Carine Duteil-Mougel : INTRODUCTION À LA SÉMANTIQUE INTERPRÉTATIVE
Chapitre I : LA SÉMANTIQUE TEXTUELLE. POSITIONNEMENT AU SEIN DES SCIENCES DU LANGAGE
1. Deux problématiques de la signification : la problématique de la référence et la problématique de l’inférence
Rastier positionne sa théorie vis-à-vis des deux conceptions traditionnelles de la signification : la triade sémiotique et le sêméion.
1.1. Le paradigme référentiel
Rastier parle du paradigme référentiel, qui associe la triade aristotélicienne et la tripartition sémiotique :
« Le paradigme référentiel s’est maintenu d’autant mieux que Morris a fondé sur la triade aristotélicienne la fameuse tripartition sémiotique (syntaxe, sémantique, pragmatique) reprise par Carnap, puis Chomsky et Montague, et qui sert de cadre à la plupart des recherches en sciences du langage. » (Rastier, 2001e, p. 109).
1.1.1. La sémantique vériconditionnelle et la sémantique psychologique ou cognitive
Rastier formule des critiques à l’encontre de la sémantique vériconditionnelle (sémantique logique [1]) et de la sémantique psychologique ou cognitive [2]. Aucune de ces deux sémantiques ne traitent selon lui, du signifié linguistique ; elles rapportent le signifié soit à un concept logique [3], soit à un concept psychologique - le sens linguistique relève ainsi indéfiniment de la logique (depuis la dialectique des stoïciens) ou de la psychologie [4] (depuis Steinthal).
- La première relie les mots au monde et considère que le
sens réside dans le rapport entre des concepts et des
objets.
Selon Rastier, la sémantique vériconditionnelle (issue de
Tarski notamment) étudie les rapports entre des intensions
(ou concepts) et des extensions (souvent assimilées à des
objets). (Rastier, 2001e, p. 123). À un palier
supérieur, elle considère que le sens réside dans le
rapport entre des propositions et des états de
choses. D’autre part, uneinvolution mentaliste
caractérise le passage de la sémantique vériconditionnelle à
la sémantique cognitive [le mentalisme excluant alors la
dénotation directe (des expressions aux objets)].
- La seconde relie ainsi les mots à des états mentaux ; elle adopte une position mentaliste (cf. la théorie cognitiviste d’un langage intérieur délié des langues : le mentalais selon Fodor voire Wierzbicka (Lingua mentalis, 1980)) et considère que le sens réside dans des conceptualisations.
1.1.2. Le modèle triadique de la signification linguistique
Rappelons ce modèle :
Le signe, réduit à sa simple expression (signifiant), renvoie à un objet [5] (un référent) par la médiation d’un concept [6] ; « l'aristotélisme du triangle sémiotique est durci par le positivisme logique qui exprime un idéal de correspondance terme à terme entre un mot, un concept et un objet. » (Rastier, 1995b, [in Texto !]).
C’est l’identité à soi de la chose qui garantit celle du concept qui la représente, et, par cette médiation, l’univocité du mot :
« Pas plus que le concept, jugé universel, le référent ne varie. Non seulement parce que les choses sont “les mêmes pour tout le monde” comme le dit Aristote, mais, plus profondément, et dès lors que l’on place l’être dans les choses, parce que l’être lui-même se définit comme permanence. Nous devons cela à la fondation parménidienne de l’ontologie, qui eut pour première conséquence le programme d’univocité de l’école éléatique. » (Rastier, 1995b, in Texto !).
1.1.2.A. La triade aristotélicienne
Selon Rastier, c’est Aristote - suivi par Boèce puis Thomas d’Aquin - qui est à l’origine du modèle triadique de la signification linguistique.
« Or, depuis Aristote (et particulièrement le début du Péri hermêneias), la philosophie du langage se fonde sur un modèle triadique ; cf. I, 16a, 3-8 : “La parole est un ensemble d’éléments symbolisant les états de l’âme, et l’écriture un ensemble d’éléments symbolisant la parole. Et, de même que les hommes n’ont pas tous le même système d’écriture, ils ne parlent pas tous de la même façon. Toutefois, ce que la parole signifie immédiatement, ce sont des états de l’âme qui, eux sont identiques pour tous les hommes ; et ce que ces états de l’âme représentent, ce sont des choses, non moins identiques pour tout le monde.” Aristote oppose très clairement la variété des signes vocaux et écrits à l’universalisme traditionnel en sémantique. » (Rastier, 2001e, p. 75) ;
« Le commentaire de Boèce, mille fois repris, retient que “trois facteurs, dit-il [Aristote], interviennent dans tout entretien et toute discussion : des choses, des pensées (intellectus ), des paroles (voces). Les choses sont ce que notre esprit perçoit et que notre intellect saisit. Les pensées, ce moyennant quoi nous connaissons les choses-mêmes. Les paroles, ce par quoi nous signifions ce que nous saisissons intellectuellement.” (In librum Aristotelis de interpretatione libri duo, in J.-P. Migne, éd., Patrologiae cursus completus, t. XLIV, p. 297). […] Thomas d’Aquin interprète ainsi Aristote : “Il convient de dire que, selon le Philosophe, les paroles sont les signes des pensées et les pensées des similitudes (similitudines ) des choses. D’où il suit que les paroles se réfèrent aux choses désignées moyennant les concepts” (Somme théologique, I-ap, 2.13, a.1, resp.). » (Rastier, 1990, pp. 6-7).
Soit la triade scolastique [7]
(vox = phonè dans la triade aristotélicienne)
Puis avec Arnauld et Nicole (1683) :
1.1.2.B. Le “Triangle” d’Ogden et Richards
Le “Triangle” d’Ogden et Richards (1923) d’inspiration peircienne - modèle reformulé par Lyons (1978) dans le cadre de la linguistique (Form / Meaning (Concept) / Referent) - fonde, selon Rastier, la théorie de la dénotation directe, qui met en relation directe un symbole (pur signifiant, simple expression) et un objet :
« Ils apportent cependant une nouveauté (jadis refusée par saint Thomas) : en traçant une ligne pointillée du symbole au référent, ils admettent obliquement une référence directe, qui ne soit plus médiatisée par la pensée. Cette référence directe permettra la sémantique formelle. » (Rastier, 2001e, note 4, p. 108).
1.1.3. La tripartition sémiotique
Rastier étudie la généalogie de la tripartition
sémiotique (Syntaxe / Sémantique / Pragmatique) et
présente les travaux de Morris (1971) basés sur la théorie de
Peirce (1960) : Representamen =>Interpretant
=> Object.
Selon Rastier, la tripartition sémiotique reprend l’antique
division du Trivium : Grammaire / Logique /
Rhétorique et constitue, depuis cinquante ans, l’obstacle
épistémologique principal au développement unifié de la
linguistique (cf. Rastier, 1990).
1.1.4. Le mot établi comme base de la signification [8]
Rastier critique la reprise, par la thèse réaliste, de la
distinction (logico-ontologique) entre
catégorématiques et syncatégorématiques. Cette
reprise amène à privilégier les mots “référentiels” (lieu
de la référence), qui sont l’objet de la sémantique
vériconditionnelle - le palier de la proposition (lieu de
la vérité)y est également défini comme palier
catégorématique - , alors que les mots “non-référentiels” (les
connecteurs, qui correspondent à ce qu’Aristote appelait les
articulations : arthron), réputés dépourvus de
signification, sont étudiés par la pragmatique
[9] (cf. infra, l’inférence).
Pour Rastier, un mot même est un passage : son
expression est un extrait d’un texte ; son contenu, un
fragment d’un mythe (2003a, p. 36). Plus largement,
Rastier remplace le modèle du signe par un modèle du
passage (la sémiosis est décrite par l’articulation entre
les plans du langage) - cf. infra, chapitre 2, 1.2. La
problématique de la valeur et la notion de contexte).
1.1.5. La thèse onomastique
Rastier critique largement le point de vue réaliste et en son sein ce qu’il nomme la thèse onomastique : le nom y est considéré comme le mot par excellence. Il situe l’origine de cette thèse dans la Grèce archaïque où la notion de mot est issue de celle de nom : « tous les mots étaient appelés des noms (onoma), car il n’existait pas d’autre façon de les désigner. » (Rastier, 1990, p. 29).
« Retenons que la philosophie du langage est d’abord une réflexion sur les noms et sur leur origine (tout le Cratyle en témoigne). Aussi elle engage à concevoir la langue comme une nomenclature, ce qui a certainement entravé le développement d’une linguistique scientifique. » (Rastier, 1990, pp. 31-32).
L’autonomie du nom (le rêve d’orthonymie, tel que chaque mot indexerait sa chose [10]) assure sa précellence sur les autres parties du discours :
« La classification des parties du discours est restée à peu près invariable depuis l’exposé canonique de Denys le Thrace jusqu’à nos jours (de Chomsky à Langacker). Les critères ontologiques qui la fondent transparaissent encore dans la terminologie (e.g. substantif : substance, ousia). Le privilège ontologique du nom l’a fait apparaître depuis vingt-cinq siècles en tête de toutes les listes de parties du discours. Bien entendu, la classification des parties du discours n’est pas fondée sur le seul critère ontologique, car il est redoublé ou complété depuis Aristote par des critères purement morphologiques qui, en quelque sorte, le naturalisent. Mais il demeure prééminent : par exemple, Langacker (1991) définit les noms par rapport aux objets (avec redéfinition spatiale de l’objectivité). Et Charaudeau rappelle : “Les êtres sont exprimés par une catégorie traditionnellement appelée nom ou substantif ” (1992, p. 21). » (Rastier, 2001d, note 1, p. 144).
Parmi les noms, les noms propres sont privilégiés :
« À son tour, la notion de nom procède de celle de nom propre ou singulier. Désigner, c’est d’abord appeler par son nom un homme ou un dieu. Et les noms particuliers ont été longtemps considérés comme les premiers mots, à l’origine du langage. » (Rastier, 1990, pp. 29-30) ;
« Sans revenir aux théonymies antiques, ni à la tentation toujours renaissante de concevoir le langage comme un inventaire de noms propres ou particuliers, on doit reconnaître que la philosophie du langage contemporaine et la linguistique qu’elle influence ont été fascinées par les noms propres. Ils représentent en effet pour elles l’idéal de noms purement référentiels : “le point de vue le plus répandu aujourd’hui consiste à affirmer que les noms propres peuvent avoir une référence, mais n’ont pas de sens” (Lyons, 1978, p. 178). Pour certains même, le nom propre, pur index, reste pointé pour l’éternité et dans tous les mondes sur une et une seule personne. C’est du moins la thèse absurde que défend brillamment Kripke dans Naming and Necessity (1972). Ne fait-il pas alors retour, sans paraître le savoir, aux sources indo-européennes de la philosophie du langage présocratique : le nom, c’est le nom propre donné par le père, et qui peut survivre à la mort ? » (ibid., pp. 32-33).
1.1.6. Les traits référentiels
Rapportée au lexique, la thèse réaliste traditionnelle fonde,
selon Rastier, la théorie des traits sémantiques référentiels,
telle qu’on la trouve de Morris à Katz
[11] (Rastier, 2001e, p. 191).
La position réaliste naïve confond alors traits
sémantiques et qualités du réel - Rastier étudie les travaux
de Rosch et la théorie du prototype qui s’appuie selon
lui, sur trois thèses issues de la philosophie du langage la
plus archaïque : (i) la structure du lexique est déterminée
par celle de la réalité mondaine (non par la culture) ;
(ii) consécutivement, les mots sont des étiquettes désignant
des choses ; (iii) les langues sont des nomenclatures
(cf. Rastier, 2001e, Chapitre VII « Catégorisation,
typicalité et lexicologie »).
1.2. Le paradigme inférentiel
Rastier considère que la problématique de l’inférence,
d’origine rhétorique et de tradition augustinienne, développée
aujourd’hui par la pragmatique, définit la signification
comme une action intentionnelle de l’esprit, mettant en
relation deux signes ou deux objets.
Alors que la référence établit une relation entre deux
ordres de réalité : concepts et
objets ; l’inférence relie deux unités
relevant du même ordre de réalité : deux objets
pour une conception réaliste naïve de l’indice, ou deux
concepts, selon le point de vue mentaliste.
« Les relata n’ont cependant pas le même statut, car l’inférence a ceci de commun avec la référence qu’elle est orientée : un relatum est antécédent, l’autre conséquent – temporellement, causalement ou de toute autre manière. On dira donc que le premier est le signe de l’autre, comme un nuage est signe de pluie. Cette acception du mot signe demeure fort répandue et s’entend indépendamment du concept de système de signes, donc sans rapport particulier avec les langues. [12] » (Rastier, 2001e, p. 84).
Rastier réunit sous le concept général d’inférence, l’indice et l’implication :
« L’autre grand paradigme sémantique traditionnel peut être dit indiciaire. Reformulant la théorie rhétorique de l’indice, Aristote définit ainsi le sêméion : “Le signe (to sêméion), entend être une prémisse démonstrative, nécessaire ou probable. La chose, dont l’existence ou la génération entraîne l’existence ou la génération d’une autre chose qui lui est antérieure ou postérieure, c’est ce qui constitue le signe de la génération ou de l’existence” (Premiers Analytiques, II, 27 ; 70 a, 71). Cette définition résume un paradigme indiciaire [13] qui s’est poursuivi dans la théorie des signes naturels chez saint Augustin (signa naturalia, cf. notamment De doctrina christiana, II, 1, 2) jusqu’aux grammaires générales (de Port-Royal à Condillac et à Tracy), voire dans la phanéroscopie de Peirce et jusqu’en philosophie de l’esprit. » (Rastier, 1999b, in Texto !).
Il aborde les raisonnements inférentiels [14] et les chaînes inférentielles - tout deux relevant du paradigme calculatoire - et s’intéresse également à la pragmatique, qui selon lui, a réarticulé le paradigme indiciaire - il évoque notamment Sperber et Wilson qui ont « redécouvert » un modèle inférentiel de la communication [15].
