SÉMANTIQUE D’UN MOT VEDETTE ET DE SES CORRÉLATS EN CONTEXTE
DANS LES CORPUS LITTÉRAIRES NUMÉRISÉS

- Sur l’isotopie montagnarde, de Chateaubriand à Gracq -

Thierry MÉZAILLE

(Document de travail)

La méthode d’exploration de la banque textuelle constituée des données fournies par le logiciel lexicométrique Hyperbaseconsiste à choisir un mot qui n’ait ni des fréquences surélevées (voilà pourquoi pour glacier on s’est interdit de relever des attestations de la même racine glac- qui eût été aussi pertinente, mais pléthorique), ni une rareté qui le rendrait absent de tel ou tel genre. Puis à le considérer comme un instrument permettant de parcourir des textes divers et variés, en établissant son sens contextuel, pour ensuite classer les divers extraits obtenus en fonction de leur contenu par rapport au genre. À ces deux titres, glacier(s) est un bon candidat. Il n’est remarquablement attesté que dans les classiques de la littérature romanesque et poétique des XIXe et XXe siècles. Ajoutons aussitôt que la présente étude ne saurait prétendre à l’exhaustivité, ne serait-ce que pour des raisons matérielles ; il n’est que de songer aux corpus d’ouvrages pratiques sur la Montagne pour mesurer les lacunes actuelles de la numérisation.

Une fois écarté le problème de sa polysémie (notamment, par opposition mésogénérique à /montagne/, le sème /commerce/ actualisé par exemple chez Balzac : « La cuisinière fit appeler le mulâtre pour payer la note du glacier »), l’enjeu réside dans le relevé et le classement des afférences contextuelles, en fonction de différences relatives au genre (roman et poésie).

L’enquête lexico-sémantique [1] peut être poursuivie avec un corrélat contigu (parmi d’autres, tels les différents escarpements, que l’on n’a fait que souligner) ; de glacier(s) il est licite de passer à avalanche(s), crédité d’un nombre similaire d’occurrences (environ 130) qui se trouvent globalement dans les mêmes contextes littéraires. Néanmoins, on relèvera des différences d’emplois significatives.

Les oppositions respectives /statisme-duratif/ + /en haut/ vs /dynamisme-ponctuel/ + /vers le bas/, qui distinguent ce qu’il est convenu d’appeler une entité et un processus, ne tracent qu’une forme se détachant sur ce fond culturel des hauteurs glacées et neigeuses. Ajoutons que de par son acception « figurée » signifiant la multiplicité, l’avalanche a plus souvent le statut de comparant (cosmique d’un comparé sentimental ou banalement concret) que le glacier.

***

La première paire d’isotopies consiste en /voyage/ et /exotisme/, dans Les Mémoires d’Outre-Tombe [2], relatant pour l’essentiel le « voyage de Paris aux Alpes de Savoie, 1803 ». Ce genre du témoignage cultive le réalisme empirique, qu’accrédite l’usage du présent de vérité générale dont la valeur imperfective confère un style de documentaire :

Autant d’interrogations qui font déboucher la description présentée comme objective (cf. l’usage du présent duratif et narratif) sur l’intériorité affective. Soit un autre aspect de la Nature romantique, idéalisée, dans son innocence primitive et ses clichés culturels (Altorf, patrie de Guillaume Tell). Abordons la thématique du corrélat. On passe de la nature dangereuse, remémorée dans le cadre du voyage alpin :

au comparant hyperbolique dans le domaine militaire :

On retrouvera ce contexte non seulement chez Vigny évoquant une bataille marine :

mais dans la prose décadente, fin de siècle, chez Huysmans :

La culpabilité militaire ne fait pas de doute, contrairement à cet extrait de Jettatura de Gautier :

Or un autre conte fantastique, Avatar, présente à l’incipit le maladif Octave de Saville en indexant a contrario le héros à /modération/, par négation des excès et extravagances, dont le comparant montagnard est porteur, selon un cliché romantique :

Quant au portrait du visage féminin qu’il admire, l’isotopie /poéticité/ repose sur les comparants mésogénériques /peinture/, /sculpture/, /mythologie/, /montagne/ (souligné) [5], d’autant que la comtesse lituanienne Prascovie Labinska ainsi décrite au chapitre suivant vit dans un luxe anglais et un milieu artistique italien :

