Rossitza Kyheng : Hjelmslev et le concept de texte en linguistique


ANNEXE : Le corpus PTL

1. Note technique

Composition du corpus : L'ouvrage fondamental où Hjelmslev expose sa « théorie du langage » est, on le sait, Prolégomènes à une théorie du langage (cf. Hjelmslev 1971). Dans le but d'objectiver notre recherche nous avons numérisé cet ouvrage de chapitre 1 au chapitre 23 (p. 8-160), et la liste des Définitions (p. 164-169). La composition du corpus suit la composition linéaire de l'ouvrage.

Préparation du corpus : Les opérations préparatoires sur ce corpus consistaient en : correction orthographique des erreurs de numérisation ; balisages des paratextes (titres), des intratextes (notes qui ont été intégrées à leurs places respectives) ; balisage et conversion au besoin des exemples en langue étrangère à écriture non latine (grec).

Description technique du corpus: Le corpus, issu de la numérisation de 158 pages, d'une taille de 284 Ko, contient 46 858 formes relatives à 3410 lemmes, dont 1394 en hapax (cf. fig.1). La moyenne des fréquences remonte à 14 occurrences par lemme (=13, 74).

Fig. 1 : Distribution des formes.

Traitements lexicométriques : Les traitements lexicométriques du corpus ainsi constitué ont été effectués par les logiciels Hyperbase et Cordial.


2.
Échantillon : micro-corpus «Texte»

&&&1. RECHERCHE LINGUISTIQUE ET THEORIE DU LANGAGE&&&

  1. On a depuis longtemps compris qu'à côté de la philologie, qui voit dans l'étude de la langue et de ses textes le moyen de parvenir à une connaissance littéraire et historique, il y a place pour une linguistique qui fait le but même de cette étude.

&&&2. THEORIE DU LANGAGE ET HUMANISME&&&

  1. Une description purement discursive des événements linguistiques n'a que peu de chances d'éveiller un grand intérêt ; aussi un point de vue systématique qui s'est toujours imposé dans l'étude du langage s'y est-il adjoint : en effet, à travers le processus tel qu'il est réalisé dans le texte, on recherche un système phonologique, un système sémantique et un système grammatical.

&&&3. THEORIE DU LANGAGE ET EMPIRISME&&&

&&&4. THEORIE DU LANGAGE ET INDUCTION&&&

  1. Si l'on veut partir des données supposées de l'expérience; c'est précisément le procédé inverse qui s'impose. Si l'on veut parler des données (nous laissons cela comme une condition dans le sens épistémologique), ces données sont, pour le linguiste, le texte dans sa totalité absolue et non analysée.

  2. Le seul procédé possible pour dégager le système qui sous-tend ce texte est une analyse

  3. qui considère le texte comme une classe analysable en composantes, et ainsi de suite jusqu'à l'exhaustion des procédés d'analyse. On peut définir brièvement ce procédé comme un passage de la classe à la composante, et non comme la démarche inverse.

&&&5. THEORIE DU LANGAGE ET REALITE&&&

&&&6. BUT DE LA THEORIE DU LANGAGE&&&

  1. Le théorie du langage s'intéresse à des textes,

  2. et son but est d'indiquer un procédé permettant la reconnaissance d'un texte donné

  3. au moyen d'une description non contradictoire et exhaustive de ce texte.

  4. Mais elle doit aussi montrer comment on peut, de la même manière, reconnaître tout autre texte de la même nature supposée

  5. en nous fournissant les instruments utilisables pour de tels textes.

  6. Nous exigeons par exemple de la théorie du langage qu'elle permette de décrire non contradictoirement et exhaustivement non seulement tel texte français donné,

  7. mais aussi tous les textes français existants,

  8. et non seulement ceux-ci mais encore tous les textes français possibles et concevables – même ceux de demain, même ceux qui appartiennent à un avenir non défini –

  9. aussi longtemps qu'ils seront de même nature supposée que les textes considérés jusqu'ici.

