ACTUALITÉ DE MARR OU PERMANENCE DE L’UTOPIE

Monique SLODZIAN
CRIM / INALCO

Introduction

Qui se souvient aujourd’hui de l’affaire Nicolaï Marr ? Ce linguiste soviétique, mort en 1934, a été à l’origine d’un des grands scandales scientifiques de la période stalinienne dont le retentissement fut international. La figure de Trofime Lyssenko, père de la désastreuse « biologie prolétarienne », qui a ravagé la science et l’agriculture soviétiques pendant trois décennies, lui est souvent associée, Marr et Lyssenko incarnant à eux seuls les délires scientifiques caractéristiques du stalinisme. Même si ces deux sagas présentent à l’évidence de nombreuses analogies et trouvent toutes deux leur explication dans les aberrations idéologiques de l’époque, les conséquences humaines et économiques du lyssenkisme ne se mesurent pas à la même aune. Ajoutons que le profil intellectuel et moral des deux personnages est sans doute fort différent. De sorte que le parallèle entre les deux affaires est plus préjudiciable à la compréhension du marrisme qu’il n’aide à le décoder. Nous en voulons pour preuve la postérité dont bénéficie Marr : si la biologie prolétarienne de Lyssenko a été tardivement mais définitivement répudiée comme « fausse science », la Nouvelle Théorie du Langage de Marr a poursuivi , semble-t-il, une carrière souterraine qui n’a pas dit son dernier mot.

Prenant appui sur des travaux récents, le présent article tente de questionner les interprétations successives de l’œuvre de Marr qui, selon nous, obscurcissent la compréhension du phénomène en son temps – le succès du marrisme résistera en effet silencieusement à l’anathème lancé en 1950 – et dissimulent son impact sur la durée. Il nous paraît en effet essentiel d’en montrer la résurgence actuelle sous d’autres formes et d’autres signatures.

La première partie s’attachera à repenser les influences philosophiques et linguistiques qui font du premier Marr un savant de son temps. La preuve de cette conformité est à trouver dans le consensus philosophique et idéologique qui règle le discours de ses contemporains les plus éminents dans le monde des sciences humaines et sociales, au-delà des frontières de la Russie.

L’explicitation du consensus bâti sur l’héritage de la philosophie allemande (Leibniz, Kant, Hegel en particulier) devrait fournir des clés pour mieux comprendre pourquoi les idées de Marr ont continué de travailler la linguistique soviétique au-delà des années cinquante. Cela concerne le post-marrisme, bien étudié par ailleurs.

La deuxième partie cherchera à analyser la conversion de Marr au marxisme-léninisme à travers la lecture de Engels et l’émergence de sa Nouvelle théorie du langage, souvent présentée comme résultant d’une fracture idéologique. Nous verrons en quoi cet événement lui-même, abstraction faite de la conjoncture politique immédiate, peut être pensé dans la continuité avec la première période et dans quelle mesure le sociologisme et le logicisme caractéristiques de la linguiste soviétique des années soixante à quatre-vingt en constituent l’héritage. Dernière question : l’utopisme qui inspire aujourd’hui la furie ontologisante autour du Web mondial, et auquel participent directement des héritiers de Marr, ne donne-t-elle pas à ce dernier une actualité inattendue ? Il s’agira ici d’un néo-marrisme auquel la techno-science fournit un cadre propice.

L’œuvre de Marr appartient au XIXème siècle romantique à la fois par sa problématique (origine des langues et déterminisme historique), sa méthodologie (reconstitution paléolinguistique) et sa double allégeance rhétorique entre science et art. Qu’il y ait eu volonté de rupture avec les méthodes scientifiques en place afin de créer ex nihilo une nouvelle théorie du langage, prédictive et à l’échelle mondiale, n’y change rien. Quand le premier Marr (avant 1923) a fondé le japhétisme contre l’indo-européanisme, c’est au nom de la justice entre les peuples et les cultures. La «Nouvelle théorie» estampillée marxiste n’est-elle pas au fond une adaptation du japhétisme aux concepts de la doctrine marxiste-léniniste ? Marr n’a pas dit le contraire. Pourtant, le contraste entre une science surannée et un projet révolutionnaire autoproclamé, foncièrement téléologique, a suscité au fil du temps beaucoup de perplexité, suggérant des jugements très opposés qui procèdent soit d’interprétations psychologisantes (folie vs génie)1, soit moralisantes (diabolisation vs victimisation), le nom de Marr étant indissociable de celui de Staline, comme s’il avait soudain émergé à partir de 1923, alors que la carrière du linguiste commence en 1886.

On doit à des travaux plus récents et, en particulier à ceux impulsés par Patrick Sériot, d’avoir proposé des analyses plus nuancées et surtout plus pénétrantes sur une œuvre et un destin déroutants. S’appuyant sur ces avancées, le présent article se donne pour objectif de montrer la conformité de Marr à son siècle, à la fois par ses hypothèses sur la formation du langage, son engagement dans l’idéosémantique à l’origine des fameuses élucubrations étymologiques, puis son orientation, toute positiviste par la filiation Engels-Marx, vers l’étude des «cultures matérielles». Même dans ses revirements, Marr ne sort guère du cadre des problématiques dominantes. Son talent bien réel s’explique probablement par sa capacité à capter et à synthétiser les idées qui lui passaient à portée de main. Et à les recycler à sa façon, en les recontextualisant parfois au mépris des faits. Son éclectisme est, en ce sens, plus forcé que choisi : son bagage philosophique initial l’inclinait sans doute plus à l’imitation qu’à la construction d’un système et ses lacunes tenaient à un environnement socioculturel initial moins favorable qu’on le dit. Le titan capable d’apprendre une langue en un jour ne s’est sans doute pas beaucoup frotté à Leibniz, Kant, Hegel et Marx, dont les traductions en russe sont venues tardivement. Il est d’autant plus difficile de mesurer sa dette réelle à l’égard des prédécesseurs que Marr dévoile peu ses influences, et offre un appareil bibliographique assez modeste par rapport au volume de ses écrits. C’est sans doute le cas de beaucoup de ses contemporains, avec lesquels il partage une manière de faire de la science qui efface les traces d’emprunts.

Dans le cas de Marr, la haine de l’adversaire (les indo-européanistes, au premier chef) transparaît si fortement qu’on peut admettre qu’entre emprunt silencieux et imposture, le pas ait été aisé à franchir. Mais la mauvaise foi ne crée pas par elle-même la singularité d’une œuvre. Le succès même de sa théorie tient à son acceptabilité globale, en dépit de l’embarras que pouvait susciter la thèse des quatre éléments chez certains de ses disciples. On sait que des chercheurs de renom, tels Bakhtine et Jakobson ou simplement de bonne réputation, tel V. Reformatskij, appréciaient les travaux de Marr. Dans son Introduction aux sciences du langage, publié en 1955, Reformatskij réfute, certes, les positions de Marr en reprenant la critique de Staline, mais, expliquant en quoi la langue ne peut être considérée comme une superstructure, il pointe d’un même doigt réprobateur (p. 11) les deux camps de l’école sociologique, l’un idéaliste (Saussure et Vendryes), l’autre matérialiste (Noiré et Marr). Plus loin (p. 26), il critique l’approche non dialectique de Saussure dans son opposition synchronie/diachronie qui, selon lui, conduit au concept fallacieux d’«achronie». Si l’ouvrage de Reformatskij entérine la chute de Marr, il prend soin de ne pas réhabiliter Saussure, représentant de la linguistique bourgeoise individualiste et de l’indo-européanisme arrogant.

