SÉMANTIQUE TEXTUELLE 2

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2.5. Isotopies

Le concept d’isotopie doit être mis en relation avec les notions (classes) qui viennent d’être vues. L’isotopie sémantique, plus particulièrement, est un « effet de la récurrence syntagmatique d’un même sème » (FR, 94) ; l’itération de ce sème identique (dit « sème isotopant ») induit des relations d’équivalence entre les sémèmes qui l’ incluent et on peut ainsi établir des isotopies. On reconnaît là quelque chose d’analogue aux principes et à la constitution des champs lexicaux. Les deux démarches présentent de fortes analogies : elles reposent sur une analyse sémantique différentielle et la constitution d’ensembles sur une base sémantique et non morphologique, adoptent une présentation paradigmatique (tabulaire) d’un phénomène syntagmatique, visent à une certaine exhaustivité dans les relevés. Mais, l’étude par les champs lexicaux est fondée sur des catégories générales , un peu a priori, et non sur une typologie des classes, contextuelles notamment (se pose alors la question de la pertinence d’un relevé minutieux qui n’est pas cadré par des classes repérées dans le texte et qui assurent un meilleur contrôle de l’indexation) ; ce type de méthode ne repose pas sur une typologie sémique (pas de distinction entre générique et spécifique, elle-même tributaire de la notion de classe, ni entre inhérent et afférent – cf. plus haut dans la typologie) ; l’étude  du rapport des sémantismes y est confiée au commentaire où entrent en jeu les considérations morpho-syntaxiques de mise en relation (d’où un certain cloisonnement, un peu artificiel, entre l’indexation et le commentaire, d’autant que celle-ci s’appuie assez souvent sur des éléments de celui-ci et on a l’impression d’être encore tributaire d’une problématique du signe…). Néanmoins, la méthode des champs lexicaux, par les qualités d’observation, d’analyse et de raisonnement qu’elle exige, par les questionnements même qu’elle soulève, est une première étape fort importante pédagogiquement et théoriquement qui prépare à l’analyse isotopique.
La distinction, primordiale, entre sèmes spécifiques et génériques, outre qu’elle conduit à diviser le sémème en deux parties (le sémantème et le classème, cf. plus bas), permet, en association avec le phénomène de récurrence, de construire des isotopies génériques et spécifiques, qui sont fondamentales pour l’interprétation textuelle.

Comme les sèmes génériques, les isotopies constituées par la récurrence de sèmes génériques, ou isotopies génériques, se divisent en trois classes : 

- La récurrence d’un sème macrogénérique indexant des sémèmes appartenant à une même dimension constitue une isotopie macrogénérique : dans « le hérisson insectivore n’est pas de la même famille que le porc-épic », le trait /animé/, voire /animal/, est présent dans à peu près tous les termes ; cette récurrence constitue une isotopie macrogénérique.

- La récurrence d’un sème mésogénérique indexant des sémèmes appartenant à un même domaine constitue une isotopie mésogénérique : dans « l’amiral ordonna de carguer les voiles », le trait /navigation/ est présent dans ‘amiral’ et ‘carguer les voiles’ ; cette récurrence constitue une isotopie mésogénérique.

- La récurrence d’un sème microgénérique indexant des sémèmes appartenant au même taxème constitue une isotopie microgénérique : dans « whiskey, porto ou banyuls ? » nous avons la récurrence du trait /apéritif/ ou encore dans « et l’entrecôte, bleue, saignante, à point, bien cuite ? » nous avons la récurrence du trait /degré de cuisson/ ; ces récurrences constituent des isotopies microgénériques.

Les isotopies génériques sont liées en règle générale à des classes codifiées en langue ou socialement normées ; c’est pourquoi elles sont aptes à produire des impressions référentielles. Elles permettent souvent d’établir la thématique du texte (le sujet, ce dont il est question), les fonds sémantiques.

Les isotopies spécifiques, formes sémantiques, reposent sur des récurrences de sèmes spécifiques, lesquels ne marquent pas l’appartenance des sémèmes à des classes, mais au contraire les distinguent en leur sein : dans « l’aube allume la source » (P. Eluard), le trait /inchoatif/ présent dans ‘aube’, ‘allume’ et ‘source’, et donc récurrent, constitue une isotopie spécifique. Les isotopies spécifiques, permettant notamment d’analyser en détail les isotopies génériques et de les articuler entre elles, peuvent indexer des sémèmes appartenant au même domaine ou à la même dimension (mais non au même taxème, sinon le trait isotopant serait alors générique), mais elles peuvent aussi indexer des sémèmes appartenant à des taxèmes, domaines, dimensions différents : des isotopies spécifiques peuvent alors participer à des connexions métaphoriques ; par exemple, quand Hugo parle de la « faucille d’or » pour évoquer la lune, le trait spécifique /en forme de croissant/ constitue une isotopie entre ‘lune’ et ‘faucille’ alors que les deux sémèmes ne relèvent pas du même domaine, ni a fortiori du même taxème (domaine //astronomie// et taxème //corps célestes// d’un côté, et, de l’autre, domaine //agriculture// et taxème //instruments agricoles//), tous deux possédant le trait dimensionnel /inanimé/.

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