Carine Duteil-Mougel : INTRODUCTION À LA SÉMANTIQUE INTERPRÉTATIVE


Chapitre : LA SÉMANTIQUE TEXTUELLE. POSITIONNEMENT AU SEIN DES SCIENCES DU LANGAGE

1. Deux problématiques de la signification : la problématique de la référence et la problématique de l’inférence

Rastier positionne sa théorie vis-à-vis des deux conceptions traditionnelles de la signification : la triade sémiotique et le sêméion.

1.1. Le paradigme référentiel  

Rastier parle du paradigme référentiel, qui associe la triade aristotélicienne et la tripartition sémiotique :

1.1.1. La sémantique vériconditionnelle et la sémantique psychologique ou cognitive

Rastier formule des critiques à l’encontre de la sémantique vériconditionnelle (sémantique logique [1]) et de la sémantique psychologique ou cognitive [2]. Aucune de ces deux sémantiques ne traitent selon lui, du signifié linguistique ; elles rapportent le signifié soit à un concept logique [3], soit à un concept psychologique - le sens linguistique relève ainsi indéfiniment de la logique (depuis la dialectique des stoïciens) ou de la psychologie [4] (depuis Steinthal). 

- La première relie les mots au monde et considère que le sens réside dans le rapport entre des concepts et des objets.
Selon Rastier, la sémantique vériconditionnelle (issue de Tarski notamment) étudie les rapports entre des intensions (ou concepts) et des extensions (souvent assimilées à des objets).  (Rastier, 2001e, p. 123). À un palier supérieur, elle considère que le sens réside dans le rapport entre des propositions et des états de choses. D’autre part, uneinvolution mentaliste caractérise le passage de la sémantique vériconditionnelle à la sémantique cognitive [le mentalisme excluant alors la dénotation directe (des expressions aux objets)].

- La seconde relie ainsi les mots à des états mentaux ; elle adopte une position mentaliste (cf. la théorie cognitiviste d’un langage intérieur délié des langues : le mentalais selon Fodor voire Wierzbicka (Lingua mentalis, 1980)) et considère que le sens réside dans des conceptualisations.

1.1.2. Le modèle triadique de la signification linguistique

Rappelons ce modèle :

  

Le signe, réduit à sa simple expression (signifiant), renvoie à un objet [5] (un référent) par la médiation d’un concept [6] ; « l'aristotélisme du triangle sémiotique est durci par le positivisme logique qui exprime un idéal de correspondance terme à terme entre un mot, un concept et un objet. »  (Rastier, 1995b, [in Texto  !]).

C’est l’identité à soi de la chose qui garantit celle du concept qui la représente, et, par cette médiation, l’univocité du mot :

1.1.2.A. La triade aristotélicienne

Selon Rastier, c’est Aristote - suivi par Boèce puis Thomas d’Aquin - qui est à l’origine du modèle triadique de la signification linguistique.

Soit la triade scolastique [7]

(vox = phonè dans la triade aristotélicienne)

Puis avec Arnauld et Nicole (1683) :

1.1.2.B. Le “Triangle” d’Ogden et Richards

Le “Triangle” d’Ogden et Richards (1923) d’inspiration peircienne - modèle reformulé par Lyons (1978) dans le cadre de la linguistique (Form / Meaning (Concept) / Referent) - fonde, selon Rastier, la théorie de la dénotation directe, qui met en relation directe un symbole (pur signifiant, simple expression) et un objet :

1.1.3. La tripartition sémiotique

Rastier étudie la généalogie de la tripartition sémiotique (Syntaxe / Sémantique / Pragmatique) et présente les travaux de Morris (1971) basés sur la théorie de Peirce (1960) : Representamen =>Interpretant => Object.
Selon Rastier, la tripartition sémiotique reprend l’antique division du Trivium : Grammaire / Logique / Rhétorique et constitue, depuis cinquante ans, l’obstacle épistémologique principal au développement unifié de la linguistique (cf. Rastier, 1990).

1.1.4. Le mot établi comme base de la signification [8]

Rastier critique la reprise, par la thèse réaliste, de la distinction (logico-ontologique) entre catégorématiques et syncatégorématiques. Cette reprise amène à privilégier les mots “référentiels” (lieu de la référence), qui sont l’objet de la sémantique vériconditionnelle - le palier de la proposition (lieu de la vérité)y est également défini comme palier catégorématique - , alors que les mots “non-référentiels” (les connecteurs, qui correspondent à ce qu’Aristote appelait les articulations : arthron), réputés dépourvus de signification, sont étudiés par la pragmatique [9] (cf. infra, l’inférence).
Pour Rastier, un mot même est un passage : son expression est un extrait d’un texte ; son contenu, un fragment d’un mythe (2003a, p. 36). Plus largement, Rastier remplace le modèle du signe par un modèle du passage (la sémiosis est décrite par l’articulation entre les plans du langage) - cf. infra, chapitre 2, 1.2. La problématique de la valeur et la notion de contexte).

1.1.5. La thèse onomastique 

Rastier critique largement le point de vue réaliste et en son sein ce qu’il nomme la thèse onomastique : le nom y est considéré comme le mot par excellence. Il situe l’origine de cette thèse dans la Grèce archaïque où la notion de mot est issue de celle de nom : « tous les mots étaient appelés des noms (onoma), car il n’existait pas d’autre façon de les désigner. » (Rastier, 1990, p. 29).

L’autonomie du nom (le rêve d’orthonymie, tel que chaque mot indexerait sa chose [10]) assure sa précellence sur les autres parties du discours :

Parmi les noms, les noms propres sont privilégiés :

1.1.6. Les traits référentiels

Rapportée au lexique, la thèse réaliste traditionnelle fonde, selon Rastier, la théorie des traits sémantiques référentiels, telle qu’on la trouve de Morris à Katz [11] (Rastier, 2001e, p. 191).
La position réaliste naïve confond alors traits sémantiques et qualités du réel - Rastier étudie les travaux de Rosch et la théorie du prototype qui s’appuie selon lui, sur trois thèses issues de la philosophie du langage la plus archaïque : (i) la structure du lexique est déterminée par celle de la réalité mondaine (non par la culture) ; (ii) consécutivement, les mots sont des étiquettes désignant des choses ; (iii) les langues sont des nomenclatures (cf. Rastier, 2001e, Chapitre VII « Catégorisation, typicalité et lexicologie »).

1.2. Le paradigme inférentiel

Rastier considère que la problématique de l’inférence, d’origine rhétorique et de tradition augustinienne, développée aujourd’hui par la pragmatique, définit la signification comme une action intentionnelle de l’esprit, mettant en relation deux signes ou deux objets.
Alors que la référence établit une relation entre deux ordres de réalité : concepts et objets  ; l’inférence relie deux unités relevant du même ordre de réalité : deux objets pour une conception réaliste naïve de l’indice, ou deux concepts, selon le point de vue mentaliste.

Rastier réunit sous le concept général d’inférence, l’indice et l’implication :

Il aborde les raisonnements inférentiels [14] et les chaînes inférentielles - tout deux relevant du paradigme calculatoire - et s’intéresse également à la pragmatique, qui selon lui, a réarticulé le paradigme indiciaire - il évoque notamment Sperber et Wilson qui ont « redécouvert » un modèle inférentiel de la communication [15].

Selon Rastier, la pragmatique devenue cognitive appelle fonctions pragmatiques, les inférences d’un objet à un autre :

Abordant également la théorie des implicatures, il considère que par cette notion, Grice entend élargir le concept d’implication stricte et compléter celui d’implication matérielle  :


2. Le paradigme différentiel

« Si les théories logiques privilégient la référence, les théories pragmatiques l’inférence, la sémantique linguistique de tradition structurale privilégie la différence. »

Rastier, Problématiques du sens et de la signification, p. 13

Rastier souligne que l’histoire des trois paradigmes, référentiel, inférentiel et différentiel est très disparate ; les deux premiers comptent au moins vingt-cinq siècles d’existence alors que le troisième en compte au plus deux et demi. Alors que les deux premiers font autorité, le troisième doit faire face aux critiques des tenants des paradigmes référentiel et inférentiel qui jugent ce dernier inutile. À propos de la sémantique vériconditionnelle, Johnson-Laird (1988, p. 62, cité par Rastier, 2001e, p. 109) affirme par exemple : « Qu’elle le veuille ou non, une théorie qui relie les mots au monde permet aussi de relier les mots entre eux, rendant ainsi superflues celles qui s’en tiennent aux relations entre les mots ».

2.1. Le démembrement de la triade. L’héritage saussurien

2.1.1. La problématique lexicale de la différence

2.1.1.A. La synonymique

Selon Rastier, la synonymique des Lumières préfigure (rétrospectivement) ce que peut être une sémantique linguistique [18] ; il souligne d’ailleurs que certains ont pu voir dans la synonymique l’origine de l’analyse sémique [19].
Les synonymistes inaugurent une troisième problématique de la signification : la problématique de la différence. Alors que le problème de la différenciation est un problème philosophique fondamental - Xénophane notait le caractère différentiel de la perception des objets : si Dieu n’avait pas fait le miel doré, les figues nous paraîtraient plus douces -, la problématique propre à la sémantique linguistique se forme plus tardivement à partir des réflexions de Varron, Donat, Servius et, parmi les modernes, le père Vavasseur, Scioppius, Henri Étienne, et l’abbé Girard. Ce dernier écrit dans son Traité de la justesse de la langue française (1718, p. 28) : « il n’y a point de mots synonymes en aucune langue ».
Il s’agit alors d’admettre l’irréductibilité des langues les unes aux autres et la spécificité de leurs sémantiques, dont témoignent en premier lieu leurs lexiques. (Rastier, 2001e, p. 100).

2.1.1.B. La valeur saussurienne

Selon Rastier, Saussure s’inscrit dans la tradition des synonymistes [20] mais les dépasse par sa définition de la valeur qui rapporte la définition des unités linguistiques à trois principes : (i) la valeur est la véritable réalité des unités linguistiques ; (ii) elle est déterminée par la position des unités dans le système (donc par les différences) ; (iii) rien ne préexiste à la détermination de la valeur par le système.

Saussure révoque le problème de la référence [21] ; pour lui, « la signification consiste en valeur, ce qui s’accorde avec l’abandon décisif de toute référence. »  (Rastier, 2003a, p. 24).

Aussi : « La reconnaissance d’une négativité [23], poussée à son terme, fait du langage un système différentiel d’oppositions et non un codage d’identités référentielles. » (Rastier, 2003a, p. 26).