Ces indications suggèrent l’hypothèse d’un post-marrisme diffus, qui se définit par la permanence de disciplines promues par Marr (paléolinguistique, ethnolinguistique et ethnoculture, sémantique nominale…), par la prépondérance des études lexicologiques exprimant un nominocentrisme2 bien ancré, auxquelles le cognitivisme américain viendra donner un souffle nouveau à partir des années 1970, et le succès non démenti de la thématique de l’origine des langues dans une perspective bio-génétique (Gamkrelidze, Starostin). Nous ne supposons évidemment pas que l’enseignement de Marr se soit clandestinement poursuivi en URSS après 1950, ou, encore moins, que l’on ait tenté de rééditer ses travaux à un quelconque moment. Nous disons que les raisons qui rendaient Marr acceptable en son temps (un paradigme d’idées et de croyances historiquement ancré) ne sont pas très différentes de celles qui, aujourd’hui encore, donnent crédit et statut à des travaux de paléolinguistique sous la bannière de la biogénétique ou d’ontologie linguistique sous couvert de Web sémantique. Ajoutons qu’après sa tonitruante conversion au marxisme, le deuxième Marr recyclera sa thématique dans un cadre annonciateur du positivisme logique qui fera fortune dans la linguistique soviétique. On peut voir le sceau du positivisme dans l’affirmation de V. Vinogradov selon laquelle «le mot a soit une fonction essentiellement nominative ou définitoire — autrement dit de désignation précise — et c’est alors un simple signe, soit une fonction de définition logique [logiceskoe opredelenie] et c’est alors un signe scientifique»3. Par une telle approche compositionnelle du sens qui a pour corollaire l’incontournable formule dialectique «langage et réalité» adossé à la dichotomie «monde vrai» vs «langage trompeur», ce père fondateur de la linguistique soviétique ouvre la voie à la linguistique cybernétique et sémiotique des années soixante [mašinnyj perevod] aussi bien qu’aux travaux de syntaxe logique des années soixante-dix, entre autres.

Nous tenterons donc de mettre en évidence :


1. Poids des tradictions partagées

1.1. L’énigme des pères

Au vu de la rareté des références bibliographiques qui annotent les cinq volumes des œuvres choisies de Marr, on songe au mythe de Prométhée, si présent dans ses travaux. Et la tentation d’expliquer par la biographie ce déni de filiation, de dette envers quiconque, est d’autant plus compréhensible que sa vie personnelle confine au mythe. Notons au passage qu’une lecture derridienne4 éclaire étrangement le cas Marr : fils d’un Ecossais âgé et cultivé, installé en Géorgie mais ne parlant pas la langue, et d’une Géorgienne peu instruite et ne parlant que sa langue, notre héros fut condamné à écrire en russe, la langue de l’autre, et, pour échapper à cette souffrance, se serait imposé d’apprendre sans cesse une langue nouvelle.5

Mais notre intention ici n’est point de creuser les singularités psychologiques d’un savant hors norme. Elle se situe même à l’opposé, puisqu’elle est avant tout de montrer qu’en dépit d’excentricités notables, Marr était bien un savant de son temps. La tonalité romantique de l’œuvre qui saute aux yeux du lecteur contemporain ne suffit pas pour justifier les jugements si opposés qu’elle a suscités avant et après le fameux article de Staline en 1950. Les indices fournis par les choix discursifs (registre, procédures rhétoriques, visée téléologique proclamée, etc.) — parmi lesquels le jeu des cautions intellectuelles occupe une place significative — suggèrent la conformité de l’œuvre de Marr à un modèle de scientificité acceptable pour la majorité de ses pairs, au-delà des allégeances théoriques. Cette caractérisation de Marr et de son œuvre par les paramètres «air du temps, air du lieu» proposés par Patrick Sériot, comporte deux volets, celui des références explicites à soumettre à une critique rétroactive et celui du modèle inconscient qui imprègne l’œuvre et qu’il convient de reconstituer avec prudence.

1.2. La piste des références

Devenues obscures un siècle après, les cautions affichées nous frappent aujourd’hui par leur caractère hétéroclite. En voici quelques unes assorties de brefs commentaires.6

1.2.1. Linguistique romantique et vogue étymologiste

Le nom de Gaston Paris7, créateur de la Casa Velazquez et du mythe d’une Ibérie idéale, nous renvoie à Guillaume de Humboldt et à ses études des toponymes et anthroponymes ibériques transmis par l’Antiquité, à la lumière de la langue basque supposée issue de l’idiome parlé dans l’Ibérie préromaine. Les langues «ibéro-caucasiennes» seraient, si l’on en croit la théorie japhétique, à l’origine de la civilisation gréco-romaine. Il y va donc de la suprématie des langues japhétiques sur les langues indo-européennes. Mais Gaston Paris appartient également à la philologie française par l’édition du Traité de la formation des mots composés dans la langue françaised’Arsène Darmesteter que celui-ci lui avait dédié, et dont il préfaça l’édition de 1893.8 Notons que des critiques reprochaient à Darmesteter d’introduire dans l’étude historique de la langue les doctrines de la grammaire philosophique a priori (p. 5). A quoi Darmesteter répond : «A l’origine, le mot a une valeur significative ; mais son sens propre se perd peu à peu, et il devient le représentant exact de l’objet signifié. De nos jours, fleuve, neige font revivre à nos yeux, dans toute leur étendue, les images sensibles des objets désignés par ces noms (…)» (p. 11). On aperçoit ici le fil qui relie Darmesteter à Gaston Paris, et celui-ci à Nikolaj Marr. Il s’agit bien d’une hypothèse sémantique sur l’origine des mots et leur rapport au monde.

L’archéologie philologique cultivée en Allemagne au milieu du XIXème siècle et son «postulat méditerranéen» ont sûrement influencé les recherches de Marr sur les Celto-Ibères, et justifié sa passion pour le basque. La constante référence aux Anciens (en particulier Hérodote) lui est sans doute suggérée par cette tradition.

La linguistique japhétique hérite des romantiques allemands une approche de l’étymologie qui fonde la dérivation sémantique sur des proto-significations données comme primitives. Cette mystique de l’étymologie trouve ses sources dans le cratylisme. Elle renvoie aussi indirectement à Leibniz, qui fut le premier à faire l’hypothèse des langues japhétiques et dont la Caracteristica Universalisconstitue l’une des principales matrices de l’utopisme linguistique. L’influence de Leibniz —renouvelée par Cassirer9 — se perpétue jusqu’à nous chez les linguistes en quête de «primitives» (Anna Wierbizcka, par exemple). La paléontologie des quatre éléments procède d’une gnoséologie «révélationnelle» qui continue d’inspirer des programmes récents sur l’origine des langues, comme nous le verrons plus loin.