Avant Gautier, Balzac utilisait le cadre nordique et immaculé mais au sens littéral (non comme comparant). À l’incipit de Séraphîta, il sert d’écrin à une figure angélique féminine bien qu’androgyne dans ce roman de 1834 [8]. En sorte que comme dans le conte fantastique précédent, mais en dépit de l’absence de l’expérience de magnétisme, le réalisme demeure ici transcendant. Bien que le « détail » cosmique des glaciers n’ait pas le statut de comparant artistique, la Nature qu’il symbolise à lui seul sert ainsi de médiatrice entre le terrestre et le céleste :

N.B. : Nerval thématise aussi ce décor nordique et mystique, mais sans lexicaliser ni ‘glacier’ ni ‘crevasse’. Bref, un tel passage parallèle échappe à la requête par mots clés :

Rien de commun avec le réalisme empirique du Médecin de campagne (1833). Localement, l’isotopie /chasse/ favorise la transition du mal-être dans le milieu agricole au bien-être dans les hauteurs de Grenoble, du Rhône et de la Savoie :

Or un tel individualisme incarne doxalement un anti-héros (dont la parlure est frappée du sceau de /dégradation/, indexant aussi son sort), dans la mesure où au niveau global la thèse du roman plaide pour le respect de l’autorité, en s’engageant politiquement pour un pouvoir fort et contre-révolutionnaire. L’évasion dans les hauteurs vantée par le braconnier équivaut alors à une désertion. Au moral comme au physique, elle constitue donc une souillure (cf. Lélia ci-dessous où Sténio chante les purs sommets « que la sandale du chasseur n'a point souillée »).

Aucune trace de surnaturel non plus dans La Femme de trente ans (1834), où le sème /hauteur inaccessible/ (épithète lexicalisée infra au titre de corrélat du mot vedette) fonde la comparaison avec l’amour idéalisé – dans une sorte de métaphore métonymique, du lieu au sentiment [10]. L’engagement du romancier provient de cette analyse de « l’entente de deux belles âmes », à l’unisson de la nature, mais en butte à la morale sociale :

Mais le corpus balzacien est à l’évidence bien plus riche concernant le corrélat neigeux, crédité d’une fréquence remarquable (26 occurrences). Son statut de comparant est toujours dysphorique, ce qui semble expliquer qu’il ne se trouve pas dans les mêmes romans que le mot vedette, ni dans le même contexte, concernant l’extrait suivant :

Le comparé peut être idéalement abstrait ou trivialement concret :

On note aussi que la péjoration provient davantage de la liquéfaction résultative, ou des effets d’un feu contraire provenant du volcan contigu de la glace, comme chez Verne, mais ici dans un contexte peignant l’excès, d’ordre moral :

Même quand il est question des sciences naturelles, le thème géologique se développe toujours en tant que comparant (qui plus est encore sur /résultatif/), ici de l’histoire des mœurs :

Rares sont les contextes où la péjoration du comparant s’atténue, sans aller cependant jusqu’à disparaître :

Enfin, un autre corrélat montagnard confirme la dysphorie des lieux sur l’isotopie /pathologie/ consécutive au maléfice du talisman :

Les hauteurs blanches, fortement teintées de religiosité et de romantisme, requièrent plus ample contextualisation dans Lélia(1833) [12], héroïne éponyme interpellée par Sténio, qui stigmatise sa « perversité de cœur » par le mal d’amour qu’elle lui inflige :

Plus encore que chez Balzac, le réalisme est directement transcendant dans la mesure où aucun détail du cadre géographique immaculé (du type fjord, Norvège) ne vient motiver la réalité empirique des montagnes, ni les actions d’alpinisme qui s’y déroulent. Il s’agit en effet plutôt d’une nature céleste, d’une hauteur typiquement hiérophanique [15]. Que le glacier soit finalement joyau, au niveau visuel, ou qu’il serve de comparant aux mains de l’héroïne, faisant ainsi ressortir le sème /froideur/, au niveau tactile, celle-ci se souvient qu’il ne comble pas son cœur, et demeure indexé à /insatisfaction/. De là une lecture productive activant l’isotopie /frigidité/ (cf. notice).

