SÉMANTIQUE  DU SLOGAN PUBLICITAIRE

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Exemples traités

1. Homonymie
-"Lego développe l'ego"

2. Polysémie
-"les commerçants de mon quartier savent être commerçants" (publicité d'une association de commerçants)
-"à ce prix-là, elle ne devrait pas être à ce prix-là" (publicité Leclerc pour une bague)
-["l'assurance à tout prix, mais pas à n'importe quel prix" (assurance GAN)]
-"la chaleur des nouveautés" (Arts et feu, publicité pour cheminées)
-"en Norvège, plus il fait froid, plus on se frotte les mains" (Neutrogena)
-"vos enfants méritent une bonne tarte. Vous aussi - Bref, mangez des pommes" (publicité pour producteur de fruits)
-["on part avec un sac sous le bras. On revient avec des valises sous les yeux"
- "Ici la mer est bleue et les nuits sont blanches" (club Med)]
-["un accueil nickel, un soleil de plomb, un teint de bronze pour très

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peu d'argent – Voyagez grand, dépensez petit" (agence de voyage)]
- "Religieuse au Canderel, Baba au Canderel, Charlotte au Canderel, Petits Suisses au Canderel, Tropézienne au Canderel"

3. Antonymie
- "vous choisissez entre confort et beauté? Moi pas" (publicité pour une marque de soutien-gorge)

4. Hyperonymie/hyponymie
- "on peut égarer une cerise parmi des cerises, on ne peut égarer une Lancia parmi des voitures"
- "des pâtes oui, mais des Panzani"
- "quand on a besoin d'une voiture, on a besoin d'une Toyota"
- "il y a la lumière et il y a Osram" (marque d'ampoules électriques)
- "au lieu d'acheter une voiture, achetez une SAAB"
- "quand on regarde Canal +, au moins on n'est pas devant la télé"
- "dis papa, c'était quoi, avant, une voiture?" (nouvelle Mercedes)
- "achetez un portable - pas un jetable" (Nokia)
- "un portable — un Siemens"
- "une Yamaha pour le prix d'une tondeuse"

N.B. certains exemples sont encadrés par des crochets ; cela signifie qu'ils ne se rattachent qu'indirectement à la relation de sens envisagée.

- Le message publicitaire, en général, vise à faire-faire, mais en s'appuyant, le plus souvent, sur un faire-savoir/croire ; ce dernier peut se présenter comme une argumentation (en forme de raisonnement) et/ou comme un travail sur l'axiologie (valorisation). Plutôt que d'argumentation à proprement parler, je vais parler des effets persuasifs produits/recherchés par l'utilisation de certaines structures sémantiques, pouvant produire une émergence de valeurs. D'ailleurs, l'argumentation elle-même ne peut probablement se déployer qu'à partir de valeurs (plans axiologique et thymique).

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Remarques sur le titre de la communication

- slogan : Je ne suis pas sûr que tous les textes verbaux publicitaires présentés dans cette intervention soient des slogans au sens strict (cf. définition du Petit Robert  : " (<écossais : cri de guerre d'un clan : formule concise et frappante utilisée pour la publicité, la propagande politique etc. cf. devise"). Si "Soyez Naf-Naf" ou "Soyez Morgan" apparaissent bien comme des slogans, c'est moins évident pour des énoncés comme "Quand on regarde C+, au moins on n'est pas devant la télé". Je parlerai donc plus généralement des énoncés, assez développés mais relativement brefs, accompagnant du visuel, mais le visuel ne fera pas l'objet d'une analyse spécifique, sinon pour comprendre certaines interactions éclairant le sens de l'énoncé. Autre spécificité : il s'agit surtout de publicités "routières" (panneaux, murs, arrières de bus), ce qui explique la relative brièveté des énoncés et la rotation rapide des publicités que je n'ai pu photographier. Il faudrait d'ailleurs voir si ce n'est pas un nouveau genre qui apparaît en relation avec la pratique sociale hautement développée du déplacement des citoyens-consommateurs...

- sémantique : Si on prend ce terme au sens large de "étude de la signification", la réflexion pourrait englober l'examen de la signification en général de toute sorte de slogans/textes. Il y aurait par exemple fort à faire avec les énoncés suivants conçus pour une marque de voiture et qui se comprennent par rapport à l'énoncé visuel qui présente une voiture et une femme extrêmement séduisante (suivant certains canons) : "A votre avis, lequel de ces deux top models vous coûtera le moins cher ?" et "A votre avis, lequel de ces deux top models préférera votre femme ?". Il est certes intéressant de constater qu'ici la femme est en concurrence avec la voiture (deux objets de valeur dont l'un, la voiture, est à préférer) au lieu que souvent la femme a un rôle d'accompagnement axiologique (érotisation du produit, qui est toutefois présente ici aussi du fait que l'on compare les deux objets, mais ici apparaît une image négative ou moins positive de la femme) ; mais l'effet de sens majeur se situe plutôt au niveau de certaines insinuations/allusions d'allure sociologique (le premier énoncé comportant, en outre, une bonne dose de médisance : vénalité des top models féminins ; seule thématique de l'infidélité dans le second exemple). Certes, la comparaison des "produits" s'effectue sur la base d'une expression linguistique commune ("top model" : désigne une femme généralement, d'où l'érotisation de la voiture, à quoi s'ajoute l'idée d'excellence), ce qui me ramène à ma perspective : j'en resterai, pour le plan sémantique, à des aspects strictement linguistiques en prenant comme cadre surtout les relations de

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sens classiquement décrites en sémantique : homonymie, polysémie, synonymie, antonymie, hyper/hyponymie - avec une attention particulière pour cette dernière où jouent les notions d'extension et de compréhension ; la question des sens littéral, figuré, métaphorique sera abordée aussi. Je voudrais montrer comment la persuasion, dans le texte publicitaire, peut naître de ce travail sur les relations de sens.