1.2.2. Le japhétisme, une utopie dans l’utopie

On ne saurait trop souligner l’importance de la dimension utopiste du japhétisme que Marr s’efforcera de faire fusionner avec les objectifs utopistes de la révolution bolchévique. Il y sera presque parvenu en 1931 avec la création de l’Institut de la Langue et de la Pensée (Institut jazyka i myšlenija), mais, comme on le sait, ses positions seront aussitôt assaillies par le Jazykfront qui, s’il ne parvient pas à détrôner le marrisme, réussit à entretenir le doute auprès de nombreux linguistes, tant en Russie qu’à l’étranger.10 On peut à cet égard considérer que la théorie japhétique portait en elle ses propres contradictions, qui donnent en partie la clé de la violente attaque contre le marrisme en 1950. Le surcroît d’utopie qu’il comportait (la prophétie de la fusion des langues au stade du communisme) n’était-il pas devenu embarrassant pour le pouvoir et ne décrédibilisait-il pas les sciences sociales marxistes tout entières ? Gageons que toute autre utopie linguistique présentant le même degré d’eschatologie qui se serait avisée de monter dans l’attelage de la révolution en marche aurait été reniée à terme. Cela vaut sans doute pour la génétique de Lyssenko.

Par ailleurs, Ludwig Noiré et Lazare Geiger, que Lawrence Thomas11 considère comme les initiateurs de Marr à la vulgate marxiste, ont directement contribué à l’élaboration de sa «Nouvelle théorie du langage» en lui fournissant le cheminement de l’humanité dans son évolution vers le langage. Ils sont les diffuseurs de la théorie des stades reprise de Hegel, à laquelle les marxistes soviétiques — et Staline au premier chef — souscriront sous le patronage d’Engels.

Le sociologisme de Noiré et Geiger tient au fait qu’ils remplacent l’intuition objective de l’être comme causalité de tous les phénomènes par celle de l’agir : la forme sociale de l’action aurait rendu possible la fonction sociale du langage comme moyen de communication. Voici ce qu’écrit Noiré :

C’est de l’activité commune dirigée vers un but commun, c’est du travail archaïque de nos aïeux, qu’ont jailli le langage et la vie de la raison… Le phonème est, au moment de sa constitution, l’expression du sentiment de communauté qui accompagne l’activité commune… Pour tout le reste, soleil, lune, arbre, bête, homme et enfant, douleur et plaisir, nourriture et boisson, manquait absolument toute possibilité d’une conception commune et par là d’une désignation commune ; ce seul fait, l’activité commune et non individuelle, a été le sol ferme et immuable sur lequel s’est bâti l’intelligence commune… Une chose n’entre dans l’horizon humain, c’est-à-dire ne devient une chose, que dans la mesure où elle subit l’activité humaine, et c’est ainsi qu’elle est désignée, qu’elle est nommée.12

Les positions matérialistes de Geiger-Noiré, sources reconnues du marxisme vulgaire en Russie, font écho à celles de Lucien Lévy-Bruhl, également cité par Marr, à propos des liens entre mimêsis et activité créatrice. L’étude des langues des peuples primitifs conduit Lévy-Bruhl à mettre en avant les rapports entre langage mimique et langage parlé13. Le rôle déterminant du langage mimique sur le langage articulé a constitué une thématique centrale entre 1870 et 1910, au vu des dates de publication des auteurs cités. Comme nous le verrons plus loin, la Dialectique de la nature d’Engels lui fait une place centrale qui inspirera la linguistique soviétique au-delà des années 1970.

1.2.3. La topique attraction/répulsion de l’Occident

L’aversion de Marr pour l’Occident peut-être considérée comme un fait constitutif de la philosophie russe de l’époque : nous sommes en présence d’une opposition qui domine toute l’histoire russe, l’explique peut-être, et peut-être s’explique par elle.14 Cette hostilité a été nourrie par des maîtres ou collègues orientalistes de Marr comme V. Rozen, arabisant de premier plan et critique virulent de l’européocentrisme de la vie intellectuelle russe ou V. Miller, directeur de l’Institut Lazarev des langues orientales de 1897 à 1911 et précurseur de l’eurasisme.15Tous deux sont cités par Marr qui, entre parenthèses, dédia son article «Termin ‘skif’» [Le terme ‘scythe’] à V. Miller.

On trouve donc une double motivation dans le combat de Marr contre la linguistique indo-européenne : la haine de l’Occident partagée par la plupart des philosophes russes et l’hostilité à l’égard de l’idéologie néo-bourgeoise prêtée à l’indo-européanisme qui lui venait de sa conversion au marxisme-léninisme.

1.3. Enracinement hégélien et historicisme

Cette mosaïque de références d’auteurs mineurs — du moins considérées ainsi au prisme de l’histoire —, peine à restituer l’importance de la dette de Marr à l’égard de la philosophie allemande, si déterminante pour le cadre épistémologique, la dimension eschatologique de l’œuvre (foi en une loi du progrès), les thématiques récurrentes (origine des langues, sémantique prospective…). Sans doute en partie inconsciente, cette tradition est du même coup acceptée d’une manière non critique, ce qui fait du japhétisme un colosse aux pieds d’argile.

La génération de Marr a en effet grandi sous l’influence des grands systèmes philosophiques — principalement ceux de Leibniz, Hegel et Kant — enseignés dans les universités russes de la fin du XIXème siècle16. Rarement puisée à sa source, la philosophie allemande sert de référentiel commun à tous les débats d’idées, même si, faute de traductions, l’assimilation des doctrines est parfois superficielle et donne lieu à des interprétations «libres». C’est ainsi que le néo-kantisme en Russie présente de fortes spécificités, à commencer par ses rapports avec le slavophilisme. Le parcours philosophique du jeune Marr présente à son tour de fortes similitudes avec celui d’un Nikolaj Troubetzkoy, son contemporain, si proche et si lointain par la vie et l’œuvre.17 La philosophie de l’histoire et l’héritage hégélien semblent être une composante essentielle de la convergence. Marr fonctionne à l’évidence dans le cadre d’une doctrine historiciste fondée sur le déterminisme qui assigne aux sciences sociales une fonction de prédiction et de prophétie. Cela vaut autant pour d’autres membres de la pléiade des philosophes religieux russes de la fin du siècle — Fëdorov, Florenskij, Losskij ou Berdjaev —, ce dernier illustrant parfaitement la non-contradiction entre ce positionnement issu de Hegel et le marxisme .

L’historicisme de Marr provenant autant de Hegel que de Marx, qui l’a d’ailleurs repris chez ce dernier, il est largement partagé par le slavophilisme, courant majeur de la philosophie russe. Il en présente les mêmes superstitions, notamment la théorie du complot et l’espérance en une transformation du monde. La théorie du complot légitime un positionnement hostile à l’égard de théories existantes dont elles sont nées, ainsi la polémique avec l’indo-européanisme chez Marr ou Troubetzkoy. L’article de Marr sur le terme «scythe»18 publié en 1922 peut être mis en parallèle avec celui de Troubetzkoy sur «L’élément touranien dans la culture russe», publié en 1925.19 A l’hypothèse japhétique de l’un correspond l’hypothèse touranienne de l’autre. Les deux linguistes se rejoignent dans la dénonciation de l’égocentrisme européen.

