RÉALISME SÉMANTIQUE ET RÉALISME ESTHÉTIQUE

François Rastier
CNRS

(Texte publié dans Théorie, Littérature, Enseignement, 1992, n°10, p. 81-119)

La littérature a pour but de découvrir la Réalité en énonçant des choses contraires aux vérités usuelles.
Proust, lettre à Paul Morand

I. Actualité du réalisme

L'essor des recherches cognitives a remis au premier plan cette question : la littérature est-elle un moyen de connaissance ?

1. L'art du langage en était un, avant même que la notion de littérature ne soit forgée. La conception la plus archaïque de notre tradition en fait même un instrument de connaissance du divin : par l'intercession de la Muse, elle témoigne de la vision du poète, qui doit sans doute beaucoup, historiquement, aux randonnées extatiques du chaman (voir Dodds, 1977, ch. V). Il s'agit là d'une connaissance suprême, d'une sapience que selon certains on devrait hésiter à mettre en mots.

La poétique d'Aristote reconnaît la possibilité d'une autre forme du réalisme, dans la représentation des hommes en action, et non plus seulement des dieux ou des héros. Encore s'agit-il des hommes tels qu'ils devraient être (voir par exemple 1461 b).

Du docere horatien jusqu'à Kant et au-delà, l'art demeure un moyen de connaissance entendue comme représentation, bien qu'évidemment l'objet et les moyens de cette représentation aient été fort débattus. Il faudra attendre le roman bourgeois du XIX° siècle pour qu'en théorie la

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littérature puisse représenter non plus une réalité transcendante (selon un projet néoplatonisant), ou un réel idéalisé (selon le projet aristotélicien). mais une réalité empirique telle que la science peut l'appréhender. D'où par exemple le projet balzacien d'une zoologie sociale.

Ainsi le réalisme s'est-il transformé, et les pensées de l'Intellect divin ont-elles cédé la place aux concepts scientifiques, ou plus exactement à une image mythique de la science et de la technique. Si bien que l'on a pu, avec Barbéris, chercher et trouver des preuves contre la bourgeoisie louis-philipparde dans les romans de Balzac, ou avec d'autres, étudier à travers Baudelaire l'essor de l'éclairage urbain au début du second Empire[1].

Ce réalisme des critiques redouble certes celui de certains artistes. Il n'en est pas moins métaphysique pour autant, car il persiste à définir la signification linguistique comme la représentation – passablement fidèle qui plus est – d'une réalité extralinguistique.

En outre, la conception représentationnelle de la signification se fonde sur un préjugé millénaire qui scinde le signe et le sens, comme la matière et la pensée, réduisant ainsi le langage au rôle d'un simple instrument idéographique (comme l'affirme encore Jackendoff, 1987 ; voir infra II, 1). Or la linguistique ne peut à nos yeux se satisfaire aujourd'hui de ce préjugé, qu'elle a contribué à récuser. Reprenons à notre façon un propos de Franz Bopp : il s'agit pour nous d'étudier les textes en eux-mêmes, c'est-à-dire comme objets et non comme moyens de connaissance.

Certes, une théorie conséquente de l'interprétation reconnaît nécessairement que toutes sortes de connaissances sont requises pour interpréter un texte ; de Hillel l'Ancien à Lévi-Strauss, tous les théoriciens de quelque ampleur en conviennent. Mais si ces connaissances permettent d'expliciter le texte, elles n'en font pas pour autant un véhicule de connaissances. Des lecteurs ont sans doute appris dans la Recherche que Vermeer peignit une vue de Delft, mais le rôle de ce tableau dans ce roman a-t-il rien de commun avec cette proposition factuelle, et avérée ?

II nous faut alors revenir au problème de la vérité, car toute connaissance, même erronée, en procède. Or, logiquement, il convient de distinguer la vérité au sens faible de propositions comme Ulysse est l'époux de Pénélope, et la vérité au sens fort dont Aristote est le précepteur d'Alexandre présente un exemple canonique (je reprends ici la terminologie de Kalinowski). Alors, les propositions que l'on peut

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tirer de textes littéraires ne témoignent que de vérités au sens faible, et leur valeur de connaissance se limite à la littérature elle-même. Allons plus loin : même des vérités au sens fort, qu'elles soient synthétiques comme Vermeer peignit une vue de Delft, ou analytiques comme deux et deux font quatre, dès lors qu'elles se trouvent dans une oeuvre littéraire, deviennent des vérités au sens faible. En somme, la valeur de connaissance d'une « proposition » en littérature se limite au texte dont elle est extraite, et aux autres textes qui la citent ou y font allusion. Le je crois que deux et deux sont quatre de Dom Juan ne possède à l'évidence rien de commun avec la vérité mathématique au sens fort, c'est-à-dire trivial : son enjeu textuel se trouve ailleurs. Les propositions sur le Vermeer de la Recherche et sa vue de Delft sont douées de la même vérité au sens faible que celles qui paraissent décrire Elstir et ses tableaux, même si le nom de Vermeer entretient le pacte autobiographique scellé au second mot du livre, alors que celui d'Elstir rappelle que la vie du narrateur se déroule dans un roman.

Les vérités au sens fort sont révisables, transitoires, et l'on pourrait découvrir demain qu'Aristote n'a pas été le précepteur d'Alexandre ; alors qu'Ulysse, tant qu'il y aura des éditions d'Homère, restera indéfectiblement l'époux de Pénélope. Ces évidences n'inquiètent que la logique. La sémantique, pour sa part, ne peut connaître que la vérité au sens faible, déterminée, en dernière analyse, par la cohésion textuelle : précisément, en récusant comme non pertinent le problème de la vérité au sens fort, elle a pu s'émanciper de la philosophie du langage, pour accéder à une autonomie encore précaire.

Puisque la tradition dominante a toujours subordonné le problème de la réalité à celui de la vérité, frappant ainsi d'indignité le langage comme menteur en puissance, quand nous admettons une vérité au sens faible, nous acceptons sans regret que les textes ne jouissent que d'une réalité douteuse, sinon nulle, pour les ontologies qui entendent détenir encore la question du sens.

2. Ici, les recherches cognitives ne nous seront pas d'un grand secours, bien qu'elles se soient fédérées autour du problème de la connaissance. Pour juger ce que pourraient apporter les recherches cognitives aux études littéraires, il convient de rappeler quelle conception du langage y est développée. Le langage est considéré comme une fonction organique et, notamment, la grammaire universelle chomskienne se présente

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comme « une composante hypothétique du patrimoine génétique ». Les différences entre les langues, et le caractère culturel des langues ne font pas l'objet de programmes de recherche. En effet, tous les paradigmes qui s'affrontent aujourd'hui sont universalistes. La conception commune du langage procède, pour le paradigme classique des recherches cognitives, de la philosophie du langage du positivisme logique : le langage est considéré comme un simple instrument de notation (registration, voir Jackendoff) de la pensée et de représentation des états de choses. L'oubli systématique ou la méconnaissance des acquis de la linguistique générale fait que l'on reformule les thèses les plus archaïques [2] (par exemple, pour Langacker, les noms représentent des objets).

La sémantique est rapportée à un espace représentationnel indépendant des langues, soit logique pour le cognitivisme orthodoxe, soit topologique pour les théories proches du connexionnisme. Dans tous les cas, les signifiés sont réduits à des concepts ou subconcepts. Les modèles d'analyse visent le conceptuel, ceux de génération en partent : mais les uns comme les autres traversent, si l'on peut dire, le langage à pied sec.

Pour le cognitivisme classique, qui perpétue le dualisme traditionnel, le langage est scindé en éléments physiques et en éléments représentationnels (dits improprement symboliques). Le connexionnisme est moins clair, mais tend souvent vers un monisme encore plus réducteur. L'autonomie relative du sémiotique, sa spécificité ontologique, sa fonction de médiation entre le physique et le représentationnel, restent alors également inconcevables (voir l'auteur, 1991). Par suite, les recherches cognitives n'ont pas ménagé d'espace théorique où elles puissent penser les cultures, réduites à des représentations sans substrat [3]. Par ailleurs, longtemps dominées par diverses formes de rationalisme dogmatique, les recherches cognitives n'ont guère fait de part aux émotions, puisqu'elles traitent essentiellement de l'acquisition et de la gestion des connaissances. Cela explique qu'elles n'ont jusqu'à présent accordé aucune place aux arts.

L'importation dans les recherches littéraires de problématiques et de concepts issus des recherches cognitives se révélera peut-être une excellente chose. Mais c'est sans doute les recherches cognitives elles-mêmes qui gagneraient le plus à tenir compte des facteurs esthétiques, et plus généralement culturels, sans quoi elles échoueront dans leurs objectifs, et se réduiront à une simple tentative de technologisation des sciences.

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3. En fait, le cognitivisme classique réarticule de façon souvent sommaire les thèses de l'empirisme logique, qui ne marquent aucune rupture importante avec la philosophie du langage traditionnelle.

Elles définissent la connaissance comme une représentation du réel, et le langage comme un moyen de cette représentation. La conception représentationnelle de la connaissance impose une réflexion sur l'analogie entre les représentations et les objets, tandis que la conception instrumentale du langage engage à caractériser son adéquation, sa transparence, voire son iconicité ; et elle garantit sa référence, comme condition nécessaire à la vérité des représentations.

Ces deux thèses conjointes, (i) la connaissance est une représentation du réel et (ii) le langage est un moyen de cette représentation, définissent le réalisme sémantique dans sa tradition millénaire [4]. La fonction de connaissance attribuée aux arts du langage en procède.

Certes, elle a été récemment contestée d'une façon radicale, en dénonçant l'inadéquation du langage. Mais quand Barthes (1978, p. 22) affirmait que la force motrice de la littérature se trouve dans « l'inadéquation fondamentale du langage et du réel », il formulait une thèse philosophique forte, des plus traditionnelles au demeurant – puisqu'on a toujours déploré que le langage soit un mauvais outil –, et tout aussi contestable que celle de l'adéquation [5] , car elle procède de la même problématique. Pour une sémantique des textes, le problème de cette adéquation est tout simplement oiseux, car le langage est le seul réel qu'elle ait à connaître. Un texte n'est ni vrai ni faux, mais pertinent ou non ; et sa pertinence ou vraisemblance se mesure aux croyances et attentes sociales, seules garantes en définitive des effets de réel.

Les théories de la référence fictionnelle semblent contester plus subtilement le réalisme traditionnel. C. Kerbrat résume bien leur principe commun en affirmant : « Tout texte réfère, c'est-à-dire renvoie à un monde (pré-construit, ou construit par le texte lui-même) posé hors langage » (1982, p. 28). Et Jouve tire ainsi un parti esthétique de ce propos : « L'oeuvre, quoique verbale, débouche toujours sur autre chose que du verbal (faute de quoi, le langage ne serait qu'une suite de sons vides) » (1992, p. 11) [6]. On ne saurait mieux dire que tout texte (pour Kerbrat), a fortiori toute oeuvre (pour Jouve) a une fonction réaliste : le renvoi à un monde est inévitablement conçu comme une représentation, plus ou moins fidèle, peu importe ici. Certes, on l'admettra volontiers de

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nos jours, surtout parmi les critiques littéraires, le texte ne renvoie qu'à un monde qu'il a lui-même construit. Mais on hypostasie ainsi les représentations mentales que le texte suscite, es on les constitue en monde pour sauver la mimésis, quitte à ce que le texte s'efface devant le prétendu monde qu'il a créé.

