LA BETTE ET LA BÊTE - UNE APORIE DU RÉALISME

François RASTIER
C.N.R.S.

Toute réflexion sur le roman impose un retour sur l’énigmatique catégorie du réalisme. Nous amorcerons ici un tel retour en prenant pour exemple, ou pour prétexte, La Cousine Bette. La notion de réalisme compte parmi les plus problématiques de la tradition esthétique occidentale. Elle subordonne en effet, en dernière analyse, la beauté à la vérité. Cette vérité est conçue, classiquement, comme une représentation adéquate du réel (empirique ou transcendant). Elle engage donc, pour la littérature, le rapport du texte à une réalité qu’il est censé dépeindre.

L’unité du texte reposerait alors en dernière analyse sur l’unité ontologique de cette réalité. Mais s’il paraît représenter des réalités hétérogènes, comme c’est le cas dans bien des fictions, et généralement dans les textes mythiques, comment apprécier sa prétendue vérité ? On peut certes postuler une réalité dominante, reflétée par un prétendu sens littéral, et déclarer figurés les autres sens. Mais la distinction entre littéral et figuré, par son inconsistance même, demeure un des obstacles épistémologiques principaux pour les sciences du langage. Elle s’appuie cependant sur la longue tradition de l’allégorisme paulinien, et permet encore aujourd’hui de tracer le départ entre sémantique vériconditionnelle et pragmatique.

Les conditions sémantiques de la représentation

La notion de réalisme repose en outre sur la conception aristotélicienne du signe comme entité renvoyant à un objet par la médiation d’une représentation. Son signifié se définit donc par rapport à un référent.

Hors de ce paradigme symbolique traditionnel, le problème de la référence se réduit pour nous à celui de l’impression référentielle - qui n’est pas une illusion car elle est faite d’images mentales (et ce, quoi qu’en aient dit Barthes et Riffaterre, qui reformulent sans qu’il y paraisse la péjoration platonicienne qui frappe la représentation artistique; ainsi Riffaterre souligne son caractère erroné : « L’illusion référentielle substitue à tort la réalité à sa représentation » mais conclut sereinement « Nous ne pouvons cependant nous contenter de corriger l’erreur et d’en ignorer les effets, car cette illusion fait partie du phénomène littéraire, comme illusion du lecteur » in Littérature et réalité, Seuil, 1982, p.93).

L’étude de l’impression référentielle engage la linguistique, dans ses rapports avec la psychologie cognitive (qui a accumulé ces dix dernières années de riches données expérimentales) et la neuropsychologie (qui confirme l’activation du cortex visuel après consignes d’imagerie). Bien qu’un signifié ne se confonde pas avec une représentation, tout texte impose des contraintes sur la formation des images mentales, notamment par ses structures sémantiques. Ces contraintes sont dépendantes des régimes discursifs (littéraire, scientifique, religieux, etc.) et des pactes qui régissent l’interprétation des genres textuels au sein des pratiques sociales. Pour une sémantique descriptive, le problème se détaille ainsi à quelles conditions un texte peut-il renvoyer (1) à un monde factuel, (2) à nul monde, (3) à un monde contrefactuel, (4) à plus d’un monde ?

La théorie des isotopies génériques permet de spécifier ces conditions. Pour notre propos, certaines de ces isotopies méritent une attention particulière, car elles déterminent l’impression référentielle de l’énoncé. Ce sont les isotopies génériques qui indexent les sémèmes et sémies appartenant à un même domaine sémantique (techniquement, il s’agit des isotopies mésogénériques, constituées par la récurrence de sémèmes appartenant au même domaine sémantique. Nos langues comptent trois à quatre cents domaines, dont les indicateurs lexicographiques comme mar. ou cuis. donnent une première approximation).

Les domaines sémantiques sont des classes lexicales de grande taille qui comprennent les sémèmes mis en jeu dans une pratique sociale déterminée. Quatre cas remarquables se présentent, que nous illustrons par des énoncés, mais qui pourraient l’être par des textes entiers.

(1) Plusieurs sémèmes ou sémies sont indexés dans un et un seul domaine; aucun autre n’est contradictoire avec ce domaine. Exemple : Sans virer de bord, et par vent arrière, le catamaran d’Éric Loiseau a gagné la transat. L’énoncé induit alors une impression référentielle univoque. Ce type d’énoncé, quelle que soit par ailleurs sa véridicité, fait le fond des textes techniques et scientifiques; en d’autres termes, il est caractéristique des textes pratiques. Pour une sémantique qui, dans la tradition saussurienne, s’est séparée de la philosophie du langage et lui a abandonné le problème de la référence, le problème de la représentation de la réalité devient celui de l’impression référentielle univoque. Une telle impression est induite par une isotopie générique exclusive.

(2) Aucune isotopie générique ne peut être construite. Exemple : Le zirconium carguait les polyptotes. L’énoncé ne suscite pas d’impression référentielle. Les énoncés de ce type pullulent dans les soties, jusqu’au dadaïsme inclus.