  10. La théorie du langage satisfait à cette exigence en s'appuyant sur les textes français existants;

  11. leur étendue et leur nombre sont tels qu'il lui faut en fait se contenter d'un choix de ces textes.

  12. Or, grâce à nos instruments théoriques, ce simple choix de textes permet de constituer un fond de connaissances

  13. qui pourra à son tour être appliqué à d'autres textes.

  14. Ces connaissances concernent bien sûr les processus ou les textes d'où elles sont tirées; mais ce n'est pas là leur intérêt unique et essentiel :

  15. elles concernent aussi le système, ou la langue d'après laquelle est construite la structure de tous les textes d'une même nature supposée, ce qui nous permet d'en construire de nouveaux.

  16. Grâce aux connaissances linguistiques ainsi acquises, nous pourrons construire, pour la même langue, tous les textes concevables ou théoriquement possibles.

  17. Toutefois, il ne suffit pas que la théorie du langage permette de décrire et de construire tous les textes possibles d'une langue donnée;

  18. il faut encore que, sur la base des connaissances que contient la théorie du langage en général, elle puisse faire de même pour les textes de n'importe quelle langue.

  19. Encore une fois le théoricien du langage ne peut satisfaire à cette exigence qu'en prenant pour point de départ un choix restreint de textes appartenant à différentes langues.

  20. Parcourir tous les textes existant est naturellement humainement impossible, et serait du reste inutile,

  21. puisque la théorie doit être tout aussi valable pour des textes qui ne sont pas encore réalisés.

  22. Le linguiste, comme tout autre théoricien, doit donc avoir la-précaution de prévoir toutes les possibilités concevables, y compris celles qui sont encore inconnues et celles qui ne sont pas réalisées. Il doit les admettre dans la théorie de telle façon que celle-ci soit applicable à des textes et à des langues qu'il n'a pas rencontrés, et dont certains ne seront peut-être jamais réalisés.

  23. Tous les objets ainsi définis sont alors soumis à un calcul général qui prévoit tous les cas concevables. Ce calcul, déduit à partir de la définition posée et indépendamment de toute référence à l'expérience, fournit l'outillage qui permet de décrire ou de reconnaître un texte donné et la langue sur laquelle il est construit.

  24. La théorie du langage ne peut être ni vérifiée, ni confirmée, ni infirmée, par le recours aux textes et aux langues dont il s'agit.

  25. Si le calcul permet d'établir plusieurs procédures possibles conduisant toutes à la description non contradictoire et exhaustive d'un texte et d'une langue quelconques, on doit choisir parmi ces procédures celle qui assure la description la plus simple.

&&&7. PERSPECTIVES DE LA THEORIE DU LANGAGE&&&

&&&8. LE SYSTÈME DE DEFINITIONS&&&

&&&9. PRINCIPE DE L'ANALYSE&&&

  1. En partant du texte comme donnée et en cherchant à indiquer la voie pour une description non contradictoire et exhaustive de celui-ci à travers une analyse — un passage déductif de classe à composante et composante de composante (cf. chapitres 4 et 6) —, il faut que les niveaux les plus profonds du système de définitions de la théorie du langage (cf. chapitre 8) traitent du principe de cette analyse, déterminent sa nature et les concepts qui y entrent.

  2. Comme le choix d'une base d'analyse dépend de son adéquation (par rapport aux trois exigences contenues dans le principe d'empirisme), ce choix variera selon les textes.

  3. Puisque c'est à l'analyse d'un texte que nous nous intéressons pour l'instant, c'est le processus qui retiendra notre attention, et non le système.

  4. Il est facile de trouver des solidarités dans les textes d'une langue donnée.

  5. Il peut y avoir sélection entre une préposition et son régime : ainsi entre sine et l'ablatif, sine supposant la coexistence d'un ablatif dans le texte, alors que l'inverse n'est pas vrai.

  6. On devrait donc considérer comme certain qu'un texte et n'importe laquelle de ses parties sont analysables en parties définies par des dépendances de cette nature.