2.1.2. Une sémantique linguistique

2.1.2.A. La rupture ontologique

La position de Rastier s’inscrit dans la tradition saussurienne - « La sémantique, discipline récente et toujours menacée, n’a pu formuler de programme scientifique autonome qu’en s’appuyant sur la critique radicale de l’ontologie formulée par Saussure. » (Rastier, 2001a, p. 126). Il s’agit pour Rastier de fonder une sémantique linguistique.

Dans son article « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée », Rastier retrace les conséquences de cette rupture ontologique sur la conception même du signe linguistique.

Saussure procède au « rapatriement » du signifié dans les langues, en le distinguant du concept logique ou psychologique - « Il faut alors admettre que le contenu du signe n’est pas un concept universel, mais un signifié relatif à une langue. » (Rastier, 2001e, p. 102).

2.1.2.B. Pertinence sémantique vs principes référentialistes

Selon Rastier (2001e, p. 146),  la méthode qui préside à l’analyse différentielle peut elle seule résoudre le problème de la pertinence des composants, puisqu’elle opère sur des classes de contenus constituées en fonction de critères linguistiques, et non sur des contenus isolés de la langue pour les définir relativement à leurs référents.

Rastier critique une conception dénotationnelle (ou représentationnelle, extensionnelle) de la signification linguistique qui recourt aux traits référentiels [25] (cf. le modèle de Katz et Fodor, 1963) et où les CNS sont autant de conditions de désignation nécessaires et suffisantes [26] (ou des traits stables du monde réel selon Russel, Carnap et autres positivistes).

2.2. Le remembrement de la tripartition sémiotique. Problématiques du sens et du texte

2.2.1. Les principes d’une sémantique descriptive unifiée

Rastier se propose de traiter, dans le cadre d’une sémantique différentielle [27], de l’inférence et de la référence [28], puis de placer ces problématiques de la signification* sous la rection de la problématique du sens*, en admettant que le global (le texte*) détermine le local (les signes).

Il précise les principes de cette unification :

2.2.1.A. Les paliers de la description linguistique et les degrés de systématicité

Selon Rastier, la tripartition sémiotique, reprise de Morris et Carnap, conduit à une division de la théorie sémantique : la sémantique vériconditionnelle et la pragmatique de la communication se partagent l’étude du sens ; à la première revient l’étude des catégorématiques (ou mots référentiels) et du sens littéral ; à la seconde revient l’étude des syncatégorématiques (cf. les analyses sur les mots du discours [31]) et du sens dérivé.
Rastier refuse la division traditionnelle entre sémantique et pragmatique ; il s’en écarte par un double mouvement : les conditions pragmatiques, considérées en général, sont pour l’essentiel en-deçà de la structure sémantique dans la mesure où elles sont constituantes pour les classes sémantiques* elles-mêmes [32] ; et au-delà, dans la mesure où, considérées en particulier, elles ont sur le contenu linguistique une incidence qui relève de la sémiotique plutôt que d’une pragmatique autonome [33] (Rastier, 1996a, p. 11).
D’autre part, il remet en cause « l’absurde » division entre syntaxe et sémantique dans la mesure où il considère qu’il n’y a pas entre elles une différence de niveau mais de palier de description - la syntaxe dite profonde pouvant être considérée comme la sémantique propre au palier de la phrase.
Pour la sémantique différentielle, l’essentiel est de pouvoir traiter par une théorie unifiée des différents paliers de description - le palier du texte étant toutefois primordial.
Les trois paliers traditionnels sont le mot, la phrase, et le texte - les deux premiers ayant été jusqu’ici privilégiés par la tradition grammaticale et linguistique : « La tradition logique et ontologique qui a prévalu en grammaire puis dans les sciences du langage a isolé le mot dans son rapport avec son référent, la phrase dans son rapport avec un état de choses, le texte dans sa relation avec un monde, fictionnel ou non. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 137).
Rastier substitue à ce paradigme de la signification, le paradigme du sens, qui permet de rompre la triple solitude du signe, de la phrase et du texte. Il retient les principaux paliers suivants :

          Précisions : Les prescriptions du système fonctionnel de la langue sont tout à la fois : (i) impératives (appariements signifiant/signifié, signification [34] [éléments du sémantème* (sèmes inhérents*) des morphèmes] : ex. ‘re-’ est /itératif/) ; (ii) imprécises (couvr- signifie par exemple ‘superposition d’une protection [quelle qu’elle soit] à un objet [quel qu’il soit]’) et ce vague est nécessaire pour pouvoir interpréter les nouveaux emplois et les néologismes ; (iii) soumises à des conditions multiples, puisque tout sème inhérent peut se trouver virtualisé* par le contexte* (cf. Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », pp. 59-60).

         Précisions : Rastier conteste le primat (millénaire) de la phrase - y compris en sémantique. « En somme, on arrive à un paradoxe : dès que l’on décrit des corpus et non des exemples, le rôle de la phrase se trouve relativisé, et il faut en conclure qu’elle n’était qu’un idéal normatif né de l’antique alliance de la logique et de la grammaire. Les unités sont soit plus petites, soit plus grandes. Le syntagme est sans doute le véritable lieu de la prédication, dans la mesure où elle n’est qu’une forme de détermination ; et par exemple l’adjectif épithète est aussi prédicatif que l’adjectif attribut, même s’il l’est autrement. L’unité supérieure au syntagme est la période, dont le concept a été réélaboré récemment par plusieurs auteurs (Adam, Charolles, Berrendonner), et qui convient mieux que celui de phrase. Ses limites sont rhétoriques plutôt que logiques : à l’oral la période est une unité respiratoire ; à l’oral comme à l’écrit, c’est une zone de localité sémantique, définissable par des relations privilégiées (d’anaphore et de coréférence notamment) qui s’établissent au sein d’une suite de syntagmes. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 116).

         Précisions : => Le morphème prend son sens dans la lexie [38] ; la lexie, dans le syntagme ; le syntagme, dans la période ; la période, dans le texte ; le texte dans la pratique sociale* où il est produit, et relativement à d’autres textes [39]. La sémantique unifiée permet ainsi de faire communiquer l’en deçà du mot* et l’au-delà de la phrase

=> Les normes génériques et discursives, les normes idiolectales (styles*), moins prescriptives que les “règles” linguistiques [40], prédominent aux paliers de la période et du texte. Ces normes ne diffèrent des “règles” linguistiques que par leur degré de prescriptivité [41], non par nature.

Selon Rastier, le « chaînon manquant » entre la langue et la parole est constitué par l'espace des normes [42].

* Sur la dualité langue/parole : Relèvent d’une linguistique de la langue, les morphèmes isolés (hors du contexte de leurs lexies) et les “règles” linguistiques (phonétique, morphologie, morphosyntaxe). Les classes lexicales, comme les taxèmes*, sont des classes doxales qui appartiennent à une linguistique de la parole. Nous disposons à la fin de ce chapitre une schématisation articulant linguistique de la langue et linguistique de la parole.

2.2.1.B.  Les quatre ordres de la description

Rastier distingue, outre les ordres syntagmatique* et paradigmatique* [43], deux autres ordres mis en œuvre par les langues, et qui à la différence des deux premiers, ne sont pas régis principalement par le système fonctionnel : il s’agit de l’ordre référentiel* et de l’ordre herméneutique*.

(i) l’ordre référentiel : « Ce que nous appelons ici référence n’est pas un rapport de représentation à des choses ou à des états de choses, mais un rapport entre le texte et la part non linguistique de la pratique où il est produit et interprété. »(Rastier, 1996e, p. 35).

(ii) l’ordre herméneutique : « C’est celui des conditions de production et d’inter­prétation* des textes. Il englobe avec les phénomènes dits de communication, ce que l’on appelle ordinairement les facteurs pragmatiques ; mais il les dépasse car il inclut les situations de communication codifiées, différées, et non nécessairement interpersonnelles. Il est inséparable de la situation historique et culturelle de la production et de l’inter­prétation. Son étude systématique doit rendre compte des différences de situation historique et culturelle qui peuvent séparer la production de l’interprétation.  »  (Rastier, 1997b, p. 133).

Rastier précise que l’ordre herméneutique [44] domine l’ordre référentiel - « on ne réfère jamais qu’à une doxa, c’est-à-dire un ensemble d’axiomes normatifs localement établis par le corpus des textes oraux ou écrits faisant autorité dans la pratique en cours. » (Rastier, 2001d, p. 108).
Contrairement à une linguistique restreinte qui a privilégié les ordres syntagmatique et référentiel, délaissant ainsi les deux ordres « cachés » - paradigmatique et herméneutique - , la sémantique interprétative prend en compte ces quatre ordres et cherche à restituer leur unité.

2.2.1.C. Les paliers de la théorie sémantique

Rastier fait correspondre aux principaux paliers de la description linguistique, les trois paliers de la théorie sémantique, microsémantique, mésosémantique, et macrosémantique, en unifiant leur conceptualisation.

Chacune des composantes de la sémantique unifiée participe ainsi à la description de ces paliers, aussi bien pour l’interprétation que pour la production.

=> LA MICROSÉMANTIQUE

2.2.2. L’analyse différentielle

Sèmes génériques/Sèmes spécifiques

Rastier considère que l’identification des sèmes est soumise à conditions herméneutiques ; il adopte une perspective onomasiologique*, qui définit les signifiés au sein de classes sémantiques [47], “en langue” (doxa) et “en contexte” [48]. Cette perspective s’oppose à la perspective sémasiologique*, qui fait correspondre à un signifiant toutes les significations qu’il est susceptible de véhiculer [49], et qui, pour réduire la polysémie [50], cherche à interdéfinir ces diverses significations [51].

La perspective onomasiologique introduit la distinction entre sèmes spécifiques* et sèmes génériques* - la définition de ces sèmes étant relative à une classe de sémèmes.

- sème spécifique [notion revue dans notre glossaire] : élément du sémantème opposant le sémème à un ou plusieurs sémèmes du taxème auquel il appartient. Ex. ‘mausolée’ s’oppose à ‘mémorial’ par le sème /présence du corps/.

- sème générique [notion revue dans notre glossaire]  : trait sémantique marquant l’appartenance du sémème à une classe sémantique.

Rastier distingue différents types de sèmes génériques :
(i) les sèmes microgénériques, qui marquent l’appartenance d’un sémème à un taxème  ;
(ii) les sèmes mésogénériques, qui marquent l’appartenance d’un sémème à un domaine*  ;
(iii) les sèmes macrogénériques, qui marquent l’appartenance d’un sémème à une dimension*.

Illustration : l’exemple d’autobus/autocar [52]
Rastier examine les sémies : ‘métro’, ‘train’, ‘autobus’, ‘autocar’. Toutes ces sémies relèvent du domaine //transports// (moyens collectifs). Il en propose deux analyses qui posent le problème de l’identification des ensembles de définition :

=> Quels taxèmes ?

