GENÈSE D'UN THÈME : LA BLONDEUR CHEZ PROUST

Thierry MÉZAILLE

(Extrait de Rastier, F. (éd.), Sens et Textes, Paris : Didier, 1996, p. 67-108)

L'étude que nous présentons ici s'intègre dans une recherche plus vaste dont l'objet est l'élaboration d'un thème sur l'ensemble de la Recherche du temps perdu ainsi que sur ses intertextes antérieurs (Jean Santeuil, Essais et articles, etc.) et ses avant-textes (Contre Sainte-Beuve et autres Cahiers exhumés par l'ITEM-CNRS, ENS). Nous reprenons à notre compte l'idée, formulée par G. Genette, qu'ils constitueraient une « succession ininterrompue d'états divers d'un même texte, depuis Les Plaisirs et les Jours jusqu'au Temps retrouvé ». Comme F. Rastier l'a démontré dans son étude sur Hérodias (Flaubert), nous pensons avec lui que « la continuité entre les divers états d'un texte permet de n'en privilégier aucun, [...] nous considérons simplement la série génétique, du premier brouillon au texte final, comme un ensemble de variantes égales en intérêt pour l'analyse sémantique » (1992a, p. 205).

Si le thème, en l'occurrence la blondeur, est choisi intuitivement, il n'en fait pas moins l'objet d'une enquête empirique et rationnelle, dans le cadre théorique des concepts descriptifs de la sémantique interprétative (cf. bibliographie). On s'est ainsi attaché à mettre en évidence la progressive construction micro-sémantique du sens en contexte.

L'analyse opère à partir de segments plus ou moins vastes, non limités à la phrase ou la proposition, et retenus en fonction des occurrences de trois lexèmes de base qu'ils contiennent : blond(e)(s), jaune(s), doré(e)(s). Les statistiques lexicales sur lesquelles s'appuie l'ouvrage de référence en la matière concernant la Recherche démontrent -- par le calcul d'écarts réduits -- que c'est essentiellement dans le premier volume (Du côté de chez Swann) que ces trois items ont de hautes fréquences internes significatives. En revanche le test externe les rapportant à la prose littéraire du temps de Proust démontre que seul doré(e)(s) a une haute fréquence significative. Ces données suffiraient à elles seules à justifier l'étude entreprise.

La mise en évidence d'une organisation sémique dans le texte final -- central du seul point de vue méthodologique -- fixera un cadre par rapport auquel celle d'états antérieurs se détachera, notamment par les délétions et insertions observées. Au gré de cette démarche comparative surgira une filiation précisant si la cohésion est faible ou forte. Le choix du thème perdra alors de son arbitraire par l'étendue et la complexité des relations du sens du jaune (conjonction, disjonction, implication, inférence, selon les segments où il se trouve). À ce sujet, dans un article sur la coloration proustienne des noms, J. Milly discernait déjà dans les dorures de la Recherche un « thème générateur ».

D'un point de vue technique, il équivaut de façon minimaliste à la récurrence du sème spécifique /jaune/ (+ /de cheveux/ = `blond' ; + /brillant/ = `doré') dans divers contenus de mots (i.e. sémèmes) qui l'environnent et auxquels il est propagé. Pris dans ces « réseaux associatifs » il hérite d'eux des liens occasionnels ou stables avec d'autres sèmes. Par exemple, pour les tapisseries et la robe jaunes localisées dans l'église de Combray, le sème générique et récurrent (i.e. isosémie) /tissage/ est afféré à `jaune' (cf. infra le segment H). Ailleurs, ce pourra être /orfèvrerie/, etc. Non seulement les fragments textuels, mais le thème lui-même se conçoivent alors comme une somme de variantes.

Cela va dans le sens d'une « herméneutique syntagmatique » attentive aux « effets de place » des mêmes mots dans un contexte différent, ce qui semble un phénomène de style typique du texte proustien. De sorte, ajoutait G. Genette (op. cit. p. 94), qu'il « serait assez agréable de penser que le rôle du critique, comme du musicien, est d'interpréter des variations ». La nouveauté que cela engendre dans l'analyse sémique est que les traits pertinents ne sont plus les invariants peu nombreux qu'une description sommaire en langue présente a priori (pensons au fameux taxème des //sièges// jadis étudié par B. Pottier), mais des sèmes afférents instanciés par le contexte.

Or en structurant les sémèmes occurrences, ils peuvent acquérir une stabilité et de ce fait servir même de pivots à la comparaison des contextes. Retenons que leur invariance, si elle existe, résulte des parcours interprétatifs.

Toute question de terminologie mise à part, M. Collot déjà, dans sa « thématique structurale » (beaucoup plus existentielle que linguistique), évoquait les groupements sémiques sous le terme de modulations et les réseaux de sémèmes sous celui de déclinaisons :

« La thématique entend, par modulations, les différentes variations [...] auxquelles se prête le signifié du thème ; par déclinaisons, la série des motifs concrets dans lequel ce signifié est impliqué. Si je reprends l'exemple du thème de l'air chez Proust, il se modulera selon les espèces, d'intensité croissante, du renfermé, du ventilé, de l'aéré et de l'éventé [...] ; il se déclinera à travers les motifs de la chambre, du rideau, du jardin, du couloir » (p. 86).

Cela, non pas au cours d'une perception phénoménologique, mais dans un contexte verbal précis qui contraint la découverte de ces « motifs » et « espèces ». Autrement dit la déclinaison de sémèmes rapprochés dans un énoncé, tels que `brise', `virer de bord', `mouette', `planer' (i.e. « motifs concrets »), actualise les isosémies spécifiques /dynamisme/ + /aéré/ qui modulent l'isosémie générique /marin/.

Toujours à propos de Proust, J.-P. Richard, auteur d'un livre de référence, abondait déjà dans le sens des déclinaisons :

« ce qui m'apparaît comme proprement thématique dans le donjon de Roussainville, dit-il, c'est la possibilité qu'il nous offre de l'ouvrir, presque de l'éclater, d'opérer [...] comme une libération disséminante de ses différents traits constitutifs, [...] de le dissocier en somme, pour le relier à d'autres objets présents et actifs dans l'étendue de la fiction proustienne. [...] Il y aurait par exemple cette rousseur (suggérée par le signifiant Roussainville) qui renvoie le donjon à la libido de toutes les petites filles rousses ».

Cette citation est fortement révélatrice de l'obsession de ce type de critique par le discours psychanalytique. Certes il concorde bien souvent avec les préoccupations du narrateur de la Recherche, mais faire de la sexualité le signifié ultime, plus ou moins crypté, de tout thème abordé, serait vraiment réducteur.

Elle révèle aussi une esthétique de la division et de la profusion de détails, tendant à la confusion. J. Gracq n'était pas loin de partager cette idée reçue, en pensant à la structure du récit proustien : « l'impératif génétique de multiplication et d'enrichissement prédomine dans le livre à tout coup sur celui d'organisation. » Il parle encore « d'un compact sans solution de continuité », et d'une « gelée ».

Gageons que l'analyse micro-sémantique saura rendre compte du « tissu cellulaire » se multipliant par « dédoublement des noyaux » et qu'elle permettra de comprendre en quoi consiste cette « densité de la coulée verbale » (ibid., pp. 11, 19), d'un état à l'autre du texte. Car l'effet de masse se dissipera lorsqu'en suivant un fil thématique on abordera les denses descriptions à partir de molécules sémiques diversement lexicalisées.

Elle révèle surtout l'absence de théorie sémantique, bien que Richard parle à plusieurs reprises de sèmes. Dans sa citation, les classes sémantiques, en l'occurrence les génériques /minéral/ vs /humain/ sont nécessaires pour que soit compris l'enjeu de leur conjonction par les sèmes spécifiques /roux/, /plaisir/, etc. Ceux-ci, précisément, garants de la cohésion, permettent d'appréhender la dissémination dont il parle. Prenons un bref exemple qui revêt un intérêt particulier quand on connaît l'étendue du corpus proustien. Il nous est rapidement apparu que la plupart des segments relevés s'organisaient autour de la catégorie /doux/ vs /dur/ (à l'abstrait comme au concret). Si bien que le « flot blond de miel » qui sert de comparant adoucissant et merveilleux aux pierres tombales de l'église de Combray, « pavage spirituel » antinomique de la grise « matière inerte et dure » normale, devait être rapproché du « regard blond » de désir que lève la mielleuse Albertine vers la pâtissière, dure expression du regard lesbien insupportable pour Marcel qui accompagne son amie (rappelons que d'après le narrateur Gomorrhe se manifestait par un étoilement des yeux, métaphore astronomique motivant la couleur). L'analyse rend d'autant plus remarquable la proximité thématique qu'elle s'établit entre unités distantes de plusieurs volumes.

Ajoutons qu'une telle structuration évite de fragmenter arbitrairement l'objet d'étude, en ne postulant pas par exemple de frontière a priori entre actants humains (le regard, par synecdoque) et inanimés (le dallage, qui est spiritualisé).

Opérant sur une couleur donnée, l'auteur ainsi que le lecteur ne peuvent faire abstraction de l'axiologie culturelle qui la détermine, préalablement à son insertion dans le texte. Il est à noter que le jaune possède lui aussi une symbolique ambivalente :

« Au point de vue psychologique et dans les rêves, le jaune est la couleur de l'intuition et symbolise la capacité de renouvellement, l'entrain, la jeunesse et l'audace, mais aussi l'instabilité et la vanité. Il révèle le besoin de supériorité et à l'extrême, la volonté de puissance aveugle ».

L'étude serait alors lacunaire si elle ne cherchait à déceler quelles valeurs socio-culturelles s'actualisent sous la plume de Proust. Le contraste est ainsi frappant, entre la blondeur de vie nouvelle des pavés (reviviscence : vers la madeleine) et celle d'instabilité amoureuse (trahison : vers Odette), entre douceur et cruauté, pour ne parler que de l'exemple ci-dessus.

Toutefois cet appel à la topique excède le cadre de cet article lorsqu'il ouvre (i) à l'étude de « l'imaginaire », ou (ii) à la visée comparative du corpus proustien avec la production littéraire qui lui est contemporaine ou antérieure. C'est pourtant cette double direction qu'ailleurs nous avons exploitée (cf. note 1). Et puisque nous parlions de statistiques lexicales, il convient de mentionner l'importance de la base de données de l'INaLF pour une « esthétique de la réception » : elle permet d'attester facilement la reprise de formulations, voire de mesurer philologiquement le degré d'innovation sémantique, d'un auteur ou d'un genre à l'autre. L'horizon d'une telle recherche sur le signifié verbal est la littérarité du thème.

En deçà de ces élargissements, disons un mot sur la phraséologie la plus courante concernant la couleur retenue et sur les actualisations sémiques qui lui sont liées.

-- Au concret. L'acception socialement normée `bière blonde', `sauce blonde' (substantivé en `blond de veau' gastronomique), virtualise les sèmes /animé/ + /pubescent/ (des blés ou des cheveux) pour leur substituer /inanimé/ + /liquide/, ainsi que l'afférence /douceur/ (cf. Petit Robert). Quant à `doré', associé aux `tranches de livre' vs `de pain', il active, outre son trait inhérent /brillant/ (voire /précieux/), la catégorie virtuelle /métallique/ vs /non métallique/. Enfin, `mine jaune' actualise /péjoratif/ + /terne/ par opposition avec les traits /mélioratif/ + /brillant/ dans `le jaune' financier du père Grandet.

-- Sur la dimension abstraite. Que ce soit le `rire jaune' (/péjoratif/), la `jeunesse dorée' (/riche/, /bourgeois/), ou encore `il est délicat et blond' (/efféminé/, selon le Littré qui définit cette acception du XIXe siècle par : « difficile à contenter à cause de manières peu dignes d'un homme »), on observe l'activation systématique du sème /humain/, ainsi que l'inhibition des sèmes concrets inhérents /jaune/ + /brillant/ + /mélioratif/. Précisons toutefois que des contextes ludiques comme « le blond a ri jaune » réactivent par assimilation les sèmes concrets dans les expressions dites figurées.