&&&10. FORME DE L'ANALYSE&&&

  1. L'analyse consiste donc en fait à enregistrer certaines dépendances ou certains rapports entre des termes que, selon l'usage consacré, nous appellerons les parties du texte, et qui existent justement en vertu de ces rapports et seulement en vertu d'eux.

  2. Que ces termes soient appelés parties et tout le procédé analyse est dû au fait qu'il existe aussi des rapports entre ces termes et la totalité (c.-à-d. le texte) dans laquelle ils sont dits entrer; rapports dont l'analyse doit aussi rendre compte au même titre.

  3. Le facteur particulier qui caractérise la dépendance entre la totalité et les parties, qui la différencie d'une dépendance entre la totalité et d'autres totalités et fait que les objets découverts (les parties) peuvent être considérés comme intérieurs et non extérieurs à la totalité (c.-à-d. au texte), semble être l'homogénéité de la dépendance : toutes les parties coordonnées résultant de la seule analyse d'une totalité dépendent de cette totalité d'une façon homogène.

  4. Cette homogénéité caractérise aussi la dépendance entre les parties; en analysant par exemple un texte en propositions, dont on distingue deux espèces (définies par une dépendance spécifique réciproque) : principale et subordonnée, nous nous trouverons toujours – à condition de ne pas pousser plus loin l'analyse – en présence de la même dépendance entre la principale et la subordonnée quelles que soient les propositions considérées: il en est de même pour le rapport entre un thème et son suffixe de dérivation, entre la partie centrale et la partie marginale d'une syllabe et pour tous les autres cas.

  5. Le première tache de l'analyse consiste donc à effectuer une division du processus. Le texte est une chaîne et toutes les parties (propositions, mots, syllabes, etc.) sont également des chaînes, à l'exception de parties irréductibles qui ne peuvent être soumises à l'analyse.

  6. L'exigence d'exhaustivité interdit de s'en tenir à une simple division du texte ; mais les parties qu'elle discerne devront à leur tour être divisées, et ainsi de suite jusqu'à l'épuisement de la division. Nous avons défini l'analyse de telle sorte que rien n'y indique si elle est simple ou continue; une analyse (et donc aussi une division) ainsi définie peut contenir une, deux ou plusieurs analyses; le concept d'analyse (ou de division) est un « dépliant ».

  7. En outre, on peut maintenant considérer que la description de l'objet donné (c.-à-d. le texte) n'est pas épuisé par une division continue, même menée à son terme, à partir d'une seule base d'analyse, mais que l'on peut élargir la description, c'est-à-dire enregistrer de nouvelles dépendances, par de nouvelles divisions effectuées sur d'autres base d'analyse. Nous parlerons alors de complexe d'analyses, ou complexe de divisions, c'est-à-dire de classe d'analyses (ou divisions) d'une seule et même classe (ou chaîne).

  8. L'analyse exhaustive du texte aura alors la forme d'une procédure qui se compose d'une division continue ou d'un complexe de divisions dans lequel chaque opération consistera en une simple division minimale.

  9. Si la procédure adoptée comporte à la fois analyse et synthèse, le rapport de présupposition existant entre elles apparaîtra toujours comme une détermination où la synthèse présuppose l'analyse, et non l'inverse. Ceci résulte naturellement du fait que la donnée immédiate est une totalité non analysée (le texte, cf. chapitre 4).

  10. Si nous admettons qu'un texte s'analyse, à un moment donné, en groupes de syllabes, qui sont alors analysés en syllabes, qui à leur tour sont analysées en parties de syllabes, dans un tel cas, les syllabes seront des dérivés des groupes de syllabes, et les parties de syllabes seront des dérivés et des groupes de syllabes et des syllabes.

&&&11. FONCTIONS&&&

  1. Nous pourrons dire qu'une grandeur à l'intérieur d'un texte ou d'un système a des fonctions données et nous approcher ainsi de l'emploi logico-mathématique, en exprimant par là : premièrement que la grandeur considérée entretient des dépendances ou des rapports avec d'autres grandeurs, de sorte que certaines grandeurs en présupposent d'autres, et deuxièmement que, mettant en cause le sens étymologique du terme, cette grandeur fonctionne d'une manière donnée, remplit un rôle particulier, occupe une « place » précise dans la chaîne.