Le statut des mondes textuels et la sémantique de la fiction ont préoccupé ces dernières années la philosophie du langage de tradition analytique, car elle ne s'est plus contentée de dire avec Russell que les propositions fictionnelles sont fausses, ou, avec Strawson, qu'elles sont oiseuses. Pour sauver la référence, et avec elle le réalisme sémantique, elle a mis à profit les développements contemporains de la théorie leibnizienne des mondes possibles, en redéfinissant le sens par la notion de référence multiple (due à Hintikka). Dans l'étude la plus pertinente pour notre propos, F. Jacques établit ainsi que « le langage littéraire est orienté vers une réalité extérieure qu'il atteint ou qu'il n'atteint pas » (1992, p. 119). Cette référence suspensive ne reste pas suspendue, car les prédicats applicables à l'objet du discours permettent « d'engendrer le monde textuel » (p. 120). Mais les mondes textuels des textes de fiction pointent vers le monde réel : « les référents littéraires qui font partie des mondes fictionnels sont accessibles à partir du nôtre. Et réciproquement le monde réel est accessible à partir d'eux » (p. 114). La référence est ainsi relayée par une relation d'accessibilité entre mondes. Mais le monde réel reste un parangon, et permet si l'on peut dire d'étalonner la référence fictionnelle. Ainsi, tous les grands romans « dénoncent le principe de la fiction qui les a nourris. Ils s'avancent vers une référence dans le monde réel qui est leur terminus ad quem » (p. 112). Ce détour par les mondes possibles permet ainsi de « préserver le "contenu de vérité" du texte » (p. 109) et de ne pas « renoncer au réalisme philosophique de la référence » (p. 97) [7]. Ainsi, les théories de la référence fictionnelle entendent-elles préserver le réalisme traditionnel, quitte à le sophistiquer quelque peu.

Peu importe, dira-t-on, la réification des textes en mondes textuels, pourvu que l'on soit en mesure de décrire leur complexité. Mais précisément les critères référentiels imposent de caractériser les unités sémantiques en fonction d'une ontologie qui demeure extrinsèque, ce qui complique la description sans l'enrichir. Pour être conséquente avec ses postulats ontologiques, la philosophie du langage en vient, sans doute inévitablement, à considérer les « objets fictionnels » comme des objets

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incomplets. Nef en propose cet exemple inquiétant : « Madame Bovary n'a pas une infinité de nombrils possibles ; tout simplement elle n'a pas de nombril. Dans tous les mondes accessibles à partir du nôtre c'est un individu incomplet à qui manque cette propriété » (1992, p. 10). Le postulat réaliste engage à prendre Madame Bovary pour un individu, et non pour le personnage d'un roman, tout comme Emma elle-même croyait candidement à la réalité de Paul et Virginie, rêvait la maisonnette de bambous, le nègre Domingo, et le chien Fidèle. Flaubert dénonçait déjà ce genre de méprise, et s'emportait à bon droit contre les critiques qui ne voyaient pas l'anti-réalisme de son roman [8].

Là où le problème de la fiction conduit à l'échec la philosophie analytique, l'hypothèse magistrale que Ricoeur inspire à la phénoménologie nous montre la raison de leur croyance commune : « toute oeuvre de fiction, qu'elle soit verbale ou plastique, narrative ou lyrique, projette hors d'elle-même un monde qu'on peut appeler le monde de l'oeuvre » (1984, p. 14), et cela, « par un mouvement de transcendance » (ibid.). Là où la philosophie analytique inspirée par l'empirisme logique rapportait la fiction, en dernière analyse, au réalisme empirique, la phénoménologie, en soulignant le caractère cosmogonique de la fiction, mime une dernière fois le geste du réalisme transcendant.

En somme, loin d'être un choix philosophique anodin, le réalisme entraîne par son caractère métaphysique des conséquences cruciales pour la méthodologie de la description des textes, notamment quand il entend déterminer leur production et leur interprétation par leur valeur représentative, et plus encore quand il rapporte leur cohésion à leur cohérence avec les mondes qu'ils sont censés représenter. Quand Nelson Goodman proposait non seulement de penser les oeuvres en termes de mondes, mais encore les mondes en termes d'oeuvres, il parcourait certes cette voie en deux sens, mais le retour vers l'oeuvre n'enrichit pas plus que le départ vers son monde, même s'il témoigne d'une illusion converse [9]. Il nous éloigne encore de la tâche qui nous incombe : parler des oeuvres en termes d'oeuvres.

4. Les sciences sociales doivent (par contraste avec les sciences cognitives et la philosophie du langage qui informe leur paradigme classique) pouvoir affirmer l'autonomie certes relative du symbolique, afin de définir le type d'objectivité particulier de leur domaine. C'est un

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enjeu primordial pour elles qui affrontent depuis leur naissance des réductions théologiques puis physicalistes.

Des formes vulgaires du marxisme leur ont tenu lieu en ce siècle de langage commun, et les sciences sociales l'ont payé cher, dans chacun des deux camps, à l'Est comme à l'Ouest. Notamment, le projet fédérateur d'une sémiotique générale des cultures n'a guère reçu de soutien. Par leur ancienneté et leur ampleur, les études littéraires joueront un rôle éminent dans cette entreprise. À leur échelle, nos réflexions participent de ce projet. Elles soulignent en effet le caractère réducteur des théories réalistes de l'art, qui diminuent inévitablement son autonomie. D'autre part, elles entendent montrer l'unité profonde entre les théories philosophiques et les techniques artistiques. Témoignant de cette unité, les formes symboliques échappent au dualisme traditionnel, et dépassent la division entre le sensible et l'intelligible.


II. Les fondements philosophiques du réalisme

La notion de réalisme traverse sans discontinuer, et de façon obsédante, toute la réflexion occidentale sur les arts, de Platon à Breton. Elle mérite une attention toute particulière, car elle a modelé les pratiques esthétiques elles-mêmes. Loin d'être une simple catégorie descriptive plutôt épisodique (au sens où, par exemple, on traite du réalisme entre le romantisme et le symbolisme), elle détermine la fonction représentative des arts, jusqu'au surréalisme inclus.

1. La triade aristotélicienne

Appliquée aux arts du langage, elle s'est appuyée sur la conception aristotélicienne de la signification, qui instaure un rapport de similitude entre les affections de l'âme (pathémata) et les choses, puis une relation symbolique entre les signes et les affections de l'âme.

Le texte fondamental en la matière est certainement le début controversé du Peri herméneias d'Aristote [10] : « La parole est un ensemble d'éléments symbolisant les états de lime, et l'écriture un ensemble d'éléments symbolisant la parole. Et, de même que les hommes n'ont pas tous le même système d'écriture, ils ne parlent pas tous de la même façon. Toutefois, ce que la parole signifie immédiatement, ce sont des états de l'âme qui, eux, sont identiques pour tous les hommes ; et ce que ces états

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de lime représentent, ce sont des choses, non moins identiques pour tout le monde » (I,16 a, 3-8).

Le moment du processus de signification qui conduit du concept à l'objet procède d'une conception réaliste de la signification. Elle est proprement philosophique, car elle met en relation les mots et les choses. Elle se fonde sur la théorie de la représentation qui traverse l'histoire occidentale, de la scolastique jusqu'à l'empirisme logique et au cognitivisme orthodoxe : les mots représentent des choses par l'intermédiaire des concepts.

Elle a été réélaborée par les divers néoplatoniciens, grecs, romains et arabes qui ont transmis l'héritage d'Aristote. Elle a déterminé jusqu'à ce siècle le paradigme représentationnel, dominant non seulement en philosophie du langage [11] , mais dans toute notre tradition esthétique, en particulier pour les arts du langage.

La représentation littéraire dépend ainsi de trois facteurs : (i) Le statut ontologique de l'objet représenté ; (ii) la transparence du langage de représentation, qui peut certes orner, mais sans travestir; (iii) la place de l'observateur, qui a été problématisée par les modernes.

2. Pour un nominalisme méthodologique

L'analyse sémantique des textes apporte ici des données nouvelles : elle permet de préciser à quelles conditions un énoncé peut induire une impression référentielle. Nous développerons ce point à la fin de cette étude ; mais convenons pour l'instant qu'une nouvelle conception de la signification linguistique doit inévitablement modifier notre manière de comprendre les arts du langage.

Critiquant la tradition philosophique en matière de langage, Saussure écrivait : « il est malheureux <certainement> qu'on commence à y mêler comme un élément primordial <cette donnée> des objets désignés, lesquels n'y forment aucun élément quelconque » et il y voyait une « tentation de ramener la langue à quelque chose d'externe » (note autographe citée par De Mauro, 1972, p. 440). Nous n'entendons pas ébaucher ici une esthétique saussurienne ; mais souligner simplement combien la conception des arts du langage reste tributaire de débats que la linguistique contemporaine aurait périmés si elle s'était émancipée d'une philosophie du langage devenue sens commun.

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Pour la sémantique linguistique, le problème pourrait s'articuler ainsi :

  1. Ou bien, comme la tradition grecque puis chrétienne en a toujours convenu, le sens ne réside pas dans le langage, mais dans la pensée, puis dans un monde qu'elle représente.

  2. Ou bien comme un certain immanentisme avant-gardiste l'a naguère proclamé, tout texte est auto-référentiel et ne désigne que lui-même.

  3. Soit encore, comme nous le soulignerons, il convient de distinguer les signifiés (qui sont propres à la langue et à ses usages) des représentations qu'ils suscitent : le sens d'un texte peut se décrire alors comme un ensemble de contraintes linguistiques sur la formation des représentations psychiques, mais ne se réduit aucunement à ces représentations, fussent-elles élevées à la dignité de monde. Inutile alors de répéter que tout texte réfère, puisque c'est son sens qui détermine sa prétendue référence, et non l'inverse comme le voudrait la tradition réaliste : il incombe ainsi à la sémantique de décrire les conditions différenciées des impressions référentielles (voir infra).

Au principe que les mots représentent des choses par l'intermédiaire des concepts se substitue ceci : dans la production comme dans la compréhension du texte, les images mentales réorganisent des percepts mémorisés, en fonction de contraintes sémantiques qui relèvent de la langue et d'autres normes sociales de l'ordre de la doxa [12].


III. Réalisme philosophique et réalisme esthétique

Le réalisme esthétique n'est sans doute qu'une variante du réalisme philosophique. Comme lui, on pourrait être tenté de le diviser, à la manière kantienne, en réalisme empirique et en réalisme transcendant : selon que la réalité représentée relève du monde physique ou du monde métaphysique, ces deux conceptions du réalisme s'affrontent sans fin. Mais ces deux formes du réalisme esthétique procèdent d'un geste commun, puisqu'elles suspendent le jugement à une comparaison ultime entre l'oeuvre d'art et une autre réalité, subordonnant ainsi le monde sémiotique à un autre, jusqu'à lui faire perdre toute autonomie ontologique et parfois toute dignité [13].