Comme dans les Mémoires d’Outre-Tombe, le corpus romanesque de George Sand ne se limite pas à la belle nature prise au sens littéral, dans la blancheur quasi surnaturelle de Lélia, mais évoque aussi la salissure de l’eau de neige gonflant un torrent, obstacle dangereux :

Pour acquérir le statut de comparant soit d’un intérieur poussiéreux dans le domaine familial du foyer, soit de la Révolution, sur le plan social :

Journal dans lequel George Sand, évoque comme Chateaubriand son voyage aux Pyrénées, avec les mêmes détails toponymiques dans une simplicité déclarative de réalisme empirique :

Le roman merveilleux n’est pas en reste, et dans cet extrait de La fée aux miettes, l’avalanche sert de comparant à l’action tumultueuse des créatures surnaturelles en osmose avec l’élément liquide, cette fois :

Il n’en va pas de même d’un conte plus réaliste, Les aveugles de Chamouny, où la beauté du décor alpin participe du registre dramatique en engloutissant non seulement l’habitat de la victime mais son guide que représente le chien d’aveugle :

À la même époque, dans le roman d’aventures de Dumas, ce mot réitère son contexte auditif, couplé à une thématique de la fascination (positive ou négative) pour le phénomène naturel :

Sa fréquence, aussi remarquable que chez Balzac, est concentrée dans le roman dépaysant le lecteur en lui faisant découvrir une contrée montagneuse orientale, située entre la mer Noire et la mer Caspienne ; il va ainsi de soi que pour décrire une nature hostile le mot en question se prend au sens propre (pour la majorité de ses occurrences, soit 13 sur 25 citées ici au total) :

Mais le corrélat neigeux sert aussi de comparant à la cruauté humaine, lors d’une exécution :

Ou bien au pouvoir de nuisance qu’exerce un cardinal d’influence auprès des puissants :

Enfin, plus classiquement, il reprend l’acception figurée de l’abondance généreuse, jusque dans le genre de la recette culinaire :

Quant au mot vedette, bien moins fréquent (comme dans le corpus Balzac), il n’est mentionné chez Dumas que pour faire ressortir ce qu’en narratologie Barthes appelait un indice (de caractère ou d’atmosphère), outre la fonction (ici celle de la poursuite). Ainsi l’isotopie /intrépidité/ est activée lors d’un moment de détente au cœur de la tragique Saint-Barthélémy :

Ailleurs, la cohésion sémantique est moindre, car il faut attendre la mention du « dégel » hivernal pour comprendre que ‘neige’ et ‘glaciers’ (ce sémème fût-il hyperbolique) ne sont pas des comparants exotiques de /montagne/ pour /ville/ comme dans l’extrait ci-dessus (où « ce terrain glissant et escarpé » assure la cohésion), mais servent comme le genre l’exige à dramatiser l’action, par un rebondissement indexé à l’isotopie /danger de circulation/ :

On note que même dans le roman d’action, les isotopies aspectuelles /itératif/ (‘habitué à courir’) et /singulatif duratif/ (‘le faisait courir’) activent /imperfectif/ (dans la surface glacée) dont on mesurera l’importance dans le corpus de poétique.

A contrario, le moi autobiographique de Flaubert dans Novembre (1842) n’est pas orienté vers l’action mais vers le désir et l’accumulation de spectacles exotiques et dynamiques. En sorte que l’isotopie mésogénérique (référentielle) /curiosités touristiques/ est indissociable de l’aspect itératif et du mode optatif, où se révèle un René romantique [18], ici dans sa version nordique :

Néanmoins ici la fonte concerne l’audition, contrairement au spectacle visuel plus doxal dans Madame Bovary, et ce d’autant plus qu’il a la fonction du cliché romantique, par la théorie de l’inspiration naturelle – un de ces clichés qui fascinent Emma depuis son adolescence au couvent, comme est aussi prisonnier Homais de ses préjugés :

Cela confine au ridicule de l’appétit scientifique, géologique, dans Bouvard & Pécuchet [19] :