« L’inférence a été traitée au palier textuel par les théories instructionnelles du sens (dont la plus connue est la sémantique procédurale) : elles s’appuient sur l’image des règles informatiques de production (si X, alors Y), et considèrent l’interprétation comme un calcul inférentiel [16]. La théorie de la pertinence (Sperber et Wilson) leur a simplement adjoint un principe a priori d’économie cognitive pour les réguler et leur assigner un terme. Les théories instructionnelles de l’interprétation issues de ce courant, comme celle de Eco, sont tout à la fois séduisantes et limitées, car le concept d’instruction est beaucoup trop fort, et si l’interprétation réglée peut comporter des procédures, elle ne s’y réduit pas : le problème reste de les définir, de les requérir, de les hiérarchiser et de les adapter aux objectifs de la pratique en cours. » (Rastier, 2000a, p. 15).
Selon Rastier, la pragmatique devenue cognitive appelle fonctions pragmatiques, les inférences d’un objet à un autre :
« À la suite de Nunberg, Fauconnier définit ainsi leur principe : “si deux objets (au sens le plus général) a et b sont liés par une fonction pragmatique F (b ) = F (a ), une description de a, da , peut servir à identifier son correspondant [...]. Par exemple une fonction, disons F1 , rattache les écrivains aux livres contenant leurs oeuvres” (1984, p. 16). [...] De ces “signes naturels”, l’antécédent est nommé déclencheur, le conséquent cible, et l’inférence connecteur. Ces dispositions élémentaires servent ensuite à expliquer les relations d’anaphore, constatées dans le discours, et les figures du type l’omelette est partie sans payer. Conformément aux traditions de la philosophie du langage, des relations entre objets du monde sont censées expliquer les relations entre signes linguistiques. » (Rastier, 2001e, p. 87).
Abordant également la théorie des implicatures, il considère que par cette notion, Grice entend élargir le concept d’implication stricte et compléter celui d’implication matérielle :
« Toute implicature suppose une distinction entre ce qui est dit et ce qui est impliqué (non formellement) par ce dire. Les implicatures conventionnelles s’ajoutent au sens “normal” des mots. Par exemple, quand on dit cette pièce est une porcherie, cela implique qu’elle est sale et en désordre [17]. Les implicatures conversationnelles s’établissent apparemment au palier supérieur, celui des énoncés. Par exemple, si quelqu’un me dit il fait froid ici, il affirme la proposition qu’il fait froid ici, mais peut vouloir dire qu’il serait bon de fermer la fenêtre. » (Rastier, 2001e, pp. 87-88).
2. Le paradigme
différentiel
« Si les théories logiques privilégient la référence, les théories pragmatiques l’inférence, la sémantique linguistique de tradition structurale privilégie la différence. » Rastier, Problématiques du sens et de la signification, p. 13 |
Rastier souligne que l’histoire des trois paradigmes, référentiel, inférentiel et différentiel est très disparate ; les deux premiers comptent au moins vingt-cinq siècles d’existence alors que le troisième en compte au plus deux et demi. Alors que les deux premiers font autorité, le troisième doit faire face aux critiques des tenants des paradigmes référentiel et inférentiel qui jugent ce dernier inutile. À propos de la sémantique vériconditionnelle, Johnson-Laird (1988, p. 62, cité par Rastier, 2001e, p. 109) affirme par exemple : « Qu’elle le veuille ou non, une théorie qui relie les mots au monde permet aussi de relier les mots entre eux, rendant ainsi superflues celles qui s’en tiennent aux relations entre les mots ».
NB : les termes suivis d’un astérisque figurent dans notre glossaire (« Introduction à la Sémantique interprétative (suite) – Glossaire – »). Rubrique « Repères pour l’étude ».
2.1. Le démembrement de la triade. L’héritage saussurien
2.1.1. La problématique lexicale de la différence
2.1.1.A. La synonymique
Selon Rastier, la synonymique des Lumières préfigure
(rétrospectivement) ce que peut être une sémantique
linguistique
[18] ; il souligne d’ailleurs que certains ont pu
voir dans la synonymique l’origine de l’analyse sémique
[19].
Les synonymistes inaugurent une troisième problématique de la
signification : la problématique de la différence.
Alors que le problème de la différenciation est un problème
philosophique fondamental - Xénophane notait le caractère
différentiel de la perception des objets : si Dieu
n’avait pas fait le miel doré, les figues nous paraîtraient
plus douces -, la problématique propre à la
sémantique linguistique se forme plus tardivement à partir des
réflexions de Varron, Donat, Servius et, parmi les modernes,
le père Vavasseur, Scioppius, Henri Étienne, et l’abbé Girard.
Ce dernier écrit dans son Traité de la justesse de la
langue française (1718, p. 28) : « il n’y a
point de mots synonymes en aucune langue ».
Il s’agit alors d’admettre l’irréductibilité des langues
les unes aux autres et la spécificité de leurs sémantiques,
dont témoignent en premier lieu leurs lexiques. (Rastier,
2001e, p. 100).
2.1.1.B. La valeur saussurienne
« Si la linguistique était une science organisée comme elle pourrait l’être très facilement, mais comme elle n’est pas jusqu’à présent, une de ses affirmations les plus immédiates serait : l’impossibilité de créer un synonyme, comme étant la chose la plus absolue et la plus remarquable qui s’impose parmi toutes les questions relatives au signe. » (Saussure, [2002], III. Autres écrits de linguistique générale - II. Anciens documents (Édition Engler 1968-1974), 19 [Sémiologie], p. 265).
Selon Rastier, Saussure s’inscrit dans la tradition des synonymistes [20] mais les dépasse par sa définition de la valeur qui rapporte la définition des unités linguistiques à trois principes : (i) la valeur est la véritable réalité des unités linguistiques ; (ii) elle est déterminée par la position des unités dans le système (donc par les différences) ; (iii) rien ne préexiste à la détermination de la valeur par le système.
Saussure révoque le problème de la référence [21] ; pour lui, « la signification consiste en valeur, ce qui s’accorde avec l’abandon décisif de toute référence. » (Rastier, 2003a, p. 24).
« ce qui n’existe pas, ce sont a) les significations, les idées, les catégories grammaticales hors des signes ; elles existent peut-être extérieurement au domaine linguistique ; c’est une question très douteuse, à examiner en tout cas par d’autres que le linguiste. […] » (Saussure, [2002], I. De l’essence double du langage, 24 [Signes et négativité], p. 73) ;
« Ainsi l’existence des faits matériels est, aussi bien que l’existence des faits d’un autre ordre, indifférente à la langue [22]. Tout le temps elle s’avance et se meut à l’aide de la formidable marche de ses catégories négatives, véritablement dégagées de tout fait concret, et par là-même immédiatement prêtes à emmagasiner une idée quelconque qui vient s’ajouter aux précédentes. » (Saussure, [2002], I. De l’essence double du langage, 26 [Question de synonymie], p. 76).
Aussi : « La reconnaissance d’une négativité [23], poussée à son terme, fait du langage un système différentiel d’oppositions et non un codage d’identités référentielles. » (Rastier, 2003a, p. 26).
2.1.2. Une sémantique linguistique
2.1.2.A. La rupture ontologique
La position de Rastier s’inscrit dans la tradition saussurienne - « La sémantique, discipline récente et toujours menacée, n’a pu formuler de programme scientifique autonome qu’en s’appuyant sur la critique radicale de l’ontologie formulée par Saussure. » (Rastier, 2001a, p. 126). Il s’agit pour Rastier de fonder une sémantique linguistique.
« La sémantique linguistique autonome issue de la linguistique structurale européenne s’est développée peu à peu depuis le début du siècle. Elle définit la signification comme un rapport linguistique entre signes, plus précisément entre signifiés. Les signifiés ont à leur tour des corrélats psychologiques, voire physiques, mais ces corrélats ne les définissent pas en tant que tels. » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 24)
Dans son article « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée », Rastier retrace les conséquences de cette rupture ontologique sur la conception même du signe linguistique.
« La sempiternelle triade sémiotique de tradition aristotélicienne (signe =>concept =>référent) se trouve complètement démantelée. Outre la relation de représentation du concept à l’objet, celle qui liait le signe et le concept devient inconcevable : en effet, pas plus que le signifié ne représente l’objet, le signifiant ne représente le signifié. » (Rastier, 2003a, p. 28).
Saussure procède au « rapatriement » du signifié dans les langues, en le distinguant du concept logique ou psychologique - « Il faut alors admettre que le contenu du signe n’est pas un concept universel, mais un signifié relatif à une langue. » (Rastier, 2001e, p. 102).
« On doit en effet au génie de Saussure d’avoir rapatrié le signifié dans les langues, alors qu’il n’avait jamais connu que la sphère éthérée du concept ; et d’autre part d’avoir souligné que le signifiant lui-même était constitué de relations. Ainsi, en même temps, signifiés et signifiants gagnaient des formes d’objectivité propres, qui interdisaient de les assimiler respectivement à des représentations et à des objets physiques. » (Rastier, 1997b, pp. 134-135).
2.1.2.B. Pertinence sémantique vs principes référentialistes
Selon Rastier (2001e, p. 146), la méthode qui préside à l’analyse différentielle peut elle seule résoudre le problème de la pertinence des composants, puisqu’elle opère sur des classes de contenus constituées en fonction de critères linguistiques, et non sur des contenus isolés de la langue pour les définir relativement à leurs référents.
« Pour la sémantique différentielle, le nombre et la nature des composants d’un sémème sont directement déterminés par le nombre et la nature des autres sémèmes que comprend sa classe de définition. En revanche, pour une sémantique référentielle, aucun critère linguistique ne permet de choisir les composants, ni de limiter leur nombre (que l’on compare par exemple la définition en quatre traits de ‘chaise’ dans Pottier (1974, p. 98), à la définition de ‘chair’ en dix traits par Katz [24] (1972, p. 40)). » (Rastier, 2001e, p. 141).
Rastier critique une conception dénotationnelle (ou représentationnelle, extensionnelle) de la signification linguistique qui recourt aux traits référentiels [25] (cf. le modèle de Katz et Fodor, 1963) et où les CNS sont autant de conditions de désignation nécessaires et suffisantes [26] (ou des traits stables du monde réel selon Russel, Carnap et autres positivistes).
« Dans ce cadre théorique, l’analyse du contenu d’un signe consiste à énumérer les conditions auxquelles ce signe doit satisfaire pour dénoter correctement. Ces conditions correspondent à autant de qualités attribuées au référent. À la suite de Reichenbach (définitions de co-ordination) et d’Adjukiewicz (règles empiriques de signification), Ch. Morris définit ainsi les règles sémantiques : “Le signifiant [sign vehicle] ‘x’ désigne les conditions a, b, c, en fonction desquelles il peut s’appliquer. L’énoncé de ces conditions constitue la règle sémantique pour ‘x’. Tout objet ou situation qui remplit les conditions requises est dénoté par ‘x’ ” (1971, p. 37). » (Rastier, 1996a, (2ème éd.), pp. 20-21).
2.2. Le remembrement de la tripartition sémiotique. Problématiques du sens et du texte
2.2.1. Les principes d’une sémantique descriptive unifiée
Rastier se propose de traiter, dans le cadre d’une sémantique différentielle [27], de l’inférence et de la référence [28], puis de placer ces problématiques de la signification* sous la rection de la problématique du sens*, en admettant que le global (le texte*) détermine le local (les signes).
« Si l’on unifie les problématiques de la référence et de l’inférence sous celle de la différence, il faut ensuite présenter des propositions pour unifier ces trois problématiques de la signification sous celle du sens. Dès que la problématique de la différence est transposée de l’ordre paradigmatique à l’ordre syntagmatique, elle dépasse le problème de la signification et s’ouvre à la question du sens. » (Rastier, 2000a, p. 14).
Il précise les principes de cette unification :
« L’inférence est traitée au palier microsémantique par la théorie des sèmes afférents*. Sont afférents les traits sémantiques dont l’actualisation* résulte d’une instruction contextuelle (à la différence des traits inhérents*, qui sont hérités* par défaut du type par l’occurrence) [29]. Les parcours interprétatifs* [30] qui identifient ces instructions peuvent comprendre toutes sortes d’inférences, qui mettent en jeu des connaissances de tous ordres (y compris celles qui procèdent d’autres disciplines que la linguistique). […] Aux paliers mésosémantique et macrosémantique, ce sont également des inférences qui permettent d’inventorier des unités (notamment dans le cas d’ellipses, suppléées par catalyse, au sens hjelmslévien), et de les caractériser (en les affectant par exemple à des univers* et à des mondes*). […]
Pour ce qui concerne à présent la référence, nous ne pouvons prendre en considération la référence directe qui relie sans médiation des expressions et des objets, car elle dénie de fait l’existence d’un niveau sémantique propre aux langues. […] La sémantique différentielle traite en premier lieu de la référence en décrivant les contraintes sémantiques sur les représentations. » (Rastier, 2001e, pp. 110-111).
2.2.1.A. Les paliers de la description linguistique et les degrés de systématicité
Selon Rastier, la tripartition sémiotique, reprise de Morris
et Carnap, conduit à une division de la théorie
sémantique : la sémantique vériconditionnelle et la
pragmatique de la communication se partagent l’étude du
sens ; à la première revient l’étude des
catégorématiques (ou mots référentiels) et du sens
littéral ; à la seconde revient l’étude des
syncatégorématiques (cf. les analyses sur les mots
du discours
[31]) et du sens dérivé.
Rastier refuse la division traditionnelle entre
sémantique et pragmatique ; il s’en écarte
par un double mouvement : les conditions pragmatiques,
considérées en général, sont pour l’essentiel en-deçà de la
structure sémantique dans la mesure où elles sont
constituantes pour les classes sémantiques*
elles-mêmes
[32] ; et au-delà, dans la mesure où, considérées
en particulier, elles ont sur le contenu linguistique une
incidence qui relève de la sémiotique plutôt que d’une
pragmatique autonome
[33] (Rastier, 1996a, p. 11).
D’autre part, il remet en cause « l’absurde »
division entre syntaxe et sémantique dans la
mesure où il considère qu’il n’y a pas entre elles une
différence de niveau mais de palier de description - la
syntaxe dite profonde pouvant être considérée comme la
sémantique propre au palier de la phrase.