En fait, la distinction entre réalismes empirique et transcendant ne suffit pas. Il nous faudra distinguer autant de formes du réalisme qu'il

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existe de types d'ontologies. Or, contrairement à l'image simpliste propagée par un certain matérialisme dogmatique, le dualisme traditionnel n'oppose pas tout uniment la matière à l'idée ; ou du moins cette opposition est surdéterminée par la distinction entre forme et substance. L'essence est toujours dépendante de la forme, et l'existence de la substance. Selon le mode de donation de la forme dans la substance, on distinguera trois principaux types d'ontologies, et subsidiairement de théories esthétiques.

Nous les rapelIerons en donnant quelques points de repère historiques, mais sans prétendre faire oeuvre d'historien, non pas tant parce qu'il y faudrait un livre entier, mais parce que nous souhaitons plutôt souligner la constance millénaire de la tradition occidentale du réalisme que détailler son évolution.

1. La mimésis platonicienne

Le problème de la représentation dans les arts est débattu depuis la République, où Platon met la mimésis au troisième rang après la vérité (voir X, 595 a - 602 b) : si la chose n'est qu'une copie de l'Idée, la représentation d'une chose n'est plus qu'une copie de copie. Puisque, selon Platon, la forme est transcendante à la substance, la représentation du sensible ne permet pas d'accéder à l'intelligible, mais nous enferme au contraire dans le monde vain des apparences [14]. Pire, non seulement les arts ne représentent que des fantômes, mais encore, puisqu'ils se réduisent à leur fonction représentative, ils ne séduisent que par des apparences. Ainsi, dit Socrate,

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Le dualisme platonicien tire ici argument de la division qu'il instaure au sein même du langage : il paraît évident à Socrate comme à son interlocuteur qu'on puisse et qu'on doive réduire un poème à son contenu conceptuel, jugé à l'aune de sa vérité ; et que son expression puisse et doive être révoquée comme un travestissement ornemental, simplement cosmétique [15].

Bref, cette mystique de l'Être entraîne une conception péjorative de l'art comme représentation, qui le rend suspect du point de vue ontologique. Elle touche particulièrement les arts plastiques, et elle a justifié on le sait toutes sortes d'iconoclasmes. Certains théologiens de l'Église préconciliaire, soucieux d'éviter l'idolâtrie, ont repris les arguments platoniciens contre les arts, et notamment la peinture [16].

2. La mimésis aristotélicienne

Pour Aristote, les arts sont des représentations, qui diffèrent seulement par leurs objets, leurs moyens et leurs modes (Poétique, 1447 a). Il donne pour exemple des genres littéraires [17] , musicaux et chorégraphiques. Les arts « représentent des gens en action ».

C'est bien la représentation qui définit les arts, et non les moyens : ainsi Empédocle écrivait-il en vers, mais Aristote ne le considère pas pour autant comme un poète, simplement comme un naturaliste (1447 b). Aristote maintient donc, à la suite de Platon et conformément au modèle de la signification qu'il expose au début du Peri herméneias, une séparation absolue entre le contenu représentationnel et l'expression. Elle aura des conséquences immenses. D'une part, elle permettra de concevoir les arts dans leur généralité (qui réside précisément dans la représentation). D'autre part, elle permettra de les comparer, par leurs moyens, objets, et modes, qui leur sont spécifiques, et peuvent par là être considérés comme inessentiels.

Les arts ne diffèrent alors des sciences que par leur type de représentation (et non, on l'a vu. d'expression). Du moins, « la poésie est plus philosophique et plus noble que l'histoire : la poésie dit plutôt le général, l'histoire le particulier » (1451 b). Et les arts, par ce que nous appellerions une stylisation, peuvent assurément, en accédant à la généralité, présenter des modèles ou types exemplaires : « Il est sans doute impossible qu'aient existé des hommes tels que Zeuxis les peignait, mais il les a

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peints en mieux, car ce qui est proposé en exemple doit être excellent » (1461 b).

Si donc Aristote confère aux arts une dignité, ils la doivent simplement à la dignité ontologique de ce qu'ils représentent : non plus des apparences. comme chez Platon, mais des types exemplaires. Cette dignité ontologique procède de l'immanence de la forme à la substance dans le système aristotélicien : en représentant des hommes, l'artiste peut représenter des formes, et non plus seulement de trompeuses apparences.

Mais le réalisme n'en demeure pas moins définitoire des arts. Et par là même ils demeureront jusqu'à Kant subordonnés aux jugements éthiques sur ce qu'ils sont censés représenter. En outre, pour ce qui concerne plus spécifiquement les arts du langage, le moralisme antique, largement partagé, va conférer une fonction éducative à la représentation artistique ; Horace écrit par exemple le trop célèbre : « Omme tulit punctum qui miscuit utile dulci / Lectorem delectendo pariterque monendo » (Art poétique. v. 343-344 [Tous les suffrages reviennent à celui qui a mêlé l'utile à l'agréable, en donnant au lecteur du plaisir comme de l'instruction]). La réalité représentée sera donc jugée d'après sa valeur éducative, et le moralisme chrétien en la matière ne fera que renchérir sur le moralisme païen [18].

3. La voie néoplatonicienne

La révolution néoplatonicienne aura un retentissement immense sur les théories de l'art. D'une part, pour des raisons historiques que nous ne développerons pas, elle a affecté la transmission même des corpus aristotéliciens et platoniciens ; d'autre part, elle en a très longtemps coloré la lecture. En outre, elle a exercé une influence profonde sur les conceptions chrétiennes de l'art.

Elle intéresse en particulier le statut du sensible dans son immédiateté. Plotin présentait en effet une conception nouvelle du rapport entre la forme et la substance : il la définit comme une participation, telle que la matière soit en tous ses points au contact de l'idée. « Il n'est pas vrai que l'idée soit localement séparée de la matière, puisqu'on la voit se refléter sur la matière comme sur une surface liquide. La matière est par tous ses points en contact avec l'idée, bien qu'elle ne soit pas en contact avec le tout de l'idée » (Ennéades, VI, 5, 8) ; si bien que la connaissance du sensible peut témoigner de la Beauté : « Comment les êtres intelligibles

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et les êtres corporels seront-ils semblablement beaux ? Nous disons pour notre part que c'est en vertu d'une participation des êtres corporels à l'Idée » (Ennéades, I, 6, 2) [19].

Enfin, à partir de Plotin, le néoplatonisme lie l'art et la Beauté, ce qui récuse de fait toute conception ornementale de l'art, pour lui conférer une fonction religieuse éminente. Précisons. La beauté n'est pas dans la nature, ne vient pas des modèles naturels que les arts imiteraient (voir Ennéades, V, 8, 1), ou plus exactement, ceux-ci sont plus beaux que la nature [20]. « La beauté est au contraire plus présente aux arts en tant qu'ils possèdent [...] les idées que la nature elle-même imite imparfaitement » (Trouillard, 1955, p. 155, ch. XII, dans Mathias, 1991, p. 194). Ils nous reconduisent alors aux sources de leur beauté, c'est-à-dire au lieu des idées, et rendent sensible, comme le souligne Jean Trouillard, l'origine extatique de toute intellection (loc. cit., p. 156).

La conception plotinienne des rapports entre forme et substance sera développée par le néoplatonisme florentin, notamment chez Ficin, pour qui « les couleurs et les figures des corps », qui constituent « l'ornement de ce monde », sont « le troisième visage de Dieu » (Commentaire au Banquet, d'après Lomazzo). Ficin renverse ainsi, à la suite de Plotin, la perspective platonicienne [21], car il ôte au dualisme tout caractère dirimant : même la représentation des choses de ce monde peut participer à la reconduction vers Dieu, dans ce que l'on a appelé le circulais spiritualis.

Il reste, et cela n'est pas contradictoire, qu'à la Renaissance, le néo-platonisme (surtout durant la période maniériste, avec Lomazzo) a souligné que la beauté provient ainsi, non de l'imitation de modèles naturels, si beaux soient-ils, mais de la contemplation intérieure d'une idée qui a sa source en Dieu [22]. <>Les conceptions néoplatoniciennes des rapports entre forme et substance fondent, pour ainsi dire, une sorte d'immanentisme transcendantal : les formes décrites par l'artiste ne sont pas dégagées par abstraction, mais reconnues : non pas observées, mais intérieurement contemplées, et elles préexistent à leur découverte.

Cela aura une incidence sur la nature même des techniques de représentation, en particulier à Florence. Ainsi, dans son Della Pittura (1436), Alberti insiste sur la priorité de la forme sur la couleur : la circonscriptione (dessin des contours) précède la composition (indication des plans à l'intérieur des contours), puis la receptione di lumi (mise

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en couleurs) [23]. Cet ordre nous paraît reproduire, dans la succession même des phases techniques de l'art de peindre, l'antériorité de l'idée sur la matière, dont elle est selon Platon la cause (aitia, voir Phédon, 100 c).

Dans les arts du langage, la circonscription semble l'analogue de l'invention, première phase du processus rhétorique (invention, disposition, élocution) [24]. Or l'invention est le moment privilégié du furor, qui dans la théorie néoplatonicienne du génie, transporte soudain l'artiste au contact des idéalités [25] .

4. Le réalisme romantique

Pour des raisons que je ne peux développer ici, les philosophies matérialistes n'ont jamais pu inspirer de théories ni de mouvements esthétiques de quelque ampleur, sans doute parce qu'elles ne sont pas parvenues à concevoir l'autonomie ontologique des cultures. Aussi, depuis la Renaissance, n'avons-nous eu le choix qu'entre trois formes majeures de l'idéalisme : un aristotélisme idéalisé, dont le thomisme est le parangon ; le néoplatonisme, florentin notamment, qui donne sa forme philosophique au quattrocento et pose les fondements de l'art classique ; et le platonisme à son stade suprême, hégélien, qui fonde l'esthétique romantique dont se réclamait encore Breton.

On trouve évidemment entre ces théories esthétiques des continuités comme la théorie du génie, qui témoignent de leur origine et de leurs fondements philosophiques communs. Mais elles diffèrent sur un point essentiel pour notre propos, le statut du sensible.

Pour l'idéalisme allemand et déjà pour Kant, « le monde des sens n'est pas un objet de l'expérience » (Prolégomènes à toute métaphysique future. § 38), et le sensible ne peut passer pour un miroir, même obscurci, de l'intelligible. L'an n'est pas une représentation du sensible, mais une représentation sensible des idées morales [26]. <>Corrélativement, selon Hegel, le beau, en tant que « manifestation sensible de l'Idée », requiert l'art pour apparaître. Mais la représentation du sensible en tant que tel n'est évidemment pas l'objet de l'art : « L'objet de l'art est le beau en lui-même et pour lui-même, nullement l'imitation de la nature, laquelle n'est elle-même qu'une imitation de l'idée, temporaire et dénuée de liberté » (Propédeutique philosophique. §203). Aussi l'art est-il au-dessus de la nature, car il est moins illusoire qu'elle ; il dénonce même le caractère trompeur de ses apparences [27].

