exclusion. Ainsi l'enquêteur en vient à thématiser « la marge » par une double opération discursive d'extraction ( Berthoud, 1992) et de définition (Riegel, 1990): il généralise ainsi « l'identité positive » de Yannick issue d'un retournement du négatif initial.

En définitif, ce « récit de vie » constitue un mouvement discursif basé sur un choix d'exposition narrative initiale (« le négatif ») permettant de présenter le récit de vie dans sa subjectivité même. Le « négatif » dont il est question ici, véritable figure de rhétorique, n'est-il pas ce que les littéraires appellent le travail du négatif, en d'autres termes « la modalité subjective du mouvement » (Bergougnioux, 1991) ? Le « récit de vie » de Yannick serait en quelque sorte une source préparatoire à un récit littéraire plus élaboré. De fait j’ai appris, une fois cette analyse terminée, que Yannick avait actuellement un activité autonome d’écriture.

Nous pouvons alors parler de façon générale d'une raison discursive à la fois instituante d'une parole d'émancipation pour le dit « exclu », et copartagée avec l'enquêteur dans un espace communicatif, intersubjectif.

3.2.2. La co-construction discursive

En fin de compte, dans cette enquête, nous avons aussi rencontré des acteurs émergents au sein du champ de la lutte contre l'exclusion, donc engagés dans le mouvement des Sans. J’y ai reconnu une fois de plus l’espace du porte-parole, figure située au centre de mes recherches historiques et de mes interrogations contemporaines (1998a et b).

Au sein du corpus des récits de vie, un très bel exemple est celui de Patrick, dit Nounours, un des initiateurs du Mouvement Action anti-Chômage de Marseille. Il se présente vraiment comme « le porte-voix des zonards » pendant la Marche contre le chômage et l'exclusion de 1994. Certes il conserve le mot de leader, mais pour en subvertir sa part de pouvoir habituellement attribuée par la classe politique : « Quand je dis leader, ça me fait chier parce que je n'en suis pas un. [...] Leader, c'est un mec qui est anarchiste, qui arrive à faire marcher des trucs sans qu'il ait du pouvoir ». Il préconise en quelque sorte la dispersion du leader : « Il faut plein de gens qui aient un tout petit pouvoir ou qui soient leaders ». Leader est entendu ici au sens de l'homme d'action suscitant la mise en mouvement de citoyens au départ rendus passifs par leur adversité. Présentement, il s'agit bien d'un porte-parole qui se désigne comme tel. Avec le cas de Yannick déjà évoqué, il s’agissait aussi d’une position de porte-parole, mais plus nettement ancrée dans le copartage progressif des arguments entre l'enquêteur et l'enquêté.

Insistons finalement sur ce qui fait, pour nous, le propre de l'attitude éthique de l’analyste du discours : la mise en valeur de l'activité du moi, de l’espace conféré à l’individu comme être libre, déterminant et autonome, donc porteur d’un intérêt émancipatoire.

En s'intuitionnant comme actif dans un mouvement subjectif vers l’autonomie, le dit « exclu » peut affirmer « vivre avec les gens », c’est-à-dire agir avec eux dans le but de « la prise en charge des gens par eux-mêmes », selon les termes de Patrick. Le copartage devient ainsi inhérent à l'action dans le mouvement. Il en est de même, nous semble-t-il, dans la dimension pragmatique du « récit de vie » : l'enquêteur est, selon une part à définir, à la fois coauteur et coacteur des arguments de la narration qu'il enregistre. La raison ethnographique définit le chercheur lui-même comme un produit de l’histoire observée, dans sa position de co-auteur saisi par la rencontre avec l’Autre. La raison discursive nous introduit alors de manière complémentaire à un « récit de vie » où l’observateur-enquêteur a sa part de co-acteur, donc exerce directement sa responsabilité dans ce qui fait sens au sein même du « récit de vie » (Guilhaumou, Pelen, 2001).

Précisons enfin que le mode d'implication du chercheur dans l'enquête de terrain auprès des dits « exclus » sur la base de leur « récit de vie » – suite d'événements singuliers non dénués de préoccupations universalistes – interdit d'objectiver l’espace des représentations que chacun se donne de lui-même et des autres, et tout autant celles de l'enquêteur dans sa manière de suivre « le récit de vie » en le relançant à tout moment, que celles du sujet de « l’exclusion » en quête d'autonomie discursive.

