DE LA SÉMANTIQUE COGNITIVE À LA SÉMANTIQUE DIACHRONIQUE :
LES VALEURS ET L’ÉVOLUTION DES CLASSES LEXICALES

François RASTIER
CNRS

(Texte paru dans François, Jacques (éd.), Théories contemporaines du changement sémantique,
Mémoires de la société de linguistique de Paris,
2000, t. IX, Louvain : Peeters, p. 135-164.)

Il n’y a pas plus de raisons que la langue change qu’il n’y en a pour les voitures d’avoir des ailes une année et pas d’ailes l’année suivante, pour les vestons d’avoir trois boutons une année et deux l’année suivante.

Paul Postal, Aspects of phonological theory, 1968, p. 203

Ni la sémantique structurale ni la sémantique cognitive ne sont des mouvements unifiés. Elles restent difficiles à comparer, car elles ont des objets et des objectifs en partie différents — qu’au demeurant ni l’une ni l’autre n’ont atteint. Dans le domaine de la diachronie, les contributions de la sémantique structurale sont à vrai dire de longue date notoires (cf. les travaux de Alinei, Lüdke, Baldinger, Coseriu, Geckeler, etc.) En revanche, si la problématique cognitive a pu la stimuler (cf. les travaux de Koch, 1995, et de Blank, 1997), il reste que la sémantique cognitive diachronique (Sweetser, 1990, par exemple) n’a pas ou pas encore marqué de progrès théoriques ou pratiques notables : elle ne fait le plus souvent que retrouver des problèmes bien connus (cf. Nyckees, 1997 ; voir cependant Geeraerts, 1997).


1. Le problème panchronique  des inégalités qualitatives

Hjelmslev posait au début des années trente le problème des inégalités qualitatives au sein de toutes les catégories linguistiques, en distinguant les termes intenses et les termes extenses [1]. Le principal mérite de la théorie cognitive des prototypes aura été de reposer ce problème à propos des classes lexicales. Cependant, la notion de prototype ne rend pas par elle-même compte de ces inégalités. Elle introduit en effet deux sortes de flou : par sa définition même, fluctuante selon les auteurs ; et dans son usage pour décrire des faits de gradualité. En outre, elle doit être fondée [2]. Pourquoi un terme devient-il prototypique ou cesse-t-il de l’être ? La question n’est jamais posée, et rien dans la théorie des prototypes ne permet de penser comment les prototypes naissent, évoluent et disparaissent.

Le problème hjelmslévien de l’inégalité qualitative des unités lexicales au sein du taxème doit être considéré en synchronie aussi bien qu’en diachronie, dans une perspective panchronique, en tenant compte de la structure des classes lexicales. Alors qu’en description synchronique, on préfère utiliser des représentations discrètes, on aura besoin en diachronie de représentations continuistes à seuils. La perspective panchronique demande alors d’articuler deux sortes de représentations : discrète et continue. Si en synchronie les relations au sein des classes lexicales peuvent être caractérisées par des oppositions sémiques discrètes, le caractère graduel des évolutions diachroniques peut être représenté par des modèles dynamiques qui sans contredire l’analyse sémique, caractérisent les sémèmes comme des points remarquables sur des dynamiques.

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2. Insuffisances de la sémasiologie cognitive

2.1. Le problème des classes sémantiques

La principale faiblesse de la sémantique cognitive est l’insuffisance de sa théorie des classes sémantiques ou conceptuelles. Cela tient tout d’abord au vague de la notion de catégorie chez Rosch, à la théorisation de son vague (cf. la notion de cue validity), et à l’absence de point de vue défini sur sa constitution : de quel point de vue, selon quel régime de pertinence

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un exemplaire est-il jugé déviant ? Par une sorte de coup de force, Rosch centre les inégalités de la catégorie autour du prototype, et postule en outre qu’il y en a un et un seul par catégorie [3].

Corrélativement, il faut rappeler l’insuffisance du concept de domaine en sémantique cognitive. Par exemple, Langacker affirme : “ semantic structures […] are characterized relative to "cognitive domains", where a domain can be any sort of conceptualization: a perceptual experience, a concept, a conceptual complex, an elaborate knowledge system, and so forth ” (1986, p. 4) [4]. Comment sortir de ce flou délibéré ?

L’utilisation de la théorie de la typicalité en sémantique lexicale diachronique exigerait des réélaborations, en premier lieu celle de la notion de catégorie, notion non définie qui est sans doute un artefact expérimental de la psychologie cognitive. Les concepts de taxème (Pottier, 1974) et de domaine (Coseriu, 1968) issus de la sémantique structurale nous paraissent mieux définis et plus opératoires. Notamment, ils ne sont pas fondés sur une ontologie, comme la notion de catégorie chez Rosch (1978), ou sur l’illusion d’une naturalité perceptive [5], comme chez Berlin et Kay (1969) ; on peut donc concevoir leur évolution dans une culture et une histoire.

Enfin, la question des classes lexicales ne peut être résolue, ni même posée, dans la perspective sémasiologique adoptée par la sémantique cognitive. En effet, l’inventaire des acceptions d’un lexème ou d’un grammème n’est pas une classe sémantique, car il n’a pas d’autre principe commun que l’identité des signifiants (critère contingent et fondé sur les propriétés de l’expression, non sur celles du contenu).

2.2. La méthode sémasiologique et l’onomasiologie

Bien qu’elles se recommandent l’une de l’autre, la psychologie cognitive et la sémantique cognitive divergent de fait sur un point crucial de méthodologie. Alors que pour Rosch et les psychologues qui l’ont suivie les catégories sont des classes de concepts (et d’objets censés leur correspondre) dont l’étude relèverait d’une méthode onomasiologique [6], pour la sémantique cognitive ce sont des classes d’acceptions qui sont étudiées par

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une méthode sémasiologique. Prenant un signifiant comme invariant, elle cherche à interdéfinir ses diverses acceptions, — comme jadis l’ont fait jadis Katz et Fodor (1963) avec le mot bachelor, interdéfinissant bravement les otaries mâles, les chevaliers, les célibataires, et les étudiants de quatrième année. Cependant, ces acceptions n’ont pas la même histoire, ne se trouvent en général ni dans les mêmes discours, ni dans les mêmes genres, ni dans les mêmes contextes : ce sont donc des unités linguistiques différentes.

Par un paradoxe négligé, la méthode onomasiologique de la sémantique structurale (et, toutes proportions gardées, de la théorie du concept chez Rosch), part du signifié pour discerner les variétés synchroniques et les variations diachroniques du signifiant, et reste ainsi plus proche d’une approche “conceptuelle” que la sémantique cognitive qui revendique pourtant une telle approche.

En outre, la méthode sémasiologique, la plus traditionnelle qui soit, n’est que descriptive, et non explicative. Elle ne peut reposer que sur le préjugé prélinguistique, issu de la philosophie du langage, qu’à un mot correspond un signifié ; et comme ce n’est évidemment pas le cas, il faut lui bien trouver un signifié préférentiel, ou plus exactement une conceptualisation de base (homologue du sens littéral en sémantique vériconditionnelle). La sémantique cognitive postule ainsi une identité ou une équivalence sémantique partielle entre les différents sens du mot et cherche à réduire la polysémie en organisant les acceptions autour d’une acception jugée centrale, le prototype — sans songer même que la polysémie reste pour l’essentiel un artefact de la linguistique du signe. C’est là, comme toujours, affaiblir la sémantique pour renforcer l’ontologie [7].

Quoi qu’il en soit, l’approche sémasiologique, telle qu’elle est ordinairement pratiquée en sémantique cognitive, a trois particularités qui la rendent difficilement compatible avec une approche diachronique : (i) La liste des acceptions d’un lexème ou d’un grammème est en règle générale considérée comme achronique. (ii) L’acception centrale structuralement ou prototypeest définie indépendamment de toute considération diachronique (chez Lakoff pour over, 1987, app. 2, ou Langacker pour ring — 1986, p. 3). (iii) La seule temporalité retenue est celle, interne et idéale, des opérations cognitives : elle est abstraite et anhistorique, et se représente sur un espace transcendantal [8].

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En affirmant que l’histoire du langage est une série de répartitions, Bréal avait cependant introduit un principe structural diachronique [9], que Saussure transpose en synchronie dans la théorie de la valeur. Ce principe différentiel a permis précisément de constituer l’analyse sémique, puis de l’utiliser pour rendre compte des étapes de l’évolution. L’analyse sémique s’entend alors en contexte, puisque les significations nouvelles sont décrites à partir de contextes nouveaux (une analyse sémique qui se réduirait à analyser des mots hors contexte serait illégitime ou du moins normative). Si la polysémie d’acceptions, fait contingent en synchronie, peut être éclairée par des études diachroniques qui montrent comment on a pu passer d’une acception à une autre, cela n’entraîne pas qu’elle doive pour autant devenir l’objet privilégié de la lexicologie diachronique.