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La représentation du monde sensible ne peut alors que s'opposer à la connaissance des idéalités. D'où, sans doute, le projet moderne de leur représentation directe, sans médiation, qui fonde toutes les théories contemporaines de l'art abstrait [28].,

5. Réalismes totalitaires et surréalisme

Au cours de ce siècle, le réalisme aristotélicien du roman bourgeois classique s'est poursuivi dans le réalisme socialiste [29] et national-socialiste. Cependant, le réalisme transcendant de la poésie lyrique romantique se poursuivait dans le surréalisme. Surréalisme et réalismes totalitaires, mouvements apparentés et antithétiques, marquaient au même moment une volonté de rupture révolutionnaire, mais restaient attachés de mille façons à l'ordre ancien qu'ils entendaient détruire.

Le réalisme socialiste et national-socialiste, loin de refléter une autre réalité que l'idéologie politique, mettait en scène des types idéaux ; accomplissant à sa manière la Callipolis platonicienne, il bannissait les artistes, ou mettait l'esthétique au service de l'éthique en les recrutant comme fonctionnaires de l'état totalitaire.

Le programme artistique du réalisme socialiste, tel que l'exprime Jdanov pour la littérature dans son discours au premier congrès des écrivains soviétiques (17 août 1934), consiste à représenter des hommes en action : « Dans notre pays, les principaux héros des oeuvres littéraires, ce sont les bâtisseurs actifs de la vie nouvelle : ouvriers et ouvrières, kolkhoziens et kolkhoziennes, membres du Parti, administrateurs, ingénieurs, jeunes communistes, pionniers. Les voilà, les types fondamentaux et les héros essentiels de notre littérature soviétique » (1972, p. 8). Il y a là toutefois une restriction du programme aristotélicien, par excès de personnages nobles : « ceux qui imitent, imitent des gens en action », certes, mais, ajoute Aristote, « ces gens sont nécessairement nobles ou bas » (Poétique, 1448). Par le choix privilégié de personnages nobles, la littérature soviétique se rapproche de la tragédie selon Aristote. Son optimisme (« elle est optimiste dans son essence », Jdanov, ibid.) ne fait qu'anticiper l'avenir : « la littérature soviétique doit savoir représenter nos héros, elle doit savoir regarder vers nos lendemains » [30]. Plus généralement, c'est à l'esthétique marxiste que l'on doit pour l'essentiel

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d'avoir maintenu en ce siècle, certes non sans difficulté, la problématique du réalisme empirique.

Le réalisme national-socialiste reste moins bien connu, et a eu moins d'influence pour certaines raisons historiques, mais demeure conforme aux principes du réalisme esthétique traditionnel, et selon K. Wais, son choix est conforme aux points de vue hérités dont nous n'avons pas à rougir [31].

Le surréalisme, cependant, voulait rompre avec la représentation d'ailleurs illusoire du sensible, pour présenter les idéalités irrationnelles de l'inconscient. Ce programme, si l'on en croit du moins les écrits théoriques de Breton, n'allait pas sans retour aux sources platoniciennes (voir par exemple le « on ne fait jamais que réapprendre » (1963, p. 47) ou néo-platoniciennes (voir le « il faut rendre à Porphyre ce qui est à Porphyre », 1970, p. 21 ; ou l'éloge du furor [32] ) ; ni sans hommage au romantisme allemand (voir « Ce romantisme dont nous voulons bien aujourd'hui passer pour la queue », 1963, p. 110 ; ou « Il est bien exact que nous avons passé par l'idéalisme et même le plus subjectif », 1970, p. 101).

Corrélativement, il fallait bien entendu refuser le réalisme empirique : « Le langage peut et doit être arraché à son servage. Plus de descriptions d'après nature, plus d'études de moeurs » (1970, p. 23). Le surréalisme s'efforçait ainsi de détruire certaines techniques traditionnelles de représentation artistique ; mais sans refuser pour autant la représentation du transcendant, sous la forme classiquement éidétique des images mentales : « il ne s'agit pas de dessiner, il ne s'agit que de calquer » (1970, p. 32) [33].

Dans tous les cas, qu'il s'agisse du surréalisme ou des réalismes socialiste et national-socialiste, l'art restait soumis, soit à l'Idée devenue Inconscient, soit à l'incarnation la plus parfaite de l'Idée, l'État totalitaire. En raison de ces sujétions, la culture, qui dans son autonomie relative élabore et fait évoluer ses propres codes d'intelligibilité au sein de son histoire propre, se trouvait par deux fois déniée.


IV. Directions et propositions

On a mis certes fort longtemps à penser que l'art eût une histoire, et nous devons aux Lumières la notion d'une histoire de l'art qui ne se réduise pas à des biographies d'artistes. C'était aussi la condition pour qu'il

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entre dans l'histoire, et qu'il puisse être rapporté à d'autres séries historiques. Mais une fois l'art sécularisé en pratique historique, le problème philosophique de la création n'est pas pour autant résolu. Il ne suffit pas de dire que l'oeuvre d 'art participe de la représentation et/ou de la création du réel, car le problème en suspens reste celui du type de réalité dont relève cette oeuvre. Si le problème de la création s'est posé avec une telle acuité depuis la Renaissance, et s'il a reçu les réponses les plus obscures, voire obscurantistes, qui conféraient toujours à l'oeuvre une réalité venue d'ailleurs (d'une sphère divine par l'inspiration, d'une sphère matérielle par la théorie marxiste du reflet, d'une sphère métapsychologique par la théorie psychanalytique de la sublimation), c'est parce qu'il révèle une aporie fondatrice du réalisme : l'oeuvre d'art, et particulièrement le texte artistique, n'ayant pas d'ontologie propre, doit recevoir sa dignité ontologique de ce qu'elle représente. En effet, le dualisme traditionnel, platonicien puis chrétien, ne pouvait concevoir clairement ce mixte de sensible et d'intelligible : il fallait considérer l'oeuvre comme une substance qu'informait une idée, et qui reconduisait l'esprit vers cette idée [34]. Le monisme affiché des marxistes n'a certes pas mieux réussi, et Staline, ne sachant placer le langage ni dans la superstructure idéologique (héritière de l'intelligible), ni dans la base économique (héritière du sensible), en vient à la placer ailleurs, c'est-à-dire, à strictement parler, nulle part (voir 1972). L'oeuvre littéraire ne pouvait donc être qu'un reflet, en termes léninistes ; c'est-à-dire, en termes platoniciens, qu'une ombre.

Remarque : Certes, à l'axe de la représentation s'ajoute et s'oppose l'axe de la communication. Le premier relevait traditionnellement de la logique, le second de la rhétorique. De nos jours, cette opposition a été transposée dans la distinction entre cognition et communication. Le paradigme communicatif rompt apparemment avec le réalisme de la dénotation, ou du moins le complète, en définissant le texte littéraire dans son énonciation par l'auteur, ou dans sa réception sociale. Mais le paradigme de la représentation reste actif par plusieurs biais : l'oeuvre, par une involution psychologique, représente son auteur ; et, par une involution sociologique, elle est son porte-parole auprès de la société qui la reçoit, et pour laquelle elle devient objet de représentation.

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1. Une conception non dualiste de la matière

En somme, selon les rapports qu'entretiennent la forme et la substance, nous avons pu distinguer trois formes principales du réalisme : quand la forme est transcendante à la substance, le réalisme peut être dit transcendant, et se trouve revendiqué par les formes militantes de l'idéalisme ; quand elle est immanente à la substance, il est empirique, et il se voit cultivé par divers matérialismes ; quand la forme participe de la substance, nous avons affaire à un réalisme de la reconduction, qui dans sa version la plus fade concilie ces deux extrêmes, jusqu'à satisfaire l'éclectisme universitaire le plus exigeant [35].

Le changement contemporain du rapport entre forme et substance, qui se traduit enfin par la disparition du concept de substance comme substrat amorphe, pourrait présager, si la philosophie du langage et l'esthétique se souciaient des sciences, une nouvelle façon de poser le problème du réalisme, voire, mieux encore, de l'éteindre.

En simplifiant beaucoup, on pourrait dire que pour la physique moderne, la forme est une propriété de la substance ou plus exactement de la matière, ce qui empêche de concevoir le moindre rapport de représentation ou même de participation entre elles. Cela semble à nos yeux anticipé en quelque sorte par ce délicat passage de Plotin (Ennéades,V, 7) : «Puisqu'en effet la matière est forme, et une forme dernière, tout être pris individuellement est dans sa totalité une forme, et tous ses prédicats sont eux-mêmes des formes. C'est dès lors que le modèle de chaque chose était une forme et pouvait ainsi produire la chose en silence, parce qu'il n'y a de productrices que l'essence et la forme. Aussi la création s'est-elle faite sans effort et de cette manière-là ».

Plus radicalement, la physique a récusé au début de ce siècle l'opposition entre forme et substance [36] , en affirmant notamment, selon Schrödinger : « La forme remplace la substance comme concept fondamental » (voir Blanché, 1973, p. 76).

Mais au delà, les recherches des biologistes sur l'auto-organisation de la matière vivante retiennent l'attention, non seulement parce qu'elles récusent bien entendu l'opposition forme/substance, mais encore parce qu'elles posent clairement le problème des degrés de complexité, sans distinguer des niveaux ontologiques ou « couches de l'Être » entre lesquels s'établiraient des relations de représentation. Les textes, et

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particulièrement les textes artistiques, pourraient alors être définis et distingués par des degrés spécifiques de complexité [37].

Plus précisément, en sémantique différentielle, le compromis proposé par Hjelmslev, et qui consistait à définir les unités sémantiques comme des unités de substance sémiotiquement formée, a été récusé (voir l'auteur, 1987, ch. I) : chaque trait sémantique détermine des valences d'association, tout comme il est déterminé par elles. Corrélativement, les traits ne sont plus définis comme des conditions de dénotation (selon la sémantique formelle), ni comme des primitives conceptuelles (selon la sémantique cognitive). Ils ne sont plus définis pat la représentation de corrélats mentaux ou mondains, et échappent alors, par l'effet d'un indispensable nominalisme méthodologique, à toute relation mimétique [38].

2. Une conception non réaliste du langage

Cela s'accompagne, on le voit, d'une conception non réaliste du langage, dont nous ne pouvons détailler ici les conséquences (voir l'auteur, 1990 et 1991 ch. III).

Il est difficile, voire inopportun, de porter des jugements généraux sur les arts contemporains du langage, et plus encore de tracer un parallèle avec les sciences du langage. On doit reconnaître cependant que, guidés certes par des intentions esthétiques et des conventions artistiques, les créateurs rendent « l'initiative aux mots » [39].