La dénonciation de tel ou tel aspect d’une théorie occidentale, qui par ailleurs sert de matrice, constitue bien un topos commun. Chez Troubetzkoy, Jakobson (avant 1939) et d’autres20, par exemple, le rejet unanime de la dichotomie synchronie/diachronie relève de ce mouvement d’attraction/répulsion. En tout état de cause, il est remarquable que des linguistes qui comptent parmi les fondateurs du structuralisme aient cru bon de se réclamer d’une dialectique historique qui a sous-tendu l’esprit de négativité propre à la philosophie russe de la fin du XIXème siècle. On ne soulignera jamais assez qu’Hegel a été l’un des inventeurs de la méthode historique et le maître à penser de tous ceux qui croient que décrire un processus selon une perspective historique, c’est en donner l’explication causale.

1.4. Le modèle kantien : figure de l’œuvre et du savant

Outre la dialectique hégelienne comme refus, l’autre paradigme qui a eu prise sur la génération de Marr est bien celui de l’œuvre totalisante, majestueuse, rationnellement construite et proposant des réponses radicales aux grandes questions métaphysiques du temps. Ce modèle revendique une part d’intuitivisme, parfois mystique. L’inspiration messianique du projet, la frontière floue entre science, philosophie et littérature, l’indifférence au champ disciplinaire, le mode de construction de l’objet scientifique, la figure prophétique de l’auteur-créateur, constituent les caractéristiques communes de l’œuvre.

Le rôle déterminant qu’a joué la Critique de la raison pure dans la manière de concevoir le travail théorique mérite une attention particulière. Rappelons brièvement que, parlant des fonctions de l’imagination dans l’activité créatrice, Kant y distingue imagination «reproductive» (mémoire) et «productive». L’imagination «reproductive» ne crée pas ex nihilo, mais renvoie à la conscience des expériences antérieures qu’elle réorganise éventuellement. La créativité est donc soit soumission soit transgression, selon qu’il s’agit d’activités gouvernées ou non par des règles.

A bien y regarder, l’œuvre de Marr répond aux canons kantiens, à commencer par le statut donné au génie. On peut ainsi avancer que les éléments les moins acceptables de la théorie de Marr, au plan de la forme et du contenu (figure du génie, dimension eschatologique, etc.), relèvent d’un cadre épistémologique général jugé «politiquement correct» au tournant des XIXème-XXème siècles. Y compris son «marxisme spontané». Ce kantisme hégélianisé encourage la hardiesse des créations théoriques et la génération de Marr, toutes idéologies confondues, saura la mettre à profit.

On trouve par exemple chez Marr et Florenskij un même mépris pour les cadres disciplinaires : ils revendiquent le droit de parler des langues hors de tout paradigme consacré. Florenskij invoque d’ailleurs l’intuition pour justifier ses propositions linguistiques sur les antinomies.21 Sa condescendance à l’égard des théories linguistiques est analogue à celle de Marr : ce qui autorise Florenskij à écrire à propos du concept d’antinomie que «la philosophie crée la langue, elle ne l’étudie pas» se trouve assumé par la proposition de Kant dans la Critique de la raison pure.

Popularisé par les travaux de l’école de Marburg représentés par Hermann Cohen22, Natorp et, plus tard, Cassirer, Kant n’a pu que confirmer Marr dans sa pratique scientifique. A son tour, suggère, C. Brandist,

le marrisme a légitimé l’usage privilégié qu’a fait Bakhtine du néo-kantisme de Marburg, du moins dans sa forme ‘hégélianisée’ développée par Ernst Cassirer, car ces théories faisaient partie de la conception marriste sur l’évolution stadiale du langage et de la culture23.

Ernst Cassirer a pu exercer sur Marr des influences multiples, tout en renforçant sans doute celle de Hegel. La relation entre langues et mythes, largement développée dans La philosophie des formes symboliques, renvoie Marr à Humboldt et au pont entre le subjectif et l’objectif que celui-ci voyait dans le signe phonétique. Il le renvoie également à Leibniz pour le cadre épistémologique. On sait que Marr a répété que la linguistique ne relevait pas uniquement des sciences humaines, mais aussi de la biologie et de la physiologie, entre autres (conviction partagée par Florenskij). C’est Cassirer qui a légitimé la transposition des modèles du savoir d’une branche de la science à l’autre. Il aura aussi contribué à construire un modèle des cultures en tant que telles, qui ne repose pas sur des différentiations nationales. Et, enfin, Cassirer a initié Marr à la théorie de Malinowski, selon laquelle l’étude des sociétés primitives méritait un statut égal à celui des sociétés occidentales. Positiviste, Malinowski voit un lien de causalité entre totems et noms et explique la culture en termes darwiniens.

En retraçant dans ses grandes lignes le cadre culturel, scientifique et idéologique qui caractérise la vie intellectuelle pré-révolutionnaire, nous voulons à la fois en montrer la cohérence globale et la continuité avec la période suivante peu à peu dominée par la vulgate marxiste-léniniste. La conception passablement floue de la dialectique engelsienne (qui conserve de l’idéalisme la question du rapport de représentation entre le concept et la réalité) permet à Marr de recycler des fragments théoriques hétéroclites et en partie délirants — les fameux quatre éléments — mais déjà suffisamment empreints de sociologisme et de darwinisme.

Il s’ensuit que l’idéalisme du japhétisme se révèlera parfaitement soluble dans la dialectique matérialiste d’Engels laquelle, par ailleurs, ne tardera pas à promouvoir la triade monde/pensée/langage, préparant ainsi le terrain au logicisme dès la fin des années 50.


2. Post-marrisme et néo-marrisme

Le présent article tente de soumettre à une critique serrée l’idée que le marrisme serait un phénomène atypique, voire scandaleux, explicable en termes de conjoncture politico-idéologique, auquel seul un changement de climat idéologique et la volonté du dictateur lui-même (intervention de Staline en 1950) pouvait mettre fin. Dans la première partie, nous avons insisté sur le faisceau de sources communes qui fait de Marr un savant de son temps. Dans la seconde partie, nous allons examiner le moment clé de l’histoire du marrisme : la transformation du japhétisme en «Nouvelle théorie du langage» sous la bannière du marxisme-léninisme. Nous tenterons de montrer que cette mutation s’effectue dans la continuité d’une dialectique hégélienne vulgarisée dont Engels s’est fait l’héritier, dans l’euphorie scientiste déclenchée par Darwin.

Ce nouveau paradigme philosophique qui accompagne la Révolution d’octobre va s’enraciner pour longtemps dans la linguistique soviétique, important des théories — celle du reflet, en particulier, — qui ne tarderont pas à devenir des dogmes acceptés par une partie de la sociolinguistique occidentale. La notion de co-variance, correspondant à une vision de la langue comme miroir, ou étiquetage, de la réalité en est l’un des principaux avatars.24 Cette approche mécaniste s’articulera très vite sur le référentialisme issu du positivisme logique, et deviendra un socle épistémologique indéboulonnable qui perdure jusqu’à nous.