Cette rapide enquête lexicographique restreint le sémantisme à quelques catégories spécifiques, codées en langue ou dans la norme sociale, telles /pubescent/ vs /glabre/, /brillant/ vs /terne/, /métallique/ vs /consommable/, outre les évaluations, qui, comme les autres modalités (telle l'hypothétique), ou encore les catégories du genre et du nombre, ne sont pas négligeables pour le sens en contexte, bien qu'elles soient traditionnellement abandonnées à la grammaire.

Passons maintenant à l'essentiel du propos : la description de contextes génétiquement riches. Les extraits retenus développent un secteur du thème concernant l'église, que ce soit celle de Combray ou celle de Carqueville. Ils feront succéder aux aubépines la duchesse de Guermantes, Odette, Mme de Villeparisis et la grand-mère du narrateur, illustrant ainsi les deux aspects de la féminité dans la Recherche, à savoir l'attrait des jeunes filles et la fascination pour la femme mûre et maternelle. Loin de s'opposer, ils possèdent une complexité sémantique qui les associe étroitement, ne serait-ce que parce que chacun d'eux concilie les termes opposés de la catégorie générique /sensualité/ vs /spiritualité/. Montrons-le sans craindre la minutie de l'analyse.

Voici les extraits étudiés :

Avant-textes

(A) « Quand vous voyez pour la première fois la façade occidentale d'Amiens, [...] ayant absorbé le soleil et grassement dorée l'après-midi [...], à n'importe laquelle de ces heures [...] que Claude Monet a fixées dans des toiles sublimes [...], alors vous ressentez [...] une impression confuse mais forte » (Mélanges).

(F) « Songe qu'elles s'élevèrent, les tours de Guermantes, dressant indestructiblement le XIIIe siècle là, [...] alors que les tours de Beauvais, de Bourges ne se dressaient pas encore et que le soir le voyageur qui s'éloignait ne les voyait pas au-dessus des collines de Beauvais se dresser sur le ciel, à une époque où les maisons de La Rochefoucauld, de Noailles, d'Uzès, élevaient à peine au-dessus de terre leur puissance qui devait, comme une tour, monter peu à peu dans les airs, traverser un à un les siècles, alors que, tour de beurre de la grasse Normandie, Harcourt au nom fier et jaunissant n'avait pas encore au sommet de sa tour de granit ciselé les sept fleurons de la couronne ducale, alors que, [...] » (Contre Sainte-Beuve).

(J) « Quand je vois la Duchesse de Guermantes dans cette matinée. Ses cheveux gris qu'elle portait maintenant relevés dévastaient en quelque sorte son visage, y faisaient plus grande, presque illimitée comme dans un paysage dénudé, la part des yeux, le ciel captif d'Ile-de-France où la lumière semblait comme à la fin de l'après-midi briller plus douce. Il semblait que dans la voix j'aurais dû trouver aussi plus de douceur dorée de l'arrière-saison le rayon jaune et doux. Mais... » (Matinée... Brouillon).

(B) « Mais la fréquentation des artistes, l'affectation de naturel, de drôlerie, de dire des gros mots lui avait donné q.q.c. de presque canaille où l'engueulade du voyou semblait frisée par la lenteur de la province comme dans cet accent composite d'un chanteur aujourd'hui oublié Fragson où on ne pouvait faire la part de l'anglais et du montmartrois. Et ce n'est que dans les phrases où elle ne mettait pas d'intonation, dans les hésitations involontaires grassement dorées et traînantes que je reconnaissais la lumière attardée sur le porche d'or de l'église. » (suite).

Texte final (ordre chronologique)

(H + I) « Deux tapisseries de haute lice représentaient le couronnement d'Esther (la tradition voulait qu'on eût donné à Assuérus les traits d'un roi de France et à Esther ceux d'une dame de Guermantes dont il était amoureux) [...], le jaune de sa robe s'étalait si onctueusement, si grassement, qu'elle en prenait une sorte de consistance [...] ; et la verdure des arbres restée vive dans les parties basses du panneau de soie et de laine, mais ayant passé dans le haut, faisait se détacher en plus pâle, au-dessus des troncs foncés, les hautes branches jaunissantes, dorées et comme à demi effacées par la brusque et oblique illumination d'un soleil invisible. » (Du côté de chez Swann ; première partie).

(L) « Souvent le soleil se cachait derrière une nuée qui déformait son ovale et dont il jaunissait la bordure. L'éclat, mais non la clarté, était enlevé à la campagne où toute vie semblait suspendue, [...]. Roussainville [...] continuait à être châtié comme un village de la Bible par toutes les lances de l'orage qui flagellaient obliquement les demeures de ses habitants, ou bien était déjà pardonné par Dieu le Père qui faisait descendre vers lui, [...] comme les rayons d'un ostensoir d'autel, les tiges d'or effrangées de son soleil reparu. » (suite).

(K) « Elle était là, souvent fatiguée, le visage vidé pour un instant de la préoccupation fébrile et joyeuse des choses inconnues qui faisaient souffrir Swann ; elle écartait ses cheveux avec ses mains ; son front, sa figure paraissaient plus larges ; alors, tout d'un coup, quelque pensée simplement humaine, quelque bon sentiment comme il en existe dans toutes les créatures, quand dans un moment de repos ou de repliement elles sont livrées à elles-mêmes, jaillissait de ses yeux comme un rayon jaune. Et aussitôt tout son visage s'éclairait comme une campagne grise, couverte de nuages qui soudain s'écartent, pour sa transfigura-tion, au moment du soleil couchant. La vie qui animait Odette à ce moment-là, l'avenir même qu'elle semblait rêveusement regarder, Swann aurait pu les partager avec elle ; aucune agitation mauvaise ne semblait y avoir laissé de résidu. [...] Swann coulait comme en or une Odette de bonté » (Du côté de chez Swann ; deuxième partie).

(C) « Comment choisir [...] entre Bayeux si haute dans sa noble dentelle rougeâtre et dont le faîte était illuminé par le vieil or de sa dernière syllabe ; [...] le doux Lamballe qui, dans son blanc, va du JAUNE coquille d'oeuf au gris perle ; Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante couronne par une tour de beurre ; [...] Questambert, Pontorson, risibles et naïfs, plumes blanches et becs jaunes éparpillés sur la route de ces lieux fluviatiles et poétiques ; [...] » (Du côté de chez Swann ; troisième partie).

(M) « Me persuadant que j'étais assis sur le môle ou au fond du boudoir dont parle Baudelaire, je me demandais si son soleil rayonnant sur la mer, ce n'était pas -- bien différent du rayon du soir, simple et superficiel comme un trait doré et tremblant -- celui qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière, écumante comme du lait, tandis que par moments s'y promenaient çà et là de grandes ombres bleues que quelque dieu semblait s'amuser à déplacer en bougeant un miroir dans le ciel. » (À l'ombre des jeunes filles en fleurs ; deuxième partie - phrase intégrale).

(E) « Le jour que Mme de Villeparisis nous mena à Carqueville où était cette église [...], ma grand-mère, pensant que je serais content d'être seul pour regarder le monument, proposa à son amie d'aller goûter chez le pâtissier, sur la place qu'on apercevait distinctement et qui sous sa patine dorée était comme une autre partie d'un objet tout entier ancien. Il fut convenu que j'irais les y retrouver. Dans le bloc de verdure devant lequel on me laissa, il fallait pour reconnaître une église faire un effort qui me fît serrer de plus près l'idée d'église ; [...] » (suite).

(G) « La terre héréditaire, le poétique domaine, où cette race altière de Guermantes, comme une tour jaunissante et fleuronnée qui traverse les âges, s'élevait déjà sur la France, alors que le ciel était encore vide, [...] alors que le voyageur qui quittait Beauvais à la fin du jour ne voyait pas encore le suivre en tournoyant, dépliées sur l'écran d'or du couchant, les ailes noires et ramifiées de la cathédrale. C'était, ce Guermantes, comme le cadre d'un roman, un paysage imaginaire que j'avais peine à me représenter [...] » (Le côté de Guermantes ; première partie).

(D) « Plus tard, quand elle me fut devenue indifférente, je connus bien des particularités de la Duchesse, et notamment [...] ses yeux, où était captif comme dans un tableau le ciel bleu d'une après-midi de France, largement découvert, baigné de lumière même quand elle ne brillait pas ; et une voix qu'on eût cru aux premiers sons enroués, presque canaille, où traînait comme sur les marches de l'église de Combray ou la pâtisserie de la place, l'or paresseux et gras d'un soleil de province. » (suite).

1. Les aubépines : du sacré au sucré

Voici comment le futur « parfum onctueux » des aubépines articule déjà les topoï de la fille fleur et de la fille crème :

« Quand, au moment de quitter l'église, je m'agenouillai devant l'autel, je sentis tout d'un coup, en me relevant, s'échapper des aubépines une odeur amère et douce d'amandes, et je remarquai alors sur les fleurs de petites places plus blondes, sous lesquelles je me figurai que devait être cachée cette odeur comme sous les parties gratinées le goût d'une frangipane ou sous leurs taches de rousseur celui des joues de Mlle Vinteuil. »

On remarquera que l'analyse syntaxique de telles périodes à la Léo Spitzer, c'est-à-dire relevant par exemple des syntagmes qui s'opposent ou se paraphrasent, repose en fait sur des données de sémantique lexicale. Ici le code sensoriel est fortement organisateur de cette description synesthésique.

L'insistance est manifeste : « le goût d'une frangipane », qui à l'origine était un arôme avant de devenir par synecdoque une crème patissière parfumée aux amandes, paraphrase cette « odeur amère et douce d'amandes » et lie étroitement dans `sentis' les traits micro-génériques /olfactif/ et /gustatif/. Ce dernier sème est lié à /tactile/ et /visuel/ dans les « taches de rousseur des joues », elles aussi goûtées. Plus précisément, les trois sous révèlent la profondeur cachée de /olfactif/ et /gustatif/, plus pénétrants.

Or dans toutes ces citations -- `gratin-' y compris -- le blond-roux est implicite. Il est donc inséparable des quatre modalités sensorielles qui activent le sème /plénitude/ et qui constituent l'isosémie complexe /perception subjective/ (`je sentis', `je remarquai', `je me figurai', `devait'). La modalité épistémique s'avère ainsi fortement lexicalisée.

Le sémème `blond-' réalise une nouvelle hypallage car sa connexion avec l'attribut physique de Mlle Vinteuil actualise en lui le sème inhérent /humain/; de sorte que le décalage avec /végétal/ qu'il qualifie renforce le lien entre ces deux dimensions. La figure de style, ainsi que les connexions métaphoriques qu'il nous faut maintenant étudier, est emblématique de la subtilité observée.

Le cumul d'isosémies méso-génériques est remarquable. D'emblée le sémème `aubépines' est indexé à l'isosémie /religion/ par la relation casuelle /locatif/. Mais cette spiritualisation est contredite par l'afflux de sensations sur /botanique/ (comparée) et /pâtisserie/ + /amour/ (comparantes). Ce triplet définit ici le niveau cosmologique. Leur mélange n'apparaît pas invraisemblable car les connecteurs métaphoriques des pétales avec le gratin et les joues sont les enclosures `comme' et la subjectivité affirmée. Le parcours interprétatif de la transgression qui en découle (la profanation religieuse par la puissante sensualité) relève davantage de la composante tactique que de la dialectique dans la mesure où la phrase ne situe pas les percepts dans des intervalles temporels distincts, mais plutôt dans une simultanéité globale (cf. « au moment de »). Leur successivité ressentie provient tout au plus de leur disposition linéaire, voire de « et... alors ». Retenons que la blondeur hérite aussi de tout cet ensemble complexe de sèmes méso-génériques et de l'inversion.