(1)                           //transports// (moyens collectifs)
            //ferré//                                                        //routier//
‘métro’ /intra-urbain/                                   ‘autobus’ /intra-urbain/
‘train’ /extra-urbain/                                    ‘autocar’ /extra-urbain/

(2)                              //transports// (moyens collectifs)
       //intra-urbain//                                          //extra-urbain//
     ‘métro’ /ferré/                                            ‘train’ /ferré/
  ‘autobus’ /routier/                                      ‘autocar’ /routier/

Pour (2) :

Cette seconde présentation semble correspondre aux situations pragmatiques les plus courantes [53] : en principe, on choisit un moyen de transport en fonction de sa destination, et non parce qu’il est ferré ou routier. Mais les deux analyses restent valables, cela dépend de la situation, du contexte et l’on voit par là que la définition des sèmes génériques et des sèmes spécifiques est relative à une classe de sémèmes (cf. Rastier, 1996a, p. 49) - car aucun sème n’est par nature spécifique ou générique.

Rastier parle de conditions pragmatiques globales lorsqu’il évoque les situations de choix au sein de pratiques sociales (conditions attestées de communication - l’entour* de la communication) ; selon lui, les taxèmes reflètent ces situations de choix [54] :

Il ajoute :

=> Quels sèmes spécifiques ?

Ainsi : « pour opposer ‘métro’ et ‘autobus’, on peut choisir la catégorie /ferré/ vs /routier/dans un texte technique, mais aussi /lent/ vs /rapide/ si l’on décrit les raisons du choix des usagers, ou /en surface/ vs /souterrain/ si l’on dépouille une enquête sur la claustrophobie, etc. Bien entendu, ces divers axes ne s’excluent pas, mais une description pertinente doit rejeter les catégories inutiles. » (ibid., souligné par nous).

Sèmes inhérents/Sèmes afférents

Les sèmes (génériques et spécifiques) peuvent être inhérents ou afférents :

Rastier précise que sèmes afférents et sèmes inhérents ne diffèrent que par la complexité des parcours interprétatifs qui les actualisent, et non par le statut ontologique de leurs référents prétendus.

2.2.3. Les opérations interprétatives

2.2.3.A. Assimilation et dissimilation

Deux lois fondamentales gouvernent les opérations interprétatives : la dissimilation* et l’assimilation*.

- La loi de dissimilation opère en présence de contrastes sémantiques* faibles entre des unités (c’est notamment le cas pour les tautologies ; ex. : une femme est une femme [58]) ; elle augmente les contrastes sémantiques [59].

- La loi d’assimilation opère à l’inverse quand les contrastes sémantiques sont forts entre des unités (contradictions, coq-à-l’âne) ; elle diminue les contrastes sémantiques. Ex. (donné par Rastier, 1996a, p. 78) : soit la pancarte Interdit aux juifs et aux chiens, apposée dans les lieux publics pendant l’occupation nazie. Le sème macrogénérique /animalité/ dans ‘chien’ est propagé (par assimilation) sur ‘juifs’ (le sème macrogénérique inhérent /humain/ dans ‘juifs’ se trouve alors virtualisé).

Ces lois sont en relation avec des conditions minimales d’interprétabilité ; Rastier établit deux conditions complémentaires :
a) Pour qu’un énoncé ou un syntagme à isotopie* forte soit interprétable, il faut que les sémèmes en relation d’attribution diffèrent par au moins un sème (fût-il afférent).
b) Pour qu’un énoncé ou un syntagme à allotopie* forte soit interprétable, il faut que les sémèmes en relation d’attribution comportent au moins un sème identique.

2.2.3.B. Inhibition, activation, propagation

Rastier distingue trois opérations :

a) l’inhibition interdit l’actualisation de sèmes inhérents. Ces sèmes sont alors virtualisés [60]. Ex. dans ce corbeau blanc : le sème /noir/ inhérent à ‘corbeau’ est inhibé.

b) l’activation permet l’actualisation des sèmes. Elle est nécessaire mais non suffisante. Elle n’intéresse pas les sèmes inhérents mais les sèmes afférents – « qui sont présents dans la sémie-type sous la forme de catégories et non de traits spécifiés » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique, p. 69). Ex. le sème /debout/ n’est pas un sème inhérent de ‘bergère’, c’est un des traits virtuels que l’on peut inférer du sème /humain/ inhérent à ‘Bergère’. Or dans le contexte Bergère ô tour Eiffel [61], /debout/ va être actualisé (par assimilation) dans ‘Bergère’ par la présence du sème inhérent /verticalité/ de ‘tour’ [62].

c) la propagation de sèmes intéresse les sèmes afférents contextuels. Ex. dans l’Assommoir (ch. VII) le contexte propage le sème /grande taille/ sur ‘saladier’ (c’est le plus grand récipient possédé par le ménage) – « La blanquette apparut, servie dans un saladier, le ménage n’ayant pas de plat assez grand ». Notons que le phénomène de la propagation des sèmes est évident pour les noms propres de personnes, dont le contenu (hors quelques sèmes génériques inhérents) n’est constitué que de sèmes afférents en contexte. 

Rastier définit plusieurs principes :
(i) Tout sème peut être virtualisé par le contexte ;
(ii) Tout sème n’est actualisé qu’en fonction du contexte ;
(iii) Aucun sème n’est actualisé en tout contexte.

La microsémantique laisse ainsi toute sa place à l’ordre herméneutique : l’actualisation des composants sémantiques, même inhérents [63], est en effet conditionnée par le contexte (cf. Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 65).

2.2.3.C. Les conditions des opérations interprétatives

Pour déclencher le parcours interprétatif, Rastier distingue : (i) le problème* qu’il a pour effet de résoudre ; (ii) l’interprétant* qui sélectionne l’inférence à effectuer ; (iii) la condition d’accueil* qui abaisse le seuil d’activation, et permet ou facilite ainsi le parcours.

- Le problème interprétatif le plus simple est posé par la discohésion sémantique, par exemple la juxtaposition de sémèmes contradictoires [64].

- La condition d’accueil stipule les constructions morphosyntaxiques qui permettent le parcours interprétatif. Par exemple, il est facilité à l’intérieur du même syntagme.

- L’interprétant est une unité linguistique ou sémiotique [65] permettant de sélectionner la relation sémique pertinente entre les sémèmes reliés par le parcours interprétatif. Rastier souligne que ce sont les conditions herméneutiques (qui se rapportent au discours*, au genre* du texte, à la situation de communication) qui permettent d’appréhender l’interprétant comme tel. Il ne doit pas être confondu avec une instruction [66], et n’est reconnu comme indice qu’a posteriori

     Ex. publicitaire : le slogan suivant pour le Nouveau Scénic RX4 de Renault :

« Nouveau Scénic RX4   À ne pas confondre avec une voiture. »

- Problème interprétatif : rupture d’une isotopie taxémique ; création d’un paradoxe (‘Nouveau Scénic RX4’ et ‘voiture’ devraient posséder le même sème microgénérique : /voiture/).

- Conditions d’accueil : mise en opposition de ‘Nouveau Scénic RX4’ et de ‘voiture’.

- Interprétants : connaissances encyclopédiques [67], visuel [68] et rédactionnel.

=> Opérations interprétatives : notamment afférences des sèmes spécifiques /prestige/, /exception/, /distinction/, /puissance/, /hors normes/ sur ‘Nouveau Scénic RX4’ ; et afférences des sèmes spécifiques /banalité/, /normalité/, /monotonie/, /péjoratif/ sur ‘voiture’.

On pourrait noter ici la volonté de créer un parangon* : ‘Nouveau Scénic RX4’ comme parangon (meilleur exemplaire) de la classe des //voitures//. Or, en contexte, le sème microgénérique inhérent /voiture/ est inhibé sur ‘Nouveau Scénic RX4’. On soulignera davantage la volonté de créer une nouvelle classe, distincte de la classe « traditionnelle » des voitures, voire sans commune mesure avec elle.

=>  LA MÉSOSÉMANTIQUE

Selon la linguistique traditionnelle, le palier de la phrase est celui où règne la morphosyntaxe, discipline censée échapper aux déterminations sémantiques. Pour une sémantique des textes, il s’agit avant tout de mettre fin à la prétendue autonomie de la syntaxe, et de reconnaître l’importance de l’ordre herméneutique pour la description syntaxique – Rastier précise que l’ordre herméneutique l’emporte en dernière instance sur l’ordre syntagmatique dont relève la syntaxe : les relations sémantiques rattachent toute phrase à son contexte situationnel.
Dans ce cadre, la morphosyntaxe a un rôle important, mais secondaire ; Rastier la conçoit comme un substrat des opérations sémantiques, elle peut se définir comme un système régulant la propagation des traits sémantiques [69] (cf. supra, les contraintes et conditions d’accueil pour les parcours interprétatifs).
Rastier souligne le caractère tout relatif de la frontière qui sépare sémantique et syntaxe ; il utilise le concept d’isotopie [70] - créé par A.-J. Greimas (1966) - pour illustrer leurs relations.
Il distingue entre isotopies prescrites par le système de la langue (ou isosémies* - concept dû à B. Pottier) et celles qui peuvent être dites facultatives (relativement au système de la langue) dans la mesure où elles relèvent d’autres systèmes de normes. Il conserve pour ces dernières le terme général d’isotopies [71]. Au terme d’une étude détaillée et exemplifiée (présentée dans Sémantique pour l’analyse, Chapitre V), Rastier formule la conclusion suivante : les parcours interprétatifs qui permettent de constituer les isosémies sont seulement plus simples que ceux qui permettent de construire les isotopies.
Rastier s’intéresse aux phénomènes d’accord ; il montre le caractère proprement sémantique des accords. Il s’intéresse également à la rection et à la dépendance casuelle qu’il envisage comme conditions d’accueil morphosyntaxiques, guidant les propagations casuelles - les parcours interprétatifs qui permettent l’assignation de cas sémantiques* apparaissant alors comme des optimisations de contraintes ou de préférences.
Bien qu’il considère les isotopies comme étant autonomes à l’égard des relations syntaxiques, Rastier souligne le rôle important que jouent les relations syntaxiques dans le tracé du parcours interprétatif qui permet d’identifier une isotopie : « elles rendent compte notamment du caractère assimilateur ou dissimilateur des contextes » (Rastier, 1996a, pp. 96-97).