1. Homonymie

Le jeu sur les signifiants, producteur de signification, est bien sûr à mettre en rapport avec la notion de "fonction poétique" comme l'entend R. Jakobson. Ce travail graduel peut concerner, in praesentia, de simples récurrences phoniques ("Gervais j'en veux"), une paronymie plus ou moins poussée ("Géant, j'ai envie") - on peut avoir des paronymies induites par le contexte mais in absentia "Faites votre choix, le nôtre est frais" (Banette, type de pain : actualisation des deux sens "fait" et "frais") - une véritable homonymie : "Lego développe l'ego" (relation in praesentia associant un mot Np et une lexie SN). Ce jeu homonymique, qui fait sens, motive le nom de la marque en inscrivant le sujet et/ou son désir dans le phonétisme de celle-ci. La paronymie/homonymie tend à donner du sens au Np de la marque qui, en tant que Np, n'en a pas et à persuader (axiologie). Nous avons peut-être là un fonctionnement métaphorique, mais à partir de l'identité/similitude des signifiants et non des signifiés (cf. aussi, plus récemment, "transformez votre compte en conte de fées").

2. Polysémie

in praesentia :

Avec le mot comme unité : "les commerçants de mon quartier savent être commerçants" (l'affiche présente une jeune femme, la consommatrice, entourée de représentants de diverses professions offrant obséquieusement leurs services). Cet énoncé a l'apparence d'une tautologie, avec une lecture dissimilatrice des deux occurrences, d'autant plus que l'on a affaire

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sans doute à deux catégories morphologiques (N et Adj), ce qui fait que cet exemple ne relèverait pas vraiment de la polysémie. Il est intéressant de noter que l'adjectif peut être porteur, en d'autre contextes, d'un effet de sens négatif, alors qu'ici il se charge bien sûr d'une valeur positive.

Avec la lexie comme unité : "A ce prix-là, elle ne devrait pas être à ce prix-là" (publicité Leclerc pour une bague, indication du prix). Là aussi nous avons une lecture dissimilatrice, la première occurrence renvoyant, semble-t-il, à la valeur non monétaire et la seconde à la valeur monétaire (notion de "coût" en général) ; mais le premier sens est représenté en fait, ou en contexte dissimilateur plutôt, par "de ce prix-là" postposé. On a affaire à une polysémie créée et la phrase est plutôt bizarre. On peut comparer, pour les valeurs, avec la publicité : "L'assurance à tout prix, mais pas à n'importe quel prix" (assurance GAN) ; mais ici les signifiants ne sont pas complètement identiques ; nous n'avons donc pas affaire véritablement à de la polysémie ; la première expression renvoie à l'intensité de la volition, à la nécessité de l'acquisition et la seconde à l'aspect coûtant (mais dans d'autres contextes elle peut rejoindre le sens de la première ; il y a donc ici un effet dissimilateur dans ce contexte). En outre, ce texte s'adresse au futur assuré qui doit absolument prendre l'assurance, mais ne pas la payer trop cher ; dans le cotexte d'un conseil d'administration de la GAN, la seconde partie de l'énoncé pourrait signifier qu'il ne faut pas brader l'assurance !

in absentia :

Ici nous avons un jeu sur le littéral et le figuré ; on n'est pas loin d'un fonctionnement métaphorique en cas de motivation ; mais ici le sens figuré apparaît dans un cadre polysémique ; cette identité du signifiant ne permet pas de parler de métaphore au sens strict.

L'unité est le mot : "la chaleur des nouveautés" (Arts et feu, publicité pour cheminées). Une brève présentation de l'affiche s'impose :
- au premier plan, une jeune femme assise tient sur ses genoux un nourrisson, têtes inclinées l'une vers l'autre, dans une iconicité de la tendresse, de la chaleur affective mère/nouveau-né. A gauche sur l'image.
- au second plan, centre droit, une cheminée où flambe un feu clair.
- légende en avant-plan bas : "la chaleur des nouveautés" (en dessus "arts et feu").

Il y a probablement un jeu paronymique avec motivation sémantique : nouveautés/nouveau-nés. Il y a aussi et surtout, induite par l'image et s'appuyant sur ce jeu paronymique, une métaphore linguistique sur "chaleur" ou plutôt, puisque cela est enregistré en langue, un jeu sur les sens concret (littéral, figuratif) et abstrait (figuré, thématique) de "chaleur"

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(foyer de la métaphore). Normalement, le sens abstrait est celui qui est actualisé dans la métaphore, le sens concret étant virtualisé, mais pas absent ("la racine du mal"). Ici, le sens abstrait est illustré par le premier plan de l'image et le sens concret par le second plan ; or le thème publicitaire est la cheminée (concret). Alors que normalement le décodage métaphorique va du concret à l'abstrait, ici on passe de l'abstrait au concret avec ce jeu entre un premier plan (saillant et métaphorique) et un second plan (concret et moins saillant, mais le plus important pour le publiciste). En plus, on est dans un même champ (mère/enfant et cheminée : intérieur affectif et chaleureux).