Ces percepts empêchent le départ de l'église et installent l'isosémie /duratif/ qui succède à /ponctuel/ (du passé-simple et de « tout d'un coup »). Ajoutons en ce qui concerne cette complexité aspectuelle que le sème /singulatif/ dû à l'unicité des événements sensoriels est lui aussi inhibé par /itératif/ qu'impose la spatialisation fragmentée du coloris en « petites places ». Or une telle discontinuité était absente de segments antérieurs (cf. supra H + I et leur thème du « gras »).

La cohésion et la vérité des connexions des « fonds » sémantiques génériques analysés sont dues aux « formes » qui se dessinent sur eux, transversalement. Elles consistent en un faisceau d'isosémies spécifiques autour du jaune :

* /tacheté/ + /tendre/ + /fin/ + /féminité/ (dans `places' sur les pétales, `parties' de gratin, `taches' sur les joues);

* /vertical/+/mystère/, liées selon la norme herméneutique et communes aux isosémies cosmologiques ainsi qu'à /religion/ (« sur les fleurs », « sous lesquelles », `cachée', `agenouillai', `relevant', `autel'). Celle-ci est médiatrice entre le monde l'espace sensuel et sa modalisation par l'acte introspectif (« je sentis », « je me figurai ») qui l'appréhende dans le temps. L'isosémie spécifique /mystère/, induite par la perception complexe et les tâtonnements de l'acte cognitif de l'observateur, est la plus dense du fait qu'elle recouvre les contradictions lexicalisées (« amère et douce ») ou non (les catégories /terrestre/ vs /aérien/ (`odeur'), /sacralité/ vs /profane/, /animé/ vs /inanimé/ ne sont qu'afférentes).

Sémantiquement, cette période trouve sa complétude dans la phrase subséquente. En effet, « la silencieuse immobilité des aubépines » y devient « murmure [...] d'insectes aujourd'hui métamorphosés en fleurs », soit encore /mystère/ + /dynamisme/, cette fois liés au cinquième sens, /auditif/, et à /sexualité/ : les « étamines presque rousses » introduisent la pollinisation. Elle motive rétroactivement les petites taches blond-roux et confirme, au niveau des sèmes macro-génériques, que /végétal/ est l'interprétant de /humain/.

L'isosémie /perversion/ qu'induit la proximité de ce sémantisme par rapport à l'église est renforcée par la confirmation du thème de la duplicité. En effet, préalablement, la jeune fille « avait l'air d'un garçon », ce qui concorde dans la fleur avec la couleur des étamines, organes floraux mâles. Elle est « cette enfant si rude, dont le visage était semé de taches de son » et caractérisé par « la figure hommasse du bon diable » (ibid.). Rudesse que l'on retrouve dans l'amertume de l'odeur de la fleur et la résistance « gratinée » du gâteau, dès avant la scène de sadisme de Montjouvain associée à Mlle Vinteuil. L'aubépine contient déjà son hermaphroditisme, mais il ne sera lexicalisé, et cela de façon spectaculaire, que dans l'ouverture fameuse de Sodome et Gomorrhe (par l'insistante conjonction du pollen-nectar et de l'homosexualité).

Ajoutons encore que la période consécutive à celle étudiée fait contrepoint à son sémantisme : alors que la légèreté de la fleur et l'onctuosité de la pâte et des joues sont indexées à l'isosémie /tendre/, le lexème rousses, paronyme de douce, garde « la virulence, le pouvoir irritant d'insectes », soit l'isosémie /âpre/ d'une masculinité. Celle-ci a pour corrélat remarquable l'isophonie \r\ (cf. aussi « odeur amère », « parties gratinées », « frangipane »), dont le symbolisme est concordant. Le jeu des contraires, de l'apparence vers l'essence, ou énantiologie (discours du renversement), dont Barthes faisait une loi de la Recherche, est ici remarquablement illustré.

Bref, on a pu constater que la période type qui nous a occupé structurait fermement dans ses ramifications les composantes thématique, dialogique et tactique, dans un même intervalle temporel. Mais qu'en était-il lors des premiers jets manuscrits ?

1.1. Genèse

L'étude de la genèse est rendue possible par les Brouillons des aubépines, qu'a transcrits, commentés et publiés B. Brun. Ils permettent d'établir diachroniquement trois versions des aubépines. La première regroupe les Cahiers 12 (1909) et 29 (1909-1910) du fait des changements minimes intervenus concernant notre thème. La seconde est prise au Cahier 14 (1909-1910). La troisième au Cahier 28 (1910) qui évoque la tisane de la tante ; B. Brun justifie ainsi le rapprochement entre les deux végétaux que le texte final dissociera :

« un rapport synchronique qu'entretiennent des fragments disparates mais rédigés à une même époque [...] dans un même contexte thématique » (p. 238).

Dès avant les fleurs-frangipane, les sémèmes `tisane' et `aubépines' y manifestent déjà l'implication de /alimentation/ par /botanique/, au niveau méso-générique.

La phase d'interprétation rétroactive qui guide l'étude génétique n'a pas pour but de remonter à un fragment primitif et « matriciel » -- pas plus qu'elle n'est téléologiquement orientée vers l'état définitif qui contiendrait « le vrai sens ». Elle cherche à mettre en évidence, au fil des variations sémiques (palier du sémème) et de faisceaux isosémiques (palier du segment), un style de création ou plutôt d'élaboration thématique.

Précisons avant l'analyse que ces brouillons donneront lieu à deux types d'aubépines dans le texte final, séparées de trente pages environ : d'une part celles associées à Mlle Vinteuil à la sortie de la messe (c'est l'extrait étudié supra) ; de l'autre, celles conjointes à Mlle Swann dans le parc de Tansonville : dans ce cas, le « blond roux » passe de la fleur aux cheveux de cette jeune héroïne, tandis que les aubépines encore indexées au faisceau générique /botanique/, /pâtisserie/ (« fromage à la crème «), /amour/, /religion/ (« haies de chapelles »), /perception subjective/, deviennent blanches et roses.

(i) Dans la première version (Cahier 12), il est intéressant de constater que la phrase déjà très pleine biffait le coloris pour lui substituer son contraire :

« cette odeur [...] je pouvais croire que ce qu'elle avait de si sucré et de si doux correspondait peut'être à la petite tache [brune/blonde] brune, châtin (sic), qu'il y avait sur le calice, comme dans la partie gratinée d'une frangipane [...] sans qu'on pût la posséder plus que les douces joues de Me Goupil qui avaient elles aussi leur tache de rousseur. » (p. 220).

Notons d'emblée que la différence d'onomastique (Goupil au lieu de Vinteuil) se justifie par la couleur rousse de « renard » : ce terme à suppléer condense déjà le thème de la duplicité (cf. la phraséologie rusé comme un renard, alias Goupil).

Le contraste clair-foncé s'explique une fois replacé dans une opposition de paradigmes que souligne le contexte. La préférence du brun-châtain-roux indexé à /profane/ + /sensuel/ (avec leur « charme mystérieux », les fleurs « irritent notre désir » ; ibid.) signale l'antagonisme manichéen avec « blanche immaculée », `Vierge', « mois de Marie », indexés à /sacralité/. Comestible d'un côté, non alimentaire de l'autre.

Conséquemment, la consommation impossible (« sans qu'on pût la posséder ») exclut la perversion. Elle le devient toutefois de moins en moins comme le prouve la formulation ultérieure : « je ne savais pas comment la [capter] posséder, en jouir plus intimement » ; elle a pour corollaire l'alourdissement de l'odeur par « une certaine particularité épaisse et grenue » (Cahier 29, p. 230), précision pléonastique puisque la « frangipane » est une crème qui se définit de la sorte. Cette particularité est déjà plus proche de la masculinité (Mlle Vinteuil). Inachevée, elle est l'antithèse de « l'air habillé » de la fleur par son « flot d'étamines », féminin, fin, léger et fini, pareille en cela à la « dentelle du clocher » (p. 220).

Mais la dissociation n'est pas établie avec le « gâteau » puisqu'il est question de « chapelles odorantes presque comme une pâtisserie » (p. 221). Bref, l'isosémie générique /tissage/ qui sert de comparant aussi bien à /botanique/ que /religion/ et /pâtisserie/, se trouve encore dans le même contexte que le blond roux, contrairement au texte final où « le bouquet d'étamines » sera seulement associé à la « solennité mystique » de la « blancheur éclatante » de la « traîne de mariée » florale.

(ii) Dans la seconde version, le jaune s'impose localement ; cela est d'autant plus perceptible que la délétion du foncé et du rose est remarquable :

« ces fleurs [...] silencieuses mais pleines d'une vie qui se traduisait par cette odeur de gâteau me faisaient penser à de doux insectes qui eussent été changés en fleurs blanches [mais auraient gardé une] et leurs pattes fines en ces étamines un peu [rousses] blondes qui donnaient un air un peu <jauni un peu> fané à certaines fleurs » qui « <avaient l'air jaunis et fripés par la lourdeur de leur parfum d'amande> » (p. 250) ;

« je vis que quelques-unes avaient une espèce de petit grain [rose] un peu [roussi] jaunâtre qui ressemblait aux petites taches de rousseur de Me Goupil » (p. 251).

Par rapport à la version précédente, on constate :

* L'insertion corrélative des traits /perception/, /mystère/, /dynamisme/ qui modalisent la couleur (« faisaient penser », « eussent été changés », « donnaient un air » ; l'hypothèse sera reprise dans le texte final avec le modal « devait »).

* Une substitution : ce ne sont plus les pistils qui sont « blonds et roses » (p. 220) mais les étamines et les insectes. La métamorphose de ceux-ci a pour fonction de concilier les contraires /plénitude/ et /dysphorie/ du jaune ; en ce sens ils remplacent la biffure de « [mais auraient gardé une] ».

Cela induit la pollinisation, partant l'afférence /sexuel/ dans ce contexte de sensualité. Il y a plus : le sémème `jauni', indexé au triplet aspectuel /résultatif/ + /duratif/ + /cessatif/, et à la paire /terne/ + /lourd/, pervertit le blanc auquel il est contigu. Son sens concorde avec l'épaisseur et l'inachèvement pour aboutir à un jaune païen contrastant encore avec la pure blancheur chrétienne.

* On constate encore la conservation de l'évaluation /péjoratif/ de la couleur, néanmoins éclaircie : « jaunis et fripés », « jaunâtre » sont dans la continuité de la « petite tache brune roussâtrE » ( p. 230).

* Du point de vue tactique, le segment de la p. 250 prouve que blond- ou jauni-, cooccurrent de « silencieuse », se trouvait dans ce qui deviendra la seconde période du texte final, où il fera l'objet d'une délétion. En revanche, avec le segment de la p. 251 on assiste à sa migration dans la future première phrase (étudiée supra). Celle-ci conférera une place prééminente aux « places blondes », dans la mesure où elles introduiront les connexions métaphoriques. On assiste pour l'instant aux hésitations de l'emplacement du coloris.

* Enfin, on ne peut faire abstraction des isophonies corrélées de « grain gratiné », et de « taches [...] parties attachées des gâteaux » (p. 251). Les associations lexicales qu'elles provoquent font notamment de /pâtisserie/ le comparant central respectivement de /botanique/ et /amour/. Le texte final condensera la rude granulation et la viscosité ici pléonastiques. Il se chargera d'ôter la lourdeur de style qui est l'emblème de cette thématique.