2.2.4. La notion d’isotopie

Une isotopie sémantique est définie comme l’effet de la récurrence d’un même sème, dit sème isotopant. Les relations d’identité entre les occurrences du sème isotopant induisent des relations d’équivalence entre les sémèmes qui les incluent.

Rastier étend le concept d’isotopie aux différents types de sèmes. La distinction entre sème générique et sème spécifique se retrouve au palier mésosémantique avec la distinction entre isotopie générique, induite par la récurrence d’un sème générique, et isotopie spécifique, induite par la récurrence d’un sème spécifique.

2.2.4.A. Isotopies génériques

Les isotopies génériques se divisent en trois types selon les classes qu’elles manifestent.

Nous présenterons plus en détail la notion d’isotopie générique au Chapitre 2.

2.2.4.B. Isotopies spécifiques

Les isotopies spécifiques reposent quant à elles sur des récurrences de sèmes spécifiques ; par exemple, dans L’aube allume la source (P. Éluard), la récurrence du sème spécifique /inchoatif/ inhérent aux sémantèmes de ‘aube’, ‘allume’ et ‘source’, induit une isotopie spécifique.
Les isotopies spécifiques permettent notamment d’analyser en détail les isotopies génériques et de les articuler entre elles ; selon Rastier, elles sont un facteur primordial de la cohésion* des périodes (et, au-delà, des textes).

Molécule sémique

Rastier appelle molécule sémique* un groupement stable et structuré de sèmes spécifiques. Par exemple, dans L’Assommoir (et notamment, à titre indicatif, dans ce passage : « Le saladier se creusait, une cuiller plantée dans la sauce épaisse, une bonne sauce jaune qui tremblait comme une gelée »), Rastier décrit une molécule sémique (isotopies spécifiques en faisceau*) qui regroupe les sèmes /jaune/, /chaud/, /visqueux/ et /néfaste/.
Les molécules sémiques ne sont pas nécessairement lexicalisées ou du moins leur lexicalisation peut varier. Rastier distingue des lexicalisations synthétiques, qui manifestent au moins deux sèmes, et des lexicalisations analytiques, qui n’en manifestent qu’un. Dans l’exemple analysé ci-dessus, il n’y a pas de lexicalisation privilégiée ; la molécule sémique peut être lexicalisée par alcool, sauce, morve, huile, pipi, mais aussi par toutes sortes de syntagmes voire de lexicalisations partielles dispersées.

Fonds et formes sémantiques

Les molécules sémiques sont les formes sémantiques* de base :

Selon Rastier, les isotopies génériques « déterminent, en termes gestaltistes, les fonds sur lesquels se détachent les formes sémantiques. » [72] (Rastier, 1992b, p. 103).

Pour une sémantique des textes, le syntagme et la période sont des lieux de formation et de déformation des formes et des fonds sémantiques [73].

Isotopies mixtes

Rastier envisage également des isotopies mixtes [74] ; il s’agit d’isotopies constituées par la récurrence d’un sème qui revêt des statuts différents selon les sémèmes qui l’incluent : ce sème peut être récurrent en qualité de sème spécifique dans un sémème ; en qualité de sème générique dans un autre sémème puisque aucun trait n’est par nature spécifique ou générique.

2.2.4.C. Isotopies inhérentes et afférentes

Certaines isotopies sont constituées par la récurrence d’un sème inhérent ; d’autres, par celle d’un sème afférent mais Rastier précise que la plupart des isotopies d’un texte incluent des occurrences où le sème isotopant est inhérent et d’autres où ce même sème est afférent. Il prend pour exemple une phrase de L’Assommoir (septième chapitre, consacré à un grand repas ; ici on sert une blanquette de veau) : « Le saladier se creusait, une cuiller plantée dans la sauce épaisse, une bonne sauce jaune qui tremblait comme une gelée », dans laquelle il repère la récurrence du sème /intensité/ [75]. Ce sème isotopant est afférent dans : ‘saladier’ [glose : c’est le plus grand récipient possédé par le ménage] ; ‘se creusait’ [glose : suppose une consistance quasi solide] ; ‘plantée’ [glose : suppose une consistance quasi solide] ; ‘jaune’ [glose : couleur très foncée pour une sauce blanche (déf. Blanquette)] ; ‘tremblait’ [glose : suppose une consistance maximale pour une sauce] ; ‘gelée’ [glose : suppose une consistance maximale pour une sauce]. Il est inhérent dans ‘épaisse’ [glose : intensif sur l’axe de la consistance] et ‘bonne’ [glose : intensif sur l’axe de la valeur]. L’isotopie ainsi constituée comprend des occurrences dans lesquelles le sème /intensité/ revêt des statuts différents.
Rastier précise alors que le degré de complexité du parcours interprétatif permettant de construire une isotopie est fonction notamment de la proportion relative des occurrences où le sème isotopant est inhérent, ou afférent : « plus souvent le sème isotopant est inhérent, plus ce parcours est simple, et plus les procédures de validation de l’isotopie sont aisées. » (Rastier, 1996a, p. 113).

2.2.4.D. La poly-isotopie

Rastier distingue deux types fondamentaux d’interrelation entre isotopies :

a) la poly-isotopie* (au sens restreint) : lorsque les sèmes isotopants sont liés par une relation de disjonction (inclusive ou exclusive), de contradiction ou d’incompatibilité.

b) le faisceau d’isotopies - ou faisceau isotopique : lorsque les sèmes isotopants sont liés par une relation de conjonction ou d’implication.

Faisceaux isotopiques et poly-isotopies (au sens restreint)  font l’objet de parcours interprétatifs différents puisque les connexions entre leurs isotopies constituantes ne sont pas de même nature. (Rastier, 1996a, p. 116) - « Et l’on n’opère pas de même pour évaluer leur plausibilité : celle de chaque constituant d’un faisceau renforce cumulativement celle des autres ; ce qui n’est pas le cas pour les poly-isotopies (au sens restreint). » (ibid.).

2.2.4.E. Relations entre isotopies

Il est possible dans les analyses textuelles de rapporter le nombre de sémèmes indexés au nombre total des sémèmes d’un texte et d’évaluer ainsi la densité macrosémantique d’une isotopie. En étudiant l’ensemble des isotopies d’un texte, on peut alors comparer leur taux de densité (ou de rareté) relatifs, et définir entre elles une hiérarchie quantitative [76].
Outre la densité macrosémantique, Rastier envisage d’autres types de relations entre isotopies : la connectivité (connexions métaphoriques, connexions symboliques) ; la productivité, qui s’évalue par le nombre de réécritures que l’isotopie inclut ; la dominance* (critère qualitatif d’étendue [77] et de densité sémique) ; la hiérarchie*(critère qualitatif d’évaluation).
Dans le cas d’un faisceau isotopique, on peut évaluer le poids du faisceau, défini par le nombre d’occurrences de chacun des traits du faisceau ; et la densité microsémantique de ce faisceau, définie par le nombre moyen de traits récurrents par sémème.

=> LA MACROSÉMANTIQUE

2.2.5. Le paradigme du texte

2.2.5.A. Les composantes sémantiques

Rastier définit quatre composantes sémantiques* autonomes, organisées en hétérarchie : la thématique*, la dialectique*, la dialogique*, et la tactique*. Il conçoit la production et l’interprétation des textes comme une interaction non-séquentielle de ces composantes.

Si complexes ou si abstraites soient-elles, les unités et les relations dans les quatre compo­santes restent analysables en sèmes. Ces composantes sémantiques [86] interagissent à tous les paliers de la description sémantique [87], et leur interaction se complexifie à mesure que l’on va de la lexie au texte.

Rastier propose l’hypothèse suivante : sur le plan sémantique, les genres sont définis par des interactions normées entre les composantes [88] - cf. infra, chapitre 2, 2. La poétique généralisée.

2.2.5.B. L’analyse thématique

Le thème

Rastier précise que le thème, en tant qu’unité, relève de la mésosémantique, mais que par ses récurrences, il intéresse la macrosémantique - « Ses lexicalisations [89] diverses apparaissent généralement dans un espace inférieur à trois cents mots ; un espace de cinquante mots environ semble suffire pour identifier les quatre cinquièmes des occurrences d’un thème. » (Rastier, 2001d, pp. 202-203).
Rastier développe les principes déontologiques d’une analyse thématique assistée par ordinateur [90] (articulation d’une déontologie générale avec les biais pratiques imposés par les tâches). Il résume les principales étapes d’une recherche thématique assistée :

Le topos

La notion de topos interne* désigne une structure thématique stéréotypée (enchaînement récurrent d’au moins deux molécules sémiques) - familière en histoire de la littérature (ex. le topos du locus amoenus).
La topique* est l’étude de ces formes sémantiques stéréotypées ; elle est considérée comme le secteur sociolectal de la thématique (cf. les lieux communs).
Rastier sépare thème et topos : alors qu’un thème est récurrent au moins une fois dans le même texte - il relève d’un idiolecte -, un topos réapparaît au moins une fois chez deux auteurs différents - il relève d’un sociolecte. Ainsi la récurrence d’un thème le promeut au rang de topos.

Le motif

Rastier distingue également entre topos et motif* :

Nous résumons à l’aide du tableau suivant ces propositions :

Structures paradigmatiques

Paliers d’analyse

Normes

Paradigmes thématiques et topiques

mésosémantique

 

* Unités thématiques

 

 

Thème

 

idiolecte

Topos

 

sociolecte

*Unités dialectiques

macrosémantique

 

Fonction, syntagme narratif

 

idiolecte

Motif

 

sociolecte

2.2.6. La morphosémantique

La description morphosémantique* d’un texte s’attache à répertorier les fonds et les formes sémantiques (désignés du nom général de morphologies*) en les reliant les uns aux autres. Elle s’intéresse ainsi aux liens entre fonds, dans le cas par exemple des genres qui comportent plusieurs isotopies génériques, comme la parabole ; aux liens entre formes ; et surtout aux liens des formes aux fonds - cruciaux pour l’étude de la perception sémantique*.
La perception des fonds sémantiques semble liée à des rythmes* :

Celle des formes sémantiques à des contours - dont les contours prosodiques peuvent présenter une image :

2.2.6.A. Dynamiques

La sémantique interprétative restitue l’aspect dynamique de la production [92] et de l’interprétation des textes en décrivant en premier lieu, les dynamiques des fonds et des formes sémantiques (par exemple, la construction des molécules sémiques, leur évolution, et leur dissolution  éventuelle) - ces dynamiques et leurs optimisations étant paramétrées différemment selon les genres et les discours.

