THOUARD, Denis. Le partage des idées : Etudes sur la forme de la philosophie. Paris : Editions du CNRS, 2006.
Si la philosophie vise bien une vérité, elle ne peut être indifférente à sa communication. Le vrai doit être dit pour tous, car il vaut pour tous. Telle est la conviction des siècles démocratiques, héritiers des idéaux des Lumières. Mais comment être assuré qu’il sera compris ?
Les études ici réunies, consacrées aux Lumières et à l’ensemble romantique et idéaliste allemand, présentent plusieurs tentatives et reviennent sur leurs apories. Dans la lignée d’un rationalisme triomphant, les Lumières ont cherché à « populariser » la philosophie, privilégiant la clarté du discours. Mais cette pédagogie rencontre une double limite, qui tient à la simplification des contenus et à l’impossibilité d’éviter tout malentendu. En réaction aux illusions d’une communication accomplie sous le signe de la raison universelle, des stratégies alternatives ont vu le jour. De Kant à Fichte, de Hegel à Schlegel, Schelling ou Schleiermacher, les formes les plus diverses ont pu être essayées, trahissant la tension entre l’individualité de la forme et l’universalité de la prétention au vrai. On analysera ici le poème didactique, le fragment, le dialogue et le récit à partir de cas exemplaires où la philosophie s’approprie des genres hétérogènes comme le poème de Lucrèce, la maxime des moralistes français, le dialogue platonicien ou l’épopée homérique.
Entre le désir de science et la tentation de la littérature, la philosophie a exploré, des Lumières au romantisme, de multiples voies pour assurer sa communication. Réfléchissant sur les apories d’une pédagogie de la clarté autant que d’une réduction de la philosophie à l’écriture, l’ouvrage plaide pour un pluralisme des formes qui engage l’activité du lecteur.
L’ouvrage examine la question de la communication de la philosophie – et au- delà de la divulgation du savoir- à partir des solutions esquissées par les philosophes des Lumières et de l’Idéalisme allemand. Si la raison est universelle ou dans les mots de Descartes si « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », comment la rendre effectivement accessible au lecteur ? Car la philosophie est aussi réputée difficile d’accès, technique et trop souvent jargonneuse.
L’originalité est de suivre certaines tentatives d’inventer une nouvelle forme pour exposer la pensée chez plusieurs grands philosophes de la modernité, de Kant à Hegel ou Fichte, en les confrontant à des formes classiques, comme le dialogue platonicien, le poème didactique lucrétien ou encore la maxime des moralistes. L’étude de détail conduit, par sa précision, à reposer à nouveaux frais la question — en évitant tout survol superficiel ou tout effet d’actualisation forcé.
Ces questions n’ont d’ailleurs pas perdu de leur actualité, tant du côté de la « demande de philosophie » (voir Bouveresse) venue de la société, dont témoignent les engouements pour les cafés-philo, les romans philosophiques ou certaines œuvres de vulgarisation, que du côté de la réflexion des philosophes sur les formes de leur écriture.
En un sens, il s’agit bien d’une réflexion de fond sur la pédagogie de la philosophie qui engage un parti pris en faveur d’un apprentissage de la lecture philosophique.
Denis Thouard, Directeur de recherche au CNRS (UMR « Savoirs, Textes, Langage » à Lille), actuellement à l’Université de Munich, travaille sur les problèmes du langage et de l’interprétation, notamment sur la tradition herméneutique. Il a publié Kant (Belles Lettres, 2001), Schleiermacher (Vrin, à paraître) et édité Symphilosophie. Friedrich Schlegel à Iéna (Vrin, 2002), Aristote au XIXe siècle (P. U. Septentrion, 2004), L’interprétation des indices (P. U. septentrion, 2006).
Lire l'Introduction, p. 5-17.
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