SCIENCES DE LA CULTURE ET POST-HUMANITÉ

François RASTIER
C.N.R.S.

1. Sémiotique et sciences de la culture

Le défi. —  À mesure que la désaffection voire le soupçon à l’égard des sciences « dures » prennent un tour aggravé, les sciences sociales font l’objet depuis une dizaine d’années de demandes inquiètes. Elles ont matière à répondre, car elles ont accumulé des connaissances sans précédent sur la diversité des langues et des sociétés humaines ; l’effort sans précédent lui aussi d’inventaire et de conservation du patrimoine culturel à l’échelle mondiale appelle à présent une réflexion théorique pour penser la diversité de ce patrimoine, dans le temps comme dans l’espace. Les voici alors affrontées au défi de mettre en valeur la diversité culturelle, pour éviter qu’elle ne se réduise encore. Sans opposer un relativisme frileux à un universalisme dogmatique, cela conduit à affirmer l’autonomie et la spécificité de la sphère culturelle, et à poursuivre, dans la direction tracée notamment par Cassirer, l’entreprise d’une philosophie des formes symboliques. Elle dessine les contours d’une sémiotique des cultures, et laisse discerner un projet refondateur pour les sciences sociales.

Elles hésitent depuis leur formation entre les modèles des sciences de la nature, des sciences de la vie et des sciences logico-formelles : tous les projets réductionnistes s’appuient sur cette hésitation dont il importe de sortir en précisant le mode propre d’objectivité critique de l’objet culturel et les formes de sa temporalité. La fédération des sciences de la culture demande d’ailleurs une conception commune de l’objectivité.

Même dans les sciences de la nature, en physique quantique par exemple, la situation de l’observateur fait partie de la situation expérimentale ; Ferdinand Gonseth puis Gilles Cohen-Tannoudji ont employé à ce propos l’image de l’horizon : il appartient à notre champ de vision, qu’il paraît borner. Le réel objectif n’en existe pas moins comme ensemble de conjectures : dans un langage unitaire, il demeure ce sur quoi nous traçons notre horizon ; et dans un langage infinitaire, il est fait de tous les horizons possibles. Cette situation reste le lot commun de toutes les sciences, leur minimum herméneutique. Mais si dans les sciences de la nature, du moins les sciences physiques, la situation de l’observateur est déterminée par des coordonnées elles-mêmes physiques, repérables dans l’espace-temps, dans les sciences sociales l’espace est médiatisé par la culture et le temps physique par l’histoire et la tradition. La situation spatio-temporelle de l’observateur est ainsi redoublée par la situation historico-culturelle de l’interprète. L’objectivité des sciences de la culture se constitue alors par la reconnaissance critique de leur part de subjectivité.
 

Médiations.— La place du monde sémiotique, en position médiatrice chez l’homme entre le monde physique et le monde des (re)présentations, détermine la fonction épistémologique de la sémiotique elle-même.

L’expression sémiotique des cultures renvoie-t-elle à une seule science ou à plusieurs ? Dans le premier cas, on penchera vers une anthropologie philosophique, celle par exemple de Cassirer dans son Essai sur l’homme : un tel champ de réflexion, fort nécessaire, ne doit évidemment pas se prétendre une science. Dans le second cas, on cherchera à restituer l’unité des sciences humaines, et la réflexion sur le sémiotique en tant que domaine scientifique, plutôt que sur la sémiotique en tant que science. En effet, l’omniprésence des signes rend pour ainsi dire impossible la constitution de la sémiotique comme discipline parmi d’autres. Une sémiotique des cultures, notamment, ne serait-elle pas une science des sciences ? Plutôt qu’une discipline, c’est un projet intellectuel, celui même de redéfinir la spécificité des sciences humaines et sociales : les cultures embrassent la totalité des faits humains, jusqu’à la formation des sujets. Elles restent cependant difficiles à concevoir, faute précisément d’un point de vue sémiotique sur la culture.

Le projet saussurien d’une sémiologie naît de la volonté de définir l’ordre scientifique auquel appartient la linguistique : « On a discuté pour savoir si la linguistique appartenait à l’ordre des sciences naturelles ou des sciences historiques. Elle n’appartient à aucun des deux, mais à un compartiment des sciences qui, s’il n’existe pas, devrait exister sous le mot de sémiologie […] le système sémiologique ‘langue’ est le seul […] qui ait eu à affronter cette épreuve de se trouver en présence du Temps, qui ne soit pas simplement fondé de voisin à voisin par mutuel consentement, mais aussi de père en fils par impérative tradition, et au hasard de ce qui arriverait en cette tradition, chose hors de cela inexpérimentée, non connue ni décrite. » (1974, II, p. 47). S’il est clair ici que la sémiotique est conçue comme un compartiment des sciences et non comme une discipline de plus, la notion de Temps traditionnel, distingué de fait du temps historique, mérite une grande attention. Si les sciences naturelles se satisfont du temps darwinien de l’évolution, les sciences de la culture se meuvent dans un temps lamarckien, fait de traditions et de ruptures. Ce temps traditionnel n’obéit pas aux métriques du temps historique : ni régulier, ni connexe, ni déterministe, il laisse ouvertes des rétrospections, des anticipations, il met en contact les contemporains et les anciens, les proches et les étrangers.

Les formulations du projet de la sémiotique des cultures sont restées éparses chez divers auteurs et elle ne s’est pas constituée en discipline autonome. En effet, elle garde une vocation épistémologique : fédérer les sciences de la culture autour des concepts de langage et d’interprétation, déplacer l’opposition métaphysique entre le sujet et l’objet en une distinction relative entre l’interprétation et le signe, restituer la complexité radicale des textes et autres performances sémiotiques, sans chercher à les unifier dans une totalité. Comme une totalité se définit par l’unité à soi, elle n’a pas véritablement de sens, puisque le sens est fait de différences irréductibles reconnues, instituées et qualifiées par les parcours interprétatifs : la sémiotique des cultures se trouve donc devant la nécessité constitutive de rompre avec les ontologies, tant celle des sciences de la nature que celle des sciences logico-formelles.


2. La « nature humaine » contre la culture ?

La « nature humaine » revient au centre des débats d’autorité scientifique et de pouvoir politique. Quels sont les enjeux culturels des mythes scientistes et technicistes qui l’entourent ? Le fruste partage entre Nature et Culture doit être dépassé, c’est la responsabilité nouvelle qui incombe aux sciences de la culture. Elles doivent pour cela redéfinir leur identité et leur légitimité dans le monde des signes.

Avec l’essor actuel de la génétique, le déterminisme génétique a connu un renouveau : des sciences de la vie, le néodarwinisme s’est étendu en philosophie de l’esprit, en psychologie évolutionniste, en linguistique cognitive, dans les NBIC (qui marquent le rapprochement des nanotechnologies et des sciences de la vie) [1]. Dans les recherches cognitives, le néodarwinisme est d’autant mieux accueilli qu’il participe au programme de naturalisation du sens d’une manière plus plausible que le computationalisme dépassé du cognitivisme orthodoxe.


La culture impensable. — Bien qu’il domine dans les sciences humaines aujourd’hui, l’individualisme méthodologique ne permet pas de penser la culture. Comme l’a bien vu Clifford Geertz, elle est la forme même du social ; en d’autres termes, elle transforme la société animale en socialité humaine.