  2. C'est sur elle que se fonde la distinction entre processus et système : dans le processus, dans le texte, se trouve un et... et, une conjonction, ou une coexistence entre les fonctifs qui y entrent.

  3. Ces grandeurs sont des chaînes qui entrent dans le processus de la langue (le texte); r et m, a et i, t et s, pris deux à deux, constituent au contraire des paradigmes qui entrent dans le système de la langue.

  4. En un sens, on peut admettre que ce sont les mêmes grandeurs qui entrent dans le processus (le texte) et dans lesystème linguistiques : considéré comme une partie (dérivé) du mot rat, r entre dans un processus et par conséquent dans une conjonction, alors que, considéré comme un membre (dérivé) du paradigme
    r

    m

    il entre dans un système et donc dans une disjonction.

  5. Nous trouvons des désignations commodes et traditionnelles d'un processus et d'un système dans les termes syntagmatique et paradigmatique. Quand il s'agit de la langue naturelle parlée, qui seule nous intéresse pour l'instant, nous pouvons employer des termes plus simples : nous appellerons ici le processus un texte, et le système une langue. Un processus et le système qui le sous-tend contractent une fonction mutuelle qui, selon le point de vue adopté, peut être considérée comme une relation ou comme une corrélation. Un examen approfondi de cette fonction montre aisément que c'est une détermination dont le système est la constante : le processus détermine le système.

  6. Il est donc impossible d'avoir un texte sans qu'une langue le sous-tende.

  7. Une langue peut, au contraire, exister sans qu'il se trouve de texte construit dans cette langue. Cela veut dire que cette langue est prévue par la théorie du langage comme un système possible, sans qu'aucun processus correspondant en ait été réalisé . Le processus textuel est virtuel . Cette remarque nous oblige de définir la réalisation.

  8. S'il n'existe qu'une langue (système), prévue comme possible par la théorie, mais aucun texte (processus) correspondant, naturel ou construit par le théoricien d'après le système,

  9. on peut affirmer la possibilité de l'existence de tels textes, mais on ne peut en faire l'objet d'une analyse particulière.

  10. Nous dirons donc dans ce cas que le texte est virtuel.

  11. Mais un texte, même purement virtuel, présuppose un système linguistique réalisé, au sens de la définition. D'un point de vue réaliste, cette situation vient du fait qu'un processus a un caractère plus « concret » qu'un système, et un système un caractère plus « fermé » qu'un processus.

&&&12. SIGNES ET FIGURES&&&

  1. On peut remarquer une particularité des grandeurs qui résultent d'une déduction ; nous dirons, provisoirement, qu'une phrase peut être composée d'une seule proposition et une proposition d'un seul mot. Cette caractéristique se rencontre dans les textes les plus variés.

  2. Si le texte est illimité, c'est-à-dire si on peut constamment y ajouter, comme ce sera le cas pour une langue vivante, on pourra enregistrer un nombre illimité de phrases, de propositions et de mots.

  3. Nous nous en tiendrons là, et essaierons, sur cette base fragile, de décider dans quelle mesure la proposition selon laquelle un langage est un système de « signes » est vraie. Dans ses tout premiers stades, la tentative d'analyse d'un texte semble confirmer pleinement cette proposition.

  4. Et, selon le point de vue fondamental que nous avons adopté d'une analyse continue sur la base des fonctions dans le texte, il n'existe pas de significations reconnaissables autres que les significations contextuelles.

  5. Toute signification de signe naît d'un contexte, que nous entendions par là un contexte de situation ou un contexte explicite, ce qui revient au même ; en effet, dans un texte illimité ou productif (une langue vivante, par exemple), un contexte situationnel peut toujours être rendu explicite.