L'unité est la lexie : "en Norvège, plus il fait froid plus on se frotte les mains" (Neutrogena). "Se frotter les mains" peut avoir un sens concret, littéral (on se frotte physiquement les mains, pour se réchauffer par exemple) ou c'est une expression figurative liée à du thématique abstrait (signe de contentement, de joie, sens figuré figé, l'action figurative correspondante pouvant ne pas être réalisée). On a une structure topique "plus X, plus Y" où Y, semble-t-il, réalise l'expression figurative/thématique ; d'une certaine façon, c'est le sens figuré (axiologisé et fortement lexicalisé) qui se présente d'abord à l'esprit (à l'inverse de ce que dit Fontanier) : le sémantisme négatif de X et le caractère positif de Y provoque passagèrement l'étonnement, la joie n'étant guère associée à la rigueur des températures. Puis le nom de la marque (Neutrogena) invite à une lecture littérale (on se frotte les mains avec Neutrogena), mais qui n'exclut pas le sens figuré ; la relation entre les deux sens est motivée de façon persuasive (la protection et l'euphorie sont liées dans une conformité des sens) : se frotter les mains avec Neutrogena quand il fait froid est signe d'euphorie.

Avec l'exemple suivant ("Vos enfants méritent une bonne tarte. Vous aussi - Bref, mangez des pommes" publicité pour un producteur de fruits), c'est aussi le sens figuré (induit par l'isotopie éducative et son comportement stéréotypé) qui s'impose. Ce sens chancelle avec le "vous aussi" provocateur (on s'interroge sur le sens de cette correction qui atteint aussi les parents : on est un peu inquiet). Mais la phrase finale restitue le sens littéral et, dans cet exemple, le sens figuré est évacué : ici, le lien entre les deux sens est beaucoup plus lâche, plus arbitraire, on est davantage dans le ludique et le gratuit. De plus, la relation entre les deux sens est de type antonymique (mauvais traitement/bon traitement).

Le cas est encore différent avec l'exemple suivant où la polysémie n'est que de surface : "on part avec un sac sous le bras. On revient avec des valises sous les yeux"/"Ici la mer est bleue et les nuits sont blanches" (Club Med). Ces textes sont constitués de deux phrases chacun et on y

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repère deux types de redondance (paradigme des bagages : sac et valises - paradigme de la couleur : bleue et blanches). Les premières occurrences de chaque phrase ("sac", "bleue") sont lisibles littéralement et les secondes ("avoir des valises sous les yeux", "nuits blanches") le sont de façon figurée et il ne s'agit pas des mêmes termes mais de termes relevant apparemment d'un même paradigme. Il y a rupture du fait que l'on passe du littéral au figuré. En outre, ces expressions signifient la fatigue et l'insomnie qui ne sont pas des valeurs en soi, au contraire même, mais qui veulent (indirectement) évoquer que l'on s'est bien amusé (à opposer aux vacances reposantes... ou ennuyeuses, d'un autre style).

On pourrait repérer le passage inverse (figuré ® littéral) dans cette publicité pour une agence de voyage (peut-être la même) : "un accueil nickel, un soleil de plomb, un teint de bronze pour très peu d'argent - Voyagez grand, dépensez petit". Malgré les différences morphosyntaxiques (SN-N à valeur d'adjectif, SN de SN) et le statut plus ou moins figé de ces expressions, on a la même structure : on compare le caractère impeccable et d'une propreté irréprochable d'un accueil au poli du nickel, la sensation d'écrasement due à la chaleur du soleil à la lourdeur du plomb, la couleur d'un teint à la couleur du bronze (la valeur /intensité/ est présente dans ces trois expressions et réapparaît, à l'état pur, dans "grand" - jeu du figuratif et du thématique). Dans la dernière expression "argent" est pris au sens propre (si on néglige la catachrèse), ce qui semble orienter vers un défigement des expressions précédentes, mais qui signale surtout le travail énonciatif et qui scinde nettement (autre effet possible) les valeurs de l'ordre du rêve, du désir et celles du réel pragmatique qui se fait tout petit ("très peu") pour mieux montrer peut-être son indispensable puissance.

Le dernier exemple de cette rubrique est assez complexe : "Religieuse au Canderel, Baba au Canderel, Charlotte au Canderel, Petits Suisses au Canderel, Tropézienne au Canderel". Il y a eu différentes occurrences avec différentes affiches apparaissant successivement et promouvant l'ersatz ; c'est une publicité en série. Chaque affiche comporte une image (variable totalement) et un énoncé (variable partiellement avec la constante "au Canderel"). Il y a un problème pour l'énoncé : si religieuse 1 et religieuse 2, pour le Petit Robert  de langue, relèvent de la polysémie (une entrée, mais cela doit être justifié), qu'en est-il pour baba 1 et baba 2 (cool), charlotte 1 et charlotte 2, tropézienne 1 et tropézienne 2 ? Dans  le Petit Robert seul est enregistré le sens pâtissier de charlotte et de baba ; la tropézienne n'y est pas et ne fait pas partie de mes connaissances pâtissières, mais l'histoire ordonnée de la publicité facilite le décodage de "tropézienne" comme dessert. Il n'en reste pas moins que se pose le problème de la nature

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de la relation sémantique entre les deux sens de baba, charlotte, tropézienne : homonymie ou polysémie par antonomase pour charlotte, par métonymie pour tropézienne ?...