Ensemble de structures sémiotiques immanentes à la société, la culture semble constituer une totalité transcendante aux individus. Du moins, elle les configure dans leur développement épigénétique. Notamment, ils sont érigés en sujets par la socialisation : l’anthropologie culturelle de Malinoswki et Mead a ainsi esquissé une typologie culturelle des formes de subjectivité avant que les programmes cognitivistes orthodoxes ne récusent toute méthode comparative.

Pour l’individualisme méthodologique, tous les protocoles collectifs d’intégration, de transmission (baptêmes, initiations, etc.) deviennent vieilleries métaphysiques, puisque l’homme n’est défini que par son organisme. Dès lors que le sujet se réduit à l’individu biologique, on peut penser que le patrimoine génétique détermine l’appartenance sociale.

Dans tous les cas, la personne devient un individu enfermé dans sa condition organique. Elle perd sa liberté, car de fait le génome semble naturaliser la prédestination divine ; il rivalise du moins de déterminisme avec elle.
 

De Malthus à Darwin, et retour. — Dans un livre à la gloire de Haeckel, théoricien du pangermanisme qui a édifié « scientifiquement » le racisme, Léon Dumont, au lendemain de la Commune de Paris, fait l’apologie du darwinisme social : « Darwin a déclaré lui-même, à plusieurs reprises, qu’il n’avait jamais fait qu’étendre à l’origine des espèces les théories des économistes, et que ses vues lui avaient été particulièrement suggérées par la doctrine de Malthus. Si le parti conservateur était un peu moins aveugle, il reconnaîtrait que la théorie de l’évolution renferme la philosophie même de la doctrine conservatrice, et que seule elle peut en fournir la justification scientifique » (1873, p. 6).

Vacher de Lapouge, théoricien du racisme, reprend ce programme scientifique : « on n’avait pas compris que le darwinisme appliqué à l’homme dans sa vie sociale excluait dans l’avenir tout élément d’explication sociale non-scientifique, c’est-à-dire admettant des causes sociales surnaturelles en dehors de la causalité générale de l’univers » (1899, p. 513). C’est précisément ce programme d’explication causale qui inspire le scientisme néo-darwinien d’aujourd’hui, qu’il soit de « droite » chez O.E. Wilson, ou de « gauche » chez Chomsky, Dawkins, Changeux ou Sperber [2].

La référence de Darwin au malthusianisme doit être interrogée. Malthus affirme que la diminution de la population humaine est le seul remède à la menace de pénurie ; de là vient la théorie de la « bonne guerre ». Le darwinisme est une projection métaphorique de cette économie politique « mélancolique », assurément tragique, sur le monde vivant [3]. Retransposer cette métaphore dans le domaine social la rend à son sens premier, mais parée d’une autorité scientifique qui la lie à l’ordre du monde. Le darwinisme aura ainsi transposé dans la biologie la compétition capitaliste : on s’en sert en retour pour justifier celle-ci et fonder aujourd’hui dans les sciences de la vie les théories ultra-libérales de la prédation économique.

Cependant, le darwinisme intéresse les espèces et non des individus. Alors que Malthus prenait pour objet les populations, l’interprétation sociale du darwinisme par l’ingénieur et philosophe Herbert Spencer conduit à une morale de la sélection des individus : les plus aptes l’emportent [4] – et sont d’ailleurs réputés plus aptes du seul fait qu’ils l’emportent. C’est évidemment une légitimation « scientifique » de toute agression dès lors qu’elle est victorieuse.
 

Comment remplacer la Providence. — Le darwinisme est un évolutionnisme ; ce n’était pas le premier et beaucoup de ses idées se trouvent déjà chez Lamarck, mais son originalité consiste à régler l’évolution par deux principes simples, la sélection naturelle et l’adaptation. Ils s’accordent avec une vision apparemment progressiste ou du moins providentielle : l’état actuel est le meilleur, dans la mesure où il serait expliqué par la sélection des meilleurs.

Ainsi, l’adaptation revêt le rôle que jouait jadis la Providence, mais sans plan d’ensemble et sans intentionnalité. Quant à la sélection, elle joue le rôle de la Grâce, car elle témoigne d’une perfection – naturellement sans aucun critère que le constat a posteriori, puisque tout organisme est jugé adapté dès lors qu’il est viable, comme toute espèce dès lors qu’elle se perpétue.

Dans The Blind Watchmaker, Dawkins reprend explicitement l’image de l’horloger qui ouvre la Théologie naturelle de Paley, mais le Dieu clairvoyant de Paley, qui développait une théologie de l’adaptation des espèces, est devenu aujourd’hui une Nature aveugle, sans téléologie. Dans ce contexte somme toute religieux, la Grâce est une forme d’élection — qui succède à l’élection judaïque, mais se transpose en Sélection. Elle a pu ainsi et peut encore parfaitement justifier les prétentions de « races supérieures » à la purification ethnique.
 

La multiplication des darwinismes. —  De la notion de concurrence entre espèces, relativisée ultérieurement par le concept de niche écologique, on est passé à la concurrence entre membres de la même espèce [5]. C’est là que le pessimisme malthusien et l’individualisme spencérien prennent tout leur sens : dès lors que l’espèce se réduit à une collection d’individus, les relations sociales sont conçues comme une lutte, voire une « lutte sanglante de gladiateurs » (selon l’expression de Thomas Huxley, darwinien fin-de-siècle).

Ce darwinisme des individus se redoublerait chez l’homme d’un darwinisme moral. Par exemple, Paul Rée expliquait dans ses ouvrages que la sélection atténue chez l’homme les sentiments altruistes hérités des animaux. Ce fut un des points de départ de son ami Nietzsche : « L’espèce a besoin de la disparition des ratés, des faibles, des dégénérés […] Que sont la « vertu » et « l’humanité » pour des chrétiens, sinon justement ce soutien mutuel, cette solidarité des faibles, cette entrave à la sélection ? » [6]. Le darwinisme moral est aujourd’hui développé par des auteurs comme Ridley (1996), Runciman (1998), Buss (1999).

Après le darwinisme des espèces et celui des individus (struggle for life), on en vient en outre à des darwinismes infra-individuels [7].

- Le darwinisme du gène, défendu notamment par Richard Dawkins, pose que l’évolution est déterminée par la conservation des gènes.

- Le darwinisme neural, ainsi nommé par Jean-Pierre Changeux, se fonde sur le phénomène de l’hécatombe neuronale précoce (prouvée de longue date par Huebel et Wiesel dans leurs expériences sur la vision chez le chaton) : les neurones qui ne sont pas activés disparaissent, comme, à une échelle plus fine, tous les axones inusités.

- Enfin, le darwinisme des représentations dérive du darwinisme linguistique illustré à la fin du XIXe par Schleicher et par Darwin lui-même [8]. En 1981, C. Lumsden et O. E. Wilson (le fondateur de la sociobiologie) forgent le surprenant composé « culturgenes » pour désigner les représentations culturelles transmises. Dawkins utilise la même notion en la nommant « meme » (mot forgé à partir de mimesis pour marquer un point de vue représentationnel) repris par Sperber, Changeux, Blackmore. Ces représentations élémentaires font l’objet d’une transmission à l’image des gènes. Ainsi Sperber reprend-il tout uniment dans La contagion des idées (1996) le programme exposé par Taine en 1870, dans De l’intelligence. [9]


3. Comment naturaliser la culture

Puisque les cultures sont impensables, leur réduction passe par la naturalisation du sens. Les programmes de naturalisation, dans lesquels Dan Sperber voit « le Graal de la philosophie cognitive » [10], sont un aboutissement du déterminisme, dont le positivisme du XIXe siècle était l’exposé indépassable.

