L’ANALYSE D’IMAGES
L’exemple d’une publicité polémique

Thierry MÉZAILLE

1. Perspective historique et pédagogique de l'analyse des images

Enseigner l'image. Extraits de la conférence prononcée à Toulouse, au CLEMI, en juillet 1997, au cours d'une formation nationale intitulée L'image d'information à l'Ecole : de l'innovation à sa généralisation (parue dans les actes de 1998), par Françoise Sublet, maître de conférences en sciences de l'Education à l'université de Toulouse le Mirail, responsable de la formation continue de l'académie de Toulouse.
"Pour aborder ce thème, je commencerai en récapitulant un certain nombre de notions qui nous serviront de référents théoriques pour voir comment l'institution et les enseignants qui y travaillent ont pu comprendre précisément le fait d'enseigner avec les images. En effet, depuis une cinquantaine d'années, l'enseignement avec les images n'a pas été conçu ni compris de la même façon.
J'ai tenu à faire cette approche théorique et historique parce que je suis persuadée que coexistent actuellement des conceptions hétérogènes de l'enseignement avec les images, héritées de l'histoire.

I. Qu'est-ce que l'image ?

Je ne me lancerai pas dans des définitions théoriques de l'image: ce n'est pas le lieu. Je me contenterai de reprendre certaines notions qui peuvent éclairer la diversité des conceptions de l'enseignement avec l'image, en m'appuyant d'abord sur un éclairage déjà ancien (1970) donné par Michel Tardy sur les trois référents de l'image que sont les langages, le réel, le sujet et ses "fantasmes".
L'image est constituée d'un ensemble de langages en interaction. L'image visuelle est elle-même constituée par l'articulation de codes différents (formes, couleurs, cadrages, etc). L'image peut être aussi sonore (bruits, musique, paroles, silence) qui ont aussi leurs propres codes (intensité, hauteur, etc). De plus en plus, le langage verbal (oral, écrit) associé à l'image, est à l'origine d'images complexes où les langages sont en interaction les uns avec les autres.
Le rapport au réel.
La particularité de l'image, c'est qu'elle entretient toujours un rapport avec le réel du monde ou de l'imaginaire. Ce rapport est plus ou moins d'ordre analogique ou symbolique. Toutefois, ce qui différencie le signe iconique du signe verbal arbitraire est bien cet effet de figuration plus ou moins concrète qui renvoie le récepteur à des éléments du réel.
Le sujet récepteur et constructeur de l'image. Le troisième référentiel de l'image, c'est le sujet qui la regarde et en construit les significations. Ce sujet engage en effet dans la réception de l'image de multiples compétences telles que la vision, la perception, la reconnaissance, la compréhension, l'imagination, l'investissement personnel (ce que M. Tardy appelle les "fantasmes").
Ces trois référentiels de l'image jouent donc dans sa réception, quelles que soient ses fonctions (informer, distraire, donner du plaisir d'ordre ludique ou esthétique), quelles que soient les valeurs qu'elle véhicule.

II. L'enseignement-apprentissage des images

Les savoirs scolaires, produits d'une construction complexe. L'enseignant doit donc aider les élèves à apprendre des savoirs et savoir-faire dans des champs divers. Ce n'est que depuis peu aussi (avec par exemple les travaux de Chevallard sur la "transposition didactique" dans les années 80) qu'on a pris conscience que les savoirs à enseigner étaient en fait le produit d'une construction complexe, réalisée à partir de "savoirs savants" certes, mais aussi de choix idéologiques, de la prise en considération de pratiques sociales de référence, des possibilités cognitives des enfants.
Lorsque sont élaborés des programmes d'enseignement, les responsables "piochent" dans des savoirs savants divers, en fonction de certaines valeurs aussi, mais tiennent compte aussi de ce qui se pratique dans la société par rapport à ces savoirs: selon les époques, on verra que certaines pratiques sociales sont privilégiées, d'autres rejetées. Pendant longtemps ainsi, l'institution scolaire n'a reconnu aux images que le pouvoir de concrétiser la parole du maître, les recherches en sémiologie n'étant pas avancées (niveau des savoirs savants), l'image étant dévalorisée par rapport à l'écrit (niveau des choix idéologiques), la pratique sociale de la lecture savante de l'écrit (analyse/explication de texte) servant de pratique sociale de référence pour une éventuelle lecture de l'image.
L'élève et les images. Quant à l'élève, il arrive à l'école avec des pratiques culturelles, des attitudes, des savoirs sur l'image, acquis dans la famille, à l'école, dans d'autres institutions éducatives. On oublie souvent qu'un certain nombre de recherches en psychologie et sociologie nous permettent de mieux connaître ces compétences acquises, variables selon les milieux socioculturels d'origine. Le problème sera de se demander si l'école tient compte de tout ce que l'élève connaît et sait déjà faire, des pratiques culturelles familiales : ainsi pendant longtemps l'école a refusé d'introduire à l'école les messages médiatiques bien connus des élèves, sous prétexte d'en combattre les effets supposés néfastes.
Comme je le mentionnais en début de mon exposé, l'école a beaucoup évolué dans sa façon de concevoir l'enseignement avec les images: elle a sollicité successivement certains savoirs sur l'image, certaines conceptions du rôle des enseignants et des apprentissages des élèves. Je vais donc tracer rapidement les grandes étapes de cette histoire.

III. L'école et les images : perspective historique

L'image au service de la parole du maître. L'école depuis J. Ferry n'a jamais perdu de temps pour introduire l'image à travers des technologies nouvelles. Dès la fin des années 1880, les cartes de France sont introduites dans les classes, de même que les illustrations de manuels, mais aussi les photographies sur plaques de verre projetées dans des lanternes à pétrole pour accompagner les cours de sciences naturelles. On peut dire que les innovations au niveau des matériels et supports n'ont pas été laissées à la porte de l'école : si la télévision grand public démarre en France en 1949, elle commence à entrer à l'école vers 1953-54. Et pourtant les pratiques pédagogiques n'ont pas évolué aussi vite. Des années 1880 jusque vers 1970, c'est en effet la même conception de l'enseignement de l'image qui va prédominer :

La situation va évoluer à partir des années 70 dans un certain nombre de "niches" innovantes.

A partir des années 70, centration sur les images, objets d'une lecture plurielle par des récepteurs actifs. On va assister à cette époque-là à une innovation officielle, mais réduite. Le Ministère s'est rendu compte que le Plan audiovisuel créé en 1963 a été un échec : personne ou presque n'a utilisé les émissions scolaires pour les raisons évoquées plus haut. Le Ministère a donc préféré encourager les innovations dans des niches réduites.
- L'ICAV (Initiation à la Communication Audio-Visuelle), transformée ensuite en ICOM (Initiation à la Communication et aux Medias) a été un de ces terrains d'innovation au cours des années 70. On assiste à un changement complet de perspective :
L'image est bien considérée comme un lieu de langages en interaction qu'on peut analyser en s'appuyant sur les savoirs savants issus de la sémiologie naissante.
Le sujet-spectateur est pris en compte, puisque toutes les séances ICAV devaient commencer par un moment où les élèves doivent exprimer ce qu'ils ont vu, compris et ressenti devant les images. On découvre ensemble un "pluriel de sens", et progressivement les élèves essayent d'élaborer une signification de base commune à l'ensemble de la classe, tout en repérant précisément, à travers le jeu des connotations, ce qui peut relever d'une lecture individuelle.
La pratique sociale de référence est celle du critique de cinéma et de télévision ou encore de l'animateur de ciné-club. Ceci pose problème, car la tradition française veut toujours mettre la barre très haut, comme on l'avait fait avant pour la lecture de textes littéraires, et pour se faire accepter dans l'institution scolaire, il a fallu prouver qu'on pouvait faire aussi une lecture savante de l'image.
Du coup, le référent "réel" est un peu oublié, ou du moins n'est pas traité comme inscrit dans des disciplines scolaires. Les "heures ICAV" étaient en effet détachées des disciplines, ce qui explique une plus grande centration sur les langages. Les enseignants ICAV insistent aussi sur les valeurs qui traversent l'image, avec des activités sur la publicité.
Remarquons cependant que la plupart des images analysées sont scolaires, et qu'il faudra attendre la fin des années 70 pour que les médias soient pleinement reconnus dans l'ICOM.
Ainsi, grâce à cette expérience, le professeur est autrement positionné dans la relation élève/savoir: il aide à apprendre, il met en place des situations où l'élève peut s'approprier un certain nombre de savoirs, grâce à des dispositifs qui le rendent actif.
Notons que cette innovation a eu comme effet un renouvellement des textes officiels de l'enseignement primaire : les Instructions Officielles des années 1977, 78 et 79 reconnaissent l'importance de l'éducation à l'image, instrument et objet de culture. Nous sommes loin de l'ancien auxiliaire d'enseignement, puisque la fonction instrumentale de l'image est essentielle: grâce à elle, on peut accéder à des savoirs nouveaux, on peut développer des capacités d'analyse et d'interprétation, on peut accéder à de nouvelles formes de culture.
- L'opération JTA (Jeune Téléspectateur Actif, 1979-82), va alors reprendre ces perspectives, mais les élargir à la prise en compte des pratiques médiatiques des élèves en dehors de l'école. Dans un contexte bien particulier (recherches sur les effets de la TV, sur les relations entre TV et violence), plusieurs ministères (Education Nationale, Culture, Santé) soutenus par les chaînes de télévision, vont concevoir un dispositif original pour éduquer les élèves aux médias non seulement à l'école, mais dans d'autres institutions éducatives (familles, bibliothèques, associations...).
Précisément, la pratique sociale de référence va devenir celle du citoyen éclairé et actif: de la même façon que Condorcet avait présenté l'accès à l'écrit comme une condition essentielle de l'accès individuel à la vie de la Cité, se développe en effet l'idée qu'il est nécessaire d'aborder les médias à l'école, pour rendre les élèves actifs et critiques, capables d'avoir une attitude d'analyse et de distance vis-à-vis des médias.
Les émissions analysées seront celles que regardent les enfants chez eux, des dessins animés aux variétés et fictions, en passant par les documentaires et journaux télévisés.
Autre nouveauté: on ne s'intéresse pas seulement au regard critique sur les émissions, mais aussi aux pratiques réelles des enfants (choix des émissions, modalités de réception...), aux effets de la télévision sur les spectateurs et aux conditions de production. Le contexte de production et de réception des images est alors pleinement reconnu.
Les savoirs savants sollicités sont d'origine multiples: sémiologie, psychologie et sociologie des médias, sciences de l'information et de la communication... Les pratiques sociales de références ne sont plus seulement celles du critique de cinéma ou de télévision, mais on prend aussi en compte les pratiques des enfants, des familles, diverses selon les groupes sociaux.
Enfin, la formation des adultes éducateurs divers est au cœur du dispositif JTA: les moyens qui sont donnés à cette opération sont orientés vers la formation de différents types d'éducateurs (animateurs, travailleurs sociaux, parents, enseignants...). Bref, l'action de l'école se situe dans un contexte plus large qui appelle une collaboration avec divers partenaires.
- L'opération "Video-collège" (1985) a été une autre niche d'innovation, visant la production d'images par les collégiens, complétant ainsi la perspective de JTA, plus centrée sur la lecture des médias. De même, le dispositif "Media-Formation" dans les Ecoles Normales d'Instituteurs a contribué à poursuivre et développer dans le Primaire les orientations de JTA.
Les Instructions Officielles de 1985 pour les écoles et collèges reprendront certaines des perspectives de JTA, puisqu'elles recommandent de former un futur citoyen actif et critique face aux médias et qu'elles demandent au professeur de français d'enseigner "l'oral, l'écrit, l'image". D'ailleurs c'est bien ce choix qui inspire la création du CLEMI (Centre de Liaison de l'Enseignement et des Moyens d'Information) en 1983, qui est aujourd'hui encore centré sur cette éducation aux médias, en retenant essentiellement la fonction d'information de ces derniers. Notons que les autres fonctions liées au divertissement, aux fictions n'ont pas fait partie du champ du CLEMI.

Les années 90: une autre conception de l'innovation dans un contexte de bouleversement technologique et culturel, avec les TIC (Technologies de l'Information et de la Communication)
Si on observe les effets des diverses innovations des années 70 et 80, à travers des études et enquêtes sur les pratiques des enseignants, on peut constater que certes les images médiatiques sont acceptées à l'école, mais que les pratiques effectives sont extrêmement variées selon les disciplines (cf. leur intégration ou non dans les programmes), selon les contextes locaux (équipements, impulsion du chef d'établissement, politique académique). Je participe moi-même à une recherche dans le cadre de la Direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'Education français, où nous avons pu faire observer pendant une semaine des professeurs de français enseignant en sixième au cours de l'année 1995: sur près de 150 séances observées dans 32 classes, nous avons trouvé uniquement 3 séances consacrées à l'étude de l'image...
Bref, d'énormes efforts restent à faire: les innovations des années 70 et 80 ont eu des effets positifs au niveau des textes officiels, mais pas forcément au niveau des pratiques effectives. Du coup, une autre conception de l'innovation a été proposée en particulier avec le dispositif "Innovation-Réussite" depuis 1995 : il faut faire confiance au terrain, et aider les innovations diverses à se faire connaître. Pour la première fois, on donne des moyens non pas pour faire des innovations, mais pour les communiquer et réfléchir sur les conditions du transfert à d'autres contextes, en insistant sur le fait qu'est aussi intéressant le processus qui a permis de mettre en place l'innovation que l'innovation elle-même. Les thèmes des innovations sont très variés et l'un d'entre eux concerne précisément les TIC.
On a vu aussi apparaître depuis 1995 une autre initiative: des correspondants académiques TIC disciplinaires sont chargés d'impulser et de suivre les innovations dans diverses disciplines, ce qui permet de poursuivre ce mouvement de banalisation et d'intégration des TIC dans les divers savoirs scolaires.
Par ailleurs, ces efforts pour encourager les innovations de terrain se déroulent dans un contexte de bouleversement technologique qui favorise l'accès aux informations et la communication à l'échelle de la planète avec Internet. Les élèves et les professeurs peuvent encore, grâce aux structures des hypertextes, entrer plus librement dans l'univers du multimédia. Par l'action de l'ordinateur, l'image peut être appelée avec plusieurs fonctions, elle peut être analysée, manipulée, transformée: bref il y a là, grâce à l'aide de l'ordinateur, une aide formidable à l'apprentissage individuel et à l'échange.
Pour autant, est-ce que cette confiance faite au terrain ainsi que ces innovations technologiques vont entraîner la banalisation des pratiques de l'image dans les classes et établissement? Je terminerai, en guise d'éclairage pour répondre à cette question, en citant quelques idées contenues dans le rapport récent du sénateur Girard, qui a le mérite d'attirer l'attention sur la complexité des actions à mettre en œuvre pour obtenir une intégration, une banalisation des TIC à l'école, dans une perspective qu'on peut qualifier de systémique:

Pour que les innovations se développent, c'est donc tout un ensemble qui doit évoluer à ces divers niveaux."


2. Programmes pédagogiques actuels pour l'analyse des images

Programmes en vigueur en classes de 5-4-3° (B.O. de 1998) : "La lecture de l'image : On travaille sur les relations entre le visuel et le verbal. Dans la perspective de l’argumentation, on étudie plus particulièrement l’image publicitaire et le dessin d’humour. [...] L’image doit être considérée comme un discours visuel qui, avec son langage propre, raconte, décrit, argumente, émeut, persuade. [...] Les enseignants de français, bien que non professionnels de l’image, sont amenés à intégrer dans leur enseignement la dimension visuelle, qui imprègne de plus en plus profondément la formation culturelle et les pratiques quotidiennes de leurs élèves. Afin de les conduire progressivement à une approche raisonnée de l’image, les professeurs travaillent en particulier sur les relations entre le langage verbal et le langage visuel, dans la perspective du discours. Quatre orientations de travail peuvent être proposées.