Cela suppose un changement du rôle du langage, tel qu'il puisse prendre l'initiative : il faut donc qu'il cesse d'être considéré comme un simple instrument de représentation de la pensée et/ou d'un monde. Il existe en effet un lien indissoluble entre le réalisme et la conception instrumentale du langage, qui en fait depuis Platon l'outil imparfait d'une pensée souveraine [40]. A vrai dire, les deux paradigmes qui ont dominé jusqu'à nos jours l'histoire des théories occidentales de la signification, les paradigmes augustinien et aristotélicien. s'accordent sur le caractère instrumental du langage, et ne diffèrent que sur la fonction de cet instrument : représenter l'intention par inférence ou représenter l'objet par référence. Cette conception instrumentale demeure, on l'a vu, fort vivace aujourd'hui dans les recherches cognitives ; à croire qu'une fois encore la pratique esthétique a évolué plus vite que les préjugés « scientifiques ».

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Cependant, la rupture avec la conception instrumentale confère au langage une autonomie ontologique qui lui assure une position médiatrice entre le monde physique et le monde des représentations.

3. Les conditions sémantiques des effets de réel

Nous avons vu comment la notion de réalisme repose sur la conception aristotélicienne du signe comme entité renvoyant à un objet par la médiation d'une représentation. Son signifié se définit donc par rapport à un référent empirique ou transcendant. Hors de ce paradigme symbolique traditionnel, le problème de la référence se réduit pour nous à celui de l'impression référentielle– qui n'est pas une illusion (quoi qu'en aient dit Barthes et Riffaterre) [41] , car elle est faite d'images mentales. Ainsi, ce qui détermine la valeur réaliste d'un texte ne dépend pas de son rapport avec des « états de choses » dans un monde réel ou possible, mais de son rapport avec la sphère des représentations mentales. La question se pose ainsi : quelles conditions structurales contraignent et déterminent les divers types d'impressions référentielles ?

L'étude de l'impression référentielle engage la linguistique, dans ses rapports avec la psychologie cognitive (qui a accumulé ces dix dernières années de riches données expérimentales) et la neuropsychologie (qui confirme l'activation du cortex visuel après consignes d'imagerie). Bien qu'un signifié ne se confonde pas avec une représentation, tout texte impose des contraintes sur la formation des images mentales, notamment par ses structures sémantiques. Ces contraintes sont dépendantes des régimes discursifs (ex. littéraire, scientifique, religieux, etc.) et des pactes qui régissent l'interprétation des genres textuels au sein des pratiques sociales (voir l'auteur, 1989, I).

Pour une sémantique linguistique, le problème se détaille ainsi : à quelles conditions un texte peut-il renvoyer (i) à un monde factuel, (ii) à un monde contrefactuel, (iii) à plus d'un monde. (iv) à nul monde ?

La théorie des isotopies génériques–qui relève de la thématique [42] – permet de spécifier ces conditions. Certaines de ces isotopies méritent pour notre propos une attention particulière, car elles déterminent l'impression référentielle dominante du texte. Ce sont les isotopies génériques qui indexent les sémèmes et sémies appartenant à un même domaine sémantique [43]. Les domaines sémantiques sont des classes lexicales de grande taille qui comprennent les sémèmes mis en jeu dans

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une pratique sociale déterminée [44]. Quatre cas remarquables se présentent, que nous illustrons par des énoncés, mais qui pourraient l'être par des textes entiers.

  1. Plusieurs sémèmes ou sémies sont indéxés dans un et un seul domaine ; aucun autre n'est contradictoire avec ce domaine: ex. Sans virer de bord, et par vent arrière, le catamaran d'Eric Loiseau a gagné la transat. L'énoncé induit alors une impression référentielle univoque. Ce type d'énoncé, quelle que soit par ailleurs sa véridicité, fait le fond des textes techniques et scientifiques ; en d'autres termes, il est caractéristique des textes pratiques. .

Pour une sémantique qui, dans la tradition saussurienne. s'est séparée de la philosophie du langage et lui a abandonné le problème de la référence, le problème de la représentation de la réalité devient celui de l'impression référentielle univoque. Une telle impression est induite par une isotopie générique unique.

  1. Aucune isotopie générique ne peut être construite : ex. Le zirconium carguait les polyptotes. L'énoncé ne suscite pas d'impression référentielle. Les énoncés de ce type pullulent dans les soties, jusqu'au dadaïsme inclus.

  2. L'énoncé présente une isotopie générique, mais des isotopies obligatoires (ou contraintes de sélection) n'y sont pas respectées. Ex. : Le train disparu, la gare part en riant à la recherche du voyageur (René Char). L'énoncé de ce type paraît référer à un monde contrefactuel. Il est très fréquent dans les genres merveilleux.

  3. L'énoncé présente deux ou plus de deux isotopies génériques entrelacées. Prenons pour exemple le second vers de Zone d'Apollinaire : Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin. Parce que plusieurs sémèmes sont indexés alternativement dans les domaines //ville// et //campagne//, l'énoncé induit une impression référentielle complexe [45] . Les énoncés de ce type sont ordinaires dans les textes mythiques, notamment religieux ou poétiques [46]. De par leur structure sémantique, ils paraissent renvoyer à plus d'un monde.

Au palier textuel, il faut cependan distinguer entre les textes polyisotopes qui présentent une isotopie générique dominante, et ceux où une telle dominance n'est pas établie. En outre, il faut tenir compte des hiérarchies évaluatives entre isotopies [47]. Il reste que bon nombre de textes réputés réalistes, et notamment des romans, présentent une isotopie

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générique dominante [48] , ce qui les rapproche des textes pratiques ; mais cette domination ne doit pas masquer les isotopies dominées, car la poly-isotopie est caractéristique des textes mythiques.

Les isotopies génériques déterminent, en termes gestaltistes, les fonds sur lesquels se détachent les formes sémantiques. Ces formes sont des molécules sémiques, c'est-à-dire des groupements stables et structurés de traits sémantiques. Si elles permettent de préciser la notion intuitive de thème, elles ne sont pas nécessairement lexicalisées, et certaines n'ont pour ainsi dire de nom en aucune langue.

Relèvent également de la morphologie sémantique les liens entre ces formes, dont certains ont été répertoriés par la rhétorique, mais qui dépendent d'une théorie des isotopies spécifiques, articulée sur une dialectique et une dialogique.

4. Pour une théorie des esthésies

Pour ce qui concerne plus spécifiquement le réalisme, il convient alors de décrire les configurations sémantiques propres à ses différentes sortes.

4.1. Les niveaux de l'Être

À ces dispositifs thématiques sont associés des dispositifs dialectiques et dialogiques, qui structurent aussi bien le récit que la narration. Ils déterminent des conditions de représentation, telles que : – les objets et les personnages représentés soient situés et identiques à eux-mêmes ; – le langage de représentation soit transparent ; – le narrateur maintienne l'unicité d'un point de vue et une énonciation débrayée. Ces trois conditions assurent qu'une image jugée fidèle de la réalité empirique se trouve représentée dans le texte [49].

Pour remplir ces conditions, on mettra par exemple à profit l'usage de noms propres, de dates, de degrés maximaux de détermination, des aspects accomplis ; la mise en scène de personnages individualisés et socialement situés ; la mise en corrélation du temps cosmologique et du temps phénoménologique dans un temps linguistique linéaire ; la situation précise des foyers énonciatifs ; la mise en conformité des domaines sémantiques. On utilisera avec prédilection des figures comme la description et l'hypotypose. Ces techniques artistiques déterminent des

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formes a posteriori de la phénoménalité : l'imparfait de Haubert, notait Proust, a changé notre vision du monde.

Et, par contraste, le réalisme transcendant se signalera par l'usage de noms génériques, de degrés minimaux de détermination, d'aspects non accomplis ; la mise en scène de personnages types non situés [50] ; la disparité des temps phénoménologique et cosmologique, voire la disparition de ce dernier ; la situation imprécise des foyers énonciatifs ; la disparité des domaines sémantiques, qui permet les effets anagogiques de leur mise en relation.

Vraisemblablement, ces diverses techniques artistiques sont liées à des préconceptions des différents niveaux de l'Erre. Ficin expose brillamment leur gradation : « Evidemment, tu vois la beauté du corps. Veux-tu voir aussi la beauté de l'âme ? Enlève à la forme corporelle le poids de la matière, et les limites du lieu, garde le reste, tu as alors la beauté de l'âme. Veux-tu voir aussi celle de l'ange ? Retire, je t'en prie, non seulement l'étendue du lieu, mais aussi la marche du temps, retiens la multiplicité de la composition, tu la trouveras aussitôt. Veux-tu saisir la beauté de Dieu ? Supprime en outre cette composition multiple des formes, garde la forme absolument simple, et immédiatement tu atteindras la beauté de Dieu » (1956, pp. 233-234). Si l'on veut bien considérer un instant ce processus de découverte comme un processus de création, et si l'on tient compte des techniques littéraires éprouvées pour supprimer le lieu, puis le temps, puis la multiplicité de la composition, cette abstraction progressive est une voie pour passer du réalisme empirique au réalisme transcendant, et pour aller de la description des choses à la création du divin.

Ce processus d'abstraction artistique doit être à son tour rapporté au processus général de l'abstraction, dans lequel la tradition occidentale fonde toute connaissance. L'abstraction qui préside à la connaissance scientifique n'en est qu'un cas particulier. La fonction de connaissance classiquement attribuée à l'art nous paraît alors intimement liée à cette forme traditionnelle de la gnoséologie.

4.2. La reconduction et l'antinomisme

Appelons reconduction la démarche qui unit les deux réalismes selon un dispositif sémantique fondamental pour notre tradition, et qui permet

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de passer de la description de ce monde à l'évocation d'un autre, divin ou infernal, chacun ayant ses propres formes de représentation.

Pour ce qui concerne la composante thématique des textes, cela consiste à conduire la lecture d'une isotopie générique dominante (qualitativement) mais hiérarchiquement inférieure (qualitativement) à une isotopie dominée mais surévaluée, au moyen de divers connecteurs (métaphores, paraboles, etc.). La première comportera des précisions de lieu, de temps, et de nombre, à la différence de la seconde [51]. Ce cadre sémantique général assure la fonction anagogique traditionnellement attribuée à la littérature. La première isotopie joue le rôle de la lettre, la seconde dévoile l'esprit, dans la mesure où il peut l'être [52]. Nous avons montré l'efficace de ce dispositif en décrivant des textes de Balzac (à paraître), Haubert (1992), Maupassant (1989). Le monde réel, daté, situé et détaillé, y cache respectivement un enfer, un paradis en ruines ou un monde animal innocent et cruel. Dans le réalisme socialiste, ce dispositif ne disparaît pas, mais se trouve surdéterminé par la forme dialectique d'un progrès : la séquence des deux isotopies est temporellement ordonnée, et la seconde décrit un monde nouveau, forme affadie du ciel [53].

La force de l'allégorisme est telle qu'il paraît bien avoir fait échouer – du moins au yeux de notre tradition académique – toutes les tentatives pour créer un réalisme empirique pur, sans reconduction.

Une seconde voie s'ouvre cependant pour aller du sens apparent au sens promis. Alors que la voie reconductrice discerne dans les beautés empiriques les prémices des célestes, la voie antinomiste impose de détruire ce monde pour parvenir à l'autre. La première rédimait en transformant (le néoplatonisme, Politien, Sannazar), la seconde condamne et détruit pour édifier, explicitement ou non (Mallarmé, Breton, Borges [54]). Chacune a ses techniques sémantiques de prédilection : la métaphore mesurée permettait à la première ce que Ricoeur appelait la promotion du sens ; la seconde apprécie la violence de l'antithèse, de l'hypallage, de l'oxymore, voire du zeugma ou de la paronomase.