Appliquant un programme régressif, la sociobiologie a pu prétendre expliquer la culture en termes d’avantage évolutif, mais ne peut aucunement justifier la diversité des cultures, encore moins permettre de comprendre leurs interrelations : il s’agit bien de les rabattre sur la Nature humaine (cf. Wilson, 1978). Le problème de la culture se résume alors de fait à l’étude des « bases neuronales du partage des connaissances dans le groupe social » (Changeux, 2002, p. 34).

Aujourd’hui, le principal moyen de naturaliser la culture est la psychologie évolutionniste, courant récent, une dizaine d’années, issu de la psychologie cognitive jadis fondée par George Miller pour prouver la théorie chomskienne : son objectif est de donner un fondement scientifique au concept de nature humaine.

—     La sexualité. Les recherches portent sur l’universalité des goûts sexuels et des rapports entre hommes et femmes. Par exemple Buss (1999) a enquêté sur dix mille personnes dans cinq continents, d’où il ressort que les hommes préfèrent les femmes plus jeunes ! [11] Quant aux rapports entre homme et femme, ils ne peuvent être fondés que sur l’avantage réciproque. Ainsi, pour Matt Ridley (1996), l’échange réciproque est au fondement du couple humain, la femelle (sans doute l’ancêtre de la femme au foyer) acceptant de copuler en échange de nourriture. Quant au viol, c’est une stratégie adaptative justifiée pour les mâles qui souhaitent disséminer leurs gènes [12].

—     La violence. Comme Eros, Thanatos est lui aussi fondé en nature. L’éthologie de Lorenz insistait comme on sait sur l’Agression comme instinct fondamental ; elle lie la guerre et le territoire en faisant l’analogie entre la politique des états et le comportement animal [13].De même en sociobiologie, ce pessimisme est une façon de fonder en nature le génocide, chez O. E. Wilson : « The most destructive human qualities have emerged during the phase of social evolution that occurred through intertribal warfare and through genocide » (1976, p. 395).

—     La religionest également rapportée à la psychologie de l’espèce humaine. On expliquera ainsi que nous sommes dotés d’un circuit cérébral d’appel à l’aide, sollicité en cas de danger. Or il fonctionne même en l’absence de tout congénère : on imagine donc un congénère idéal, un dieu secourable.

—     Enfin, l’art, ici assimilé au rituel, ne peut être expliqué en recourant à un instinct défini. C’est dans ce domaine, crucial pour les sciences de la culture, que les prétendues explications néo-darwiniennes sont les plus laborieuses. Ainsi, dans Raison et plaisir, Changeux applique la notion de sélection à l’histoire de la peinture : « Ces luttes entre images, ce struggle for life des représentations picturales ne se déroulent pas seulement dans le temps. Comme l’évolution biologique, elles ont également lieu dans l’espace, comme en Italie, à Venise, Bologne, Naples ou Rome, où des écoles créent un style, essaient de l’imposer mais aussi quelquefois s’opposent, résistent à l’entrée de nouveaux modèles, de nouveaux ‘paradigmes’. L’analogie avec la diversification des pinsons moqueurs des Galápagos, notée par Darwin dans son célèbre voyage de HMS Beagle, est frappante » (1994, p. 101).

L’ultra-darwinisme néglige que la sélection n’est pas le seul facteur de l’évolution, ni même le plus important. Pour mettre en garde contre cette méprise commune, dans la préface à la sixième édition de l’Origine des espèces, Darwin s’étonne qu’on ait négligé ce propos liminaire de la première : « I am convinced that selection has been the main, but not the exclusive, means of modification », et poursuit, résigné : « This has been of no avail. Great is the power of misrepresentation ». [14]
 

Théologèmes, pessimisme et démiurgie. — En s’adressant ouvertement à l’imaginaire, les mythes d’origine, darwiniens ou non, rivalisent avec les récits bibliques de création. Aujourd’hui, les tenants de la génomique renchérissent de théologèmes. Ridley commence ainsi son dernier ouvrage : « Au commencement était le mot. Le mot convertit la mer à son message, se copiant lui-même sans relâche et à jamais. […] Le mot fit de l’enfer poussiéreux de la surface des continents un vert paradis » (p. 23). Le mot est, bien entendu, le tétragramme des molécules constitutives de l’ADN.

Depuis la mort de Dieu, ce n’est un secret pour personne que la nature humaine est mauvaise. Mais les propos pessimistes sont contrepointés par l’optimisme démiurgique. L’ambition démiurgique, clairement attestée, ne fait en effet aucun doute : « La découverte de la structure en double hélice et la révolution génétique qui s’ensuivit nous offrent un socle pour imaginer que les pouvoirs traditionnellement réservés aux dieux deviendront un jour les nôtres » (James D. Watson [prix Nobel pour la découverte de l’ADN] [15]).

La nature humaine ne peut être réformée ; et puisque la culture ne concerne rien d’essentiel, les programmes d’éducation ne peuvent avoir qu’une portée insignifiante. Il s’agira donc de transformer la nature humaine. Comme elle consiste dans le génome, il faudra le modifier, de manière à créer l’homme nouveau : c’est le projet explicite de mouvements « scientifiques » comme le Transhumanisme, qui regroupe des spécialistes des biotechnologies, des nanotechnologies, du clonage, etc.

En fait, nous assistons à la convergence de trois thèses : (i) puisque la nature humaine est « mauvaise », et que (ii) les religions font obstacle à son amélioration, (iii) il faut créer l’homme nouveau (par amélioration de son patrimoine génétique).

Ces trois thèses prises ensemble reformulent, avec les justifications « scientifiques » de mise aujourd’hui, un schème de pensée qui relève de la tradition gnostique : issue du dualisme zoroastrien, renouvelée par le manichéisme, elle insiste sur les instincts mauvais et se propose la régénération humaine par diverses formes de démiurgie en démasquant les faux dieux. La philosophie nietzschéenne, celle d’Ainsi parlait Zarathoustra, a rendu une légitimité contemporaine à ces thèmes archaïques.
 

Améliorer l’espèce humaine. — Dès lors que la société se réduit à l’espèce, tout progrès social se résume à une amélioration de l’espèce. Galton, cousin et ami de Darwin, et par ailleurs introducteur des méthodes quantitatives en sciences sociales, rêvait d’une « science de l’amélioration de la lignée humaine » (cf. Changeux, 1994, p. 178). Cette science appliquée, l’eugénisme (Galton forge le terme eugenics en 1883) donnera des critères pour sélectionner les meilleurs et prévenir les déficiences, sinon éliminer les déficients.

Le projet de Galton se fonde bien entendu sur Darwin, qui par exemple dans The Descent of Man (1871) regrettait que l’Église catholique impose le célibat et qu’ainsi les meilleurs intellectuels n’aient pu, pendant des siècles, se reproduire pour améliorer le patrimoine génétique de l’humanité.

Nietzsche, grand lecteur de Darwin, va évidemment plus loin, dans sa critique de la religion comme opposée à la sélection naturelle : « l’espèce ne se perpétue que par des sacrifices humains […] Le christianisme est le principe opposé à la sélection. […] La marche naturelle de l’évolution est contrariée et l’anti-nature érigée en loi » (1995, p. 201). Il estime que « l’autorisation d’avoir des enfants devrait être conférée comme une distinction » (p. 346) et se demande « Pour quelles fins l’humanité dans son ensemble, et non plus en tant que peuples et que races, devra-t-elle être élevée et sélectionnée » (p. 260).