A partir de cette analyse, nous dissocions deux moments distincts : le post-marrisme des compagnons de Marr, arrimé à la théorie du reflet, nullement remise en cause par le coup de semonce de Staline et qui va engendrer un nominocentrisme débridé (en particulier sous la forme d’une sémantique conceptuelle lancée par l’idéosémantique marriste) ; le néo-marrisme actuel, qui ressuscite la version forte du japhétisme en revenant sous les habits de la génétique aux spéculations sur la langue originelle et les «primitives» universelles. Ce courant bénéficie de l’impulsion donnée par le Web sémantique pour la création d’une interlangue universelle. Parmi les promoteurs de ce nouvel utopisme technologique, on trouve des linguistiques russes qui connaissent l’héritage marriste — visiblement toujours tabou — et qui, en tout cas, ont été formés dans le cadre d’une conceptologie, renforcée par le logicisme de la linguistique soviétique dominant à partir des années 60.

2.1. La médiation d’Engels

Nous maintenons l’hypothèse qu’il n’y a pas de fracture idéologique entre le premier Marr — le prophète du japhétisme issu de Humboldt et du romantisme allemand en général, pour lequel Hegel a été un maître incontesté — et le deuxième Marr qui, entre 1923 et 1931, réussira à se faire adouber par la direction idéologique de l’Académie des sciences. A l’instar des intellectuels de sa génération il est passé de la dialectique historique de Hegel à celle, darwinisée, de Engels. Il y a passage progressif d’une recherche théologique sur l’origine du langage à une recherche sur les causes de la fusion des langues dans une perspecive eschatologique (la fin de l’Histoire coïncide avec l’avènement du communisme et la fusion des langues). Quels qu’en aient été les arguments rationnels, il s’agit toujours d’un utopisme et «la violence que produit l’utopisme ressemble fort à une métaphysique évolutionniste, à une philosophie hystérique de l’histoire qui auraient quitté leurs rails, impatientes de sacrifier le présent aux fastes de l’avenir».25

2.1.1. La Théorie des stades

A la source de la théorie des stades sur laquelle se fonde la Nouvelle théorie du langage de Marr, on trouve à la fois la dialectique hégélienne (évolution par bonds) retravaillée par Engels et l’évolutionnisme darwinien. C’est par là que Marr participe à la naissance de l’ethnogénétique soviétique à partir des années vingt.26 Selon Slezkine justement, Marr tentera, contre les indo-européanistes, d’en finir avec l’opposition nature/culturequi légitimait la supériorité des races et langues européennes. En récusant l’existence des peuples primitifs, il rétablissait définitivement la justice généalogique et mettait en place un cadre holistique évolutionniste, logiquement consistant, qui combinait race, langue, culture et classe sociale. On voit par quel chemin il retrouve les objections de Malinowski contre les préjugés relatifs aux peuples primitifs. Quoiqu’il en soit, ce cadre holistique lui permet de résoudre son problème principal, à savoir dissocier cultures et nations afin de hisser les peuples japhétiques au même rang que les indo-européens et, par là-même, rendre justice aux langues caucasiennes. L’autonomie du bloc culture-langue est une condition nécessaire à la thèse d’une culture universelle sur la base du marxisme. En ce sens, Marr a participé à l’éclosion des études d’anthropologie culturelle dans les années 20.

2.1.2. Fluence universelle et darwinisme

Chez Engels, le mot «dialectique» concerne l’histoire, le mouvement, toute transformation en général. Il est associé au refus de conservatisme et recouvre «la fluence universelle». Engels cite, à l’appui de son mot d’ordre «tout est fluent»,27la transformation des espèces d’après la théorie de Darwin.

Ce thème du flux et des cycles perpétuels préfigure celui de la fusion des langues à l’étape du communisme chez Marr. Il correspondrait au post-humanisme annoncé par Engels dans Dialectique de la nature (1883), ouvrage où le darwinisme est le plus manifeste :

D’abord le travail et, en même temps que lui, le langage, sont les deux stimulants essentiels sous l’influence desquels le cerveau d’un singe s’est peu à peu transformé en un cerveau d’homme, qui, malgré toute ressemblance, le dépasse de loin en taille et en perfection. […] Le développement du cerveau et des sens qui lui sont subordonnés, la clarté croissante de la conscience, le développement de la faculté d’abstraction et de raisonnement ont réagi sur le travail et le langage et n’ont cessé de leur donner, à l’un et à l’autre, des impulsions nouvelles pour continuer à se perfectionner.28

Dans ce chapitre de Dialectique de la nature où le nom de Darwin est cité plusieurs fois, on voit comment Engels greffe sur le matérialisme évolutionniste de Darwin sa théorie du travail comme moteur de l’évolution. Il est en tout cas peu contestable que la thèse marriste d’une unité du processus glottogonique auquel seraient soumises toutes les langues du monde et qui se réaliserait par stades vient tout droit d’Engels. Entre 1926 et 1929, cette théorie impose à Marr des problématiques telles que la génèse des catégories grammaticales, la morphologie paléo-ontologique et la «démotique», ou relation entre histoire de la langue et histoire de la culture matérielle. On voit ainsi émerger sous la bannière du marxisme dialectique le premier fonctionnalisme russe, mélange d’empirisme engelsien et d’un formalisme qui fera plus tard alliance avec le positivisme logique. Plusieurs thématiques sortiront de ces rencontres insolites comme, par exemple, l’idéo-sémantique et le nominocentrisme en général ou le couple monde /pensée/ langue, monade incontournable de la philosophie du langage soviétique pendant trois décennies.

2.2. Du fonctionnalisme au positivisme logique

2.2.1. Un cadre durable

Le repositionnement institutionnel de Marr, dont l’Institut japhétique sera d’ailleurs rebaptisé en 1931 Institut de la langue et de la pensée traduit la mutation d’un japhétisme «idéaliste», teinté de marxisme sauvage à travers l’apport de Noiré et de sa théorie du «yo-he-ho»29en doctrine orthodoxe du point de vue du matérialisme de Engels. La «Nouvelle théorie» de Marr se retrouvera ainsi estampillée «méthodologie marxiste-léniniste». Il est excessif, selon nous, de ne voir dans cette conversion que la marque d’un opportunisme paranoïaque : le sociologisme réducteur de Noiré, le matérialisme darwinisé d’Engels servaient de référence aussi bien à Lévy-Bruhl, à Jespersen qu’à Marr, pour ne citer qu’eux. Le paradigme non critique qui se constitue sur l’héritage d’Engels obscurcit sans doute les tenants et les aboutissants du procès qui sera fait à la Nouvelle théorie du langage en 1950, puisque Staline restera hésitant sur la théorie des stades et la fusion des langues.

