SÉMANTIQUE TEXTUELLE 1

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3.2.2. Classes, isotopies , typologie sémique, opérations interprétatives

A. Classes et isotopies

Les classes sont au nombre de trois. On les présentera par ordre de généralité décroissante :

Une dimension est la classe de plus grande généralité. Elle inclut des sémèmes ayant le même trait générique à grande généralité (sème macrogénérique), comme /animé/ ou /humain/, /concret/, /abstrait/… (cf. les traits de sélection de la grammaire générative), avec souvent des relations d’opposition du type /animé/ vs /inanimé/.

Un domaine est une classe intermédiaire qui comprend des sémèmes (plus exactement des sous-ensembles de sémèmes, cf. plus bas) ayant un même trait générique de moindre généralité (sème mésogénérique) et qui correspond à une pratique sociale, par exemple /alimentation/ ; on trouve trace dans les dictionnaires de ce concept de domaine dans le recours aux abréviations comme cuis. (pour cuisine), mar. (pour maritime), jur. (pour juridique) pour indexer la signification d’un terme. Il est à noter que dans un domaine donné il n’existe pas de polysémie en principe (ni de connexion métaphorique entre membres d’un même domaine : la métaphore s’établit généralement entre domaines différents, ex. « Chirac transforme un essai » connecte les domaines //sports// et //politique//) : ‘canapé’ renvoie soit au domaine //alimentation//, soit au domaine //habitation//. La composition et l’inventaire des domaines sont liés à des normes sociales. Alors que les dimensions sont groupées en petites catégories fermées et qu ‘elles sont indépendantes des domaines (une même dimension peut concerner des domaines différents et un même domaine peut être traversé par des dimensions différentes), les domaines sont en beaucoup plus grand nombre et le domaine est en général constitué d’un groupe de taxèmes lié à une pratique sociale et il est commun aux divers genres propres au discours qui correspond à cette pratique.

Le taxème est la classe la plus basse, c’est une classe de sémèmes minimale en langue ; là se trouve défini le sème de plus faible généralité du sémème (sème microgénérique) ainsi que les sèmes spécifiques. Les taxèmes sont le reflet de situations de choix dans des pratiques concrètes ou théoriques ; par exemple, les sémèmes {‘métro’, ‘train’, ‘autobus’, ‘autocar’} relèvent du domaine //transports// (moyens collectifs) articulé en deux taxèmes, le taxème //ferré// (comprenant les sémèmes ‘métro’ et ‘train’ opposés par les sèmes spécifiques /intra-urbain/ et /extra-urbain/) et le taxème //routier// (comprenant les sémèmes ‘autobus’ et ‘autocar’ différenciés, eux aussi, par les sèmes spécifiques /intra-urbain/ et /extra-urbain/). A noter que la présentation qui ferait de /intra-urbain/ et /extra-urbain/ des traits microgénériques et de /ferré/ et /routier/ des traits spécifiques correspondrait aux situations pragmatiques les plus courantes : en principe, on choisit un moyen de transport en fonction de sa destination, et non parce qu’il est ferré ou routier. Mais les deux analyses restent valables, cela dépend de la situation, du contexte et on voit par là qu’aucun trait n’est par nature spécifique ou générique. Le taxème est pratiquement la seule classe nécessaire et diverses relations peuvent articuler les membres d’un taxème : contrariété, contradiction, gradualité, implication, complémentarité ; souvent, les énumérations linéarisent des taxèmes, parfois créés par le texte (ex. du texte publicitaire Bénédicta : « amour, fraternité et mayonnaise » ! ou certaines énumérations de J. Prévert). Tous les taxèmes ne relèvent pas d’un domaine (ex. des taxèmes grammaticaux comme le nombre).

Ainsi donc, par exemple, le sémème ‘cuiller’ aura les sèmes  suivants :
sème /couvert/ (microgénérique, appartenance à un taxème)
sème /alimentation/ (mésogénérique, appartenance à un domaine)
sèmes /concret/, /inanimé/ (macrogénériques, appartenance à des dimensions)
mais aussi, notamment, le sème spécifique /pour puiser/ opposé au sème spécifique /pour couper/ de ‘couteau’ appartenant au même taxème //couvert//

Nous allons voir de façon plus précise la typologie sémique, mais il convient auparavant, en relation avec les notions qui viennent d’être vues,  d’évoquer le concept d’isotopie. L’isotopie sémantique, plus particulièrement, est un « effet de la récurrence syntagmatique d’un même sème » (FR, 94) ; l’itération de ce sème identique (dit « sème isotopant ») induit des relations d’équivalence entre les sémèmes qui l’ incluent et on peut ainsi établir des isotopies. On reconnaît là quelque chose d’analogue aux principes et à la constitution des champs lexicaux. Les deux démarches présentent de fortes analogies : elles reposent sur une analyse sémantique différentielle et la constitution d’ensembles sur une base sémantique et non morphologique, adoptent une présentation paradigmatique (tabulaire) d’un phénomène syntagmatique, visent à une certaine exhaustivité dans les relevés. Mais, l’étude par les champs lexicaux est fondée sur des catégories générales, un peu a priori, et non sur une typologie des classes, contextuelles notamment (se pose alors la question de la pertinence d’un relevé minutieux qui n’est pas cadré par des classes repérées dans le texte et qui assurent un meilleur contrôle de l’indexation) ; ce type de méthode ne repose pas sur une typologie sémique (pas de distinction entre générique et spécifique, elle-même tributaire de la notion de classe, ni entre inhérent et afférent – cf. plus bas dans la typologie) ; l’étude  du rapport des sémantismes y est confiée au commentaire où entrent en jeu les considérations morpho-syntaxiques de mise en relation (d’où un certain cloisonnement, un peu artificiel, entre l’indexation et le commentaire, d’autant que celle-ci s’appuie assez souvent sur des éléments de celui-ci et on a l’impression d’être encore tributaire d’une problématique du signe…). Néanmoins, la méthode des champs lexicaux, par les qualités d’observation, d’analyse et de raisonnement qu’elle exige, par les questionnements même qu’elle soulève, est une première étape fort importante pédagogiquement et théoriquement qui prépare à l’analyse isotopique dont l’examen détaillé et assez difficile est reporté en licence.

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