C'est aussi pourquoi cette enquête discursive sur les acteurs du champ de l'exclusion a débouché sur la visibilité d’un espace de réciprocité entre les individus dits « exclus », y compris leurs porte-parole, et les chercheurs qui, tout en co-partageant la responsabilité éthique de leurs actions émancipatrices, n’en sont pas les porte-parole. Espace de réciprocité qui nous renvoie à la tradition civique du geste démocratique, au devenir-sujet des citoyennes et des citoyens. Mais c’est là s’engager dans une autre voie de recherche que nous avons exploré, conjointement avec le sociologue André Donzel, dans le cas marseillais (A. Donzel, J. Guilhaumou, 2001).

Le chercheur ne doit pas seulement jouer, sur le terrain de ses expérimentations empiriques en analyse de discours, le rôle d'un témoin objectif et scientifique, ni celui d’un militant engagé : il n'est aussi et surtout qu'un sujet parmi d'autres au sein d'une expérience copartagée où, observateur, il est lui-même observé. Certes il est un membre de la société en position scientifique légitime. Pour autant, il lui revient de réduire la distance sociale au dit « exclu » par le fait d’expérimenter la centralité d’un mouvement d’émancipation mis en place dans le fait même de la co-construction discursive.


4. En guise de conclusion

Au sein d’un tel espace de co-partage, la notion de formation discursive peut-elle encore conserver une place ? Dans un premier temps, nous avons eu tendance à considérer sa disparition sur le devant de la scène discursive comme définitive, tout en laissant ainsi une place vide sans cesse remplie par quelque chose qui existe et quelqu’un qui parle – en l’occurrence l’existence d’un sujet empirique – à l’horizon d’une situation sociale donnée. Mais, à bien y réfléchir, la formation discursive peut désigner ce quelque chose en tant que genre discursif le plus élevé, dans la mesure où ce quelque chose s’avère être un sujet approprié pour la pensée et le discours, la réalité et le langage, donc s’inscrit dans un horizon donné, en l’occurrence la quête sociale de l’émancipation humaine. Plus simplement, la notion de formation discursive renverrait, dans une perspective nominaliste (Kaufmann, Guilhaumou, 2003), à la nécessaire médiation de l’ordre du discours entre la réalité et la pensée : un ordre du discours qui marque ainsi fortement sa présence au sein du lien entre le réalité et l’esprit.

Parler de formation discursive pour rendre compte de la régularité d’énoncés dispersés et hétérogènes, au sens de Michel Foucault, reviendrait alors à mettre l’accent sur le mode originel et non séparé d’existence de la pensée et du discours. La formation discursive serait alors le genre auquel appartient tout sujet, tout objet et tout concept apte à signifier l’existence conjointe de la réalité de la pensée et du discours, par le fait de l’existence empirique des phénomènes langagiers. Nous sommes au plus près de l’univers des dicibles, c’est-à-dire à la charnière de l’usage des mots, donc de leur utilité, et de leur lien à la pensée, donc de leur vérité. Ce qui est dit d’un sujet singulier sous un concept particulier n’est pas séparable de ce qui peut en être dit dans des circonstances empiriques données. Il est bien quelque chose qui peut être dit au sujet d’un corps humain de façon ontologique, donc de manière distincte, tout en restant ancré dans la réalité de la langue [11].

S’il importe de s’interroger sur l’essence des mots du discours, c’est-à-dire sur leur dimension ontologique, donc d’en signifier l’ancrage référentiel dans la seule réalité de l’individu empirique, il convient tout autant de marquer leur existence même dans une telle connexion empirique entre la réalité et le discours. La notion de formation discursive pourrait alors désigner l’ensemble réglé des noms particuliers attachés à la généralité d’un discours ; elle nous rappellerait sans cesse que le discours procède à la fois de la particularité des individus parlants et de la généralité de leur production langagière commune.


ANNEXE

Yannick, entretien avec Jean-Noël Pelen, extraits

Mesini B., Pelen J.-N., Guilhaumou J., (2004), p. 121-139.