&&&13. EXPRESSION ET CONTENU&&&

  1. Si, dans l'analyse du texte, on omettait de considérer la fonction sémiotique, on ne pourrait pas délimiter les signes,

  2. et on ne pourrait absolument pas faire de description exhaustive du texte — par conséquent pas empirique non plus au sens où nous l'entendons — en respectant les fonctions qui l'établissent (cf. chapitre 9). On serait en somme dépourvu de critère objectif utilisable comme base d'analyse.

  3. Tout signe, tout système de signes, tout système de figures au service des signes, toute langue enfin renferme en soi une forme de l'expression et une forme du contenu. C'est pourquoi l'analyse du texte doit, dans son tout premier stade, conduire à une division en ces deux grandeurs.

  4. Si un texte comprend, par exemple, et des phrases et des propositions, on peut montrer que le nombre des propositions est plus élevé que celui des phrases.

  5. On ne doit donc pas s'aventurer de prime abord à diviser le texte en propositions, mais bien le diviser en phrases, et passer ensuite à la division en propositions.

  6. Si l'on s'attache à ce principe, on s'apercevra qu'au premier stade un texte est toujours divisible en deux parties ; ce nombre extrêmement faible leur garantit l'étendue ,maximale, et ce sont la ligne de l'expression et la ligne du contenu qui, de part la fonction sémiotique, sont solidaires l'une de l'autre.

&&&14. INVARIANTES ET VARIANTES&&&

  1. <NOTE>[Sous sa dernière forme, la théorie présuppose sur ce point une analyse approfondie du concept d'identité linguistique. Il en a été traité de plusieurs points de vue dans des textes récents (par exemple par F. de Saussure, Cours, 2 éd., p. 150 sqq., et, sur la base de la hiérarchie des types de Russell, par A. Penttilä (Actes du IVe Congrès international de linguistes, Copenhague, 1938, p. 160 sqq.)en accord avec U. SAARNIO, Untersuchungen air symbolischen Logik (Acta philosofica Fennica I, Helsingfors, 1935) ; et par Penttilä et Saarnio dans Erkenntnis IV, 1934. 28 sqq.).Les résultats provisoires qui ont été obtenus suffisent àmontrer combien il est difficile d'arriver à la méthode par définitions formelles, et qu'il est plus simple d'y parvenir au moyen du concept de réduction. On peut donc ici écarter le problème de l'identité comme une complication superflue.]</NOTE>

  2. Soit un texte divisé en phrases qui sont divisées en propositions, elles-mêmes divisées en mots ;

  3. si l'on dresse un inventaire dans chaque division, on pourra toujours constater qu'il y a en plusieurs endroits du texte la « même » phrase, la « même » proposition, le « même » mot : on peut donc dire que chaque phrase, chaque proposition et chaque mot apparaissent en plusieurs exemplaires.

  4. La ressemblance consiste en ce qu'aucune des deux écoles ne reconnaît que la condition nécessaire à l'établissement d'un inventaire est une analyse fonctionnelle du texte.

  5. Imaginons que, au stade de l'analyse du texte où certaines chaînes (comme, par exemple, des expressions de mots dans une langue de structure courante) sont divisées en syllabes, on enregistre les syllabes suivantes : sla, sui, slai, sa, si, sai, la, li, lai.

  6. Dans les exemples auxquels nous avons eu recours précédemment (division de phrases en propositions, et de propositions en mots ; division de groupes de syllabes en syllabes, et ces dernières en parties de syllabes, et partant de là en plus petites figures), nous avons provisoirement agi selon les conceptions traditionnelles comme si le texte ne consistait qu'en une ligne de l'expression ;

  7. nous sommes amenés à comprendre (cf. chapitre 13) qu'après la division du texte en ligne de l'expression et ligne du contenu, ces deux lignes doivent se diviser chacune selon un principe commun.

  8. L'enregistrement de la relation entre la corrélation de l'expression et celle du contenu doit donc être effectuée dans les deux plans pour toutes les grandeurs du texte.