3. Les facteurs des changements diachroniques

Les facteurs ne sont pas des causes, et la description se limite en général, et fort sagement, au comment des évolutions ; mais nous verrons plus loin que l’on ne peut éviter la question du pourquoi.

3.1. Les quatre opérations

Depuis les débuts de la sémantique lexicale, quatre opérations reviennent obstinément qualifier les opérations de changement de sens : l’extension et la restriction, la métaphore et la métonymie. Ces mêmes opérations qui servent à décrire les relations diachroniques (par exemple chez Darmesteter, 1887) servent aussi à décrire les relations synchroniques entre acceptions de Reisig (1839) à Clédat (1845) jusqu’à Robert Martin (1992). Elles sont au demeurant liées à la perspective sémasiologique, car elles relient deux états (synchroniques ou diachroniques) d’un signifié et elles prennent le signifiant comme invariant.

Elles peuvent se grouper deux à deux : l’extension et la restriction sont des notions logiques qui appartiennent à la théorie classique des idées [10]; la métaphore et la métonymie relèvent de la rhétorique restreinte, théorisée par les grammairiens des Lumières (cf. Dumarsais, 1730, en particulier), précisément pour privilégier le sens littéral et avec lui l’identité à soi des concepts.

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a) Les opérations logico-référentielles. — L’extension et la restriction relèvent de la sémantique référentielle [11] qui s’applique à des objets selon un principe invérifiable de variation quantitative bien connue sous le nom de loi de Port-Royal. Ces opérations reposent sur une ontologie discrète, qui permette de dénombrer les objets désignés et sur une logique des classes, qui décrive des relations d’inclusion.

b) Les tropes. —  On sait que l’utilisation des tropes en sémantique diachronique, même quand elle se réclame de Lakoff (chez Sweetser, par exemple), demeure la chose la plus traditionnelle qui soit : elle préexiste même à la sémantique de Bréal, puisqu’elle occupe une grande place chez Darmesteter (1877), et déjà chez Reisig (1839). La description par les tropes suppose au demeurant une déviance, ou du moins un écart entre le littéral et le figuré. Or, sauf à répéter saint Paul, on ne peut dire que le sens ancien soit littéral et le nouveau figuré — ni a fortiori que l’évolution des langues s’écarte de la nature, comme le déplore Dumarsais (1730) dans une page célèbre sur la catachrèse [12].

L’utilisation de concepts rhétoriques en sémantique diachronique ne va pas de soi, car les tropes y servent à nommer des relations qui restent à décrire et à expliquer. En outre, si l’on convient que le trope est une forme textuelle, les relations ainsi décontextualisées ne sont pas à strictement parler des tropes.

Il ne suffit pas de nommer la métaphore et la métonymie pour avoir décrit les relations qui les sous-tendent [13]. Quelle est la différence entre les unités qu’elles unissent ? En d’autres termes, quelle est l’orientation métaphorique ou métonymique ? Qu’est-ce qui motive ces parcours ? Pour répondre à ces questions, nous étudierons plus loin les évaluations relatives des termes mis en rapport, notamment leur position relative par rapport aux seuils qualitatifs au sein du taxème.

3.2. Deux évolutions

Etudier la valorisation relative des unités mises en relation nous paraît un moyen de poser le problème des évolutions dans son ensemble sans recourir à la logique ou à la rhétorique. Dans une étude sur les parangons (1991, pp. 198-202), nous avons dégagé une loi de valuation panchronique, qui rend compte de deux évolutions complémentaires :

(i) L’évolution par extension va du terme valorisé aux termes moins valorisés : pecunia(lat. pour bétail) s’est étendu à signifier ‘richesse’. Ainsi, pain puis biftek ont étendu leur signification à ‘nourriture’ dans des expressions comme gagner son pain, puis gagner son bifteck.

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(ii) De façon converse, la restriction se fait du moins valorisé au plus valorisé : frumentum, qui signifiait en latin ‘céréale’, devient froment (farine de blé, la céréale la plus prisée) ; il reste quelque chose de cette valorisation dans l’acception argotique de blé au sens d’argent).Viande (au sens général de nourriture en ancien et moyen francais) “devient” la viande, qui désigne la nourriture par excellence [14]. Cela vaut également en synchronie (diatopique) : par exemple, à Marseille, on dira J’ai un enfant et deux filles, enfants’étant restreint à désigner le garçon, éminemment valorisé dans cette ville méditerranéenne.

Les inégalités qualitatives entre les termes marqués (ou parangons) et les termes non-marqués sont ainsi liées à deux principes de diffusion et de sommation panchronique. À l’extension correspond alors une diffusion de l’évaluation positive à partir du parangon, et à la restriction sa sommation vers le parangon. La loi de valuation panchronique exprime ainsi les rapports entre zones intense et extense, la restriction vers le valorisé consistant en un passage de la zone extense vers la zone intense, et l’extension à partir du valorisé opérant le mouvement inverse [15].

Figure 1 : Loi de valuation panchronique

Exemples : restriction synchronique, cf. enfant ; restriction diachronique, cf. viande ; extension synchronique, cf. gagner son bifteck ; extension diachronique, cf. frigidaire.

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Revenons à présent aux quatre opérations diachroniques.

(i) Extension et restriction. — Nous pouvons à présent inverser  ainsi en termes de valorisation la loi de Port-Royal : plus une intension est valorisée, plus elle trouve d’extensions. La perspective de l’herméneutique philologique que nous adoptons ici conduit ainsi à des conclusions exactement opposées à celles que propose la perspective logique. En outre, la variation quantitative exprimée par la loi de Port-Royal  se trouve inversée par la variation qualitative qu’exprime la loi de valuation panchronique.

(ii) Tropes. — Si l’on convient de cela, la métonymie (et la synecdoque qu’on confond volontiers avec elle) n’obéit pas à d’autres règles. Elle n’est alors qu’un cas particulier de l’extension : la partie ou l’unité associée la plus prisée étend son nom au tout ou à l’ensemble. La transformation des noms propres en “noms communs”, extrêmement répandue et partout attestée, va dans le même sens : après les égéries  et les hercules, les frigidaires, et les PC en sont des exemples quotidiens. Certes, ces valorisations se banalisent, se neutralisent par leur usage même, et d’autres noms les remplacent dans un processus sans fin et sans orientation — mais non sans régularités.

L’utilisation du concept de métaphore répond à un tout autre problème, celui des changements de domaine sémantique. Or, du fait que les taxèmes sont inclus dans les domaines, tout changement de domaine conduit à un changement de taxème. Il fut un temps, en ancien français où ouailles (du latin ovicula) signifiait ‘brebis’ dans le domaine //agriculture// et ‘fidèles’ dans le domaine //religion//. En français moderne, seule la dernière acception demeure. Le processus d’évolution peut se décrire ainsi : la métaphore évangélique du bon pasteur introduit, parmi d’autres, une image du domaine //agriculture// dans le domaine //religion//. Comme toute transposition de domaine, elle a deux effets : dans le classème, elle virtualise le sème générique d’origine, et actualise un nouveau sème générique afférent ; dans le sémantème, elle remanie la hiérarchie des traits (cf. l’auteur, 1987, ch. VII).


4. Le taxème comme forme sémantique

Nous avons utilisé le concept de forme sémantique, conformément à notre hypothèse que la perception sémantique [16] est de l’ordre de la reconnaissance des formes et non du calcul.

4.1. Les inégalités qualitatives au sein  du taxème

Si les inégalités qualitatives au sein des classes lexicales peuvent être décrites en termes d’intensité et d’extensité (Hjelmslev), nous lions cela

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à l’hypothèse de l’esthétique fondamentale [17] : les langues articulent non seulement des descriptions (comme le voudrait la tradition objectiviste), mais aussi des évaluations qui en sont inséparables [18]. Notamment, les inégalités qualitatives au sein des classes lexicales semblent liées à des évaluations sociales qui évoluent historiquement. Rien de surprenant, si l’on rappelle que malgré leur nom les “langues naturelles” sont bien des productions culturelles [19].

4.2. Eléments de modélisation morphodynamique du  taxème

La sémantique structurale, du moins selon l’image appauvrie qu’en donnent les manuels, n’a pas rendu suffisamment compte des inégalités qualitatives. Voici donc deux propositions pour combler cette lacune :

a) Distinguer des zones évaluatives au sein du taxème (en s’inspirant de descriptions données naguère par Coseriu, 1968). C’est une façon de rompre avec la dénotation, car aucune métrique ne permet de distinguer ‘grand’ de ‘immense’ ou ‘froid’ de ‘glacial’.

b) Rendre compte des variations diachroniques du signifié : (i) par des variations de seuils au sein du taxème, (ii) par des changements de taxème (iii) enfin, par des changements de domaine.