1. La dimension visuelle du texte. On sensibilise les élèves au fait que le texte écrit est inséparable de la manière dont il s’offre à l’œil : typographie, calligraphie, mise en page, calligrammes, mots dans la peinture manifestent de différentes manières la dimension visuelle des textes. Elle est étroitement associée au sens : le choix de telle ou telle typographie entraîne des variations de signification. On peut ainsi comparer différentes réalisations typographiques d’un même texte et montrer comment elles font varier les effets ou influencent la lecture. Le développement de l’informatique (traitement de texte, PAO, multimedia) renouvelle aujourd’hui cette culture ancienne de la dimension plastique des textes.

2. La fonction d’ancrage réciproque du texte et de l’image. On étudie également les relations croisées entre texte et image, et les différentes fonctions qu’ils exercent l’un par rapport à l’autre. La première consiste à "ancrer" l’image par le texte : légende d’une photographie (presse, manuel), ou titre d’un tableau. Le texte sélectionne dans la polysémie de l’image des éléments de signification, il hiérarchise le sens et dirige la lecture. Des jeux et exercices de transformation de légendes et de titres peuvent ainsi faire varier les manières de voir et de lire le sens d’une image. À l’inverse, l’image "ancre" le texte : c’est sa fonction d’illustration. Elle en dirige aussi la lecture, donnant au héros un visage, des lignes et des couleurs au décor. Un travail de comparaison des illustrations (illustrations des Fables de La Fontaine par Gustave Doré [Barthes (1964: 43) rappelle "qu'on ne pouvait pas concevoir au XVIIIe s. que les Fables ne fussent pas illustrées"] comparées à celles d’un illustrateur contemporain) sensibilise les élèves à l’interprétation du texte qui est alors suggérée ; le texte est ainsi lu, pour ainsi dire vu, à travers l’image. Mais l’image aussi, par sa dimension plastique (composition, couleurs, contrastes, etc.) peut proposer elle-même un ordre de lecture. S’imposent à travers elle le cadrage, l’angle de prise de vue, la mise en perspective de différents plans, permettant un découpage subjectif du sens, qui constituent des instruments de lecture visuelle. Les élèves, retrouvant à travers cet examen de l’image les mêmes notions que dans l’analyse des textes (points de vue, motifs, narrateur, observateur), sont sensibilisés à sa dimension discursive. Le travail sur la dimension plastique de l’image est mené en relation avec le professeur d’arts plastiques.

3. La fonction d’accompagnement du texte par l’image. Texte et image s’associent pour assurer le déroulement narratif, dans la bande dessinée ou au cinéma, par exemple. Ils sont alors perçus de manière inséparable, et l’image prend le relais du texte pour la conduite des séquences, la présentation des événements, la mise en place des décors. La structure particulière du déroulement visuel peut alors être observée : la segmentation de vignette en vignette dans la BD, le montage au cinéma. On n’en approfondira pas l’étude au cours du cycle central, mais la comparaison d’un même récit, en texte et en image, peut apporter aux élèves des éclairages sur la construction narrative.

4. L’image et le discours. En 5e, on approfondit l’étude de l’image en fonction des objectifs discursifs, telle qu’elle a déjà été engagée en 6e. Fixe ou mobile, l’image est alors envisagée comme discours : elle raconte et décrit, mais elle a aussi un rôle explicatif ou argumentatif. Dans ce domaine, on effectue en 5e un travail de sensibilisation et d’initiation que l’on approfondit en 4e, lorsque l’on examine séparément des genres de discours visuels :
- ceux qui ont une fonction explicative (schémas, "écorchés",etc., en sciences de la vie et de la terre, dans les dictionnaires et les manuels) qui procèdent par réduction et simplification ;
- ceux qui ont une fonction persuasive et argumentative (affiche ou film publicitaires) ;
- ceux qui ont une fonction informative (image de presse, journal télévisé) lorsque l’image vient renforcer la "vérité" (la preuve par l’image), accompagnant et confirmant la présentation verbale (orale ou écrite) ;
- ceux qui ont une fonction critique (dessin humoristique, par exemple).
Dans la perspective du discours, l’examen de ces fonctions informative et argumentative de l’image contribue à la formation de la distanciation et de l’esprit critique qui sera développée en 3e. En relation avec le CDI, on aura soin de faire percevoir la place et les fonctions de l’image dans les multimédias (les "icônes" informatiques comme signes, les schémas et graphiques comme documents). Par là, on aborde l’image dans une perspective interdisciplinaire."


3. Panorama de l'analyse sémiotique de l'image

Bilan des sémiotiques visuelles contemporaines - La sémiotique visuelle, hier et aujourd’hui : un état des lieux, par Marie Carani - Université Laval

La sémiotique visuelle, comme domaine de recherche, est venue à maturité en 1990 seulement avec la création, à Blois, de l’Association internationale de sémiotique de l’image (AISIM), devenue depuis l’Association internationale de sémiotique visuelle (AISV) qui réunit des sémioticiens visuels des quatre continents, mais en particulier d’Europe et d’Amérique.

Sous l’impulsion initiale de sémioticiens français, québécois et suédois réunis dans l’Association internationale de sémiotique, la création de cette nouvelle société savante témoignait de l’essor considérable prise par une approche sémiotique concernée par la signification de l’objet visuel au sens le plus large comprenant les arts plastiques (peinture, sculpture, gravure, dessin, installation, intermédias, etc.), la photographie, l’architecture, le design, le cinéma, la vidéo, l’image publicitaire, l’image numérisée, etc., qu’on avait eu de la difficulté jusqu’alors dans le milieu universitaire à distinguer de la sémiologie/sémiotique théorique générale qu’elle soit de tradition française (de Saussure à Barthes) ou américaine (de Peirce à Morris et Sebeok), et des sémiotiques proto-littéraires saussuro-hjelmsléviennes, greimassiennes ou post-greimassiennes.

La fondation, en 1996, de la revue internationale de sémiotique visuelle VISIO, éditée à la Faculté des lettres de l’Université Laval, en tant qu’organe officiel de recherche de l’AISV a renforcé d’autant la valeur comme le statut scientifique et la visibilité conceptuelle de cette entreprise, ainsi que la portée métho-théorique de ses descriptions, de ses analyses et de ses interprétations.

On peut tenter de dégager ici les points forts et l’état des lieux des sémiotiques visuelles contemporaines dans la perspective d’engager une réflexion sur les orientations passées et présentes, sur les différents courants, ainsi que sur le devenir de cette approche concernée au premier chef par les problèmes de signification.

3.1. Un développement en deux temps fondateurs

Il peut être d’abord utile de revenir d’une façon critique sur la courte histoire des sémiotiques visuelles en vue de dresser un bilan sommaire des recherches menées des deux côtés de l’Atlantique principalement. Ces quarante dernières années, deux temps fondateurs ont marqué le développement théorique et méthodologique des sémiotiques visuelles: un premier qui va du tournant des années 1960 au milieu des années 1980; un second qui prend forme à partir de la fin de ces années 1980 et qui galvanise les recherches actuelles en cette fin-de-siècle.

3.1.1 Premier temps fondateur

Le premier origine de ce qu’on peut appeler l’icono-sémiologie de l’image de Barthes et de Marin qui reconnaissaient dans le langage verbal l’interprétant général de tous les signes visuels, soit le code par excellence de ses opérations d’intercommunication texte/image, c’est-à-dire dans la désignation du lisible pour déterminer le sens propre du visible. Dans cette sémiologie de l’image, tout le visuel résidait donc dans ce qu’on pouvait en dire selon " le perçu et le nommé ". D’où l’affirmation d’une démarche interprétative qui sacralisait la " représentation iconique ", voire l’iconisation, plus justement les signes iconiques, comme projet fondateur d’une sémiotique visuelle au détriment des composantes matérielles du niveau plastique de la communication visuelle.

Dès lors, dans le creuset de cette icono-sémiologie de l’image, on a réaffirmé souvent dans l’analyse visualiste la redondance, ainsi que la subordination effective du plastique par rapport à l’iconique; le signifiant plastique n’y étant reconnu au mieux qu’en tant que faire-valoir du signifié iconique. Ainsi l’icône, le signe iconique a-t-il eu statut de seul contenu visuel, la composante plastique de l’œuvre visuelle étant complètement occultée ou carrément subordonnée à cet iconisme surdéterminant, ce qui avait, par ailleurs, son parallèle en histoire de l’art contemporain avec les thèses iconographiques-iconologiques de Panofsky et de ses amis. S’est développée peu après dans ce contexte d’une épistémologie du mimétisme référentiel, avec Lindekens, Odin, les greimassiens Floch et Thürlemann, et le Groupe Mu, une nouvelle systématisation du champ du visible qui était basée sur une méthode structuraliste d’analyse et d’interprétation des œuvres, où a été définitivement reconnue cette distinction fondamentale en sémiotique visuelle entre un plan du contenu iconique et un plan de l’expression plastique.

Dans ses Essais de sémiotique visuelle publiés en 1976, Lindekens s’est arrêté, par exemple, à l’organisation hjelmslévienne des unités langagières visuelles en messages par assemblages et combinaisons proto-linguistiques. Odin a fixé, quant à lui, son analyse sur le problème des isotopies de l’image, s’arrêtant aux taches colorées comme isotopes. Pour leur part, dans le creuset d’un principe de narrativité généralisée que Greimas posait comme formant de base de tous les discours, le visuel y compris, Floch (Petites mythologies de l’œil et de l’esprit, 1985) et Thürlemann (Paul Klee. Analyse de trois peintures, 1982) se sont efforcés de démontrer, dans la perspective de mettre au point une méthode d’homologation d’oppositions, qu’une opposition du plan de l’expression ne pouvait être jugée pertinente que si elle pouvait être couplée à une opposition du plan du contenu.

À travers cette procédure d’homologation, tant Floch que Thürlemann ont ainsi voulu décrire le procès d’énonciation comme manipulateur de la compétence et de la performance du sujet récepteur, ce processus de manipulation constituant la forme du contenu de l’œuvre abordée, tandis que l’espace visuel même du tableau, sa caractéristique planaire, en constituait la forme de l’expression. Se rappeler, par exemple, pour Floch, la figure du cavalier chez Kandinsky dans ses Improvisations abstraites du début des années 1910. En a résulté au regard du carré sémiotique de Greimas et des grands universaux lévistraussiens (nature-culture, etc.), une sémiotique visuelle des formes de l’expression et du contenu, où la substance plastique (dans son acception hjelmslévienne) n’était pas encore prise en charge comme une catégorie ou comme une classe de signes visuels autonomes.

C’est à cet égard que s’est manifesté alors l’apport du Groupe Mu (Klinkenberg, Edeline, etc.). Dans les années 1970 et 1980, la recherche visuelle de ce Groupe s’est faite en liaison avec le développement d’une rhétorique générale qui voulait mettre en évidence l’existence de lois ou de règles de la signification et de la communication. Et c’est à partir de la reconnaissance de tels mécanismes généraux qui seraient à l’œuvre indépendamment des sémiotiques particulières où sont réalisés les énoncés linguistiques, que le Groupe Mu a contribué à fonder une nouvelle rhétorique de l’image tributaire d’une théorie préalable du signe visuel.

Par cette rhétorique visuelle du Groupe Mu, a été envisagée notamment l’organisation de deux systèmes significatifs complets concernant la possibilité opératoire de poser des affirmations visuelles. Le Groupe Mu a ainsi insisté sur la constitution de l’iconique et du plastique comme deux classes de signes visuels associant chacun un plan du contenu à un plan de l’expression. L’énoncé langagier visuel mis de l’avant par le Groupe Mu pointait, en se sens, d’un part, sur des schèmes iconiques de signification et, d’autre part, sur le matériau plastique proprement dit, ce dernier comportant notamment trois paramètres constitutifs clés: la forme, la couleur et la texture. Le rapport entre ces deux niveaux de signes dotés chacun d’un statut et d’une fonction sémiotiques, étant chaque fois original et créateur.

3.1.2 Deuxième temps fondateur et écoles actuelles

Dans un second temps fondateur, au cours de la seconde moitié des années 1980 d’abord, puis pendant les années 1990, marqués par les avancées continues, croisées et pluridisciplinaires des sciences humaines, des philosophies analytiques, de la phénoménologie perceptuelle, de la linguistique grammairienne, ainsi que par les travaux des sciences cognitives, les sémioticiens visuels se sont attardés principalement au décodage du langage visuel par rapport à ses éléments régulateurs du plan de l’expression plastique. Ont affleuré ainsi des questions interreliées de perception, d’affectivité, de mémoire, d’intelligence artificielle, de polysensiorialité, de sensori-motricité, etc.

C’est ainsi que, très récemment, les possibilités de développement de la sémiotique visuelle comme domaine spécifique de recherche ont passé par la reconnaissance d’un langage visuel qui, en deçà des effets de sens iconiques, est structuré, ainsi qu’engagé sur le plan même de la plastique, vers la mise en place, la mise en œuvre et l’opérationnalisation d’une théorie de la signification, donc d’une théorie du sens.

À ce propos, pour dire très vite ici, et parfois même un peu caricaturalement peut-être, on peut mentionner la présence actuellement de cinq grandes écoles ou orientations générales de recherche dans le champ constitué et nouvellement arrivé à maturité de la sémiotique visuelle :

    l’école rhétorique du Groupe Mu, où des ensembles de signes iconiques et plastiques constituent des énoncés homogènes articulant signifiants matérialisés et signifiés;

    l’école peircéenne jouant essentiellement des trichotomies coexistantes du signe pour définir et caractériser la signification visuelle en termes triadiques d’objet, de signes et d’interprétant, en particulier au regard de la seconde trichotomie: icône, indice, symbole, et de la subdivision supplémentaire de cette icône en image, diagramme et métaphore, sans oublier l’apport intangible de l’hypoicône; c’est le projet de Deledalle et de ses collègues peircéens de Perpignan;

    l’école post-greimassienne de Jacques Fontanille où, dans la poursuite d’une sémiotique des passions annoncée par Greimas et Fontanille en 1990, le visuel est interrogé à partir de sa détermination formelle par la substance plastique et ce, en termes de lumière et de polysensorialité notamment, c’est-à-dire en fonction d’une rhétorique du visible basée sur l’expertise du corps, des sentiments, des odeurs et des sens;

    l’école suédoise, dite écologique, rassemblée autour de Göran Sonesson qui s’inspire des travaux en sémiotique de la culture de l’École de Tartu-Moscou (Lotman et Uspenskij en particulier) et qui fait sa place aux métasystématisations critiques d’un Lifeworld husserlien;

    l’école topologique québécoise, générée par les recherches de Fernande Saint-Martin et Marie Carani, qui accorde son attention aux énergies propres de tensions, de médiations, de vectoralités et d’axialités de la matière travaillée par l’artiste en termes de formes, de couleurs, de textures, de perspectives, ainsi qu’à leur réception en tant qu’investissement affectif et symbolique par le spectateur.

3.2. Questionnements

Ces courants actuels, reposant d’entrée de jeu on le conçoit sur des principes, sur des valeurs et sur des opérateurs particuliers, ont, par contre, en commun, à l’exception peut-être sous certains aspects de l’école peircéenne, outre un besoin impérieux de s’arrêter d’abord au plastique et non à l’iconique, l’idée générale d’un faire-sens visuel qui serait ancré sémantiquement dans une catégorisation plastique d’ordre perceptivo-cognitif, c’est-à-dire dans ce qu’on pourrait appeler une nouvelle narrativité non linguistique, soit dans les positionnements et dans les ancrages matiéristes du matériau visuel de l’œuvre plastique.