&&&15. SCHEMA ET USAGE LINGUISTIQUES&&&

&&&16. VARIANTES DANS LE SCHEMA LINGUISTIQUE&&&

  1. Si l'on admet la transitivité de la spécification, l'articulation en variantes est en principe illimitée. Mais, en outre, l'articulation en variantes est, quoique épuisable, illimitée à chaque stade particulier, car le nombre de variantes sera toujours illimité dans un texte illimité et le nombre d'articulations particulières possibles grâce auxquelles l'articulation des variantes peut être épuisée sera donc aussi illimité, même pour un stade particulier.

&&&17. FONCTION ET SOMME&&&

  1. Pour les catégories d'invariantes, cette corrélation est une commutation ; pour la catégorie de variantes, c'est une substitution. De même, nous pouvons constater dans la syntagmatique (ou texte, processus linguistique) l'existence de diverses unités à relation mutuelle et qui sont chacune établie par la relation entre leurs parties

&&&18. SYNCRETISME&&&

&&&19. CATALYSE&&&

  1. Dans la pratique, la catalyse est une condition nécessaire à l'effectuation de l'analyse. L'analyse du latin doit, par exemple, conduire à reconnaître que la préposition sine sélectionne (régit) l'ablatif (cf. chapitre 9), ce qui veut dire, selon nos définitions, que la présence d'un ablatif dans le texte est une condition nécessaire à la présence de sine (et non l'inverse).

  2. Il est évident que l'on ne peut arriver à une telle constatation sur la seule base d'une observation mécanique des grandeurs que l'on rencontre en fait dans les textes.

  3. On peut fort bien imaginer qu'il existe un textesine se trouve sans ablatif,

  4. notamment si, pour une raison quelconque, le texte est interrompu ou inachevé (inscription amputée, fragment, énoncé oral ou écrit incomplet). L'enregistrement de toute cohésion suppose nécessairement d'avance l'élimination de cette sorte d'accidents de la parole.

  5. Or, les faits susceptibles de faire obstacle à l'enregistrement mécanique des cohésions dans les textes ne se limitent pas à ces perturbations accidentelles.

  6. En présence d'un texte latin qui s'interrompt sur un sine, on peut encore enregistrer une cohésion (sélection) avec un ablatif, ce qui veut dire que la condition de l'existence de sine se laisse interpoler ; il en est de même dans tous les cas semblables.

  7. D'autre part, on doit veiller, en effectuant une catalyse, à ne pas introduire dans le texte autre chose que ce dont la justification peut être strictement faite.

&&&20. GRANDEURS DE L'ANALYSE&&&

  1. C'est essentiellement sur la base des considérations et des définitions qui ont été exposées dans les chapitres précédents; définitions précisées et complétées ensuite par un nombre nécessaire de règles de caractères plus techniques, que la théorie du langage prescrit une analyse du texte;

  2. cette analyse conduit à reconnaître une forme linguistique derrière la « substance » immédiatement perceptible et une langue (un système) derrière le texte; le système consiste en catégories dont les définitions permettent de déduire les unités possibles de la langue.

  3. Le noyau de cette procédure est une catalyse qui en les introduisant rattache la forme à la substance et la langue au texte.

  4. La procédure est régie par les principes fondamentaux (cf. chapitres 3, 6 et 14) à partir desquels on peut, en outre, particulièrement pour l'analyse du texte, déduire le principe de description exhaustive :

  5. Dans la pratique, il résulte de ce principe que, dans l'analyse du texte, il ne faut omettre aucun stade de l'analyse éventuellement susceptible de donner un résultat fonctionnel, et que l'analyse doit procéder des invariantes qui ont la plus grande étendue possible à celles qui ont la plus faible étendue concevable, de telle sorte qu'entre ces deux points extrêmes on traverse le plus grand nombre possible de degrés de dérivés.

  6. Rien qu'en cela, notre analyse diffère radicalement de l'analyse traditionnelle. En effet, cette dernière ne tient compte ni des parties de texte de très grande étendue ni de celles d'étendue très réduite.