(3) L’énoncé présente une isotopie générique, mais des isotopies obligatoires (ou contraintes de sélection) n’y sont pas respectées. Exemple : Le train disparu, la gare part en riant à la recherche du voyageur (René Char). L’énoncé de ce type paraît référer à un monde contrefactuel. Il est très fréquent dans les textes merveilleux.

(4) L’énoncé présente deux ou plus de deux isotopies génériques entrelacées. Prenons pour exemple le second vers de Zone d’Apollinaire : Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. Parce que plusieurs sémèmes sont indexés alternativement dans les domaines //ville// et //campagne//, l’énoncé induit une impression référentielle complexe. Les énoncés de ce type sont ordinaires dans les textes mythiques, notamment religieux ou poétiques. De par leur structure sémantique, ils paraissent renvoyer à plus d’un monde.

La typologie sémantique que nous résumons ici fonde à nos yeux la typologie logique des propositions, dans la mesure où elle en précise les conditions logiquement, le premier type d’énoncé est décidable (et comme tel susceptible d’être avéré ou infirmé); le second est logiquement absurde (et à tout le moins indécidable) le troisième reste décidable, mais faux ; le quatrième reste indécidable.

Au palier textuel, il faut cependant distinguer entre les textes poly-isotopes qui présentent une isotopie générique dominante, et ceux où une telle dominance n’est pas établie. En outre, il faut tenir compte des hiérarchies évaluatives entre isotopies.

Il reste que bon nombre de textes réputés réalistes, et notamment des romans, présentent une isotopie générique dominante (ou un faisceau d’isotopies génériques dominantes), ce qui les rapproche des textes pratiques; mais cette domination ne doit pas masquer les isotopies dominées, car la poly-isotopie est caractéristique des textes mythiques.

La Bette

Balzac passe pour un parangon du réalisme : il prétendait « amasser » des faits et « les peindre comme ils sont ». Il nous a paru opportun d’examiner cette idée reçue, à la lumière des connaissances acquises sur les isotopies génériques. Nous prendrons pour exemple un dédoublement d’isotopies génériques dans La Cousine Bette. « Peu de romans, écrit Pierre Citron, sont aussi enracinés dans la réalité » (préface à l’édition du Seuil, 1966, t. V, p. 9). Et Pierre Barbéris y voit notamment « le tableau d’un moment de l’histoire moderne » (préface à l’édition Folio-Gallimard, 1972, p. 16). Des doutes cependant vont s’épaissir sur la nature de cette réalité, au vu des « personnages » (nous choisissons d’étudier en premier lieu les personnages, car ils sont considérés comme un lieu privilégié de la représentation réaliste. Ainsi, Auerbach par exemple estime (dans Mimésis , Gallimard, 1968, p. 549) que Balzac prit « des individus quelconques de la vie quotidienne, saisis dans la contingence des événements historiques, pour en faire l’objet d’une représentation sérieuse, problématique, et même tragique »).

1. Si le personnage éponyme du roman répond au diminutif de Bette, cette aphérèse fait dresser l’oreille, quand on lit que des malheurs de famille domptèrent la Bette », et qu’elle aperçut alors « le licou de la domesticité » (9). Ces interprétants incitent sinon autorisent, voire imposent la réécriture de Bette en Bête.
De quel animal s’agit-il donc ? La première description qui la présente est riche d’enseignements. Ne porte-t-elle pas « une robe de mérinos » et « des souliers en peau de chèvre » (1) ? Il y a du caprin et de l’ovin dans cette tenue. Elle reconnaît d’ailleurs : « Il faut qu’une vieille bique comme moi ait quelque petite chose à aimer » (11). En outre, le baron Hulot la salue d’un « Bonjour la Chèvre » (12). Devenue dame de compagnie et femme de charge de la dangereuse Mme Marneffe, elle disait : « Après avoir commencé la vie en vraie chèvre affamée, je la finis en lionne » (40).

N.B. : Ce vraie est naturellement équivoque. Depuis les premiers travaux de Lakoff (1972), sur les enclosures, on a beaucoup discuté de cette sorte de mots qui suspendent les contradictions (cf. La femme du boulanger est une vraie vieille fille), sans douta parce qu’ils imposent des dissimilations d’univers. Mais les théories de l’appartenance floue restent entachées du logicisme qu’elles entendent contester.