Nous utiliserons pour cela une modélisation issue de la théorie des variétés différentiables et des systèmes dynamiques. À partir des travaux de Thom et de Zeeman notamment, elle a été appliquée au domaine de la parole et des structures casuelles par Petitot (1983, 1985), à une sémantique

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sémasiologique (sur la polysémie de encore par Victorri et Fuchs, 1996) ; à l’analyse sémantique structurale par Piotrowski (1997) [20].

Remarque : Les représentations morphodynamiques se sont heurtées à l’objection qu’elles n’apportent rien d’un point de vue descriptif par rapport à une représentation discrète [21]. Mises à part les études phonologiques, elles ont été employés pour décrire l’évolution d’unités déjà discrétisées : actants de la phrase, acceptions lexicales. Par ailleurs, les applications adoptaient toutes, à ma connaissance, une perspective synchronique, alors que les représentations morphodynamiques s’accordent mieux avec les phénomènes diachroniques. Nous n’affirmons pas pour autant que les évolutions diachroniques soient continues au sens mathématique du terme : elles sont sans doute graduelles et comportent des seuils, franchis par des emplois singuliers qui font événement pour des raisons externes au système. Cependant, les seuils successifs peuvent être reliés entre eux par des segments continus hypothétiques.

Quoi qu’il en soit, la modélisation continuiste présente un avantage d’importance : le graduel et le discret peuvent être décrits comme des cas particuliers du continu, et non l’inverse. Aussi, sans faire d’hypothèse forte sur le caractère continu de “l’espace sémantique”, ni d’ailleurs sur la caractère spatial des schèmes cognitifs, nous admettrons que la discrétisation sémantique consiste à isoler des points ou des sections remarquables sur des dynamiques. Nous faisons l’hypothèse que l’évolution sémantique peut être représentée comme un processus graduel à seuils : les éléments discrets que sont les sèmes et les phèmes résultent de la saisie de discontinuités (cf. le phénomène de la perception catégorielle mis en évidence par Liberman). On peut certes objecter que la linguistique a affaire à des unités déjà discrétisées, mais si l’on considère le problème de la perception sémantique (l’auteur, 1991, ch. VIII), on doit reconnaître que les sèmes sont le résultat et non le point de départ des parcours interprétatifs qui permettent de les discrétiser.

Un modèle morphodynamique se caractérise par le couplage fonctionnel d’un espace externe (ou espace substrat, ou encore espace de contrôle ), et les états internes d’un système S (dit espace d’état ou espace interne). Les singularités de l’espace interne se projettent comme des discontinuités sur l’espace externe.

L’état du système S dépend de deux sortes de facteurs : les variables d’état et les paramètres de contrôle (qui représentent les interactions du système avec son environnement). Les minima de potentiel sont les attracteurs de la dynamique du système et la partie de l’espace d’état qui évolue vers l’attracteur définit le bassin d’attraction. Les bassins sont séparés par des cols.

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Figure 2 : Un système dynamique

N. B. : Cette figure est simplifiée à dessein car la courbe de la dynamique devrait faire apparaître les dynamiques locales propres à chaque bassin d’attraction.

On peut distinguer deux principales sortes de formes des bassins, en V et en U, et proposer le principe que toute forme en U résulte du développement d’une forme en V [22]. Conformément à la loi de valuation panchronique, nous verrons que les formes valorisées s’ouvrent, et que les dévalorisées se ferment.

La différenciation sémantique peut être décrite par des processus de discrétisation et de marquage. En voici un exemple, inspiré de Victorri et Fuchs, 1996, et qui sera justifié par la suite :

Figure 3 : Discrétisation et marquage

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Précisons à présent le contenu que nous donnons aux espaces interne et externe.

a) Pour modéliser la synchronie :

Figure 4 : Projection synchronique du taxème

L’espace interne correspond à celui des textes (ou, pour utiliser un anglicisme, du discours). A chacun des points de la dynamique sur cet espace correspond un contexte attesté d’un des sémèmes.

L’espace externe présente les discontinuités sémantiques (sèmes et sémèmes) d’une description décontextualisée “en langue”, telle que les définit l’analyse sémique classique. C’est cette description statique qui permet le typage des relations et l’identification des sèmes comme unités. Il représente l’état d’un paradigme en synchronie.

Ainsi le fait que le terme extense soit susceptible d’un emploi générique se traduira dans l’espace interne par le fait qu’il a le plus grand bassin d’attraction, et dans l’espace externe que le nom de la catégorie (archisémème) est aussi celui d’un de ses membres (sémème), si bien que ‘homme 1’ s’oppose à ‘animal’ et subsume l’opposition ‘homme 2’ vs ‘femme’.

b) Pour modéliser la diachronie :

Figure 5 : Projection diachronique du taxème

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Chaque état de la dynamique sur l’espace interne correspond à un point sur l’espace externe : un état du taxème à un moment t. Une évolution diachronique sera donc représentée par un vecteur sur l’espace externe.

Le rapport entre ces deux représentations, synchronique et diachronique, exigerait à lui seul un programme de recherche que nous ne pouvons développer ici.

Comme nous avons choisi la perspective onomasiologique, nous considérons comme espace sémantique externe l’ensemble des sémèmes d’un taxème [23], par exemple celui des degrés de température : ‘glacial’, ‘froid’, ‘frais’, ‘tiède’, ‘chaud’, ‘brûlant’ [24].

Figure 6 : Représentation dynamique du taxème

Cette représentation simplifiée fait abstraction du contexte, mais il faut souligner que la détermination de l’attracteur principal (ou des attracteurs principaux) et la position des seuils qualitatifs et d’acceptabilité dépendent du contexte (frais sera neutre pour une bière, non pour un bain) [25].

Ce taxème comprend trois bassins d’attraction principaux, séparés par deux maxima absolus : nous nommons zone doxale le grand bassin d’attraction délimité par deux maxima absolus, et en deça des seuils d’acceptabilité ; et zones paradoxales les deux zones qui se trouvent au-delà de ces seuils.

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Chaque sémème correspond alors à un attracteur local. L’ensemble de ses contextes attestés définit son bassin d’attraction (en synchronie). Le fond du bassin d’un sémème est la zone de stabilité sémantique, en d’autres termes sa signification (acception dominante, ou ensemble structuré des sèmes inhérents du sémème). Les pentes du bassin, zones d’instabilité, correspondent à des emplois. Le bassin s’élargit ou se rétrécit à mesure que le nombre des contextes augmente ou diminue. Les termes intenses (ou “marqués”) correspondent à des attracteurs à bassin étroit et “haut”, les termes extenses (ou “non-marqués”) à des attracteurs à bassin large et “bas”.

La pente des bassins est variable, selon que le sémème trouve plus ou moins d’emplois dans le corpus. Deux sémèmes voisins sont séparés par des cols d’une hauteur variable : ils sont bas quand les sémèmes comptent beaucoup de contextes analogues, hauts quand ils en comptent peu ou pas. Les parasynonymes sont séparés par des cols bas qui ne passent aucun seuil différentiel [26] ; le distinguo, toujours possible, consiste alors à abaisser le seuil différentiel le plus proche.

Le principe différentiel de la sémantique structurale se traduit par une covariance des bassins d’attraction des sémèmes. Toute déformation locale peut avoir a des conséquences sur la forme globale et sur les sections voisines des formes locales [27]. Cependant, comme le global détermine le local, même si une perturbation locale importante peut modifier l’organisation globale, un taxème montre une certaine résistance aux déformations qu’apportent l’apparition de contextes nouveaux.

L’évolution locale des sémèmes au sein d’un taxème peut être décrite par la modification de leur bassin d’attraction et par celle des cols qui séparent ce bassin des voisins.

L’apparition du sémème se fait dans un contexte valué : il occupe alors un bassin en V. On peut prévoir deux sortes d’évolution conduisant à la disparition : la fusion au sein d’un bassin en U (polysémie) ou la spécialisation dans un bassin en V (limitation à un contexte ou à un petit nombre de contextes). Ces évolutions équivalent à la généralisation et à la spécification [28].

L’évolution globale d’un taxème peut être décrite comme fusion ou séparation de bassins d’attraction dans une dynamique générale. Plus le système dynamique comprend d’attracteurs, plus il peut se déformer : un gros taxème se déforme plus facilement qu’un petit.

La proximité entre sémèmes se traduit par la présence de leurs bassins au sein de zones sémantiques plus grandes que nous appellerons des zones évaluatives ; les principales sont les zones doxale et paradoxale.