La question qui semblerait alors surgir dans cette sémiotique visuelle pratiquée aujourd’hui dans le monde: peut-on se dispenser dès lors d’un plan du contenu pour privilégier seulement un plan de l’expression plastique qui pourrait alors faire-voir et faire-sens en même temps, ce qui serait tout à fait différent des procès d’énonciation et de signification du langage verbal? Dit autrement, peut-on concevoir d’un plan de l’expression visuelle qui intégrerait le plan du contenu, si on accepte le fait amplement démontré par de nombreux analystes ces 20 dernières années que l’iconicité comme modèle ne dit pas grand chose finalement de l’engendrement ou de l’émergence significative des énoncés visuels par rapport aux énoncés verbaux.

On en serait donc là comme horizon actuel de recherche pour la première décade du XXIe siècle. (janvier 1999)


4. Une publicité polémique : dossier de presse

Après ce dossier de cadrage théorique, nous proposons maintenant l'analyse d'une image publicitaire venant de faire scandale, puis nos positions sur la sémiotique visuelle, dont nous ne renions nullement l'héritage barthésien (Th. Mézaille).

Pub polémique…

L'Express du 07/03/2005 : Église : Pas de Cène pour la pub, par Claire Chartier, Julien Félix

Léonard de Vinci n'y aurait peut-être rien trouvé à redire. Mais pas les évêques français, qui viennent d'attaquer en justice les stylistes Marithé et François Girbaud, après avoir découvert leur nouvelle campagne publicitaire sur les murs de Paris: une affiche de La Cène, chef-d'œuvre de l'artiste toscan, détourné dans un style érotico-branché. Sur l'image, ce ne sont plus les apôtres qui tiennent banquet lors du dernier repas du Christ, mais une brochette de jolies filles à la dégaine hippie-chic. A sa droite, un homme, le visage enfoui dans le cou d'un mannequin, montre son dos nu et bronzé à l'objectif. Son jean taille basse laisse entrevoir la naissance des fesses. Shocking! "Deux choses ont heurté l'Eglise, explique Marie-Caroline de Marliave, directrice de la communication de la Conférence des évêques: l'utilisation de la Cène à des fins mercantiles et la pose lascive de l'homme." Lassé de voir la foi catholique caricaturée à peu de frais - contrairement aux autres monothéismes - l'épiscopat a assigné les créateurs pour "injure" envers une "religion déterminée". Chez les Girbaud, on se défend d'avoir voulu susciter le scandale et l'on dénonce une campagne de censure "à la Savonarole", allusion au fameux mystique italien de la Renaissance. La chute de reins polissonne du beau mâle sur la photo? "Pourquoi ne pourrait-on pas placer un homme à moitié nu au milieu de femmes habillées et concupiscentes?" lance François Girbaud. En 1998, un constructeur automobile avait déjà utilisé la Cène à des fins publicitaires. Avant de la retirer sous la pression des catholiques.

La Libre Belgique du 18/03 : Cène de ménage

L'affaire a fait grand bruit en France la semaine passée. Suite à une plainte de l'association “Croyance et libertés”, émanation de la Conférence des évêques de France, le tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'interdiction de l'affiche des créateurs de mode Marithé et François Girbaud. Une condamnation assortie d'un jugement sévère, le juge décelant dans cette annonce “un acte d'intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes”. Une décision qui a déjoué tous les pronostics. Le visuel ne semblait en effet pas, à première vue, promis au purgatoire. Parodiant la fameuse Cène de Léonard de Vinci, qui représente le dernier repas du Christ entouré de ses apôtres, l'annonce montre onze femmes et un homme, torse nu et de dos, encadrant une jeune fille au visage d'ange. Le décor est sobre, voire minimaliste, et ne comporte aucun texte. Difficile donc de prime abord de repérer une parcelle d'indécence dans cette scène en forme de clin d'œil inversé à la thèse du best-seller Da Vinci Code. Une thèse qui soutient que l'apôtre assis à la droite du Christ n'est pas Jean mais Marie-Madeleine, avec laquelle Jésus aurait eu des enfants. "Jamais il n'a été dans l'intention de la maison d'offenser qui que ce soit. Cette campagne a été pensée dans une logique de décodage des tendances du moment", a affirmé un porte-parole de Marithé et François Girbaud.
Ce n'est évidemment pas la première fois que la pub puise dans le répertoire religieux, souvent d'ailleurs avec une audace nettement plus prononcée qu'ici. Songeons seulement au baiser fougueux entre un curé et une nonne mis en scène par le duo Benetton-Toscani ou, plus récemment, à cette représentation crucifiée de Lara Croft dans une publicité pour PlayStation. Ce “pillage” répond à des impératifs très terre à terre. La religion catholique imprégnant les consciences, les marques se réapproprient les figures les plus emblématiques du catholicisme (le Christ, les nonnes, etc.) pour frapper les esprits. Jérôme Cottin, théologien protestant et auteur de Dieu et la pub! (Presses bibliques universitaires-Cerf, Paris, 1997), estime en outre que la publicité, s'inspirant des arts visuels, eux-mêmes fortement inspirés de l'art chrétien, ne pouvait qu'en reproduire les principaux stéréotypes. Et de citer l'exemple de la pomme de la tentation (logo de la marque Apple notamment) qui découle d'une tradition d'interprétation, le récit biblique n'en faisant nulle part mention. Il parle bien du fruit défendu, mais pas spécifiquement d'une pomme. Dans le même esprit, il s'étonne aujourd'hui que l'association “Croyance et liberté” se soit émue de ce pastiche publicitaire, arguant notamment “qu'on aurait tort de faire aujourd'hui de la Cène de Leonard de Vinci une œuvre pieuse: elle le fut à l'origine; elle ne l'est plus, ou plus majoritairement. […] C'est donc commettre un contresens esthétique que d'en faire une œuvre pieuse. Elle est d'abord une œuvre d'art.” Et de conclure qu'il faudrait donc se réjouir de ce que ce motif, d'abord artistique et secondairement religieux, continue d'inspirer la création contemporaine, “fut-elle publicitaire”.
Mais l'Eglise, qui estime devoir protéger l'ensemble des symboles liés au catholicisme, et combattre leur utilisation mercantile, ne l'entend pas de cette oreille. Elle a pris l'habitude de s'en remettre à la justice des hommes lorsqu'on s'attaque à ses piliers. Avec des succès divers. Si VW a dû verser 15000 € suite à une assignation pour un pastiche de la Cène - nettement plus trash -, Kookaï, qui avait représenté une “Kookaïette” sous les traits d'une sainte portant secours à un Christ livreur de pizza à l'agonie, n'a pas été inquiété. Quant aux affiches des films “Larry Flint” et “Amen” (l'acteur Woody Harrelson, crucifié sur un corps de femme dans le plus simple appareil pour le premier, un mélange entre la croix chrétienne et la croix nazie - imaginé par Toscani - pour le second), ils n'ont pas été jugés préjudiciables par les tribunaux.
Précisons encore que la campagne Girbaud se décline aussi en Belgique, mais en presse uniquement. Elle n'a fait l'objet à ce jour d'aucune plainte auprès du Jury d'éthique publicitaire. Si les textes (décret audiovisuel ou code de déontologie) protègent les convictions religieuses, ils laissent une large place à la subjectivité. Et donc à la grandeur d'âme…

Cachez moi cette Cène que je ne saurais voir du 14/03 - Commentaire judiciaire :

De fait, seule la position des personnes et leur gestuelle est respectée : le sexe des intervenants est inversé (il y a treize femmes et un homme), celles-ci sont, on le devine, vêtues des créations Girbaud. L'association "Croyances et Libertés", qui est qualifiée d'oxymoron par Libération, (ce qui est une sottise : on dit oxymore en Français), émanation de la Conférence des Évêques de France a demandé la mise à l'index de cette image piteuse et peu pieuse, ce que la trinité du tribunal (le Président, le procureur et le greffier) a accordé, non sans un schisme du parquet qui avait requis le débouté. Procéduralement tout d'abord : il s'agissait d'une procédure de référé d'heure à heure, c'est à dire une mesure urgente et provisoire sollicitée du juge dans un très bref délai pour mettre fin à un trouble manifestement illicite (article 809 alinéa 1 du nouveau Code Procédure civile, l'un des Évangiles des avocats). Le Monde commet une erreur en disant que le parquet a requis la relaxe : on n'était pas en matière pénale. Mais cette erreur ne lui est pas imputable en totalité : il semble, si j'en crois Libération, que le péché originel relève de l'association demanderesse qui avait utilisé la procédure du référé sur un fondement pénal, à savoir "l'injure visant un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l'occurrence le catholicisme". "Croyances et Liberté" soulevait que "la publicité met en scène des femmes dans des poses lascives et des plus suggestives [...], des comportements érotiques et blasphématoires à l'égard de ce qui constitue l'essentiel pour des chrétiens, alors qu'on est en plein carême". C'était mélanger deux procédures inconciliables, le référé et la citation directe, surtout en matière de presse. La première audience, prévue le 25 février, s'est donc soldée soit par une irrecevabilité de la demande, ou une nullité de la citation, en raison de cette hérésie procédurale, soit par une décision constatant l'incompétence du juge des référés, une qualification pénale étant en jeu, la transsubstantiation civil-pénal n'étant pas encore admise en procédure française. Je suis obligé de deviner, difficile d'en savoir plus avec cet article, satanée formule "une erreur de procédure a contraint à repousser l'audience au 10 mars". Laquelle ? Aucune importance, c'est du droit. La Passion de Marithé et François Girbaud ne s'arrête pas là. Multipliant les citations comme qui les petits pains, l'association "Croyances et Liberté" remet le couvert contre cette Cène et convoque un nouveau concile dans le bureau du Président, ayant abjuré la voie pénale pour la voie civile. Cette fois, la demande d'autodafé ne porte plus que sur l'affichage géant situé à Neuilly Sur Seine, indique Libération. Pourtant, l'interdiction portera sur l'affichage en tout lieu public et sur tout support. L'association parle de blasphème, consistant dans la démarche mercantile reprenant une scène fondatrice de la religion catholique pour vendre de prêt à porter, ce qui est en contradiction avec la jurisprudence Jésus et autres contre Marchands du Temple. Et surtout, il y aurait cet homme nu dans une pose lascive à la droite du personnage central. La défense (soit l'agence de communication Air Paris et la société Girbaud) réplique que de nombreuses œuvres d'art religieux montrent le Christ et les saints nus (on voit même les auréoles des saints), qu'Andy Warhol s'est déjà attaqué à la Cène en remplaçant les participants par des motos (suggérant sans doute que les invités au repas du Seigneur sont des pistonnés ?), et qu'à travers cette photo, c'est le livre Da Vinci Code, auquel l'agence a sans doute voulu faire allusion, car la peinture de Vinci y fait figurer Marie Madeleine à la droite du Christ, ce qui n'est pas attesté dans les Évangiles, c'est ce livre donc qui est attaqué, mais cet ouvrage, qui pourtant attaque beaucoup plus durement le dogme catholique, n'a pas été interdit. Le parquet, qui était présent à l'audience comme partie jointe, comme la loi lui en donne faculté pour toute affaire même entre parties privées, a pris la parole en dernier et a requis le débouté de l'association "Croyances et Liberté", car il s'agirait là d'"une interprétation d'une œuvre historique". "La scène n'est ni pornographique ni grotesque, a estimé Madame Caby. La présence d'un homme nu vu de dos ne me semble pas obscène en 2005. L'interdiction serait une censure de principe." Le tribunal a pourtant jeté l'Interdit sur cette image en en interdisant l'affichage en tout lieu public et sur tout support (les pages intérieures d'un magazine semblent épargnées par cette décision), car "Le choix d'installer dans un lieu de passage obligé du public cette affiche aux dimensions imposantes constitue un acte d'intrusion agressive et gratuite dans les tréfonds des croyances intimes ", estiment les magistrats. Ils ajoutent : "La légèreté de la scène fait par ailleurs disparaître tout le caractère tragique pourtant inhérent à l'événement inaugural de la Passion". "L'injure ainsi faite aux catholiques apparaît disproportionnée au but mercantile recherché". Cette décision est exécutoire même en cas d'appel, comme tout référé, et doit être exécutée sous trois jours sous peine d'une astreinte de 100.000 € par jour de retard, outre 10.000 € au titre de l'article 700, c'est à dire des frais d'avocat. ces montants sont considérables : le président a sorti l'artillerie lourde. Bref : c'est du droit canon. Les défendeurs ayant perdu face à Hérode ont décidé d'aller voir Pilate, et ont fait appel. Que penser de cette décision ? Sur le principe qu'une interdiction puisse être prononcée sur le fondement d'une atteinte aux convictions religieuses d'autrui, je n'ai rien à redire. La laïcité républicaine, à laquelle je suis très attaché, même si on la dévoie beaucoup, implique le respect de TOUTES les religions. Même la majoritaire. Qu'un artiste, au sens large, ce qui me permet d'inclure les images publicitaires, détourne des symboles religieux de manière à choquer volontairement les croyants d'une religion, afin de s'attirer la sympathie d'un public confondant provocation et créativité, ne doit pas être accepté au nom d'une liberté d'expression absolue et dictatoriale. Car cela revient à insulter une minorité pour flatter la majorité. Inutile donc de crier au retour à l'ordre moral. On en est loin, Dieu merci.
Maintenant, à ce cas d'espèce, cette image a-t-elle de quoi choquer les catholiques ? J'enfile mon aube par dessus ma robe et vais parler en ma qualité de catholique sur ce coup là. Je trouve que cette photo n'a rien de choquant. D'abord, il n'y a point d'homme nu, il porte un Jean's (allusion à l'Evangile selon Saint Jean's ?) : on voit un bout de la raie des fesses, mais c'est sans doute parce que Girbaud fait des ceintures et rappelle ainsi l'utilité de l'accessoire (ou alors c'est pour satisfaire la clientèle homosexuelle de Girbaud, je ne sais pas, c'est Versac le spécialiste de la pub, après tout). Plus sérieusement, la première fois que je l'aie vue dans un magazine, j'ai immédiatement reconnu la Cène et y ai vu un hommage. La démarche est mercantile, certes, et alors ? Quand on voit le prix unitaire auquel l'Église vend des cierges, on réalise qu'elle sait ce qu'est une démarche mercantile ! De plus, aucun symbole religieux ne figure sur la photo (on n'y voit point de croix), et les auteurs de la photo ont eu la délicatesse de ne pas faire figurer en gros la marque concernée, il ne figure sur la table aucun bien de consommation, et les visages, quoi que peu expressifs par rapport à la toile de Vinci, montrent bien que c'est un moment de grande émotion qui se joue. Je ne me suis en rien senti insulté par cette image. Au contraire, je me sens plus insulté par la démarche de l'association "Croyances et Liberté" qui, quelque part, agit en mon nom pour demander une interdiction d'une œuvre, acte grave s'il en est, auquel je refuse en l'espèce d'être associé. Ma foi, j'espère que la cour d'appel de Paris reviendra à plus de raison. En plus, je trouve que les débats sont passés à côté de l'essentiel. En effet, quand j'ai vu cette photo pour la première fois, avant même que cette affaire n'ait commencé, je me suis posé deux questions : Comment cette table tient-elle en l'air, elle n'a pas de pied ? A qui appartient la main qu'on voit sous la table à droite ? Regardez bien : personne n'est assez penché pour que son bras atteigne si bas. Voilà des questions intéressantes, j'espère que la Cour d'appel les évoquera. Je veux y croire.