Pour la sémantique différentielle, l’essentiel est de pouvoir
traiter par une théorie unifiée des différents paliers de
description - le palier du texte étant toutefois
primordial.
Les trois paliers traditionnels sont le mot, la phrase,
et le texte - les deux premiers ayant été jusqu’ici
privilégiés par la tradition grammaticale et
linguistique : « La tradition logique et ontologique
qui a prévalu en grammaire puis dans les sciences du langage a
isolé le mot dans son rapport avec son référent, la phrase
dans son rapport avec un état de choses, le texte dans sa
relation avec un monde, fictionnel ou non. » (Rastier,
1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p.
137).
Rastier substitue à ce paradigme de la signification,
le paradigme du sens, qui permet de rompre la triple
solitude du signe, de la phrase et du texte. Il retient les
principaux paliers suivants :
Précisions : Les prescriptions du système fonctionnel de la langue sont tout à la fois : (i) impératives (appariements signifiant/signifié, signification [34] [éléments du sémantème* (sèmes inhérents*) des morphèmes] : ex. ‘re-’ est /itératif/) ; (ii) imprécises (couvr- signifie par exemple ‘superposition d’une protection [quelle qu’elle soit] à un objet [quel qu’il soit]’) et ce vague est nécessaire pour pouvoir interpréter les nouveaux emplois et les néologismes ; (iii) soumises à des conditions multiples, puisque tout sème inhérent peut se trouver virtualisé* par le contexte* (cf. Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », pp. 59-60).
Notes : Le morphème est le signe minimal, indécomposable dans un état synchronique donné. Ex. : rétropropulseurs compte cinq morphèmes : rétro-, pro-, puls-, -eur, -s. Il y a deux types de morphèmes, le grammème* et le lexème*. Le signifié d’un morphème est le sémème*.
Le grammème est un morphème appartenant à une classe fortement fermée, dans un état synchronique donné. Ex. : « -ir » (dans « courir »).
Le lexème est un morphème appartenant à une ou plusieurs classes faiblement fermées, dans un état synchronique donné. Ex. : « cour-» dans « courir ».
=> L’« inventaire » des morphèmes (grammèmes et lexèmes) semble ainsi relever de la langue [langue définie comme système de morphèmes].
=> Les sémèmes des morphèmes ne peuvent être interdéfinis qu’au sein de paradigmes groupant des unités de rang supérieur, les lexies (relevant d’une classe morphologique identique ou équivalente).
À noter : les sémèmes des morphèmes libres (ex. grammèmes libres : les prépositions), doivent être interdéfinis dans le cadre de syntagmes. Ex. On pourra opposer ‘à ’ et ‘de’ dans à Paris et de Paris (cf. « il vient à Paris », « il vient de Paris ») mais aussi ‘à ’, ‘par’ et ‘sur’ dans le paradigme à terre, par terre, sur terre (cf. Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 59).
Notes : Les lexies sont des
combinaisons stabilisées de morphèmes. Elles
diffèrent selon les degrés d’intégration des
morphèmes qui les composent : il y a
intégration maximale pour les lexies peu complexes
(ex. démonter), intégration forte pour
les lexies complexes qui n’admettent pas
l’insertion (ex. à la queue leu leu),
intégration moins forte pour les lexies complexes
qui admettent l’insertion (ex. monter au
créneau). À noter : les lexies
peuvent n’être constituées que d’un seul
lexème ; on parlera de lexie simple. Rastier
précise qu’un continuum s’étend des lexies simples
aux lexies complexes et jusqu’aux
phraséologies* : « les figements
discursifs connaissent divers degrés »
(Rastier, 2004b). À noter : « Le
découpage morphologique résulte de parcours
interprétatifs et dépend de conditions
herméneutiques. Ainsi, l’expression monter au
créneau comprend trois lexies dans Bayard
monte au créneau, mais une seule dans
Rocard monte au créneau. »
(Rastier, 1997a, p. 310).
Le signifié de la lexie est la sémie* -
« Au niveau sémantique, les mots qui
constituent une lexie complexe n’ont pas
d’autonomie contextuelle, si bien que le parcours
interprétatif attribue un sens à la lexie, mais
non à ses composants. » (ibid., p.
308) ; « Plus généralement, au palier du
syntagme minimal (les lexies que sont les mots et
locutions comptent pour des syntagmes minimaux)
comme d’ailleurs aux autres paliers, le principe
de compositionnalité est invalide, et son maintien
est une décision normative. » (ibidem, p.
309). À noter : Bien que Rastier
distingue entre sémie et sémème, il
utilise très souvent la notion de sémème à la
place de celle de sémie – c’est le cas dans bon
nombre de citations et d’exemples que nous
reprenons dans cette Deuxième partie.
Précisions : Rastier conteste le primat (millénaire) de la phrase - y compris en sémantique. « En somme, on arrive à un paradoxe : dès que l’on décrit des corpus et non des exemples, le rôle de la phrase se trouve relativisé, et il faut en conclure qu’elle n’était qu’un idéal normatif né de l’antique alliance de la logique et de la grammaire. Les unités sont soit plus petites, soit plus grandes. Le syntagme est sans doute le véritable lieu de la prédication, dans la mesure où elle n’est qu’une forme de détermination ; et par exemple l’adjectif épithète est aussi prédicatif que l’adjectif attribut, même s’il l’est autrement. L’unité supérieure au syntagme est la période, dont le concept a été réélaboré récemment par plusieurs auteurs (Adam, Charolles, Berrendonner), et qui convient mieux que celui de phrase. Ses limites sont rhétoriques plutôt que logiques : à l’oral la période est une unité respiratoire ; à l’oral comme à l’écrit, c’est une zone de localité sémantique, définissable par des relations privilégiées (d’anaphore et de coréférence notamment) qui s’établissent au sein d’une suite de syntagmes. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 116).
Précisions : => Le morphème prend son sens dans la lexie [38] ; la lexie, dans le syntagme ; le syntagme, dans la période ; la période, dans le texte ; le texte dans la pratique sociale* où il est produit, et relativement à d’autres textes [39]. La sémantique unifiée permet ainsi de faire communiquer l’en deçà du mot* et l’au-delà de la phrase.
=> Les normes génériques et discursives, les normes idiolectales (styles*), moins prescriptives que les “règles” linguistiques [40], prédominent aux paliers de la période et du texte. Ces normes ne diffèrent des “règles” linguistiques que par leur degré de prescriptivité [41], non par nature.
Selon Rastier, le « chaînon manquant » entre la langue et la parole est constitué par l'espace des normes [42].
« Entre l’espace normatif des règles et le désordre apparent des usages, entre l’universel de la langue et la singularité des emplois, l’espace des normes s’étend de la généralité de la doxa jusqu’à la particularité du paradoxe. La dualité langue/parole n’est évidemment pas une contradiction. De fait, les règles de la langue sont sans doute des normes invétérées et les performances de la parole ne restent évidemment pas exemptes de normativité : elles instancient et manifestent les règles de la langue et diverses normes sociolectales. »(Rastier, 2004a, in Texto !).
* Sur la dualité langue/parole : Relèvent d’une linguistique de la langue, les morphèmes isolés (hors du contexte de leurs lexies) et les “règles” linguistiques (phonétique, morphologie, morphosyntaxe). Les classes lexicales, comme les taxèmes*, sont des classes doxales qui appartiennent à une linguistique de la parole. Nous disposons à la fin de ce chapitre une schématisation articulant linguistique de la langue et linguistique de la parole.
2.2.1.B. Les quatre ordres de la description
Rastier distingue, outre les ordres syntagmatique* et paradigmatique* [43], deux autres ordres mis en œuvre par les langues, et qui à la différence des deux premiers, ne sont pas régis principalement par le système fonctionnel : il s’agit de l’ordre référentiel* et de l’ordre herméneutique*.
(i) l’ordre référentiel : « Ce que nous appelons ici référence n’est pas un rapport de représentation à des choses ou à des états de choses, mais un rapport entre le texte et la part non linguistique de la pratique où il est produit et interprété. »(Rastier, 1996e, p. 35).
(ii) l’ordre herméneutique : « C’est celui des conditions de production et d’interprétation* des textes. Il englobe avec les phénomènes dits de communication, ce que l’on appelle ordinairement les facteurs pragmatiques ; mais il les dépasse car il inclut les situations de communication codifiées, différées, et non nécessairement interpersonnelles. Il est inséparable de la situation historique et culturelle de la production et de l’interprétation. Son étude systématique doit rendre compte des différences de situation historique et culturelle qui peuvent séparer la production de l’interprétation. » (Rastier, 1997b, p. 133).
Rastier précise que l’ordre herméneutique
[44] domine l’ordre référentiel - « on ne
réfère jamais qu’à une doxa, c’est-à-dire un ensemble
d’axiomes normatifs localement établis par le corpus des
textes oraux ou écrits faisant autorité dans la pratique en
cours. » (Rastier, 2001d, p. 108).
Contrairement à une linguistique restreinte qui a privilégié
les ordres syntagmatique et référentiel, délaissant ainsi les
deux ordres « cachés » - paradigmatique et
herméneutique - , la sémantique interprétative prend en compte
ces quatre ordres et cherche à restituer leur unité.
2.2.1.C. Les paliers de la théorie sémantique
Rastier fait correspondre aux principaux paliers de la description linguistique, les trois paliers de la théorie sémantique, microsémantique, mésosémantique, et macrosémantique, en unifiant leur conceptualisation.
Chacune des composantes de la sémantique unifiée participe ainsi à la description de ces paliers, aussi bien pour l’interprétation que pour la production.
=> LA MICROSÉMANTIQUE
2.2.2. L’analyse différentielle
Sèmes génériques/Sèmes spécifiques
Rastier considère que l’identification des sèmes est soumise à conditions herméneutiques ; il adopte une perspective onomasiologique*, qui définit les signifiés au sein de classes sémantiques [47], “en langue” (doxa) et “en contexte” [48]. Cette perspective s’oppose à la perspective sémasiologique*, qui fait correspondre à un signifiant toutes les significations qu’il est susceptible de véhiculer [49], et qui, pour réduire la polysémie [50], cherche à interdéfinir ces diverses significations [51].
La perspective onomasiologique introduit la distinction entre sèmes spécifiques* et sèmes génériques* - la définition de ces sèmes étant relative à une classe de sémèmes.
- sème spécifique [notion revue dans notre glossaire] : élément du sémantème opposant le sémème à un ou plusieurs sémèmes du taxème auquel il appartient. Ex. ‘mausolée’ s’oppose à ‘mémorial’ par le sème /présence du corps/.
- sème générique [notion revue dans notre glossaire] : trait sémantique marquant l’appartenance du sémème à une classe sémantique.
Rastier distingue différents types de sèmes
génériques :
(i) les sèmes microgénériques, qui marquent
l’appartenance d’un sémème à un taxème ;
(ii) les sèmes mésogénériques, qui marquent
l’appartenance d’un sémème à un domaine* ;
(iii) les sèmes macrogénériques, qui marquent
l’appartenance d’un sémème à une dimension*.
Illustration : l’exemple d’autobus/autocar
[52]
Rastier examine les sémies : ‘métro’, ‘train’, ‘autobus’,
‘autocar’. Toutes ces sémies relèvent du domaine
//transports// (moyens collectifs). Il en propose deux
analyses qui posent le problème de l’identification des
ensembles de définition :
=> Quels taxèmes ?
(1)
//transports// (moyens collectifs)
//ferré//
//routier//
‘métro’
/intra-urbain/
‘autobus’ /intra-urbain/
‘train’
/extra-urbain/
‘autocar’ /extra-urbain/
(2)
//transports// (moyens collectifs)
//intra-urbain//
//extra-urbain//
‘métro’
/ferré/
‘train’ /ferré/
‘autobus’
/routier/
‘autocar’ /routier/
Pour (2) :
« par exemple, les notes de frais de la Cisi-Ingéniérie placent sous des rubriques différentes la classe autobus/métro, et la classe autocars/chemins de fer. Ces deux taxèmes diffèrent donc par les traits génériques /intra-urbain/ vs /extra-urbain/, et les oppositions sémiques qui les structurent sont alors identifiables sur la base de ces regroupements. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 76).
Cette seconde présentation semble correspondre aux situations pragmatiques les plus courantes [53] : en principe, on choisit un moyen de transport en fonction de sa destination, et non parce qu’il est ferré ou routier. Mais les deux analyses restent valables, cela dépend de la situation, du contexte et l’on voit par là que la définition des sèmes génériques et des sèmes spécifiques est relative à une classe de sémèmes (cf. Rastier, 1996a, p. 49) - car aucun sème n’est par nature spécifique ou générique.
Rastier parle de conditions pragmatiques globales lorsqu’il évoque les situations de choix au sein de pratiques sociales (conditions attestées de communication - l’entour* de la communication) ; selon lui, les taxèmes reflètent ces situations de choix [54] :
« Aussi, les énoncés que l’on aura à décrire seront du type : “Tu prends le métro ou le bus ?” ou “Je préfère y aller en train qu’en car”, plutôt que : “Tu prends l’autobus ou l’autocar ? ”. Cependant, des énoncés comme : “On y va en train ou en métro ?” restent évidemment possibles, et recevables. » (Rastier, 1996a, (2ème éd.), pp. 51-52).
Il ajoute :
« Notons qu’ici encore, les situations concrètes restent déterminantes, et ne correspondent pas toujours aux situations canoniques : si par exemple je demande à un ami Tu rentres à pied ou en métro ? parce qu’il se trouve à une station de chez lui, cela n’entraîne pas que ‘à pied’ doive soudain figurer dans la classe des transports parisiens. » (1994a, Chapitre III, « La microsémantique », pp. 76-77).
=> Quels sèmes spécifiques ?
« Une fois identifiés les taxèmes, il reste à les structurer en précisant quels sèmes spécifiques distinguent leurs éléments. Ici encore, des considérations herméneutiques [55] doivent guider la méthodologie. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 77).