Le cas /causatif/ propagé à ‘glaciers’ l’est dans une hypothèse relevant du style indirect libre (‘devaient provenir’), qui ressortit à la composante dialogique, dont se distancie le narrateur, par le passé simple. Cela va à l’encontre de l’isotopie /scientificité/ typique du roman de Verne. Avant de passer à ce corpus, mentionnons les emplois du corrélat neigeux. Porteur comme le mot vedette du stéréotype, à travers son sens figuré (la multiplicité pléthorique), les deux rares contextes suivants traduisent un renoncement à l’originalité dans l’emploi du mot :

Si l’on est surpris de ne pas trouver cette dernière expression dans le contexte pré-alimentaire du Ventre de Paris (cf. sur ce site notre étude), on ne l’est pas de lire l’association avec la bêtise :

Revenons au mot vedette, chez Verne. On retrouve le syntagme corrélé « blocs erratiques », cette fois pour montrer la force fascinante de la nature, non pour stigmatiser des attitudes humaines. Dans cette contemplation, effectuée aux temps du récit et en focalisation interne, la géologie le cède à l’esthétique. L’émerveillement se justifie devant l’immensité de la chaîne andine, le danger local restant limité au mode hypothétique :

Concernant l’isotopie géologique, on relève ensuite l’afférence /didactisme/ pour des prévisions météorologiques frappées du sceau de la certitude dogmatique. De sorte que le présent de vérité générale traduit une connaissance d’expérience antérieure du locuteur :

Toujours sur l’isotopie /danger/, le domaine de l’alpinisme se substitue à celui de la météorologie marine, au cours de rebondissements dramatiques :

Du fait que la crainte de « la chute des masses neigeuses suspendues » est une lexicalisation de l’avalanche, il paraît artificiel de couper ces extraits des suivants où l’événement destructeur est crédité du cas /résultatif/ relativement à une secousse sismique préalable :

Toujours dans le cadre de la navigation et du voyage éducatif dont elle est l’occasion, le glacier, en tant qu’élément géographique d’une île, est indexé à l’isotopie /repérage/, du haut d’un cerf-volant, selon l’idée qui a obsédé le jeune Briant, jusqu’à la réalisation de cet instrument astucieux d’observation et d’orientation. La toponymie de Deception-bay permet d’activer par antiphrase l’isotopie /espoir/, en faisceau avec la précédente :

A posteriori, en fin de roman, la confirmation de l’exactitude du repérage de Briant par le narrateur qui reprend ce contexte, distant de plus de 80 pages, en le corrigeant :

est une stratégie de redoublement de l’information géographique destinée à accréditer l’impression de réalisme empirique, par la création d’une cohérence interne du roman fondée ici sur la reprise de données spatiales – à quoi s’ajoute la présentation chronologique au jour le jour, sous forme de carnet de bord.

Le sérieux assumé, aux antipodes de la dérision de Bouvard & Pécuchet, est manifeste dans le passage suivant où parlent les deux professeurs Fridriksson et Lidenbrock, lequel est l’oncle du narrateur-je qui délègue la parole à ces deux spécialistes, selon l’une des normes du roman réaliste [20] :

On note que la certitude caractéristique des deux savants s’oppose à l’isotopie /hypothèse/ du roman précédent destinée à percer le mystère d’un emplacement dans l’île, l’incertitude étant par la suite dissipée par le narrateur omniscient. En outre, la saillance du sème /locatif/ est d’autant plus grande dans ces deux romans qu’ils distinguent une onomastique exotique indexée soit à /anglicité/ (« jeunes colons » pensionnaires), soit à /germanité scandinave/ (fjord, Hans, Sneffels).

D’objet de science, le glacier, toujours contigu d’un volcan, transite dans le taxème //obstacles et épreuves pour le héros//, idiolectal au roman d’aventures, lequel fait ici partie d’un parcours initiatique (à l’endurcissement viril, mais aussi au sacré de la descente au cœur du globe) :

Selon un rêve prémonitoire, au début du roman, avant que ne débute le périple :

Il n’en va pas différemment du roman orienté vers le pôle nord, dont le final conjoint une fois encore le volcan à la glace, le pic statistique de cette chaleur surprenante étant figurée ici par cette copie d’écran du logiciel Hyperbase, qui scinde la roman en 9 sections et permet de ce fait de visualiser la répartition des unités lexicales retenues :

Le décor polaire est indexé à l’isotopie /repérage/ ; quant au /spectaculaire/, il adjoint le dynamisme itératif du danger au statisme de l’immensité, toujours associée à la multiplicité. De là l’afférence /intensité/. Par la suite, le comparant militaire des détonations d’artillerie active l’isotopie /violence/, réitérée plus loin avec le combat défensif des explorateurs contre ces « choc, heurter, lame, acier, lances aiguës, assaut, siège, remparts » :

Pareille généralisation du phénomène au présent de vérité générale témoigne de l’enchaînement de deux registres affectionnés de Verne : /dramatique/ puis /didactique/.