On lit (avril 2005) en outre sur un site religieux :

Léonard de Vinci dans sa représentation de la Cène (1494-1497), a donné au disciple bien aimé une allure un peu féminine. Cela a conduit à des spéculations sur le mariage de Jésus avec Marie Madeleine. C'est cette fresque de Léonard de Vinci qui est au centre du roman de Dan Brown Da Vinci code (tiré à 17 millions d'exemplaires) et bientôt du film The Da Vinci code qui va être réalisé par Ron Howard et Tom Hanks. C'est un roman de fiction appuyé sur des faits historiques qui prétend que Léonard de Vinci a voulu représenter Marie Madeleine à la dernière Cène. En fait, la figure à la droite du Christ est Jean, le disciple bien aimé. Il est souvent représenté comme un beau jeune homme aux cheveux longs. Il est invraisemblable de croire que les Dominicains, pour qui le tableau fut réalisé, aient accepté qu'il s'agisse d'une femme et que l'apôtre Jean soit absent.Si bien que l'intertexte pertinent est moins la parole évangélique au moment où Jésus va annoncer à ses disciples : "En vérité, je vous le dis, l'un de vous va me livrer" (Matth. 26 : 21), que le best-seller américain.

***

La pub pour la parure est d'autant plus profanatoire qu'elle parodie un genre noble, le sujet religieux. A bien observer le tableau, nous optons pour l’idée que c’est Jean, très jeune et féminisé (dans la tradition chrétienne il est souvent décrit comme "efféminé") qui se place à la droite du Christ, conformément à l'étude iconographique convaincante de Thierry Frey, dont voici un extrait : "Comment enfin est représenté Jean dit le bien aimé qui, selon les écritures "était si proche de Jésus qu'il était couché sur son sein" ? Il est représenté tendu à l'opposé de Jésus. En regardant plus en détails il semble que ce soit une femme si l'on en juge par la finesse du visage et des mains, par les cheveux, le collier en or et même les formes de la poitrine. Cette femme car c'en est une à n'en point douter porte des vêtements qui accentuent sa nature particulière ; ils font pendant à ceux de Jésus l'un porte un manteau rouge et une robe bleue, l'autre un manteau bleu et une robe rouge de même facture. Aucun des autres convives n'a des vêtements qui reflètent ceux du Christ, voilà assurément un personnage qui nous est présenté comme très proche, voir complémentaire de Jésus. On remarque également que l'ensemble formé par Jésus et cette femme dessine un grand M, un peu comme si les deux personnages avaient été unis à hauteur de la taille."
Le fait d'abonder dans le sens de cette interprétation, et de reconnaître ici une Marie-Madeleine, amoureuse du Christ, venant se réfugier dans les bras de son voisin, sous le choc de la venue du drame, ne nous engage en rien à accréditer les thèses du Da Vinci Code - notamment la descendance de cette union, constitutive du Graal dans ce roman ésotérique. Cela relève de l'évidence visuelle, comme l'atteste un sondage effectué auprès d'une classe de collégiens, volontairement laissée dans l'ignorance de la Cène apostolique masculine : en effet, une écrasante majorité d'entre eux voit ici, naïvement, une figure féminine.
Mais cela nourrit aussi de vives réactions critiques, nombreuses sur la Toile depuis la parution du roman, qui invoquent la crédibilité des "historiens de l'art" pour conclure que la substitution de Marie-Madeleine à Saint Jean, à droite de Jésus, "manifeste une ignorance de toute la tradition picturale et l'interprétation ne repose sur rien de sérieux." Ou encore : "Il est invraisemblable de croire que les Dominicains, pour qui le tableau fut réalisé, aient accepté qu'il s'agisse d'une femme et que l'apôtre Jean soit absent." Disciple bien aimé par ailleurs "souvent représenté comme un beau jeune homme aux cheveux longs."

F. Rastier commente ainsi (comm. personn.) : " L'intrusion de la sexualité (dans la pub) renvoie à deux hypothèses qui s'appuient également sur le caractère ambigu du disciple préféré dans la Cène de Vinci :
- L'hypothèse homosexuelle qu'indique le dos dénudé de l'homme à la place du disciple préféré, et l'allusion même à Vinci (cf. les diverses descriptions de la Joconde comme travesti).
- L'hypothèse hétérosexuelle, celle du Da Vinci Code, qui substitue une figure féminine, Marie-Madeleine, à cet apôtre. Le scandale est double (sans parler du blasphème), mais surtout, par une sorte de pathétique interprétatif, on ne peut écarter à une hypothèse qu'en revenant à l'autre, également insoutenable. Ce qui redouble l'ambiguïté sexuelle par l'ambiguïté interprétative... "

Tourné vers un confident, le disciple préféré, féminisé à des degrés variables selon les interprétations, semble toutefois céder moins à l'attirance qu’à la nécessité de la discrétion du fait de la présence proche de Judas. Or cette isotopie /dissimulation/ profite de l’inversion thématique pour faire place à /ostentation/ du dénudement et de la parure dans l’affiche.

Voici donc les résultats synthétisés d'une analyse de sémiotique visuelle, en classe de 3°. Les élèves ont été amenés à produire les antithèses suivantes (dans un processus de différenciation allant au-delà des analogies – posture, nombre, flash central). C'est la métaphore constituée par l'affiche qui lui transfère, au niveau évaluatif, le caractère exceptionnel de la scène figurée dans le tableau :

T1 : tableau de la Cène :

T2 : affiche "obs-cène" :

peinture, ancien, sacralité photo, moderne, profanation
cénacle biblique : événement
à message interne : qui est le traître de l'assemblée ?
actualité, quotidienneté
à message social potentiel : et les femmes dans la religion ? *
pudeur spirituelle (habillement)impudeur érotique (dénudement - dénué de vulgarité)
norme religieuse (dominantes masculine et rubescente : couleurs chaudes)subversion (par inversion des rôles h/f, avec dominantes féminine et chair : couleurs froides **)
amitié (localement homosexuelle, par efféminement ?), convivialité, dissimulationsexualisation : hétérosexualité, ostentation, par la pub pour le chic vestimentaire et par allusion fashion au Da Vinci Code
effet de profondeur, rectiligne (des cadres et lignes de perspective)perspective minimale, curviligne (des membres, du dos)
espace ouvert (liberté ?), vers le haut (sur la nappe ; envol vers le céleste)espace clos (fermeture ? d’un clan ?), vers le bas (sous la table ; limitation au terrestre),
dominante claire (contraste par lumière extérieure, naturelle et divine)dominante sombre (contraste par les objets, une lumière artificielle, à l'intérieur)
consommation alimentaire et surnaturelle (le dernier repas : l'essentiel)consommation charnelle et économique (parure et nudité : le superficiel) - mercantilisme des "Marchands du Temple"
plan éloigné (vers le spirituel : Mythe) avec ciblage sur la moitié supérieure du corpsplan rapproché (sur le matériel : Réalité) avec ciblage sur le corps entier
mimesis de réalisme transcendantmimesis de réalisme empirique

* Cela ressortit (comme d'ailleurs la présence de Marie-Madeleine auprès du Christ) à la thèse féministe du Da Vinci Code - nord-américaine, contre l'église catholique romaine - selon laquelle le principe féminin aurait été gommé de l'histoire des religions.

** Selon la dichotomie reprise par le Groupe Mu (TSV, 239) : concernant les chromèmes du signe plastique, " parmi ces oppositions synesthésiques, le clivage le plus attesté est incontestablement celui entre les couleurs froides (bleu, vert) et couleurs chaudes (rouge, orange) ".

Soit une énumération des catégories qui se laissent difficilement séparer en catégories du signifiant de l'image vs du signifié, pour reprendre les couplages "semi-symboliques" auxquels s'adonnait J.-M. Floch (par rapport au système symbolique défini par Hjelmslev, ils sont définis par une méthode d'homologation d'oppositions sur le plan de l'expression et sur le plan du contenu, fût-elle qualifiée de "problématique" ; cf. TSV, 49; cf. 432). Mais quelle est la réalité de ce double statut ? Nous tenterons d'y répondre par historique de la discipline.

Enfin, une dernière question ne manque pas d'interpeller les littéraires devant le sort réservé à la pub, à qui est dénié son statut de création : si le livre Da Vinci Code n'a pas été interdit (sauf au Liban, en fin 2004), malgré des thèses beaucoup plus dures que ce simple visuel, n'est-ce pas en raison de la réalité sémiotique de l'image photographique elle-même, dont l'impact mimétique, l'immédiateté, l'universalité la distinguent des mots et la rendent plus médiatiquement parlante ?

Rappelons que l'image a toujours été considérée comme suspecte, aux motifs de nous influencer, de nous manipuler, de détourner notre intérêt pour le monde vers des leurres, et de nous faire participer à l’aliénation collective. Parmi les accusations, celles d'idolâtrie - hérétique comme le détournement de la Cène - et de fétichisme ont marqué l’histoire (cf. la Querelle des images réglée par le Concile de Nicée, en 787).


5. Le silence parlant des images

(Ce titre oxymorique reprend celui d'un article de G. Sonesson - cf. références).

Tout n’a-t-il pas déjà été dit sur la sémiologie de l'image, rebaptisée sémiotique visuelle ? L’image publicitaire a été l’un des premiers objets d’observation de cette discipline à prétention scientifique, débutante dans les années 60, et qui en retour a apporté à la publicité des outils théoriques nouveaux. Ces messages visuels sont constitués de divers types de signes, notamment iconiques, plastiques (c'est-à-dire concrets mais non iconiques) et linguistiques. L’interprétation de ces divers signes joue sur le savoir socioculturel du spectateur, sollicitant chez ce dernier un travail d’associations mentales.

La première question qui se pose à qui infère de telles catégories sémantiques est de se demander si ce sont là des sèmes. Elle se pose, car si la sémiotique visuelle a toujours eu recours à ce concept (cf. Barthes, Groupe Mu, Baticle), il convient de rappeler que le sème est une unité du signifié du morphème, signe minimal de la linguistique. Comment concevoir alors un commentaire de l'image qui la "traduise" en mots pour ensuite aboutir à l'élaboration d'une analyse sémique structurée ? Tel est le problème qui préoccupe le pédagogue soucieux d'amener ses élèves à articuler les deux plans de l'expression et du contenu (pour reprendre la terminologie de J.-M. Floch, auteur qu'il est surprenant de voir éviter le concept de sème, alors que dans le sillage de Hjelmslev les greimassiens postulent "une relation d'isomorphie entre les deux plans du langage : aux traits distinctifs (ou phèmes) de la forme de l'expression, répondent d'autres traits de la forme du contenu, dits sèmes", Courtés, 1981: 178).

On conçoit l'équivalence figuratif ou iconique, mais non le niveau "figuratif iconique" dont parle Courtés (1981: 169), qui est pour nous un pléonasme, puisque ces deux termes, synonymes, ont pour antonyme la dimension "plastique" (Floch). Rappelons que pour Courtés (1981: 163, 165), "nous qualifions de figuratif tout signifié, tout contenu d'une langue naturelle, et, plus largement, de tout système de représentation (visuel par exemple), qui a un correspondant au plan du signifiant (ou de l'expression) du monde naturel, de la réalité perceptible. […] Par opposition, le thématique est à concevoir comme n'ayant aucune attache avec l'univers du monde naturel […] Si le figuratif se définit par la perception, le thématique, lui, se caractérise par son aspect proprement conceptuel. […] Un tableau peut, certes, exprimer des données thématiques, mais il le fait alors nécessairement par le biais du figuratif." Or cette perception du référent concret n'est pas sans poser problème quand au rôle qu'y tiennent les mots, un rôle contesté ou à tout le moins ambigu : Greimas & Courtés posaient en effet que "le monde naturel est un langage figuratif dont les figures – que nous retrouvons dans le plan du contenu des langues naturelles – sont faites des qualités sensibles du monde, et agissent directement – sans médiation linguistique – sur l'homme." (1979 : 234)

Risquons une objection en forme de truisme : comment analyser ce monde sans la médiation de la langue (hormis les arts, dits figuratifs, autres que le langage) ? Si l'on admet que ce qui est vu dans le monde naturel peut être immédiatement traduit en mots, ce même spectacle, photographié, ne requiert-il pas des traductions verbales supplémentaires, au-delà de l'analogie ?

Tel est le problème sémiotique central qu'ont tenté de résoudre de multiples analyses de l'image. Parmi elles, la pionnière, la plus illustre, celle de Barthes (1964). Détaillons-là, pour en rappeler la richesse.
Concernant le "message littéral" de l'image publicitaire, dont "les signifiés sont formés par les objets réels de la scène, les signifiants par ces mêmes objets photographiés", il disait avoir "affaire à ce paradoxe d'un message sans code", dans la mesure où "pour lire ce niveau de l'image, nous n'avons besoin d'autre savoir que celui qui est attaché à notre perception : il n'est pas nul, car il nous faut savoir ce qu'est une image et ce que sont une tomate, un filet, un paquet de pâtes". En constatant "que le rapport du signifié et du signifiant est quasi-tautologique", on retrouve ce degré zéro du sémiotique d'un monde naturel fidèlement reproduit dans la une "représentation analogique" (1964: 42; plus exactement, "la réalité de la photographie est celle de l'avoir-été-là" de la chose, le concept phénoménologique "d'être là naturel des objets" donnant l'impression "d'une pseudo-vérité", d'un réalisme" suffisant, 47). Il s'agit donc d'une sémiotique de dénotation (43), dont la naïveté feinte (45) aurait pour fonction rhétorique de "naturalise[r] le système du message connoté". La charge symbolico-idélogique, culturelle, elle, utilisant ce voile du naturel : "le monde discontinu des symboles plonge dans l'histoire de la scène dénotée comme dans un bain lustral d'innocence" (50); "plus la technique développe la diffusion des informations (et notamment des images), plus elle fournit les moyens de masquer le sens construit sous l'apparence du sens donné" (47).

D'ou le dualisme des signes barthésiens, la relation iconique, référentielle, apparemment asémantique des uns occultant la relation symbolisante (indexicale : ainsi parmi les "connotateurs", dont la rhétorique de l'image aurait à charge d'effectuer "le classement", "la tomate signifie l'italianité par métonymie", selon un parcours tropique indiciel (50); pour prendre un autre exemple, devant cette exposition de produits alimentaires, indirecte est la présence à l'image de la ménagère à qui ils sont destinés, de nouveau par métonymie) des autres, ainsi promus "signes forts" (51) :

dénoté : vacuité sémantique (réalisme)

sans code

littéral

perception

naturel, innocent

continuum

connoté : densité sémantique (sèmes)

codé

symbolique

culture

idéologique

discontinu

Corrélé à la paire condition de vérité vs intersubjectivité culturelle, ou encore à la paire relation de représentation du réel empirique vs relation de communication linguistique, ce dualisme se laisse naturellement à rapporter à la conception logico-pragmatique du signe (pour plus de détails, cf. Rastier, 1999).

Approfondissons les seconds, loin d'être secondaires, puisqu'ils constituent le message caché le plus important à délivrer au consommateur. En laissant de côté la problématique de la thèse selon laquelle "la photographie, en raison de sa nature absolument analogique, semble bien constituer un message sans code", et ce contrairement au dessin (46), cette sémiologie de l'image, dans le droit fil de Saussure ("la publicité ne pouvait laisser indifférente une science de la vie des signes au sein de la vie sociale", rappelle Floch, 1985 : 140), était convaincante – beaucoup plus opératoire en tout cas que la peircienne requise ensuite par Eco, énumérant les "codes visuels" (1970) – dans son repérage de signes faits à la fois de signifiants linguistiques, lesquels traduisent obligatoirement les éléments iconiques constitutifs de cette affiche Panzani, et de signifiés qui sont des "sèmes de connotation" (1964 : 49).