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La distance sémantique entre sémèmes se traduit par des cols élevés entre leurs bassins. Quand les bassins sont peu profonds et les cols peu élevés, l’équivalence l’emporte sur l’opposition, ou en d’autres termes, la coactivation l’emporte sur l’inhibition réciproque ; quand les bassins sont profonds et les cols élevés, l’inhibition réciproque l’emporte sur la coactivation.

Quand le col qui sépare deux sémèmes est peu élevé, ils partagent des contextes communs (ainsi vis et face, qui se trouvent en ancien français dans les mêmes contextes, ce dont témoigne encore à présent l’équivalence partielle de vis à vis et de face à face). Les minima locaux marquent des seuils qualitatifs: leurs pentes se trouvent dans la même zone évaluative. Les cols les plus élevés (maxima absolus) marquent des seuils d’acceptabilité, car leurs pentes se situent dans des zones évaluatives différentes.

Les seuils sont situés à des points de singularité qui sont des points de transition entre zones évaluatives distinctes ou opposées : les minima locaux, pour les seuils qualitatifs et les maxima absolus pour les seuils d’acceptabilité [29].

Figure 7: Les seuils

Pour décrire les évolutions diachroniques ou synchroniques, on peut retenir deux mouvements converses : à l’extension correspond un élargissement du bassin d’attraction avec élévation du seuil le plus bas (et baisse facultative du point de stabilité), alors que la restriction correspond à son rétrécissement, avec baisse du seuil le plus haut.

Quand un bassin d’attraction contient plusieurs attracteurs, deux attracteurs remarquables peuvent représenter la classe, car toute forme est reconnue par ses singularités : (i) l’attracteur le plus proche du maximum absolu ou du seuil évaluatif supérieur (lui correspond le parangon, ex. biftek.) ; (ii) l’attracteur le plus loin du maximum absolu, qui est aussi celui dont le bassin d’attraction est le plus étendu et /ou le plus profond, car il admet le plus de contextes (nous le nommons le neutre générique, ex. rue ; cf. infra, figure 8)

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À ces deux attracteurs correspondent grossièrement les deux définitions principales — et contradictoires — du prototype formulées par la théorie de Rosch.

Les rapports partie-tout au sein du bassin global du taxème peuvent aussi être décrits comme des rapports entre ces deux points remarquables, d’une manière qui ne fasse pas recours à la notion d’inclusion, mais à celle de rapports entre minima et maxima.

Une représentation de type ensembliste ou logique peut certes figurer un taxème de façon codifiée, mais non représenter la dynamique qui l’a créé, ni celles qui le font évoluer. Selon la modélisation que nous avons proposée (1987), les forces sont des inhibitions, des activations et des propagations. Ces opérations supposent des “différences de potentiel” qu’entraînent les valorisations. Les évaluations positives ont un potentiel d’activation et se diffusent. En revanche, les évaluations négatives ont un potentiel d’inhibition et se restreignent (ou se renversent en évaluations positives ou neutres par l’euphémisation).

L’opposition intense / extense exprime alors la possibilité formelle d’occuper une partie ou la totalité d’une zone est remotivée sur un autre plan, proprement sémantique, par l’opposition entre évaluation marquée (positive ou négative) et évaluation neutre. La loi de valuation panchronique exprime ainsi le fait généralement attesté que les bassins d’attraction étroits et hauts évoluent en s’ouvrant et en s’abaissant.

4.3. Parcours évaluatifs  endoxaux et paradoxaux

La distance entre attracteurs peut être prise comme paramètre de conflit. Elle peut se traduire formellement : plus le col entre deux attracteurs est élevé, moins ils ont de sèmes en commun ; par exemple, les termes contradictoires sont séparés par un maximum absolu. L’introduction de seuils exprime les valeurs remarquables des paramètres de conflit.

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Les deux sortes de seuils différentiels (seuils qualitatifs et seuils d’acceptabilité) divisent, nous l’avons vu, le taxème en deux sortes de zones (doxale, et paradoxale). Le seuil d’acceptabilité sépare les évaluations positives et les évaluations négatives : elles correspondent, pour la doxa considérée, à la zone doxale et aux zones paradoxales. Selon que l’évolution franchit ou non les seuils d’acceptabilité, elle sera dite doxale ou paradoxale.

L’évolution paradoxale est évidemment plus complexe, car elle suppose la mise en rapport de deux dynamiques contradictoires (qui correspondent à deux doxa opposées) : pour franchir un seuil d’acceptabilité dans une dynamique A, il faut que le contenu litigieux se trouve en deça du seuil d’acceptabilité dans une dynamique B (cf. Chamfort : “ un petit garçon demandait des confitures à sa mère : ‘Donne-m’en trop’, lui dit-il ” 1968, p. 341) [30].

On peut ensuite distinguer deux sortes d’évolution doxale, selon qu’elle franchit ou non un seuil qualitatif. Parmi les évolutions qui franchissent un seuil, on distinguera enfin les parcours neutralisants et les parcours valorisants.

Cela nous permet d’aborder un troisième type d’évolution, dont ne rend pas compte la loi de valorisation panchronique : l’extension à partir du “terme neutre”, ou attracteur occupant le minimum absolu. Cette évolution endoxale, ou plus précisément interne à la zone doxale, part des termes moyens ou neutres quand à leur évaluation, souvent les plus fréquents, pour désigner l’ensemble du taxème. Ainsi rue peut désigner l’ensemble des voies de circulation (qui comprend des rues) [31]. On peut considérer que le terme neutre a le plus grand nombre de contextes, tout simplement parce qu’il comporte moins de traits spécifiques : il est donc compatible voire isotope avec un grand nombre de sémèmes. Ainsi, le sémème qui dans le taxème a le bassin le plus large et le plus stable (coïncidant avec le minimum) peut désigner l’ensemble du taxème.

Figure 8 : L’extension à partir du terme neutre

La même évolution endoxale peut se produire plusieurs fois dans l’histoire. Ainsi passer en latin (moineau) devient pa’jaro (oiseau) en espagnol ; et en français passereau (par a.fr. passe (re), puis le diminutif passerel), qui désigne toutes sortes de petits oiseaux). De façon renouvelée, piaf, qui la première moitié du XXe siècle signifiait ‘moineau’, a étendu sa signification à ‘oiseau’ en français familier.

Alors que la loi de valuation panchronique exprimait les rapports entre zone intense et extense, cette forme d’évolution exprime les rapports au sein de la zone extense : étant établis au sein d’une même zone, ils se caractérisent par la conservation de l’évaluation.

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On peut ainsi reconnaître deux modes complémentaires de l’évolution : l’évolution de la dynamique interne, par modification des points de stabilité et de leurs bassins d’attraction ; l’évolution des seuils évaluatifs, par modification de la position des points critiques (maxima relatifs et absolus). Ces deux modes complémentaires correspondent à deux évolutions : interne, celle des contextes ; et externes, celle de la doxa. La doxa est structurante dans la mesure où elle stabilise les points critiques, et fait évoluer les dynamiques : elle constitue l’environnement du système, par la médiation des contextes linguistiques et situationnels.

4.4. Forces et formes

La description des taxèmes comme des ensembles de relations statiques a certes le mérite de la simplicité et de l’économie : on peut typer ces relations comme des relations logiques, ce qui a valu leur succès aux descriptions par traits sémantiques (de fait employées par les partisans comme par les adversaires de la sémantique structurale).

Mais la description des formes n’a de valeur que si l’on peut rendre compte de leur évolution. La sémantique cognitive reconnaît des forces abstraites, notamment bien sûr dans ses analyses de l’actance quand à la suite de Talmy elle met en scène une sorte de mécanique transcendante qui doit beaucoup à la physique aristotélicienne (cf. le concept d’impetus chez Talmy, 1988). Il faut cependant articuler forces et formes sémantiques. La description morphodynamique peut rendre compte des formes en termes de forces. Du moins, les deux aspects, force et forme, sont complémentaires : une force s’éprouve et se mesure par les déformations qu’elle induit ; une forme stabilisée résulte d’un équilibre toujours momentané de forces [32].

L’effet des forces s’entend de deux façons : le déplacement des points critiques ; la déformation concomitante des sections “normales” de la forme. Les sections qui dépassent un seuil acquièrent un potentiel de perturbation. De ce ce point de vue, les bords des zones évaluatives sont des lieux privilégiés de perturbation. Passé un certain degré, les perturbations périphériques modifient le bassin principal du taxème.

4.5. Les régimes  d’évolution des formes

On distingue en morphodynamique les points réguliers et les points singuliers. Comme une forme est reconnue par ses points singuliers plutôt que par ses points réguliers, certains des rapports que l’on caractérise, par analogie avec la perception, comme des rapports forme / fond peuvent être décrits ou reformulés comme des rapports entre les sections régulières de la forme et ses sections singulières. Par exemple, au palier textuel, nous avons

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décrit les isotopies comme produits de la loi gestaltiste de bonne continuation : elles définissent ainsi des portions régulières de formes textuelles, et apparaissent alors comme des fonds sémantiques. En revanche, les allotopies sont des points singuliers, et certains tropes introduisent des discontinuités qualitatives par rupture d’isotopie [33].