Bref, à l’acteur humain Bette correspondrait une chèvre sur l’isotopie animale. Soit, mais qu’en est-il de la « lionne » ? Dans ce contexte favorisant, les deux acceptions (« élégante » et « féline ») peuvent être maintenues. Cependant un doute s’élève. Soit le récit a opéré une transformation de la chèvre en lionne, et elle passe ainsi du camp des victimes dans celui des prédateurs. Soit Lisbeth ne correspondait à une chèvre que dans l’univers de certains acteurs, ceux de sa famille, mais à une lionne dans l’univers de référence, que partagent le narrateur et d’autres acteurs : « l’inexplicable sauvagerie de cette fille lui méritait le surnom de Chèvre que le baron lui donnait en riant. Mais ce surnom ne répondait qu’aux bizarreries de la surface, à ces variations que nous offrons tous les uns aux autres en état de société » (9). Les deux termes de cette alternative ne s’excluent pas cependant, car ici la transformation (au plan dialectique) se redouble d’une révélation (au plan dialogique).

Mais cette lionne n’est-elle pas plutôt un tigre ? « Qui vous a dit qu’elle [Hortense] était jolie ? demanda vivement Lisbeth [à Steinbock] avec un accent où rugissait une jalousie de tigre » (18); « ses yeux noirs et pénétrants avaient la fixité de ceux des tigres » (26). Elle est au demeurant « d’une mâle et sèche nature » (40), et ce tigre pourrait bien être un mâle; cependant, Valérie Marneffe l’appelle « ma tigresse » (53).

Sur l’isotopie humaine, un doute plane sur le sexe de la cousine : du moins, « elle possédait des qualités d’homme » (9) ; et « Lisbeth et Valérie offraient le touchant spectacle d’une de ces amitiés si peu probables entre femmes, que les Parisiens, toujours trop spirituels, les calomnièrent aussitôt. Le contraste entre la mâle et sèche nature de la Lorraine avec la jolie nature créole de Valérie servit la calomnie » (40); le narrateur va assez loin pour l’époque : « Elle adorait d’ailleurs Valérie, elle en avait fait sa fille, son amie, son amour. Elle trouvait en elle l’obéissance des créoles, la mollesse de la voluptueuse » (41). Pourquoi cette ambiguïté n’aurait-elle pas un corrélat sur l’isotopie animale ?

Convenons pour l’instant que la Bette est un fauve sur l’isotopie animale de l’univers de référence. En ce cas, sa robe de mérinos et ses souliers de peau de chèvre ne sont qu’un travestissement initial, qui trahissent la figure bien connue du lion déguisé en agneau. Si l’on se contentait d’y voir des e détails inutiles n dont la seule fonction, selon Barthes, serait de connoter le réel, il serait inutile de chercher plus avant.

N.B. : Barthes paraît nuancé, encadre de notes et de guillemets des expressions comme « notation insignifiante » (R. Barthes, in Littérature et réalité, Seuil, 1982, p. 82), « détail inutile » (p. 83), « détail concret » (p. 88). Plus dogmatique qu’il n’y paraît, sa thèse se résume à ceci : les détails qui paraissent contingents ont dans le roman réputé réaliste la fonction de paraître dénoter le réel, mais en réalité de le connoter. Ainsi, supprimé de l’énonciation réaliste à titre de signifié de dénotation, le « réel » y revient à titre de signifié de connotation ; car dans le moment même où ces détails sont réputés dénoter directement le réel, ils ne font rien d’autre, sans le dire, que le signifier […] autrement dit, la carence même du signifié au profit du seul référent devient le signifiant même du réalisme ; il se produit un effet de réel » (p. 89). Mais l’inutilité des détails n’est visible que relativement à l’analyse fonctionnelle : « Les résidus irréductibles de l’analyse fonctionnelle ont ceci de commun, de dénoter ce qu’on appelle couramment le “réel concret” (menus gestes, attitudes transitoires, objets insignifiants, paroles redondantes) » (p. 86). Cependant l’analyse fonctionnelle (Barthes entend par là l’analyse structurale des récits) ne peut décrire que partiellement un texte, et crée une foule de résidus qui sont autant d’artefacts. Une analyse moins rudimentaire peut reconnaître des fonctions à ces prétendus résidus. Enfin pourquoi un élément ne devrait-il avoir qu’une fonction ?

Le châle de cachemire jaune de la Bette fait le lien entre sa tenue de Chèvre que et sa tenue de Lionne. Elle le portait avant le chapitre 28 intitulé « Transformation de la Bette » et le conserve après « Cette singulière fille, maintenant soumise au corset, faisait fine taille, consommait de la bandoline pour sa chevelure lisse, acceptait ses robes telles que les livrait sa couturière […]. Ainsi restaurée, toujours en cachemire jaune, Bette eût été méconnaissable à qui l’eût revue après Ces trois années » (40). Or ce châle tient de l’agneau par sa matière, et du lion par sa couleur. Cf. e. g. les descriptions de la lionne dans Une passion dans le désert (5). Ce châle redouble sa complexité thématique par la richesse de ses rôles dialectiques. D’abord possédé par la baronne Hulot, puis par sa fille Hortense, il est convoité par la Bette, qui l’obtient en échange de révélations sur l’objet de sa passion, le comte Steinbock. Ces révélations conduiront au mariage de Steinbock et d’Hortense.