Ainsi : « pour opposer ‘métro’ et ‘autobus’, on peut choisir la catégorie /ferré/ vs /routier/dans un texte technique, mais aussi /lent/ vs /rapide/ si l’on décrit les raisons du choix des usagers, ou /en surface/ vs /souterrain/ si l’on dépouille une enquête sur la claustrophobie, etc. Bien entendu, ces divers axes ne s’excluent pas, mais une description pertinente doit rejeter les catégories inutiles. » (ibid., souligné par nous).
Sèmes inhérents/Sèmes afférents
Les sèmes (génériques et spécifiques) peuvent être inhérents ou afférents :
Rastier précise que sèmes afférents et sèmes inhérents ne diffèrent que par la complexité des parcours interprétatifs qui les actualisent, et non par le statut ontologique de leurs référents prétendus.
Notes :Rastier introduit un nouveau concept, la
taxémie*, qu’il distingue du taxème (cf. Rastier,
2001d, note 2, p. 154) : alors que le taxème est
une classe minimale de sémèmes, la taxémie est une
classe minimale de sémies.
Nous proposons la définition suivante de la
taxémie : une taxémie est une classe minimale
de sémies, à l’intérieur de laquelle sont définis
leurs sèmes spécifiques et leur sème
microgénérique. Ex. 1 /monument funéraire/ pour
‘mausolée’ et ‘mémorial’. On notera qu’ici il s’agit
des sémies de deux lexies simples
« mausolée » et « mémorial » (nous
parlons de lexie simple lorsque la lexie est composée
d’un seul lexème (morphème) ; dans l’exemple
donné, les lexèmes sont : « mausolée- » et
« mémorial- »). Ex. 2 /couvert/ pour
‘couteau’, ‘cuiller’, ‘fourchette’. Dans ce deuxième
exemple, nous trouvons les sémies de deux lexies
simples « couteau » et
« cuiller », et d’une lexie complexe
« fourchette ».
Remarque : Bien que Rastier distingue
entre taxème et taxémie, il utilise très
souvent la notion de taxème à la place de celle
de taxémie – c’est le cas dans bon nombre de
citations et d’exemples que nous reprenons dans cette
Deuxième partie.
2.2.3. Les opérations interprétatives
2.2.3.A. Assimilation et dissimilation
Deux lois fondamentales gouvernent les opérations interprétatives : la dissimilation* et l’assimilation*.
- La loi de dissimilation opère en présence de contrastes sémantiques* faibles entre des unités (c’est notamment le cas pour les tautologies ; ex. : une femme est une femme [58]) ; elle augmente les contrastes sémantiques [59].
- La loi d’assimilation opère à l’inverse quand les contrastes sémantiques sont forts entre des unités (contradictions, coq-à-l’âne) ; elle diminue les contrastes sémantiques. Ex. (donné par Rastier, 1996a, p. 78) : soit la pancarte Interdit aux juifs et aux chiens, apposée dans les lieux publics pendant l’occupation nazie. Le sème macrogénérique /animalité/ dans ‘chien’ est propagé (par assimilation) sur ‘juifs’ (le sème macrogénérique inhérent /humain/ dans ‘juifs’ se trouve alors virtualisé).
Ces lois sont en relation avec des conditions minimales
d’interprétabilité ; Rastier établit deux conditions
complémentaires :
a) Pour qu’un énoncé ou un syntagme à isotopie*
forte soit interprétable, il faut que les sémèmes en relation
d’attribution diffèrent par au moins un sème (fût-il
afférent).
b) Pour qu’un énoncé ou un syntagme à allotopie*
forte soit interprétable, il faut que les sémèmes en relation
d’attribution comportent au moins un sème identique.
2.2.3.B. Inhibition, activation, propagation
Rastier distingue trois opérations :
a) l’inhibition interdit l’actualisation de sèmes inhérents. Ces sèmes sont alors virtualisés [60]. Ex. dans ce corbeau blanc : le sème /noir/ inhérent à ‘corbeau’ est inhibé.
b) l’activation permet l’actualisation des sèmes. Elle est nécessaire mais non suffisante. Elle n’intéresse pas les sèmes inhérents mais les sèmes afférents – « qui sont présents dans la sémie-type sous la forme de catégories et non de traits spécifiés » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique, p. 69). Ex. le sème /debout/ n’est pas un sème inhérent de ‘bergère’, c’est un des traits virtuels que l’on peut inférer du sème /humain/ inhérent à ‘Bergère’. Or dans le contexte Bergère ô tour Eiffel [61], /debout/ va être actualisé (par assimilation) dans ‘Bergère’ par la présence du sème inhérent /verticalité/ de ‘tour’ [62].
c) la propagation de sèmes intéresse les sèmes afférents contextuels. Ex. dans l’Assommoir (ch. VII) le contexte propage le sème /grande taille/ sur ‘saladier’ (c’est le plus grand récipient possédé par le ménage) – « La blanquette apparut, servie dans un saladier, le ménage n’ayant pas de plat assez grand ». Notons que le phénomène de la propagation des sèmes est évident pour les noms propres de personnes, dont le contenu (hors quelques sèmes génériques inhérents) n’est constitué que de sèmes afférents en contexte.
Rastier définit plusieurs principes :
(i) Tout sème peut être virtualisé par le contexte ;
(ii) Tout sème n’est actualisé qu’en fonction du
contexte ;
(iii) Aucun sème n’est actualisé en tout contexte.
La microsémantique laisse ainsi toute sa place à l’ordre herméneutique : l’actualisation des composants sémantiques, même inhérents [63], est en effet conditionnée par le contexte (cf. Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 65).
2.2.3.C. Les conditions des opérations interprétatives
Pour déclencher le parcours interprétatif, Rastier distingue : (i) le problème* qu’il a pour effet de résoudre ; (ii) l’interprétant* qui sélectionne l’inférence à effectuer ; (iii) la condition d’accueil* qui abaisse le seuil d’activation, et permet ou facilite ainsi le parcours.
- Le problème interprétatif le plus simple est posé par la discohésion sémantique, par exemple la juxtaposition de sémèmes contradictoires [64].
- La condition d’accueil stipule les constructions morphosyntaxiques qui permettent le parcours interprétatif. Par exemple, il est facilité à l’intérieur du même syntagme.
- L’interprétant est une unité linguistique ou sémiotique [65] permettant de sélectionner la relation sémique pertinente entre les sémèmes reliés par le parcours interprétatif. Rastier souligne que ce sont les conditions herméneutiques (qui se rapportent au discours*, au genre* du texte, à la situation de communication) qui permettent d’appréhender l’interprétant comme tel. Il ne doit pas être confondu avec une instruction [66], et n’est reconnu comme indice qu’a posteriori.
Ex. publicitaire : le slogan suivant pour le Nouveau Scénic RX4 de Renault :
« Nouveau Scénic RX4 À ne pas confondre avec une voiture. »
- Problème interprétatif : rupture d’une isotopie taxémique ; création d’un paradoxe (‘Nouveau Scénic RX4’ et ‘voiture’ devraient posséder le même sème microgénérique : /voiture/).
- Conditions d’accueil : mise en opposition de ‘Nouveau Scénic RX4’ et de ‘voiture’.
- Interprétants : connaissances encyclopédiques [67], visuel [68] et rédactionnel.
=> Opérations interprétatives : notamment afférences des sèmes spécifiques /prestige/, /exception/, /distinction/, /puissance/, /hors normes/ sur ‘Nouveau Scénic RX4’ ; et afférences des sèmes spécifiques /banalité/, /normalité/, /monotonie/, /péjoratif/ sur ‘voiture’.
On pourrait noter ici la volonté de créer un parangon* : ‘Nouveau Scénic RX4’ comme parangon (meilleur exemplaire) de la classe des //voitures//. Or, en contexte, le sème microgénérique inhérent /voiture/ est inhibé sur ‘Nouveau Scénic RX4’. On soulignera davantage la volonté de créer une nouvelle classe, distincte de la classe « traditionnelle » des voitures, voire sans commune mesure avec elle.
=> LA MÉSOSÉMANTIQUE
Selon la linguistique traditionnelle, le palier de la phrase
est celui où règne la morphosyntaxe, discipline censée
échapper aux déterminations sémantiques. Pour une sémantique
des textes, il s’agit avant tout de mettre fin à la prétendue
autonomie de la syntaxe, et de reconnaître l’importance de
l’ordre herméneutique pour la description syntaxique – Rastier
précise que l’ordre herméneutique l’emporte en dernière
instance sur l’ordre syntagmatique dont relève la
syntaxe : les relations sémantiques rattachent toute
phrase à son contexte situationnel.
Dans ce cadre, la morphosyntaxe a un rôle important, mais
secondaire ; Rastier la conçoit comme un substrat des
opérations sémantiques, elle peut se définir comme un système
régulant la propagation des traits sémantiques
[69] (cf. supra, les contraintes et conditions d’accueil
pour les parcours interprétatifs).
Rastier souligne le caractère tout relatif de la frontière
qui sépare sémantique et syntaxe ; il utilise le concept
d’isotopie
[70] - créé par A.-J. Greimas (1966) - pour illustrer
leurs relations.
Il distingue entre isotopies prescrites par le système de la
langue (ou isosémies* - concept dû à B. Pottier) et celles qui
peuvent être dites facultatives (relativement au système de la
langue) dans la mesure où elles relèvent d’autres systèmes de
normes. Il conserve pour ces dernières le terme général
d’isotopies
[71]. Au terme d’une étude détaillée et exemplifiée
(présentée dans Sémantique pour l’analyse, Chapitre V),
Rastier formule la conclusion suivante : les parcours
interprétatifs qui permettent de constituer les isosémies sont
seulement plus simples que ceux qui permettent de construire
les isotopies.
Rastier s’intéresse aux phénomènes d’accord ; il montre
le caractère proprement sémantique des accords. Il s’intéresse
également à la rection et à la dépendance casuelle qu’il
envisage comme conditions d’accueil morphosyntaxiques, guidant
les propagations casuelles - les parcours interprétatifs qui
permettent l’assignation de cas sémantiques* apparaissant
alors comme des optimisations de contraintes ou de
préférences.
Bien qu’il considère les isotopies comme étant autonomes à
l’égard des relations syntaxiques, Rastier souligne le rôle
important que jouent les relations syntaxiques dans le tracé
du parcours interprétatif qui permet d’identifier une
isotopie : « elles rendent compte notamment du
caractère assimilateur ou dissimilateur des contextes »
(Rastier, 1996a, pp. 96-97).
2.2.4. La notion d’isotopie
Une isotopie sémantique est définie comme l’effet de la récurrence d’un même sème, dit sème isotopant. Les relations d’identité entre les occurrences du sème isotopant induisent des relations d’équivalence entre les sémèmes qui les incluent.
Rastier étend le concept d’isotopie aux différents types de sèmes. La distinction entre sème générique et sème spécifique se retrouve au palier mésosémantique avec la distinction entre isotopie générique, induite par la récurrence d’un sème générique, et isotopie spécifique, induite par la récurrence d’un sème spécifique.
2.2.4.A. Isotopies génériques
Les isotopies génériques se divisent en trois types selon les classes qu’elles manifestent.
Nous présenterons plus en détail la notion d’isotopie générique au Chapitre 2.
2.2.4.B. Isotopies spécifiques
Les isotopies spécifiques reposent quant à elles sur des
récurrences de sèmes spécifiques ; par exemple, dans
L’aube allume la source (P. Éluard), la récurrence du
sème spécifique /inchoatif/ inhérent aux sémantèmes de ‘aube’,
‘allume’ et ‘source’, induit une isotopie spécifique.
Les isotopies spécifiques permettent notamment d’analyser en
détail les isotopies génériques et de les articuler entre
elles ; selon Rastier, elles sont un facteur primordial
de la cohésion* des périodes (et, au-delà, des textes).
« Les isotopies spécifiques sont indépendantes des isotopies macro- et mésogénériques ; (i) elles peuvent indexer des sémèmes appartenant au même domaine, ou à la même dimension, (ii) mais par ailleurs elles peuvent indexer des sémèmes appartenant à des taxèmes, domaines, ou dimensions différents : c’est le cas notamment quand des isotopies spécifiques participent à des connexions* métaphoriques ou symboliques » (Rastier, 1996a, (2ème éd.), p. 112).
Molécule sémique
Rastier appelle molécule sémique* un groupement stable et
structuré de sèmes spécifiques. Par exemple, dans
L’Assommoir (et notamment, à titre indicatif, dans ce
passage : « Le saladier se creusait, une cuiller
plantée dans la sauce épaisse, une bonne sauce jaune qui
tremblait comme une gelée »), Rastier décrit une molécule
sémique (isotopies spécifiques en faisceau*) qui regroupe les
sèmes /jaune/, /chaud/, /visqueux/ et /néfaste/.
Les molécules sémiques ne sont pas nécessairement
lexicalisées ou du moins leur lexicalisation peut varier.
Rastier distingue des lexicalisations synthétiques, qui
manifestent au moins deux sèmes, et des lexicalisations
analytiques, qui n’en manifestent qu’un. Dans l’exemple
analysé ci-dessus, il n’y a pas de lexicalisation
privilégiée ; la molécule sémique peut être lexicalisée
par alcool, sauce, morve, huile,
pipi, mais aussi par toutes sortes de syntagmes voire
de lexicalisations partielles dispersées.
Fonds et formes sémantiques
Les molécules sémiques sont les formes sémantiques* de base :
« Les molécules sémiques sont des formes sémantiques simples, alors que les isotopies génériques sont des fonds sémantiques* sur lesquels elles se présentent à la perception. » (Rastier, 2001d, p. 201).
Selon Rastier, les isotopies génériques « déterminent, en termes gestaltistes, les fonds sur lesquels se détachent les formes sémantiques. » [72] (Rastier, 1992b, p. 103).
Pour une sémantique des textes, le syntagme et la période sont des lieux de formation et de déformation des formes et des fonds sémantiques [73].
« Considérés isolément, le syntagme et
la période apparaissent comme des lieux de constitution de
formes ou d’éléments de formes sémantiques. Replacés dans
la continuité du texte, ils sont un lieu d’entretien des
fonds et des formes, entretien pouvant consister en
continuation, réitération, ou déformation. Leurs
structures syntaxiques sont, de ce point de vue, des
moyens de conduction des traits ou de distribution de
l’activité sémantique.