Le finale indexe la destruction à l’isotopie /macabre/, modalisée par l’hypothèse du plausible :

Cela n’a évidemment rien à voir avec la première occurrence du roman où la quantité des provisions alimentaires embarquées sur le Forward requiert le comparant montagnard ainsi dédramatisé. Le sème /abondance/ inhérent à cette chute hyperbolique se dissocie en effet de /destruction/, au profit de l’isotopie /autonomie/ requise pour l’expédition au grand Nord, dont le commencement et les préparatifs s’accompagnent d’une traditionnelle euphorie, fût-elle masquée par la froide énumération des objets emportés, comme l’exige une norme réaliste :

N. B. : En prenant l’exemple du roman alpin d’aventures, dont l’objet est précisément le milieu montagnard, on citera La Neige en deuil (H. Troyat) [24] non seulement parce qu’il est lui aussi un classique scolaire [25], mais parce que n’étant pas inclus dans les banques textuelles numérisées, cet ouvrage n’aurait pas rendu accessible à un moteur de recherche l’attestation du mot vedette en contexte. L’extrait se situe à l’incipit du ch. 8, quand le sauveteur, au nom biblique, tente de redescendre une rescapée :

La même isotopie /danger/ est ici rendue très perceptible par les risques de désorientation, d’avalanche que détecte le spécialiste, et par les comparaisons antinomiques du glacé avec le brûlant (bouillonnement, éruption volcanique).

Émerveillement esthétique et alpinisme sous-marin mêlés, grâce au scaphandre, l’extrait suivant de Vingt mille lieues sous les mers indexe ‘glaciers’ à l’isotopie /contrefactualité/ (‘m’eût fait’). Il ne s’agit pas ici en effet d’une hypothèse scientifique d’éventualité, comme dans des extraits précédents, mais la négation des montagnes réelles et des dangers qui leur sont liés, pour mieux affirmer l’expérience nouvelle que vit le héros [26], ainsi indexé à /audace/, voire /intrépidité/ :

Alors qu’ici la glace a le statut de comparant implicite du comparé (sous-)marin, on constate en revanche que la comparaison peut se trouver inversée, par exemple lors du problème des icebergs qui fait écho à cette promenade pédestre, mais aussi dans un roman terrestre :

On retrouve les afférences /exotisme/ (des différents voyages, par l’onomastique mimétique des lieux visités), /audace/ et /intrépidité/ des protagonistes, qui débordent d’énergie :

Le corpus Verne atteste que le déferlement neigeux sert de comparant non plus à des humains, de façon humoristique, mais, avec gravité, à des phénomènes physiques puissamment destructeurs (dénués de contrefactualité, contra ci-dessus Vingt mille lieues sous les mers) :

Proust, lui, confère au comparant un statut alternativement dysphorique (fatalité et maladie) et euphorique (militaire à Doncières) :

Ici le comparant sert d’amplificateur à la mauvaise météo, en sorte que les sèmes /neige/ et /compacité/ définitoires du phénomène glaciaire sont inhibés par le contexte de la tempête marine. En revanche /puissance destructrice/ et /descente/ sont sélectionnés ; ce sont eux qui permettent de produire le parcours tropique d’une hyperbole. Quant au comparé, il s’agit toujours du « cadre social », préférentiellement mondain, dans lequel se déroule ce dernier volume.