Voilà, objectera-t-on, des indices bien ténus. Mais ne lit-on pas, quelques pages après « Les femmes persuadent toujours aux hommes de qui elles ont fait des moutons qu’ils sont des lions » (43) ?

2. Le chapitre 11, où la Bette se revêt du châle, s’intitule « Entre vieille et jeune fille ». Il introduit évidemment un parallèle entre Hortense et la Cousine. il est redoublé sur l’isotopie animale au chapitre suivant, quand le baron Hulot les salue ainsi : « Bonjour la Chèvre, bonjour Chevrette ! ».

3. « Qui peut aimer une vieille chèvre ? » avait demandé la cousine Bette. « Ce doit être un monstre de vieil employé à la barbe de bouc ? » avait suggéré Hortense (10). Elles rivaliseront bientôt auprès du même homme, le comte Steinbock. Ce nom signifie bouquetin en allemand, traduction qui n’a rien d’un fantasme exégétique, car la Bette elle-même la donne à Hortense, non d’ailleurs sans quelque approximation : « Il m’a dit que Steinbock signifiait en allemand animal des rochers ou chamois. Il compte ainsi signer ses ouvrages... Ah! j’aurai ton châle » (11).

N.B. : On voit qu’une zoologie sourcilleuse ne trouverait pas son compte dans ce bestiaire. On confirme aussi que l’existence du comte et sa passion pour lui sont révélées à Hortense / la Chevrette sur l’isotopie humaine et simultanément sur l’isotopie animale elle éprouve un saisissement passionné au vu d’un groupe sculpté que lui présente la Bette, et qui représente les Vertus théologales. Il est signé de l’initiale de Wenceslas, et du dessin d’un chamois : la lettre renvoie à l’isotopie humaine, et le dessin à l’isotopie animale.

En Europe, le chamois se rencontre surtout dans les Alpes. Or, « Wenceslas Steinbock était sur une route aride parcourue par ces grands hommes, et qui mène aux Alpes de la Gloire ». Il y va « vêtu d’un pardessus d’été en mérinos noir » (21).

Une première version du drame se dessine ainsi sur l’isotopie animale : la chèvre dispute à la chevrette les faveurs du chamois.

4. Or, la Bette se vengea en précipitant le comte Steinbock dans les bras de Mme Marneffe. Sur l’isotopie animale, celle-ci paraît bien être une chatte. Du moins appelle-t-elle son mari mon chat (cf. ch. 15 et 49), son amant de coeur mon petit chat (47), et l’amant qui paye mon pauvre chat ou mon bon chat (103). Le narrateur souligne qu’elle e avait la nonchalance des chattes » (27), et qu’elle attache ses amants par ses « chatteries » (79). En somme, la lionne laisse le chamois en pâture à la chatte. À cette prédation contre nature correspond un adultère sur l’isotopie humaine.

N.B. : En fait, Mme Marneffe est elle aussi une lionne sur « l’être » de l’isotopie animale, bien que le narrateur la décrive comme une chatte. Mais c’est la seule lionne mariée, et elle prend donc l’apparence d’un félin domestique. En l’espèce, la chatte est à la lionne comme la petite-bourgeoise est à la courtisane. Cette proportion souligne que l’isotopie humaine comme l’isotopie animale sont dédoublées ici par des modalisations différentes, qui dépendent des univers d’assomption des acteurs et du narrateur représenté : en apparence Valérie est une petite-bourgeoise et une chatte, en réalité une courtisane et une lionne. Le dédoublement thématique est ainsi corrélé à un dédoublement dialogique.

5. L’instrument du destin, le baron Henri Montés de Montéjanos, vengera Hortense et sa mère en tuant Valérie Marneffe par jalousie. Ce Brésilien correspond sur l’isotopie animale à un jaguar du moins ses yeux sont-ils « fauves à faire croire que la mère du baron avait eu peur, étant grosse de lui, de quelque jaguar » (45). Et Valérie l’appelle « mon beau jaguar sorti pour moi des forêts vierges du Brésil » (47; cf. aussi: « je n’aimerai jamais que mon jaguar », 53). À l’occasion, « tigre » ou ou « lion » lui conviennent aussi. Valérie lui dit e Écoute, Henri, tu es le seul homme aimé de moi dans l’univers, écris cela sur ton crâne de tigre. Les femmes persuadent toujours les hommes dont ils ont fait des moutons qu’ils sont des lions » (47). Le narrateur renchérit : « Le baron Montés de Montéjanos était un lion e (113), et le décrit « métamorphosé en tigre » (116). Cette multiplication des fauves ne doit inquiéter personne ; chacun lexicalise à son tour un trait sémantique saillant de l’acteur : /sud-américain/ pour ‘jaguar’, /jaloux/ pour ‘tigre’, /courageux/ pour ‘lion’ (comme il est de règle, cette saillance est liée à la phraséologie, c’est-à-dire à de la doxa en voie de lexicalisation jaloux comme un tigre, courageux comme un lion, etc.). La lexicalisation privilégiée, car la plus synthétique, la plus spécifique, et la plus fréquente peut être appelée parangon , les autres substituts .