Le prix Nobel Konrad Lorenz, qui fut membre du parti nazi, a publié en 1940 un article où il déniait le droit de procréer à ceux qui s’écartaient du type biologique idéal de la nation (des meilleurs exemplaires) – alors même que les métis de la Ruhr et les malades mentaux étaient depuis plusieurs années stérilisés ou assassinés par le régime nazi.

Ce type de propos, sous une forme plus rassise, reste aujourd’hui banal parmi des scientifiques éminents. Francis Crick, découvreur de l’ADN et prix Nobel, écrit : « aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique […] S’il ne les réussit pas, il perd son droit à la vie » [16]. Pour sa part, William Shockley, également prix Nobel, fondateur de la banque de sperme des génies [17], proposait des primes à la stérilisation des personnes au quotient intellectuel inférieur à 100.

Ainsi l’harmonie sociale peut inviter à l’eugénisme : quand l’individu se définit par son patrimoine génétique, ce prétendu patrimoine devient un objet politique, littéralement biopolitique.

L’adaptation au milieu tenant lieu de bien, ou du moins résumant en elle-même toutes les valeurs, la société idéale devient celle où tous les individus sont parfaitement adaptés. La délibération éthique n’y a pas lieu, car elle suppose une distance critique avec l’état des choses, c’est-à-dire l’état social devenu nature. Dès lors l’état social parfait se trouve dans la fourmilière – ou dans l’État totalitaire.

Biopolitique et post-humanité. — Le thème apocalyptique de la Fin de l’Histoire, poncif millénariste repris par Hegel, passé dans le marxisme, avait été repris également par le nazisme : le Reich « de mille années » reformule évidemment un thème millénariste. Mais depuis la libération, divers courants importants de la pensée contemporaine ont fait de l’Extermination — et non plus de la bataille d’Iéna, selon Hegel — le « moment originaire » de la fin de l’Histoire. Ce thème constitutif du post-modernisme commande déjà, par exemple, la lecture d’Auschwitz par Adorno, mais se prolonge chez des théoriciens du néo-libéralisme comme Francis Fukuyama. Il reprend du lustre avec les spéculations apocalyptiques qui fleurissent depuis le 11 septembre 2001.

L’humanité serait-elle parvenue à une ultime étape, post-historique, qui ferait d’elle une post-humanité ? (cf. Fukuyama, 2002). L’homme, « animal » politique, doit-il redevenir un animal biologique ? Telles sont les questions confuses agitées à présent. Pour certains, nous serions dans une ère nouvelle où les valeurs ont été détruites, où les critères de la responsabilité ont perdu leur sens, celle d’une après-culture [18].
 

La nouvelle Alliance.— Le programme de naturalisation des cultures ne s’appuie pas seulement sur le réductionnisme scientifique. Science et technologie sont effectivement mobilisées pour créer les surhommes ; ainsi, Nick Bostrom, professeur de philosophie à Oxford, présentant officiellement le programme transhumaniste, explique : « We can also use technological means that will eventually enable us to move beyond what some would think of as “human”. » (1.1.) [19]. Par ce dépassement technologique de l’éducation et de la culture, les posthumains laissent loin derrière eux les humains : " they yearn to reach intellectual heights as far above any current human genius as humans are above other primates" (1.2.). Bref, la technologie permet de créer des posthumains qui sont en fait surhumains : par comparaison, les humains résiduels ne sont que des sous-hommes comparables aux primates non-humains. Les transhumains sont un nouveau stade de l’évolution, qui toutefois n’intéresse pas l’espèce mais des individus d’élite.

Ce perfectionnement bio-technologique s’exprime dans le clonage. Il assurera aux surhommes une jeunesse prolongée (dans le cas du clonage thérapeutique), voire éternelle (dans le cas du clonage résurrectionnel, avec téléchargement des connaissances de l’individu initial).

La défense du clonage humain n’est pas seulement le fait des transhumanistes, mais aussi celle des humanistes. En 1997, l’International Academy of Humanism publia une déclaration signée de chercheurs illustres comme Francis Crick, James Watson, W. v. O. Quine, qui affirme notamment : « Quelles questions morales le clonage humain soulève-t-il ? Quelques religions d’audience mondiale enseignent que les êtres humains sont fondamentalement différents des autres mammifères […] Mais pour autant qu’on puisse l’établir, il apparaît que les facultés humaines n’ont avec celles des autres animaux supérieurs que des différences de degré, et non de nature. Le riche répertoire de l’humanité en pensées, sentiments, aspirations, semble provenir des processus électrochimiques du cerveau […] » [20]. L’honorable Académie part du point de vue naturalisant pour « défendre l’intégrité » non de l’humain, mais de la recherche scientifique.

Il ne s’agit pas d’élucubrations marginales. Les programmes « humanistes » et transhumanistes sont des succès de librairie (cf. Ray Kurzweil, Age of Spiritual Machines, 1999), et l’un des principaux animateurs de l’Association transhumaniste mondiale, William Bainbridge, est aussi le Directeur de la Division of Information and Intelligent Systems de la National Science Foundation, co-auteur du rapport Converging Technologies et co-directeur du programme NBIC : à ce titre, il dispose d’un budget fédéral de 850 millions de dollars par an (cf. Dupuy, 2004).

Ce type de budget souligne clairement des enjeux économiques [21]. Ils sont à l’origine des recherches sur les OGM : par exemple, des variétés des quatre céréales principales de l’alimentation humaine sont aujourd’hui brevetées. Les biotechnologies humaines intéressent en premier lieu le secteur économique de la santé. Après l’alimentation et la santé, il s’agit aujourd’hui de marchandiser la reproduction humaine. Si la communauté internationale a certes refusé le brevet de parties du génome humain par les sociétés de séquençage, il reste tentant de faire entrer dans la sphère marchande la reproduction elle-même, que ce soit par clonage ou par modifications génétiques créant l’homme OGM [22].

Outre les enjeux économiques, d’autres enjeux, idéologiques, nous conduisent au Meilleur des Mondes. La séparation de l’amour (social et culturel) et de la reproduction (biologique) a des conséquences beaucoup plus importantes qu’un problématique hédonisme : il s’agit de rompre tout simplement les liens sociaux de la filiation et de l’alliance qui structurent les systèmes de parenté et somme toute les individus. En privatisant la reproduction, on fait de l’enfant un produit conforme aux vœux narcissiques des parents-commanditaires.
 

Où les romans se réalisent. — Quand des scientifiques veulent éliminer des superstitions, il n’est pas rare qu’ils en produisent d’autres. Faute de problématisation philosophique, ils les élaborent à partir du fonds culturel, voire de la « sous-culture », telle qu’elle s’exprime dans la science-fiction notamment. Comme le remarque Fukuyama, des deux grandes utopies (ou plutôt « dystopies ») qui ont marqué l’imaginaire contemporain depuis un demi-siècle, le 1984 d’Orwell (1949) et Brave New World d’Aldous Huxley (1932), c’est le second qui est en voie de se réaliser.

Ainsi Michel Houellebecq fait par le truchement de Michel, personnage porte-parole, l’éloge du Brave New World, « le monde auquel aujourd’hui nous aspirons, le monde dans lequel aujourd’hui, nous aimerions vivre » (1998, p. 195) ; et il approuve hautement « la reproduction de l’espèce humaine en laboratoire dans des conditions de fiabilité génétiques et de sécurité totales. Disparition par conséquent des rapports familiaux, de la notion de paternité et de filiation » (ibid.).