L'antinomisme à son tour connaît deux voies. Selon qu'il place l'isotopie générique comparante au delà ou en deça des seuils d'acceptabilité, il produit des textes lyriques ou grotesques. Plutôt qu'une forme débridée du réalisme empirique, le grotesque est une forme antinomiste du réalisme transcendant : on peut donner en exemple les discours de Socrate,

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qui – comme sa personne même – cachaient une pensée élevée sous une apparence grossière [55]. Ou encore, par une sorte de merveilleux abject, le grotesque peint des démons à la place des anges, en tout cas des types infra-humains, sinon infernaux (voir le théâtre de Jarry, ou celui de Maïakovski).

C'est en ce siècle cependant que la théorie du réalisme a été ruinée, alors que sa pratique a connu un grand essor. Quand les Modernes ont cessé de considérer la beauté comme une valeur esthétique, ils n'ont pas rompu avec l'antinomisme, mais ont cessé de le mettre au service d'une reconduction. Ainsi, futurismes et dadaïsmes ont tracé ce programme qu'ils estimaient émancipateur : « Est-ce qu'ayant renversé le joug de la Raison, nous resterons dans les chaînes de la Beauté ? Pourquoi ne pas renverser la beauté par la même occasion ? », demandait Tchoukovski [56].

Proust, à la même époque, allait plus loin que Tchoukovski ou Kroutchonykh, en détruisant le réalisme de l'intérieur, dans ses trois thèses principales : stabilité ontologique de l'objet représenté, transparence du langage de représentation, et stabilité du point de vue artistique qui préside à la représentation. Kurt Wais, poéticien pro-nazi, lui reprocha avec indignation de détruire l'objet privilégié de la mimésis, les personnages, « émiettés en une foule de traits contradictoires » (1939, p. 214) [57] ; et de troubler la transparence du langage et l'unité du point de vue : « l'auteur voltige, avec son bavardage oiseux, avec ses comparaisons sans cesse accumulées, et qu'il interprète avec l'hyper-intelligence d'un talmudiste » (ibid.)...

Nous avons montré ailleurs (1990) comment le réalisme traditionnel en philosophie du langage avait été ébranlé par l'essor d'une sémantique linguistique. Parallèlement, on a vu le réalisme esthétique subir de tels échecs qu'il n'a plus été revendiqué que par les idéologies totalitaires. Cette coïncidence confirme sans doute la mutation profonde de la conception occidentale de la signification. Une herméneutique renouvelée nous décrira peut-être ses raisons [58].

Nous avons tracé ici des directions de recherche que nous explorerons ultérieurement. À partir de la sémantique, nous proposons une coopération de la linguistique et des études littéraires, pour contribuer à une théorie des formes symboliques, qui relève de plein droit d'une sémiotique générale des cultures.

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Au sein même de notre tradition, il s'agit de mettre en rapport les morphologies sémantiques propres aux genres et aux styles avec les théories esthétiques - explicites ou non - auxquelles elles correspondent et dont elles sont tout autant les causes que les effets. Convenons d'appeler esthésies ces « visions du monde » suscitées et contraintes par les divers types de morphologies sémantiques. Et traçons le projet d'une théorie des esthésies : elle participe d'une herméneutique matérielle, théorie de l'interprétation articulée sur la description linguistique des oeuvres.


NOTES

1 La démarche la plus ordinaire consiste toutefois à étudier l'éclairage urbain pour percer les secrets des becs de gaz baudelairiens. Dans tous les cas, la réification de l'imaginaire, caractéristique du réalisme « de bons sens », conduit certains critiques à prendre modèle sur Emma Bovary, qui recherchait dans les romans d'Eugène Sue des conseils vestimentaires. Bien entendu, on peut à bon droit considérer les oeuvres littéraires comme des documents historiques, mais cette étude relève alors de l'histoire, et non de la critique littéraire ou de la science de la littérature.

2 Pour un aperçu, voir l'auteur, 1991, voir III.

3 Voir chez Sperber (1992, ch. XIV) la théorie épidémiologique des représentations.

4 L'expression réalisme sémantique est récente, mais son principe est fort ancien. Il procède du réalisme tout court, dont l'affirmation fondamentale est « thèse de la réalité du monde » (Popper). Il se définit par le principe que chaque affirmation a une valeur de vérité, déterminée par son rapport à la réalité – et l'on voit par cette définition que l'adjectif sémantique est ici pris dans son sens logique et non linguistique. Le réalisme sémantique repose évidemment sur la conception dénotationnelle de la signification, puisque la référence des signes est la condition de la vérité des propositions. Dummett, parlant au nom des philosophes analytiques, dit avec clairvoyance : « Notre pensée abrite encore une conception du vrai essentiellement réaliste. Le réalisme, c'est de croire que. pour tout énoncé, il existe une raison en vertu de laquelle l'énoncé lui-même ou sa négation est vrai ; ce n'est que sur la foi de cette croyance qu'on peut justifier l'idée que le vrai et le faux jouent un rôle essentiel dans le concept de signification d'un énoncé, que l'explication emprunte la forme générale des critères du vrai » (1964, p. 106-107). Le réalisme sémantique se distingue du réalisme dit scientifique ou épistémologique, qui lui est en fait subordonné, et qui affirme l'existence des objets décrits par les sciences. Toutes les formes du réalisme sont objectivistes. et de ce fait, comme l'a souligné Popper lui-même, métaphysiques, au sens où elles ne sont ni démontrables, ni réfutables.

5 Toutefois, du Cratyle à Les Mots et les choses, cette inadéquation est bien la force motrice de la philosophie du langage occidentale.

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6 Toutes proportions gardées, ce raisonnement a contrario rappelle fort la condamnation portée par saint Anselme contre Roscelin : son nominalisme aurait ravalé la parole divine au rang duflatus vocis (qui se traduit assez bien par : suite de sons vides). Si l'on pense communément que l'oeuvre débouche sur autre chose, c'est parce que l'on attribue à l'art une fonction réaliste, anagogique.

7 Cette solution est élégante, mais coûteuse. En effet, le monde réel doit être exempt de contradictions, sans quoi les mondes possibles s'écroulent : « La structure ou principe de construction des mondes doit beaucoup aux vues de Leibniz qui en a ébauché la notion. De même qu'il y a un nombre infini d'idées divines pour organiser les monades, il y a un nombre infini de mondes possibles. Parmi ceux-ci, Dieu en a choisi un qui est parfait pour sa cohésion : c'est notre monde réel. En termes modernes Wo, notre monde ordinaire exclut la contradiction » (Jacques, 1992, p. 111 ; Wo abrège World , et l'on convient que le World et le monde sont une même chose, ce dont je doute). Leibniz cependant n'a jamais prétendu que notre monde était parfait. Pour en exclure la contradiction, il faudrait réassumer l'optimisme peu clairvoyant de Pangloss, dont Candide même vint à douter. Deux difficultés surgissent en outre. (i) Ces mondes possibles ne sont pas des mondes : « ce qu'on appelle "mondes possibles" n'est pas vraiment des mondes mais des propriétés et des individus que notre monde pourrait avoir, des façons qu'il pourrait avoir de se présenter» (p. 115). (ii) Pourquoi les mondes fictionnels seraient-ils possibles, et non contrefactuels ? Subsidiairement, pourquoi ne seraient-ils pas contradictoires ? Et s'ils le sont, comment maintenir la relation d'accessibilité au monde réel qui garantit leur référence, sauf à les faire éclater à leur tour en mondes possibles ?

8 Si dans un malheur ultime cette pauvre Emma passe pour incomplète, c'est que Nef considère les traits sémantiques comme des propriétés d'un référent: « L'analyse sémique est une forme déguisée de théorie des propriétés » (1992, p. 8, n. 5).

9 Voir le premier chapitre de The Languages of Art, symboliquement intitulé Reality remorde. Nous appelons monde de l'oeuvre les interprétations qu'elle suscite, et que nous cautionnons de notre croyance. Mais la valeur descriptive de cette construction n'est pas garantie pour autant. Aux beaux jours de la psychologie littéraire, n'appelait-on pas du nom de Racine le modèle hypothétique que l'on construisait à partir de ses tragédies ?

10 Pour une présentation détaillée de sa tradition, voir Hans Arens. Aristotlé s Theory of Language and as Tradition, Amsterdam, Benjamins, 1974.

11 Pour un aperçu, voir l'auteur, 1990. Chez les Grecs, matérialistes et idéalistes s'opposaient déjà sur le fond d'un réalisme commun. Le réalisme platonicien s'est poursuivi dans le réalisme chrétien, comme on le voit clairement chez saint Augustin puis chez saint Thomas d'Aquin (qui ôte toute modération au réalisme d'Aristote). On sait qu'il fut objet de dogme, comme en témoigna d'abord la condamnation de Roscelin au concile de Soissons. Au demeurant, le célèbre débat entre nominalistes et réalistes n'a de fait opposé que des réalistes modérés à des réalistes intégristes. Même la philosophie d'Occam est réaliste—comme l'a relevé Philothée Bodmer. On voit d'ailleurs mal comment, pour une religion du Livre, l'écriture sainte pourrait ne pas renvoyer à la réalité de Dieu. Dans la sémiotique moderne, le réalisme a été revendiqué par ceux qui ont perpétué la triade aristotélicienne, et en premier lieu par Peirce, qui s'est toujours réclamé de Duns Scot en la matière. Enfin, c'est d'abord par son réalisme militant que l'empirisme logique de Morris et Carnap a mérité le nom de néopositivisme. Ainsi, qu'il soit empirique ou transcendant,
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le réalisme s'est tou jours opposé à une conception proprement linguistique et non philosophique de la signification.

12 Cela suppose les thèses suivantes, que je ne peux argumenter ici : (i) Les unités empiriques à considérer sont les textes, et non pas les mots, car le global détermine le local. (ii) Le sens des textes ne se définit pas par une relation de représentation, mais par des processus d'actualisation sémantique, mis en évidence notamment par la sémantique interprétative. (iii) Les corrélats psychologiques du sens linguistique sont des images mentales ou plus exactement des simulacres multimodaux (voir l'auteur 1991. ch. VIII) sans rapport définissable avec les concepts logiques, qui sont des signifiés stabilisés par convention. (iv) Le rapport de ces simulacres aux « objets » se réduit à celui de leur ancrage perceptif.

13 Voir le pascalien « Quelle vanité que la peinture [...] ».

14 « L'art d'imiter est [... ] bien éloigné du vrai ; et s'il peut tout exécuter, c'est. semble-t-il, qu'il ne touche qu'une petite partie de chaque chose, et cette partie n'est qu'un fantôme » (ibid.). La peinture est ici exemplaire, car elle n'imite que l'apparence, et non la réalité, comme en conviennent Socrate et son interlocuteur.