Au palier microsémantique, on décrit l’actualisation des
sèmes. Au palier mésosémantique se pose le problème de
leur intégration à des formes ou fonds sémantiques. Ceux
qui ne s’intègrent pas n’ont plus à être retenus. Les
autres sont conservés comme éléments des morphologies
sémantiques complexes qui sont propres au palier
textuel. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La
mésosémantique », p. 136).
Isotopies mixtes
Rastier envisage également des isotopies mixtes [74] ; il s’agit d’isotopies constituées par la récurrence d’un sème qui revêt des statuts différents selon les sémèmes qui l’incluent : ce sème peut être récurrent en qualité de sème spécifique dans un sémème ; en qualité de sème générique dans un autre sémème puisque aucun trait n’est par nature spécifique ou générique.
2.2.4.C. Isotopies inhérentes et afférentes
Certaines isotopies sont constituées par la récurrence d’un
sème inhérent ; d’autres, par celle d’un sème afférent
mais Rastier précise que la plupart des isotopies d’un texte
incluent des occurrences où le sème isotopant est inhérent et
d’autres où ce même sème est afférent. Il prend pour exemple
une phrase de L’Assommoir (septième chapitre,
consacré à un grand repas ; ici on sert une blanquette de
veau) : « Le saladier se creusait, une cuiller plantée
dans la sauce épaisse, une bonne sauce jaune qui tremblait
comme une gelée », dans laquelle il repère la récurrence
du sème /intensité/
[75]. Ce sème isotopant est afférent dans :
‘saladier’ [glose : c’est le plus grand récipient
possédé par le ménage] ; ‘se creusait’ [glose :
suppose une consistance quasi solide] ; ‘plantée’
[glose : suppose une consistance quasi solide] ;
‘jaune’ [glose : couleur très foncée pour une
sauce blanche (déf. Blanquette)] ; ‘tremblait’
[glose : suppose une consistance maximale pour une
sauce] ; ‘gelée’ [glose : suppose une
consistance maximale pour une sauce]. Il est
inhérent dans ‘épaisse’ [glose : intensif sur
l’axe de la consistance] et ‘bonne’ [glose :
intensif sur l’axe de la valeur]. L’isotopie ainsi
constituée comprend des occurrences dans lesquelles le sème
/intensité/ revêt des statuts différents.
Rastier précise alors que le degré de complexité du parcours
interprétatif permettant de construire une isotopie est
fonction notamment de la proportion relative des occurrences
où le sème isotopant est inhérent, ou afférent :
« plus souvent le sème isotopant est inhérent, plus ce
parcours est simple, et plus les procédures de validation de
l’isotopie sont aisées. » (Rastier, 1996a, p. 113).
2.2.4.D. La poly-isotopie
Rastier distingue deux types fondamentaux d’interrelation entre isotopies :
a) la poly-isotopie* (au sens restreint) : lorsque les sèmes isotopants sont liés par une relation de disjonction (inclusive ou exclusive), de contradiction ou d’incompatibilité.
b) le faisceau d’isotopies - ou faisceau isotopique : lorsque les sèmes isotopants sont liés par une relation de conjonction ou d’implication.
Faisceaux isotopiques et poly-isotopies (au sens restreint) font l’objet de parcours interprétatifs différents puisque les connexions entre leurs isotopies constituantes ne sont pas de même nature. (Rastier, 1996a, p. 116) - « Et l’on n’opère pas de même pour évaluer leur plausibilité : celle de chaque constituant d’un faisceau renforce cumulativement celle des autres ; ce qui n’est pas le cas pour les poly-isotopies (au sens restreint). » (ibid.).
2.2.4.E. Relations entre isotopies
Il est possible dans les analyses textuelles de rapporter le
nombre de sémèmes indexés au nombre total des sémèmes d’un
texte et d’évaluer ainsi la densité
macrosémantique d’une isotopie. En étudiant l’ensemble
des isotopies d’un texte, on peut alors comparer leur taux de
densité (ou de rareté) relatifs, et définir entre elles
une hiérarchie quantitative
[76].
Outre la densité macrosémantique, Rastier envisage
d’autres types de relations entre isotopies : la
connectivité (connexions métaphoriques, connexions
symboliques) ; la productivité, qui s’évalue par
le nombre de réécritures que l’isotopie inclut ; la
dominance* (critère qualitatif d’étendue
[77] et de densité sémique) ; la
hiérarchie*(critère qualitatif d’évaluation).
Dans le cas d’un faisceau isotopique, on peut évaluer le
poids du faisceau, défini par le nombre d’occurrences
de chacun des traits du faisceau ; et la densité
microsémantique de ce faisceau, définie par le nombre
moyen de traits récurrents par sémème.
=> LA MACROSÉMANTIQUE
2.2.5. Le paradigme du texte
2.2.5.A. Les composantes sémantiques
Rastier définit quatre composantes sémantiques* autonomes, organisées en hétérarchie : la thématique*, la dialectique*, la dialogique*, et la tactique*. Il conçoit la production et l’interprétation des textes comme une interaction non-séquentielle de ces composantes.
Si complexes ou si abstraites soient-elles, les unités et les relations dans les quatre composantes restent analysables en sèmes. Ces composantes sémantiques [86] interagissent à tous les paliers de la description sémantique [87], et leur interaction se complexifie à mesure que l’on va de la lexie au texte.
« (i) La thématique d’un texte peut d’abord se décrire par son étendue, c’est-à-dire la part de l’univers sémantique mise en jeu, comme par ses restrictions de fait. Rapportée à la tactique, cette étendue est linéarisée en isotopies ou spécifiée en molécules sémiques, les unes comme les autres pouvant être caractérisées par leur position relative dans le texte. L’étendue thématique peut varier au cours du texte. […] Rapportées à la dialectique, les molécules sémiques deviennent, par adjonction de traits casuels afférents, des acteurs ou des fonctions, voire — après homologation — des agonistes ou des séquences. Rapportées à la dialogique, les isotopies et molécules sémiques se placent dans des espaces modaux. […]
(ii) La dialectique d’un texte peut être spécifiée par le type de processus qu’elle met en œuvre, notamment selon qu’ils sont réversibles ou non. Parmi les processus irréversibles, certains constituent des molécules sémiques nouvelles. […] L’évolution interne de l’univers sémantique décrit dépend ainsi des structures dialectiques du texte. […] Le couplage de la structure dialectique avec la thématique définit l’orientation dialectique : selon que les unités thématiques des premiers intervalles temporels sont mieux ou moins bien valorisées que celles des derniers, la morale des récits, et le sens de l’histoire pour la société considérée, sont optimistes ou pessimistes.
(iii) La dialogique a été bien étudiée pour les textes littéraires, mais fort peu pour les autres. […] Rapportées à la thématique et à la dialectique, les variations dialogiques introduisent des dénivellations entre mondes et des ramifications du temps.
(iv) Rapportée aux autres composantes, la composante tactique permet de définir des rythmes thématiques (utilisés notamment en poésie), des rythmes dialectiques (mis à profit dans les arts du récit), des rythmes dialogiques (cf. les romans “polyphoniques”, le théâtre). » (Rastier, 1994a, Chapitre VII, « La macrosémantique », pp. 184-185).
Rastier propose l’hypothèse suivante : sur le plan sémantique, les genres sont définis par des interactions normées entre les composantes [88] - cf. infra, chapitre 2, 2. La poétique généralisée.
Notes : dans Sémantique pour l’analyse (Chapitre VII, « La macrosémantique », p. 183), Rastier prend l’exemple d’une notice d’entretien. Elle se caractérise comme suit :
« (i) Une thématique fixe pour trois raisons : l’isotopie générique de champ est unique (et lexicalisée par le titre) ; les molécules sémiques correspondent à des lexicalisations à fort recouvrement (ex. la cuve du filtre / la cuve ) ; les molécules sémiques sont invariables.
(ii) Dans la dialectique, l’inventaire des acteurs est fixe (il n’y a pas création ni disparition d’acteurs). Ils sont présentés en trois groupes, les outillages et ingrédients, énumérés d’abord, les parties de l’avion, les agents présupposés par l’impératif, chaque groupe correspondant à un type de rôles (adjuvants, objets, agents). Les fonctions sont réversibles (ex. déposer / reposer , défreiner / freiner ). Leur succession est ordonnée fixement, comme le montre pour les indexer l’usage de chiffres et de lettres successifs.
(iii) La dialogique se caractérise par une prépondérance du factuel, le contrefactuel étant réservé aux notes (ex. : ne jamais employer de produits chlorés), le possible renvoyant à une procédure intercalaire facultative (effectuer éventuellement […]). Les foyers énonciatif et interprétatif sont fixes.
(iv) La tactique ne correspond à aucune succession temporelle dans la première partie (outillage et ingrédients), mais à une succession stricte dans la seconde. On relève des inversions en forme de chiasme (ex. : 2. Accéder à la soute arrière. 3. Déposer les panneaux d’accès aux racks hydrauliques, inversé dans 9. Reposer les panneaux d’accès aux racks hydrauliques. 10. Refermer la porte de la soute arrière). Ces inversions sont liées aux phases initiales et finales des processus prescrits. ».
Le thème
Rastier précise que le thème, en tant qu’unité, relève de la
mésosémantique, mais que par ses récurrences, il intéresse la
macrosémantique - « Ses lexicalisations
[89] diverses apparaissent généralement dans un espace
inférieur à trois cents mots ; un espace de cinquante
mots environ semble suffire pour identifier les quatre
cinquièmes des occurrences d’un thème. » (Rastier, 2001d,
pp. 202-203).
Rastier développe les principes déontologiques d’une analyse
thématique assistée par ordinateur
[90] (articulation d’une déontologie générale avec les
biais pratiques imposés par les tâches). Il résume les
principales étapes d’une recherche thématique assistée :
« (i) Choix des hypothèses, en fonction de l’objectif général de la recherche (une préanalyse statistique peut guider la recherche d’hypothèses, mais la fréquentation préalable du corpus reste indispensable pour guider les intuitions). (ii) Recherche de cooccurrents par la méthode statistique des écarts réduit ou hypergéométrique. (iii) Transformation interprétative des cooccurrents* en corrélats*, et constitution des réseaux thématiques (cette étape est facilitée si l’on a pratiqué une interrogation simultanée sur plusieurs cooccurrents). (iv) Validation des résultats, par croisement de l’analyse thématique avec l’analyse d’autres composantes du même corpus, par test sur un corpus de contrôle, ou par confrontation avec d’autres recherches thématiques. » (Rastier, 2001d, p. 213).
La sémantique des textes permet ainsi d’interpréter les phénomènes quantitatifs [91] - « seule une analyse qualitative peut rendre significatifs des phénomènes quantitatifs remarquables » (Rastier, 2001d, p. 214).
« Comme toutes les unités sémantiques, un thème est une construction, non une donnée ; aussi la thématique dépend de conditions herméneutiques : l’interprétation des données textuelles se place dans un cercle méthodologique dépendant du cercle herméneutique. » (Rastier, 2001d, p. 191).
Le topos
La notion de topos interne* désigne une structure thématique
stéréotypée (enchaînement récurrent d’au moins deux molécules
sémiques) - familière en histoire de la littérature (ex. le
topos du locus amoenus).
La topique* est l’étude de ces formes sémantiques
stéréotypées ; elle est considérée comme le secteur
sociolectal de la thématique (cf. les lieux
communs).
Rastier sépare thème et topos : alors qu’un
thème est récurrent au moins une fois dans le même texte - il
relève d’un idiolecte -, un topos réapparaît au moins une fois
chez deux auteurs différents - il relève d’un sociolecte.
Ainsi la récurrence d’un thème le promeut au rang de topos.
Le motif
Rastier distingue également entre topos et motif* :
« Les motifs peuvent être redéfinis comme des structures textuelles complexes de rang supérieur, macrosémantique, qui comportent des éléments thématiques, mais aussi dialectiques, par changement d'intervalle temporel, et dialogiques, par changement de modalité. […] En somme, le motif est un syntagme narratif stéréotypé, partiellement instancié par des topoï, alors que le thème est une unité du palier inférieur, non nécessairement stéréotypée, et qui se trouve dans toutes les sortes de textes. Bref, le thème est au syntagme narratif ce que le topos est au motif. » (Rastier, 2001d, p. 196).
Nous résumons à l’aide du tableau suivant ces propositions :
Structures paradigmatiques |
Paliers d’analyse |
Normes |
Paradigmes thématiques et topiques |
mésosémantique |
|
* Unités thématiques |
|
|
Thème |
|
idiolecte |
Topos |
|
sociolecte |
*Unités dialectiques |
macrosémantique |
|
Fonction, syntagme narratif |
|
idiolecte |
Motif |
|
sociolecte |
2.2.6. La morphosémantique
La description morphosémantique* d’un texte s’attache à
répertorier les fonds et les formes sémantiques (désignés du
nom général de morphologies*) en les reliant les uns aux
autres. Elle s’intéresse ainsi aux liens entre fonds, dans le
cas par exemple des genres qui comportent plusieurs isotopies
génériques, comme la parabole ; aux liens entre
formes ; et surtout aux liens des formes aux fonds -
cruciaux pour l’étude de la perception sémantique*.
La perception des fonds sémantiques semble liée à des
rythmes* :
« On sait le rôle fondamental des rythmes dans la perception : ils ont un effet de facilitation à court terme, dont le corrélat linguistique est la création de zones de pertinence, et ils rendent compte pour une part de la présomption d’isotopie qui permet d’actualiser les sèmes. » (Rastier, 2001d, p. 43) ;
Celle des formes sémantiques à des contours - dont les contours prosodiques peuvent présenter une image :
« De même que les périodes présentent des contours sémantiques corrélés à leurs contours mélodiques, au palier supérieur les textes présentent des contours que l’interprétation a pour objectif de reconnaître et de parcourir, l’identification et le parcours restant d’ailleurs indissociables. » (Rastier, 2001d, p. 43).