Le romancier, diplômé en sciences de la vie, poursuit le déterminisme génétique de Zola, comme l’atteste la description familiale au début des Particules élémentaires [23]. Reprenant le nihilisme nietzschéen, il fait de l’homme « la première espèce animale de l’univers connu » à organiser elle-même « les conditions de son propre remplacement » (p. 393).

Cette forme de nihilisme prophétique, explicitement nietzschéen, s’appuie sur « la science » contre les sciences humaines, discréditées « après des décennies de surestimation insensée » (Dantec, 2001, p. 391) : c’est à la science de résoudre tous les problèmes « psychologiques, sociologiques ou plus généralement humains » (p. 392) [24].
 

La Restauration de la Nature. — La gnose traditionnelle se définissait, comme son nom le suggère, par l’indistinction entre science et religion. Poursuivant un programme démiurgique, elle s’en prenait aux religions révélées dans des termes que renouvelle Bainbridge (2002). Elle entreprit la création de l’homme nouveau.

Aujourd’hui, le New Age a restauré et modernisé les thèmes gnostiques ; par exemple le rapport Roco et Bainbridge conclut : « l'humanité pourrait bien devenir comme un 'cerveau' unique, [dont les éléments seraient] distribués et interconnectés par des liens nouveaux parcourant la société » (2003, p. 123). Or le New Age imagine que le réseau général des cerveaux humains devient l’intelligence de Gaïa (tout à la fois la Terre et la Déesse-Mère) et voit dans cette totalisation l’aboutissement de cinq milliards d’années d’évolution terrestre.

Dépassant la gnose traditionnelle, les néo-gnostiques, pensent par la technologie reconstituer l’humanité d’avant la chute et lui rendre le bonheur [25]. Ce thème de restauration se trouve dans La nouvelle Atlantide de Francis Bacon [26], ainsi que dans son Instauratio Magna : c’est là que Bacon, reconnu comme fondateur de la philosophie anglo-saxonne, trace le projet, grâce à la technology, d’une restauration de la condition primitive de l’homme.

La reconstruction néo-darwinienne de la nature humaine et son amélioration bio-technologique sont ainsi deux variantes apparentées d’un même projet mythique. Non seulement les cultures n’ont aucune pertinence dans cette entreprise, mais ce sont des sophistications qui nous empêchent de discerner la nature originelle qu’il nous faudrait transformer. Dieu étant mort, l’homme primitif n’est plus à son image : il s’agit désormais, simplement, d’un animal parmi d’autres, et l’on sait que Hegel plaçait déjà la Fin de l’Histoire dans une animalité retrouvée.


4.
Responsabilités des sciences de la culture

On a souvent vu dans le nazisme un mélange de technologie et de néo-paganisme germain ; mais c’est la science qui précisément permettait d’articuler programme politique et technique d’extermination. En reconnaissant cette responsabilité, il nous paraît indispensable de développer une réflexion dans trois directions convergentes : interroger le rôle reconnu aux sciences de la nature et de la vie dans la compréhension du monde humain ; repenser l’antinomie nature / culture comme une dualité ; préciser la spécificité des sciences de la culture.
 

Repenser le rôle de la science. — Une science doit avoir des objets et non des objectifs. C’est le projet galtonien d’une « science de l’amélioration » qui doit être interrogé. Le scientisme est tout aussi superstitieux, sinon plus, que les croyances qu’il entend périmer et se traduit aussi par des phénomènes de sectarisme.

Dupuy paraît pessimiste quand il souligne « l’irréflexion constitutive de la science » (2004, § 6). Elle n’est rien sans la raison, dont l’expression théorique, la science, ne saurait être dissociée de son expression pratique : l’éthique. Malgré Heidegger (Die Wissenschaft denkt nicht) la science pense — sauf quand son asservissement politique la ravale au rang de technologie intellectuelle ou de techno-science. Scientifiques et techniciens pullulent, mais les savants n’ont pas disparu pour autant.
 

Repenser comme une dualité l’antinomie Nature / Culture. — La notion de culture reste impensable pour le déterminisme génétique : si la culture était déterminée par les gènes, il n’y en aurait qu’une. En effet, la société serait le produit de notre nature, et non l’inverse : le social serait inscrit dans le génome.

Aussi, le rapport entre nature et culture reste-t-il considéré comme une antinomie. Elle conduit à penser que la nature humaine serait accessible en éliminant la culture, et que les cultures sont des expressions variables et inessentielles de la nature. Elle suppose aussi que les phénomènes transculturels sont anhistoriques et représentent la nature — comme si les cultures étaient des isolats. Il convient alors de transformer l’opposition philosophique entre Nature et Culture qui sous-tend le mythe de la Nature depuis les Lumières.

L’opposition entre la Nature et la Culture, en elle-même étrange, reste sans doute tributaire de l’opposition entre l’Esprit et la Nature, aggravée par la division qu’établissait l’idéalisme allemand entre le Moi et le Monde. Elle est pourtant remise en cause, au sein de l’anthropologie elle-même. La Nature reste de fait une notion métaphysique, qu’elle soit évoquée dans une physique générale naïve qui la remplace par la Matière, ou invoquée comme une grande Déesse, notamment dans la Deep Ecology (cf. la Gaia hypothesis de John Lovelock).

Il ne s’agit donc pas d’opposer un tout naturel — nous sommes des animaux et donc toutes nos œuvres sont des produits naturels — à un tout culturel : notre connaissance de la nature est éminemment culturelle, et donc les sciences ne seraient que des mythes rationalisés.

La différence entre nature et culture n’est pas une différence entre deux mondes, dont l’un ne serait d’ailleurs qu’une illusion idéologique. Il s’agit de deux niveaux d’organisation et de complexité, dont aucun ne peut être réduit à l’autre. Il faut rompre en effet avec le préjugé qu’un substrat puisse être une cause.
 

Préciser la spécificité des sciences de la culture. — Une fois dépassée l’antinomie nature / culture, la réflexion peut passer de la culture comme concept philosophique aux cultures comme objets scientifiques.

Cependant, il manque encore un grand programme de recherche coordonnée sur la genèse des cultures : ce chaînon encore manquant permettrait de mieux lier l’hominisation comme évolution biologique et l’anthropisation comme rupture culturelle, enfin l’humanisation comme rupture réflexive.

À la différence des espèces, qui évoluent dans de longues durées, à l’échelle de centaines de siècles et tendent à s’adapter aux variations des milieux, les cultures évoluent dans un temps propre, celui de leur histoire, à l’échelle du siècle, et tendent à s’affranchir des variations du milieu, en le modifiant et en créant leur propre environnement. Les mondes humains se créent leurs propres lois qui s’édictent et se révoquent dans le temps non métrique de l’histoire. Si les cultures s’adaptent peu ou prou à leur environnement, les hommes sont configurés par le monde culturel dans lequel ils grandissent. Les cultures sont donc des formations médiatrices entre l’homme et son environnement.

La culture relève des sciences de la nature par le problème de la phylogenèse, mais lui échappe par le problème de la société. Elle suppose en effet non seulement la transmission d’apprentissages par imitation, mais ménage aussi une rétroaction de ses formes sémiotiques sur l’épigenèse. En outre, elle comporte des instances « immatérielles » mais empiriquement sémiotiques comme les croyances et les « autres mondes ». Les sciences de la nature ne peuvent penser l’ensemble de ces relations sémiotiques.