Au palier lexical, les contextes isotopes d’un sémème conservent une régularité, alors que les contextes allotopes créent des singularités qui peuvent perturber durablement le bassin d’attraction du sémème. Cela doit être nuancé en fonction de la typologie des sémèmes : les sémèmes peu denses et peu valorisés sont compatibles avec un grand nombre de contextes. Par exemple, les grammèmes, qui en général ne comportent pas de trait générique de domaine, peuvent trouver un grand nombre de contextes isotopes. C’est pourquoi l’on rencontre les mêmes grammèmes dans tous les discours ; aussi l’évolution diachronique des grammèmes est-elle beaucoup plus lente — les linguistes en conviennent unanimement — que celle des lexèmes.

4.6. La valeur et les valeurs

Convenons que les formes (ici les formes sémantiques) sont des mouvements inhibés. En tant qu’ensemble normé d’évaluations, une doxa consiste précisément en prescriptions et inhibitions qui assurent une stabilité synchronique ou diachronique aux configurations sémantiques. Nous retrouvons ici l’intuition de Barthes que le lexique est une doxa figée, mais en la pluralisant : des doxas figées. Par exemple, il n’y a pas en français de taxème des degrés de température : les sémèmes exprimant les degrés de températures sont organisés dans différents taxèmes selon les contextes. De même pour les tailles : un mètre soixante-quinze sera (en France) considéré comme normal pour un homme, grand pour une femme, et gigantesque pour un enfant ; cette taille est alors respectivement en deçà puis au delà du seuil d’intensité, puis au delà du seuil d’acceptabilité.

Alors que la sémantique cognitive, après avoir réinventé le schématisme kantien, cherche les catégories descriptives du côté de l’esthétique transcendantale, comme cadre a priori de toute perception, nous avons employé le terme d’esthétique en un sens plus restreint [34]. Aussi le projet historique d’une sémantique diachronique nous conduit plutôt à rechercher

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parmi les évaluations sociales les forces qui forment et déforment le lexique. Seuls les principes structuraux d’organisation sémantique relèvent ainsi du langage ; les catégories pertinentes relèvent de la langue ; mais l’organisation particulière de leurs configurations relève de normes évaluatives susceptibles de variations. Les changements d’évaluation par passage de seuil qualitatif et surtout par passage de seuil d’acceptabilité introduisent des modifications qui peuvent être tout à la fois rapides et durables.

On l’a compris, tout dépend de la position des seuils évaluatifs (qualitatifs ou d’acceptabilité). Selon la position de ces seuils, la structure du taxème se modifie ; et cette position dépend non pas de la langue, mais de la doxa. Ainsi, toute formule sémique stabilisée, tout sémème résulte d’une série indéfinie de mises en relations contextuelles, c’est-à-dire d’une tradition interprétative qui varie avec les discours et les pratiques sociales.

On ne peut parler des doxa, comme systèmes de valorisations, sans évoquer les valeurs sociales qu’elles concrétisent. Sans aucun jeu sur les termes, on peut alors se demander si la valeur (différence linguistique pertinente), n’est pas ultimement fondées sur les valeursau sens social du terme, incluant les jugements éthiques et esthétiques [35]. La loi de répartition et l’absence de synonymes parfaits permet d’esquisser une réponse positive, et de l’appuyer sur des exemples : un ictère est plus chic qu’une jaunisse, l’éthylisme (surtout mondain) que l’alcoolisme, etc. En ce cas, interpréter une occurrence n’est pas (ou n’est plus simplement) la rapporter à un type, mais la situer dans un taxème, et la localiser dans une des zones évaluatives de ce taxème.


5. Application : des dénominations du visage en français

En proposant comme illustration une recherche sur l’évolution conjointe des mots face et visage, nous nous appuyons sur Vaugelas (1647), F. Brunot (1905), et surtout Renson (1962) [36].

5.1. Les étapes de l’évolution

Selon Renson (I, p. 227), face commence à être attesté au XIIe siècle au sens de ‘visage’. En fait, il s’agit essentiellement de la surface du visage

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et notamment des joues, comme il apparaît dans des contextes comme “cent foiz li baise de randon / Les ueuz la face et le menton” (Roman de Thèbes, 6378). On rencontre en effet à l’époque le pluriel facesau sens de ‘joues’ [37]. Cette acception justifie l’abondance des adjectifs de couleur (vermaille, palie, etc.).

Du XIIIe siècle au XVe cependant, le nombre des contextes de face s’accroît considérablement, face signifiant alors, outre l’aspect physique du visage, son expression (trait /moral/) : par exemple, chez Greban doulce et tant prudente, benigne, ou chez Molinet ayreuse et furibonde, humble et fort accointable (cf. Renson, 1962, I, p. 229). Cette évolution est générale et se remarque aussi pour visage. Elle témoigne de la psychologisation de la littérature qui constitue de fait l’essentiel de nos documents.

Or, dès le XIIe siècle, comme l’a souligné J. Trenel, une nouvelle classe de contextes apparaît avec l’usage de face dans les traductions de la Bible (au sens de présence : la face de Dieu, (qui traduit le pluriel p’nim Elohim) et aussi de surface (la face de la terre). La face de Dieu est évidemment sans traits précis (cf. Renson, I, p. 233) ; et cette acception nouvelle, calquée sur l’hébreu, a peut-être un lien avec la spiritualisation de l’acception qui décrit le visage humain : ainsi chez Arnoul Greban des épithètes comme dampnee, digne et saintissime, ou chez Molinet angélique.

En revanche, visage se trouve plus rarement dans des contextes religieux, et dans l’hypothèse du renforcement réciproque des sèmes voisins, on peut dire qu’alors ‘face’ comporte le trait afférent /religieux/, actualisé en certains contextes.

Toujours est-il qu’au XVIe face a deux acceptions : pour Dieu et pour les humains, la première méliorative et la seconde neutre, susceptible d’emplois aussi bien physiques que moraux, et partageant avec visage beaucoup de contextes communs. La configuration est alors la suivante : ‘face2’ (/humaine/) et ‘visage’ partagent un même bassin d’attraction général et ne sont séparés que par un col peu élevé, alors que ‘face1’(/divine/) se trouve au-delà.

Figure 9 : début du XVIe

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Cependant, à la fin du siècle apparaît une expression, face du grand Turc, qui désigne une toute autre partie du corps ; ainsi, le sieur Tabourot des Accords écrit : “son mari qui était tout nud sur le lict, avait la face du grand Turc tournée de ce côté là”(Escraignes dijonnaises, 42v°). Faut-il rappeler l’établissement par François Premier de relations diplomatiques avec la Sublime Porte ? Supposer que les guerres entre la chrétienté et l’islam pourraient bien faire de cette expression l’envers grotesque et discrètement blasphématoire de la face divine ? [38] Toujours est-il que le mot face lui-même, selon Ferdinand Brunot et malgré les réticences de Vendryes à admettre qu’elle puisse en être la cause, se trouve frappé de péjoration. En 1627, Mlle de Gournay craignait que les “nouveaux critiques” ne s’avisent de refuser à “ escrire face, [...] généralement refusée du nouveau jargon, parce qu’on dit la face du Grand Turc ” (L’Ombre, 1627, p. 958, cité in Livet, Lexique de la langue de Molière, p. 303). Vingt ans après, Vaugelas soulignait déjà qu’on “ n’oserait plus dire face pour visage, sinon dans certaines expressions consacrées ” (1647, Préface, IX). D’où sa rapide raréfaction, selon les décomptes de Renson : de 23% des désignations du visage au XVIe, il tombe à 3% au XVIIe[39].

Par l’afférence d’un trait /péjoratif/, l’acception ‘face3’ est maintenant séparée de ‘visage’ par un seuil d’acceptabilité. Voilà donc visage qui occupe la zone doxale, encadré par deux acceptions antithétiques et paradoxales de face, l’une religieuse, et l’autre infâme. Cette configuration est instable, non par sa forme, mais sans doute parce que ‘face1’ et ‘face3’ ont un signifiant identique.

Figure 10 : Acceptions de face à la fin du XVIe

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La diminution du bassin de face profite alors à figure, qui dès le milieu du XVIe siècle, par spécialisation du sens de ‘forme extérieure’, s’employait pour ‘forme de la face humaine’, puis au XVIIe s’emploie aussi pour l’expression ou la mine (1662), et vient enfin à remplacer visage et face dans l’emploi usuel (cf. Brunot, 1905, s.v.).