Citons les 4 composants de "l'image symbolique connotée" (43) et fortement codée que relève Barthes, le premier signifié étant indexé à l'aspect /résultatif/ :
  • "L'image pure livre aussitôt une série de signes discontinus. Voici d'abord l'idée qu'il s'agit, dans la scène représentée, d'un retour du marché; ce signifié implique lui-même deux valeurs euphoriques: celle de la fraîcheur des produits et celle de la préparation purement ménagère à laquelle ils sont destinés; son signifiant est le filet entrouvert qui laisse s'épandre les provisions sur la table, comme au déballé" (41) ; la liste des connotations est considérée comme non-exhaustive : "il y en a probablement d'autres : le filet peut par exemple signifier la pêche miraculeuse, l'abondance, etc." (48).

  • "Un second signe est à peu près aussi évident ; son signifiant est la réunion de la tomate, du poivron, de la teinte tricolore de l'affiche; son signifié est l'italianité, dans un rapport de redondance avec le signe connoté du message linguistique ; le savoir mobilisé par ce signe est proprement français, [...] fondé sur une certaine connaissance de stéréotypes touristiques.

  • Continuant d'explorer l'image (ce qui ne veut pas dire qu'elle ne soit entièrement claire du premier coup), on y découvre sans peine au moins deux autres signes : dans l'un, le rassemblement serré d'objets différents transmet l'idée d'un service culinaire total, [...] comme si le concentré de la boite égalait les produits naturels qui l'entourent [soit /artificiel/+/résultatif/ > /naturel/+/causatif/ - T.M.] […]

  • dans l'autre signe, la composition, évoquant le souvenir de tant de peintures alimentaires renvoie à un signifié esthétique : c'est la nature morte, ou comme il est mieux dit dans d'autres langues, le still living; le savoir nécessaire est ici fortement culturel." (41)

N.B.: On ne reviendra pas sur les raisons, expliquées par Rastier, de l'abandon de la dualité dénotation vs connotation en linguistique (de l'énoncé, du texte), et par conséquent plus largement dans les autres sémiotiques (y compris la créativité publicitaire, obéissant à ces "deux régimes" du signe respectivement couplés aux "visée informative vs visée psychologique", selon la thèse de Péninou, cité par Floch, 1990 : 224). Retenons simplement sa conclusion : outre l'aporie théorique que pose cette dichotomie, "si l'on en vient à la pratique descriptive proprement dite, il apparaît que personne n'a jamais proposé de critère, encore moins de test, pour distinguer un contenu dénoté d'un contenu connoté, ni généralement, ni dans un texte déterminé" (1996 ² : 125). Les quatre connotations relevées équivalent ainsi à des sèmes afférents relevant de domaines différents, qui se laissent regrouper en deux paires : /alimentation/ + /ménage/ (niveau pratique) vs /tourisme/ + /art/ (niveau mythique). Or en sémantique interprétative, les isotopies qu'ils induisent, dites mésogénériques, sont celles qui sont responsables de l'impression référentielle, que la sémiologie de l'image identifie à la dénotation. On mesure là l'aporie : le connoté aurait une portée dénotative. Or il n'est que de citer Marin pour mesurer combien le plan de dénotation, premier, devrait être le seul signifiant porteur de la référence, selon un positivisme popularisé en linguistique par la fonction référentielle de Jakobson : "loin que la désignation soit le terme et la fin du signe pictural, auquel cas nous aurions raison de dire avec Pascal quelle vanité que la peinture qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire point les originaux, […] la relation de désignation ou référentielle […] doit s'intégrer pour devenir signe figuratif et figure à une relation plus profonde dont elle ne constituera que le plan d'expression – le signifiant. Et c'est là très précisément la définition que donnent Hjelmslev et Barthes, de la connotation" (1969 : 30-1).
Pour obtenir la thématique quadripartite, en double paire, encore faut-il que les interprétants visuels sont verbalisés, en commençant par les plus iconiques ("une tomate, un filet, un paquet de pâtes"), jusqu'à constituer un texte descriptif qui intègre le niveau plastique (formes, couleurs, textures, technique photo, etc.). Le problème est évidemment qu'il peut y avoir plusieurs traductions textuelles de l'affiche, ce qui rend chacune des versions potentielles sémantiquement distinctes l'une de l'autre. Avec ceci de rassurant que "la variabilité des lectures ne peut donc menacer la langue de l'image. […] la langue doit inclure les surprises du sens" (1964: 48).

Mais une objection de principe doit être formulée : pourquoi vouloir les essentialiser en les coupant de leur contexte, par opposition avec "le dénoté [qui], lui, ne renvoie jamais à une essence, car il est toujours pris dans une parole contingente […], orienté vers une certaine transitivité pratique du langage" ? pourquoi vouloir les sur-valoriser de façon en quelque sorte intransitive, par "un substantif abstrait : l'italianité, ce n'est pas l'Italie, c'est l'essence condensée de tout ce qui peut être italien, des spaghetti à la peinture" (49) ? On croirait à une résonance du Nom proustien, dans un idéalisme qui relève de la quête ontologique. Bien au contraire, la théorie des sèmes afférents montre qu'ils n'ont pas une différence de nature (contingente vs essentielle), mais de statut par rapport aux sèmes inhérents, lesquels ne sont pas plus transitifs, littéraux, référentiels que les autres (cf. Rastier, 1999).

A l'autre pôle, "l'image littérale", sans autre "code iconique" (cf. Eco, 1970) que celui d'une copie fidèle des référents, requiert des signifiants qui traduisent le représenté : filet ouvert laissant s'écouler vers la droite à la fois des produits artificiels (pâtes, sauce, parmesan, filet, sachets, boite) et naturels (poivrons, oignons, tomates, champignons) dans un quatuor de couleurs chaudes les unissant (blanc, jaune, vert, rouge), et un savant mélange de formes arrondie et rectiligne. Produits d'autant mieux mis en évidence (a) qu'ils sont cadrés en premier plan, (b) sur un fond à la fois vide et harmonisé en rouge, (c) avec une résolution photographique de netteté. Bref, cette organisation d'ensemble atteste que la présence de ces signes iconiques auquel la réclame est consacrée n'occulte pas celle de ces signes dits plastiques que Floch, précisément, demande de ne pas passer sous silence; de là le reproche central qu'il adressait aux analyses de type barthésien :

"en ne considérant que les seuls signes nommables, par un recours direct et immédiat à la langue naturelle, la sémiologie ne pouvait aucunement rendre compte de toute une partie de la production du sens – considérable dans la pratique signifiante publicitaire – qui relève précisément, de l'exploitation des unités non pas figuratives de l'image, mais proprement visuelles, plastiques." (1985 : 143)

Reproche aussitôt relayé par le Groupe Mu :

"On voit d'où vient la confusion : de la possibilité qu'il y a de toujours nommer une chose; et du parti pris – que formulait Barthes autrefois – selon lequel il n'y a du sens que nommé. Si l'on devait suivre cette voie, il n'y aurait jamais que de l'iconisme dans le visuel, et les tentatives pour rendre son autonomie au plastique seraient vouées à l'échec." (TSV, 120)

C'est là oublier un peu vite que la nomination des entités référentielles (la tomate) s'opère en fonction de traits sémantiques non iconiques, enregistrés par la doxa, et qui permettent la reconnaissance de la chose (/rondeur/, /rougeur/), qui plus est en se contextualisant dans toute l'affiche, au point que celle-ci forme une unité. A tel point que l'épreuve de commutation – selon laquelle "à tout changement d'expression doit correspondre un changement de contenu" (Floch, 1990 : 12-13) – y est décisive.

Par exemple, la perte de spiritualité céleste dans l'affiche imitatrice de Vinci est due à la disparition des lignes de perspective, lignes de fuite à partir de la tête centrale du Christ, de l'effet de profondeur incitant à sortir par l'ouverture, pour établir une corrélation entre un sémantisme et une technique de cadrage.

Cela, à la différence du dessin. En effet Tardy, qui n'hésite pas à parler au sujet de ces coups de crayons schématiques, de sa "textualité problématique" et lui applique sans vergogne le concept d'isotopie pour manifester la construction progressive de son sens, remarque que la suppression de certains détails, "de l'ordre du pittoresque", les rend "non significatifs" car elle ne change rien aux grandes "configurations symboliques qui ordonnent le matériel sémantique" (1985 : 78-79).

V. Morin rappelle en outre que contrairement à la photographie, "dans le dessin, le premier message, dit littéral, n'existe constitutivement pas. Un dessin est toujours le dessin de quelque chose, mais d'une chose qui entretient avec son image des rapports de ressemblances intégralement codés par le dessinateur. […] C'est pourquoi, considérant le deuxième message dit symbolique, il n'y aurait aucune pertinence à distinguer, dans le dessin, le dénoté du connoté" (1970 : 111). Dès lors, à l'instar de celui-ci, pourquoi ne pas aborder le contenu de la photographie en "nommant" ces traits dominants, à la fois plastiques et symboliques (effets de "l'agencement et du montage spatial" de la chose représentée) ?

Concernant ces dernier, le fait que Barthes déclare que "les interventions de l'homme sur la photographie (cadrage, distance, lumière, flou, filé, etc.) appartiennent toutes en effet au plan de la connotation" (1964 : 46) ne constitue aucunement un déni d'importance. Au contraire, il suggérait par là que de telles modifications techniques faisaient participer les signes plastiques au codage culturel (symbolico-idéologique).

Bref, au vu de cette prise en compte de la totalité des éléments signifiants de l'affiche, on voit ce qu'a d'exagéré la critique réductrice émanant de l'école greimassienne à l'endroit de l'analyse sémiologique barthésienne, qualifiée de "substantialiste et psychologisante" par Floch. Le reproche devrait plutôt s'adresser au discours des publicistes, tel Péninou qui parle de "l'intentionnalité de l'image […]; emphatique pour être empathique : en publicité, le psychologique est toujours au départ du parcours rhétorique" (1970 : 108-9). Il stigmatise en outre l'usage de concepts descriptifs "peu opératoires", voire "trop littéraires", tels "le signe, la communication et la connotation" (1985 : 141-4), au triple prétexte
- que le premier entraînerait la négligence des plastiques (cf. citation ci-dessus),
- que le second, par l'intention de signifier concernant un référent annulerait l'autonomie saussurienne de la sémiologie au profit de la psycho-sociologie (alors que le niveau symbolique implique comme on l'a vu des composants socio-culturellement normés dans l'image même) ;
- et que le troisième inverserait l'ordre de priorité par rapport à une thématique. Citons pour plus de clarté le grief : "la reconnaissance des connotateurs disséminés dans le discours n'est rendue possible qu'une fois postulé l'existence d'un signifié connoté"; or précisément, n'est-il pas plus pédagogique d'établir des convergences tâtonnantes de connotateurs vers un même signifié idéologique (cf. /sacralité/ vs /profanation/ pour l'obs-Cène, nom synthétique des deux images unies par leur relation métaphorique), en se plaçant dans une logique de réception, plutôt que de le livrer au préalable, et vérifier ensuite son inscription icono-textuelle, selon une optique de stratège publicitaire, amené à "prévoir", écrit Floch, la réaction du public cible ?

Et A. Hénault d'enfoncer le clou, avec "l'impasse de la sémiologie de Barthes qui, négligeant la qualité visuelle de telle ou telle image, ne traitait pas le plan de l'expression, et se contentait de nommer terme à terme les figures du contenu ; une telle lexicalisation transformait le texte visuel en texte linguistique et la sémiologie de l'image n'était qu'une variante de la sémiologie linguistique"; or un tel blocage sur l'iconique – qui l'entraîne jusqu'à dénier exagérément à tout signe le statut d'analogique, en affirmant que "l'arbitraire de la sémiosis est le même pour les langages visuels et les langages verbaux" (les arguments de cette thèse sont résumés par Groupe Mu, TSV, 433, note 15), sans doute sous l'influence des travaux sémiotiques du moment prenant pour objet la peinture non figurative. Celle-ci, notamment chez Floch (1981, Communications, 34 : Kandinsky, Composition IV) se prête en effet à "l'élaboration d'un métalangage ad hoc" , dont les termes "ne peuvent être confondus avec les lexèmes d'une langue naturelle". De là la critique du Groupe Mu : "nous n'accordons aucun crédit à la démarche inductive qui a trop souvent été celle de sémioticiens du fait visuel : cette démarche condamne à n'élaborer que des modèles théoriques ad hoc" (TSV, 440), dont est dénoncé le caractère non scientifique : "Chaque fois nouveaux, ces concepts non transférables ne peuvent avoir la généralité de ceux qui constituent un savoir" (TSV, 10). Or ce ne sont pas les modèles qui sont ad hoc, mais les catégories descriptives, dans le cadre pour nous immuable de la sémantique interprétative, laquelle (a) fournit, comme dit Metz (1970 : 9) des notions linguistiques "à l'exportation" dans les analyses iconiques, sans "intrusion" aucune, (b) et repose sur une approche empirique et globale que critique le Groupe Mu : "L'approche macrosémiotique étudie l'image comme un énoncé particulier en travaillant donc par grande zones (d'où son nom). Pour rendre compte de l'énoncé, on élabore des concepts ad hoc" – par opposition avec la microsémiotique, dont les unités non plus ad hoc mais a priori se heurtent à l'aporie structuraliste de l'atomisme combinatoire (TSV, 47-8). Notre désaccord avec ce scepticisme du Groupe Mu est aussi d'ordre pédagogique, puisque "l'apprentissage" du signe visuel par les élèves ne saurait faire fi de la démarche inductive.

Plus globalement, quand Hénault conclut que le système semi-symbolique de Floch "permettrait d'éviter définitivement le détour par la représentation langagière" (1983 : 182-4), on voit ce qu'ont d'excessif de telles objurgations. En effet, si l'on prend le système semi-symbolique de l'affiche vantant les mérites d'une marque de cigarettes – rien que le nom de ce contenu montre le poids du produit iconique – on constate que le couplage des oppositions des catégories des deux plans "parallélisme d'horizontales, polychromatisme, discontinuité (expression), identité (contenu) vs intrication de lignes, monochromatisme continuité (expression), altérité (contenu)" (Floch, 1985 : 158) n'est autre que le lien entre traits morphologiques et idéologiques, qui sont bel et bien lexicalisés, dans une langue naturelle incontournable. Seule concession à l'anti-représentationalisme, la plupart des traits dépourvus d'images mentales, ne dégagent pas une impression référentielle, raison pour laquelle ils constituent des "signifiants non figuratifs".

Barthes déjà dans les trois messages étudiés de l'image publicitaire faisait du linguistique le premier d'entre eux, avec ce nom de la marque (Panzani), quatre fois décliné de gauche à droite, au-dessus des produits, en harmonie notamment avec le code chromatique (sa symbolique nationale) et le code morphologique où "les lignes de force convergentes conduisent nécessairement à un foyer commun qui est le lieu même de l'objet de promotion" (Péninou, 1970 : 99-100). Floch de son côté opère une convergence de bon sens entre les formes "cassées", au niveau du signe plastique, et "la dimension linguistique de l'annonce", qui utilise en effet le slogan Take a break in the rush. Le logocentrisme tant stigmatisé par les visualistes greimassiens se trouve par là même inscrit dans l'unité du signe visuel. Au plan d'expression sémiotique (d'abord plastique, ensuite iconique) centré autour du signifié /discontinuité vs continuité/ s'associe le plan du contenu /identité vs l'altérité/. Homologation des contraires prouvée par : "initiative d'un arrêt" /discontinuité + identité/ vs "participation à la ruée" /continuité + altérité/. Ce sont précisément ces "catégories sémantiques" qui, constitutives des deux plans, sont le "langage" traducteur tel que veut l'élaborer Floch (1985: 164). Selon lui il crée "une approche méthodologiquement bien distincte" de celle de Barthes, par la priorité donnée aux "catégories visuelles" plastiques où sont mieux ancrées les "oppositions conceptuelles". En revanche "la rhétorique de l'image n'intervient qu'au moment où le concept devient figuratif" (1985 : 150, 160). Or on ne voit pas en quoi le fait d'intervertir librement les signifiants plastique et iconique, et leurs signifiés corrélés, devrait entraîner pareille rupture théorique (après tout, l'enjeu est toujours la sémiogenèse du visuel, pour reprendre le concept posé par Tardy), et un ton aussi inutilement polémique. Libre en effet à l'analyste de l'image de percevoir d'abord par exemple dans l'obs-Cène le dos masculin nu et bronzé, l'entrecroisement des jambes féminines, ou les modifications des lignes de l'espace ; et l'on ne voit pas pourquoi les éléments plus iconiques devraient occulter ceux qui le sont moins. Au contraire, par l'objectif de convergence, nous plaidons pour la prise en compte de signifiants, "pluriels", pour reprendre encore une épithète de Barthes.