Yannick : Moi c’est pas difficile, c’est un truc que je fais rarement, j’aime pas raconter ma vie. Mais à la fois j’aime bien aussi le faire.[…] J’ai toujours été exclu des autres, quoi. A la fois exclu et à la fois comme le clochard qu’on a reconnu. J’ai trouvé une identité dans cette exclusion malgré que j’était français moyen. J’avais rien qui m’excluait, mais j’ai toujours été à part […] J’ai l’impression qu’on m’a toujours sous-estimé par rapport à ce que je valais vraiment, sous-évalué […] Etre exclu, c’est trouver, par son énergie propre, une identité dans l’exclusion […] Le côté positif aussi c’est que j’ai eu beaucoup d’aventures amoureuses […]
J’ai commencé par raconter toute ma vie côté négatif. Je préfère dire tout le côté négatif d’abord pour ressortir le côté positif. Et ça c’est de la modestie, de la fausse modestie que j’aime bien avoir. Mais je préfère passer pour un con au début et après paraître plus intelligent que j’en ai l’air. Montrer le bien et s’imaginer. C’est pas question de paraître, c’est…

Jean-Noël : Moi je juge ni l’un ni l’autre

Yannick : Oui je sais que tu juges pas, mais même, je préfère toujours dire le négatif en premier et le positif après. Mais quand même la sexualité, c’est quand même la partie incontrôlée de la vie, c’est quand même ce qui fait la colonne vertébrale de ma vie. […]
J’ai toujours été placé malgré moi dans la revendication. Quand j’étais à l’école, au lycée, j’étais élu chef de classe par mes copains, et je me suis mis dans un rôle qui m’a fait détester des professeurs […] J’ai toujours aimé observer et dire ce qui n’allait pas, et être clair et net, et pas être hypocrite. Et j’ai toujours été exclu à cause de ça, parce que j’observe et je dis ce qui ne va pas […] J’ai toujours été exclu. Je me suis toujours mis dans l’exclusion. Pas dans l’exclusion mais dans la revendication et dans ne pas suivre. […]

Jean-Noël : Quand tu dis que tu avais décrit le négatif en premier, le positif en second, c’est quoi le négatif et le positif .

Yannick : Le négatif c’est la base négative de ma vie : ce que j’ai mal vécu, ce dont je suis le moins fier, tout ce qui m’a amené aussi un peu une déprime au fond, que j’ai depuis longtemps. Le négatif, c’est ça : c’est avoir des choses qu’on peut pas dire vraiment à tout le monde. C’est ce qui est vécu négativement par les autres et pour moi-même aussi. Et le positif c’est ce qui fait la fierté dans l’entourage social, ce qu’on peut dire et qui apporte de la signification.[…]. D’ailleurs pour les exclus, je suis un bourgeois, parce que j’ai plus une attitude bourgeoise, une façon de parler un peu bourgeoise, d’ailleurs quand je suis avec des exclus, un langage plus cohérent et plus policé, et quand je suis avec les bourgeois, j’ai plus un langage d’exclu. Je joue souvent le contre-rôle, je joue toujours ce même rôle […]

Jean-Noël : Est-ce que tu te sens exclu ?

Yannick : Non, je me sentais beaucoup plus exclu dans l’enfance, alors que j’étais pas du tout exclu […] Je me suis plus du tout senti exclu quand j’ai vécu justement un peu en marge. Je me suis plus senti intégré dans la société quand j’étais soi-disant en marge de la société que quand j’étais complètement dans la société.

Jean-Noël : C’est dans la marge que tu as trouvé ton identité positive.

Yannick : Positive, voilà. […] C’est un paradoxe, mais c’est ça. Et je fais plus bouger la société comme ça, en étant dans l’exclusion qu’en étant dans la société.

Jean-Noël : Finalement pour toi, être exclu, c’est être inclus ?

Yannick : Voilà, c’est ça. C’est le pouvoir du remplaçant. C’est le côté positif du remplaçant […]

Jean-Noël : Ca veut dire quoi « les exclus » pour toi ? Tu parles d’exclusion, c’est quoi les exclus, ça existe ?

Yannick : Oui ça existe. C’est ceux qui se considèrent comme exclus, ceux qui se disent : « Je suis exclu » […] C’est mental.


NOTES

[1] Jeune chercheur, j’ai participé aux travaux préparatoires de cet ouvrage, dont le contrat chez Armand Colin a été initialement cosigné par Régine Robin et moi-même. Mais j’ai dû renoncer à cette collaboration pour me consacrer entièrement au concours de l’agrégation.