Rappelons que la perspective évolutionniste proposée par Engels donnait à Marr une échelle d’analyse sémantique en millénaires :

«à travers les mots que nous utilisons, ce ne sont pas quarante siècles qui nous regardent, mais au moins quarante millénaires. N’était-ce l’habitude et la banalité de notre pratique langagière, le moindre mot, tel ‘vache’, devrait nous mettre dans un état d’extase sacrée supérieur à celui que produisent les pyramides d’Egypte, étant donné leur écrasante antiquité. Ressusciter ne fût-ce qu’un seul mot des tréfonds de l’histoire signifie d’une certaine manière que l’on est tout près de révéler le secret de la pensée et du langage de toute l’humanité»30


Assumée par Engels, l’ambition de remonter aux origines semble s’imposer aux philosophes et aux linguistes de la génération de Marr et continuer après lui. On voit ainsi se substituer à une recherche des origines (réservée ou non à la langue) d’inspiration théologique, une recherche des origines dans un cadre matérialiste d’obédience darwinienne, revue par Engels31, qui demeure en Russie jusqu’à aujourd’hui, semble-t-il, un paradigme acceptable.

2.2.2. De la théorie du reflet à celle du concept

Avec son Matérialisme et empiriocriticisme (1908), Lénine est l’autre source de la théorie du reflet. En posant que la capacité de refléter le monde matériel est le préalable à l’apparition du langage, il a contribué à légitimer une approche communicationnelle du langage. Cela étant, certains points restaient à éclaircir, comme le mode de représentation des objets (objet isolé ou classe abstraite?) ou encore le problème de la pensée pré-linguistique. Pensée et langage étant apparus simultanément grâce au travail, il s’agissait de savoir si la pensée sans langage était possible (point de vue partagé par Staline) ou si la pensée transparaissait dans le langage. Dans ce débat, Engels est appelé à la rescousse. En effet, la fabrication de l’outil présupposant le langage : lorsque les hommes se mirent à communiquer, ils devaient avoir déjà développé une pensée relativement évoluée. Ce raisonnement suggère le primat du concept sur le mot. Ainsi voit-on s’élaborer autour de la dialectique langue/pensée un nouveau cadre de théorie linguistique en continuité avec les prémisses des années 1930, qui va légitimer par le marxisme-léninisme un virage vers le néo-positivisme. Dans les années 70, s’exprimeront des positions résolument anti-saussuriennes comme celle de O. Reznikov pour qui «la théorie du signe relative à la langue est foncièrement idéaliste, anti-scientifique et réactionnaire. Elle ne servirait qu’à répandre dans la linguistique l’agnosticisme le plus pernicieux»32. En effet, dans la mesure où le contenu du mot est le concept, donner le mot comme signe complet de l’objet conduit logiquement à affirmer que le concept est également le signe de l’objet extérieur. Significative dans ce débat est la position de A. Cikobava, inspirateur de la brochure de Staline sur la linguistique en 1950 : il confirme que la signification lexicale est la relation à l’objet désigné, consacrant le triangle d’Ogden et Richards publié en 1923. On sait que, à une décennie près, Ogden est le contemporain de Marr et que son ouvrage: Debabelization : With a Survey of Contemporary Opinion on the Problem of a Universal Language, paru à Londres en 1931, montre une grande proximité programmatique. Plus connu, The Meaning of Meaning, écrit en collaboration avec Richards, date de 1923. Bible de la sémantique réferentielle («comment les mots signifient»), cet ouvrage reçut la bénédiction de Malinowski qui appréciait hautement le diagramme représentant la triade symbole-concept-objet. Ogden et Richards ont ensuite créé le Basic English qui propose 850 mots correspondant aux concepts les plus utiles pour servir de deuxième langue universelle. Ogden a même tenté de traduire le chinois en Basic English, et c’est en Chine qu’il a inauguré le premier Institut orthologique en 1937. Héritiers de Hobbes et de Mill, Ogden et Richards se réclamaient d’un pragmatisme spontanément référentialiste : la pensée ayant précession sur le langage, toutes les langues disaient la même chose et leur surabondance — quelque 3000 — représentait un fléau. A leurs yeux, la domination de l’anglais trouvait une justification scientifique dans un cadre darwiniste où cette langue était tenue par certains linguistes — tel Jespersen — comme le fruit d’une sélection naturelle. A ce titre l’anglais simplifié servait deux maîtres qui avaient partie liée : le positivisme et le messianisme. Ses qualités intrinsèques le recommandaient pour aider à retrouver l’harmonie du monde, mythe évangélique par excellence.

Ironie du sort, ces travaux très critiqués à l’époque, sont aujourd’hui vus comme prophétiques par certains promoteurs du Web sémantique. Comment ne pas faire un parallèle avec le marrisme ?

2.2.3. Un fonctionnalisme déterministe

La démarche associative de Marr, qui établit par exemple un lien sémantique entre ruka (main) et nebo (ciel) illustre bien le caractère spéculatif de ce fonctionnalisme. Marr fait écho aux écrits d’Engels liant l’origine des langues à la spécialisation des pratiques. Ces pratiques sont chez Marr le pendant des mythes qui ont engendré les langues sacrées (langues de l’Inde et mythe prométhéen, par exemple). Elles se prolongent dans les terminologies socio-professionnelles, auxquelles Marr porte un grand intérêt comme en témoigne sa préface à l’ouvrage de E. Drezen sur les recherches en interlinguistique33, sachant que Drezen est aussi le fondateur de l’école soviétique de terminologie.34

Si l’on prend le manuel de linguistique générale publié par l’Académie des sciences en 1970 sous la responsabilité de B. Serebrennikov et auquel collaborent des chercheurs aussi éminents que A. Leontjev, on trouve dès le premier chapitre, intitulé Problème de l’essence du langage, la référence au texte d’Engels mentionné plus haut sur le rôle de la main et de l’outil dans l’émergence du langage. On est confronté à une explication déterministe, quasiment providentielle qui frappe par son caractère désuet.

Il s’en est suivi dans le contexte soviétique une adhésion aussi massive que peu discutée au fonctionnalisme sous toutes ses formes. L’Ecole de Prague et les travaux de Jakobson35 ont joué un rôle déterminant dans cette approche fonctionnaliste du langage. Mais il faut également considérer l’influence du fonctionnalisme anglo-saxon à partir des années 60. Cet alignement a été favorable aux conceptions purement référentielles du langage qui, à leur tour, ont légitimé un nominocentrisme ontologisant sous couvert d’études lexicologiques et terminologiques.

Ce fonctionnalisme déterministe sera désormais à l’œuvre dans les travaux de sociolinguistique soviétique et aboutira en particulier au triomphe du conformisme linguistique et social qui embrassera toute la période soviétique, néo-bourgeois et néo-stalinien à la fois, selon l’expression percutante de Patrick Sériot à propos de R. Budagov.36 Il alimentera les travaux de terminologie normative qui, à l’idéal de pureté de la langue dite «littéraire», associe celui de précision et d’exactitude des termes professionnels, constitués en petits cantons bien distincts. L’alliance entre fonctionnalisme et terminologie se fera naturellement, consacrée par des contributions de linguistes en vue comme l’article de G. Vinokur en 193937, selon lequel les termes ne sont pas des mots particuliers mais «des mots dans une fonction spécifique, celle de la dénomination». Cette définition du terme est bien à l’unisson des classifications fonctionnalistes du langage qui vont se succéder. La définition selon laquelle «le terme est une fonction, un mode d’utilisation et non un type spécifique d’unité lexicale» sera reprise par V. Gak.38

Le dogme de «la langue à l’ère de la révolution scientique et technique» est diffusé par tous les maîtres à penser de la linguistique des années 1970, à commencer par R. Budagov39, V. Ovcarenko ou P. Denisov, pour ne citer qu’eux. Invoquant invariablement V. Vinogradov, une pléiade d’auteurs développent tout au long des années 1970 la doctrine des styles fonctionnels de la «prose scientifique et technique».