Il s'agit d'une campagne en série ; la première publicité que j'ai vue (mais c'est probablement général) est "Religieuse au Canderel" (présentation d'une religieuse en habit, avec la cornette, un chapelet et, dépassant d'une poche, la boîte de Canderel. On a eu ensuite "Baba au Canderel" (jeune femme de la fin des années 60 au look baba-cool), "Charlotte au Canderel" (image d'une jeune fille aux vêtements stéréotypés - est-ce un type comme on dit "une Marie-Chantal" ?), "Petits Suisses au Canderel" (image de garçonnets avec pantalon court de cuir, bretelles, chapeau tyrolien), "Tropézienne au Canderel" (là aussi, image d'une jeune femme avec vêtements typiques sans doute) ; dans toutes ces affiches la boîte de Canderel est présente, bien visible ; le rôle de l'image, du moins au début, et de la référence produite inhibe une autre lecture de "religieuse" et de "baba" notamment. Les affiches font partie d'une série et il y a deux types de contextes (intra-affiches et inter-affiches). Plusieurs interprétations, non exclusives, semblent possibles.

- première interprétation de l'énoncé linguistique et limitée à la première affiche de la religieuse, puisque les affiches n'ont pas paru en même temps, même si leur succession a été très rapide : une indexation dans le domaine pictural semble possible du fait de l'homologation du rapport qu'entretiennent image et énoncé avec celui qu'entretiennent tel tableau de peinture et sa légende dont la structure est stéréotypée (on en est réduit au contexte restreint interne à l'affiche) : "vierge à l'enfant", "femme au parapluie", "l'homme à la cruche" ; cette situation induit une interprétation syntaxique particulière de l'énoncé : la préposition "à" sert à caractériser un sujet principal par un sujet secondaire ; or (cf. supra), du point de vue publicitaire, c'est le sujet secondaire - qui est la constante - qui est le sujet principal. Il y a là quelque chose de métaphorique : la publicité (image et énoncé, c'est-à-dire l'énonciation publicitaire, le produit que constitue l'affiche) est comparée à un tableau de maître (avec le comparant valorisé comme il se doit). Effet de sens possible : la publicité est une technique relevant de l'art et le Canderel est un produit esthétique. Il y a en même temps quelque chose qui relève de la parodie, donc un phénomène d'humour ; tout le monde sait ce qu'est le Canderel et pourtant l'interprétation pâtissière de "religieuse" peut échapper.

- deuxième interprétation (avec un contexte inter-affiches plus large) : le sens se construit progressivement, le véritable texte étant l'ensemble des affiches de la série. Même si le domaine pictural se maintient, apparaît

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une autre lecture confirmée par les autres exemples de la série. C'est l'universalitédu produit (objet de consommation cette fois) qui est ainsi signifiée ; c'est un objet de valeur consommable, quels que soient la nationalité, la condition sociale, l'effet de mode etc. Ce discours de l'universalité apparaît aussi dans les publicités Benetton qui s'opposent à la tendance à la différenciation maximale qui s'opère dans le jeu hyperonymie/hyponymie (cf. infra) : Benetton, à l'inverse et complémentairement, prend ses marques sur une iconicité qui, notamment, efface certaines différences tenues pour fondamentales (ex. des cœurs avec les mentions, en anglais comme il se doit ; white, black, yellow), dans un jeu sur l'extension : Benetton s'applique à tout (cf. plus loin sur la stratégie de la marque). Le Canderel passe du statut d'objet ornemental et/ou caractérisant à celui d'objet de valeur (rapport Sujet-Objet) commun à tous. Une autre interprétation, imposée par la série et qui met à jour le fonctionnement polysémique/homonymique, apparaît.

- troisième interprétation : elle repose sur la polysémie/homonymie décelée des substantifs en variation : "religieuse", "baba", "charlotte", "petits suisses", "tropézienne" relèvent du domaine culinaire. C'est une autre universalité qui se manifeste, plus restreinte : tous les desserts peuvent se faire avec du Canderel. La lecture culinaire s'appuie sur un paradigme homogène. Si cette dernière lecture est la bonne, vu la nature du produit, il n'empêche que nous avons des significations co-existantes (avec différents degrés d'existence) et que la lecture pratique n'exclut pas les lectures symboliques (? mythiques : esthétique et idéologique), ce qui accroît la persuasion.


3. L’antonymie

Cette relation de sens se retrouve sous bien des formes, plus ou moins sophistiquées. Je me bornerai à un seul exemple : "vous choisissez entre confort et beauté ? Moi pas" (publicité pour une marque de soutien-gorge et dont l'image représente une jeune femme au buste revêtu de ce type de soutien-gorge et qui est censée prononcer la phrase ci-dessus). L'antonymie ressort du choix exclusif, présenté syntaxiquement, qu'il y aurait à faire, selon un certain univers de croyance dans lequel le personnage de l'énoncé croit ou feint de croire que le destinataire de l'énoncé pourrait se trouver (dialogisme simulé) pour mieux le provoquer ou le séduire, entre confort et beauté.