Rastier parle de théorie “prosodique” du sens [93] : « le cours d’action de la parole comprend les gestes de l’énonciateur, mais aussi les mouvements sémantiques qui instaurent des reliefs qualitatifs et des rapports forme/fond. »  (Rastier, 2003a, p. 41). Les structures textuelles ne sont alors plus des formations ontologiques stables, mais des lieux et moments de parcours énonciatifs et interprétatifs [94] (ibid., p.36). Ces moments « singuliers », ces nœuds herméneutiques - points de connexion entre isotopies, points de basculement de l’argumentation et de la succession des « faits », ruptures de « points de vue » - correspondent à la fois à des points caractéristiques des formes textuelles et à des gestes qualifiés de l’énonciateur ou de l’interprète. (ibid.).

Rastier conçoit les textes comme des cours d’action productive et interprétative [95]

L’activité énonciative et interprétative consiste à élaborer des formes, établir des fonds, et faire varier les rapports fond/forme (Rastier, 2001d, p. 48). Rastier précise : « Le genre codifie la conduite de cette action, mais ce qu’on pourrait appeler le ductus* particularise un énonciateur, et permettrait de caractériser le style sémantique par des rythmes et des tracés particuliers des contours de formes. » (ibid., p. 45).

2.2.6.B. Transformations

Rastier appelle métamorphismes* les transformations de molécules sémiques qui ont lieu au palier textuel [96]. Il distingue entre métamorphismes et transpositions* : les premiers intéressent les formes sémantiques ; les seconds, les fonds sémantiques.

Nous reprenons ci-dessous le tableau présenté dans Arts et sciences du texte (p. 46), qui rassemble plusieurs exemples mettant en jeu chacune des composantes sémantiques :

Composantes sémantiques

Métamorphismes

Transpositions

Thématique

Transformation d’un thème

Changement d’isotopie

Dialectique

Transformation narrative

Changement de séquence

Dialogique

Changement de foyer

Changement de ton

Tactique

Changement de succession
(ex. inversion ou chiasme) 

Changement de rythme sémantique

2.2.6.C. Les tropes

Rastier propose une définition restreinte du trope dans le cadre de la microsémantique - elle ne tient pas compte par exemple de l’afférence de traits sémantiques casuels, qui relève de la mésosémantique, ni a fortiori d’afférences macrosémantiques.

La sémantique interprétative cherche à restituer la dimension textuelle des tropes [97] ; elle les considère comme des moments singuliers de parcours interprétatifs. Selon Rastier, les tropes doivent être décrits au sein d’une théorie morphosémantique du texte, capable de distinguer les fonds et les formes sémantiques, et de qualifier leurs évolutions [98]. Ils sont alors considérés non plus comme des adultérations [99] du sens littéral [100], mais comme des contours critiques de formes sémantiques - « Par exemple, en fonction de la stratégie interprétative, on pourra décrire une métaphore comme une conflation ou une bifurcation entre isotopies, selon qu’elle met en saillance les traits spécifiques communs ou opposés. » (Rastier, 2001b, p. 113). Ils constituent un répertoire des ductus qui édifient les formes, les font évoluer et les démembrent.

Les tropes revêtent quatre fonctions générales [101], selon qu’ils modifient les fonds sémantiques, les formes sémantiques ou les relations entre formes et fonds (Rastier, 2001b, pp. 113 et 114 ; 2001d, p. 164) :

- (i) Rupture de fonds sémantiques (allotopies) et connexion de fonds sémantiques (poly-isotopies génériques).

- (ii) Rupture ou modification de formes sémantiques [102] : si l’on décrit ces formes comme des molécules sémiques, leurs transformations s’opèrent par addition ou délétion de traits sémantiques.

- (iii) Modification réciproque de formes sémantiques par des allotopies spécifiques, comme les antithèses, ou des métathèses sémantiques, comme l’hypallage double.

- (iv) Modification des rapports entre formes et fonds : toute transposition d’une forme sur un autre fond modifie cette forme, d’où par exemple les remaniements sémiques induits par les métaphores.

Nous disposons ci-après la schématisation articulant linguistique de la langue et linguistique de la parole.

- Instance de la Langue fonctionnelle (dialecte) : Système fonctionnel de la langue

  • inventaire des morphèmes [103]et établissement de la signification (= éléments du sémantème) des morphèmes isolés (hors du contexte de leurs lexies) 
  • “Règles” linguistiques

  Linguistique de la langue

- Instances de la Doxa sociale en vigueur [104] : normes sociales invétérées
doxa = l’ensemble des normes sémantiques transgénériques et transdiscursives [105] (Rastier, 2004b)

  • Stabilisation du lexique [106] : Paradigmes lexicaux
    [le lexique reflète localement diverses formes de doxa, liées à des genres ou des discours différents voire incompatibles] 
  • Établissement des sèmes inhérents des morphèmes et des lexies au sein de classes sémantiques - la doxa commande la constitution des classes lexicales minimales (Rastier, 2004b)

= sens en langue

sèmes afférents socialement normés

  conditions pragmatiques globales

 

 

Linguistique de la parole

[ORDRE HERMÉNEUTIQUE]

[NORMES]

- Instance du Contexte : le texte est l’unité linguistique fondamentale

sensen contexte(ouen discours)
=>
la doxa propose, le texte dispose

  • Rôle du contexte dans l’actualisation des sèmes [107]
  • Prescriptions du système fonctionnel de la langue : “règles” structurales de combinaison des morphèmes au sein de la lexie [Signifiant] ; “règles” morphosyntaxiques [Signifiant] ; isosémies => Pertinence linguistique.
  • Mais prédominance des normes génériques et discursives [108], et des normes idiolectales (normes individuelles) =>création de classes contextuelles, afférences contextuelles, paradoxes => Pertinence générique ou situationnelle

PARCOURS GÉNÉTIQUES
ET INTERPRÉTATIFS

paliers

 

 

 

 

 

 

conditions pragmatiques locales

- Corpus [intertexte]  : le corpus de référence est l’unité linguistique maximale. Principe d’intertextualité*.

 Parcours intertextuels

 [Continuer]


NOTES

[1] « Elle s’attache à juger de la vérité des énoncés, et des conditions auxquelles le langage peut dire le vrai ; c’est pourquoi on l’appelle aussi sémantique vériconditionnelle. » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 23).

[2] « La sémantique cognitive pourrait apparaître comme un développement de la sémantique psychologique, car elle définit la signification comme une représentation mentale. Cependant, elle n’a pas défini d’objectifs ni de protocoles expérimentaux. Ses principaux animateurs sont des linguistes (Lakoff, Langacker) et elle procède d’une linguistique mentaliste, qui rapporte tous les phénomènes linguistiques à des opérations mentales. » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension »,  p. 24).

[3] Rastier précise que la linguistique, placée sous la domination millénaire de la philosophie du langage, emploie la notion de concept conformément aux traditions de la logique et de la philosophie du langage.

[4] Psychologie logicisée par Fodor (langage formel mental) et par Johnson-Laird (modèles mentaux) ; cf. sur ce point Rastier, 2001e, p. 89.

[5] Selon Rastier, les Idées platoniciennes ont été “remplacées” par les objets du monde profane répertoriés par l’Encyclopédie et que la philosophie analytique nomme aujourd’hui encore le mobilier ontologique du monde.

[6] Partir du signifiant pour viser le concept et, à travers lui, le référent, conduit à la représentation sémasiologique du lexique ; cf. infra, La microsémantique ; 2.2.2. L’analyse différentielle.

[7] Cf. l’adage scolastique : vox significat mediantibus conceptibus.

[8] « Le mot établi comme base de la signification, la thèse réaliste veut qu’il soit étudié relativement à sa référence. » (Rastier, 1990, p. 30).

[9] Il s’agit de la distinction classique entre la sémantique (théorie de la référence) et la pragmatique (théorie de l’inférence) - « Cette distinction traverse d’ailleurs toute l’histoire de la réflexion occidentale sur la signification. Dans le mouvement de la grammaire spéculative les modistes représentent le premier courant, et les intentionnalistes (avec des auteurs comme Kilwardby et Bacon) le second. Rosier résume ainsi cette opposition : “En bref, on pourrait dire que d’un côté, domine une perspective aristotélicienne, privilégiant une conception du langage comme instrument de connaissance et d’information, alors que de l’autre, se dessine une orientation plus subjectiviste, d’inspiration augustinienne” (1990, p. 1). » (Rastier, 2001e, note 4, pp. 81-82) – article cité : Rosier I., 1990, « Signes et sacrements. Thomas d’Aquin et la grammaire spéculative », in Revue des Sciences philosophiques et théologiques, tome 74/3, pp. 392-436.

[10] « Philosophes et grammairiens rêvent depuis le Cratyle de l’orthonymie, désignation correcte et directe. Les Stoïciens estimaient que le nom tombe droit de la pensée vers ce qu’il désigne, et comparaient cette chute à celle d’un stylet qui se fiche droit (orthon) dans le sol (cf. Lallot, 1989, p. 141). » (Rastier, 2001d, p. 139).

[11] La sémantique de Katz est une sémantique référentielle et componentielle ; elle se démarque ainsi de la sémantique vériconditionnelle qui traditionnellement s’oppose toujours à la décomposition du sens lexical (Montague, Kamp, D. Lewis). D. Lewis (1975, p. 1, cité par Rastier, 1985, p. 4) : « la sémantique qui ne traite pas des conditions de vérité n’est pas une sémantique ».

[12] Rastier considère pour sa part qu’un signe n’est qualifié comme tel que par un parcours interprétatif et qu’aucun signe n’est par lui-même référentiel, inférentiel ou différentiel : « Ces relations sont privilégiées par diverses théories, mais les parcours interprétatifs effectifs sont plus complexes, et leur analyse ne permet pas de retrouver des relations simplement qualifiables ; par exemple, les inférences interprétatives ne sont pas formelles, mais relèvent de ce que Russell nommait l’inférence animale ; autant dire que les parcours interprétatifs sont sans doute plus près des processus perceptifs de la reconnaissance de formes que du calcul. » (Rastier, 2001d, p. 108).

[13] « Sextus Empiricus rappelait en outre la distinction stoïcienne entre signes de rappel (ex. : il n’y a pas de fumée sans feu) et signes d’indication (ex. : les mouvements du corps sont les signes de l’âme ; cf. Hypotyposes, II, 97-102). » (Rastier, 2001e, p. 80).

[14] « Les schémas (frames) sont utilisés en IA comme supports d’inférences. Ce sont des structures typiques d’attributs. L’occurrence de valeurs affectées à un ou plusieurs attributs d’un schéma peut permettre d’inférer les valeurs des attributs non instanciés, et de les leur affecter par défaut. Ainsi, dans le cas des scénarios (scripts), sortes de schémas dont les attributs sont temporellement ordonnés, les événements “manquants” peuvent être suppléés par inférence à partir de l’occurrence des événements précédents et/ou suivants. Il en va de même dans le cas des plans, qui sont en quelque sorte des scénarios modalisés. […] Les modèles mentaux (voir notamment Johnson-Laird, 1983) transposent cette problématique dans le domaine de la psychologie. » (Rastier, 2001e, p. 86).