Figure 11 : Le taxème des désignations du visage à la fin du XVIIe

En français contemporain, figure devient un terme neutre générique susceptible des emplois les plus divers ; face conserve le trait /péjoratif/, comme il apparaît dans la locution insultante face de... Enfin, visage , réservé à l’écrit ou au parler soutenu, a gagné un trait /mélioratif/(largement utilisé dans les publicités de cosmétiques). Visage conserve le trait /humain/ mais connaît une acception nouvelle (bien que fréquente déjà chez Montaigne) car elle peut convenir à l’aspect de diverses choses (socialisme à visage humain, 1968), ce qui présage peut-être, comme jadis pour ‘face1’, sa disparition de la classe des dénominations du visage.

Figure 12 : XXe siècle

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5.2. Discussion

a) Sur l’unité du taxème

On peut objecter que face dans ‘face du grand Turc’ relève d’un autre taxème, celui des désignations du séant. Certes, mais ‘face2’ reste une désignation péjorative du visage : “ César croyait que les visages longs et maigres étaient de vraies faces de conjurés ” (Voltaire, lettre à d’Argental, 11 février 1764) [40].

Complémentairement, on pourrait objecter qu’à strictement parler ‘face 1’ appartenait au domaine religieux. Soit, mais le visage humain y est encore désigné par face : l’expression face-à-faceest ainsi issue de textes religieux décrivant la rencontre de l’homme avec Dieu.

En outre, on trouve des expressions comme face d’abbé ‘visage rouge et illuminé’ (Cotgrave, 1611 ; Oudin, c. 1640), face de carême ‘visage pâle et blême’ (Panckoucke, 1749), mais déjà attesté au XVIIe siècle, chez Bois-Robert (Epîtres) ou Racine (Les Plaideurs). Ces deux acceptions antithétiques de face se maintiennent dans des contextes religieux ou moraux. Littré juxtapose ainsi : “ Face de réprouvé, physionomie sinistre et effrayante. Avoir une face de prédestiné, avoir une visage plein, vermeil et serein ” [41].

Pour rendre compte de ces acceptions opposées de face, les lexicographes du XVIIe utilisaient la notion de style. Richelet (1680), le premier à faire état de la condamnation de face, souligne : “ Ce mot a toujours cours dans la poésie grave et majestueuse et non pas dans la poésie enjouée, ni galante ”. Furetière (1690) souligne à l’inverse que “ le mot face pour visage ne se dit plus guère en ce sens qu’en raillerie d’un visage qui est trop gros ou trop large ”. Le dictionnaire de l’Académie, dans sa seconde édition, fera la synthèse en distinguant le “ style sérieux, en parlant de Dieu ” et le “ style familier : une face réjouie, enluminée ”.

Le problème théorique posé par ces notions de style ne saurait être sous-estimé. Nous admettons en effet qu’un taxème appartient à un domaine sémantique et un seul ; aussi comme les taxèmes sont des classes de sémèmes

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entre lesquels on a réellement le choix, dans une pratique donnée, et où les domaines reflètent des pratiques différentes, les sémèmes d’un même taxème relèvent d’une même domaine.

En français contemporain, ‘face1’ demeure dans les textes religieux, car malgré les aggiornamenti la diachronie du discours religieux ne suit pas les mêmes évolutions que les autres discours mêlés sous le nom énigmatique de langue générale [42]. Cette autonomie diachronique d’un discours ne surprend pas : en médecine, face signifie encore ‘visage’, ou plus précisément ‘partie antérieure de la tête’. Plus généralement, on peut souligner que les différents discours et les différents types de pratiques sociales qu’ils reflètent se meuvent dans des diachronies différenciées, car l’évolution d’une langue, et particulièrement d’un lexique, obéit à des régimes de temporalité très divers.

Les faces d’abbé et les faces de prédestinés, qui se ressemblaient fort par leur teint fleuri, ont disparu en français contemporain : on ne trouve plus de contextes mélioratifs où facesignifierait ‘visage’. Ainsi, dans une expression comme face d’ange, c’est le trait péjoratif de ‘face’ qui est propagé à ‘ange’, et non le trait mélioratif de ‘ange’ qui contredit celui de ‘face’ (cf. Télérama, à propos du décès de Chet Baker, trompettiste mort d’overdose : “ La mort donna des ailes à une face d’ange ”). La disparition de l’acception méliorative de face, apparue au XIIe siècle avec les traductions de la Bible, témoigne peut-être de la laïcisation de la société, où les termes repris de l’Écriture ne sont plus un gage de ce que l’Académie appelait un “style sérieux”. Elle témoigne aussi du fait que /péjoratif/ est devenu un trait inhérent de ‘face2’.

b) Des syntagmes aux locutions

Il nous faut ici souligner une carence de l’approche lexicographique : liée traditionnellement à une ontologie du concept et du mot isolé, elle ne retient que les lexies simples, et néglige les lexies complexes. Or dans le discours religieux, naturellement formulaire par ses liens avec le rituel, les lexies complexes comme face de Dieu ont une importance particulière.

En fait, pour une linguistique des textes (et nous pensons que la lexicologie doit être fondée sur un telle linguistique), l’unité sémantique minimale est le syntagme. Les mots sont des unités privées de leurs contextes préférentiels, décontextualisées, artefacts tout à la fois de l’ontologie et de la lexicographie. Dans cette perspective, les lexies simples sont définies comme des syntagmes fortement intégrés — comme l’atteste

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au demeurant l’évolution linguistique : un mot est un fragment de texte, sinon de mythe. Or, le statut diachronique des syntagmes et des lexies complexes diffère.

(i) Un syntagme non intégré comme face du grand Turc peut être initiateur, car l’innovation sémantique peut créer une perturbation locale, qui amplifiée par d’autres facteurs, conduira à un remaniement du taxème, par création ou suppression d’un attracteur, ou par simple déformation du bassin global).

(ii) Intégré à une  lexie complexe, comme face à face, une lexie simple ne conserve pas les propriétés de son taxème d’origine : son sémème est redéfini dans un nouveau taxème et n’est pas remanié par les perturbations du taxème d’origine. Ainsi, comme le note Vaugelas, “ Pour les personnes, on dit encore regarder en face, reprocher en face, soustenir en face, résister en face, mais toujours sans l’article la ” (Remarques, p. 60). Et de fait, face à face s’est conservé sans trait mélioratif (alors qu’il vient des traductions de la Bible) ni trait péjoratif ultérieur ; tout comme vis à vis, alors que vis doit sans doute sa désuétude à quelque ostracisme, sinon à quelque tabou (cf. infra).

c) Les deux réseaux du contenu et de l’expression

Si les normes de la doxa permettent de rendre compte de l’évolution des signifiés, elles interviennent aussi pour l’évaluation des signifiants, et les signes se trouvent pris dans deux réseaux : (i) un réseau onomasiologique qui rend compte de l’évolution des signes en fonction des variations évaluatives des signifiés ; (ii) un réseau sémasiologique qui tient compte des variations évaluatives des signifiants. L’évolution d’un signe obéit à ces deux réseaux de contraintes.

Or, chose notable, les mêmes forces évaluatives sont à l’œuvre dans les réseaux onomasiologiques et dans les réseaux sémasiologiques : pour le premier cas, nous avons vu que l’interdit concernant la face de Dieu s’est étendu à la face humaine. Pour le second, considérons le cas d’un interdit portant sur le signifiant, et prenons pour exemple le mot vis, qui appartient en ancien français aux désignations du visage. L’amuïssement de sa finale l’a rendu homophone de vit. Cette embarassante homophonie n’a évidemment pas échappé aux esprits malicieux [43]. L’opposition entre parties nobles et ignobles du corps aura suffi à inhiber vis au profit de visage [44].

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Ainsi la même sorte d’interdit contribue à inhiber un signifiant (vis) ou un signifié (‘face2’). Et dans les deux cas, le signe litigieux est éliminé du taxème.


6. Conclusion

6.1. Contingence historique et conditions idéologiques

Imaginons que l’inénarrable sieur Tabourot, qu’il en soit ou non l’inventeur, n’ait jamais publié cette face du grand Turc, les désignations du visage en eussent peut-être été changées. Sans revenir aux conclusions de Plékhanov sur le rôle de l’individu dans l’histoire, il suffit d’étendre aux langues le fait bien connu dans la dialectologie des petites communautés qu’une innovation lexicale peut être rapportée à quelqu’un. Pour les langues écrites, il n’est pas rare que la littérature innove, et que ses innovations soient reprises à l’oral (cf. en chinois les expressions en quatre caractères).