Concernant le mot vedette comparant, sa fonction chez Proust n’est pas comme chez Verne de faire connaître, d’imaginer un nouveau monde, mais d’introduire de façon esthétisante et momentanée la nature (indexée à /grandeur/, /puissance/, /imperfectivité/, /intentionnalité/) dans le monde artificiel, quotidien et banal :

En dehors du domaine militaire, la transfiguration cosmique du paysage urbain de la capitale constitue une insertion passagère d’une réalité transcendante – qu’accentue la permanence du comparant pictural et de l’évocation du problème de la perspective – dans le réalisme empirique, te qu’il est requis par les descriptions dues aux rêveries d’un promeneur solitaire noctambule :

C’est surtout dans le volume antérieur A l’ombre des jeunes filles en fleurs, lors de l’arrivée à Balbec que la métamorphose de la mer personnifiée est remarquable. Si le mot vedette, de par sa position clausulaire, constitue le sommet statique de la période :

la page suivante lexicalise le corrélat neigeux, déjà paraphrasé par le dynamisme sur les vagues, « dévaler l’écroulement de leurs pentes », pour décrire le « paysage accidenté » marin :

Dialectiquement, cette période comporte trois intervalles temporels : T1 /inchoatif-duratif/ de la désignation, T2 /résultatif/ de la promenade extérieure agitée (mais paradoxalement dénuée de risque pour le dieu qu'est le soleil), T3 /duratif-imperfectif/ du retour à l'intérieur (la richesse du soleil s'expliquant par la métamorphose qu'il opère de la mer respectivement en « une topaze » et « un rempart indestructible et mobile d'émeraude et d'or », p. 35). Bref, le deuxième temps où se situe le corrélat relève lui aussi du registre merveilleux. Par assimilation avec le domaine pictural des toscans, mais aussi d'Elstir, qui peignait des matelots « dégringolant des pentes », il s'agit là d’une de « ces métaphores qui expriment l'essence de l'impression qu'une chose produit » (comme on le lisait dans une de ces esquisses publiées dans la Pléiade, p. 974). Soit une esthétique ontologique qui constituait la conception artistique valorisée par le narrateur de la Recherche. [30]

Le domaine sculptural n’est pas en reste. En effet, si l’on se reporte par exemple aux « cheveux noirs crespelés » d'Albertine dont « le relief de leurs boucles » devient « une chaîne puissante et variée, pleine de crêtes, de lignes de partage, de précipices, avec leur fouetté si riche » dignes « d'un sculpteur » (III, 885), on constate que le comparant montagnard est encore lexicalisé. Cela suscite un rapprochement avec le produit laitier glacé que déguste Albertine à l'hôtel Ritz. La couleur de sa glace semble venir tout droit, par hypallage, de la blonde crémière décrite une dizaine de pages plus loin, dont « l'extravagance » consiste aussi en « une stylisation sculpturale des méandres isolés de névés parallèles » (III, 646) :

La polysémie d'acception de ‘glace’ est due ici aux deux isotopies (méso-)génériques /alimentation/ et /montagne/ que ce sémème connecte. L'équivoque est aussi entretenue par la couleur blanc jaune de neige sale, qui rend la comparaison d'autant plus acceptable que « ces glaces au citron-là sont des montagnes réduites, à une échelle toute petite, mais l'imagination rétablit les proportions […] » (ibid.).

Notons que la comparaison marine sera réitérée chez Gracq avec le spectacle festif de « l’océan en été » à marée montante qu’admire Simon attendant Irmgard. La même mer mythologique et euphorisante, qui plus est d’inspiration normande dans les deux cas, constitue le comparé d’une série de visions précieuses (l’émeraude et la mer topaze proustiennes se font ici diamants et perle d’orient, comme chez Sand et Balzac ; par assimilation, le sème /luxe/ est propagé à ‘glaciers’) :

Pareille poésie des extraits de La Recherche diffère cependant de celle qui teintait le premier ouvrage de Proust, Les Plaisirs et les Jours. En effet, le passage du poème en prose suivant intitulé « Présence réelle » faisait de la nature romantique le cadre d’une remémoration d’amour où ‘glacier(s)’, qui n’avait pas le statut de comparant, héritait par défaut de la blancheur, sans le bleu vert qui était attribué au végétal lacustre, lui aussi selon la norme du réalisme empirique :