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Cette antonymie n'appartient pas à la langue, mais au discours examiné qui réfère à une forme de doxa qui s'expliciterait dans une structure topique : plus un soutien-gorge est confortable, moins il est beau - et probablement inversement - le confort donnant à cette pièce de lingerie une allure lourde peu engageante. Ce type de structure appartient au sens commun et est à relier aux réflexions actuelles des sémioticiens sur la valeur et la valence : ce qu'on gagne d'un côté, on le perd fatalement de l'autre côté. Cette antonymie discursive est (donnée comme) présupposée. Le discours publicitaire récuse la fatalité de cette antonymie pour proposer une conciliation (du domaine de l'utopie comme dans les mythes) entre ces valeurs senties comme contradictoires (valeur pratique et valeur esthétique). La persuasion repose sur un travail sur l'axiologie et les structures sémantiques.

On retrouverait probablement le même phénomène (antonymie fondée sur un topos et dépassement de l'antonymie) dans l'exemple cité par J. M. Adam : "non seulement le yogourt bifidus aux fruits est un vrai délice, mais il fait aussi du bien" ; la saveur gustative, à propos d'un produit alimentaire, est souvent associée à sa nocivité (si on abuse), un produit alimentaire étant jugé fondamentalement selon deux critères : sa saveur et son action sur  la santé.

Dans notre exemple l'antonymie est récusée : la marque efface la différence maximale en quoi réside l'antonymie (et veut se différencier d'autres marques qui, elles, n'y parviennent pas). Une publicité pour une Peugeot reprend la même structure ("vous n'aurez plus à choisir entre plaisir et sécurité").

Nous avons peut-être un processus similaire, mais distinct, dans cette publicité immobilière que présente un ensemble de pavillons : "un appartement peut-il être une maison ? Oui". "Appartement" et "maison" sont ressentis comme opposés et cette publicité tend à nier la distinction en incluant l'un des termes (le moins valorisé socialement : appartement) dans l'autre (plus valorisé : maison). Ce jeu sur la structure a bien évidemment un effet persuasif.

Le texte publicitaire peut aussi modifier la catégorie antonymique. Le journal Le Monde  a fait paraître deux affiches dont le texte était "on ne sait rien quand on ne sait pas tout" ; l'une des affiches représentait une famille en train de pique-niquer dans un cadre en couleurs englobé par un autre aux dimensions de l'affiche, gris et représentant une centrale nucléaire à proximité et moins visible ; l'autre, construite de la même façon, représentait une joueur de foot (englobé, couleurs) dans une zone où évoluait un tank (englobant, gris, moins visible). Bien des choses seraient à commenter. Pour ce qui nous intéresse, le texte, à partir de l'opposition "ne rien

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savoir" vs "savoir tout" (cf. le carré logique d'Apulée ou d'Aristote), transforme une relation de contrariété en relation de contradiction où "ne pas tout savoir" est rendu équivalent à "ne rien savoir". C'est évidemment Le Monde qui délivre la totalité du savoir !

La relation hyperonymie/hyponymie est aussi le lieu d'un travail sémantico-axiologique, peut-être plus important et plus significatif.


4. Hyperonymie/Hyponymie

Dans cette dernière partie, j'adopte, pour montrer une certaine évolution des structures, fort significative à mon avis, une perspective diachronique (assez rudimentaire), c'est-à-dire que le jeu sur la relation hyperonymie/hyponymie me paraît le résultat d'un processus au cours duquel se sont faits certains choix successifs dans la constitution sémantique des slogans. Je ne sais pas encore si ce point de vue est pertinent pour les relations envisagées précédemment. On peut remarquer aussi une certaine conformité avec les choix et préoccupations épistémologiques concomitants, comme si les discours obéissaient, dans leurs formulations, à un "air du temps".

N.B. les diverses structures que j'examine, reflets d'une certaine évolution, peuvent partiellement coexister.

Dans le slogan, il s'agit essentiellement de vanter l'excellence et l'exclusivité d'un produit (faire-croire, cognitif et axiologique, avec des supports thymiques, esthétiques) pour induire un comportement d'achat (faire-faire pragmatique, injonctif, qui est souvent au second plan).

Il y a eu des réclames pour des produits sans mention de marque ("buvez du lait", années 50, avec injonctif au premier plan). Les textes (plutôt que les slogans) publicitaires sont devenus plus complexes et plus sophistiqués. On repère généralement en profondeur (avec diverses manifestations en surface) la structure de la comparaison, mais pèse l'interdiction de la publicité comparative avec des produits existants. Puisqu'il s'agit de privilégier un produit par rapport à d'autres appartenant à la même classe (mais sans nommer ces derniers), il convient de voir de quelle(s) façon(s) s'effectue cette mise en saillance. A partir des exemples suivants le nom de la marque est présent.

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a) à l'intérieur de la classe, X est mieux (que Y), est différent (de Y), est autre chose (que Y).

- on a eu des comparaisons (plus que, mieux que) avec des produits "ordinaires" présentés visuellement, mais non désignés par une marque ; cf. les séquences avec OMO et une poudre ordinaire n'existant pas sur le marché : "OMO lave plus blanc" ; ici on restitue, du fait du contexte, le complément du comparatif "la poudre ordinaire" ; il n'est pas nié que celle-ci soit une lessive et on a un comparatif de supériorité qui met en relation apparemment deux types de produits, étant entendu que la poudre ordinaire a tendance à référer probablement, sans que cela soit dit, aux autres marques : le comparatif masque un superlatif. Cela va jusqu'à une formulation comparative réellement elliptique du second terme, qui ne sera pas restitué grâce au contexte mais grâce à un savoir encyclopédique partagé auquel l'annonceur fait appel, ce qui contraint à une plus forte implication du destinataire dans l'interprétation. On a une sorte de comparatif de supériorité absolu : ex. de "CUM 36 15, CUM c'est mieux" (un couple enlacé sur l'image), mieux que quoi ? (mieux que les autres agences du même type, mais le complément n'est pas donné explicitement). J'ai même pu relever un renchérissement délibérément, et significativement, fautif sur le comparatif : "X c'est plus meilleur" (affiche représentant des enfants croquant des fruits vendus par telle chaîne de magasins). Dans tous ces exemples, on est à l'intérieur de la classe et dans la gradualité (les degrés de la qualité peuvent être exprimés quantitativement, il s'agit  bien d'une différence de degré, pas de nature).