En effet, pour la biologie et les sciences de la vie, la frontière entre l’animal et l’homme n’existe pas plus que les notions de personne ou de société ; pour les sciences de la culture, cette frontière reste fondatrice. Elle ne détermine pas un tout ou rien, comme au temps où l’on pensait que l’âme définissait l’homme. Parmi les propres de l’homme dont on s’est plu à faire la liste, on n’oublie jamais les signes, la socialité, la transmission de comportements acquis. Mais il s’agit plutôt de langues et de textes et non seulement de signes, de règles instituantes et non seulement de socialité, d’histoire et de tradition et non seulement d’imitation de comportements acquis.
 

Pour un cosmopolitisme. —  La culture est alors un point de vue sur les autres cultures, et non pas une autocontemplation identitaire collective.

Pour dépasser la fausse distinction entre les « sciences humaines » et les « sciences sociales » (vestige sans doute de combats surannés entre l’humanisme et le marxisme), il faut les reconnaître comme des sciences de la culture et établir leur spécificité. Elles doivent leur richesse à deux diversités : celle des cultures, qui les fait se mouvoir dans des temps et des espaces différenciés ; puis, pour chaque objet culturel, celle des paramètres non reproductibles, qui empêchent toute expérimentation au sens strict et écartent ainsi le modèle des sciences physiques. Même promus au rang d’observables, les faits humains et sociaux restent le produit de constructions interprétatives. Aussi, les sciences de la culture sont les seules à pouvoir rendre compte du caractère sémiotique de l’univers humain. Pour connaître l’humain par l’homme, elles doivent reconnaître la part qu’il prend dans cette connaissance, non seulement comme destinataire critique de « résultats », mais comme acteur doué d’affects et de responsabilité.

Cependant le concept de cosmopolitisme doit être réélaboré pour limiter l’universalisme kantien qui lui a pourtant donné carrière. Les sciences de la culture s’écartent en effet de la philosophie transcendantale en « remplaçant », même comme condition de la connaissance, la Raison par les cultures et en restituant à la description des objets culturels le caractère critique que la philosophie kantienne avait emprunté à la philologie. Si la Raison peut être pure, une culture ne l’est jamais, car elle est le produit créateur de son histoire. Comparer les cultures, comparer les langues, c’est passer de l’universel au général, c’est aussi passer de l’identité postulée à l’équivalence conquise, du droit au fait, de l’universel au mondial.

Poursuivant un objectif de caractérisation, les sciences de la culture doivent être différentielles et comparées, car une culture ne peut être comprise que d’un point de vue cosmopolitique ou interculturel : pour chacune, c’est l’ensemble des autres cultures contemporaines et passées qui joue le rôle de corpus. En effet, une culture n’est pas une totalité : elle se forme, évolue et disparaît dans les échanges et les conflits avec les autres. Aussi, les cultures ne peuvent être décrites que différentiellement, comme les objets culturels qui les composent, au premier chef les langues et les textes. En outre, la diversité qui, par contraste avec l’uniformité fondamentale du monde physique, fait la richesse des « mondes » sémiotiques, suppose pour être comprise un décentrage critique, et, plutôt qu’un relativisme, un cosmopolitisme méthodologique nécessaire pour éviter l’ethnocentrisme, voire le nationalisme et le racisme.


5.
Vers une anthropologie sémiotique

On peut concevoir à présent le programme d’une anthropologie sémiotique déliée des postulats théologiques qui feraient de l’homme une espèce « élue », comme des postulats rationalistes qui lui attribuent une faculté universelle génétiquement déterminée de représenter la vérité.

Si l’on doit à des projets d’anthropologie générale la formation et la différenciation des sciences sociales, continent encore dérivant entre les lettres et les sciences, la signification culturelle des sciences sociales n’est pas encore bien comprise, non plus que le caractère herméneutique de la gnoséologie qu’elles supposent.

5.1. Acquis de l’anthropologie culturelle

Une autre synthèse. —  Boas n’a pas été compris, et les cognitivistes ont érigé cette incompréhension en système, en même temps qu’ils mettaient fin à tous les programmes scientifiques de comparaison interculturelle, en critiquant le « relativisme ». Cependant la notion de relativisme culturel ne suppose pas que la vérité varie avec les cultures, mais que les valeurs y sont différentes, et peuvent faire l’objet d’une étude comparative. La culture en effet n’est pas affaire de vérité mais de valeurs. C’est pourquoi les cultures diffèrent voire s’opposent sans qu’aucune soit dans l’erreur. On ne peut établir entre elles de hiérarchie : en quoi une culture serait-elle plus adaptative qu’une autre ?

Comme on l’a vu plus haut, ce qu’on a appelé la « nouvelle synthèse » regroupe des courants de diverses disciplines : linguistique cognitiviste (Pinker), psychologie évolutionniste, sociobiologie, primatologie, sociologie (W. G. Runciman), philosophie de l’esprit (Dennett) et bien sûr génétique. Elle unit ainsi les sciences logico-formelles (imaginairement, par la théorie computationnelle de l’esprit), aux sciences de la nature et de la vie : elle croit réaliser l’Unité de la science, en prolongeant le programme du positivisme logique.

Cependant, avec le recul des formes les plus intolérantes du scientisme, de nouvelles demandes sociales s’adressent aux sciences de la culture. Le débat qui s’ouvre aujourd’hui trouve une inspiration dans les résultats récents de disciplines comme les ethnosciences, l’anthropologie, la paléontologie, l’éthologie humaine, l’archéologie, la linguistique comparée. Elles permettent de concevoir de façon nouvelle la genèse des cultures et l'émergence du monde sémiotique.

Une alternative s’affirme dans la tradition de l’anthropologie culturelle depuis Boas, chez des auteurs comme Sahlins ou Geertz, mais aussi en en paléontologie chez des auteurs comme Stephen Jay Gould ou Milford Wolpoff, en biologie chez Lewontin, en psychologie chez Bruner (cf. l’auteur et coll., 2002).

Face aux programmes réductionnistes, le développement des sciences de la culture reste un enjeu pour les années à venir : d’une part, la fédération des sciences de la culture semble la seule perspective globale capable de comprendre la médiation sémiotique entre le monde physique et le monde des représentations, étape indispensable pour décrire les facteurs culturels dans la cognition, jusqu’ici gravement sous-estimés par les recherches cognitives. Pour culturaliser les sciences cognitives, il faudrait en outre reconnaître le caractère culturellement situé de toute activité de connaissance, l’activité scientifique comprise.

Le culturel s’identifie ici à l’humain, car la médiation sémiotique reste caractéristique de la cognition humaine et la définit sans doute comme telle. Ainsi s’ouvre l’espace d’une réflexion sur la genèse des cultures, liée évidemment à la phylogenèse, mais échappant à des descriptions de type néo-darwinien. La distinction des formes symboliques, la diversification des langues, celle des pratiques sociales, celle des arts, tous ces processus poursuivent l’hominisation par l’humanisation, mais s’autonomisent à l’égard du temps de l’espèce et conditionnent la formation du temps historique.