2.2.6.A. Dynamiques
La sémantique interprétative restitue l’aspect dynamique de la production [92] et de l’interprétation des textes en décrivant en premier lieu, les dynamiques des fonds et des formes sémantiques (par exemple, la construction des molécules sémiques, leur évolution, et leur dissolution éventuelle) - ces dynamiques et leurs optimisations étant paramétrées différemment selon les genres et les discours.
« Au lieu de partir d’une ontologie préfixée, dont le texte ne serait qu’une manifestation toujours partielle et imparfaite, la conception rhétorico-herméneutique cherche à faire émerger corrélativement des régularités et des singularités, et à leur faire correspondre, par construction interprétative, des fonds et des formes sémantiques. » (Rastier, 2000c, p. 137).
Rastier parle de théorie “prosodique” du sens [93] : « le cours d’action de la parole comprend les gestes de l’énonciateur, mais aussi les mouvements sémantiques qui instaurent des reliefs qualitatifs et des rapports forme/fond. » (Rastier, 2003a, p. 41). Les structures textuelles ne sont alors plus des formations ontologiques stables, mais des lieux et moments de parcours énonciatifs et interprétatifs [94] (ibid., p.36). Ces moments « singuliers », ces nœuds herméneutiques - points de connexion entre isotopies, points de basculement de l’argumentation et de la succession des « faits », ruptures de « points de vue » - correspondent à la fois à des points caractéristiques des formes textuelles et à des gestes qualifiés de l’énonciateur ou de l’interprète. (ibid.).
Rastier conçoit les textes comme des cours d’action productive et interprétative [95].
« La conception morphosémantique du texte échappe à l’atomisme de la tradition grammaticale et permet de détailler le concept de parcours interprétatif. Peu importe ici que ses représentations figurent des dynamiques sur un espace ou des rythmes dans le temps. Le problème fondamental de la segmentation se poserait ainsi : c’est le rythme qui permet de percevoir l’intervalle, et le mouvement qui permet de discrétiser la séquence. » (Rastier, 2001d, p. 45).
L’activité énonciative et interprétative consiste à élaborer des formes, établir des fonds, et faire varier les rapports fond/forme (Rastier, 2001d, p. 48). Rastier précise : « Le genre codifie la conduite de cette action, mais ce qu’on pourrait appeler le ductus* particularise un énonciateur, et permettrait de caractériser le style sémantique par des rythmes et des tracés particuliers des contours de formes. » (ibid., p. 45).
2.2.6.B. Transformations
Rastier appelle métamorphismes* les transformations de molécules sémiques qui ont lieu au palier textuel [96]. Il distingue entre métamorphismes et transpositions* : les premiers intéressent les formes sémantiques ; les seconds, les fonds sémantiques.
Nous reprenons ci-dessous le tableau présenté dans Arts et sciences du texte (p. 46), qui rassemble plusieurs exemples mettant en jeu chacune des composantes sémantiques :
Composantes sémantiques |
Métamorphismes |
Transpositions |
Thématique |
Transformation d’un thème |
Changement d’isotopie |
Dialectique |
Transformation narrative |
Changement de séquence |
Dialogique |
Changement de foyer |
Changement de ton |
Tactique |
Changement de succession |
Changement de rythme sémantique |
2.2.6.C. Les tropes
Rastier propose une définition restreinte du trope dans le cadre de la microsémantique - elle ne tient pas compte par exemple de l’afférence de traits sémantiques casuels, qui relève de la mésosémantique, ni a fortiori d’afférences macrosémantiques.
« il y a trope quand une sémie occurrence, au lieu d’hériter par défaut tous ses traits sémantiques de la sémie type, actualise par prescriptions contextuelles au moins un sème afférent (en cas de propagation de traits) et/ou subit une délétion d’au moins un sème inhérent (en cas d’inhibition). » (Rastier, 2001d, pp. 154-155).
La sémantique interprétative cherche à restituer la dimension textuelle des tropes [97] ; elle les considère comme des moments singuliers de parcours interprétatifs. Selon Rastier, les tropes doivent être décrits au sein d’une théorie morphosémantique du texte, capable de distinguer les fonds et les formes sémantiques, et de qualifier leurs évolutions [98]. Ils sont alors considérés non plus comme des adultérations [99] du sens littéral [100], mais comme des contours critiques de formes sémantiques - « Par exemple, en fonction de la stratégie interprétative, on pourra décrire une métaphore comme une conflation ou une bifurcation entre isotopies, selon qu’elle met en saillance les traits spécifiques communs ou opposés. » (Rastier, 2001b, p. 113). Ils constituent un répertoire des ductus qui édifient les formes, les font évoluer et les démembrent.
« Loin donc de se réduire à des ornements qui travestissent un corps ontologique déjà donné par la signification, les tropes sont un moyen de la produire et de l’interpréter. Dès lors, ils ne se surimposent pas à la signification, mais la constituent et l’organisent au palier phrastique, la transposent au palier textuel, et la transforment ainsi en sens. » (Rastier, 2001d, p. 165).
Les tropes revêtent quatre fonctions générales [101], selon qu’ils modifient les fonds sémantiques, les formes sémantiques ou les relations entre formes et fonds (Rastier, 2001b, pp. 113 et 114 ; 2001d, p. 164) :
- (i) Rupture de fonds sémantiques (allotopies) et connexion de fonds sémantiques (poly-isotopies génériques).
- (ii) Rupture ou modification de formes sémantiques [102] : si l’on décrit ces formes comme des molécules sémiques, leurs transformations s’opèrent par addition ou délétion de traits sémantiques.
- (iii) Modification réciproque de formes sémantiques par des allotopies spécifiques, comme les antithèses, ou des métathèses sémantiques, comme l’hypallage double.
- (iv) Modification des rapports entre formes et fonds : toute transposition d’une forme sur un autre fond modifie cette forme, d’où par exemple les remaniements sémiques induits par les métaphores.
Nous disposons ci-après la schématisation articulant linguistique de la langue et linguistique de la parole.
- Instance de la Langue fonctionnelle (dialecte) : Système fonctionnel de la langue
|
Linguistique de la langue |
- Instances de la
Doxa sociale en vigueur
[104] : normes sociales invétérées
= sens “en
langue” |
conditions pragmatiques globales
Linguistique de la parole [ORDRE HERMÉNEUTIQUE] [NORMES] |
- Instance du Contexte : le texte est l’unité linguistique fondamentale
sens“en contexte” (ou
“en discours”)
|
PARCOURS GÉNÉTIQUES paliers
conditions pragmatiques locales |
- Corpus [intertexte] : le corpus de référence est l’unité linguistique maximale. Principe d’intertextualité*. |
Parcours intertextuels |
NOTES
[1] « Elle s’attache à juger de la vérité des énoncés, et des conditions auxquelles le langage peut dire le vrai ; c’est pourquoi on l’appelle aussi sémantique vériconditionnelle. » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 23).
[2] « La sémantique cognitive pourrait apparaître comme un développement de la sémantique psychologique, car elle définit la signification comme une représentation mentale. Cependant, elle n’a pas défini d’objectifs ni de protocoles expérimentaux. Ses principaux animateurs sont des linguistes (Lakoff, Langacker) et elle procède d’une linguistique mentaliste, qui rapporte tous les phénomènes linguistiques à des opérations mentales. » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 24).
[3] Rastier précise que la linguistique, placée sous la domination millénaire de la philosophie du langage, emploie la notion de concept conformément aux traditions de la logique et de la philosophie du langage.
[4] Psychologie logicisée par Fodor (langage formel mental) et par Johnson-Laird (modèles mentaux) ; cf. sur ce point Rastier, 2001e, p. 89.
[5] Selon Rastier, les Idées platoniciennes ont été “remplacées” par les objets du monde profane répertoriés par l’Encyclopédie et que la philosophie analytique nomme aujourd’hui encore le mobilier ontologique du monde.
[6] Partir du signifiant pour viser le concept et, à travers lui, le référent, conduit à la représentation sémasiologique du lexique ; cf. infra, La microsémantique ; 2.2.2. L’analyse différentielle.
[7] Cf. l’adage scolastique : vox significat mediantibus conceptibus.
[8] « Le mot établi comme base de la signification, la thèse réaliste veut qu’il soit étudié relativement à sa référence. » (Rastier, 1990, p. 30).
[9] Il s’agit de la distinction classique entre la sémantique (théorie de la référence) et la pragmatique (théorie de l’inférence) - « Cette distinction traverse d’ailleurs toute l’histoire de la réflexion occidentale sur la signification. Dans le mouvement de la grammaire spéculative les modistes représentent le premier courant, et les intentionnalistes (avec des auteurs comme Kilwardby et Bacon) le second. Rosier résume ainsi cette opposition : “En bref, on pourrait dire que d’un côté, domine une perspective aristotélicienne, privilégiant une conception du langage comme instrument de connaissance et d’information, alors que de l’autre, se dessine une orientation plus subjectiviste, d’inspiration augustinienne” (1990, p. 1). » (Rastier, 2001e, note 4, pp. 81-82) – article cité : Rosier I., 1990, « Signes et sacrements. Thomas d’Aquin et la grammaire spéculative », in Revue des Sciences philosophiques et théologiques, tome 74/3, pp. 392-436.
[10] « Philosophes et grammairiens rêvent depuis le Cratyle de l’orthonymie, désignation correcte et directe. Les Stoïciens estimaient que le nom tombe droit de la pensée vers ce qu’il désigne, et comparaient cette chute à celle d’un stylet qui se fiche droit (orthon) dans le sol (cf. Lallot, 1989, p. 141). » (Rastier, 2001d, p. 139).
[11] La sémantique de Katz est une sémantique référentielle et componentielle ; elle se démarque ainsi de la sémantique vériconditionnelle qui traditionnellement s’oppose toujours à la décomposition du sens lexical (Montague, Kamp, D. Lewis). D. Lewis (1975, p. 1, cité par Rastier, 1985, p. 4) : « la sémantique qui ne traite pas des conditions de vérité n’est pas une sémantique ».
[12] Rastier considère pour sa part qu’un signe n’est qualifié comme tel que par un parcours interprétatif et qu’aucun signe n’est par lui-même référentiel, inférentiel ou différentiel : « Ces relations sont privilégiées par diverses théories, mais les parcours interprétatifs effectifs sont plus complexes, et leur analyse ne permet pas de retrouver des relations simplement qualifiables ; par exemple, les inférences interprétatives ne sont pas formelles, mais relèvent de ce que Russell nommait l’inférence animale ; autant dire que les parcours interprétatifs sont sans doute plus près des processus perceptifs de la reconnaissance de formes que du calcul. » (Rastier, 2001d, p. 108).
[13] « Sextus Empiricus rappelait en outre la distinction stoïcienne entre signes de rappel (ex. : il n’y a pas de fumée sans feu) et signes d’indication (ex. : les mouvements du corps sont les signes de l’âme ; cf. Hypotyposes, II, 97-102). » (Rastier, 2001e, p. 80).
[14] « Les schémas (frames) sont utilisés en IA comme supports d’inférences. Ce sont des structures typiques d’attributs. L’occurrence de valeurs affectées à un ou plusieurs attributs d’un schéma peut permettre d’inférer les valeurs des attributs non instanciés, et de les leur affecter par défaut. Ainsi, dans le cas des scénarios (scripts), sortes de schémas dont les attributs sont temporellement ordonnés, les événements “manquants” peuvent être suppléés par inférence à partir de l’occurrence des événements précédents et/ou suivants. Il en va de même dans le cas des plans, qui sont en quelque sorte des scénarios modalisés. […] Les modèles mentaux (voir notamment Johnson-Laird, 1983) transposent cette problématique dans le domaine de la psychologie. » (Rastier, 2001e, p. 86).
[15] Sperber et Wilson (1989, p. 13) : « D’Aristote aux sémioticiens modernes, toutes les théories de la communication ont été fondées sur un seul et même modèle, que nous appellerons modèle du code. Selon ce modèle, communiquer, c’est coder et décoder des messages. Récemment, plusieurs philosophes, dont Paul Grice et David Lewis, ont proposé un modèle tout à fait différent, que nous appellerons le modèle inférentiel. Selon le modèle inférentiel, communiquer, c’est produire et interpréter des indices. ».
[16] « La problématique dominante en psycholinguistique se rattache aussi à ce courant. Les recherches s’attachent à la typologie des inférences et à leur enchaînement, dans l’hypothèse que la compréhension de texte serait affaire de raisonnement. » (Rastier, 2000a, note 1, p. 15).
[17] Cf. Sperber et Wilson, 1989.
[18] Mais Rastier rappelle que les Lumières identifiaientsens et représentation, et considéraient les idées comme universelles.
[19] Cf. Glatigny (1980).
[20] Cf. sa fameuse analyse de l’opposition mutton / sheep.
[21] Rastier précise que Saussure s’appuie sur l’expérience de la linguistique historique pour récuser la problématique de la référence ; il reproche aux philosophes de négliger la dimension temporelle des langues (cf. CLG, p. 440).
[22] Le langage est le seul réel que la sémantique des textes ait à connaître (cf. Rastier, 1992b).
[23] Négation de la substance.
[24] (Object) (Physical) (Non-living) (Artefact) (Furniture) (Portable) (Something with legs) (Something with back) (Something with a seat) (Seat for one).
[25] « Quand A. N. Katz (1978, 1981) conclut au relief particulier des traits figuratifs, son étude se base par exemple sur le fait que la rondeur est un trait dominant du “concept TONNEAU”, et que cette propriété est représentée dans l’image visuelle d’un tonneau. Plutôt que de faire du TONNEAU une idée platonicienne, pourquoi ne pas convenir que le sémème ‘tonneau’ comprend /rondeur/ parmi ses sèmes définitoires au sein de sa classe sémantique, et c’est précisément ce qui le rend pertinent dans une sémiotique visuelle (dessin), voire dans les images mentales, voire dans les percepts eux-mêmes. » (Rastier, 2001e, pp. 214-215).