- on a, plus structuralement, l'éloge de la différence absolue (du fait que l'on ne situe pas explicitement cette différence par rapport à autre chose : "Sentez, écoutez la différence", "Avec Saint Maclou, le carrelage c'est autre chose". Ici, on a davantage affaire à la volonté d'exprimer une différence de nature, comme si l'on prenait ses distances par rapport à la classe des objets (en relation avec d'autres marques) présupposée dans l'énoncé : on passe du plus à autre chose, les deux tendances pouvant coexister, comme dans cette publicité en série pour "Air liberté" : des affiches successives sont apparues où chaque image représentait : un levier de vitesse avec 5 positions toutes portant le chiffre 1, une machine à écrire dont toutes les touches comportaient la lettre A, une robinetterie dont les deux robinets portaient une pastille bleue ; le texte était "c'est tout de même mieux d'avoir le choix. Air liberté : l'autre compagnie" ; par la présentation visuelle représentant un monde fictionnel absurde se dit l'équivalence des autres compagnies dont AL se distingue par la multiplicité des services qu'elle propose. C'est une sorte d'altérité radicale qui est signifiée ; il se pourrait

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bien que AL soit la seule compagnie, si on suit la logique absurde de l'énoncé visuel : les objets représentés (et dont Carelman serait fier !) ne correspondent pas à leur fonctionnalité : ce n'est pas une machine à écrire, ce n'est pas un levier de vitesse et si ce sont là des analogies visuelles des autres compagnies, celles-ci ne sont pas des compagnies. L'exclusivité et le caractère absolu se font jour ici.

- on a aussi, sur la même pente, la promotion de l'unicité (dans une progression : mieux, différent, autre, unique). Divers exemples sont possibles dont celui-ci qui me paraît assez obscur : "être unique c'est différent, mais être différent c'est unique" (publicité Eram à l'arrière des bus).

En relation avec l'évolution hypothétique évoquée ci-dessus (degrés, gradualité dans la qualité, différence, altérité, nature différente) - et les analyses demanderaient à être affinées et complétées par les actuelles réflexions sémiotiques, cf. J. Fontanille et C. Zilberberg, 1998, Tension et signification, Mardaga - des phénomènes sémantiques intéressants et nuancés, qu'il est peut-être difficile et vain de disposer dans une stricte diachronie car il y a coexistence de certaines structures, se remarquent dans les énoncés linguistiques publicitaires : ils concernent la relation hyperonymie/hyponymie (avec gradation et structure comparative toujours). On y arrivera peu à peu : la progression de l'exposé tend à rendre manifeste une certaine évolution logique, une tendance, qui n'est pas aussi nettement visible dans l'ordre réel d'apparition des publicités où les étapes peuvent être enchevêtrées.

b) X est le meilleur représentant (exemplaire) de la classe : on est là dans la logique du prototype (effet de parangon, d'excellence). Quelles sont les relations entre le discours publicitaire, notamment, et celui de la recherche (cf. "l'air du temps" dont je parlais plus haut) ? On reste dans la logique de la classe et de l'appartenance à celle-ci : les autres éléments ne sont pas niés, ils sont présupposés : "on peut égarer une cerise parmi des cerises, on ne peut égarer une Lancia parmi des voitures" (affiche double : à gauche un tas de cerises, à droite un ensemble de voitures dont se détache la Lancia) ; "des pâtes oui, mais des Panzani" : reconnaissance de la classe ("des pâtes, oui"), mais excellence des Panzani, meilleur représentant de la classe. Une précision ici, qui ne touche pas à la structure fondamentale évoquée, pour compléter ce que dit J. M. Adam sur cette publicité (1990, Éléments de linguistique textuelle, Liège, Mardaga, pp. 207-208) : après le dialogue Dieu-Don Patillo qui, autour du "mais", fait surgir les conclusions contradictoires non-péché ("ce ne sont que quelques pâtes, Seigneur")/péché (énoncé publicitaire mis au compte de la voix off divine),

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le slogan est repris, chanté d'une façon entraînante, par un chœur juvénile et il semble que là les conclusions relèvent d'un autre système axiologique, commun vs raffiné, qui d'une certaine façon inverse les valeurs : péché (de luxe, de gourmandise, négatif), raffinement (luxe, positif) ; les deux systèmes se suivent, mais le second (pratique) ne remplace pas le premier (divin, mythique) : il en a besoin, polyphoniquement, pour le contredire, dans une manière de dérision, mais aussi pour créer une séduction fondée sur le plaisir pervers d'une transgression, le tout étant ludique bien entendu.