Remarque. Dans un parcours génétique d'adoucissement du coloris, l'inhibition du sème /grenu/ au profit de /tacheté/ (puisque `places' remplace `grain', `boutons' et `coque' ; cf. la version 3) ne fait pas oublier leur point commun qu'évoque J.-P. Richard : « l'attrait sexuel » dû à /discontinuité/, sème inhérent à la pure dentelle ajourée. « Mais le tachetage est beaucoup plus transitif, médiateur, beaucoup moins différentiel que la granulation » ; cela « empêche de tenir le tachetage pour la forme cutanée du grumeleux » (1974, p. 86). Soient les catégories /tacheté/ + /tendre/ vs /grenu/ + /rude/.

(iii) La troisième version réitère un sémantisme similaire pour décrire l'infusion sèche de Léonie. Étudions-la à travers six réécritures consécutives.

« çà et [là] un bout de tige était si jauni qu'il avait l'air d'un brin de paille effiloché [...] que l'oiseau entasse pour faire son nid » (p. 241).

« çà et là des parties cassées des tiges <effilochées> et des feuilles <blondes ou roses> semblaient entrelacées comme pour feutrer un nid » (p. 244).

La paire d'isosémies /discontinu/ + /inachevé/ (« çà et là », « un bout de », « un brin de », `effiloché') soude tisane et frangipane. Elle est en faisceau avec /tissage/, ce qui adoucit la mort végétale (« feutrer un nid »). Au-delà de la paraphrase de ces deux descriptions, la substitution de `blond-' pour des feuilles au `jauni' de la tige est révélatrice d'une inversion évaluative que les segments suivants permettent d'élucider.

« Telle rousseur plus vive mais c'est la transposition ce [rose] jaune des pétales (sic) là où la fleur est tout humide si on l'écrase » (p. 240).

« Ces petites fleurs qui si on les regardait de plus près étaient selon le degré d'éclosion où elles étaient mortes jaunes comme des genêts, parées d'étamines » (p. 243).

Ces fleurs « encore en boutons, selon le degré de maturation où les avait surprises la mort étaient jaunes comme des genêts [...] comme des fleurs de fraisiers qu'on aurait tuées au coucher du soleil et qui auraient gardé le safran des rayons déclinants, étaient dorées comme une dentelle ancienne, un peu fripée, presque rousse, avec tout l'habillé, tout l'ajouté de leurs étamines ajourées » (p. 242).

Ce « jaune- » insistant se dissimile de `jauni' car, se laissant deviner sous le roux-doré des « vieilles dentelles » (p. 240) que motive l'insertion des tiges « <dentelées> par la vieillesse » (p. 239), il hérite d'elles le sémantisme du finissant, mais dans une euphorie nouvelle. En d'autres termes, il s'oppose à elles comme naissance d'une vie naturelle transposée par un bel et vieil habit artificiel. Soit la connexion de :

`jaune' - Temps 1 avec `doré' roux - Temps 2

/inchoatif/ /cessatif/

/ponctuel/ (vif) /longue durée/

/mouillé/ /sec/, /brillant/

/banal/ /fin/, /précieux/

/botanique/ /tissage/

À la différence de la tige, la parure comparante confère aux pétales la survie, l'immortalité par l'art, soit une reconduction de type néoplatonicien chère à Proust. De sorte que le monde normal transfiguré aboutit à la synthèse des « petites coques d'or <fripées> des fleurs » ou « petites roses d'or » (p. 240), seule expression que conservera le texte final de la tisane.

La conciliation des contraires, euphorisante, inhibe en outre le sème /fragile/ propagé à `jaune' par la violence du meurtre (thème commun avec la blondeur humaine mérovingienne). Quant au `genêt', à couleur typique, il converge vers le sentiment d'espérance. Le tissu ajouré est médiateur en ouvrant à une vie retrouvée; en ce sens, son trait /continu/ (sur /spirituel/) inhibe /discontinu/ (sur /matériel/).

À cela s'ajoute une autre différence : au lieu des verbes d'apparence « avait l'air de », « semblaient » (pp. 241, 244), ici « la transposition » assertée, qui plus est dans une vue rapprochée censée garantir la vérité de l'assertion, repousse l'idée « d'une simulation de la plante » (p. 240). Autrement dit, la duplicité des comparants acceptée pour la tige est niée pour la fleur. Et cela au profit d'une seule inversion dialectique, celle du végétal fané (T2) retrouvant la vie (T1). Si bien que la parure ne trompe pas, mais dévoile la permanence de l'éclosion (« gardé », « encore ») au sein même de la mort physique : le jaune brillant à « [éclat] chaude coloration » (p. 244) apparaît bien comme la couleur de la (sur)vie spirituelle.

Cette modalisation et cette dialectique corrélées du thème renouent avec le sémantisme inaugural des blanches aubépines. En effet, dans la version 1, le narrateur comparait ainsi la fille et la fleur : le « premier amour » qu'on leur porte, même terminé, demeure dans le « coeur » comme un « charme » puissant, l'affect intériorisé révélant la survie de ce passé (pp. 218-219).

Récapitulons. Le jaune rattache le blond et le doré au monde empirique ; inversement, ils le rapportent au merveilleux. Indexé alors à /poéticité/ comme celui des aubépines, il n'est toutefois pas ici matérialiste comme lui, mais indexé à l'isosémie afférente /métaphysique/ (par cette reviviscence).

Citons une dernière reformulation où la biffure « [rose et doré] » du « fleuri » (p.244) fait place à la simplicité suivante :

« on reconnaissait dans [un grain] une petite coque jaune un bouton qui allait s'ouvrir quand la plante était morte » (p. 245).

Dans cette double inversion dialectique et modale (évaluative), la déhiscence de la fleur monochrome inhibe /cessatif/ par /inchoatif/. Le travail sur la convexité actualise une nouvelle opposition de sèmes spécifiques par dissimilation :

(Temps 1) (Temps 2) (Temps 3)

`jaune' `jauni' `doré'

/grenu/+/plein/ vs /allongé/ (`tige') vs /ajouré/

Ces distinctions morphologiques ne sont pas sans intérêt : non seulement elles permettent de rapprocher la « petite coque » de l'aubépine jaunâtre (supra), mais elles sont emblématiques de la complexité organisée du « dessin » végétal.

Or en rapportant ce brouillon à la tisane finale, on s'aperçoit que la couleur si raffinée a disparu ; pourquoi cela ? Comme souvent chez Proust, la réponse est d'ordre syntagmatique. En effet, la description immédiatement consécutive à l'infusion est celle d'une « grande commode JAUNE en bois de citronnier ». Nul doute que le refus de confondre tous les végétaux par une même couleur a prévalu.

Il resterait alors à se demander quels sont les contextes définitifs, sans doute fort éloignés, où resurgit tout ce sémantisme de la version 3. Soit un problème d'ordre tactique. Donnons une piste : à propos du « jaune des pétales » on lisait :

« c'était si bien la plante elle-même telle que je la regardais étendu au bord de la Vivonne » (p. 240).

Voilà une instruction génétique pour la connecter aux définitifs boutons d'or (ayant un « jaune d'oeuf » et une « surface dorée ») qui apparaîtront au même endroit, du côté de Guermantes.

(iv) Finalement, ces multiples variations sur le jaune floral se sont ingéniées à présenter dès la version 2 un coloris à la fois païen et mélancolique, contrastant avec l'insouciante gaieté de la blancheur chrétienne. Ce faisant, la substitution de la couleur claire aux foncées de la version 1 s'est opérée en même temps que la réduction de l'antinomie de base (il n'est plus question de la consommation interdite). Elle a favorisé l'objectif global, qui était de :

« concentrer la douceur, réunir <dans une conciliation forcément un peu mystérieuse> les différences, les contradictions d'impressions diverses, successives » (p. 234).

Si des délétions sont intervenues dans le segment final, elles concernent surtout la version 3 (disparaissent ainsi localement les jauni, jaune, doré indexés à /métaphysique/, à son processus dialectique-modal, ainsi qu'aux isosémies /tissé/, /grenu/).

Les brouillons figurent donc le lieu où se multiplient les combinaisons de lexèmes cooccurrents, repris ou paraphrasés d'une version à l'autre. Ceux-ci se sont étroitement soudés et ont stabilisé une dense molécule sémique autour de la couleur qu'ils déterminent. On a ainsi pu relever l'importance des traits aspectuels que ne laissait pas soupçonner le segment final.

1.2. Genèse comparée

Nous nous proposons maintenant de tracer quelques directions de recherche en vue d'un parallèle entre la genèse de type proustien, telle que ces quelques versions ont pu l'esquisser, et celle de type flaubertien, telle qu'elle émane de l'article que lui a consacré F. Rastier (1992a). Nous profiterons ainsi d'une convergence de théorie et de méthode pour faire ressortir de cette épreuve comparative la spécificité des processus utilisés par Proust, tels qu'ils nous sont apparus jusque là et qui seront récurrents infra dans la suite de l'étude.

(i) Différences

Un premier constat est que Proust n'a pas eu à surmonter la difficulté de « l'intégration des sources » (1992a, p. 215) qui se posait dans Hérodias. Concernant les aubépines de Combray, les données géographiques y sont empruntées à un univers proche qui n'a rien d'historique. Les reformulations qui témoignent du souci de précision descriptive créent ainsi ouvertement du mythique -- cela sera confirmé infra avec le passé médiéval de l'architecture liée aux Guermantes, nom adulé qui renvoie en outre à « l'arrière saison » de la poésie baudelairienne (cf. supra segment J).

Il en découle d'une part que l'auteur n'a pas eu à « gazer » (ibid. p. 222) certaines d'entre elles ; de l'autre, que sa subjectivité clairement affirmée fait pendant à l'effort célèbre « d'objectivation » de Flaubert (p. 209, et n. 45). Car il a été frappant de constater que le thème de la blondeur florale en métamorphose était, et ceci dès les premiers brouillons, non seulement déjà constitué et pourvu de formes dialectique et tactique similaires au texte final, mais encore très dialogisé comme le rappelle la modalisation épistémique omniprésente dès le Cahier 12. Au contraire, dans les versions initiales de Hérodias, F. Rastier a été conduit à déceler, devant la froide présentation du décor, « l'introduction d'une perspective spatiale, premier élément qui relève de la dialogique » (ibid., p. 209), et marque ténue d'un jeu subtil sur les foyers de l'énonciation.

Bref, sans postuler d'intentionnalité mais en restant au niveau des faits textuels, on retire de ce rapprochement d'une part le refus manifesté dès les premiers jets par le narrateur proustien de masquer sa subjectivité ; d'autre part l'aspect mythique évident conféré par les croyances sur la fleur.

Si Proust ne « gaze » pas de façon spectaculaire à un moment de la genèse, les modifications qu'il apporte ne concordent pas non plus avec celles des premières versions de l'incipit d'Hérodias : on ne peut plus dire que « la rédaction procède par condensation et analyse » (ibid., p. 208), mais par délétions et insertions combinées. Rappelons pour preuve le remplacement du syntagme « correspondait peut'être à la petite tache brune, châtin » (version 1) par « je remarquai alors sur les fleurs de petites places plus blondes » (texte final) : quoi de commun
entre cette incertitude modalisant le foncé et la perception sûre de la blondeur, si ce n'est la paire spécifique /petit/ + /discontinu/ ?