15 La scission ontologique entre l'expression et le concept a empêché jusqu'à nos jours la constitution d'une sémantique linguistique. Elle demeure dans le cognitivisme orthodoxe qui. réduisant le contenu linguistique aux propositions logiques d'un langage mental universel, ne peut que se taire sur les arts du langage, et au demeurant sur les ans en général, puisqu'il définit l'activité mentale comme le traitement de connaissances, et les connaissances comme des représentations.

16 C'est pour les mêmes raisons, par exemple, que Plotin et Paulin de Nole, l'un néoplatonicien. l'autre chrétien, refusaient qu'on fît leur portrait. Longtemps, l'art du portrait sera considéré comme un genre inférieur de la peinture, puisqu'il représente des individus et non des types idéaux. Une péjoration encore plus forte a touché on le sait la nature morte ; par exemple Pyréicos, qui en peignait, fut surnommé le ryparographe, peintre d'ordures.
Longtemps, jusqu'à la Renaissance et au-delà, il en fut ainsi. Voir la célèbre préface de Félibien à ses Conférences de l'Académie Royale de peinture et de sculpture, Paris, 1669 : « Ainsi celuy qui fait parfaitement les paysages est au dessus d'un autre qui ne fait que des fruits, des fleurs ou des coquilles. Celui qui peint des animaux vivans est plus estimable que ceux qui ne représentent que des choses mortes & sans mouvement. Et comme la figure de l'homme est le plus parfait ouvrage de Dieu sur la terre, il est certain aussi que celui qui se rend l'imitateur de Dieu en peignant les figures humaines est beaucoup plus excellent que tous les autres [...] Un peintre qui ne fait que des portraits n'a pas encore atteint cette haute perfection de l'Art, & ne peut prétendre à l'honneur que reçoivent les plus sçavans. U faut pour cela passer d'une seule figure à la représentation de plusieurs ensemble ; il faut traiter l'histoire et la fable ; il faut représenter les grandes actions comme les Historiens, ou des sujets agreables comme les Portes ; et montant encore plus haut, il faut par des compositions allegoriques, sçavoir couvrir sous le voile de la fable les venus des grands hommes, & les mystères les plus relevez » (Entretiens, Trévoux, 1725, V, p. 310).

17 Littéraires est ici un anachronisme, car, note Aristote, « L'art qui imite par la prose ou les vers [...] n'a pas encore reçu de nom » (1447 b).

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18 Il faudra attendre le De genealogia deorum de Boccace pour sortir de cette surenchère, qui touchait aussi les arts visuels. Bien qu'il reprenne le programme horatien touchant la poésie, Boccace s'indigne contre la censure morale des arts visuels: « Je vous le demande, si Praxitèle ou Phidias, si compétents dans leur art, avaient préféré sculpter l'impudique Priape s'approchant nuitamment de Iole, plutôt que Diane à l'honnêteté admirable [...] dirions-nous qu'il faut condamner la sculpture 7 [...] Ce serait parfaitement stupide, reconnaissons-le » (XIV, 19).

19 Ce propos est fort hardi, car il compare l'humain au divin. Voir contra Dion Chrysostome : «Même un insensé ne saurait avoir le sentiment que le Zeus de Phidias, à Olympie, ressemble à un quelconque mortel pour sa taille et pour sa beauté » (SVF, II, p. 167).

20 Elle reste belle cependant, mais d'une beauté mêlée à la matière. « Si le beau en soi n'était l'absolue beauté, et d'une beauté transcendante, qu'y aurait-il de plus beau que k monde visible 7 Par quoi on a tort de mépriser un tel monde, si ce n'est pour n'être pas le modèle » (Ennéades, V. 8).

21 Comparer la représentation selon Platon, par trois fois éloignée de la vérité, au troisième visage de Dieu.
Remarque :
Par son influence sur la théologie catholique, le néoplatonisme sauvera ainsi par deux fois la peinture occidentale. La première fois au second concile de Nicée (787), convoqué pour meure fin à la crise iconoclaste, et dont la résolution finale affirme : « L'honneur rendu à l'icône atteint le prototype, et celui qui se prosterne devant l'icône se prosterne devant l'hypostase de celui qui est inscrit en elle [...] Ceux qui regardent les icônes sont conduits vers le souvenir et le désir des prototypes » (dans Boespflug et Losskyn,1987, p. 33). On reconnaît là les thèmes néoplatoniciens de la réminiscence et de la reconduction, liés ici à l'incarnation. L'Église distinguera dès lors le culte de dulie adressée à l'icône, et celui de latrie dû à son modèle divin.
Huit siècles après, au concile de Trente, les prélats italiens pénétrés de néoplatonisme ont refusé fermement le nouvel iconoclasme de la religion réformée et tracé le programme artistique de la Contre-Réforme. Le décret tridentin de 1563 dit des images : « l'honneur qu'on leur rend remonte aux modèles originaux qu'elles représentent. Ainsi, à travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous prosternons, c'est le Christ que nous adorons, et les saints, dont elles portent la ressemblance, que nous vénérons » (texte dans Menozzi, 1990, p. 122 sq.).

Ces propos de Coluccio Salutati, chancelier de Florence, montrent déjà, un siècle auparavant, la tolérance de l'humanisme chrétien pénétré de néoplatonisme : « Nous les [les représentations peintes ou sculptées de nos saints ou martyrs] percevons non comme des saints ou des dieux mais plutôt comme des images des dieux et des saints. II peut arriver, évidemment, que le vulgaire sans culture en pense plus et autrement que nous. Mais on entre dans la compréhension et la connaissance des choses spirituelles par l'intermédiaire des choses sensibles.» (De fatoetfor:una, cité par Baxandall.1985, p.68).

22 On sait que les Idées platoniciennes étaient devenues chez les chrétiens les pensées de l'Intellect divin. Les néoplatoniciens ont eu cependant le mérite de souligner la médiation angélique qui permet de reconnaître à l'art une dignité ontologique : « La beauté n'est rien d'autre qu'une certaine grâce, vive, et spirituelle, qui s'infuse d'abord au moyen de la lumière divine dans les Anges, dans lesquels on voit les figures de n'importe quelle sphère, que l'on appelle en eux modèles et idées : puis elle passe dans
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les âmes où les figures s'appellent raisons ou notions, et enfin dans la matière où elles sont nommées images et formes" (Commentaire de Lomazzo sur Ficin, 1590, XXVI ; trad. dans Panofsky, 1983, p. 162). Par la lumière infuse dans ses yeux, l'artiste pourra reconduire les images et formes de la matière vers la lumière divine : « Si l'ordre du monde est incorporé dans nos yeux et non pas dans nos corps, la beauté sera d'autant plus manifeste qu'elle sera plus semblable, dans la matière bien disposée, à la vraie figure infusée dans l'âme par le rayonnement divin » (op. cit. p. 167).

23 Dans les années soixante, en plein essor du néoplatonisme à Florence, des peintres de premier plan, comme Andrea del Castagno ou Filippo Lippi, recherchent une peinture linéaire, accentuant les contours.
Parmi les théoriciens, Landino ne fait jamais l'éloge d'un peintre pour sa couleur et « c'est un des aspects négatifs importants de son système critique » remarque Baxandall (1985, p. 211) alors qu'à Venise la couleur était valorisée (voir par exemple ibid. l'éloge que Filelfo adresse à Bellini, et où il la la met au premier plan). La supériorité du contour sur la couleur sera réaffirmée par les Académiciens cartésiens, Le Brun en tête : il permettait selon eux à un tableau d'exprimer une vérité générale. Ils restaient sourds aux critiques de peintres comme Roger de Piles, qui tiraient argument de l'absence des contours dans la Nature.

24 Le parallèle explicite remonte semble-t-il à Dolce (voir Lee, 1991, p. 183-185).

25 Sur le furor, voir en particulier Lecointe,1991, ch. II. Sur son origine démocritéenne plutôt que platonicienne, voir Dodds, 1977, p. 89-90.

26 « Le goût est au fond une faculté de juger de la représentation sensible des Idées morales » (Critique de la faculté de juger, L § 25).

27 « L'art creuse un abîme entre l'apparence et illusion de ce monde mauvais et périssable, d'une part, et le contenu vrai des événements, de l'autre, pour revêtir ces événements et phénomènes d'une réalité plus haute, née de l'esprit. C'est ainsi, encore une fois, que loin d'être. par rapport à la réalité courante, de simples apparences et illusions, les manifestations de l'art possèdent une réalité plus haute et une existence plus vraie » (Esthétique, t. I, p. 27). Ainsi, comme l'a souligné B. Teyssèdre, l'art hégélien n'a pas à imiter le monde, mais à le révéler.

28 Et, en peinture, l'abstraction, qu'elle soit dite ou non lyrique. Hegel entrevoyait une «magie du coloris » qui rend « indifférent » l'objet représenté. Ne pourrait-elle s'y substituer 7 On méditera avec profit ces déclarations contemporaines, à commencer par Kandinsky : «Est beau ce qui procède d'une nécessité intérieure de l'âme. Est beau ce qui est beau intérieurement» ; « Dès à présent, elle [la forme] ne sert plus à l'objet direct, elle n'est plus qu'un élément du langage divin » (Du spirituel dans l'art). De Malevitch : « En établissant la non-figuration, la conscience aspire "révéler" ou bien manifester [...] Ainsi, il semble que soit trouvée la Vérité qui produit la lumière »(La Lumière et la couleur). De Klee : « Quant à nous, notre cœur bat pour nous amener vers les profondeurs. Ces étrangetés deviendront des réalités, parce qu'au lieu de se borner à la restitution diversement intense du visible, elles y annexent encore la part de l'invisible aperçu occultement » (Conférence d'léna). De Dubuffet : « L'art s'adresse à l'esprit et non pas aux yeux » ; de Tapiès : « La réalité que rencontrent les yeux est une ombre bien pauvre de la réalité » (La Pratique de l'art). Ces thèmes
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caractéristiques du réalisme transcendant ne peuvent plus surprendre : l'art dit abstrait a voulu donner une représentation directe du monde des Idées.

29 On s'étonne que Todorov ait oublié cela quand il écrit :« Le réalisme est coextensif, et, on peut l'ajouter uns risque, consonant au monde occidental moderne et à ses sociétés capitalistes »(1982, p. 8). Pourquoi prenait-il le risque, mineur à l'époque, de passer sous silence l'art des pays socialistes, où seul le réalisme n'était pas interdit ? Quitte à se méprendre délibérément sur l'art des pays capitalistes, où l'on édifiait à grand frais les immenses musées déserts de l'abstraction lyrique ?