  7. Une tradition explicite ou implicite veut que l'analyse linguistique commence par la division d'une phrase en propositions, tandis que le traitement des parties de texte plus considérables telles que les groupes de phrases est laissé à d'autres sciences, principalement à la logique et la psychologie.

  8. Confronté à un texte non analysé, composé par exemple de tout ce qui a été écrit et dit en français,

  9. le linguiste ou le grammairien était donc autorisé à se précipiter dès l'abord à un stade où ce texte se résout en propositions.

  10. Théoriquement, il doit alors probablement supposer qu'une analyse logico-psychologique des plus grandes parties du texte a déjà été effectuée, mais selon l'esprit de la tradition il n'est même pas nécessaire de s'inquiéter de savoir qu'une telle analyse a eu lieu ou non, ni si elle a été faite de manière satisfaisante du point de vue linguistique.

  11. La question que nous soulevons ici n'est pas le problème de la division du travail, mais celui du placement des objets selon leur définitions. De ce point de vue, il est certain que l'analyse du texte

  12. de même que celle des parties de texte de plus grande étendue – échoit au linguiste comme une obligation inéluctable.

  13. Le texte doit être divisé avec sélection et avec réciprocité comme bases d'analyse et il faut, à chaque analyse distincte, chercher à obtenir des parties ayant la plus grande étendue possible.

  14. Il est aisé de voir qu'un texte d'une étendue très grande ou même illimitée présente des possibilités de division en parties de grande étendue, définies par sélection, solidarité ou combinaison mutuelles. De la première de ces divisions résultent la ligne de l'expression et celle du contenu, qui contractent une solidarité mutuelle. En divisant celles-ci séparément, il sera possible et même nécessaire d'analyser la ligne du contenu, entre autres, en genre littéraires, et d'analyser ensuite les sciences en présupposantes (sélectionnantes) et présupposées (sélectionnées). Les systématiques de la critique littéraire et des sciences en général trouvent ainsi leur place naturelle dans le cadre de la théorie du langage et, à l'intérieur de l'analyse des sciences, la théorie linguistique doit arriver à comprendre sa propre définition.

  15. A un stade plus avancé de la procédure, les parties de texte plus grandes se diviseront à nouveau en oeuvres, ouvrages, chapitres, paragraphes, etc., sur la base de leurs rapports de présupposition ; ensuite, de la même manière, en phrases et en propositions, division qui conduira, entre autres, à l'analyse des syllogismes en prémisses et conclusions, stade de l'analyse linguistique où la logique formelle doit manifestement situer une partie essentielle de ses problèmes.

  16. Quand la déduction syntagmatique de l'analyse du texte est terminée, une déduction paradigmatique commence au moyen de laquelle la langue s'articule en catégories

  17. dans lesquelles les catégories de taxèmes de plus haut degré dans l'analyse du texte sont réparties et d'où ensuite, par synthèse, les unités possibles de la langue peuvent être déduites.

&&&21. LANGAGE ET NON-LANGAGE&&&

  1. Une langue peut être définie comme une paradigmatique dont les paradigmes se manifestent par tous les sens, et un texte peut être défini de manière semblable comme une syntagmatique dont les chaînes sont manifestées par tous les sens. Par sens nous entendons une classe de variables qui manifestent plus d'une chaîne dans plus d'une syntagmatique, et/ou plus d'un paradigme dans plus d'une paradigmatique. En pratique, une langue est une sémiotique dans laquelle toutes les autres sémiotiques peuvent être traduites, aussi bien toutes les autres langues que toutes les structures sémiotiques concevables. Cette traductibilité résulte de ce que les langues et elles seules sont capables de former n'importe quel sens ; c'est seulement dans une langue que l'on peut « s'occuper de l'inexprimable jusqu'à ce qu'il soit exprimé ».C'est du reste cette propriété qui rend la langue utilisable en tant que telle, et qui la rend propre à remplir son objet dans toute situation.