Notons enfin (par parenthèse, car nous n’avons pas la place de présenter une analyse de la composante dialectique) le parallèle inverse qui s’établit entre la Bette et le baron brésilien : la chèvre devenue lionne est l’instrument du Mal, le lion devenu mouton est celui du Bien. Tous deux rivalisent pour conserver les faveurs de la chatte, Mme Marneffe.

6. Le baron Hulot, pour sa part, est un oiseau, sans doute un rapace nocturne, comme il convient à un mari découcheur qui aime la chair fraîche. De Hulot à hulotte , il n’y a pas loin, surtout quand on sait que Balzac a d’abord créé ce nom dans Les Chouans, pour le frère du baron, qui réapparaît ici. Au début du roman, notre baron s’est amouraché de la cantatrice Josépha, « une fauvette qui lui coûte deux cents mille francs par an » (5), et qui, selon Crevel, « l’a plumé net, oh! plumé » (3). Cette fauvette , comme on s’en doute, est aussi une jeune lionne : quand la baronne lui rend visite, elle s’attend à voir « une vraie lionne » (104). Puis il installe Valérie rue Vanneau (24), et quand il obtient ses faveurs exorbitantes, il est « gai comme un pinson » (43). Lui-même habite rue Plumet (79); et Crevel insiste lourdement devant la baronne qui lui demande deux cents mille francs :e vous vivez par trop, mon Adeline, rue Plumet! » (88). Bref, Hulot a été plumé comme un dindon, selon Josépha, qui lui dit : « Les farceuses [les femmes du monde] s’entendent mieux que nous à la plumaison du dinde! » (sic, 98).

Elle lui donne les moyens de se cacher pour échapper aux poursuites, en lui disant: « tu seras heureux comme un coq en pâte » (99). Il se met en ménage, entre autres, avec une Élodie Chardin, dont le père fait des poules : « Le vieux père Chardin il fait les poules... - Comment [demande Josépha] il fait les poules... c’est un fier coq! - Vous ne comprenez pas, Madame, c’est la poule au billard » (105). On conviendra qu’il y a de la poule dans cette Élodie, qui n’est d’ailleurs pas insensible à l’argent. En somme, le hibou, plumé par la fauvette, se déguise en coq pour aller vivre avec une poule.

Puis il se déguisera en chat pour aller vivre, sous un nouveau pseudonyme anagrammatique, avec une jeune chatte; ainsi, Atala Judici, quinze ans, l’appelle mon gros chat, lui ma petite chatte (127), et la baronne lui dit : « Tu t’es mariée comme les bêtes s’accouplent » (ibid.). On pouvait prévoir cet ultime déguisement quand Josépha appelait le baron mon vieux chat teint (12) - car ce sexagénaire usait de certains artifices cosmétiques).

À chaque déguisement sur l’isotopie animale correspond en outre un changement de pseudonyme sur l’isotopie humaine.

7. Crevel, rival de Hulot auprès de Josépha, puis de Valérie, n’est, selon cette dernière, qu’un « vieux rat » (51). Josépha renchérit : « Crevel est un rat! » (98). Toutefois, pendant que le hibou se cachait, ce rat cajolait la chatte; et sur l’isotopie humaine, Crevel s’apprêtait à épouser Valérie.

8. Pour sa part, le baron Hulot avait en Adeline épousé une colombe : « Elle exprimait toute la grandeur de son infortune et celle de l’Église catholique où elle se réfugiait par un vol de colombe blessée » (89).

9. Leur fils, Victorin, est comparé à un perroquet (111).

10. La Sainte-Estève, alias mame Nourrisson et sans doute la tante de Vautrin, vient lui proposer de tuer Valérie. Elle fera commettre ce crime salvateur avec un poison animal (115). Le baron Montès, qui l’inoculera, l’appelle vieille autruche ou l’autruche , « frappé par les plumes que la Nourrisson avait sur son chapeau » (115). Bref, l’autruche vient proposer au perroquet (fils du hibou et de la colombe) de faire tuer la chatte par le jaguar.

Elle compare en outre à une souris cette chatte prise au piège : « il y a des boulettes dans la ratière, je vous dirai demain si la souris s’empoisonnera »; rien de surprenant, puisque Valérie la chatte est en passe d’épouser Crevel le rat, et change ainsi de nom, même sur l’isotopie animale, en devenant souris.

On pourrait sourire devant ce bestiaire, ou s’indigner de notre insistance maligne. Après tout, la comparaison des hommes avec des animaux reste des plus banales, comme en témoigne la phraséologie.