Commence à se mettre en place, par des manipulations sémantiques productrices d'effets (se voulant) persuasifs, une dialectique entre nom commun (nc : produit) et nom propre (Np : la marque). Dans les deux exemples précédents, Np est le meilleur des nc.

c) X est le (et probablement le seul) représentant de la classe. Le/la nc, c'est Np. On a ici l'affirmation d'une exclusivité, c'est-à-dire que les autres éléments de la classe, dans la présentation qui est faite, ont tendance à être niés. Ex. "quand on a besoin d'une voiture, on a besoin d'une Toyota" (l'affiche présente les différentes variétés de la marque) ; c'est comme s'il n'y avait pas de produit (voiture) en dehors de cette marque ; ici, la marque s'identifie au produit tout court, à la classe, dont on a symboliquement et péremptoirement expulsés les autres produits concurrents. On est passé de la marque au service de produit au produit au service de la marque. Maintenant Np = nc.

Avant d'aborder le point suivant, on peut citer cet exemple-frontière : "le dentifrice qui va vous changer du dentifrice" (Sanogyl bi-active), avec une intéressante dissimilation pour les deux occurrences de l'article défini (spécifique/générique).

d) X sort de la catégorisation : là aussi les formulations sont graduelles, mais la tendance est la négation de l'hyperonyme qui indique l'appartenance à la classe, soit Np ¹ nc.

"il y a la lumière et il y a Osram" (marque d'ampoules électriques) ; là joue une forme de dissimilation (du type "il y a lumière et il y a lumière") qui, sans nier explicitement qu'Osram soit de la lumière, en fait une lumière à part en promouvant le Np (il y a bien l'effet de sens la - défini - lumière vs Osram). On retrouverait quelque chose d'analogue dans un spot télévisé où on fait goûter à un rural deux fromages, un de marque et l'autre sans mention du nom ; le goûteur reconnaît le fromage de marque et cite son nom ; quand on lui demande ce qu'est l'autre produit, il répond,

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mi-amusé-mi-dédaigneux : "c'est un fromage..." ; l'opposition nc/Np est nette et la véritable reconnaissance est du côté de Np. L'énoncé suivant relève aussi de cette analyse : "94.4, ça vous change de la radio" (à noter que RFM utilise une structure vue plus haut : "aucune radio ne vous détendra autant" focalisée, cette fois-ci, sur la moindre compétence des radios concurrentes, ce qui est une autre stratégie). On note ici une opposition entre le nc et le Np relevant pourtant de la classe nc.

Les phénomènes sont plus nets dans les exemples suivants  : "au lieu d'acheter une voiture, achetez une Saab", "quand on est devant C+, au moins on n'est pas devant la télé" (et aussi peut-être, mais avec d'autres différences : "ce n'est pas de la radio, c'est de la musique - RMC"). Le véritable sens de ces énoncés ne peut être perçu que si l'on sait qu'une Saab est une voiture et C+ une chaîne de télé (importance de l'encyclopédique pour l'interprétation, plutôt que décodage, des énoncés). Mais ce sens (Saab n'est pas une voiture, C+ ce n'est pas de la télé) est en contradiction avec ce savoir (Saab est une voiture, C+ c'est de la télé). Il y a ici une tension qui n'est pas sans rappeler la façon d'être des figures de style et sans suggérer un traitement analogue.

On peut bien sûr opérer une réduction et comprendre "au lieu d'acheter une voiture (quelconque), achetez une Saab" et "quand on regarde C+, au moins on n'est pas devant la télé (ordinaire)". Et nul doute que ne soit valide d'une certaine façon cette interprétation obvie, ordinaire (tropologique) de ces énoncés. Mais c'est un peu court : en suivant l'évolution des procédés pour marquer la supériorité, puis l'excellence (sans oublier l'importance des contraintes juridiques que je ne puis, faute de compétence, apprécier), dans la logique (sémantique et symbolique) du processus examiné de différenciation de la marque (mieux, différent, autre, meilleur exemplaire, seul exemplaire, unique), on est arrivé à un terme où, si l'on veut aller plus loin, l'excellence et l'unicité de Np dans la catégorie se muent en l'opposition Np vs catégorie. D'une certaine façon, l'hyponyme privilégié devient un antonyme de la classe globalement, de l'hyperonyme (cf. le phénomène inverse évoqué plus haut pour appartement/maison), par la valeur symbolique focalisée du Np.

De nature semblable est la publicité (avec trois affiches différentes) pour une nouvelle Mercedes : "Dis papa, c'était quoi, avant, une voiture" ; "l'automobile tournait mal" ; "des bagnoles il y en avait assez". Curieusement, le jeu des synonymes sur des registres différents (courant, soutenu, familier) retrouve les trois styles chers à l'antiquité !

Dans une récente publicité télévisée pour la dernière Renault (Kangoo), on voit un père présenter à son très jeune fils un imagier pour tester ses

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connaissances : celui-ci répond correctement avec des hyperonymes ou des termes génériques (maison, arbre), jusqu'au moment où son père lui présente le dessin d'une voiture qui n'est autre que la Kangoo ; le fiston donne la réponse spécifique "Kangoo", répétée plusieurs fois malgré les infructueuses tentatives du père ("mais non, voyons, tu le sais ce que c'est") pour remettre sa progéniture sur le droit chemin de l'hyperonyme ; vu l'esprit de la campagne pour Kangoo (dessins et textes), c'est l'enfant qui a raison et l'adulte qui a tort : la Kangoo n'est pas une voiture.