  2. Nous pouvons dès lors énoncer la règle selon laquelle deux composantes d'une même classe que l'on tente d'établir doivent être réduites à une seule si elles sont conformes et non commutables. L'épreuve instituée par cette règle, que nous nommerons épreuve de dérivé, est exigée par la théorie pour chaque stade de l'analyse du texte, parallèlement à l'épreuve de commutation ; ces deux épreuves sont conjointement nécessaires pour décider si un objet donné est ou non une sémiotique.

&&&22. SEMIOTIQUES CONNOTATIVES ET METASEMIOTIQUES&&&

  1. Quand il s'agit d'opposer une sémiotique individuelle à une autre, nous savons que le théoricien la prévoit dans son calcul comme un type de structure possible. En revanche, nous n'avons pas encore considéré la manière dont le théoricien doit se comporter dans l'analyse du texte pour reconnaître et identifier comme telle la sémiotique individuelle.

  2. Quand nous avons établi le procédé d'analyse, nous avons admis tacitement que l'objet proposé était un texte rédigé dans une sémiotique donnée et non dans un mélange de deux ou plusieurs sémiotiques.

  3. Autrement dit, pour établir une situation-type simple, nous avons travaillé en supposant que le texte donné présente une homogénéité structurale, et que nous ne pouvons légitimement lui introduire par catalyse qu'un seul système sémiotique.

  4. Cette supposition ne résiste pourtant pas à l'examen ; au contraire, tout texte,

  5. s'il n'est pas trop réduit pour être une base suffisante de déduction du système généralisable à d'autres textes, contient d'habitude des dérivés qui reposent sur des systèmes différents.

  6. Diverses parties ou parties de parties d'un texte peuvent se présenter :

  7. C'est pourquoi, pour assurer une description non contradictoire et exhaustive, la théorie doit prescrire une procédure d'analyse du texte qui permette de distinguer entre ces situations.

  8. Étant donné l'extensibilité illimitée du texte (sa productivité), il y aura toujours « traductibilité », c'est-à-dire substitution de l'expression entre deux signes appartenant chacun à sa classe de signes, dont chacune est solidaire de son connotateur.

  9. Ce critère est particulièrement applicable aux signes de plus grande étendue que l'analyse du texte rencontre dans ses toutes premières opérations :

  10. tout dérivé de texte (un chapitre, par exemple) peut être traduit d'une forme stylistique, d'un style, d'un style de valeur, d'un genre de style, d'un mouvement, d'un type vernaculaire, d'une langue nationale, d'un langage régional, d'une physionomie dans n'importe quel autre parmi eux.

  11. Dans l'analyse du texte, les connotateurs apparaîtront donc comme des parties qui entrent dans des fonctifs de telle sorte que ceux-ci contractent une substitution mutuelle quand ces parties sont déduites, et qui dans des conditions données, se retrouvent dans tous les fonctifs d'un degré donné.

  12. Il revient donc à la métasémiologie de soumettre les signes minimaux de la sémiologie, dont le contenu est identique aux dernières variantes du contenu et de l'expression de la sémiotique-objet (la langue), à une analyse relationnelle effectuée selon les mêmes règles prescrites pour l'analyse des textes.

  13. Ici comme dans cette analyse des textes, on devra chercher à enregistrer autant que possible des grandeurs réalisées, c'est-à-dire des grandeurs susceptibles d'un analyse particulière.

&&&23. PERSPECTIVE FINALE&&&

  1. L'attitude rigoureusement pratique et technique qui est souvent nécessaire au spécialiste dans son travail et qui, en linguistique, conduit à formuler l'exigence de la théorie du langage comme une simple exigence d'une méthode sûre pour tel texte limité rédigé dans telle langue « naturelle » définie d'avance, a dû, au cours de notre exposé, par nécessité logique, céder peu à peu le pas à une attitude scientifique et humaniste toujours plus large qui a fini par s'imposer et nous amener à une conception d'ensemble que l'on ne peut guère imaginer plus absolue.

&&&DEFINITIONS&&&

  1. Texte : syntagmatique dont les chaînes, si elles sont élargies indéfiniment, sont manifestées par tous les sens.


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