Mais n’oublions pas qu’elle a suscité, selon Balzac, le projet même de La Comédie humaine. Après un éloge de Geoffroy Saint-Hilaire, il écrit dans son avant-propos : « La Société ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie, autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d’état, un poète, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. » Balzac construit ainsi sa sociologie à l’image de la zoologie.

Pour aller plus loin dans l’étude que nous ébauchons ici, il faudrait préciser les corrélats que trouvent ces rudiments d’analyse thématique dans la composante dialectique du texte (et construire les acteurs), comme dans sa composante dialogique (certains animaux ne sont présents que dans l’univers de certains acteurs). Mais désormais se dessine sur l’isotopie animale une variation interne du récit. Il paraît difficile de la négliger sans pratiquer une lecture réductrice qui refuserait de prendre au mot le texte (en littérature, la lettre, c’est l’esprit.). Et, si l’on convient de la reconnaître, on reconnaît par là même les multiples connexions qui l’unissent indissolublement à l’isotopie humaine. Mais que devient alors le prétendu « tableau d’un moment de l’histoire moderne » ?

Où le doute s’épaissit

Nous n’avons donné qu’un aperçu de l’isotopie animale dans ce roman. D’autres isotopies génériques, presque aussi riches et insistantes pourraient aisément être construites, et notamment une isotopie métaphysique, puisque ce bestiaire est aussi un pandémonium. Voici quelques indices parmi bien d’autres. La Bette « avait glissé sa main crochue entre son bonnet et ses cheveux pour les empoigner et soutenir sa tète, devenue trop lourde ; elle brûlait » (26); « elle eût vendu son âme au diable » (31). Il y a du pied fourchu dans cette Chèvre. Quant à la Sainte-Estève, « son nez épaté, dont les narines agrandies en trous ovales soufflaient le feu de l’enfer, rappelait le bec des plus mauvais oiseaux de proie » (108) ; « Elle se dressa sur ses larges pieds contenus dans des souliers de satin […] Le diable a une sœur, dit Victorin » (ibid.).

Et avec plus de place, il faudrait s’interroger sur la hiérarchie entre ces isotopies, sur leurs relations de dominance et d’accessibilité, pour reconstituer les contraintes globales qu’elles imposent aux parcours interprétatifs.

Au reste, les phénomènes que nous avons relevés sont tout à fait ordinaires chez Balzac, comme dans la plupart des romans réputés réalistes du siècle passé.

- Ou bien l’on néglige ces phénomènes, et l’on réduit ces romans à leur isotopie humaine, pour prétendre qu’ils représentent la société de leur temps, et justifier les études lourdement sociologisantes qui s’entassent sur eux.

N.B. : On recherche le plus souvent, en affirmant le réalisme de Balzac, des preuves contre la bourgeoisie louis-philipparde. Par exemple, quand Crevel dit : « Que voulez-vous, j’ai sucé le lait de la Révolution, je n’ai pas l’esprit du baron d’Holbach, mais j’ai sa force d’âme. Je suis plus que jamais Régence, mousquetaire gris, abbé Dubois, et maréchal de Richelieu! sacrebleu! Ma pauvre femme, qui perd la tête, vient de m’envoyer un homme à soutane, à moi, l’admirateur de Béranger, l’ami de Lisette, l’enfant de Voltaire et de Rousseau », il se trouve toujours un P. Barbéris pour écrire : « Dans cette tirade, où le maire de Paris mêle comme à plaisir, et d’une manière bien significative, le cynisme des roués à la pensée des philosophes, on verrait aisément une preuve supplémentaire de la décadence de la bourgeoisie louis-philipparde, libre penseuse par libertinage plus que par conviction. Quoi qu’il en soit, ce texte prouve que sous Balzac la bourgeoisie n’avait pas encore réalisé que la religion puisse être utilisée comme sauvegarde sociale et ne voit encore aucun inconvénient à laisser libre cours à son libertinage intellectuel » (Le Monde de Balzac, Arthaud, 1972, p. 317). Ce luxe de preuves n’est pas réservé à l’élite universitaire. Dans un opuscule scolaire, Pierre-Louis Rey, notant que « les ouvriers sont absents de la Comédie humaine », trouve qu’ainsi elle « donne une image fidèle de cette société capitaliste naissante dans laquelle la nouvelle aristocratie (celle de l’argent) réduit presque à néant les défavorisés » (P.-L. Rey, La Comédie humaine, Hatier, 1979, p. 18).

- Ou bien l’on admet qu’il s’agit de textes mythiques ordinaires, dont le caractère pratique, l’apparence parfois documentaire, ne doit pas faire illusion. Ils ne représentent pas plus - et pas moins - la société de leur temps que la Chrysolite de Mareschal ou la Carithée de Gomberville.