Cependant, pour qu’une innovation soit reprise, il faut qu’elle mette en jeu des catégories sémantiques prégnantes : inutile de rappeler, à la fin du XVIe siècle, l’ébranlement dû aux guerres de religion, à l’essor du scepticisme et du libertinage philosophique. Au siècle suivant, la censure du bon goût mondain, dévot ou académique, contribua on le sait à normaliser la langue, et à mettre fin aux équivoques sémantiques : face fut ainsi sacrifié sur l’autel de la décence.

6.2. Le fondement anthropologique des évolutions diachroniques

Nous avons vu que l’évolution des taxèmes peut être décrite comme une succession de déformations. Retenons, pour résumer, des évolutions antithétiques. La valorisation se traduit par : une activation ; un élargissement du bassin d’attraction (et donc des contextes) ; l’acquisition d’une valeur typique ; l’utilisation en style élevé. En revanche, le tabou, l’interdiction se traduisent par l’inhibition active de la singularité et des points reliés ; un rétrécissement du bassin d’attraction ; la raréfaction quantitative de la forme ; l’utilisation en style bas, et souvent le déplacement euphémique [45].

Parmi les forces qui concourent à l’évolution des taxèmes, les méliorations et les péjorations jouent un rôle antithétique. Plus un contenu est fortement évalué, plus son bassin est étroit, et plus il peut être déformé. Les zones aux voisinage des seuils d’acceptabilité sont instables, la péjoration d’un terme très valorisé (comme l’était face) suffit à perturber toute la dynamique.

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Nous avons vu que la valeur dogmatique qui s’attachait à face a pu faire d’un contexte nouveau un blasphème — comme si la foi était plus près du blasphème que de l’indifférence. Ainsi, les perturbations apportées au système peuvent être rapportées à la doxa, ensemble d’axiomes normatifs qui jouent le rôle de paramètres de contrôle, ou plus précisément aux doxa. Comme les contradictions doxales correspondent à des contradictions sociales, un conflit entre groupes peut se traduire par un conflit entre doxas, et une paradiastole est toujours possible (ex. vos héros sont des assassins). Les doxa apparaissent alors comme des instances médiatrices entre le sémantique et  ce qu’on appelle l’idéologique : les perturbations externes du taxème correspondent à des changements de seuillage dans les paramètres de contrôle de la doxa de référence, et ces changements sont l’indice de conflits de doxa.

Cette incidence globale se traduit par des incidences locales : dans la mesure où ils ont une incidence sur la doxa dominante, ne serait-ce qu’en faisant scandale par rapport aux canons idéologiques en vigueur, les événements singuliers que sont des contextes nouveaux peuvent entraîner nous l’avons vu une reconfiguration générale du taxème.

On se demande alors, dans le prolongement de ce que nous disions sur la valeur et les valeurs, si le fondement des oppositions sémantiques ne réside pas dans l’opposition doxale entre le valorisé et le dévalorisé, et, ultimement, entre l’interdit et le prescrit. Si c’est bien le cas, la sémantique, qu’elle soit ou non cognitive, ne peut avoir qu’un fondement anthropologique, articulé sur l’ethnologie et sur l’histoire.


NOTES

1 Cf. e.g. 1971, p. 164 ; 1972, pp. 112-113. Hjelmslev utilise aussi les termes extensif et intensif (cf. 1985, p. 34, définitions 116 et 117 ; l’opposition entre intensif et extensif se trouve déjà chez Leibnitz, Nouveaux essais, IV, 17, § 8). Par exemple, en français, dans l’opposition homme vs femme, homme est le terme extense, car il peut désigner l’ensemble de la catégorie ou un membre de la catégorie, et femme le terme intense, qui désigne l’autre membre de la catégorie, mais ne peut désigner la catégorie toute entière. En termes plus classiques, on dira que homme est susceptible de deux acceptions : ‘homme1’ ( ou ‘Homme’ par opposition à ‘animal’) et ‘homme2’, par opposition à ‘femme’.

2 A moins de penser, comme le fait Rosch à la suite de Berlin et Kay, que les prototypes sont fondés en nature : et bizarrement, pour ces auteurs, la nature est achronique (et pourtant, par exemple, le mammouth n’est plus un prototype du gros gibier).

3 On peut se demander d’ailleurs si son insistance sur l’appartenance floue ne tient pas à une définition insuffisante des catégories (qui ne correspondent à aucune des classes lexicales répertoriées par les linguistes).

4 [Les structures sémantiques [...] sont caractérisées relativement à des “domaines cognitifs ”, et un domaine peut être n'importe quelle sorte de conceptualisation : une expérience perceptive, un concept, un complexe conceptuel, un système de connaissance élaborée, et ainsi de suite].

5 En fait, la nature n’est qu’une naturalisation, c’est-à-dire une naturalisation de la doxa, i.e. de l’idéologie du “bon sens”.

6 On sait que la sémasiologie prend le signifiant pour invariant, et considère le problème de la polysémie comme fondamental, alors que l’onomasiologie part du signifié, et considère la synonymie comme primordiale. De la thèse qu’il n’existe pas de synomymes en aucune langue, proposée (après Prodicos) par l’Abbé Girard et approfondie par les synonymistes des Lumières, est issue la sémantique différentielle contemporaine (cf. n. 10).

7 Cette conception ontologique de la signification se trouve chez Guillaume, avec la théorie du signifié de puissance, comme dans la théorie cognitive des prototypes. La principale discordance entre l’approche guillaumienne et l’approche cognitive réside dans le fait que le signifié de puissance est une forme abstraite, alors que pour la sémantique cognitive (à la différence d’ailleurs de Rosch), il s’agit généralement d’un meilleur exemplaire.

8 Les théories transcendantales de la signification, aussi bien celle de Guillaume, celle de Culioli qui lui doit beaucoup, mais aussi la sémantique cognitive décrivent un temps abstrait qui n’est pas celui de l’histoire, alors que la sémantique diachronique demeure une discipline historique.

9 Le concept de valeur explique en outre la loi de répartition, que Bréal définissait ainsi, en développant dans une perspective historique les recherches des synonymistes : “ Nous appelons répartition l'ordre intentionnel par suite duquel des mots qui devraient être synonymes, et qui l'étaient en effet, ont pris cependant des sens différents et ne peuvent plus s'employer l'un pour l'autre ” (1897, p. 22). Il conclut : “ L'histoire du langage est une série de répartitions ” (p. 29).

10 Avec laquelle l’analyse sémique n’est d’ailleurs pas sans rapport : cf. Bréal, à propos de “ nos pères de l’école de Condillac ” (1897, p. 277).

11 Pour nous, la référence est un effet, non un point de départ (cf. l’auteur, 1991, ch. VII, 1994, ch. II).

12 Encore soucieuse de fonder en nature l’évolution linguistique, Sweetser reprend à son compte la légende, de longue date dissipée par Meillet et Benveniste, que le sens concret est premier par rapport aux sens abstraits.

13 La métaphore et la métonymie, emblèmes de la rhétorique restreinte depuis que Jakobson les a étrangement accouplées, ne sont ni symétriques ni converses ; et leur privilège même fait problème : pourquoi exclure les autres tropes ?

14 À l’inverse et complémentairement, comme nous venons de le voir, bifteck vint à signifier la nourriture, par extension à partir du valorisé.

15 Peut-être cette loi a-t-elle des fondements anthropologiques : du moins, selon Louis Dumont, la hiérarchie subordonne l’englobant à l’englobé, le terme extense au terme intense, le non-marqué au marqué (cf. Anthropologie, totalité et hiérarchie, in Anthropologie et philosophie, Paris, Centre Pompidou, 1992, pp. 11-24).

16 Nous considérons le langage non comme le reflet ou la transposition de formes perceptives, mais comme un objet de perception (d’où nos propositions pour une théorie de la perception sémantique, 1991, ch. VII) : le lien entre langage et perception se trouve là. Nous laissons ouverte la question de l’incidence de la perception sémantique sur les autres formes de perception.

17 L’esthétique fondamentale relève de la linguistique quand elle prend pour objet le matériau linguistique lui-même. Au palier morphologique, toutes les langues comprennent des morphèmes appréciatifs (cf. e.g. l’affixe -acci- en italien). Au palier immédiatement supérieur, le lexique des langues fourmille d’évaluations, et des seuils d’acceptabilité structurent les classes lexicales élémentaires (cf. e.g. des oppositions comme grand / énorme ou froid / glacial). A fortiori les unités phraséologiques, fort nombreuses dans tout texte, qui reflètent et propagent une doxa sociale. Au palier de la phrase, on peut considérer que toute prédication est une évaluation. Au palier textuel enfin, l’analyse narrative par exemple a maintes fois souligné l’importance des modalités dites thymiques. En bref, l’esthétique fondamentale définit le substrat sémiotique sur lequel s’édifient les arts du langage, et demeure bien entendu en-deçà des esthétiques philosophiques, et n’a rien de commun avec une quelconque fonction esthétique, poétique, ou stylistique.