[2] Etienne Balibar, dans la préface à la réédition de Pour Marx (1996), a souligné le fait que la définition althusserienne de l’idéologie n’a au fond jamais varié. Elle a toujours désigné « la forme de conscience et d’inconscience, de reconnaissance et de méconnaissance, dans laquelle les individus vivent imaginairement leur rapport à leurs conditions d’existence » (p. X).

[3] J’avais notifié (1975a) pour ma part ce déplacement dans mon premier article « synthétique » publié dans le même numéro de Dialectiques, sous le titre de ma thèse de 3ème cycle en cours, Idéologies, discours et conjoncture en 1793 (1978). En le sous-titrant Quelques réflexions sur le jacobinisme, je désignais alors une thématique, le jacobinisme, que je n’ai jamais abandonnée depuis, y compris dans son rapport au marxisme, comme le prouve le titre d’un article récent (2002b), « Jacobinisme et marxisme : le libéralisme politique en débat ».

[4] Voir la troisième partie.

[5] Cette formulation théorique se traduira dans nos premières études empiriques sur les porte-parole jacobins par contraste avec la parole dominante des acteurs légitimés a priori, et devait nous mener à un intérêt particulier pour la parole des sans (1991, 1992, 1998a et b). C’est en effet au cours des années 1980 que nous menons à bien une vaste enquête dans les archives sur les « missionnaires patriotes » avec l’objectif de restituer les ressources interprétatives de ses acteurs distincts des notables jacobins, avant d’en venir, suite aux événements de 1995, à nous intéresser aux porte-parole du mouvement social.

[6] A une exception notable cependant, celle de Marc Deleplace dans son article de 1996, et auteur par ailleurs d’un ouvrage en histoire du discours sur la notion d’anarchie (2000).

[7] C’est l’époque où, tout à la fois, nous menons à terme nos recherches sur la question des subsistances au 18ème siècle et sur la propagation des mots d’ordre dans la description discursive en 1793 autour d’événements majeurs, par exemple la mort de Marat, tout en les publiant sur une longue période (1984b, 1986, 1989, 2000).

[8] Loin de nous donc l’idée de révoquer la référence au marxisme. Au contraire, la tradition marxiste elle-même prend valeur de dimension interprétative en amont de ses premières formulations - dans le trajet de la Révolution française au jeune Marx - par le fait notifié de la traductibilité entre le langage politique française et la philosophie pratique allemande, comme nous l’avons indiqué dans un article-bilan de 1996, significativement intitulé « Révolution française et tradition marxiste : une volonté de refondation ».

[9] Voir sur ce point, notre réflexion, présenté conjointement par Sonia Branca-Rosoff, André Collinot, Francine Mazière et nous-même, sur « Questions d’histoire et de sens » (1995).

[10] J’ai choisi d’introduire cette recherche la première personne, dans le but d’individualiser ma démarche au plus proche du matériau de l’enquête, au sein d’un champ de recherche balisé par d’autres approches plus en prise directes sur le terrain de l’enquête.

[11] A ce titre se pose le problème de la place de l’analyse de discours dans une tentative d’unifier les problématiques de la signification en sciences du langage, pour reprendre une formule de François Rastier (1991). Si les questions logiques nous renvoient vers la référence, la pragmatique du côté de l’inférence, et la sémantique du côté de la différence, le discours ne pose-t-il pas le problème de la co-référence, par le fait d’établir une connexion entre ce qui fait différence dans l’usage discursif et ce qui fait référence dans la réalité, à l’encontre de tout questionnement inférentiel ? Reste à reformuler, dans ce cadre, le caractère foncièrement interprétatif de l’analyse de discours, compte tenu de l’importance du questionnement herméneutique en son sein. Il convient ici, nous semble-t-il, de privilégier le parcours interprétatif des notions en usage dans le discours sur leur valeur tant référentielle que différentielle, donc d’en revenir au phénomène de la  co-construction.


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© Texto! juin 2004 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : GUILHAUMOU, Jacques. Où va l’analyse de discours ? Autour de la notion de formation discursive. Texto ! juin 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Guilhaumou_AD.html>. (Consultée le ...).