En d’autres termes, les éléments socio-historiques objectifs ne sont pas le point de départ de la représentation, auxquels Balzac par exemple ajouterait çà et là des métaphores pour la styliser. La matière romanesque n’est pas un référent extralinguistique qui serait soumis après représentation à une élaboration artistique. Ne serait-elle pas faite, au plan sémantique que nous étudions, de la doxa déjà présente dans le lexique, la phraséologie, les schémas narratifs, la topique, bref dans l’axiologie ? Loin de rehausser du réel de quelques touches stylistiques, pour le rendre encore plus ou enfin vraisemblable, le roman dit réaliste praticise du mythique.

Certes, ici, une isotopie humaine historiquement située domine les autres par son étendue et sa densité. Mais ces critères quantitatifs ne sont pas seuls valides. En général, les isotopies dominées et peu denses disent « le vrai » sur l’isotopie la plus apparente (c’est particulièrement clair par exemple chez Maupassant, où l’isotopie animale détermine toujours l’isotopie humaine). C’est là une simple conséquence de la fonction anagogique que notre tradition a toujours attribuée à la littérature. Ainsi s’établit une cohésion bien plus grande qu’il n’y paraît entre les Études philosophiques et le reste de La Comédie humaine. Séraphîta et La Cousine Bette relèvent du même univers mythique. Plus généralement, les poèmes lyriques romantiques et les romans réalistes bourgeois procèdent de la même esthétique. Ce qui les différencie, pour ce qui concerne l’impression référentielle, c’est leur orientation métaphorique et la valorisation de leurs isotopies déterminantes même quand ils paraissent se dérouler dans un monde humain, les uns peignent des anges, et les autres des bêtes (ces orientations métaphoriques opposées traduisent sémantiquement l’opposition entre réalisme empirique et réalisme transcendantal mais elles soulignent en même temps l’unité de ces deux formes canoniques du réalisme esthétique et philosophique).

Si La Cousine Bette met en scène allègrement des bêtes, c’est en dernière analyse un roman satanique, qui pratique à sa manière ce que Kant appelait la représentation sensible des Idées morales. Et pourtant, on le classe volontiers comme réaliste, sans s’inquiéter de ces bêtes, sans doute parce qu’il a rapport avec les vices et l’image infernale de la matière. En revanche, on hésiterait à cataloguer ainsi Séraphîta , qui se déroule pour l’essentiel dans les sphères éthérées des cieux.

Dans le Sophiste , Platon opposait déjà la mimésis eikastique (sorte d’imitation par copie d’un objet) et la mimésis fantasmatique (imitation par copie d’un simulacre imaginaire), pour les condamner tour à tour. Cette distinction a eu une longue influence, et l’on admet volontiers à présent que le roman réaliste contient des éléments historiques, qui relèveraient de la première mimésis, et des éléments imaginaires qui appartiendraient à la seconde. Mais comment distinguer les premiers des seconds? Sans entrer dans ce débat, ne gagnerions-nous pas aujourd’hui à nous priver du concept d’imitation, et de son succédané moderne le réalisme ? Empiriques ou transcendantales, toutes les formes du réalisme sont également métaphysiques. En outre, un nominalisme méthodologique résolu paraît indispensable si l’on veut fédérer les disciplines éparses qui traitent des langues et des textes.

C'est en effet un geste fondamental, pour les sciences sociales, d'affirmer l'autonomie relative de l'univers sémiotique, à l'égard de l'univers physique, comme à l'égard de l'univers des représentations. Cette autonomie est restée inconcevable aussi longtemps que dominaient les théories réalistes de la signification, et c'est sans doute leur dépassement par la linguistique qui lui a permis de se constituer en science, comme aujourd'hui de renouer avec les études littéraires, qui ont entrepris pour leur part un même effort de dépassement.


ANNEXES

Annexe 1 :

"Lisbeth Fischer, de cinq ans moins âgée que Mme Hulot, et néanmoins fille de l'aîné des Fischer, était loin d'être belle comme sa cousine; aussi avait-elle été prodigieusement jalouse d'Adeline. La jalousie formait la base de ce caractère plein d'excentricités, mot trouvé par les Anglais pour les folies non pas des petites, mais des grandes maisons. Paysanne des Vosges, dans toute l'extension du mot, maigre, brune, les cheveux d'un noir luisant, les sourcils épais et réunis par un bouquet, les bras longs et forts, les pieds épais, quelques verrues dans sa face longue et simiesque, tel est le portrait concis de cette vierge."