Pour une épistémologie de la diversité. —  La comparaison des langues n’a jamais été systématique avant le début du XIXe siècle. Elle suppose en effet un projet de caractérisation réciproque ; or, on oublie ordinairement que le projet comparatiste a été formulé dans une perspective anthropologique, celle d’une caractérisation progressive de l’humanité. Ainsi le programme anthropologique de Humboldt va-t-il de l’humanité à l’individu, et aboutit à reconnaître ultimement autant de langues que d’hommes.

L’enjeu d’une telle épistémologie de la diversité nous paraît considérable. Comment en effet transformer en point de vue de la diversité le point de vue traditionnellement universel de la gnoséologie comme de l’épistémologie ? La diversité des langues — et pour une part leur parenté — était connue et décrite, mais ne faisait pas l’objet d’un programme de comparaison, car on se contentait de la ramener à des principes rationnels communs exprimés par des grammaires générales prétendant à l’universel. Elle n’est devenue un problème scientifique qu’à partir du moment où l’on a pu sortir de l’universel, et que leur contingence a pu devenir significative.

La linguistique historique et comparée a acquis dans ce domaine une expérience à élaborer et à transmettre. L’enjeu est important : comment reconstruire le concept d’humanité hors de la théologie dogmatique et de la biologie qui voudrait rivaliser de déterminisme avec elle ? Comment construire l’humanité à partir des humanités — en comprenant par là les sciences de la culture ?

Si l’on est passé avec Humboldt d’une anthropologie philosophique à la linguistique comparée, doit-on aujourd’hui faire le chemin inverse pour parvenir à une anthropologie historique et comparée ? Ce parcours conduit-il à une rupture avec l’anthropologie philosophique ? En problématisant la philosophie transcendantale par sa théorie de l’objet culturel, la philosophie de Cassirer a reconnu l’existence et la légalité propre du monde sémiotique. La culture peut devenir alors un domaine d’objectivité fédérateur des sciences sociales. En d’autres termes, la reconnaissance de la spécificité et de l’autonomie relative du monde sémiotique permet de délimiter le champ des sciences de la culture, et d’en finir avec le dualisme traditionnel qui commande la division proposée par Dilthey entre sciences de la nature et sciences de l’esprit.

5.2. Enjeux présents

Les questions autour de la culture sont pressantes et confuses, alors que deux courants de pensée différents mais aujourd’hui convergents cherchent à la délégitimer : le programme scientiste de naturalisation et le programme philosophique de dépassement qui se recommande de Nietzsche.

Après-culture et barbarie. —  Selon George Steiner et bien d’autres, nous vivrions dans une après-culture (cf. Steiner, 1973). Mais dire cela, c’est limiter la question de la culture à la culture artistique, et notamment aux œuvres canoniques de la tradition littéraire européenne. Mais il n’y a pas eu de fin de la culture et l’œuvre de Primo Levi, comme celle de Paul Celan, en témoignent également, par des voies opposées.

On a jadis prétendu fonder sur la littérature la civilité voire la civilisation ; plus généralement, parce qu’il ne connaît pas de frontières, l’art désigne la civilisation comme horizon universaliste de toute culture. En outre, l’objet d’art se veut exemplaire de l’objet culturel : construisant de l’identité en construisant la sienne, il entre ainsi dans un patrimoine commun, tant celui de la culture qui le produit que celui de l’humanité entière ; il vit enfin dans une temporalité particulière qui donne l’illusion d’une transcendance et d’une éternité.

Cependant, on convient volontiers aujourd’hui que les valeurs esthétiques et éthiques sont irrémédiablement découplées, alors même que toute culture porte avec elle des exigences éthiques sur lesquelles elle fonde les règles sociales de comportement. Le programme de dépassement de la culture reste confus, ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, de gagner en influence : tantôt elle serait de toute façon peu influente sur nos comportements, tantôt la culture appartiendrait au passé, et nous serions dans une période de libération de l’instinct. Le pathos sur l’après-culture participe du mouvement catastrophiste, discrètement apocalyptique, qui pose que nous sommes dans une ère nouvelle où les lois morales sont désormais suspendues. Or, il n’y a pas d’autre après-culture que la barbarie.
 

Culture et identité.— En opposition à la mondialisation, la conception pluraliste des cultures prend une nouvelle vigueur, non plus seulement dans les pays post-coloniaux, mais également dans les pays développés. L’«exception culturelle» s’appuie sur la revendication d’un droit à la diversité, justement appréciée comme une richesse propre.

Mais la revendication de la diversité peut aussi conduire à l’affrontement nationaliste ou ethnique dès que l’on assume une spécificité comme une identité : il suffit de considérer que l’ethnie, la langue et la spécificité culturelle, voire le territoire, définissent ensemble l’identité pour justifier la « purification ethnique ».

Le point de vue comparatif qui est le nôtre conduit à ne définir l’identité que comme spécificité. Entre des spécificités, il n’y a point de contradiction, mais seulement des différences. On peut établir entre elles une égale distance critique, alors que les identités tendent à s’affirmer comme des tautologies narcissiques. Même dans le cas de l’identité personnelle, la volonté identitaire reste une aliénation, car le Moi n’a pas de centre et ne peut en être un : il se construit en effet dans des pratiques, donc relativement à des objets et à des personnes. Les contacts avec d’autres cultures augmentent la richesse subjective. La majorité des hommes emploient chaque jour plusieurs langues et habite ainsi, potentiellement, plusieurs patries. L’humanité est une diaspora, et les ressemblances entre ses membres tiennent à une histoire partagée plus qu’à une nature prédéfinie.
 

Alternatives. —  Depuis l’effondrement du bloc soviétique, des formes naïves du progressisme se sont dissipées et les sciences de la culture sont l’objet de demandes pressantes concernant le Sens. Ainsi, l’actualité a peuplé nos écrans d’historiens et de spécialistes des religions.?Mais faute d’une clarification épistémologique, les réponses que les sciences de la culture ne peuvent ou ne veulent pas donner sont proférées par des « spécialités » rentables, comme l’astrologie, la futurologie, etc. qui exploitent le besoin de croire pour étouffer les angoisses et empêcher qu’elles ne se transforment en questions véritables.

Le cosmopolitisme des Lumières et la création du comparatisme restent à l’origine des sciences de la culture. Kant, F. Schlegel, W. von Humboldt, Saussure, Boas, Cassirer, Geertz, Lévi-Strauss, voici quelques grands initiateurs de l’exigence qui porte leur projet. Il rencontre aujourd’hui des soutiens partout dans le monde où l’on s’oppose à une brutale mondialisation, partout où la diversité culturelle redevient une valeur qui transcende les appartenances et les ethnocentrismes.

Comme l’écrivaient récemment Habermas et Derrida dans un texte qui dépasse évidemment son propos politique : « La reconnaissance des différences — la reconnaissance mutuelle de l’autre dans son altérité — peut aussi devenir la marque d’une identité commune » [27]. De cette refondation du cosmopolitisme, Arild Utaker donne ce commentaire : « Une universalité de différences ou de la diversité qui implique – enfin – qu’il n’y ait pas de langue universelle, de nation universelle ou de pensée universelle » [28].

Dès lors qu’elle prend pour objet la triple diversité des systèmes de signes, des objets culturels et des cultures, la sémiotique se doit, pour remplir sa tâche progressive de caractérisation, de refléter dans sa théorie une épistémologie de la diversité et dans sa pratique une éthique du pluralisme.


NOTES

[1]     Depuis juin 2002, un vaste programme interdisciplinaire, richement doté, dénommé "Converging Technologies for Improving Human Performance", mais plus connu sous l'acronyme NBIC affirme la convergence des Nanotechnologies, des Biotechnologies, des technologies de l'Information et des sciences Cognitives (pour une analyse, cf. Dupuy, 2004).