[26] L’exemple de « caviar » (dans Rastier, 1985, pp. 11-13) : Rastier demande à vingt-huit collégiens de troisième de définir le terme caviar. Alors que le sème (afférent socialement normé*) /luxueux/ est absent de la définition lexicographique - cf. le Petit Robert : « Œufs d’esturgeon. » ; cf. le Petit Larousse : « Œufs d’esturgeon salés. » - ce sème figure vingt-deux fois dans les réponses des collégiens. Aussi, « si l’on tient compte de la compétence réelle de la population questionnée, le trait /luxueux/ a tout autant de raisons que /poisson/ de figurer dans la définition. » (Rastier, 1985, p. 12). Mais « la conception ordinaire de la compétence idéalisée ne retient que les traits dits dénotatifs, et limite la définition à l’identification du référent ; selon elle, le trait /luxueux/ n’aurait pas à être retenu, puisqu’il apparaît comme une “connotation”, une valeur symbolique ou associative. » (ibid.).
[27] « Nous avons adopté la problématique sémantique la plus sensible aux diversités, la sémantique différentielle. De tradition saussurienne, elle a intégré certains acquis de la sémantique componentielle des années soixante, mais l’a dépassée - à nos yeux - en récusant précisément ses prétentions à l’universalisme, pour pouvoir rendre compte de la complexité textuelle et contextuelle. » (Rastier, 2001e, p. 14).
[28] « Traiter de la différence dans le cadre de sémantiques référentielle ou inférentielle ne paraît guère possible dans la mesure où les différences sont attachées aux lexiques des langues, alors que les références et les inférences en ont été déliées. Pour parvenir à une unification, il faudrait délier à leur tour les différences des langues. Nous avons préféré à l’inverse traiter de la référence et de l’inférence dans un cadre linguistique. » (Rastier, 2001e, note 1, p. 110).
[29] Dans la théorie de Rastier, les occurrences des sémèmes sont construites par le contexte* et en fonction de lui. « Si bien qu’après Schleiermacher on peut soutenir la thèse que toute occurrence sémantique est un hapax, et la compléter en affirmant que tout type n’est qu’une reconstruction. C’est là un aboutissement de la sémantique différentielle : non seulement il n’existe pas deux mots synonymes, mais il n’existe pas deux occurrences identiques d’un même mot. » (Rastier, 2001e, p. 114).
[30] « La théorie des parcours interprétatifs intègre l’analyse des inférences à la sémantique différentielle. C’est pourquoi nous avons pu soutenir que la pragmatique intégrée ne jouissait d’aucune autonomie à l’égard d’une sémantique bien faite. » (Rastier, 2001e, p. 111).
[31] Selon Rastier, ces analyses de “mots du discours” ne sont rien d’autre que des analyses de leur sémantisme propre. Rastier considère ainsi que les recherches sur l’argumentation dans la langue relèvent pleinement de la sémantique textuelle.
[32] Les classes sémantiques relèvent de normes sociales - « par exemple, en français, la classe des légumes du pot-au-feu. Ces classes ne sont donc pas des classes de référents, comme les espèces naturelles ou artificielles, selon Rosch. Elles se distinguent également des formations conceptuelles indépendantes des langues que la linguistique cognitive nomme frames ou scenes, même quand elle leur reconnaît un statut culturel, spontanément (cf. Fillmore) ou non (cf. Schank). » (Rastier, 2001e, p. 104). Illustration de la classe des légumes du pot-au-feu : « Par exemple, telle maraîchère répond à qui lui demande des poireaux : Pas de carottes ? ; à qui lui demande des poireaux et/ou des carottes : Des navets ?. Elle confirme ainsi l’existence d’un taxème* drastiquement fermé des légumes du pot-au-feu. Si on lui demande des aubergines, elle demande : Pas de courgettes ? ; des aubergines et/ou des courgettes : Pas de tomates ?, ce qui établit le taxème des légumes de la ratatouille. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 76).
[33] Cf. infra, l’ordre herméneutique.
[34] « La prudence s’impose bien entendu, et en synchronie un morphème n’a pas nécessairement de trait inhérent commun à toutes ses combinaisons : cf. can- dans canin, canine, canicule » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », note 1, p. 60).
[35] Le contexte connaît autant de zones de localité qu’il y a de paliers de complexité.
[36] « S’il n’a pas ordinairement la compétence de créer des morphèmes, tout locuteur a celle de créer des mots. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 60) - « En effet, connaissant des règles de combinaison des morphèmes, qui constituent la syntaxe interne du “mot”, chaque locuteur peut composer et interpréter des néologismes, petites combinaisons discursives inédites. » (Rastier, 2004b).
[37] Rastier précise que les paliers ne diffèrent que par des degrés de complexité et que leurs frontières ne sont pas absolues.
[38] Rastier précise : « Hors du contexte de la sémie*, les sémèmes* gardent une signification. Par exemple, le préfixe ‘re-’ comporte le sème /itératif/, le suffixe ‘-ette’ /diminutif/. Mais elle est constituée de sèmes spécifiques inhérents. En d’autres termes, ces sémèmes ont des éléments de sémantème*, mais pas de classème*. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 57). Ainsi, les morphèmes isolés sont pourvus de signification mais dépourvus de sens – on devrait préciser en distinguant sens “en langue” (= dans le contexte de paradigmes lexicaux) et sens “en contexte” ou “en discours” (= en contexte textuel) ; à noter : « sens » renvoie par défaut au sens textuel (i.e “en contexte”).
[39] Il ne s’agit pas d’y voir le principe frégéen de compositionnalité ; celui-ci est invalide en sémantique linguistique. Le parcours du global au local n’est pas une simple décomposition, non plus que le parcours inverse n’est une composition.
[40] Rastier précise que les “règles” linguistiques n’ont rien de commun avec les règles des langages formels, car leur application est toujours soumise à un faisceau de conditions qu’on ne peut ériger ni en axiomes ni en postulats (Rastier, 2001d, p. 181).
[41] Rastier précise que la hiérarchie des degrés de systématicité n’est pas une subordination : ainsi un style peut transgresser les normes du genre*, du discours* et même les “règles” de la langue. Exemple de l’hypallage, figure qui trouble les relations au sein du syntagme, zone de localité restreinte où les prescriptions du système fonctionnel de la langue sont fortes.
[42] Cf. (Coseriu, 1969).
[43] « L’ordre syntagmatique est celui de la linéarisation du langage, dans une étendue spatiale et/ou temporelle. Il rend compte des relations positionnelles et des relations fonctionnelles. Ainsi, il est le site des relations contextuelles. La syntaxe structure l’ordre syntagmatique au palier de la phrase, mais son étude ne rend pas compte des autres paliers, notamment la syntagmatique du texte, ni bien sûr des autres niveaux (phonétique ou sémantique, par exemple). » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 17) ; « L’ordre paradigmatique est celui de l’association codifiée. Une unité ne prend sa valeur que relativement à d’autres qui sont commutables avec elle et qui forment son paradigme de définition. Cette caractéristique des langues intéresse aussi bien leurs signifiés que leurs signifiants et les distingue fort nettement des langages formels. » (ibid.).
[44] « L’ordre herméneutique ainsi conçu relève pleinement de la linguistique. Il témoigne d’une herméneutique intégrée, qui prend ici la forme d’une sémantique interprétative, et non d’une herméneutique intégrante dont l’aboutissement serait une philosophie du sens. » (Rastier, 2001d, p. 108). Cf. infra, chapitre 2.
[45] Selon Rastier, le mot (ou lexie simple) est le contexte minimal de l’analyse sémique.
[46] « leur étude ne relève pas seulement de celle des dictons. Ce sont de véritables unités de communication, et elles devraient être traitées de la même manière que les lexies. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », pp. 57-58).
[47] « L’essentiel réside dans le caractère différentiel de la méthode : le sens d’un mot se définit non par rapport à ses autres sens, mais par rapport au sens des mots voisins, aussi bien dans l’ordre paradigmatique que dans l’ordre syntagmatique. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 46).
[48] Ex. de classe contextuelle (donné par Rastier, 1996a, p. 79) : Un haut fonctionnaire américain déplorait naguère que la commission d’enquête où il siégeait soit composée « d’un noir, de deux juifs, d’un infirme, et d’une femme ». ‘noir’, ‘juif’, ‘infirme’, et ‘femme’ relèvent “en langue” de taxèmes différents : race, sexe, religion, etc. La cohésion de la classe contextuelle qu’ils forment est due au trait /manque/ inhérent à ‘infirme’ et afférent à ‘femme’ (manque de virilité), à ‘juifs’ (manque d’une religion chrétienne) et à ‘noir’ (manque de la bonne race) : ainsi se crée un taxème des hommes inférieurs pour une axiologie du type « en avoir ou pas » (eût dit Hemingway). Rastier souligne : « Ici le trait /manque/ a le statut d’un sème générique bien qu’en langue il appartienne au sémantème de ‘infirme’, et non à son classème. Cela confirmerait que les classes contextuelles peuvent modifier non seulement l’inventaire des constituants, mais encore leur statut. » (ibid.) - cf. infra, L’assimilation.
[49] Or, en règle générale, ces diverses significations ont une histoire différente, ne relèvent pas des mêmes pratiques sociales, des mêmes discours, des mêmes genres, et ne se rencontrent pas dans les mêmes textes.
[50] Selon Rastier, la polysémie est un faux problème, c’est un artefact suscité par les principes d’orthonymie et d’univocité, qui jouit d’une importance considérable au sein de cette méthode.
Pour Rastier, la polysémie témoigne de relations (socio-)historiques entre acceptions* ; et sauf cas d’antanaclase ou de syllepse, elle ne concerne pas la lexicologie synchronique.
[51] Cette méthode, caractéristique de la lexicographie, se heurte à de nombreuses difficultés dans la mesure où les divers signifiés d’un mot n’appartiennent pas aux mêmes classes sémantiques. Cf. Langacker (1986) qui cherche à interdéfinir les diverses significations de ring ; ou Kintsch (1991) qui interdéfinit bank (rivage) et bank (banque) ; ou encore Katz et Fodor (1963) pour bachelor (étudiant, célibataire, phoque et chevalier) ; Fillmore (1982) pour write ; Lakoff (1987) pour over.
[52] Cet exemple est présenté dans Rastier, 1987, Sémantique interprétative, Chapitre II, « Principes et conditions de la sémantique componentielle ». Dans ce qui suit, nous nous référons à la seconde édition de Sémantique interprétative (1996a, Chapitre II, « Typologie des composants sémantiques », pp. 50-52).
[53] « En langue, les classes sont déterminées par des conditions pragmatiques globales ; en contexte, elles peuvent l’être par des conditions pragmatiques locales. Dans les deux cas, ces conditions jouent un rôle essentiel. » (Rastier, 1996a, p. 34).
[54] Rastier note l’entrée du ‘RER’ dans le taxème //intra-urbain//. Dans Sémantique pour l’analyse (p. 62), il propose l’analyse suivante : le champ* (ensemble structuré de taxèmes) //moyens de transport// comprend des taxèmes comme // ‘autobus’, ‘métro’, ‘RER’ //, et // ‘autocar’, ‘train’ //.
[55] « En somme, le sème est certes défini par des relations entre sémèmes, mais ces relations elles-mêmes sont déterminées par le contexte linguistique et situationnel. Si bien que des données pragmatiques peuvent devenir des conditions d’existence et d’identification du sème. » (Rastier, 1996a, p. 36).
[56] Rastier précise bien que le taxème “en langue” évolue lui-même et ne fait que fixer des régularités “en discours”. Cf. l’action du contexte qui tout à la fois institue la structure du lexique et la remanie sans cesse.
[57] Aussi selon nous, les taxèmes peuvent être considérés comme des classes doxales (Rastier réservait ce qualificatif aux dimensions ; cf. Sémantique pour l’analyse, p. 63). Taxèmes, domaines et dimensions se distinguent alors par leur degré de figement. Ce degré de figement est croissant : « Les taxèmes peuvent évoluer vite (dans l’année ou la décennie ; cf. l’introduction de ‘VAB’ dans le taxème des blindés, ou celui de ‘trackball’ dans celui des moyens de commande) ; en outre, ils sont aisément remaniés en discours (cf. infra sur le contexte). Les domaines se constituent et évoluent à l’échelle du siècle (ex. le domaine de l’aviation). Les dimensions évoluent à l’échelle du millénaire. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 63).
[58] « À cette récurrence d’un signe ou d’un syntagme on peut supposer que sur le plan sémantique correspond la récurrence d’un sémème ou d’une sémie. Il n’en est rien, et l’on observe dans tous les cas une dissimilation d’acceptions ou d’emplois, telle que le sens de la seconde occurrence est toujours distingué de celui de la première. » (Rastier, 2001e, p. 216).
[59] Ex. politique : un des slogans du Mouvement National Républicain (dirigé par Bruno Mégret) pour l’élection au parlement européen (Juin 2004) : « Pour une Europe européenne ». En contexte (dissimilation), afférences sur ‘européenne’ : /chrétienne/, /occidentale/, /riche/, /civilisée/, /indépendante/, /puissante/… Notons que ce parcours interprétatif nécessite la formulation de topoï propres à l’axiologie nationaliste-frontiste.
[60] Si ces sèmes ne sont pas supprimés, leur saillance perceptive est diminuée.
[61] Il s’agit du second vers du poème Zone d’Apollinaire.
[62] Rastier précise qu’une fois actualisés, les sèmes, inhérents comme afférents, sont susceptibles de revêtir divers degrés de saillance, en fonction des activations supplémentaires qu’ils reçoivent du contexte proche ou lointain : « Comme l’actualisation, la saillance est soumise à des préconditions herméneutiques. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 70).
[63] Y compris les sèmes inhérents (éléments du sémantème) qui définissent la signification des morphèmes (système fonctionnel de la langue).
[64] « Toute discohésion cependant, comme toute cohésion, est construite et non donnée : elle dépend d’une présomption propre à la situation interprétative. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 71).
[65] Parmi les interprétants, Rastier souligne l’importance des topoï externes.
[66] Certains interprétants, dits explicites, engagent à chercher un problème interprétatif, mais ne permettent pas de savoir ce qu’il faut trouver : ils signalent un problème, non une solution (cf. Rastier, 1997a, p. 325).
Nous prenons un exemple : il s’agit d’une campagne publicitaire pour les piles de la marque Energizer dont le slogan est le suivant : Surveillez son alimentation. Trois visuels sont associés à ce slogan : (i) la photographie d’une lampe torche, avec des éclairs pâtissiers à la place des piles ; (ii) un poste radio-cassette, avec des shamallows à la place des piles ; (iii) une game-boy, avec des saucisses de Strasbourg à la place des piles.