(ii) Similitudes

Revenons au seul plan thématique, pour observer que la charge mythique des descriptions littéraires de nos deux auteurs consiste en priorité en la constitution d'une même verticalité religieuse, même si la géographie des « pic », « citadelle » ou « vallées profondes » (ibid., p. 213) est absente chez Proust. Toutefois, ici, le sème générique /religion/ est inhérent dès la version 1, alors que le spécifique /vertical/ est encore absent du jaunâtre de la version 2 (on n'y trouve, p. 251 supra, que le lieu imprécis « d'où naissait », « <de> ce grain que sortait l'odeur »). Cette paire sémique sera en outre afférée à toutes les descriptions concrètes contenues dans les segments étudiés ci-après, ce qui démontre son importance dans le corpus proustien. Elle sera notamment récurrente dans l'avant-texte présentant les tours de Guermantes-Harcourt au segment (F) supra. Celles-ci y possèderont d'ailleurs les `fleurons' de leur noble `couronne' de `granit' située `au-dessus', ensemble de lexèmes qui était déjà apparu à la neuvième version de l'incipit de Hérodias (ibid., p. 214). De sorte que ce contexte de Harcourt jaunissant constitue une instruction pour établir une connexion symbolique avec les aubépines, et que dans ce cas comme chez Flaubert « fleur se trouve ainsi remotivé dans fleuron » (ibid.). Mais nous ne nous livrerons pas à ces réécritures tant les nombreuses connexions métaphoriques explicites chez Proust suffisent à nous occuper.

Précisément, les connexions symboliques qui proviennent de « migrations » lexicales d'un endroit du texte à un autre (ibid., note 50) permettent d'aborder un dernier point commun notable. Aussi bien dans la genèse proustienne que flaubertienne, les relations thématiques à longue distance reposent en effet sur deux molécules sémiques antithétiques (ibid., p. 223). Soit, pour la blondeur végétale, la conciliation non seulement des sèmes génériques (cf. les cinq sens, /humain/, /botanique/, /pâtisserie/ etc.), mais aussi des deux groupements spécifiques suivants :

-- Euphorie : /tacheté/ + /tendre/ + /fin/ + /achevé/ (perfectivité) + /inchoatif/ + /féminité/ + /innocence/;

-- Dysphorie : /grenu/ + /rude/ + /lourd/ + /inachevé/ (imperfectivité) + /cessatif/ + /masculinité/ + /perversion/.

Ce parallèle avec la genèse textuelle chez Flaubert, si risqué soit-il en raison de la minceur des corpus sur lesquels il porte, et du fait que nous nous limitons à un thème (contrairement à F. Rastier qui établit la cohésion de l'incipit à la fin), n'en conserve pas moins une certaine valeur d'exemplarité.

2. Genèse lexicale à partir de /onctueux/+/minéral/

Dans les Mélanges (Pléiade), les « journées de pèlerinage » conduisaient Proust à Amiens sur les traces de son maître Ruskin :

« il n'est pas contempteur du plaisir honnête, avant de vous mener à l'église, il vous conduira chez le pâtissier [...] acheter quelques tartes dans une des charmantes boutiques de pâtissier » (article de 1900, p. 72-78).

De là l'implication des deux molécules contrastées en relation locative et actionnelle :

Temps 1 par Temps 2

/pâtisserie/ /architecture/

/profane/ /sacralité/

/tactile-gustatif/ /visuel/

Cela aboutit plus loin à la vision originale de la cathédrale possédant des attributs de gâteau :

(A) « la façade occidentale d'Amiens [...] ayant absorbé le soleil et grassement dorée l'après-midi » (ibid., p. 89).

La cause solaire légitime le faisceau /résultatif/, /jaune/, /brillant/, /chaud/ (dans le contexte : « après-midi »). Si on lui adjoint le sème spécifique /onctueux/, contrefactuel pour le comparé /minéral/, c'est par assimilation avec le générique /pâtisserie/ antécédent. L'euphorie d'ensemble favorise le rapprochement. Cette lecture neutralise alors la signification type qui fait du trait /riche/, afférent à `dorée', le corollaire de /intensité/, inhérent à `grassement'. Toutefois le sens obtenu est d'autant moins étrange (i) qu'il s'insère dans la thématique de la douceur solaire ; (ii) que la contiguïté avec les « tartes » règle son actualisation. C'est une variation sur la métaphore métonymique, phénomène proustien finement analysé par G. Genette et revu sous un angle cognitif par J. Fontanille.

Cet énoncé montre comment le contenu de T1 est devenu comparant de celui de T2 par l'absorption de type alimentaire ; il préfigure la métamorphose similaire du clocher de Combray (dans la Recherche) en brioche dorée et visqueuse.

Avant d'en venir au texte final, un détour par le Cahier 57 (1913-1916) s'impose, car on y découvrait ce passage concernant la duchesse, paraphrasé, comme on le verra :

(B) « Mais la fréquentation des artistes, l'affectation de naturel, de drôlerie, de dire des gros mots lui avait donné q.q.c. de presque canaille où l'engueulade du voyou semblait frisée par la lenteur de la province (sic). [...] Et ce n'est que dans les phrases où elle ne mettait pas d'intonation, dans les hésitations involontaires grassement dorées et traînantes que je reconnaissais la lumière attardée sur le porche d'or de l'église. »

Intéressons-nous à la seconde phrase, qui, ultérieurement, englobera des éléments de la première.

Le syntagme « grassement dorées » ne détermine plus « la façade », ici paraphrasée par « le porche », mais la voix, selon un phénomène de synopsie classique chez Proust. Cette audition colorée poétise un grasseyement prosaïque et vulgaire.

Ajoutons qu'avant le futur toponyme de

(C) « Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante couronne par une tour de beurre ; »

la sonorité possède dès le brouillon le sémantisme tactile-gustatif-visuel. Que ce soit avec `traînantes', `attardée', `or' ou `beurre', les reprises paraphrastiques par rapport au syntagme sont telles qu'elles rendent saillant le faisceau /jaune/+/brillant/+/onctueux/+/duratif/. Remarquons que ses deux derniers sèmes imposent le trait /continu/ (d'un point de vue spatial et aspectuel). De plus, le faisceau d'isosémies a pour corrélat celui d'isophonies \r\ + \a(n)\ qui soude le réseau de sémèmes dont il indexe les lexèmes respectifs. Notons en outre que le contexte imperfectif de `traînantes' comme de `jaunissante' engendre la délétion du sème /résultatif/ de `dorée' par rapport à (A).

Ni (C) ni (A) ne modalisent ce sémantisme, au contraire de l'acte cognitif « je reconnaissais », lequel, succédant à « l'affectation » (B), connecte une « lumière », plus spirituelle encore que le soleil précédent et surtout que la pure matérialité de Coutances.

Mais citons plutôt le futur salon Villeparisis, où trône Oriane de Guermantes. La duchesse émet :

(D) « une voix qu'on eût cru aux premiers sons enroués, presque canaille, où traînait comme sur les marches de l'église de Combray ou la pâtisserie de la place, l'or paresseux et gras d'un soleil de province. »

La modalisation grammaticalisée -- non plus lexicalisée -- par le passage de l'hypothèse irréelle (« on eût cru ») à l'assertion (« traînait ») n'y marque plus une inversion sacralisante. Sur le plan de la syntaxe, corrélativement, la relative avec inversion retardée du sujet n'aboutit plus, comme cela était le cas en (B) avec le présentatif (« c'est... que »), à une vérité dévoilée et subjective. En effet, « l'église » n'est plus le point d'orgue de la phrase ; elle ne convertit plus « l'or » de façon perceptible du fait aussi que la traîne de cette couleur subit la propagation de l'isosémie /péjoratif/ ; celle-ci est activée par la substitution de « paresseux » (à « attardé- », « lenteur ») et par assimilation avec « gras » et « province ». Certes « canaille » -- de même que « engueulade » devenue « enroués » -- apparaissait déjà en (B), mais l'amélioration y était évidente. Tel n'est plus le cas de (D) où l'ajout de « pâtisserie » non seulement motive le trait /onctueux/ (`beurre'), mais insère l'afférence /visqueux/. Se dessine ainsi un parcours génétique de profanation.

Tel est l'effet majeur de la modifiation de l'unité spatio-temporelle. Un autre exemple est probant : « la lumière attardée » suggérait en (B) le moment médiateur du couchant, comme le prouvera son assimilation au « rayon jaune et doux » de « fin d'après-midi » du même contexte (cf. supra le segment J). Or sa disparition provoque la délétion de l'isosémie macro-générique /spirituel/ au profit d'un soleil de plein jour, dont la chaleur est sous-jacente à la paresse dans (D). Les différences de lexicalisations de l'isosémie /architecture/ sont en outre convergentes puisque le remplacement de « porche » par « traînait comme sur les marches » et « place » substitue l'isosémie /horizontal/ à /vertical/. Celle-ci est inhérente dans (C) à `cathédrale', `couronne', `tour', qui adjoignent /haut/ + /noble/ à /religion/. Elle motive la connexion métaphorique de l'édifice élevé avec le beurre, de même que le sémème `normande' qui les rend contigus dans un paradigme des productions régionales. On a pu voir supra que le toponyme `Combray' procédait de la sorte, en rapprochant la pâtisserie de l'église et en multipliant leurs isosémies communes.

En revanche, dans (D), l'or nobiliaire et l'oisiveté vraisemblable de la châtelaine sont rabaissés par l'isosémie /roture/, afférente dans le récit à `Combray', `province', `pâtisserie' et `église' (par contraste avec `cathédrale'). Cela concorde avec l'épaisseur de l'or solaire. En outre le « gras » et le « paresseux » accentuent -- par hypallage -- l'encanaillement de la duchesse, alors que dans (B) « l'intonation » provinciale peut acquérir une dorure onctueuse qui est son « naturel » du fait qu'elle finit par se distinguer de la vulgarité affectée (cf. « ne mettait pas », « involontaire »).

C'est le thème de la duplicité qui articule le distinguo -- notamment par l'expression « semblait frisée » -- et permet le parcours cognitif mentionné. Ajoutons que l'inversion dialectique qui lui est couplée dans (B) -- par les deux temps distincts implicites -- est absente de (D) où c'est dès les « premiers sons » négatifs, dans la relative qui leur est adjointe, que s'opère simultanément la métamorphose.

Bref, ces analyses confirment que le segment final (D), plus concret que son avant-texte, est dominé par l'isosémie afférente /perversion/, comme pour les blondes aubépines frangipanées du même lieu. Mais si les connexions métaphoriques constituaient une promotion pour la fleur, il n'en va pas autrement pour celle de l'or, et la transmutation maintient une évaluation positive du monde de la province. Instaurant une complexité, elle est à rapporter à la loi de conciliation des contraires; elle se justifie dans le même contexte par l'assimilation de la voix à

« ses yeux, où était captif comme dans un tableau le ciel bleu d'une après-midi de France, largement découvert, baigné de lumière ».

De sorte que la couleur lumineuse (bleue et jaune) confirme l'isosémie /poéticité/ indexant déjà le comparant alimentaire. Néanmoins le « gras- doré- » vocal est plus mystérieux que le topos du regard d'azur ; c'est pourquoi il relève selon nous de l'illusion esthétique. Cet élargissement du segment final impose l'évaluation /mélioratif/ qui était plus évidente encore dans l'avant-texte correspondant.

Pourquoi dévaloriser toutefois la duchesse tant admirée, à ce moment du récit où « elle me fut devenue indifférente », écrit le narrateur ? Précisément pour montrer qu'elle est capable de « se fondre » et de « s'attarder » dans le milieu humble de Combray, non sans quelque complaisance et duplicité. Mais celle-ci révèle par là-même une finesse dans l'imitation du vulgaire qui évite la dégradation de la voix noble : le déclassement n'est que relatif. Si bien que la grasse dorure, adoucissant la raucité vocale, est l'interprétant d'un comportement ambigu.

On voit donc comment s'est opérée une transposition à partir d'une molécule sémique conservée autour du jaune initialement indexé au méso-générique /architecture religieuse/. La formulation condensée de (D) par rapport à (B) accentue par là-même la relation locative entre les sémèmes ; la contiguïté généralisée favorise leurs connexions symboliques mutuelles. Ceci, ajouté à la personnification de « l'or » par « paresseux », confère à (D) davantage de contrefactualité.