S’agissant des propriétés du terme, la position de A. Reformatskij, que nous avons vu hésiter plus haut dans son jugement sur Marr, tout en présentant plus de subtilité, demeure représentative de cette double allégeance au fonctionnalisme («toute terminologie est l’institut d’un groupe social donné») et au formalisme, fût-ce par l’influence de la phénoménologie de G. Špet.40

2.2.4. Référentialisme et nominocentrisme 

La conception du langage de Reformatskij présente un intérêt tout particulier dans la mesure où son Introduction à la linguistique 41 publiée en 1947, rééditée dans une version expurgée des nombreuses références au marrisme en 1955, 1960 et 1967, figurera parmi les manuels de référence de la génération suivante. Les linguistes de l’école de linguistique structurale de Moscou (A. Rezvin, V. Ivanov, par exemple) et les fondateurs de la traduction automatique en URSS se réclameront de Reformatskij. On peut lui attribuer le rôle de propagateur de la sémantique logique et, en tant que tel, il ne pouvait que proposer une approche référentialiste de la langue. Le paradigme de l’analyse logique du langage, souvent présenté sous le drapeau de la cybernétique, va regrouper des syntacticiens comme E. Paduceva, N. Arutjunova ou I. Šatunovskij et des sémanticiens comme A. Ufimceva 42 et Ju. Apresjan. Ainsi, l’exploration d’Apresjan dans le domaine des «moyens synonymiques du langage» présuppose la prééminence du concept sur le mot et préfigure les synsets du WordNet43. Et le modèle sens-texte lui-même relève incontestablement d’une approche logiciste des langues.

Dans le sillage de Marr, des linguistes comme Abaev avaient largement contribué à développer une approche ontologisante de la langue et du monde. La notion d’idéo-sémantique, développée par Abaev, peut ainsi être considérée comme une variante des études paléo-ontologiques de Marr. Le mérite de Marr, souligne Abaev, est «d’avoir mis en évidence les bonds qualitatifs qui sont intervenus dans l’histoire de la langue-pensée humaine et d’avoir montré qu’à chaque époque et à chaque stade du développement de la société humaine correspondent des lois spécifiques de conscientisation et d’expression des objets de l’expérience». 44

Le lexique se trouve ainsi naturellement placé au centre de l’attention. Les études lexicographiques connaissent jusqu’à nous une fortune indiscutable dans les rangs des linguistes soviétiques et russes. Il y a peu, on trouvait à la tête de l’Académie des sciences des hommes comme O. Trubacev et Ju. Karaulov qui se sont illustrés dans une lexicologie conceptuelle assez hasardeuse45, ce dernier allant jusqu’à proposer une idéographie générale de la langue russe. Les travaux de V. Morkovkin s’inscrivent dans ce courant. Ainsi, ce linguiste aujourd’hui ukrainien participe-t-il à la construction d’une «Lexical Base as a compressed Language Model of the World». V. Serebrennikov, cité plus haut, appartient également à la mouvance ontologisante 46.

Le succès non démenti du réalisme tient sans doute à la pérennité de la triade langue-pensée-monde dans la linguistique russe. Solidement ancré par la génération de Marr, il gardera une position dominante à laquelle la sémantique cognitive donnera une vigueur nouvelle. La quête de «primitives» est aujourd’hui revendiquée par des sémanticiens qui se sont nourris aux mêmes sources que le marrisme (Anna Wierzbicka, entre autres, héritière de Leibniz et du néo-thomisme polonais). Dans leur cosmopolitisme méthodologique, les méditations sémantiques de Wierzbicka ont une touche mystique qui n’est pas si loin de Marr et de ses quatre éléments primitifs.

Parallèlement, la question initiale des origines du langage n’a guère quitté la scène grâce aux recherches d’obédience psycholinguistiques ou de quête de «primitives» sous le drapeau de la cybernétique (traduction automatique). Rien d’étonnant que des linguistes russes, héritiers d’une tradition qui a consisté à coupler origine du langage, darwinisme bio-social et idéalisme humboldtien s’expriment aujourd’hui dans un cadre nouveau d’utopisme technologique.

2.3. Retour de Marr par la bio-génétique ?

Il est amusant de noter que ce que l’on considère aujourd’hui chez Marr comme anticipation (ses intuitions sur la relation entre code génétique et langues, notamment) était à l’époque considérations banales, et de voir l’idéologie cognitiviste réhabiliter aujourd’hui cette dimension prophétique du marrisme.

Ainsi, le regain d’intérêt pour la question de l’origine des langues dans le cadre de l’Intelligence artificielle (création de robots parlants, par exemple) a consacré hâtivement des travaux qui n’offrent guère plus de garantie que Marr en matière de scientificité. C’est en partie vrai de certaines hypothèses de Renfrew sur l’indo-européen qui postulent l’équation langue commune/civilisation unique. Faute de tenir compte de la diachronie des mots et des changements socioculturels intervenus dans la durée, Renfrew déduit en effet de données archéologiques l’existence d’une ethnie indo-européenne antérieure aux invasions achéennes. Cette position peut laisser croire qu’il a existé une «race indo-européenne» préfigurant à son tour une «race aryenne».

Citons encore les travaux de Meritt Ruhlen, élève de Greenberg, sur la recherche de racines communes ou l’hypothèse de Cavalli-Sforza sur la détermination du patrimoine sémiotique par la génétique. L’engouement pour les théories bio-génétiques est perceptible chez Ju. Stepanov qui s’appuie sur les travaux de K. Lorentz sur le passage du biologique au culturel dans un article très discutable co-signé S. Proskurin, portant sur la théorie de l’action et l’intentionnalité.47 Dans un ouvrage de 1997, Konstanty. Slovar’ russkoj kultury, le même Stepanov évoque «le caractère fructueux et plein de perspectives des observations de Marr sur les séries parallèles des choses et de leur dénomination».48 Avec un décalage d’une bonne décennie, la linguistique russe s’est engouffrée dans le paradigme cognitiviste qu’elle exploite souvent dans le sens d’un nationalisme culturel.