La perception du problème interprétatif est médiée par le visuel. Le parcours interprétatif est redoublé (duplicité sémantique). Les deux parcours se traduisent par une syllepse de sens sur « alimentation ».
[67] Nos connaissances encyclopédiques jouent également un rôle dans la perception du problème interprétatif = le Nouveau Scénic est une voiture, la marque Renault est une marque de voitures,...
[68] Nous présentons une petite description du visuel : les voitures sont toutes recouvertes d’un drap blanc ; elles sont toutes de même dimension (elles sont plus petites que le Nouveau Scénic RX4). Le Nouveau Scénic RX4 n’est pas entièrement dévoilé ; il conserve une part de son mystère sous son drap en treillis militaire aux couleurs éclatantes. La luminosité et les couleurs bariolées de ce drap contrastent fortement avec les draps blancs qui recouvrent entièrement les voitures.
[69] Par exemple, la parataxe favorise la propagation de traits ; la coordination la favorise ou l’inhibe, selon les traits inhérents aux conjonctions (exemple de faveur : et, ou inclusif ; exemple d’inhibition : mais, ou exclusif).
[70] « Son intérêt principal tient à ce qu’il est indépendant par principe des structures syntaxiques et de la prétendue limite de la phrase. Une isotopie peut s’étendre sur deux morphèmes, sur deux mots, sur un paragraphe, sur tout un texte. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 119). Ainsi, les phénomènes d’isotopies intéressent aussi le palier macrosémantique.
[71] Nous reviendrons sur cette distinction lorsque nous nous intéresserons aux conditions d’interprétabilité des énoncés, cf. infra, chapitre 2.
[72] « Le rapport entre forme et fond souligne la dépendance de la perception sémantique* à l’égard du contexte. Ce rapport n’est pas statique, et ne doit pas être conçu à l’image d’une figure géométrique sur un plan : les formes elles-mêmes ont en effet des modes de diffusion divers, et peuvent passer à l’arrière-plan. » (Rastier, 2001d, pp. 201-202).
[73] Rastier précise : « Cependant, il faut considérer plusieurs sortes de fonds et de formes sémantiques : certaines sont transitoires et limitées à un syntagme, d’autres sont conservées par répétition ou reprise, enfin intégrées à des formations plus complexes et/ou plus étendues. » (1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 136). Il aborde notamment les complexes sémiques* qui sont des structures temporaires qui résultent de l’assemblage de sémies, par activations et inhibitions de sèmes, mises en saillance et délétions, ainsi que par afférences de sèmes casuels – « Au palier textuel, les complexes sémiques analogues sont considérés comme des occurrences de la même molécule sémique. » (ibid., p. 133).
[74] Ce type d’isotopie rend compte selon Rastier, des solidarités lexicales définies par Coseriu. « Il y a solidarité quand un trait d’un lexème doit être récurrent dans un second lexème, qui détermine le premier de ce fait. » (Rastier, 1996a, p. 76). Il analyse les trois types de solidarités distingués par Coseriu et propose un traitement homogène : « dans les trois cas, un sème spécifique inhérent au sémème considéré doit être réitéré, mais en tant que sème générique, dans un autre sémème du même énoncé. » (ibid.).
Rastier envisage les isotopies mixtes au palier du syntagme : « Ces isotopies lient un ou plusieurs sèmes génériques d’un sémème à un ou plusieurs sèmes spécifiques de l’autre : elles sont donc établies entre le classème de l’un et le sémantème de l’autre. » (1996a, p. 135) ; il retient trois cas remarquables : a) quand le sémantème de l’adjectif est constitué d’un sème qui appartient aussi au classème du nom (ex. une pierre inanimée) ; b) quand le classème de l’adjectif contient le sémantème du nom (solidarité exclusive comme dans le syntagme nez aquilin) ; c) quand un sème générique de l’adjectif est récurrent en tant que sème spécifique dans le sémantème du nom (l’adjectif peut être dit « de relation » ; ex. le voyage papal).
[75] L’analyse est présentée au Chapitre II de Sémantique interprétative ((2ème éd.), « Typologie des composants sémantiques », p. 46). Par ailleurs, dans Sens et textualité (Livre second, Chapitre Deuxième, pp. 148-179), Rastier consacre une analyse détaillée d’un extrait de L’Assommoir dans lequel figure cette phrase.
[76] « Les données quantitatives ont eu mauvaise presse en linguistique, et demeurent inusitées en sémantique ; rien n’empêche toutefois de les mettre à profit, surtout si on peut les relier à des données qualitatives. » (Rastier, 1989, note 3, pp. 116-117).
[77] Rastier distingue entre isotopies globales (ou totales) et isotopies locales (ou partielles), selon leur étendue de validité.
[78] Dans Sens et textualité (p. 65), Rastier définit ce qu’il nomme alors, l’archithématique*. L’archithématique est la partie de la thématique qui traite de la division des univers sémantiques en espaces valués ; « elle s’attache aux thèmes génériques de la plus grande généralité, qui relèvent des dimensions sémantiques. […] Les dimensions s’opposent deux par deux par des oppositions qualitatives (de type A vs B). Combinées à des oppositions privatives (A vs non A, B vs non B), elles se définissent aussi relativement à des classes contradictoire (non A non B) ou neutre (non A et non B). En ce sens le quaterne - dit plus tard carré sémiotique - présenté jadis par Greimas et Rastier (1968) peut être considéré comme une première représentation d’une structure archithématique. ».
[79] « Les dimensions évaluatives ou thymiques, les tons, les espaces modaux, les plans temporels ou chronotopes*, définissent dans les textes autant de sortes d’isotopies dimensionnelles. » (Rastier, 2001d, p. 39).
[80] Les plus faciles à identifier sont ceux qui relèvent de la topique littéraire ou qui sont définitoires d’un corpus.
[81] Tous les textes structurés par une composante dialectique comportent ce niveau.
[82] Dans la période les actants reçoivent diverses descriptions ; chaque dénomination ou description lexicalise un ou plusieurs sèmes de l’acteur.
[83] Ce sont des classes de processus.
[84] Il n’apparaît que dans les textes mythiques.
[85] Ils ne comportent pas nécessairement de sèmes génériques.
[86] Chacune des composantes peut être la source de critères typologiques.
[87] D’autre part, Rastier établit des affinités entre composantes sémantiques et ordres de description linguistique : notamment, entre thématique et paradigmatique, tactique et syntagmatique, dialectique et référentiel, dialogique et herméneutique.
[88] Seules la thématique et la tactique sont nécessaires dans tout texte - c’est le cas limite de l’énumération.
[89] « Si le lexème et le thème diffèrent aussi bien par le niveau que par le palier d’analyse, le premier étant un signe, et relevant de la morphologie et de la microsémantique, le second une unité du contenu au palier mésosémantique, il est clair que tout lexème n’est pas un thème. […] On objectera que les thèmes sont ordinairement dénommés par un lexème ; mais ce lexème est simplement une lexicalisation privilégiée du thème, et l’on pourrait fort bien rencontrer des thèmes sans lexicalisation privilégiée. » (Rastier, 2001d, p. 191).
[90] L’informatique, conçue comme technologie sémiotique, permet d’accéder de nouvelle manière aux textes, et propose de nouveaux moyens et objectifs d’application.
[91] « Un des problèmes fondamentaux que rencontre la linguistique de corpus reste l’interprétabilité des résultats, notamment ceux qu’obtiennent les méthodes quantitatives. Une sémantique de l’interprétation nous semble indispensable pour qualifier les résultats obtenus, car le détour interprétatif est une condition première de l’objectivation. » (Rastier, 2004a).
[92] Rastier propose un modèle plat de l’énonciation ; l’énonciation est alors conçue « non plus comme un transit de la pensée vers le langage mais comme une action qui à tout le moins permet de passer d’un signe à celui qui le suit et en somme de produire un passage à partir d’un passage précédent. » (Rastier, 2003a, p. 37).
[93] « si l’on tient compte de la prosodie, il est clair que les inégalités qualitatives jouent un rôle fondamental dans la production et l’interprétation des périodes. Nous formulons l’hypothèse qu’il en va de même au plan du contenu - d’où les études sur les rythmes sémantiques (cf. l’auteur, 1989) ; et à tous les paliers de sa description.
La perspective herméneutique est ainsi plus proche de la tradition rhétorique que du modèle grammatical, non seulement parce qu’elle prend pour objet les textes et leur situation, plutôt que des phrases décontextualisées, mais parce que les variations qualitatives des formes textuelles commandent leur identification et leur étude. » (Rastier, 1997b, note 20, p. 136).
[94] « les unités sémantiques textuelles n’ont pas de signifiants isolables comme des parties du discours ; elles sont constituées par des connexions de signifiés des paliers inférieurs de la période, du syntagme, de la sémie. Ces connexions ne constituent pas un réseau uniforme : certaines sont mises en saillance, valorisées, modalisées, et ces saillances sont du même ordre qualitatif que ce qui est véhiculé par l’intonation. » (Rastier, 2001d, p. 44).
[95] Le concept de cours d’action est emprunté à l’ergonomie.
[96] Il y inclut les méréomorphismes, définis comme « des relations entre parties du texte qui présentent de manière compacte et locale des formes amplifiées ailleurs de manière globale et diffuse. » (Rastier, 2001d, p. 46). Selon lui, ces méréomorphismes traduisent en linguistique des phénomènes de solidarité d’échelle.
[97] « Même si les exemples ordinaires de tropes s’étendent du palier du syntagme à celui de la période, cela n’en fait pas pour autant des figures “microstructurales”. Seules certaines figures d’expression sont liées à ce palier. Si l’on reconnaît que les figures “de sens” sont des formes ou des contours sémantiques stéréotypés, on doit reconnaître que ces formes sont transposables - la transposabilité étant au demeurant définitoire de la notion même de forme, comme l’a montré la théorie de la Gestalt. » (Rastier, 2001b, p. 116).
[98] « Participant à la construction interprétative de formes sémantiques comme les molécules sémiques, les figures sont perçues relativement à des fonds sémantiques, dont les mieux décrits sont les isotopies génériques. […] Les figures sont alors des moyens de construire ces formes et de les relier à ces fonds. Si Aby Warburg, traitant des techniques artistiques, apercevait le bon Dieu “dans les détails”, alors que Jean-Pierre Richard le voyait “entre les détails”, il faudra bien “le voir” partout, c’est-à-dire concevoir l’unité des formes et des fonds sémantiques. » (Rastier, 2001d, p. 162).
[99] Pour les partisans d’un réalisme empirique, les tropes font obstacle à la représentation du monde par le langage (transparence idéale du langage) ; ils sont définis comme un écart par rapport à la vérité factuelle que refléterait idéalement le sens littéral. Cf. Rastier, 2001d, Chapitre V, « Rhétorique et interprétation : l’exemple des tropes ».
[100] La sémantique interprétative considère que le sens littéral est construit, tout comme les sens figurés ; ils ne diffèrent que par la complexité des parcours interprétatifs qui les reconnaissent ou les instituent. Ainsi, le sens n’est pas littéral, c’est la lecture qui l’est – parfois à bon droit lorsqu’elle s’exerce à propos de genres et de pratiques littéralistes (cf. Rastier, 2001d, p. 118). Importance donc du contrat interprétatif instauré par le genre (le mode herméneutique* étant associé à un régime mimétique) ; par exemple, les Bottes de sept lieues sont “littérales” dans le conte, mais l’expression est une hyperbole partout ailleurs.
[101] « Ces fonctions, ou plutôt ces effets, ne sont pas spécialisés et une même figure peut en entraîner plusieurs. Enfin, les parcours entre fonds ou entre formes ne sont pas des passages d’un fond à un autre, ou d’une forme à une autre : dans l’hypothèse de la perception sémantique, ils s’apparentent à la perception de formes ambiguës ; ainsi, une métaphore fait percevoir simultanément deux fonds sémantiques (d’où l’effet anagogique qui lui est souvent attribué) ; une hypallage fait percevoir simultanément deux formes ou deux parties de formes, dans une ambiguïté qui rappelle les classiques illusions visuelles du canard-lapin ou de la duègne-ingénue. » (Rastier, 2001d, p. 165).
[102] « Dès que l’on quitte l’ontologie pour la praxéologie, les formes sémantiques ne sont plus réifiées dans des significations et deviennent des moments stabilisés de processus productifs et interprétatifs. » (Rastier, 2001d, p. 165).
[103] « l’idée d’un lexique de la langue est sans doute un fantasme lexicographique. » (Rastier, 1996d, note 26, p. 132).
[104] « C’est par l’étude comparative systématique des textes que l’on peut restituer les normes linguistiques en vigueur. » (Rastier, 2004a, note 7).
[105] « S’il reste excessif de supposer des règles sémantiques à l’image de règles logiques, la sémantique doit évidemment décrire des normes. Elles sous-tendent par exemple les actualisations “par défaut” de traits sémantiques ; si bien que les traits sémantiques inhérents, pour être définitoires, ne sont pas pour autant dénotatifs, mais simplement hérités de normes doxales.» (Rastier, 2004b).
[106] « Le lexique, disait justement Barthes, est de la doxa figée. » (Rastier, Sémantique pour l’analyse, Chapitre III, « La microsémantique », p. 63). « Les linguistes estiment généralement que les structures lexicales relèvent de la structure linguistique ; c’est fort douteux, si l’on considère les variations contextuelles que les textes produisent. Elles relèvent bien plutôt de normes sociolectales. » (Rastier, 1996d, p. 132).
[107] Les sèmes inhérents sont hérités “par défaut” de normes doxales (si le contexte n’y contredit pas) ; les sèmes afférents socialement normés sont actualisés (si le contexte le prescrit) ; les sèmes afférents contextuels résultent de propagations de sèmes en contexte.
[108] Malrieu et Rastier (2001) ont montré l’incidence des genres et des discours sur l’ensemble des catégories morphosyntaxiques, ainsi que sur des variables comme la longueur des mots et des phrases.