[2]     Pour une synthèse et un programme politique, cf. Singer, 2003.

[3]     Cf. Darwin, dans son Essay de 1844, présenté à la Linnean Society : « De Candolle, dans un passage éloquent, a déclaré que toute la nature est en guerre, un organisme contre l’autre ou contre toute la nature extérieure. (…) ce n’est que trop vrai […] C’est la doctrine de Malthus appliquée dans la plupart des cas avec une force décuplée » (trad. in Drouin et Lenay, 1990, pp. 78-79, légèrement retouchée).

[4]     En témoigne sa Morale évolutionniste (traduite en France en 1905), suivie en 1911 par une apologie scientifique de l’individualisme, L’égoïsme, seule base de toute société, due au physiologiste Félix le Dantec.

[5]     C’est la base du darwinisme social de Herbert Spencer.

[6]     La volonté de puissance, II, I, § 539, 1995, p. 202.

[7]     Et non intra-individuels, car ils mettent en relation des parties de l’individu avec l’environnement, en négligeant de fait l’individu comme instance.

[8]     Cf. « Cette conservation de certains mots favorisés dans la lutte pour l’existence est une forme de sélection naturelle » (cité par Changeux, 1994, p. 194 ; la source n’est pas indiquée : c’est The Descent of Man, I, 3, § 13). Ce faisant, Darwin introduit la notion d’évolution culturelle par sélection (Changeux, 1994, p. 194). Il reprend un propos du linguiste Max Müller (dans Nature, 6 janvier 1870, p. 257), lequel s’appuie d’ailleurs en retour sur les Leçons sur la philosophie du langage de M. Darwin (18733).

[9]     “Dans la lutte pour vivre (struggle for life) qui, à chaque moment, s’établit entre toutes nos images, celle qui, à son origine, a été douée d’une énergie plus grande, garde à chaque conflit, par la loi même de la répétition qui la fonde, la capacité de refouler ses rivales” (De l’intelligence, 1870, cité par Changeux, Raison et plaisir, Paris, Jacob, 1994).

[10]    Dan Sperber écrivait, sous le titre Connaître l’acte de connaître : « Il n’y a pas de pensée sans signification. Est-ce à dire que la signification relève elle aussi d’une explication darwinienne ? La signification peut-elle être “naturalisée”? Voilà sans doute le Graal de la philosophie cognitive. Si l’on parvient un jour à expliquer la signification d’un discours ou le contenu d’une pensée sans les ramener à d’autres significations, à d’autres contenus, si, en d’autres termes, on peut sortir du “cercle herméneutique”, alors, en effet, il y aura eu une révolution cognitive. Le fossé entre les sciences naturelles et les sciences humaines aura été comblé » (Le Monde, 21 octobre 1993).

[11]    On voit mal pourquoi les observations transculturelles permettraient de définir la nature humaine, sauf à considérer les cultures comme des isolats anhistoriques. Du fait que les cultures matriarcales ont disparu pour la plupart, doit-on conclure que le patriarcat fait partie de la nature humaine ?

[12]    Le sociobiologiste David Barash estime même que les hommes sont naturellement prédisposés au viol, et ajoute : « If Nature is sexist, don’t blame her sons » (1976, p. 55).

[13]    La théorie du Lebensraum, due à Ratzel (Der Lebensraum, 1901) est la base de la géopolitique hitlérienne exposée dans Mein Kampf et servira à naturaliser l’agression nazie tant à l’Ouest qu’à l’Est.

[14]    1872, p. 395. cité par Mary Midgley, 2000, p. 75.

[15]    Cité par Isabelle Stengers, Les biologistes ont-ils besoin d’un Dieu ?, in La Recherche, Hors Série, 14, 2004, pp. 22-25 ; ici p. 22. Dans son dernier livre, Watson voit précisément dans les biotechnologies l’avenir du programme eugéniste selon ses vœux.

[16]    Cité in Rifkin et Howard, 1979, p. 247. Il ne s’agit pas d’une dérive isolée. Il semble acquis que la valeur attribuée à l’individu dépend de son génome : ainsi l’arrêt Perruche indemnisait récemment un handicapé pour le préjudice subi du seul fait de sa naissance. Il fait désormais jurisprudence.

[17]    Le thème est ancien, puisque Galton publia en 1861 Hereditary Genius. Eugénisme positif, le génie faisant moins recette, on vend à présent des ovules de mannequin sur Internet. Plus généralement, l’évaluation sociale du patrimoine génétique se développe, et par exemple un tiers des embauches aux USA tiennent compte d’informations génétiques.

[18]    C’est par exemple le thème développé par George Steiner dans un ouvrage ambigu, Dans le château de Barbe-Bleue. Imprégné du sentiment nietzschéen de la décadence et par les thèses de Spengler sur le déclin de l’Occident, Steiner centre son livre, sous-titré Notes pour une redéfinition de la culture, sur l’après-culture  : “ Au sens biologique, nous contemplons déjà une culture diminuée, une après-culture ”(1973, p. 43, voir aussi le chap. 3, intitulé Après-culture). Pourquoi la biologie intervient-elle ici ? Parce que selon lui, le patrimoine génétique de l’Europe a été diminué par les pertes des deux guerres mondiales : “ Nous avons une idée de la diversité et de la densité génétique au-dessous desquelles une civilisation disparaît ” (1973, p. 42).

[19]    Les moyens sont : « The redesign of the human organism using advanced nanotechnology or its radical enhancement using some combination of technologies such as genetic engineering, psychopharmacology, anti-aging therapies, neural interfaces, advanced information management tools, memory enhancing drugs, wearable computers, and cognitive techniques » (ibid. 1.2).

[20]    Declaration in defense of cloning and the integrity of scientific research, Free Inquiry Magazine, 17, 3, 1997. Extrait traduit dans Lecourt, 2003, p. 108-109.

[21]    Le projet NBIC est soutenu par la National Science Foundation et le Department of Commerce.

[22]    Le Carrefour européen des biotechnologies précisait récemment (octobre 2002) : « Le champ de la brevetabilité et le régime des inventions biotechnologiques appliquées à l’Homme constituent la clé de voûte du marché mondial des biotechnologies. » (cf. Séraglini, 2003, p. 230).

[23]     Le titre fait allusion, tout à la fois, à l’individualisme méthodologique des sciences sociales et à la physique contemporaine.

[24]    On ne s’étonnera pas que Dantec cite favorablement Auguste Comte (p. 372), qu’il se soit fait connaître par des polars cyborgs avant d’avoir les honneurs de la NRF, ni qu’il affiche des positions néo-nazies devenues embarrassantes.

[25]    Cf. Lee M. Silver (1998) Remaking Eden : how Genetic Engineering and Cloning will tranform American Family, New York, Avon.

[26]    Posthume, 1627 ; tr. fr. Paris, Payot, 1983 ; cf. aussi Lecourt, 2003, p. 44.

[27]    « Europe : plaidoyer pour une politique extérieure commune », Libération, 31 mai 2003.

[28]    « La philosophie norvégienne et quelques difficultés quant à la réception de la philosophie française », Nordiques, 3, p. 85-93.


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©  septembre 2004 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : RASTIER, François. Sciences de la culture et post-humanité. Texto ! septembre 2004 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Post-humanite.html>. (Consultée le ...).