A sa suite, nous renouons avec la production lectorale du signifié dans ce que l'on pourrait appeler la sémantique du signe visuel, pour ne pas dire de l'image, qui donnerait la primauté à l'iconique. Or il est un ouvrage de sémiotique visuelle post-greimassienne qui fait référence toujours aujourd'hui, à savoir "la rhétorique icono-plastique" mise au point par le Groupe Mu (TSV, 345). Avant d'aborder en détail certaines de ses propositions, on prendra deux exemples destinés à éclairer le distinguo plastique vs iconique.

Mais le distinguo n'est pas net, et comme cette réflexion sur les signes de ponctuation nous y invite, poursuivons le parallèle entre le processus visuel et la sémiotique verbale. Si l'on prend le cas de l'onomatopée et du symbolisme phonétique que Nyckees classe parmi les signes cratyliens (1998 : 22-27), on constate un continuum, dans la mesure où "l'iconisme sonore" (TSV, 114) opère sur "la composante plastique du langage", celle-là même où la ressemblance du sème /petit/ avec le phonème i (iconisme à la Chastaing, Fonagy cités dans TSV, 193) repose sur l'étroitesse de la position buccale requise dans la production du son (phénomène articulatoire purement plastique - cf. la thèse de M. Toussaint, Contre l'arbitraire du signe, Didier, 1983) : "Tous ceux qui se sont réclamés du cratylisme n'ont en somme fait qu'ériger en système le plastique linguistique" (TSV, 188).

Par ailleurs, une autre question ne manque pas de se poser à ce sujet : quel est le rôle sémantisant du contexte ? Comme pour cette paronomase (endendue à la radio), indexée à l'isotopie mésogénérique /finance/ : Le nasdac patraque détraque le cac : le sémantisme /dysphorie/ + /humour/ attaché aux sons insistants "tra + ak" provient du contexte thématisant une maladie étrange affectant le monde boursier aux sigles aussi abscons que des noms de pathologies...

On ajoutera que cette dysphorie des sonorités récurrentes (agressivité de l'allitération en RK, aussi "mimologique" que le S de la sinuosité ophidienne ou le L de la liquidité) peut relever d'un de ces répertoires socialement normés qu'a voulu établir par exemple Nodier. Or il appert que "le signe plastique n'est jamais codé en dehors d'un énoncé particulier; [...] Une /clarté/, une /rugosité/, une /ouverture/ ne sont telles qu'en fonction d'oppositions qui existent non seulement dans le paradigme, mais aussi dans le syntagme. La réalisation effective des termes structuraux se fait donc dans et par le message. […] L'énoncé revêt donc une première et importante fonction : il inhibe ou excite l'identification de tel ou tel couple en puissance dans le système" (TSV, 122, 191). En effet, visuellement, "peut-on attribuer une signification aux choix chromatiques faits par le producteur d'images ? La réponse est oui, mais les significations en question ne peuvent émerger que dans un énoncé […], tout comme en linguistique il est possible de mettre en avant les hypothétiques signifiés du groupe FL s'il servent le sens (par exemple dans fluide, fleuve…), ou de les laisser en retrait s'ils ne le servent pas (flibustier, flic…)" (TSV, 241, 249). Si bien que "le sémantisme du plastique provient toujours d'une démarche hic et nunc, produisant un sens à partir des relations entre éléments d'un énoncé plutôt qu'à partir des éléments eux-mêmes, envisagés hors de tout énoncé" (TSV, 315). C'est aussi la solution pour éviter que de tels signifiants, pris isolément, avec les impressions qu'ils dégagent, ne débouchent sur la psychologie du récepteur, l'inverse étant aussi vrai si l'on songe au "lien entre le contenu plastique et les structures de l’émetteur (comme dans l’analyse du Rorschach)" (TSV, 217).

Du fait du continuum que nous avons montré au sein même des termes de la dichotomie, se pose alors la question cruciale : pourquoi n'en irait-il pas de même pour l'iconique ? Par exemple pour un œil de néophyte, non rompu aux techniques expertes de décryptage immédiat, un certain temps – sinon un temps certain – sera nécessaire avant d'identifier tel bison ou cheval dans une figuration pariétale. Il faudra une série convergente de "marques", définies comme ces "manifestations iconiques […] n'ayant qu'une fonction distinctive" pour aboutir à "l'élaboration d'un signifiant iconique global, lequel les finalise" (TSV, 151-2), mais n'est déclaré plausible qu'une fois intégré au contexte de la fresque murale.

Régies par le principe de "décomposition" (149), ces marques ressortissent, de même que le maintien du référent dans le triangle sémiotique (ci-dessous), à l'empirisme logique. Ainsi, en "concourant à l'identification d'un type", elles suivent le sacro-saint principe de compositionnalité, lequel va à l'encontre de l'option gestaltiste des auteurs : "prenons l'exemple de l'unité tête humaine. Son identification est assurée lorsqu'est exécutée une opération d'intégration de sous-entités [yeux, oreilles, nez, bouche] et/ou de marques [/supérativité/, /courbure/, soit des unités plastiques participant au processus iconique de reconnaissance]" (152).

Cette même détermination par le global et l'épreuve comparative n'invalide évidemment pas le distinguo entre un élément d'image figuratif ou non, "même si les manifestations physiques de la marque iconique et de l'unité plastique peuvent parfois se laisser décrire de manière identique" (TSV, 436). Néanmoins on évitera de créer un artefact en maintenant de façon dogmatique la distinction. Pourquoi ne pas considérer en effet par exemple que le trait /courbure/, en tant que marque constitutive d'un nez reconnu, est aussi une forme plastique créditée de l'évaluation dysphorique (par le biais de "aquilin") pouvant jouer un rôle homogénéisant sur l'ensemble de la représentation ?

Les exemples basiques que l'on a pris, ainsi que les positions de Floch et Hénault, ont pu laisser croire qu'il y avait un ordre (chrono)logique dans le passage d'abord du plastique, à l'iconique ensuite. Non seulement notre revalorisation de l'analyse barthésienne, mais plus explicitement l'analyse de Tardy, démontrent le contraire. Baticle, qui reprend à ce dernier son "vocable de sémiogenèse", énumère une série de connotations suscitées par le dessin, avant de décider quel scénario interprétatif est le plus plausible (1983 : 72-78). Plus précisément, dans le dessin étudié par Tardy, un barrage qui retient la masse humaine avant de la transformer en énergie pour usine oppose de façon polémique la nature (eau humaine, sapins en montagne) à l'industrialisation (bâtiments). Telle est la traduction en mots du tracé simplificateur iconique. Pareille "configuration symbolique" verbalisée qui s'impose a priori ne va pas sans réhabiliter l'approche linguistique de l'image. L'isotopie /aliénation/ est donc tout à fait définie (1985 : 78), mais sans compositionnalité à partir d'éléments du dessin qui s'imbriqueraient pour constituer ce sens global : "Il n'y a pas d'abord des unités qui, décodées séparément, feraient apparaître une grande redondance textuelle. Il y a d'abord un signifié qui cherche des points d'ancrage et de confirmation. [...] Le texte idéologique est premier. Loin d'être un faisceau de contraintes qui guideraient impérieusement le lecteur vers une signification fixée d'avance, le dessin est un ensemble mou, qui se laisse travailler et se prête à des déterminations exogènes." (81)

N.B.: Ce signifié cherchant à s'ancrer est distinct de la fonction d'ancrage des signifiés "flottants" de la photographie par le message linguistique, qui y est inscrit sur des "supports tels la légende, marginale, et les étiquettes, qui, elles, sont insérées dans le naturel de la scène, comme « en abyme »" (Barthes, 1964 : 44), message que nous avons volontairement éludé au profit su signe visuel "pur". Quant à la compositionnalité, elle n'est réellement patente que dans ces signes visuels iconiques que sont les cartes topographiques ou les schémas explicatifs d'un lieu, tel par exemple celui d'un château, dont la nomenclature des éléments constitutifs (échauguette, courtine, mâchicoulis, etc.) est pleinement pédagogique par la vision d'ensemble qu'il en donne. Au premier coup d'œil, ces analogons du réel, à échelle réduite, composent une unité par les relations spatiales structurales et mimétiques. On retrouve la continuité/contiguïté des composants, littéraux et de dénotation, dont parlait Barthes.

Sans aller jusqu'à conclure que le dessin ainsi conçu "n'est que complaisance", nous retiendrons de cette approche, que comme dans le cas des proverbes par exemple, il présente un ensemble de signifiants instrumentalisés. En outre dans ces "textualisations progressives et multiples d'un même matériel iconographique", ainsi "travaillé par des scénarios qui viennent d'ailleurs", et caractéristique d'une "sémiologie indécise" (79), il apparaît que le sens littéral est inexistant, au profit d'interprétations concurrentes. Pareille "ambivalence, caractéristique de tout symbole" (78), peut toutefois être ménagée aussi par la photographie publicitaire, fût-elle truquée, comme ces cuisses croisées, a priori de poulet, mais que la scène de voyeurisme par le trou d'une serrure, à travers lequel elles sont focalisée, a tendance à personnifier... (Baticle, 1983 : 67).

Ajoutons que cette approche culturelle du figuratif est bien connue en art : Pleynet montre par exemple que le portrait du masque de Mlle Landsberg par Matisse, dont les lignes de forces, épurées, sont accentuées, doivent se lire en regard d'attendus idéologiques : "La lecture occidentale du masque nègre et de l'art oriental trouve, en ce moment historique, avec Matisse, l'une des forces permutationnelles qui permettront enfin le double déchiffrement Occident-Orient, en une unité complexe." (1977: 65) Notons qu'une telle sémantisation de coups de crayons schématiques n'aurait pu se produire si le même dessin avait appartenu à un autre genre (que l'artistique).

De ces réflexions se dégage un dualisme qui renverse la hiérarchie, de par la primauté conférée au versant interprétatif; on obtient : texte du lecteur \ signifié "connoté" \ premier vs dessin de l'auteur \ signifiant \ second. Cet ordre de priorité contredisant la définition de la connotation puisque l'idéologie connotée est première et fait partie des "hypothèses" a priori du lecteur grâce auxquelles il va pouvoir encoder le dessin, qui n'est alors qu'un ensemble de conditions d'accueil du sens. C'est aussi de l'anti-Floch puisque Tardy reconnaît que le lecteur ne part pas des figures minimales du signifiant visuel. Dès lors, le sémioticien de l'image est aujourd'hui confronté à un choix cornélien : éviter cette sémantisation immédiate, à base d'analogie et de mythologie (Floch, Hénault) ou l'accepter (Tardy, Baticle, Barthes) ?

***

Revenons maintenant à la question initiale : F. Rastier répond ainsi à notre analyse de l'obs-Cène : " Ce sont des catégories descriptives ad hoc, mais dans votre commentaire cela se sémise... " La reconnaissance du bout des lèvres qu'il s'agit là de sèmes suggère la nécessité au préalable de sémèmes traduisant l'image en mots, ce qui ferait retomber dans le logocentrisme, souvent reproché :

"On a souvent insisté – et Barthes en particulier – sur la primauté du linguistique. Un certain nominalisme naïf voudrait que nous percevions certains objets simplement parce que le mot qui les désigne existe. Sans nier l'existence d'interférences de ce genre, et sans vouloir entrer dans un débat dont la nature serait philosophique, il faut toutefois noter que le mouvement inverse est tout aussi soutenable : le mot apparaît parce que l'entité s'impose perceptuellement. [...] L'idée que le langage est le code par excellence, et que tout transite par lui par l'effet d'une inévitable verbalisation, est une idée fausse, proposée d'ailleurs par des littérateurs." (TSV, 52)

Un constat préalable avant d'engager la discussion : même quand le Groupe Mu pose que "dans une sémiotique visuelle, l'expression sera un ensemble de stimuli visuels, et le contenu sera tout simplement l'univers sémantique" (TSV, 46), il ne peut s'empêcher d'intégrer la perception du réel, telle que l'image est censé le figurer, comme en témoigne la citation précédente. Cela ressortit à un choix épistémologique pour élaborer la rhétorique du fait visuel, celui des travaux de la Gestaltpsychologie (TSV, 26).

Sans les mots, plus exactement abstraction faite de la doxa qui enregistre leurs traits définitoires, difficile (sinon impossible) de nommer les signifiés devant des stimuli visuels qui constituent des signes, dès lors que le couplage de ces signifiés s'effectue à partir d'éléments

L'exemple suivant la banalise : "iconique, tel jaune permet d'obtenir la reconnaissance du type citron, tel bleu permet d'obtenir celle de ciel" (TSV, 119). Or nous récusons pour notre part cette définition :

"le signifiant du signe iconique est lié à un référent par une relation dite de transformation, référent et signifiant étant ensemble dans une relation de conformité à un type" (TSV, 121).
"Dans le domaine iconique, le type est une représentation mentale […] Sa fonction est de garantir l'équivalence du référent et du signifiant […] Le signifiant est un ensemble modélisé de stimuli visuels correspondant à un type stable, identifié grâce à des traits de ce signifiant" (TSV, 137).

car elle contrevient à une approche intralinguistique – celle-là même que nous voudrions revaloriser – en réintroduisant notamment un triangle sémiotique explicitement inspiré de celui d'Ogden-Richards (TSV, 136). Modèle général paradoxalement présenté comme la solution aux prétendues insuffisances, voire impasses, de la sémiologie saussurienne : "L'originalité de ce système est de faire éclater la relation binaire entre un signifiant et un signifié, qui a posé des problèmes insurmontés à ce jour" (TSV, 135). Notre reprise sur de nouvelles bases interprétatives de la théorie de la dénotation \ connotation par exemple plaide au contraire pour ses vertus opérationnelles, une fois les afférences mieux ancrées dans les composants plastiques de l'image.

Une différence cruciale apparaît entre les deux triangles : du fait que le concept (thought) est devenu type, le signifiant (symbol) – et à travers lui le référent – restreint à l'iconique, au détriment du plastique, selon la dichotomie fondamentale dans cette rhétorique, a le statut d'occurrence (token).