Annexe 2:

(Extraits du D.O.L.F.) : LES PARENTS PAUVRES

Diptyque romanesque d’Honoré de Balzac (1799-1850), publié à Paris en feuilleton dans le Constitutionnel d’octobre à décembre 1846 (La Cousine Bette), et de mars à mai 1847 (Le Cousin Pons), et en volume chez Chlendowski et Pétion en 1847 et 1848.
Balzac avait déjà abordé le thème du parent pauvre dans Pierrette. Fondé sur une symétrie inverse, le présent diptyque oppose le triomphe de la méchante Bette à la chute progressive des excellents Pons et Schmucke. Écrits dans une période difficile pour l’auteur, ces romans pessimistes, parmi les plus noirs de la Comédie humaine, et «mis en pendant comme deux jumeaux de sexe différent», sont placés sous les signes d’Éros et de Thanatos. La Cousine Bette connut un succès étourdissant, alors que Balzac, épuisé, doutait de sa puissance créatrice. Difficilement commencé, mais rédigé pour l’essentiel en quelques jours, le texte accumule tous les éléments d’une vision sombre, fortement dramatisée.

Résumé

En 1799, Adeline Fischer, fille de paysans lorrains, a conquis le baron Hulot d’Ervy, qui l’a épousée avant de devenir un haut fonctionnaire de l’administration militaire. Par bonté, Adeline a fait venir à Paris en 1809 sa cousine Lisbeth, dite Bette. Cette parente pauvre est rongée par l’envie. Elle reporte sa tendresse de vieille fille refoulée sur Wenceslas Steinbock, Livonien exilé qu’elle a sauvé du suicide et qui vit en reclus chez elle. Or Wenceslas se fiance à Hortense, la fille d’Adeline. Nous sommes en 1838. Pour se venger, Bette sème la zizanie dans le ménage de Wenceslas, et encourage les débauches de Hulot avec l’exigeante Valérie Marneffe, qu’elle lui a jetée dans les bras. Hulot pille les caisses de l’État et précipite en 1841 la mort de son frère, maréchal sans reproche, que Bette devait épouser. Mieux encore, Bette a réussi à donner pour amants à Valérie Wenceslas et Crevel, un commerçant enrichi, qui repousse d’une manière offensante Adeline, venue s’offrir pour sauver son mari du déshonneur. En 1843, une intrigue parallèle, aboutissant à leur mort affreuse, met en scène Valérie et Crevel. Ce dernier a épousé Valérie et déshérité sa fille Célestine. Victorien Hulot, le mari de Célestine, fait appel à Mme de Saint-Estève, une parente de Vautrin. Valérie et Crevel meurent dans d’abominables souffrances, d’une lèpre mystérieuse. Alors qu’Adeline retrouve Hulot, d’abord caché avec l’ouvrière Olympe Bijou, puis approvisionné par Bette en maîtresses, et le ramène au foyer, Bette meurt de tuberculose et de jalousie. Mais Hulot est de nouveau saisi par le vice et promet à une fille de cuisine de l’épouser sitôt son veuvage. Ce dernier coup achève Adeline qui disparaît en 1846. Hulot épouse sa souillon et fait ainsi d’Agathe Piquetard une baronne.

Critique

Malgré la complexité de l’intrigue, le roman met avant tout en scène une catastrophe: la destruction de l’univers familial. Car si les méchants meurent, les bons ou les victimes disparaissent également, et les passions du baron Hulot entraînent l’ensemble dans leur maelström. À la fin de Bette, de Crevel et de Valérie, courtisane bourgeoise aux talents dignes de ceux d’Esther (voir Splendeurs et Misères des courtisanes), répond celle du maréchal Hulot et d’Adeline. Si la fiction privilégie par son titre la monomanie vengeresse de Bette, elle lui ajoute celle, sexuelle, du baron Hulot.
Outre les rapports étroits qu’elle entretient avec des figures réelles de la biographie balzacienne, Bette vaut d’abord comme personnage investi d’une énergie et d’une volonté peu communes. Véritable Vautrin femelle, puissance maléfique, Bette, plus encore que le bandit, ne peut exister que par autrui. Elle jouit de la vie par Valérie interposée, et reste pour l’essentiel un parasite social. Elle se différencie ainsi de Hulot qui, faute de pouvoir s’employer au service d’un État suffisamment ambitieux et engagé dans le siècle, applique son énergie à la quête frénétique des femmes. Plus encore que celle de la passion haineuse, la force du désir détermine des actions aux conséquences mortelles pour l’ordre social, remettant en cause le mariage lui-même.
Dominée par l’argent, la société du roman reflète la montée en puissance d’une nouvelle bourgeoisie commerçante, représentée par Crevel, calculateur cynique. Malgré sa dimension abominable, Bette est aussi une victime de cet univers glacé. Parente pauvre, elle est marginalisée par une famille aisée. La malédiction moderne écrase des êtres politiques incapables d’accéder à la maîtrise de leur destin (même l’artiste Steinbock ne peut créer). Fatalité à l’oeuvre dans un Paris une nouvelle fois exploré - en particulier grâce aux pérégrinations du baron Hulot -, l’exacerbation des passions et des intérêts aliène des personnages qui s’entre-détruisent.


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©  décembre 2001 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : RASTIER, François. La Bette et la Bête - une aporie du réalisme. Texto ! décembre 2001 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Bette.html>. (Consultée le ...).