30 On retrouve ici une grande question de l'aristotélisme : peut-on représenter les choses telles qu'elles doivent être ? Poussin y répondait en donnant à ce devoir le ans d'une anticipation : en rappelant ce qui est permis à un peintre dans « les choses qu'il veut représenter », il souligne qu'elles se peuvent considérer « comme elles ont été, comme elles sont encore, ou comme elles doivent être » (cité par Félibien, voir Lee, 1991, p. 106). L'optimisme de Jdanov est évidemment à verser au crédit du « romantisme révolutionnaire », complément indissociable du réalisme socialiste. Le romantisme ayant pâli aussi sous cette forme, il reste que le réalisme demeure « de gauche », et que ses principaux théoriciens, même dans nos pays, ont eu des liens au moins sentimentaux avec la IIIe Internationale.
Cet optimisme progressiste ne s'est pas limité aux arts, et a même eu des conséquences sur les sciences. Les manuels de thermodynamique soviétiques, à la suite d'Engels qui rejetait le concept d'entropie, niaient le concept de dégradation universelle de la chaleur. sans doute jugé réactionnaire.

31 Cité par Szondi, 1981, p. 47.

32 «Tout ce que je salue est le retour de ce jwor duquel Agrippa distinguait vainement ou non quatre espèces. Avec le surréalisme, c'est bien uniquement à ce furor que nous avons affaire » (1963. p. 136). Aggrippa de Nettesheim revendiquait dès 1509 pour les beaux-arts le privilège de l'inspiration divine (furet plotonicus) que l'Académie florentine réservait aux lettres.

33 Voir « L'esprit se convainc peu à peu de la réalité suprême de ces images » (1963, p. 52).

34 Cette aporie traverse le signe linguistique lui-même : la division tracée ou maintenue par Aristote entre le signifiant phonique (que les scolastiques traduiront par vox) et les affections de l'âme (pathémata, que les mêmes traduiront par conceptur) rend inconciliables ces sons variables selon les langues et ces concepts universels. En fait, entre les concepts et les choses qu'ils représentent se joue le véritable rapport du sensible et de l'intelligible, et se pose le problème de la vérité. Ainsi, une proposition logique n'a pas besoin d'être exprimée pour faire l'objet d'un jugement de vérité.

35 Victor Cousin estimait ainsi, comme tout un chacun, que « la fin de l'art est l'expression de la beauté morale à l'aide de la beauté physique » (1845, p. 774).

36 Weil estimait dès 1924 que la notion de substance n'avait plus aucun rôle à joua en physique.
Cela n'a pas empêché l'opposition forme/substance de poursuivre sa longue carrière dans les sciences du langage, mais ces deux concepts ont été maintenus et séparés par la linguistique formelle, qui se situe clairement dans la tradition idéaliste des grammaires universelles.
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Dans les arts du langage sont apparues des esthétiques mineures, soit substantialistes (comme le lettrisme), soit formalistes (comme le telquellisme). Dans les arts visuels, on pourrait également distinguer des esthétiques formalistes (Mondrian) et substantialistes (Buri) qui, par des techniques antithétiques, entendaient exhiber formes et substances pures.

37 Si j'osais employer le langage de la thermodynamique, je dirais qu'ils obéissent à des lois de diminution d'entropie. Les chefs-d'œuvre seraient alors des monuments d'entropie négative et, bien qu'objets historiques, ils inverseraient mieux que les vivants la flèche du temps, puisque l'orientation de cette flèche, comme l'a montré Eddington, est déterminée par la loi d'accroissement de l'entropie.

38 Ce point délicat fait évidemment l'objet de débats avec les tenants de l'ontologie (voir supra note 8).

39 Pour illustrer cette formule mallarméenne, toutes sortes d'auteurs pourraient être évoqués, même ou surtout dans le roman, genre canonique du réalisme.

40 Voir notamment Lettre VII, 342-344 d.

41 Ils reformulent sans qu'il y paraisse, du moins à leurs yeux, la péjoration platonicienne qui frappe la représentation artistique. Voir Riffaterre: «L'illusion référentielle substitue à tort la réalité à sa représentation f... ] ». Mais il ajoute, avec une courageuse résignation : « Nous ne pouvons cependant nous contenter de corriger l'erreur et d'en ignorer les effets, car cette illusion fait partie du phénomène littéraire, comme illusion du lecteur » (1982. p. 93).

42 Nous avons proposé de distinguer quatre composantes (voir l'auteur, 1989.1 ) :
La thématique rend compte des contenus investis et de leurs structures paradigmatiques.

La dialectique rend compte des intervalles temporels, de la succession des états entre ces intervalles, et du déroulement aspectuel des processus dans ces intervalles. Les interactions entre acteurs sont de son ressort.

La dialogique rend compte des modalités et des évaluations, bref, dans cette mesure, de l'énonciation représentée.

La tactique rend compte de la linéarité du signifié, et donc de l'ordre dans lequel les unités sémantiques à tous les paliers sont disposées et interprétées.

Aucune directionnalité n'est imposée à ce dispositif hétérarchique, et chacune des composantes peut être simultanément en interaction avec toutes les autres. Sur le plan sémantique, un genre se définit comme une interaction typique entre composantes. Les seules composantes dont l'interaction soit obligatoire sont la thématique et la tactique. Bien entendu, nous ne formulons aucune hypothèse réaliste sur ce dispositif théorique.

43 Techniquement, il s'agit des isotopies mésogénériques.

44 Nos langues comptent entre trois et quatre cents domaines. Les listes d'indicateurs lexicographiques en présentent une première approximation.

45 Pour une analyse détaillée de ce vers, voir l'auteur, 1989, Il, 5. La typologie sémantique que nous résumons ici fonde à nos yeux la typologie logique des propositions. dans la mesure où elle en précise les conditions : logiquement, le premier type d'énoncé est décidable (et comme tel susceptible d'être avéré ou infirmé) ; le second est logiquement absurde (et à tout le moins indécidable) ; le troisième reste décidable, mais faux ; le quatrième reste indécidable (voir l'auteur, 1987, ch.VllI).

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46 Quand les isotopies sont alternées, le texte est parabolique ; quand elles sont entrelacées, il est cryptique (voir la poésie hermétique). Que l'allégorèse soit possible ou non, ces deux sortes de textes ont en règle générale dans notre tradition une fonction anagogique.

47 Sur les critères de dominance et de hiérarchie, voir l'auteur, 1987, ch. VIII.

48 Ou un faisceau d'isotopies génériques dominantes.

49 Voir aussi les sept conditions présentées par Ramon, 1982. pp. 132-133.

50 Dans la peinture de la Renaissance, cela correspond à la mise en scène de personnages « d'un type très général, non particularisé, interchangeable », selon Baxandall (1985, p. 74), qui peuplent les tableaux religieux les plus prisés en leur temps, comme ceux du Pérugin : ils ont la nette imprécision et la présence ambiguë des images mentales que suscitaient chez les croyants la lecture pieuse et l'oraison. Noter que les personnages bas, valets et bourreaux di vers, sont souvent plus individualisés, car plus proches de la matière. Caravage peindra les personnages nobles et saints de cette façon, et c'est aussi pourquoi Poussin, notamment, l'accusera d'être venu au monde pour détruire la peinture. Nous verrons plus loin comment caractériser les techniques sémantiques du réalisme transcendant.

51 Dans les cas complexes, il faut décrire plus de deux isotopies génériques, mais alors, en général, elles se divisent en deux groupes, dont l'un renvoie à l'autre. En général cependant, l'isotopie transcendante est peu dense, se réduit même à des instructions de recherche : seule l'existence d'un secret est dévoilée ou simplement pressentie. Que sa teneur demeure énigmatique n'empêche pas, bien au contraire, l'oeuvre littéraire de remplir sa mission anagogique.

52 Par cette opposition entre la lettre et l'esprit, nous ne faisons pas seulement allusion à l'allégorisme paulinien, mais aussi aux interprétations stoïciennes d'Homère. La méthode allégorique, d'origine moyen-orientale – la plupart des auteurs de l'ancien et du moyen stoïcisme étaient des sémites – a connu une fortune remarquable dans le christianisme comme dans les autres religions abrahamiques. Elle a modelé durablement les pratiques d'écriture et de lecture. Sous des formes nouvelles, influencées notamment par le freudisme, elle les modèle encore.

53 Rien ne contrevient ici à la tradition, puisque l'allégorisme permet de passer du monde ancien (sub lege) au nouveau (sub gratin). II y a là une mise en corrélation de la thématique (deux isotopies génériques hiérarchisées) et de la dialectique (deux intervalles temporels successifs), qui est caractéristique du prophétisme dévôt.
La transition entre les deux mondes nous semble permise par l'union du réalisme socialiste et du prétendu romantisme révolutionnaire. On saisit alors tout le sens de la conclusion de R. Robin, qui voit dans le réalisme socialiste «de l'allégorique fictionnalisé dans le réalisme » (1986, p. 322).

Dans la technique narrative, cela se traduit notamment par l'usage inlassable de la prolepse. K. Clark y voit non sans raisons l'essence de la fiction soviétique à partir des années trente. Cette figure annonciatrice convient parfaitement à la fatalité des temps nouveaux et transforme les romans en tragédies optimistes : le meilleur y est toujours sûr.

Cet artifice révélateur ne dissipe pas l'aporie qui détruira de l'intérieur le réalisme socialiste, et que son histoire même révèle : « partie à la recherche de la représentation véridique,
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cette fiction finit dans la période zhdanovienne par figurer des idées néo-platoniciennes, des essences[... J » [Robin. 1986, ibid.). En effet, les techniques de représentation du réalisme empirique et celles du réalisme transcendant sont antithétiques dans toute notre tradition. Par exemple le héros socialiste ne peut à la fois être vraisemblable et vrai ; et dès Le Don paisible, on a déploré son inconsistance, en accusant Cholokhov d'avoir raté Stockrnan, peut-être à dessein. Voilà toute la difficulté d'une eschatologie moniste : si l'on peut certes dépeindre le paradis, il reste impossible de le peindre en ce monde.

54 Voir aussi supra l'épigraphe de Proust.

55 « Quand on se met à écouter ses propos, on est d'abord tenté de les trouver absolument grotesques. Extérieurement, ses mots et ses phrases revêtent la peau d'un insolent Satyre 1...1 Mais qu'on ouvre ses discours, qu'on en voie l'intérieur, on trouvera qu'eux seuls sont dans le fond remplis d'intelligence ; on reconnaîtra ensuite qu'ils sont les plus divins » (Le Banquet, p. 221-222).

56 (1976, p. 57). Il ajoutait avec conviction : « Les Pétrarque, Beethoven ou Rembrandt nous ont assez dominés, la beauté a asservi le monde entier, et Kroutchonykh est k premier à nous sauver de son oppression séculaire». Kroutchonykh écrivait vers 1913 en langue Zaoum, idiome transmental fait de sons dépourvus de sens.

57 Cité par Szondi, 1981, p. 35.

58 Sur la distinction entre les deux paradigmes, et pour des rudiments historiques, voir l'auteur, 1991, ch. III. Le paradigme aristotélicien, d'origine logique, est fondé sur la relation de référence. Le paradigme augustinien, exposé d'abord dans le De doctrina christiana, conjoint la tradition de la rhétorique (Augustin enseigna comme on sait cette discipline avant sa conversion) et la philosophie néoplatonicienne dominée par Plotin.


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©  décembre 2005 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : Rastier, François. Réalisme sémantique et réalisme esthétique. Texto! [en ligne], décembre 2005, vol. X, n°4. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Realisme.html>. (Consultée le...).