N.B.: : Ce concept, qui "a été défini en linguistique par Saussure comme le corrélat psychique [i.e. la représentation] du signifié d'un morphème d'une langue" [i.e. de mots], rappelle Rastier (1991 : 125). En sorte que de même que toute icône requiert verbalisation, de même l'image mentale est contrainte par le signifié linguistique.
En outre, ce sont la généralité et l'intériorité du type qui sont censées lever l'objection de la référence comme alibi de l'image : "Il faut de sérieuses raisons pragmatiques pour décider qu'un phénomène n'a pas d'autre valeur que le renvoi à quelque chose qui lui est extérieur" (TSV, 121). En sorte que "ce référent constitue l'actualisation du type, mais n'est pas pour autant une chose, antérieure à toute sémiose"; cette volonté de l'inclure dans le parcours sémiotique conduit à éviter les simplifications positivistes : "s'il y a un référent au signe iconique, ce référent n'est pas un objet extrait de la réalité, mais toujours, et d'emblée, un objet culturalisé." Or en dépit de cette substitution, reposant sur "une distinction célèbre en sémantique : celle que Morris a établie entre designatum et denotatum. Seul le designatum ("ce dont on prend connaissance", Morris) fait partie de la sémiose, le denotatum ("l'objet réel et existant") en étant exclu" (TSV, 130-1), la conséquence de sa culturalisation n'est pas tirée. Rien n'est dit en effet du déterminisme que fait peser la doxa sur le processus trop isolément mental de reconnaissance du type, c'est-à-dire de la classe, et de l'occurrence, à savoir l'élément, le "designatum actualisé" ou token (à travers les transformations iconiques qu'en donne le signifiant). Or la dichotomie type vs occurrence sert à définir selon nous des contenus verbaux, la relation de l'un à l'autre termes subissant les contraintes de parcours interprétatifs en contexte.

Or l'épreuve de conformité entraîne alors avec elle un autre concept que récuse la sémantique de Rastier, à savoir celui de déviance, ici du perçu face au conçu : "on pourra dire que toute manifestation référable à un type, mais non conforme à ce type, sera rhétorique" (TSV, 293). "L'opération présente les phases suivantes : production d'un écart que l'on nomme allotopie, identification et réévaluation de l'écart" (TSV, 256). Or dans cette terminologie, qu'aurait-on à déclarer la toile de Vinci "le type" de la Cène par contraste avec son avatar publicitaire à fois conforme et déviant ? Et que faire de l'image mentale qui se dégage du texte évangélique même, par intersémioticité ? Mais c'est surtout le manque d'outils analytique que fait ressentir ce concept de type, qui procède par "abstraction" et "stabilisation" de percepts (TSV, 98), et ce à la différence de la production sémique que nous défendons.

Celle-ci constitue selon le Groupe Mu une des conséquences méthodologiques imputables à cette "malformation" notoire qu'est "l'impérialisme linguistique. Pendant son règne naguère peu contesté, s'est opéré un transfert pur et simple de terminologie : la théorie de l'image accepta ainsi des termes comme syntaxe, articulation, sème, termes qui, en attente de définition, se condamnaient à n'être que de commodes métaphores." (TSV, 10-11) Mais plutôt que de montrer en quoi l'analyse sémique du signe visuel constituerait un échec (?), le Groupe Mu préfère commodément réfuter la tendance hégémonique – et pourtant naturelle – par laquelle le langage serait "l'interprétant général de tous les signifiants" (TSV, 53) :

"On se rappelle le scandale que Barthes suscita dans ses Eléments de sémiologie (1964) en renversant une proposition célèbre de Saussure : alors que ce dernier concevait la linguistique comme partie d'une science plus vaste baptisée sémiologie, le développement de cette linguistique devait amener l'auteur à renverser le rapport de subordination. Par là il voulait dire [...] que la langue, seul métalangage universel, subsumait de ce fait dans le plan de son contenu tous les autres systèmes de signes. Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention sur les dangers de l'impérialisme linguistique [...] La critique est également formulée par Greimas & Courtés (1979)" lesquels dénoncent la confusion entre les "principes d'organisation des signes" iconiques et "leur lexicalisation ; […] l'analyse d'un tableau, par exemple, se transforme en définitive en une analyse du discours sur le tableau" (TSV, 145-6).

Est essentiellement ici visée la comparaison par Marin des discours descriptifs tenus sur un paysage de Poussin (TSV, 48). C'est oublier un peu vite tout l'intérêt d'une telle "transposition intersémiotique" (1970 : 186).

Mais qu'a donc à gagner la rhétorique à vouloir dissocier artificiellement le sémiotique visuel du linguistique ?

Nous citions les couleurs jaune et bleue ; si elles sont respectivement corrélées aux types citron et ciel, nul doute que cela provient d'une phraséologie, autre émanation de la doxa. En sorte que dans le cas du signe plastique chromatique "un tel système n’existe en fait que dans sa verbalisation, laquelle varie d'une langue à l'autre". D'où la conclusion : "Il faut donc reprendre le problème sur d'autres bases, en se refusant le confort que donnent les grands schémas culturalisés par les langues, et qui sont à la base du symbolisme des couleurs." (TSV, 190) Or le jeu des connotations chez Barthes a précisément montré que "le spectateur de l'image reçoit en même temps le message perceptif et le message culturel" (1964: 42). Il est toutefois intéressant de constater que depuis cette étude pionnière, la perception de la réalité n'est plus convoquée pour constituer le plan de dénotation, littéral (le niveau figuratif, reflet du monde naturel, pour par Greimas & Courtés), mais celui de la plasticité, tout aussi matérielle.

L'antithèse préconisée par le Groupe Mu s'appuie sur Arnheim, promoteur de la perception gestaltiste (TSV, 54), et qui se contentait de l'affirmation d'un mentalisme faisant table rase de la construction verbale du signifié : "On ne peut penser sans recourir aux images et les images contiennent de la pensée" (1976: 269), corollaire d'un anti-nominalisme : "Le langage, donc, n'est pas indispensable à la pensée." (242) S'il est reconnu que "des opérations cognitives d'un certain type peuvent, il est vrai, s'effectuer dans le cadre du médium-langage" (244), il est par exemple des "concepts picturaux" par exemple celui de fleur dans la peinture abstraite qui ne ressemble en rien à une fleur typique (265). La question se pose alors de savoir comment reconnaître un tel concept sans intervention du mot…

Dans ce sillage, le Groupe Mu tire argument du fait "que l'on peut maîtriser le type rotondité sans même connaître le mot rond", ce qui n'empêche pas, admet-il, "qu'un concept perceptuel (pour reprendre l'expression d'Arnheim) peut évidemment toujours produire un signifié linguistique […] De facto, il peut y avoir superposition entre type et signifié linguistique, dans la mesure où la perception, liée à la cognition, est susceptible d'être verbalisée et où, d'autre part, le linguistique peut suggérer ses découpages à notre perception." (TSV, 147). On conclura pour notre part que de tels concepts non verbaux se justifient dans la perspective générative et créatrice, notamment des arts visuels, ou bien dans le cas des tests psychologiques opérant sur des formes. C'est dans cette même perspective que Francastel pose le problème concernant "la signification du domaine figuratif. Oui ou non, existe-t-il entre l'image et le concept une identité ou mieux encore une subordination absolue; oui ou non, l'esprit humain n'est-il capable d'élaborer un système adéquat du monde qu'en se servant de mots ? C'est sur ce point que le développement de l'analyse structuraliste et comparative doit nous apporter des éclaircissements" (1983: 35).
Risquons une évidence sur le topos les mots pour le dire : pour qui se penche sur un croquis non figuratif, l'isotopie /rotondité/ qui s'impose à la vue et l'esprit est ce mot, indispensable pour désigner le contenu. Bref, pour répondre à l'objection du Groupe Mu, même le signe plastique (pas uniquement l'iconique) requiert une formulation verbale, argument cette fois de perspective interprétative, celle-là même qui prévaut dans l'analyse des signes visuels, qui est l'objet de notre étude. Et si l'assimilation des deux sémiotique, linguistique et visuelle, "qui nous souffle que le type iconique "chat" est le signifié linguistique chat" (TSV, 147) demeure sujette à caution, force est cependant de constater le premier requiert la traduction par le second, pour une explication d'image.

A notre tour de rappeler une objection aux tenants l'information conceptuelle basée sur la perception : comment "maîtriser" des traits qui, à la différence de rotondité, n'ont pas de base concrète ? Dans une section intitulée Du figuratif, Rastier montre que "le privilège accordé aux traits figuratifs dépend bien entendu des mots retenus pour l'expérience" et que, "pour 'caviar' par exemple, bien que concret, le trait évaluatif /luxueux/ était le plus fréquemment cité, alors que d'autres traits référentiellement vrais, qu'ils soient figuratifs ou non, comme /granuleux/ ou /salé/, n'étaient jamais mentionnés" (1991 : 215). Cette haute fréquence est due aux contextes verbaux, enregistrés dans la doxa, au même titre que d'autres items du même paradigme des aliments de luxe (saumon, foie gras, champagne, etc.). De là le refus légitime, pour que la sémantique puisse" maintenir l'unité de son objet, de le diviser en significations abstraites et concrètes, que ce soit pour suivre l'ontologie traditionnelle, ou pour tenir compte de données neuropsychologiques" (1991 : 216).

Le changement d'école est franchement assumé : du saussurisme à la catégorisation, du linguistique à l'empirisme, par référence aux travaux de Palmer, Berlin & Kay ou Sonesson. En sorte que le sécessionnisme clairement formulé : aux "positions excessivement verbalistes qu'ont tenues Sapir & Whorf, et qu'occupa également Barthes, […] nous préférons celle de l'interaction entre des structures cognitives et des stimuli" (TSV, 147) place sous tutelle le chapitre 3, cœur théorique du traité, intitulé sémiotique générale des messages visuels, par cette citation de Saint-Martin (1987) : "la sémiologie doit reconnaître la dépendance où elle est par rapport aux hypothèses de la psychologie cognitive ou de la perception [...]" (TSV, 87). En conséquence, le schéma du modèle global du décodage visuel (91) ne fait aucune place au signifié verbal, lequel est remplacé au niveau du "concept" par le "répertoire", ce "système de types" (93) ou "typothèque" (97) : "Le répertoire est donc le résultat d'un processus de discrétisation du continuum de la perception, discrétisation qui aboutit à des formes (au sens hjelmslévien) qu'on désignera du nom de type" (94), avec cette intéressante distinction : "Le type n'entretient pas dans la structure du signe iconique le même genre de relation avec signifiant et référent que dans le signe linguistique : il y sert de garant à un contrat qui se noue entre un signifiant et un référent commensurable" (TSV, 146). Comment peut-on imaginer que cette garantie ne repose que sur la seule représentation mentale ? Celle-ci subit évidemment un déterminisme socio-culturel – dans l'apprentissage de normes. En outre, pourquoi recourir à un designatum, soit un objet en tant que "membre d'une classe" (TSV, 136), alors même qu'il est remplacé par son signifiant iconique, et donc absent du signe visuel ?
D'autre part, la théorie du Groupe Mu s'emprisonne dans la terminologie peircienne (cf. Eco, 1970 : 12), avec cette dualité: "le signe plastique signifie sur le mode de l'indice ou du symbole, et que le signe iconique a un signifiant dont les caractéristiques spatiales sont commensurables avec celles du référent." (TSV, 123). Il s'agit là d'une simplification car il est constaté ailleurs que "le signe plastique est malaisé à situer dans une typologie des signes. Il est tantôt vers le symbole, tantôt vers l'icône" (TSV, 195). Quelle est l'utilité de cette approche cognitive, mesurée par rapport au rendement de la description de l'image ? Prenons l'exemple suivant :

D'emblée l'œil typique est reconnu par de nombreuses marques convergentes (dès les formes : circulaire – "prunelle" – au centre de l'ovoïde, en conjonction avec les couleurs contrastées : blancheur de la cornée, noirceur centrale de la pupille fermée). Mais quel référent serait ici déviant par rapport au type? Nous préférons dire que ce signifiant iconique est d'emblée rendu étrange par le code photographique où le cadrage de face interpelle le spectateur par ce regard fixe, et où le plan se rapproche jusqu'à l'insert, comme pour pointer une anormalité. Celle-ci se manifeste évidemment par la couleur : un simple azur n'eût pas suffi, sans les nuages, à faire de l'iris un "vrai" ciel – en raison précisément de la phraséologie yeux bleu azur. De cette verbalisation immédiate de l'image, découle le sème /surnaturalité/ (caractéristique de l'icône surréaliste) isotope avec un élément plastique, la texture trop lisse et glabre de cette peau peu humaine, à quoi s'ajoute la disproportion du cristallin par rapport à la cornée, que l'on peut caractériser comme deux indices convergents avec l'interprétation précédente. On passe ainsi d'une mimesis empirique par des détails concrets dont l'agencement dégage un effet de vérité, à un réalisme transcendant – voilà pourquoi la trop fameuse "illusion référentielle" (TSV, 138) ne peut ici avoir lieu. Il manque à ce signe visuel ainsi très synthétique un contexte global qui permettrait de le situer dans l'un des genres plausibles, poésie ou science-fiction, voire publicité (?), ce qui confirme au passage que les "littérateurs" ont leur mot à dire sur l'image. Ajoutons s'il en était besoin que le sème isotopant activé, comme étant le plus saillant (auquel s'adjoint /onirisme/ par l'effet de profondeur de ce ciel enfonçant le spectateur dans cet œil de rêve , selon le contraste : /proximité/ des détails empiriques humanoïdes vs /éloignement/ vers une réalité transcendante, celle de l'œil de l'âme céleste), n'a rien de conceptuel ni de mental, mais semble déterminé par une norme sociale (phraséologie) et culturelle (genres). La verbalisation, incontournable, contredit cette vindicte naguère proférée par Floch, demandant à "tire[r] les leçons de l'échec d'une approche du sens strictement lexicologique, voire sémantique" (1985 : 144).
Encore une fois, c'est le contexte global qui décide, et par exemple le "signifié associé" traditionnellement à "forme circulaire", /perfection/ (TSV, 122), n'est pas ici activé. Quant aux nuages conçus comme arrivée d'une dégradation, activant l'afférence /menace/ dans cet iris auréolé de noirceur, et de lueur brillante, ils excèdent ce signe isolé.
Par ailleurs, un sème comme /surnaturalié/ n'est pas forcément un élément compositionnel du réalisme transcendant, comme en témoignent les deux questions posées par l'icone publicitaire "obscène" supra, dont le côté blasphématoire est euphémisé par l'entorse au vraisemblable mimétique : "Comment cette table tient-elle en l'air, elle n'a pas de pied ? A qui appartient la main qu'on voit sous la table à droite ?" On peut y voir une allusion à celle de la Cène, située au dessus de l'assiette au milieu de l'image, déjà en surnombre : que pouvait-elle bien signifier, armée d'un poignard et ne pouvant appartenir à l'un des convives ?

Mieux que la volonté de "rendre son autonomie au plastique" (cf. Floch et TSV supra), le concept d'éthos synnome promu par le Groupe Mu s'impose dans leur rhétorique visuelle : "Il est fonction à la fois de la structure de la figure, des matériaux qui l'actualisent et du contexte dans lequel elle s'insère" (TSV, 285). Il est effectivement à l'œuvre dans l'intégration des signifiants et signifiés plastiques au parcours sémiotique global. Dans notre exemple, formes, couleurs, textures voient ainsi leur sémantisme organisé en fonction des deux réalismes cumulés dans l'œil obsédant.

La synnomie se manifeste aujourd'hui par exemple dans le choix d'arrière-plans pour la créations de pages web. Prenons le cas de l'écriture littéraire : concernant une couleur à peu près identique, un fond marbré lisse (D) aura un effet de froideur solennelle voire d'hellénité, une texture de papier froissé (C) intriguera par l'effet de profondeur dû à ses ombrages irréguliers, et ira bien avec des textes cultivant la surprise, du roman d'aventures au poème surréaliste ; la rugosité du gros grain (A) s'accordera avec des textes aux expressions ou idées fortes, frappantes ; alors que le petit grain (B) occupera une place neutre de normalité, requise par exemple dans la description ci-dessous de Mme Bovary où la charge émotive naissant peu à peu serait gênée par un impression texturale hétérogène. Pareille convergence avec la thématique et/ou le style d'écriture n'est bien sûr que préférentielle, non prohibitive ; une douce rêverie intimiste pourra "perdre" de sa mièvrerie sur une forte impression tactile de gros grain. Tant les arts décoratifs impliquent une recherche esthétique.