On ne s’étonnera pas que les travaux qui bénéficient du plus grand prestige soient d’origine anglo-saxonne et liés à des enjeux technologiques. Il en est ainsi des nombreux projets de construction métalinguistique, tel le «Tower of Babel, Evolution of Human Language Project», de S. Starostin, financé par l’Institut de Santa Fe au Nouveau Mexique et sa section «Evolution du langage humain». Sous le patronage de Ruhlen, Cavalli-Sforza et Murray Gell-Mann, des recherches sur la «langue ancestrale originelle», le nostratique, les cognates eurasiatiques et l’hypothèse altaïque sont menées à Santa Fe. S’y côtoient des généticiens et des linguistes tels que S. Starostin, V. Ivanov et T. Gamkrelidze ou encore A. Vovin. Les présupposés de ces chantiers souvent mégalomaniaques n’indiquent aucune rupture fondamentale avec les conceptions ontologisantes de Marr. Il y a simplement inversion de signe idéologique dans la prophétie : le village planétaire ne verra pas la fusion des langues dans le communisme. Il partagera des ontologies universelles pour le e-commerce auquel l’anglais servira de réservoir conceptuel dans l’attente de la révélation de la «langue mère» à laquelle se consacrent avec un zèle mystique les chercheurs de Santa Fe. Il y va de la débabélisation du monde, programme lancé par Ogden et Richards dans les années 30.


Conclusion

Le retour actuel aux problématiques des années 1920-30 sur l’origine des langues et les prophéties d’ontologie universelle nous enseignent qu’en matière de théories scientifiques, la notion d’acceptabilité dépend de la communauté dominante (épistémologie linguistique vsinformatique dans le cas actuel), d’enjeux idéologiques et économiques et, naturellement, de facteurs historiques et sociétaux particuliers. Elle nous montre également que, par le jeu des reconfigurations, les théories les plus décriées peuvent survivre clandestinement pour resurgir un jour sous d’autres cautions, ressuscitant silencieusement des idées naguère taboues.

Aussi rejoignons-nous sur ce point les conclusions de V. Bazylev : «on peut dire que toute la linguistique soviétique (aussi bien la ‘Nouvelle doctrine du langage’ des années 1920-1950 que les tentatives de s’approprier les méthodes de la linguistique occidentale à partir de la fin des années 1950, du structuralisme jusqu’au boom cognitiviste des années 1990) s’est développée sous le signe du marrisme»49.


NOTES

1 Yaguello, 1984, p. 94. Ce n’est pas dans l’arriération réelle sur bien d’autres points, de la Russie qu’il faut rechercher la cause du succès du marrisme ; mais bien plutôt dans la curieuse histoire de la rencontre de deux folies, toutes deux issues du Caucase.

2 Les noms — propres et communs — sont privilégiés par rapport aux autres parties du discours, et la langue est vue d’abord sous sa dimension taxinomique comme en témoigne le succès des ontologies générales.

3 Vinogradov, 1947, p. 12. Le logicisme de V. Vinogradov est encore plus flagrant lorsqu’il s’applique à la «langue littéraire» puisqu’il relie l’émergence des normes littéraires à la simplification induite par le réalisme «comme reflet artistique de la réalité», cf. Vinogradov, 1961, p. 446.

4 Cf. Derrida, 1996. Evoquant la situation des Juifs d’Afrique du Nord, qui n’ont accès ni à l’hébreu ni au ladino et ne parlent pas non plus l’arabe, Derrida souligne cette souffrance particulière «d’un mode d’appropriation aimante et désespérée de la langue» vécue dans sa chair.

5 La quête de justice «généalogique» qui fonde son ambition de renverser la théorie indo-européenne et ses «fétiches», excluant notamment les langues caucasiennes, s’impose dès sa soutenance de thèse en 1899.

6 Nous nous référons aux cinq volumes des œuvres choisies (Izbrannye raboty) publiés entre 1933 et 1937.

7 Gaston Paris (1839-1903) fut un philologue spécialiste des langues romanes de grande réputation. Membre du Collège de France dont il fut un temps l’administrateur, il fonda la Casa Velazquez, Ecole française à Madrid destinée à la promotion de la cause celto-ibère.

8 Darmesteter, 1893.

9 Cassirer, 1902.

10 Thomas, 1957, p. 91.

11 Ib., p. 111-112

12 Cité par Cassirer, 1972, p. 256-257.

13 Ib., p. 135

14 Koyré, 1929.

15 Sériot, 1996, note 4, p. 35.

16 Koyré, 1950.

17 Sériot, 1996.

18 Marr, 1935.

19 Sériot, 1996, p. 115-151.

20 Sériot, 1996, p. 15.

21 Florenskij, 1914, trad. française, 1975, p. 485 : «Pour éviter des malentendus, il ne serait pas inutile de rappeler que l’objet véritable de nos considérations est la vie intérieure et non pas la linguistique. Voilà pourquoi nous nous référons délibérément ici, ainsi qu’en maints autres passages, à des étymologies considérées comme douteuses, ou tout au moins, comme insuffisamment établies. Les théories linguistiques ne sont pas pour nous des arguments au sens propre. (…)».

22 Cohen, 1902.

23 Brandist, 2003, p. 60.

24 Cf. Sériot, 1982.

25 Popper, 1985, p. 527.

26 Slezkine, 1996.

27 Engels, 1876, introduction.

28 Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, http://abu.cnam.fr/BIB/auteurs/engelsf.html

29 La théorie du yo-he-ho se résume à ceci : au cours d’un effort musculaire intense, l’organisme est soulagé par une émission d’air forte et répétée, ce qui entraîne diverses sortes de vibrations des cordes vocales ; ainsi, quand des tâches primitives étaient effectuées en commun, elles s’accompagnaient tout naturellement de certains sons qui finissaient par être associés à l’idée de l’acte accompli et servaient à le désigner ; en conséquence, les premiers mots signifieraient quelque chose comme ‘hisser’ ou ‘haler’. Cité par Jespersen, 1976, p. 401.

30 Abaev, 1948.

31 Engels, 1883, Dialectique de la nature, chap. «Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme» : «(…) même les savants matérialistes de l’école de Darwin ne peuvent toujours pas se faire une idée claire de l’origine de l’homme, car, sous l’influence de cette idéologie, ils ne reconnaissent pas le rôle que le travail a joué dans cette évolution».

32 Reznikov, 1964. Notons que Reznikov est aussi l’auteur d’un article sur la gnoséologie du pragmatisme et de de la sémiotique de Charles Morris, paru dans Voprosy filosofii, 1963, n°1.

33 Drezen, 1928.

34 Slodzian, 1994/95.

35 Jakobson 1957.

36 Notes du séminaire donné par Patrick Sériot à l’EHESS.

37 Vinokur, 1939.

38 Gak, 1971, p. 9.

39 Budagov, 1975.

40 Reformatskij, 1961.

41 Reformatskij, 1947.

42 Ufimceva, 1968.

43 Fellbaum, 1998.

44 Abaev, 1948.

45 Karaulov, 1976; Trubacev, 1994. Par ailleurs, les articles de Karaulov des années soixante portaient sur les parentés entre terminologies et cultures matérielles proto-slaves, proto-germains et proto-italiens.

46 Serebrennikov, Kubrjakova, Postoslava et al., 1988.

47 Stepanov, Proskurin, 1992.

48 Bazylev, 2003.

49 Bazylev, 2003.


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©  décembre 2005 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : SLODZIAN, Monique. Actualité de Marr ou permanence de l'utopie. Texto! [en ligne], décembre 2005, vol. X, n°4. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Inedits/Slodzian_Marr.html>. (Consultée le ...).