Dans la même optique, intéressantes aussi sont les publicités antagonistes pour téléphones portables de Nokia et Siemens où l'on peut repérer un jeu intertextuel. La première apparue est celle de Nokia ; elle se présentait sous la forme d'une affiche double : sur l'affiche de gauche se trouvait le nom de la marque (Nokia), le prix, la mention "pour aujourd'hui et même pour demain" et surtout la photo d'un portable Nokia avec la mention "achetez un portable" ; à ces deux derniers éléments correspondaient, sur l'affiche de droite, l'énoncé "pas un jetable" et la photo d'un kleenex froissé (sorte de métaphore dévalorisante). Siemens présente aussi une double affiche avec le même effet apparent de symétrie, mais la valorisation gauche/droite est inversée (chez Nokia, la gauche est positive et la droite négative et inversement chez Siemens ; de là à penser que, par référence à la publicité présupposée de son concurrent, Siemens lui fait occuper la position dévalorisée dans son système... ) ; l'affiche de gauche présente une photo de portable et la seule mention "un portable" (l'écriture comme la photo sont floues, avec des bavures) ; l'affiche de droite comprend une photo de portable et la seule mention "un Siemens" (l'écriture et la photo sont extrêmement nettes) ; cette dernière publicité se borne à une simple présentation de la marque (avec des effets axiologiques et esthétiques) sans incitation à l'achat, et surtout elle dit explicitement qu'un Siemens ce n'est pas un portable.

Nous aurions un phénomène inverse dans cette publicité télévisée pour voiture Ford, mais où le texte ne concerne pas l'automobile, le produit, mais l'utilisateur : "Ford n'a pas oublié que la moitié des hommes sont des femmes" ; le sens de la phrase oblige à une lecture non marquée de "hommes", comme hyperonyme ; l'effet est assez bizarre parce que plus ou moins spontanément (et suivant les contextes), on a une lecture hyponymique (facilitée d'ailleurs par les expressions du genre "les Françaises et les Français", "les étudiantes et les étudiants" etc. qui négligent la valeur hyperonymique du terme masculin) ; on a un phénomène d'inclusion (cf. supra sur appartement et maison) par récusation de la seule lecture hyponymique de "hommes", laquelle critique le fait de ne voir dans la dénomination

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hyperonyme que la désignation de l'hyponyme. Il était bon de le rappeler !

e) X devient un Np hyperonyme. La marque comme entité sémantique et symbolique. 

La valorisation est ici extrême. Le phénomène était déjà présent dans les exemples précédents ; c'est peut-être plus net dans cet énoncé : "une Yamaha pour le prix d'une tondeuse".

Plus haut, on a vu la négation de l'hyperonyme et l'assertion de la marque ; certes, il y a un effet rhétorique de surface et que l'on peut réduire (cf. interprétation courante supra), mais il faut tenir compte de l'effet de marque et d'un autre travail du sens dans ce que A. Semprini appelle "la gestion de la marque" (in Les métiers de la sémiotique, colloque de Limoges novembre 1997, actes à paraître). En fait, du point de vue de la sémantique linguistique, la marque, en s'excluant de la catégorisation commune, quitte un système extensionnel (où une Saab est une voiture parmi les autres marques) et, par voie de conséquence, la compréhension est atteinte puisqu'est nié le trait définitoire /voiture/. En fait, le Np de la marque devient symbole, slogan au sens strict de signe de ralliement : "soyez Naf-Naf", "soyez Morgan" (et tout récemment la publicité, Saab curieusement, "et si vous ne faisiez qu'un avec votre voiture ?") ; la marque, plus qu'identification de l'objet (cf. c'est une Peugeot), devient un prédicat (façon d'être) dont on souhaite qu'il affecte, dans une nouvelle dimension extensionnelle, le plus de sujets possibles. La marque (Np) devient effectivement un être de sens, immatériel, symbolique. Par un travail sémantique, on a une manipulation axiologique sur quoi peut s'appuyer l'argumentation... ou qui peut s'en passer. Il faudrait voir aussi comment sont exploitées les relations sémantiques en fonction des genres du discours publicitaire. Il est évidemment nécessaire de coupler l'analyse sémantico-linguistique et les analyses socio-sémiotiques.

Il y a aussi un mouvement complémentaire concernant les objets produits et, sous l'égide de la marque, une nouvelle catégorisation en extension apparaît ; la marque (Yamaha, par ex. : tondeuse, moto, saxophone...) produit des objets hétéroclites qui n'ont en commun que le nom de la marque. On a des objets appartenant à des domaines différents et qui sont regroupés avec comme point commun (cf. la métaphore) le Np qui assure la compréhension ; on est dans un nouveau paradigme : avant "un Laguiole" c'était un couteau ; si on dit "j'ai une Yamaha", on ne peut guère savoir. Le Np axiologisé de la marque devient une sorte d'hyperonyme, mais sans vraie base conceptuelle. Le symbolique (?mythique) commercial

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l'emporte peut-être sur le pratique commercial - pour ce qui est de la perception du destinataire, car le destinateur sait ce qu'il fait (inversion des valeurs d'usage et de base à la production et à la réception). En achetant un produit X, on achète une marque X qui vend, entre autres, ce produit...


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©  mars 2005 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : BALLABRIGA, Michel. Sémantique du slogan publicitaire. Texto ! mars 2005 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Ballabriga_Slogan.html>. (Consultée le ...).