A B C D

Si l'on peut ainsi s'accorder avec le début positif de cette citation de R. Odin (1976) : "Face à une longue tradition valorisant les isotopies du contenu analogique ou symbolique [i.e. dans l'obs-Cène la reconnaissance des hommes et des femmes, par rapport à Vinci, et leur inversion de rôles, par ex.], la promotion des isotopies de l'expression [i.e. formes, couleurs, plans, par ex.], ne peut être que le fait d'une conquête : la négation délibérée de l'impérialisme de la communication et de la représentation." (in TSV, 117) en revanche la chute négative n'est pas recevable, car la voie œcuménique intègre des signifiés ancrés sur des éléments hétérogènes, qu'ils soient ou non figuratifs, à une interprétation qui les égalise en quelque sorte, en les rendant indissociables.

Par ailleurs, on ne peut qu'approuver le Groupe Mu quand il réfute la confusion de l'antithèse suivante: plastique-expression-signifiant vs contenu iconique-signifié (comme si le second terme consistait en la vérité, le point d'aboutissement du premier; en d'autres termes "le plastique est le signifiant du signe iconique" (TSV, 361) sans que ce dernier soit son signifié) : "Nous nous démarquons radicalement de cette position : plastique et iconique constituent pour nous deux classes de signes autonomes" associant "chacun un plan du contenu à un plan de l'expression." (TSV, 118), "conformément au principe du parallélisme" (122). Pour reprendre l'exemple de la Cène, l'isotopie /sacralité/ ne repose pas simplement sur le signifiant iconique "Christ eucharistique" mais aussi sur le signifiant plastique "lignes de perspectives rectilignes" dont la profondeur conduit le spectateur vers l'ouverture céleste. Tirons la conséquence de "l'impérialisme" de l'énoncé : les éléments icono-plastiques que comporte une image acquièrent donc chacun un plan d'expression, fait de mots qui les traduisent. Ceux-ci consistent en signifiants et signifiés, dont les sèmes inhérents, en quelque sorte trop "littéraux", ne constituent pas cependant le "vrai" plan du contenu ; celui-ci consiste en revanche en signifiés contextuels, émanant du plan de l'expression et pris en charge par des isotopies (afférentes, telle ici /sacralité/), selon l'éthos synnome. Pour établir des équivalences, on retrouve là le schéma de connotation inspiré de Hjelmslev et rendu célèbre par la formulation (ErC)rC de Barthes (1964) – selon lequel "la relation sémiotique prend le nom de dénotation quand aucun des deux plans qu'elle unit n'est un langage, et celui de connotation quand le plan de l'expression du langage considéré est lui-même un langage" (Rastier, 1996 ² : 125). Cette seconde relation avec un contenu, qui n'est pas "littéral", illustre le passage à la construction du sens connotatif de l'énoncé.

Un dernier exemple, concernant cette fois la perspective générative et créatrice, montre que le "recours direct et immédiat à la langue naturelle" dont parlait Floch (supra) est à la base d'un signe icono-plastique. Il s'agit de la stratégie marketing d'élaboration d'un logo pour une banque, le résultat visuel devant synthétiser le signifié /clair/, avec ses valeurs spirituelles et sa nébuleuse connotative (liste d'épithètes : "lumineux, serein, transparent, limpide, […] pur, distinct, intelligible, manifeste", 1990 : 52). Le choix se porte alors sur une étoile dite pentacle, figuration retenue pour sa phraséologie positive implicite (né sous une bonne étoile, astre de repère, voire de guidage, 78), mais dont le symbolisme antique de perfection (cf. certaines monnaies grecques) est dissipé par l'allongement irrégulier de la pointe "de tête" et d'une des deux pointes "de jambe". Le logo ne sera toutefois achevé qu'une fois la question satisfaite : quelles "qualités formelles et chromatiques" lui donner pour refléter le plus fidèlement possible ce sémantisme ? Une réponse partielle est l'ajout d'un fin trait rectiligne (1990 : 79-80), emblématisant des valeurs intellectuelles et morales, dans le contexte du nom de l'établissement Crédit du Nord, dont la confiance est un pré-requis pour des conseils financiers. Les divers "effets de sens", potentialisés par la nébuleuse verbale initiale, pourront être alors ancrés – comme disait Barthes – dans ce logo par divers sous-titres, qui seront autant d variations linguistiques de l'affiche. Tels sont les critères sémiotiques de son efficacité.

En guise d'épilogue à cet exposé, on rappellera trois des propositions pédagogiques émises naguère par Metz (1970 : 8-9), et qui n'ont rien d'obsolète, en dépit de la double stigmatisation frappant le sémiologique, telle qu'elle a été formulée de façon percutante par Pavel (1988), d'une part l'illusion de scientificité, due à la technicité des termes, masquant une tricherie ; d'autre part, au-delà de cet effet de style, la nécessité de débarrasser la théorie de l'image du mysticisme sémio-structuraliste fondé sur l'anti-mimétisme et plus largement l'anti-référentialisme (ayant pour conséquence inverse l'auto-référentialité, l'auto-télicité), considérant que toute référence à une réalité quelle qu'elle soit est honnie. Au contraire, écoutons Metz :

  1. "L'analogie iconique ne saurait constituer pour la réflexion sur l'image qu'un point de départ. C'est au-delà de l'analogie que le travail du sémiologue peut commencer, faute de quoi on pourrait craindre qu'il n'y ait plus rien à dire sur l'image, sinon qu'elle est ressemblante."

  2. "L'analogie visuelle admet des variations aussi bien qualitatives (la ressemblance est d'ordre culturel) que quantitatives (notion des différents degrés d'iconicité)".

  3. "Le plus souvent, réfléchir sur l'image ne consiste pas à produire des images, mais des mots, selon un classique phénomène de métalangage." Plus radicalement, "l'image n'existe que par ce qu'on y lit […] Raison de plus pour se refuser à fermer sur lui-même le royaume des images (= mythe de la pureté visuelle)."

Pour Metz, la possibilité de transcrire en mots, de nommer la chose ou image perçue complète la perception elle-même qui, tant qu’elle n’a pas atteint cette étape, n’est pas socialement achevée. Cette proposition – qui relève de la philosophie du langage – soulève le problème de la relation entre le perçu et le déjà connu, mémorisé. Pour Metz, toute image, aussi parfaitement analogique soit-elle, est utilisée et comprise en vertu de conventions sociales qui reposent toutes, en dernière instance sur l’existence du langage.


6. Excursus

Dans une étude en ligne sur la Comète hypertextuelle, nous avons montré à propos des effets esthétiques des éclairages nocturnes de la Seine dans le corpus de Zola (ayant déclaré : "je n'ai pas seulement soutenu les impressionnistes, je les ai traduits en littérature par les touches, notes, colorations de beaucoup de mes descriptions")

- D'une part le rôle de l'intersémioticité, par les effets sur le texte de L'Œuvre des deux tableaux Nuit étoilée de Van Gogh, la première sur le Rhône (même si en 1888 il est postérieur à la publication du roman) qui reprend ces jeux de la lumière et de l'eau souvent traités par ses maîtres impressionnistes (notamment Monet avec son Impression, soleil levant de 1874), la seconde à Saint-Rémy (1889), où l'on n'est pas loin de déceler la présence des comètes métaphoriques qu'on lit dans le roman.

- D'autre part, quelle que soit la traduction de la peinture par les mots, la frontière entre les deux sémiotiques. Si la picturale-visuelle cultive la rupture avec l'académisme et l'intellectualisme pour retrouver l'ingénuité d'une impression immédiate et enfantine (vecteur de modernité : cf. Baudelaire : "l'enfant voit tout en nouveauté"), selon la théorie de "l'innocence de l'œil" que défendra aussi Proust, en revanche la verbale-linguistique n'échappe pas à ce qu'on pourrait appeler le conservatisme de la phraséologie. En effet, notre création d'un vaste hypertexte zolien démontre, par le jeu des relations lexico-thématiques et de la paraphrase (fondées sur des faisceaux d'isotopies localement denses), la force des relations intra-textuelles (sans même parler de l'inter-textualité, par laquelle le naturalisme de Zola s'inscrit dans la topique réaliste mais aussi romantique, comme on le constate dans notre étude du motif de la comète). Bref, avant de référer à un paysage vu dans une perception nouvelle que traduiraient naïvement les mots, l'écrivain réfère à des contextes littéraires. En sorte que l'impression référentielle qui se dégage des descriptions ainsi mises mutuellement en relation hyper-textuelle est linguistiquement (et culturellement) contrainte.

La description suivante – d'une vue "immobile" paradoxalement narrativisée par les verbes actionnels (s'élargissait, remontait, toucher, arrondsissait, etc.) qui permettent un enchaînement naturel avec l'éveil de la ville – de Madame Bovary, quand Emma prend l'Hirondelle pour aller voir Léon à Rouen, semble copier (ou devoir être illustrée par) une peinture, selon l'adage Ut pictura poesis, cette traduction d'un tableau en texte littéraire ayant fait l'objet d'une étude célèbre de Marin (1970).

Puis, d'un seul coup d'œil, la ville apparaissait. Descendant tout en amphithéâtre et noyée dans le brouillard, elle s'élargissait au-delà des ponts, confusément. La pleine campagne remontait ensuite d'un mouvement monotone, jusqu'à toucher au loin la base indécise du ciel pâle. Ainsi vu d'en haut, le paysage tout entier avait l'air immobile comme une peinture; les navires à l'ancre se tassaient dans un coin; le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes, et les îles, de forme oblongue, semblaient sur l'eau de grands poissons noirs arrêtés. Les cheminées des usines poussaient d'immenses panaches bruns qui s'envolaient par le bout. On entendait le ronflement des fonderies avec le carillon clair des églises qui se dressaient dans la brume. Les arbres des boulevards, sans feuilles, faisaient des broussailles violettes au milieu des maisons, et les toits, tout reluisants de pluie, miroitaient inégalement, selon la hauteur des quartiers. Parfois un coup de vent emportait les nuages vers la côte Sainte-Catherine, comme des flots aériens qui se brisaient en silence contre une falaise.

Quelque chose de vertigineux se dégageait pour elle de ces existences amassées, et son cœur s'en gonflait abondamment, comme si les cent vingt mille âmes qui palpitaient là lui eussent envoyé toutes à la fois la vapeur des passions qu'elle leur supposait. Son amour s'agrandissait devant l'espace, et s'emplissait de tumulte aux bourdonnements vagues qui montaient.

Elle le reversait au dehors, sur les places, sur les promenades, sur les rues, et la vieille cité normande s'étalait à ses yeux comme une capitale démesurée, comme une Babylone où elle entrait. Elle se penchait des deux mains par le vasistas, en humant la brise; les trois chevaux galopaient, les pierres grinçaient dans la boue, la diligence se balançait, et Hivert, de loin, hélait les carrioles sur la route, tandis que les bourgeois qui avaient passé la nuit au bois Guillaume descendaient la côte tranquillement, dans leur petite voiture de famille. On s'arrêtait à la barrière; Emma débouclait ses socques, mettait d'autres gants, rajustait son châle, et, vingt pas plus loin, elle sortait de l'Hirondelle.

La ville alors s'éveillait. Des commis, en bonnet grec, frottaient la devanture des boutiques, et des femmes qui tenaient des paniers sur la hanche poussaient par intervalles un cri sonore, au coin des rues. Elle marchait les yeux à terre, frôlant les murs, et souriant de plaisir sous son voile noir baissé. Par peur d'être vue, elle ne prenait pas ordinairement le chemin le plus court. Elle s'engouffrait dans les ruelles sombres, et elle arrivait tout en sueur vers le bas de la rue Nationale, près de la fontaine qui est là. C'est le quartier du théâtre, des estaminets et des filles. Souvent une charrette passait près d'elle, portant quelque décor qui tremblait. Des garçons en tablier versaient du sable sur les dalles, entre des arbustes verts. On sentait l'absinthe, le cigare et les huîtres. Elle tournait une rue; elle le reconnaissait à sa chevelure frisée qui s'échappait de son chapeau. Léon, sur le trottoir, continuait à marcher. Elle le suivait jusqu'à l'hôtel; il montait, il ouvrait la porte, il entrait… Quelle étreinte !


BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE :

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Barthes, R. : Rhétorique de l'image, Communications, 4, 1964 (repris dans L'obvie et l'obtus, Points, 1982).

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Courtés, J. : Analyse sémiotique du discours, Hachette, 1981.

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Floch, J.-M. : Petites mythologies de l'œil et de l'esprit, Hadès, 1985 (ch. VI).

Floch, J.-M. : Sémiotique, marketing et communication, PUF, 1990 (ch. "Une étoile est née").

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BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
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NOTES

[1] Bibliographie complémentaire à celle, déjà riche, du Traité du signe visuel (Groupe Mu). Non exhaustive, elle cite des classiques essentiellement centrés sur les versants interprétatif et pédagogique.

[2] Une mention bibliographique spéciale pour Sens du mot, sens de l'image (L'Harmattan, Paris, 2005) de M. CORNUEJOLS qui présente ainsi son approche en sciences cognitives :

"Ma recherche porte sur la nature et l'organisation de la mémoire sémantique et son accès par différents modes (image, mot écrit, mot présenté oralement). Je m'intéresse plus particulièrement aux réseaux associatifs en mémoire sémantique, à leur organisation et à leurs modalités d'activation par les percepts imagés et verbaux. L'approche qui est utilisée est l'approche multidisciplinaire des sciences cognitives faisant intervenir des données de psychologie cognitive – domaine dominant de la thèse –, des données neurophysiologiques d'imagerie cérébrale et des données issues d'études de neuropsychologie. L'aspect connexionnisme est abordé pour son apport aux modélisations envisagées à partir des données expérimentales ou pour conforter celles-ci. L'ensemble reposant sur une étude psycholinguistique. Après avoir présenté les différentes théories relatives à l'identification des images et des mots, et les différents modèles de l'accès au lexique et à la mémoire sémantique, nous proposons de remettre en question la notion de stock de signifiés unique activé par la perception d'une image ou d'un mot.

  1. La recherche porte plus spécifiquement sur l'accès à la mémoire sémantique par les images et par les mots afin de déterminer si cet accès se réalise de façon similaire pour les images et pour les mots. En d'autres termes, la nature imagée ou verbale du stimulus entrant influe-t-elle sur l'accessibilité à la mémoire sémantique ? Pour ce qui concerne le matériel verbal, l'étude porte sur l'accès par la modalité visuelle et auditive. L'objet principal étant la comparaison de l'accessibilité à la mémoire sémantique par les images et par les mots écrits, la modalité visuelle est privilégiée.

  2. L'étude concerne également la nature et l'organisation de la mémoire sémantique, en analysant si la nature des représentations en mémoire sémantique activées par les images et par les mots est différente ou similaire. Notre contribution expérimentale est basée essentiellement sur des expériences d'amorçage sémantique et de créations de normes associatives pour lesquelles nous proposons un certain nombre d'analyses en terme de typologies des liens associatifs (organisation situationnelle, organisation en terme de catégories sémantiques ou taxinomiques, ou en termes d'associations linguistiques). Des études comparatives des cooccurrences verbales obtenues dans la norme associative et dans des corpus textuels ont été réalisées. Un modèle d'organisation en réseau(x) conceptuel(s) et de l'accès aux significations par le verbal et l'imagé est proposé rendant compte de la différenciation des réseaux associatifs verbaux et imagés mise en évidence par les études expérimentales."


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©  juin 2005 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : MÉZAILLE, Thierry. L’analyse d'images. L’exemple d’une publicité polémique. Texto ! juin 2005 [en ligne]. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Mezaille/Mezaille_Semiotimage.html>. (Consultée le ...).