[15] Sperber et Wilson (1989, p. 13) : « D’Aristote aux sémioticiens modernes, toutes les théories de la communication ont été fondées sur un seul et même modèle, que nous appellerons modèle du code. Selon ce modèle, communiquer, c’est coder et décoder des messages. Récemment, plusieurs philosophes, dont Paul Grice et David Lewis, ont proposé un modèle tout à fait différent, que nous appellerons le modèle inférentiel. Selon le modèle inférentiel, communiquer, c’est produire et interpréter des indices. ».

[16] « La problématique dominante en psycholinguistique se rattache aussi à ce courant. Les recherches s’attachent à la typologie des inférences et à leur enchaînement, dans l’hypothèse que la compréhension de texte serait affaire de raisonnement. » (Rastier, 2000a, note 1, p. 15).

[17] Cf. Sperber et Wilson, 1989.

[18] Mais Rastier rappelle que les Lumières identifiaientsens et représentation, et considéraient les idées comme universelles.

[19] Cf. Glatigny (1980).

[20] Cf. sa fameuse analyse de l’opposition mutton / sheep.

[21] Rastier précise que Saussure s’appuie sur l’expérience de la linguistique historique pour récuser la problématique de la référence ; il reproche aux philosophes de négliger la dimension temporelle des langues (cf. CLG, p. 440).

[22] Le langage est le seul réel que la sémantique des textes ait à connaître (cf. Rastier, 1992b).

[23] Négation de la substance.

[24] (Object)  (Physical)  (Non-living)  (Artefact)  (Furniture)  (Portable)  (Something with legs)  (Something with back)  (Something with a seat)  (Seat for one).

[25] « Quand A. N. Katz (1978, 1981) conclut au relief particulier des traits figuratifs, son étude se base par exemple sur le fait que la rondeur est un trait dominant du “concept TONNEAU”, et que cette propriété est représentée dans l’image visuelle d’un tonneau. Plutôt que de faire du TONNEAU une idée platonicienne, pourquoi ne pas convenir que le sémème ‘tonneau’ comprend /rondeur/ parmi ses sèmes définitoires au sein de sa classe sémantique, et c’est précisément ce qui le rend pertinent dans une sémiotique visuelle (dessin), voire dans les images mentales, voire dans les percepts eux-mêmes. » (Rastier, 2001e, pp. 214-215).

[26] L’exemple de « caviar » (dans Rastier, 1985, pp. 11-13) : Rastier demande à vingt-huit collégiens de troisième de définir le terme caviar. Alors que le sème (afférent socialement normé*) /luxueux/ est absent de la définition lexicographique - cf. le Petit Robert : « Œufs d’esturgeon. » ; cf. le Petit Larousse : « Œufs d’esturgeon salés. » - ce sème figure vingt-deux fois dans les réponses des collégiens. Aussi, « si l’on tient compte de la compétence réelle de la population questionnée, le trait /luxueux/ a tout autant de raisons que /poisson/ de figurer dans la définition. » (Rastier, 1985, p. 12). Mais « la conception ordinaire de la compétence idéalisée ne retient que les traits dits dénotatifs, et limite la définition à l’identification du référent ; selon elle, le trait /luxueux/ n’aurait pas à être retenu, puisqu’il apparaît comme une “connotation”, une valeur symbolique ou associative. » (ibid.).

[27] « Nous avons adopté la problématique sémantique la plus sensible aux diversités, la sémantique différentielle. De tradition saussurienne, elle a intégré certains acquis de la sémantique componentielle des années soixante, mais l’a dépassée - à nos yeux - en récusant précisément ses prétentions à l’universalisme, pour pouvoir rendre compte de la complexité textuelle et contextuelle. » (Rastier, 2001e, p. 14).

[28] « Traiter de la différence dans le cadre de sémantiques référentielle ou inférentielle ne paraît guère possible dans la mesure où les différences sont attachées aux lexiques des langues, alors que les références et les inférences en ont été déliées. Pour parvenir à une unification, il faudrait délier à leur tour les différences des langues. Nous avons préféré à l’inverse traiter de la référence et de l’inférence dans un cadre linguistique. » (Rastier, 2001e, note 1, p. 110).

[29] Dans la théorie de Rastier, les occurrences des sémèmes sont construites par le contexte* et en fonction de lui. « Si bien qu’après Schleiermacher on peut soutenir la thèse que toute occurrence sémantique est un hapax, et la compléter en affirmant que tout type n’est qu’une reconstruction. C’est là un aboutissement de la sémantique différentielle : non seulement il n’existe pas deux mots synonymes, mais il n’existe pas deux occurrences identiques d’un même mot. » (Rastier, 2001e, p. 114).

[30] « La théorie des parcours interprétatifs intègre l’analyse des inférences à la sémantique différentielle. C’est pourquoi nous avons pu soutenir que la pragmatique intégrée ne jouissait d’aucune autonomie à l’égard d’une sémantique bien faite. » (Rastier, 2001e, p. 111).

[31] Selon Rastier, ces analyses de “mots du discours” ne sont rien d’autre que des analyses de leur sémantisme propre. Rastier considère ainsi que les recherches sur l’argumentation dans la langue relèvent pleinement de la sémantique textuelle.

[32] Les classes sémantiques relèvent de normes sociales - « par exemple, en français, la classe des légumes du pot-au-feu. Ces classes ne sont donc pas des classes de référents, comme les espèces naturelles ou artificielles, selon Rosch. Elles se distinguent également des formations conceptuelles indépendantes des langues que la linguistique cognitive nomme frames ou scenes, même quand elle leur reconnaît un statut culturel, spontanément (cf. Fillmore) ou non (cf. Schank). » (Rastier, 2001e, p. 104). Illustration de la classe des légumes du pot-au-feu : « Par exemple, telle maraîchère répond à qui lui demande des poireaux : Pas de carottes ? ; à qui lui demande des poireaux et/ou des carottes : Des navets ?. Elle confirme ainsi l’existence d’un taxème* drastiquement fermé des légumes du pot-au-feu. Si on lui demande des aubergines, elle demande : Pas de courgettes ? ; des aubergines et/ou des courgettes : Pas de tomates ?, ce qui établit le taxème des légumes de la ratatouille. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 76).

[33] Cf. infra, l’ordre herméneutique.

[34] « La prudence s’impose bien entendu, et en synchronie un morphème n’a pas nécessairement de trait inhérent commun à toutes ses combinaisons : cf. can- dans canin, canine, canicule » (Rastier, 1994a,  Chapitre III, « La microsémantique », note 1, p. 60).

[35] Le contexte connaît autant de zones de localité qu’il y a de paliers de complexité.

[36] « S’il n’a pas ordinairement la compétence de créer des morphèmes, tout locuteur a celle de créer des mots. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 60) - « En effet, connaissant des règles de combinaison des morphèmes, qui constituent la syntaxe interne du “mot”, chaque locuteur peut composer et interpréter des néologismes, petites combinaisons discursives inédites. » (Rastier, 2004b).

[37] Rastier précise que les paliers ne diffèrent que par des degrés de complexité et que leurs frontières ne sont pas absolues.

[38] Rastier précise : « Hors du contexte de la sémie*, les sémèmes* gardent une signification. Par exemple, le préfixe ‘re-’ comporte le sème /itératif/, le suffixe ‘-ette’ /diminutif/. Mais elle est constituée de sèmes spécifiques inhérents. En d’autres termes, ces sémèmes ont des éléments de sémantème*, mais pas de classème*. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 57). Ainsi, les morphèmes isolés sont pourvus de signification mais dépourvus de sens – on devrait préciser en distinguant sens “en langue” (= dans le contexte de paradigmes lexicaux) et sens “en contexte” ou “en discours” (= en contexte textuel) ; à noter : «  sens » renvoie par défaut au sens textuel (i.e “en contexte”).

[39] Il ne s’agit pas d’y voir le principe frégéen de compositionnalité ; celui-ci est invalide en sémantique linguistique. Le parcours du global au local n’est pas une simple décomposition, non plus que le parcours inverse n’est une composition.

[40] Rastier précise que les “règles” linguistiques n’ont rien de commun avec les règles des langages formels, car leur application est toujours soumise à un faisceau de conditions qu’on ne peut ériger ni en axiomes ni en postulats (Rastier, 2001d, p. 181).

[41] Rastier précise que la hiérarchie des degrés de systématicité n’est pas une subordination : ainsi un style peut transgresser les normes du genre*, du discours* et même les “règles” de la langue. Exemple de l’hypallage, figure qui trouble les relations au sein du syntagme, zone de localité restreinte où les prescriptions du système fonctionnel de la langue sont fortes.

[42] Cf. (Coseriu, 1969).

[43] « L’ordre syntagmatique est celui de la linéarisation du langage, dans une étendue spatiale et/ou temporelle. Il rend compte des relations positionnelles et des relations fonctionnelles. Ainsi, il est le site des relations contextuelles. La syntaxe structure l’ordre syntagmatique au palier de la phrase, mais son étude ne rend pas compte des autres paliers, notamment la syntagmatique du texte, ni bien sûr des autres niveaux (phonétique ou sémantique, par exemple). » (Rastier, 1994a, Chapitre I, « Interprétation et compréhension », p. 17) ; « L’ordre paradigmatique est celui de l’association codifiée. Une unité ne prend sa valeur que relativement à d’autres qui sont commutables avec elle et qui forment son paradigme de définition. Cette caractéristique des langues intéresse aussi bien leurs signifiés que leurs signifiants et les distingue fort nettement des langages formels. » (ibid.).

[44] « L’ordre herméneutique ainsi conçu relève pleinement de la linguistique. Il témoigne d’une herméneutique intégrée, qui prend ici la forme d’une sémantique interprétative, et non d’une herméneutique intégrante dont l’aboutissement serait une philosophie du sens. » (Rastier, 2001d, p. 108). Cf. infra, chapitre 2.

[45] Selon Rastier, le mot (ou lexie simple) est le contexte minimal de l’analyse sémique.

[46] « leur étude ne relève pas seulement de celle des dictons. Ce sont de véritables unités de communication, et elles devraient être traitées de la même manière que les lexies. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », pp. 57-58).