Remarque. Nous avons ainsi opéré une description micro-sémantique d'un « système descriptif » génétique proustien. M. Riffaterre entendait par là un « réseau de mots associés l'un à l'autre, réseau organisé autour d'un mot noyau en conformité avec le sémème de ce nucléus. Chaque constituant du système fonctionne comme un métonyme du nucléus ». Le mot-noyau étant en l'occurrence un syntagme, dont la centralité provient en fait de notre choix a priori de la couleur.

Élargissons encore la vue intra-textuelle. Elle nous fait retourner un volume en arrière jusqu'au moment où la grand-mère du narrateur imite Ruskin en renforçant les liens métonymiques de /pâtisserie/ avec /religion/.

(E) « Le jour que Mme de Villeparisis nous mena à Carqueville où était cette église [...], ma grand-mère, pensant que je serais content d'être seul pour regarder le monument, proposa à son amie d'aller goûter chez le pâtissier, sur la place qu'on apercevait distinctement et qui sous sa patine dorée était comme une autre partie d'un objet tout entier ancien. »

Alors que Marcel et la noble tante d'Oriane sont du côté de l'église, la grand-mère se dirige vers la pâtisserie : cette répartition d'actants réitère l'opposition des sèmes /vertical/ (`monument') vs /horizontal/ (`place'). Ils fusionnent encore en une unité architecturale grâce à la connexion métaphorique avec « un objet entier », précieux, dont chacun des deux édifices est « une partie », un détail synecdochique.

Ce n'est donc pas la seule parenté du nom de Guermantes avec celui de Villeparisis qui rapproche les segments (D) et (E). Les récurrences lexicales communes incitent à retrouver ici la paraphrase de « l'or paresseux et gras de province » (ici sans « soleil »). Mais le trait /jaune/ de la « patine dorée » concorde avec le sème inhérent /brillant/, lui-même impliqué par /longue durée/ + /résultatif/ + /minéral/. Puisque la patine concrétise cette abstraction proustienne qu'est le Temps, sa couleur, contiguë au religieux, active le trait /sacralité/. Le réalisme empirique des détails descriptifs n'est pas subverti par le merveilleux qu'il englobe.

Ce groupement renforce l'isosémie /continu/. Par la métamorphose adoucissante qu'il apporte, il induit l'image d'une surface lisse, ici dénuée de chaleur grasse et de sens auditif. Notons

d'ailleurs que le verbe de vision « on apercevait » fait succéder à l'univers de croyance de la grand-mère (cf. « pensant ») celui de l'objectivité descriptive dans lequel apparaît la dorure, comme toujours chez Proust. À cette régularité d'ordre dialogique il convient d'ajouter celle de la syntaxe, puisque l'or déposé se situe de nouveau dans une relative (+ comparaison). Ces mises en relief dans la clausule contribuent à dessiner le parcours interprétatif d'un anoblissement, cette fois indiscutable. Dans une osmose spatio-temporelle, la pâtisserie, intégrée comme en (D) à un or étalé, acquiert la noble ancienneté de l'église. De même pour les deux femmes : on conclura alors l'analyse de ce segment sur l'union, cultivée par Proust, des contraires /inanimé/ vs /humain/, partant /matériel/ vs /spirituel/, et ce, dès le Cahier 57 où se laissait admirer « la belle patine de l'esprit » (ibid., p. 185).

Continuons à mettre en évidence la cohésion du thème par rapport au texte final, mais maintenant à partir du segment (C) que l'on citera de nouveau afin de faciliter la comparaison :

(C) « Coutances, cathédrale normande, que sa diphtongue finale, grasse et jaunissante couronne par une tour de beurre ».

Étudions sa genèse thématique relativement à cet extrait du Cahier 7 (1908) qui fut publié dans Contre Sainte-Beuve :

(F) « elles s'élevèrent, les tours de Guermantes, [...] traverse(nt) un à un les siècles, alors que, tour de beurre de la grasse Normandie, Harcourt au nom fier et jaunissant n'avait pas encore au sommet de sa tour de granit ciselé les sept fleurons de la couronne ducale ».

Les reprises lexicales et syntaxiques (apposition au toponyme), ainsi que celle de la coloration identique du nom, sont remarquables. L'isosémie /noblesse/ seulement afférente dans (C) à `couronne', `tour' et `cathédrale', est centrale dans (F). En indexant le contenu des lexèmes « fleurons », « ducale », « granit », « Harcourt », elle est corrélée au faisceau isophonique \r\ + \a(n)\ qui se trouve ainsi prolongé et enrichi (cf. supra). En revanche, le trait /religion/ est absent de (F). On constate que son insertion au fil de la genèse a eu pour corollaire, toujours au niveau méso-générique, la délétion de /féodalité/ (laquelle sera réinsérée ailleurs ; cf. le segment suivant). Le premier jet développait en effet tout un contexte sur l'architecture médiévale et la « puissance » qu'elle dégage.

La réflexion sur « le temps [qui] a pris la forme de l'espace » (ibid.), étrangère à (C), propage dans le premier `jaunissant' de Harcourt le sème /retard/, prescrit par « n'avait pas encore », ainsi que /statisme/, par contraste avec la soudaineté de l'élévation de Guermantes. Cette dévaluation est toutefois estompée par la présence de la fierté nobiliaire et l'anticipation du « sommet ». Dans le contexte /minéral/, cela active la paire /longue durée/ + /ascendant/, présente aussi dans (C). Il en découle un parcours dialectique de la dorure progressive. Et dans les séries d'oppositions suivantes :

comparé comparant
/gris/ (`granit') /jaune/
/dur/ /onctueux/
/minéral/ /fondant/
/grand/ /petit/
/féodal/+/religieux/ /roturier/
/architecture/ /alimentation/
/spirituel/ /matériel/

les sèmes plutôt négatifs (/roturier/, /petit/, /gris/, /dur/) sont moins saillants que tous les autres du fait que l'or implicite de « jaunissant » (cf. « couronne », « fleurons », « ciselé ») active la paire /brillant/ + /précieux/, par assimilation. La thématique d'un beurre supérieur s'impose, virtualisant les sèmes incompatibles. La cohésion entre les deux molécules est encore renforcée par leurs isosémies communes /mélioratif/, /duratif/, /vertical/, /incurvé/.

Conciliation des contraires et adoucissement s'expliquent moins par les composants sémantiques eux-mêmes que par les primitives casuelles qui les unit. En effet, le lent polissage du monument (qu'implique le processus « jaunissant ») est dû à sa situation dans une région dont le beurre est le produit typique : soit Normandie (/ergatif/ + /locatif/), produits (/accusatif/ + /locatif/), à la base de /attributif/ entre produits. Comme l'avait remarqué G. Genette (1972, op. cit.), la motivation métonymique de la métaphore lui confère une vérité.

Or toutes ces analyses sont confirmées et éclairées par le regard complémentaire porté sur un autre extrait du texte final, pris dans un volume ultérieur à (C). Son coup de théâtre génétique réside dans le fait qu'il offre une seconde version au segment (F), lequel n'apparaît plus alors comme l'avant-texte unique de Coutances. En effet, Le côté de Guermantes s'ouvre sur :

(G) « la terre héréditaire, le poétique domaine, où cette race altière de Guermantes, comme une tour jaunissante et fleuronnée qui traverse les âges, s'élevait déjà sur la France, alors que le ciel était encore vide ».

Avec « alors que », la syntaxe oppositionnelle demeure, mais le sème /plénitude/ indexant toujours `Guermantes' est devenu plus perceptible, par l'ajout de « terre héréditaire », `domaine', sur fond de /vacuité/ inhérent à `vide' (auparavant afférent à « n'avait pas encore »). Au-delà des reprises lexicales, agencées par hypallage génétique (la « tour » et la « race » sont colorées au lieu du « nom »), et de la parasynonymie (fier-altière ; siècles-âges), les modifications, pour être subtiles, n'en sont pas moins nombreuses. En effet, Harcourt a disparu, léguant en quelque sorte sa féodalité dorée à Guermantes. La disparition corrélative du gras normand provoque l'interprétation du jaune non plus par rapport au beurre, mais plutôt au seul or de « fleuron- » et de la « lumière » cooccurrente du « ciel ». En outre, malgré la perte de « couronne » et « granit », le nouveau nom devenu central conserve ses valeurs minérales, que renforce cette fois l'évaluation positive des sèmes /dynamisme/ + /avance/ inhérents à « s'élevait déjà ». Enfin, l'ajout des sémèmes `héréditaire', `race', `poétique' accroît la saillance de la paire /longue durée/ + /ascendant/, et, au niveau générique, de /humain/ (`duchesse') par rapport à /inanimé/ (`ducale'). Le thème familial prend le pas sur l'architectural.

Retenons finalement ceci : en dépit de la remarquable stabilité lexico-syntaxique, le segment (G) ne saurait être la seule vraie suite génétique de (F). Du beurre comparant il ne reste que la couleur et la forme, mais non la qualité tactile et le lieu d'origine que contient précisément le segment (C). On peut donc conclure à une scission bipartite du segment initial synthétique. Le grand éloignement final et mutuel de (C) et (G) répond à l'hétérogénéité des contextes : réflexion sur le son du toponyme « Coutances » pour le premier, constitution du « domaine » de Guermantes pour le second. La double opposition /religieux/ + /onctueux/ vs /féodal/ + /lumineux/ mise à part, ces deux noms jaunissants sont en relation de paronymie et de parasynonymie. La conservation thématique et l'éclatement tactique à partir de (F) apparaît ainsi avec force.

Or précisément le mouvement répété (depuis D) vers la noble famille au centre de la Recherche incite à revenir au début du premier volume. La raison en est que l'étonnante cohésion due à la lexicalisation des sèmes inhérents à `beurre' (`gras-', `jaun-') et socialement normés (`tour' - i.e. <`motte'> -, `normand-'), est encore renforcée par les sémèmes `onctueuse-', `étalait' et `consistance' qui apparaissent cette fois dans l'église de Combray sur les « tapisseries de haute lice représentant le couronnement d'Esther ». Or celle-ci est anoblie par « les traits [...] d'une dame de Guermantes », dont la particularité vestimentaire est que

(H) « le jaune de sa robe s'étalait si onctueusement, si grassement, qu'elle en prenait une sorte de consistance ».

Que révèle ce segment du texte final de la partie Combray, sinon la reprise du jaune féodal de Harcourt-Guermantes, associé au même contexte des mérovingiens. Toutefois dans son surgissement à un endroit du texte final différent de (C), (D), (G), l'opération sémique d'insertion rend compte avec précision de « l'effet syntagmatique » (Genette) ainsi engendré.

Certes, la métamorphose, qui demeure par la prise de consistance, réitère le sème /expansion/ (de l'acquisition retardée des fleurons). Elle est corrélée à « la quatrième dimension du Temps » qui détermine dans la vieille église l'isosémie /architecture minérale/ dominante. Toutefois, celle-ci n'est plus, comme dans (C) et (F), en relation attributive avec le jaune onctueux, mais locative (i.e. de contiguïté). L'insertion dont nous parlions concerne alors l'isosémie méso-générique comparée /tissage/ (tapisserie et robe), laquelle représente un « couronnement » irénique. Cette substitution d'attribution engendre la délétion du faisceau de sèmes précédent /avance/, /incurvé/, ainsi que /ascendant/ et /dur/, au concret (la « tour ») comme à l'abstrait (conquête féodale). L'adoucissement plus intense qui en découle conserve néanmoins les traits /longue durée/, /mélioratif/, /vertical/, /inchoatif/ et rend perceptibles /spirituel/ et /ponctuel/, par assimilation avec le segment consécutif, quelques lignes plus bas :

(I) « les hautes branches jaunissantes, dorées et comme à demi effacées par la brusque et oblique illumination d'un soleil invisible. »

Telle est la complexité du « panneau de soie et de laine ayant passé ». Sa lumière et sa médiation reconduisent aux segments (A), (B), (D). L'analyse serait à poursuivre désormais sur la dimension /végétal/ qui composait avec insistance le sens du nom de Guermantes dans la même page que celle du segment (D).