18 C’est pourquoi nous refusons de distinguer entre dénotation et connotation et de postuler que les langues décrirait un réel objectif simplement coloré cà et là par des “attitudes propositionnelles”. D’ailleurs, aucun critère consistant ne permet d’opérer ces distinctions.

19 La sémantique structurale diachronique et la sémantique cognitive, dans la mesure où elles tiennent compte des conditions générales de saisie du sens et trouvent sans doute une fondation commune dans la phénoménologie husserlienne (notamment le concept de discontinuité qualitative exposé dans la troisième des Recherches logiques, 1901), permettront peut-être d’articuler le cognitif (comme transcendantal) et le culturel, en tenant compte des conditions culturelles et historiques de la cognition telle que les langues la contraignent et l’articulent.

20 Faute de place, nous renvoyons à son excellente présentation, 1997, pp. 167-210. D’autres auteurs, comme W. Wildgen ou P.A. Brandt pourraient être également mentionnés.

21 Par exemple, malgré leur intérêt théorique, les travaux de Victorri et Fuchs (1996) sur encore n’apportent rien de plus, dans la pratique descriptive, qu’une combinatoire sémique de traits imperfectifs et itératifs.

22 Je m’inspire ici de Lacorre, 1997.

23 Et non pas l’ensemble des contextes associés à une expression (comme par exemple Victorri et Fuchs l’ont fait dans une perpective sémasiologique)

24 Les théories représentationnelles de la signification ne parviennent pas à rendre compte des inégalités qualitatives. Cependant, distinguer des zones évaluatives au sein du taxème permet de rompre avec la théorie représentationnelle de la signification, car aucune métrique ne permet de distinguer le grand de l’immense ou le froid du glacial.

25 Cf. l’auteur, 1996. Parmi les degrés d’acidité d’un vin (faible, mou, frais, vif, nerveux, acidulé, vert) le même degré, mesurable en Ph, et exprimable dans l’abstrait par nerveux, sera catégorisé par vif (non péjoratif), pour un vin jeune, et par acidulé(péjoratif) pour un vin qui a vieilli.

26 Cf. Victorri et Fuchs, 1996.

27 En analyse sémique traditionnelle, par exemple, l’introduction d’un sémème dans un taxème modifie la composition sémique, c’est-à-dire la structure relationnelle, des autres sémèmes.

28 Je suis ici pour une part Lacorre, 1997.

29 Le problème que posent les sémèmes qui signifieraient une chose et son contraire (comme les fameux haddad de la tradition arabe) ne se pose selon nous que dans les cas d’antiphrase ou de syllepse, et donc en contexte.

30 Pour un développement sur les évolutions paradoxales, cf. l’auteur, 1996.

31 Ainsi l’Annuaire des rues de Paris comprend non seulement des rues, mais des boulevards, avenues, impasses, etc.

32 Cf. Petitot, 1996.

33 Nous reformulons ainsi, sans le lier à un quelconque degré zéro, le problème de l’écart qui préoccupe traditionnellement la stylistique.

34 L’univers humain n’est pas fait de connaissances d’une part, et par ailleurs d’émotions. Cette distinction ommiprésente jusque dans les sciences cognitives actuelles réitère sans fondement la séparation archaïque entre le cœur et la raison. Sans doute la neutralité informationnelle n’est-elle qu’un artefact moderniste, s’accordant avec le préjugé tenace que le langage est un simple instrument idéographique à l’usage de la pensée rationnelle. Convenons plutôt que l’univers humain est constitué d’appréciations sociales et individuelles, qui font l’objet de l’esthétique fondamentale.

35 Cette question peut s’autoriser de Saussure, quand il définit deux aspects indissolubles de la valeur : la valeur interne, qui est au principe de la sémantique différentielle, et la valeur externe, dont il donne en exemple celle d’une pièce de monnaie. Cette valeur d’échange reste métaphorique, mais l’articulation des deux régimes de la valeur fait problème (cf. Zilberberg, 1987 ; Piotrowski, 1997) : il s’agit selon nous de la corrélation entre les valorisations linguistiques et les valeurs sociales, dont les valeurs d’échange économique ne sont qu’un cas particulier, exemplaire parce que normé.

36 Je remercie Evelyne Bourion de m’avoir communiqué les pièces de ce dossier. Dans les limites de cette étude, je ne prétends évidemment pas présenter l’évolution de l’ensemble des dénominations du visage.

37 Exemple : “ D’andeus ses oiz ses faces moille ”(Benoit, Ducs de Normandie, 5114 ; on trouve dans cette œuvre six emplois analogues), à comparer avec “ Plure de ses oils, si li moille sa face ” (Chanson de Guillaume, 478).

38 La collusion symbolique de la face et du séant rappelle en outre l’image infernale du grylle, partout présente dans les diableries médiévales.

39 Par exemple, Corneille l’emploie encore au sens de ‘visage’ dans Médée (1635), mais ne l’emploie plus ensuite que dans des contextes religieux.
Vaugelas peut trouver que “ l’Usage l’a mis hors d’usage” (ibid.) pour des raisons ridicules, extravagantes, et très impertinentes, il reconnaît “qu’en même temps que je condamne la raison pour laquelle on nous a osté ce mot dans cette signification, je ne laisse pas de m’en abstenir ” (1647, Préface, IX).
La première édition du dictionnaire de l’Académie (1694), déjà en retard sur l’usage, définit simplement face par visage; mais si la cinquième (1798) fait de même, elle précise : “ Dans le sérieux, il ne se dit en ce sens qu'en parlant de Dieu ”.

40 Même si la comparaison avec le séant reste possible, chez Zola par exemple où les mangeurs de L’Assommoir “avaient des faces pareilles à des derrières” (ch. VII).
Distinguons bien la métaphore de son expression : il aurait été possible d’associer le mot visage à la comparaison du visage et du séant. Renson cite l’autre visage chez Voiture et chez divers auteurs heureusement oubliés visage sans nez, gros visage, visage à rendre un lavement (1962, I, p. 210). Mais ces occurrences restent isolées et ne sont pas passées dans l’usage.

41 L’opposition des deux expressions se trouve déjà dans le dictionnaire de l’Académie, 1835). Hugo unit magistralement les deux acceptions : “Le voyage qu’ils [mes parents morts] font est profond et sans bornes, / On le fait à pas lents, parmi des faces mornes, / Et nous le ferons tous”(Hugo, Feuilles d’automne, 6). Dans ce contexte, ‘face 2’ apparaît dans le domaine religieux (un enterrement).

42 Les normes évaluatives propres de ce discours ont permis d’y sauver face de l’infâmie. Usant d’un euphémisme, les jésuites auteurs du Trévoux (1721) notent à propos des expressions contenant le mot face : “ ces phrases (face-à-face, etc.) sont imitées de celles de l’Écriture (…) Cela rend plus supportable l’usage de certains termes ”. Sans doute le discours de la Loi n’est-il pas soumis au tabou. Du moins, le taxème des désignations du visage ne connait-il pas la même diachronie dans le discours religieux que dans les autres.

43 Une ballade de Molinet, somme toute obscène au vu de ses rimes obligeamment rubriquées dans le manuscrit, pour les lecteurs distraits : “  Madame, j’ai sentu les façons / Du feu d’amour, puisque je vis / Les yeux plus aspres que faucons / De vostre gent et plaisant vis ” (Dupire, N., éd., Les Faictz et dictz de Jean Molinet, Paris, Picard, 3 vol., 1936, pp. 866-867).

44 La concurrence de visage, évoquée en outre par Renson, est d’autant moins convaincante que visage est dérivé de vis ; on a évoqué aussi le caractère monosyllabique de vis, mais il est des monosyllabes fort durables.
Comme face, vit se trouve banni, car les parties du visage sont traditionnellement opposées aux parties jugées ignobles du corps. Ce thème, on le sait, a été développé par Freud, qui reprend la polarisation de Schopenhauer (“ La tête et les parties génitales sont en quelques sorte les pôles opposés de l’individu ”, in Insultes, Monaco, Le Rocher, 1988, p. 29).

45 L’euphémisation jouit sans doute d’une généralité anthropologique : par exemple, on étend le nom du corps vivant à celui du corps mort (on n’emploie pas le mot cadavre pendant un enterrement). L’usage d’un terme neutre comme corps (ex. levée du corps), ne se résume pas à une extension : on évite la péjoration du corps mort. Meillet jadis avait justement souligné le rôle du tabou et de l’euphémisation dans l’évolution linguistique.


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©  septembre 2005 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : RASTIER, François. De la sémantique cognitive à la sémantique diachronique : les valeurs et évolutions des classes lexicales. Texto ! septembre 2005 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Classes-lexicales.html>. (Consultée le ...).