[47] « L’essentiel réside dans le caractère différentiel de la méthode : le sens d’un mot se définit non par rapport à ses autres sens, mais par rapport au sens des mots voisins, aussi bien dans l’ordre paradigmatique que dans l’ordre syntagmatique. » (Rastier, 1994a,   Chapitre III, « La microsémantique », p. 46).

[48] Ex. de classe contextuelle (donné par Rastier, 1996a, p. 79) : Un haut fonctionnaire américain déplorait naguère que la commission d’enquête où il siégeait soit composée « d’un noir, de deux juifs, d’un infirme, et d’une femme ». ‘noir’, ‘juif’, ‘infirme’, et ‘femme’ relèvent “en langue” de taxèmes différents : race, sexe, religion, etc. La cohésion de la classe contextuelle qu’ils forment est due au trait /manque/ inhérent à ‘infirme’ et afférent à ‘femme’ (manque de virilité), à ‘juifs’ (manque d’une religion chrétienne) et à ‘noir’ (manque de la bonne race) : ainsi se crée un taxème des hommes inférieurs pour une axiologie du type « en avoir ou pas » (eût dit Hemingway). Rastier souligne : « Ici le trait /manque/ a le statut d’un sème générique bien qu’en langue il appartienne au sémantème de ‘infirme’, et non à son classème. Cela confirmerait que les classes contextuelles peuvent modifier non seulement l’inventaire des constituants, mais encore leur statut. » (ibid.) - cf. infra, L’assimilation.

[49] Or, en règle générale, ces diverses significations ont une histoire différente, ne relèvent pas des mêmes pratiques sociales, des mêmes discours, des mêmes genres, et ne se rencontrent pas dans les mêmes textes.

[50] Selon Rastier, la polysémie est un faux problème, c’est un artefact suscité par les principes d’orthonymie et d’univocité, qui jouit d’une importance considérable au sein de cette méthode.

Pour Rastier, la polysémie témoigne de relations (socio-)historiques entre acceptions* ; et sauf cas d’antanaclase ou de syllepse, elle ne concerne pas la lexicologie synchronique.

[51] Cette méthode, caractéristique  de la lexicographie, se heurte à de nombreuses difficultés dans la mesure où les divers signifiés d’un mot n’appartiennent pas aux mêmes classes sémantiques.  Cf. Langacker (1986) qui cherche à interdéfinir les diverses significations de ring ; ou Kintsch (1991) qui interdéfinit bank (rivage) et bank (banque) ; ou encore Katz et Fodor (1963) pour bachelor (étudiant, célibataire, phoque et chevalier) ; Fillmore (1982) pour write ; Lakoff (1987) pour over.

[52] Cet exemple est présenté dans Rastier, 1987, Sémantique interprétative, Chapitre II, « Principes et conditions de la sémantique componentielle ». Dans ce qui suit, nous nous référons à la seconde édition de Sémantique interprétative (1996a, Chapitre II, « Typologie des composants sémantiques », pp. 50-52).

[53] « En langue, les classes sont déterminées par des conditions pragmatiques globales ; en contexte, elles peuvent l’être par des conditions pragmatiques locales. Dans les deux cas, ces conditions jouent un rôle essentiel. » (Rastier, 1996a, p. 34).

[54] Rastier note l’entrée du ‘RER’ dans le taxème //intra-urbain//. Dans Sémantique pour l’analyse (p. 62), il propose l’analyse suivante : le champ* (ensemble structuré de taxèmes) //moyens de transport// comprend des taxèmes comme // ‘autobus’, ‘métro’, ‘RER’ //, et  // ‘autocar’, ‘train’ //.

[55] « En somme, le sème est certes défini par des relations entre sémèmes, mais ces relations elles-mêmes sont déterminées par le contexte linguistique et situationnel. Si bien que des données pragmatiques peuvent devenir des conditions d’existence et d’identification du sème. » (Rastier, 1996a, p. 36).

[56] Rastier précise bien que le taxème “en langue” évolue lui-même et ne fait que fixer des régularités “en discours”. Cf. l’action du contexte qui tout à la fois institue la structure du lexique et la remanie sans cesse.

[57] Aussi selon nous, les taxèmes peuvent être considérés comme des classes doxales (Rastier réservait ce qualificatif aux dimensions ; cf. Sémantique pour l’analyse, p. 63). Taxèmes, domaines et dimensions se distinguent alors par leur degré de figement. Ce degré de figement est croissant : « Les taxèmes peuvent évoluer vite (dans l’année ou la décennie ; cf. l’introduction de ‘VAB’ dans le taxème des blindés, ou celui de ‘trackball’ dans celui des moyens de commande) ; en outre, ils sont aisément remaniés en discours (cf. infra sur le contexte). Les domaines se constituent et évoluent à l’échelle du siècle (ex. le domaine de l’aviation). Les dimensions évoluent à l’échelle du millénaire. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 63).

[58] « À cette récurrence d’un signe ou d’un syntagme on peut supposer que sur le plan sémantique correspond la récurrence d’un sémème ou d’une sémie. Il n’en est rien, et l’on observe dans tous les cas une dissimilation d’acceptions ou d’emplois, telle que le sens de la seconde occurrence est toujours distingué de celui de la première. » (Rastier, 2001e, p. 216).

[59] Ex. politique : un des slogans du Mouvement National Républicain (dirigé par Bruno Mégret) pour l’élection au parlement européen (Juin 2004) : « Pour une Europe européenne ». En contexte (dissimilation), afférences sur ‘européenne’ : /chrétienne/, /occidentale/, /riche/, /civilisée/, /indépendante/, /puissante/… Notons que ce parcours interprétatif nécessite la formulation de topoï propres à l’axiologie nationaliste-frontiste.

[60] Si ces sèmes ne sont pas supprimés, leur saillance perceptive est diminuée.

[61] Il s’agit du second vers du poème Zone d’Apollinaire.

[62] Rastier précise qu’une fois actualisés, les sèmes, inhérents comme afférents, sont susceptibles de revêtir divers degrés de saillance, en fonction des activations supplémentaires qu’ils reçoivent du contexte proche ou lointain : « Comme l’actualisation, la saillance est soumise à des préconditions herméneutiques. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 70).

[63] Y compris les sèmes inhérents (éléments du sémantème) qui définissent la signification des morphèmes (système fonctionnel de la langue).

[64] « Toute discohésion cependant, comme toute cohésion, est construite et non donnée : elle dépend d’une présomption propre à la situation interprétative. » (Rastier, 1994a, Chapitre III, « La microsémantique », p. 71).

[65] Parmi les interprétants, Rastier souligne l’importance des topoï externes.

[66] Certains interprétants, dits explicites, engagent à chercher un problème interprétatif, mais ne permettent pas de savoir ce qu’il faut trouver : ils signalent un problème, non une solution (cf. Rastier, 1997a, p. 325).

Nous prenons un exemple : il s’agit d’une campagne publicitaire pour les piles de la marque Energizer dont le slogan est le suivant : Surveillez son alimentation. Trois visuels sont associés à ce slogan : (i) la photographie d’une lampe torche, avec des éclairs pâtissiers à la place des piles ; (ii) un poste radio-cassette, avec des shamallows à la place des piles ; (iii) une game-boy, avec des saucisses de Strasbourg à la place des piles.

La perception du problème interprétatif est médiée par le visuel. Le parcours interprétatif est redoublé (duplicité sémantique). Les deux parcours se traduisent par une syllepse de sens sur « alimentation ».

[67] Nos connaissances encyclopédiques jouent également un rôle dans la perception du problème interprétatif = le Nouveau Scénic est une voiture, la marque Renault est une marque de voitures,...

[68] Nous présentons une petite description du visuel : les voitures sont toutes recouvertes d’un drap blanc ; elles sont toutes de même dimension (elles sont plus petites que le Nouveau Scénic RX4). Le Nouveau Scénic RX4 n’est pas entièrement dévoilé ; il conserve une part de son mystère sous son drap en treillis militaire aux couleurs éclatantes. La luminosité et les couleurs bariolées de ce drap contrastent fortement avec les draps blancs qui recouvrent entièrement les voitures.

[69] Par exemple, la parataxe favorise la propagation de traits ; la coordination la favorise ou l’inhibe, selon les traits inhérents aux conjonctions (exemple de faveur : et, ou inclusif ; exemple d’inhibition : mais, ou exclusif).

[70] « Son intérêt principal tient à ce qu’il est indépendant par principe des structures syntaxiques et de la prétendue limite de la phrase. Une isotopie peut s’étendre sur deux morphèmes, sur deux mots, sur un paragraphe, sur tout un texte. » (Rastier, 1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 119). Ainsi, les phénomènes d’isotopies intéressent aussi le palier macrosémantique.

[71] Nous reviendrons sur cette distinction lorsque nous nous intéresserons aux conditions d’interprétabilité des énoncés, cf. infra, chapitre 2.

[72] « Le rapport entre forme et fond souligne la dépendance de la perception sémantique* à l’égard du contexte. Ce rapport n’est pas statique, et ne doit pas être conçu à l’image d’une figure géométrique sur un plan : les formes elles-mêmes ont en effet des modes de diffusion divers, et peuvent passer à l’arrière-plan. » (Rastier, 2001d, pp. 201-202).

[73] Rastier précise : « Cependant, il faut considérer plusieurs sortes de fonds et de formes sémantiques : certaines sont transitoires et limitées à un syntagme, d’autres sont conservées par répétition ou reprise, enfin intégrées à des formations plus complexes et/ou plus étendues. » (1994a, Chapitre V, « La mésosémantique », p. 136). Il aborde notamment les complexes sémiques* qui sont des structures temporaires qui résultent de l’assemblage de sémies, par activations et inhibitions de sèmes, mises en saillance et délétions, ainsi que par afférences de sèmes casuels – « Au palier textuel, les complexes sémiques analogues sont considérés comme des occurrences de la même molécule sémique. » (ibid., p. 133).

[74] Ce type d’isotopie rend compte selon Rastier, des solidarités lexicales définies par Coseriu. « Il y a solidarité quand un trait d’un lexème doit être récurrent dans un second lexème, qui détermine le premier de ce fait. » (Rastier, 1996a, p. 76). Il analyse les trois types de solidarités distingués par Coseriu et propose un traitement homogène : « dans les trois cas, un sème spécifique inhérent au sémème considéré doit être réitéré, mais en tant que sème générique, dans un autre sémème du même énoncé. » (ibid.).