La limite du secteur thématique initial que nous avions tracé est donc ici atteinte. La transposition qu'opère ce segment (I) est d'autant plus nette qu'il se situe dans la partie Combray marquée par la présence du blond Swann, lequel, avec Esther, propage l'isosémie /judéité/ au doux jaune Guermantes. Soit un sémantisme absent non seulement de Coutances et de Harcourt, mais surtout de la « race » de Guermantes du segment (G). Bref, on constate que dans chacun des neuf segments jusqu'ici étudiés le fond méso-générique qui demeure est /noblesse/, soumis aux diverses variations.

On terminera cet exposé en revenant au segment (B). En effet, pour ne pas laisser en chantier son analyse génétique, il convient de le compléter par ses deux phrases immédiatement antécédentes, qui présentaient la duchesse.

(J) « Ses cheveux gris qu'elle portait maintenant relevés dévastaient en quelque sorte son visage, y faisaient plus grande, presque illimitée comme dans un paysage dénudé, la part des yeux, le ciel captif d'Ile-de-France où la lumière semblait comme à la fin de l'après-midi briller plus douce. Il semblait que dans la voix j'aurais dû trouver aussi plus de douceur dorée de l'arrière-saison le rayon jaune et doux. Mais... » (etc., Cahier 57).

L'avant-texte confirme l'assimilation que nous avions établie entre les deux couleurs (bleu-jaune) contiguës du « visage », dont le lien paronymique qui l'unit au « paysage » comparant soude plus encore les deux isosémies macro-génériques entrelacées /humain/ vs /cosmique/. Cette dualité est soumise comme dans le segment (B) à une inversion cognitive. La répétition du modalisateur « semblait » + JE accentue le passage à l'univers subjectif qui valorise le ciel des yeux et le soleil de la voix contre la grisaille que le texte final rendra explicitement céleste.

(K) « Elle était là, souvent fatiguée, le visage vidé pour un instant de la préoccupation [...] des choses inconnues qui faisaient souffrir Swann ; elle écartait ses cheveux avec ses mains ; son front, sa figure paraissaient plus larges ; alors, tout d'un coup, [...] quelque bon sentiment comme il en existe dans toutes les créatures, quand dans un moment de repos ou de repliement elles sont livrées à elles-mêmes, jaillissait de ses yeux comme un rayon jaune. Et aussitôt tout son visage s'éclairait comme une campagne grise, couverte de nuages qui soudain s'écartent, pour sa transfiguration, au moment du soleil couchant. »

Ici, l'inversion d'ordre dialogique (cf. « paraissaient ») est couplée à celle d'ordre dialectique, contrairement à (J), où la description s'opérait dans un unique intervalle temporel. Le second moment de l'éclaircie est introduit par la comparaison « comme » + indicatif : elle équivaut à un acte d'assertion bien différent de l'incertain « aurais dû ». Notons que sa subjectivité implicite modalise désormais la grisaille aussi. La nette métamorphose qu'induit ce passage à la « vérité » ne concerne plus Oriane vue par Marcel, mais Odette admirée par son amant.

Quant au jeu des couleurs, il témoigne de l'éclatement d'ordre tactique qu'a produit la genèse. En effet, alors que le « bleu captif » et pictural migre au segment (D) élargi, côté Guermantes (cf. supra), seule reste la dualité gris-jaune, côté Swann, dans (K). La reprise remarquable par ces segments des récurrences lexicales et leur paraphrase de l'avant-texte (J) synthétique prouve que la conservation de certains thèmes transcende le clivage entre les toponymes et les anthroponymes originaux de la Recherche. Il y a plus : alors que dans le texte final tout oppose la duchesse et la cocotte, notre analyse confirme ce qu'ont découvert les généticiens proustiens, à savoir les migrations sémiques d'un actant féminin à l'autre. De tels invariants sémantiques relativisent leurs oppositions ultérieures. À ce sujet, voici quelles sont les oppositions minimales (d'ordre perceptif et thymique) communes à ces deux actants féminins et cosmiques :

/gris/ vs /jaune/
/terne/ /lumineux/
/dysphorie/ /euphorie/

Elles sont beaucoup moins nombreuses que celles insérées dans le segment final. Il est donc temps d'aborder les modifications proprement thématiques du jaune brillant baudelairien.

Le vers de Chant d'Automne, de citation explicite, devient allusion discrète, sans doute parce qu'il continue à décrire « la fin de l'après-midi », mais dénuée de l'automne de la vie. De sorte que l'isosémie /cessatif/ est conservée, mais avec une délétion de /péjoratif/ puisqu'Odette est simplement atteinte d'une fatigue physique maladive et non pas dévastée, elle, par la vieillesse.

Du fait que les yeux ont perdu leur azur, en eux peut se concentrer la couleur de la voix qui elle aussi a disparu pour se restreindre à la duchesse (segment D final) et à Coutances. La nouveauté est que triplet /jaune/ + /lumineux/ + /rectiligne/ est le premier à connecter en fin de phrase la paire /humain/ + /spirituel/ avec /cosmique/. Cette isosémie succède à cette paire dans la seconde phrase, où cesse son entrelacement antérieur. Cela confirme le réaménagement tactique observé.

Comment s'explique-t-il ? Dans le segment (J) les parties du corps s'entremêlaient simplement à celles du paysage, tandis que dans (K) le physique alterne dans la première phrase avec le mental (« préoccupation », « souffrir ») ; tous deux sont connectés dans la seconde avec la nature. Cela engendre une double extériorisation du « bon sentiment » qui se traduit d'une part dans le regard, de l'autre dans la radiation qui est celle du « soleil couchant ». Ce lien nouvellement affirmé de la paire /cosmique/ + /spirituel/ s'appuie sur le connecteur polysémémique « transfiguration » (i.e. miracle religieux, mais aussi changement de figure où se reflète la bonté). On décèle alors une réactualisation de la trilogie de Saint Paul dans laquelle l'âme (psyché), animant le corps (soma), s'ouvre à l'esprit (pneuma), de telle sorte que la psychologie terrestre s'épanouit dans la vision mystique céleste. Autrement dit, l'esthétique féminine de Swann suppose les sentiments de l'amour profane et du sacré. L'appel final de la nature transcendante, par rapport à l'immanence de l'état de l'âme au visage, justifie le réaménagement tactique dont nous parlions.

En outre les sémèmes `nuages' et `cheveux' ont en commun le trait /opaque/ qui indexe aussi les « choses inconnues » et cruelles de la psychologie amoureuse, par opposition à « rayon jaune » et `yeux' indexés, eux, par /diaphane/, du fait qu'ils révèlent le surgissement d'une double spiritualité positive. Il s'agit là de l'oeil de l'âme qui reconduit au divin, topos néoplatonicien d'autant plus justifié que le modèle pictural d'Odette est celui de Botticelli. Les deux isosémies, couplées aux deux inversions cognitive et dialectique, s'intègrent dans la plus vaste isosémie /duplicité/ ainsi réinstaurée. Celle-ci, absente de l'avant-texte (J), n'est pas à confondre avec le dédoublement métaphorique /humain/ vs /cosmique/, étant donné qu'elle détermine les deux espaces. On a la double proportion : niveau corporel : l'énergie intérieure dissipe la fatigue ; niveau sentimental : la douceur perce derrière la souffrance ; niveau bucolique : le soleil transperce les nuages ; niveau hiérophanique : l'intelligible anime l'inanimé et éclaire le sensible en permettant l'interprétation des signes humains et naturels.

Visage et paysage relèvent de l'isosémie macro-générique /matériel/, laquelle, en faisceau avec /statique/, /duratif/, /cessatif/, /rétraction/, /dysphorie/ (cf. `fatiguée', `repos', `repliement', `campagne', `nuages'), et dans le premier temps d'un réalisme empirique, est conciliée, par le rayon déclinant et médiateur, avec son faisceau contraire /spirituel/, /dynamique/, /ponctuel/, /inchoatif/, /expansion/, /euphorie/, (cf. `alors', `tout d'un coup', `soudain', `pour un instant', `éclairait') dans le second temps d'un réalisme transcendant.

Si toute cette stucturation complexe a été insérée dans le segment final (K), en revanche l'opposition spatiale /vacuité/ (`vidé' du négatif) vs /plénitude/ (par « ex-pression » de bonté) indexait déjà dans (J) le « visage-paysage dénudé » contenant subjectivement « plus de douceur dorée ».

Précisément, cette révélation permet d'en revenir à la jaune onctuosité. Car le grief pouvait nous être fait d'avoir quitté ce secteur thématique initial. Or le syntagme ajoute à la voix de Mme de Guermantes une touche de sucré par anticipation du regard mielleux trahissant la duplicité d'Odette : son « bon sentiment » lumineux n'est que passager dans le développement de sa relation amoureuse avec Swann qui dénie l'amélioration de la jeune femme. L'extrait étudié n'illustre qu'une pause dans la tourmente. Comment la prosaïque et triviale Odette pourrait-elle conserver la pose hiératique que lui confère l'idéalisation de Swann ? Revenons à ses yeux : le « rayon jaune » de miel qui semble (par la syntaxe de comparaison) émaner d'eux actualise toutefois moins, le topos de la fille aux yeux d'or perverse, qu'il ne renoue avec le temps orageux de Roussainville.

Dans ce contexte antérieur, la paraphrase était frappante avec cette « campagne » où les « rayons d'or » triomphants de « Dieu le Père » transfiguraient cette apparition tamisée :

(L) « souvent le soleil se cachait derrière une nuée qui déformait son ovale et dont il jaunissait la bordure. »

Mais comme précédemment à l'église, ce segment nous entraîne vers le terrain glissant de nouvelles associations, éloignées de l'avant-texte (J) concernant la duchesse.

Impossible néanmoins de passer sous silence la citation du même poème de Baudelaire, fort affectionné de Proust, et réapparue à Balbec, dans un volume ultérieur du récit :

(M) « je me demandais si son soleil rayonnant sur la mer ce n'était pas -- bien différent du rayon du soir, simple et superficiel comme un trait doré et tremblant -- celui qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière ".

On pourrait croire ici le domaine agreste absent ; il n'est que de rappeler l'importance dans ce volume de la métaphore des « champs ensoleillés » marins, dans les toiles d'Elstir, pour opérer la réécriture <`campagne'>. Elle est requise dans ce segment sur la fermentation impliquant la plaine céréalière.

Ce n'est pourtant que dans un volume bien ultérieur que le retour à Balbec développera cette vision, toujours euphorisante malgré son jaune onctueux cette fois péjoratif :

« certains jours la mer me semblait au contraire maintenant presque rurale elle-même. » Avec « l'alternance d'espaces de couleurs nettement tranchées comme celles qui résultent de la contiguïté de cultures différentes, les inégalités âpres, jaunes, et comme boueuses de la surface marine, [...] où une équipe d'agiles matelots semblaient moissonner ».

Mais restons-en au contexte baudelairien, où la période des illusions de Marcel -- encore non déçues -- se traduit par toute une mythologie océanique, laquelle disparaît par la suite. On peut rapporter cette modification sentimentale au passage d'un réalisme transcendant à un réalisme empirique.

De même qu'Oriane et Odette englobaient un paysage, de même dans le segment (M) la blondeur qui personnifie la mer en nymphe lexicalise un sème inhérent à `bière', d'origine inanimée. Ce comparant partage avec le comparé les sèmes inhérents /liquide/, /écumeux/, /amer/, ce qui atténue son caractère contrefactuel. Il active en outre /jaune/, /brillant/, /précieux/, par assimilation avec la « topaze », mais aussi /doux/ (« du lait ») par contraste avec sa brûlure.