Rastier envisage les isotopies mixtes au palier du syntagme : « Ces isotopies lient un ou plusieurs sèmes génériques d’un sémème à un ou plusieurs sèmes spécifiques de l’autre : elles sont donc établies entre le classème de l’un et le sémantème de l’autre. » (1996a, p. 135) ; il retient trois cas remarquables : a) quand le sémantème de l’adjectif est constitué d’un sème qui appartient aussi au classème du nom (ex.  une pierre inanimée) ; b) quand le classème de l’adjectif contient le sémantème du nom (solidarité exclusive comme dans le syntagme nez aquilin) ; c) quand un sème générique de l’adjectif est récurrent en tant que sème spécifique dans le sémantème du nom (l’adjectif peut être dit « de relation » ; ex. le voyage papal).

[75] L’analyse est présentée au Chapitre II de Sémantique interprétative ((2ème éd.), « Typologie des composants sémantiques », p. 46). Par ailleurs, dans Sens et textualité (Livre second, Chapitre Deuxième, pp. 148-179), Rastier consacre une analyse détaillée d’un extrait de L’Assommoir dans lequel figure cette phrase.

[76] « Les données quantitatives ont eu mauvaise presse en linguistique, et demeurent inusitées en sémantique ; rien n’empêche toutefois de les mettre à profit, surtout si on peut les relier à des données qualitatives. » (Rastier, 1989, note 3, pp. 116-117).

[77] Rastier distingue entre isotopies globales (ou totales) et isotopies locales (ou partielles), selon leur étendue de validité.

[78] Dans Sens et textualité (p. 65), Rastier définit ce qu’il nomme alors, l’archithématique*. L’archithématique est la partie de la thématique qui traite de la division des univers sémantiques en espaces valués ; « elle s’attache aux thèmes génériques de la plus grande généralité, qui relèvent des dimensions sémantiques. […] Les dimensions s’opposent deux par deux par des oppositions qualitatives (de type A vs B). Combinées à des oppositions privatives (A vs non A, B vs non B), elles se définissent aussi relativement à des classes contradictoire (non A non B) ou neutre (non A et non B). En ce sens le quaterne - dit plus tard carré sémiotique - présenté jadis par Greimas et Rastier (1968) peut être considéré comme une première représentation d’une structure archithématique. ».

[79] « Les dimensions évaluatives ou thymiques, les tons, les es­paces modaux, les plans temporels ou chronotopes*, définissent dans les textes autant de sortes d’isotopies dimensionnelles. » (Rastier, 2001d, p. 39).

[80] Les plus faciles à identifier sont ceux qui relèvent de la topique littéraire ou qui sont définitoires d’un corpus.

[81] Tous les textes structurés par une composante dialectique comportent ce niveau.

[82] Dans la période les actants reçoivent diverses descriptions ; chaque dénomination ou description lexicalise un ou plusieurs sèmes de l’acteur.

[83] Ce sont des classes de processus.

[84] Il n’apparaît que dans les textes mythiques.

[85] Ils ne comportent pas nécessairement de sèmes génériques.

[86] Chacune des composantes peut être la source de critères typologiques.

[87] D’autre part, Rastier établit des affinités entre composantes sémantiques et ordres de description linguistique : notamment, entre thématique et paradigmatique, tactique et syntagmatique, dialectique et référentiel, dialogique et herméneutique.

[88] Seules la thématique et la tactique sont nécessaires dans tout texte - c’est le cas limite de l’énumération.

[89] « Si le lexème et le thème diffèrent aussi bien par le niveau que par le palier d’analyse, le premier étant un signe, et relevant de la morphologie et de la microsémantique, le second une unité du contenu au palier mésosémantique, il est clair que tout lexème n’est pas un thème.  […] On objectera que les thèmes sont ordinairement dénommés par un lexème ; mais ce lexème est simplement une lexicalisation privilégiée du thème, et l’on pourrait fort bien rencontrer des thèmes sans lexicalisation privilégiée. » (Rastier, 2001d, p. 191).

[90] L’informatique, conçue comme technologie sémiotique, permet d’accéder de nouvelle manière aux textes, et propose de nouveaux moyens et objectifs d’application. 

[91] « Un des problèmes fondamentaux que rencontre la linguistique de corpus reste l’interprétabilité des résultats, notamment ceux qu’obtiennent les méthodes quantitatives. Une sémantique de l’interprétation nous semble indispensable pour qualifier les résultats obtenus, car le détour interprétatif est une condition première de l’objectivation. » (Rastier, 2004a).

[92] Rastier propose un modèle plat de l’énonciation ; l’énonciation est alors conçue « non plus comme un transit de la pensée vers le langage mais comme une action qui à tout le moins permet de passer d’un signe à celui qui le suit et en somme de produire un passage à partir d’un passage précédent. » (Rastier, 2003a, p. 37).

[93] « si l’on tient compte de la prosodie, il est clair que les inégalités qualitatives jouent un rôle fondamental dans la production et l’interprétation des périodes. Nous formulons l’hypothèse qu’il en va de même au plan du contenu - d’où les études sur les rythmes sémantiques (cf. l’auteur, 1989) ; et à tous les paliers de sa description.

La perspective herméneutique est ainsi plus proche de la tradition rhétorique que du modèle grammatical, non seulement parce qu’elle prend pour objet les textes et leur situation, plutôt que des phrases décontextualisées, mais parce que les variations qualitatives des formes textuelles commandent leur identification et leur étude. » (Rastier, 1997b, note 20, p. 136).

[94] « les unités sémantiques textuelles n’ont pas de signifiants isolables comme des parties du discours ; elles sont constituées par des connexions de signifiés des paliers inférieurs de la période, du syntagme, de la sémie. Ces connexions ne constituent pas un réseau uniforme : certaines sont mises en saillance, valorisées, modalisées, et ces saillances sont du même ordre qualitatif que ce qui est véhiculé par l’intonation. » (Rastier, 2001d, p. 44).

[95] Le concept de cours d’action est emprunté à l’ergonomie.

[96] Il y inclut les méréomorphismes, définis comme « des relations entre parties du texte qui présentent de manière compacte et locale des formes amplifiées ailleurs de manière globale et diffuse. » (Rastier, 2001d, p. 46). Selon lui, ces méréomorphismes traduisent en linguistique des phénomènes de solidarité d’échelle.

[97] « Même si les exemples ordinaires de tropes s’étendent du palier du syntagme à celui de la période, cela n’en fait pas pour autant des figures “microstructurales”. Seules certaines figures d’expression sont liées à ce palier. Si l’on reconnaît que les figures “de sens” sont des formes ou des contours sémantiques stéréotypés, on doit reconnaître que ces formes sont transposables - la transposabilité étant au demeurant définitoire de la notion même de forme, comme l’a montré la théorie de la Gestalt. » (Rastier, 2001b, p. 116).

[98] « Participant à la construction interprétative de formes sémantiques comme les molécules sémiques, les figures sont perçues relativement à des fonds sémantiques, dont les mieux décrits sont les isotopies génériques. […] Les figures sont alors des moyens de construire ces formes et de les relier à ces fonds. Si Aby Warburg, traitant des techniques artistiques, apercevait le bon Dieu “dans les détails”, alors que Jean-Pierre Richard le voyait “entre les détails”, il faudra bien “le voir” partout, c’est-à-dire concevoir l’unité des formes et des fonds sémantiques. » (Rastier, 2001d, p. 162).

[99] Pour les partisans d’un réalisme empirique, les tropes font obstacle à la représentation du monde par le langage (transparence idéale du langage) ; ils sont définis comme un écart par rapport à la vérité factuelle que refléterait idéalement le sens littéral. Cf. Rastier, 2001d, Chapitre V, « Rhétorique et interprétation : l’exemple des tropes ».

[100] La sémantique interprétative considère que le sens littéral est construit, tout comme les sens figurés ; ils ne diffèrent que par la complexité des parcours interprétatifs qui les reconnaissent ou les instituent. Ainsi, le sens n’est pas littéral, c’est la lecture qui l’est – parfois à bon droit lorsqu’elle s’exerce à propos de genres et de pratiques littéralistes (cf. Rastier, 2001d, p. 118). Importance donc du contrat interprétatif instauré par le genre (le mode herméneutique* étant associé à un régime mimétique) ; par exemple, les Bottes de sept lieues sont “littérales” dans le conte, mais l’expression est une hyperbole partout ailleurs.

[101] « Ces fonctions, ou plutôt ces effets, ne sont pas spécialisés et une même figure peut en entraîner plusieurs. Enfin, les parcours entre fonds ou entre formes ne sont pas des passages d’un fond à un autre, ou d’une forme à une autre : dans l’hypothèse de la perception sémantique, ils s’apparentent à la perception de formes ambiguës ; ainsi, une métaphore fait percevoir simultanément deux fonds sémantiques (d’où l’effet anagogique qui lui est souvent attribué) ; une hypallage fait percevoir simultanément deux formes ou deux parties de formes, dans une ambiguïté qui rappelle les classiques illusions visuelles du canard-lapin ou de la duègne-ingénue. » (Rastier, 2001d, p. 165).

[102] « Dès que l’on quitte l’ontologie pour la praxéologie, les formes sémantiques ne sont plus réifiées dans des significations et deviennent des moments stabilisés de processus productifs et interprétatifs. » (Rastier, 2001d, p. 165).

[103] « l’idée d’un lexique de la langue est sans doute un fantasme lexicographique. » (Rastier, 1996d, note 26, p. 132).

[104] « C’est par l’étude comparative systématique des textes que l’on peut restituer les normes linguistiques en vigueur. » (Rastier, 2004a, note 7).

[105] « S’il reste excessif de supposer des règles sémantiques à l’image de règles logiques, la sémantique doit évidemment décrire des normes. Elles sous-tendent par exemple les actualisations “par défaut” de traits sémantiques ; si bien que les traits sémantiques inhérents, pour être définitoires, ne sont pas pour autant dénotatifs, mais simplement hérités de normes doxales.» (Rastier, 2004b).

[106] « Le lexique, disait justement Barthes, est de la doxa figée. » (Rastier, Sémantique pour l’analyse, Chapitre III, « La microsémantique », p. 63). « Les linguistes estiment généralement que les structures lexicales relèvent de la structure linguistique ; c’est fort douteux, si l’on considère les variations contextuelles que les textes produisent. Elles relèvent bien plutôt de normes sociolectales. » (Rastier, 1996d, p. 132).

[107] Les sèmes inhérents sont hérités “par défaut” de normes doxales (si le contexte n’y contredit pas) ; les sèmes afférents socialement normés sont actualisés (si le contexte le prescrit) ; les sèmes afférents contextuels résultent de propagations de sèmes en contexte.

[108] Malrieu et Rastier (2001) ont montré l’incidence des genres et des discours sur l’ensemble des catégories morphosyntaxiques, ainsi que sur des variables comme la longueur des mots et des phrases.


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