Si le distinguo que fait l'observateur entre le « rayon du soir » et celui de plein jour valorise ainsi la blondeur, c'est essentiellement parce qu'elle illustre une métamorphose étrange, complexe et originale d'un point de vue poétique. Les deux lexicalisations de l'ensoleillement se dissimilent alors par le couplage des catégories aspectuelle, herméneutique et modale :

`doré' `blond-'
/cessatif/ /duratif/
/superficiel/ /profond/
asserté incertain

En fait, l'épistémique (« me demandais si... ne... pas ») modalise une variante de la primitive « douceur dorée » (avant-texte J), laquelle conserve à Balbec sa sacralité divine et poétique. Bref, au-delà des modifications intervenues, cette étape génétique montre une fois de plus la permanence d'un sémantisme de la couleur, dans les mots, que l'ontologie proustienne aurait identifié à la « substance » des choses colorées. Or notre étude se limite au seul plan verbal, et substitue à la perception de l'essence du monde celle du sens des sémèmes en contexte.

Remarque. L'intertextualité des segments (J), (K), (M) ne saurait se limiter aux seules citations de Baudelaire, même si Odette est bien cette « fleur maladive ». La topique littéraire est plus large et inclut Sainte-Beuve, en dépit de l'absence d'allusion claire à la poésie intimiste de ce critique. Proust avouait ailleurs être « l'amoureux incorrigible des Rayons jaunes ». Citons des passages significatifs -- pour notre thème : « Et les jaunes rayons que le couchant ramène, \ Plus jaunes ce soir-là que pendant la semaine, \ Teignent mon rideau blanc. [...] \ La lampe brûlait jaune, et jaune aussi les cierges ; \ Et la lueur glissant au front voilé des vierges \ Jaunissait leur blancheur ; \ Et le prêtre vêtu de son étole blanche \ Courbait un front jauni, comme un épi qui penche \ Sous la faux du faucheur. [...] \ Qui n'a du crucifix baisé le jaune ivoire ? [...] \ A le voir si voûté, l'on dirait un aïeul ! \ Il se ride, il jaunit; il penche vers la tombe. » Plus d'une cooccurrence retiendra l'attention du lecteur attentif au texte de Proust : il y retrouvera sans mal ce « couchant », cette « lampe », cet « épi », baignant dans la même teinte, qu'elle résulte d'un éclairage naturel ou artificiel ; jusqu'au jaunissement du rideau annonçant celui par lequel s'effectue l'apparition de Saint-Loup à Balbec (dans Les jeunes filles en fleurs). En outre, se confirme ici déjà l'importance de la molécule /duratif/ + /cessatif/ + /religieux/ + /sacralité/. Elle confère aux matières teintes en jaune la charge métaphysique qui est liée à cette couleur, dans l'idiolecte beuvien, et qui les transfigure. Ce sémantisme a constitué une source d'inspiration évidente. A la différence du poème qui concentre les occurrences, l'oeuvre proustienne les dissémine dans ces passages descriptifs que nous avons pu étudier. Bref la contrainte du genre invente une autre façon de les rendre perceptibles.

Ressaisissons les treize segments abordés dans cette seconde partie en faisant ressortir les associations minimales de lexèmes ainsi que les sèmes génériques qui sont explicitement attribués à la couleur :

avant-textes

(A) /minéral/ : façade grassement dorée
(B) /humain/ : hésitations vocales grassement dorées
(F) /minéral/+/humain/ : tour grasse et nom jaunissant
(J) /humain/+/céleste/: douceur dorée et rayon jaune de la voix

texte final

(C) /minéral/+/humain/ : diphtongue-tour jaunissante et grasse
(D) /minéral/+/humain/ : or gras d'une voix, de la place
(E) /minéral/ : patine dorée de la place
(G) /minéral/+/humain/ : race-tour jaunissante
(H) /tissage/+/humain/ : jaune gras de la robe
(I) /tissage/+/végétal/ : branches jaunissantes et dorées
(K) /humain/+/céleste/ : rayon jaune du couchant des yeux
(L) /céleste/ : nuage jaunissant
(M) /céleste/+/marin/ : rayon doré et mer bière blonde

Si le sème spécifique /onctueux/ n'est pas inhérent dans tous les syntagmes, il n'en est pas moins activé par assimilation avec la douceur des matières. Cela illustre un phénomène constant, à savoir l'établissement d'une forte cohésion sémantique autour de la couleur par le jeu primordial des afférences (ainsi le trait /spirituel/ unit-il tous les autres génériques ; ou encore, dans (H) par exemple, /minéral/ est actualisé, mais en relation locative et non plus attributive).

Les afférences auraient exigé un tableau synthétique dont la précision nécessaire aurait évité le réductionnisme de leur structuration, mais non des répétitions lassantes. C'est pourquoi nous nous contentons ici d'un résumé très succinct, en guise d'aide-mémoire. L'essentiel était d'avoir mis en évidence, au cours de l'analyse, les sèmes récurrents révélateurs d'une continuité, et de changements à partir d'elle, au niveau des quatre composantes sémantiques.

Conclusions

1) Sur le contenu

La compatibilité omniprésente du profane avec le sacré autour du doux coloris est frappante. Elle est emblématique de la complexité thématique, déjà atteinte dans les brouillons (cf. J enchaîné avec B), encore accrue dans la version définitive. Cela va de pair avec, soit une syntaxe plus ramifiée dans une phrase plus longue (cf. K), soit la scission et l'éloignement mutuel d'ensembles lexicaux soudés à l'origine (cf. les rayons dans K et M et des tours de C et G, respectivement situés dans des volumes et des contextes différents).

Le constat premier auquel aboutit notre étude est que lorsque Proust réitère d'une version à l'autre de tels segments, sinon identiques du moins en très forte paraphrase, leur contenu n'est pourtant pas indexé aux mêmes isosémies. Par exemple, le résumé ci-dessus insiste sur l'équivalence de (F), (C), (G), bien qu'il néglige la délétion et la réinsertion de /féodalité/ si importante dans la structuration des toponymes et anthroponymes. Ce parcours interprétatif qui marque la différence apparaît alors comme un infléchissement à partir d'un thème stabilisé par le retour de molécules sémiques. Il implique que l'on place le processus d'assimilation au départ de l'analyse. On a ainsi observé la proximité thématique entre la blonde onctuosité des aubépines et celle de la tisane, soient les génériques /végétal/ + /tissage/, mais aussi ailleurs la connexion de /humain/, /minéral/, /céleste/, /marin/, /campagnard/.

Resterait à étudier l'horizon externe et relationnel de la blondeur avec celui d'autres coloris (selon l'expression de M. Collot, op. cit.). Car est apparue au cours des étapes de la genèse la modification de la répartition du jaune, du bleu et du gris, sans même parler du blanc laiteux ou de celui couplé au rose des aubépines. Elle requiert un approfondissement si l'on émet l'hypothèse vraisemblable que le système des couleurs organise le récit poétique proustien. On s'est efforcé de montrer que l'une d'elles à tout le moins s'avère cruciale dans la consistance du « personnage » : lorsqu'Odette jaunit comme Oriane, elle partage avec elle tout un faisceau isosémique ; c'est sur cette identité préalablement établie que se découpent leurs différences subtiles, par exemple sur l'échelle de valeur des héroïnes. Ainsi le rayon visuel de la première ne possède pas l'onctuosité auditive de la seconde, du moins pas de façon aussi durable.

2) Sur la méthode

Si l'on a pu mesurer l'évolution du sens, il est d'un autre enjeu d'affirmer que l'étude génétique textuelle est impensable sans repérages sémantiques précis. Observer le retour de signifiants, localement, n'est en effet qu'un préalable, un indice de signifiés communs pouvant être orientés dans des directions globales divergentes. On a ainsi pu voir le sens que revêtaient les prémisses de bipartitions célèbres (Swann vs Guermantes, région parisienne vs région normande).

Il y a plus. L'analyse sémique nous semble le fondement de la compréhension des textes. En effet, si la prise en compte des brouillons accroît le comparatisme intersegmental, les plausibles actualisations (et virtualisations) de sèmes évitent d'en rester au constat superficiel du « touffu » pour montrer de façon dynamique une organisation complexe, in statu nascendi, selon la devise des généticiens. Cette dynamique interprétative permet justement d'obvier à une prétendue exhaustivité, laquelle reste illusoire, même dans un segment court, ne serait-ce que par les activations que ne manque pas d'entraîner le rapprochement d'un nouveau segment. Insistons sur le fait que la visée génétique ne procure pas seulement des parcours sémantiques supplémentaires, mais qu'elle offre souvent une vérification appréciable aux inférences établies dans l'état synchronique d'un texte.

Nous avons ainsi illustré une nouvelle définition purement linguistique de la thématique. Elle s'écarte, par la théorie et la méthode, de celle que J.-P. Richard appliqua à Proust.

La description rend ainsi compte, dans le champ qui lui est propre, des phénomènes stylistiques, rhétoriques, esthétiques qu'elle rencontre et englobe ; voire de notions philosophiques chères à Proust, comme la théorie de la réminiscence. En effet, dans la conception occurrentielle du thème que nous avons illustrée, la mise en évidence de la cohésion remarquable de morceaux descriptifs de la Recherche explique qu'ils constituent un procédé mnémotechnique en incitant le lecteur attentif à réduire la distance textuelle et temporelle qui les sépare. L'étude d'un tel dispositif textuel éclaire les contraintes précises exercées sur ce phénomène « cognitif » primordial qu'est la mémoire. Certes, pour Proust, la valeur de celle-ci résidait dans sa nature involontaire et vitale (référentielle) ; il ne nous paraît toutefois pas indigne d'avoir montré quels calculs sémantiques (intralinguistiques) elle implique, dans le travail de l'écriture. D'ailleurs, l'auteur du Temps retrouvé en convenait d'une certaine manière avec son célèbre partage des rôles :

« Seule l'impression [...] est un critérium de vérité, [...] avec cette différence que chez le savant l'intelligence précède et chez l'écrivain vient après ».

Or il revient au concept récent de « perception sémantique » de rompre avec cette dualité schématique : l'intuition est loin d'être antinomique de la rationalité et des signes uniquement verbaux (i.e. non mondains), pour peu que l'on n'envisage pas le sens en termes de « vérité logique » (Proust, ibid.), mais comme un jeu sémique soumis à l'acte perceptif du lecteur et qui n'exclut pas le travail de recherche, modestement « savant » ; c'est ce qu'on a tenté ici d'illustrer.


ANNEXE : Glossaire de sémantique interprétative


BIBLIOGRAPHIE :

NB : Bibliographie méthodologique, ne reprenant pas les articles et ouvrages déjà cités.

MARTIN, R. (1992) Pour une logique du sens, PUF.

MÉZAILLE, T. (1991) Sémantique interprétative et stylistique, L'information grammaticale, 51, p. 30-34.

POTTIER, B.(1987) Théorie et analyse en linguistique, Hachette.

RASTIER, F. : (1987) Sémantique interprétative, puf.

-- (1989) Sens et textualité, Hachette.

-- (1991) Sémantique et recherches cognitives, PUF.

-- (1992a) Thématique et génétique -- L'exemple d'Hérodias, Poétique, 90, p. 205-227.

-- (1992b) Réalisme sémantique et réalisme esthétique, TLE. 10, p. 81-119.

-- (1992c) À propos d'une phrase de Proust, in Où en est la linguistique ? Didier, p. 108-115.

-- (1994) Tropes et sémantique linguistique, Langue Française, 101, p. 80-101.

RASTIER, F. & CAVAZZA, M., ABEILLé, A. (1994) Sémantique pour l'analyse, Masson.


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©  décembre 1996 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : MÉZAILLE, Thierry. Genèse d'un thème : la blondeur chez Proust. Texto ! décembre 1996 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Mezaille_Genese.html>. (Consultée le ...).
 

Mis à jour en juin 2001.