Cette ambiance peut ainsi être rapprochée de celles de Maupassant. En effet, le journal fictif des deux nouvelles suivantes accroît l’illusion du réalisme empirique. Sur l’eau présente un écrin alpestre qui sert à poser l’isotopie /croisière touristique/ + /quiétude/. Toute la nouvelle est frappée du sceau de l’aspect /itératif/ – le narrateur héros n’étant que témoin des habitudes des lieux visités au fil de sa promenade nautique, le porte-parole des anecdotes les concernant, et des questions que suscitent ses fréquentations – par opposition aux nouvelles suivantes où l’événement narratif implique à un moment donné /singulatif/ ; de là l’impression de « ces pages sans suite, sans composition », publiées in fine :

Dans Aux eaux, journal du marquis de Roseveyre, le statut du décor montagnard est plus complexe car il diffuse sa beauté, son émotion esthétique à la protagoniste convoitée « pour un mois », laquelle, topos du locus amoenus oblige, se déroule dans un cadre naturel aussi aristocratique que le narrateur, qui est finalement « refroidi » par la séparation de cette jeune Berthe qu’il aimait devenue « femme du monde » :

On note non seulement le topos de la jeune fille en fleurs, mais la « fraîcheur de vie », jusqu’au frisson, au frémissement, au trouble qui provoquent une assimilation entre la femme et le décor montagnard : tous deux constituent une « épreuve », l’une pour tester l’aptitude au mariage, l’autre la capacité à survivre dans un « trou » d’altitude. Quant aux comparants de registre merveilleux déjà employés supradans Lélia et Séraphîta, ‘diamant’ et ‘argent’ ‘étincelants’ [33], ils réactivent l’isotopie /luxe/, comme en témoigne la fin de la nouvelle :

En revanche dans L'auberge, le cadre montagnard sert à une progression dramatique aboutissant à une tragédie familiale inversant le calme initial en macabre « mort hivernale ». À la thématique euphorique du mot vedette se substitue donc celle de ‘avalanche(s)’ (cf. ci-dessous), pourtant absent de cette nouvelle. Voici l’incipit dont la toponymie exotique réactive /germanité/ (cf. Chateaubriand, Verne) ici /helvétique/ ; avec Aux eaux, on est en présence des deux seules nouvelles du corpus indexées à cette isotopie :

On note la quantité de précisions descriptives. En densifiant l’isotopie mésogénérique /alpinisme/ comme dans les Enfants du Capitaine Grant, mais ici en dehors d’actions héroïques, elles accroissent l’impression référentielle, partant l’effet de vraisemblance. Il en va de même d’un extrait de roman, Une vie, où le voyage exotique tente de dissiper la mésentente du couple :

Le décor montagnard, en tant que lieu de contemplation (cf. Aux eaux) et de recherche, est un thème central, à la différence de la nouvelle Qui sait ? – interrogation servant d’abord à poser un problème de psycho-pathologie – où il n’est qu’un comparant ponctuel dont la fonction est de densifier a contrario l’isotopie /sociabilité/, soit une extraversion, qui, dévalorisée par le narrateur, valorise ‘glaciers’ en lui propageant les afférences /introversion/ (cf. les « objets inanimés prennent, pour moi, une importance d'êtres »), /isolement/ (cf. « tous mes domestiques couchaient dans un bâtiment éloigné ») :

Enfin, dans Un cas de divorce, thématiquement proche par la reprise du problème psychologique, le cas clinique d’un accusé est connecté rétrospectivement à celui du fantasque Louis II de Bavière. Dans cet extrait aussi ‘glaciers’ – dont le sème /blanc brillant/ devient perceptible par assimilation avec les cygnes au lac d’esthétique wagnérienne – n’est mentionné qu’incidemment dans une énumération où il s’intègre au taxème socio-culturellement normé //caprices// :

Concernant le corrélat neigeux, le ton oscille du dramatique de la douche qui refroidit le prétendu fou à qui l’on a enfilé « la camisole de force », sur l’isotopie /pathologie/ (qui prolonge le climat de scientificité et de psychologisme fin de siècle), au tragique milieu alpin :

en passant par le réalisme d’un incipit où l’avalanche a valeur hyperbolique pour la chute de neige lors d’un « hiver terrible » :

Systématiquement le genre réaliste cultive le spectaculaire, à l’instar du roman d’aventures ; rares sont les extraits qui ne recherchent pas l’effet, comme le suivant de P. Louÿs (La femme et le pantin – Roman espagnol, 1898), où seule est attestée l’acception littérale, détail quasi-anodin :

On notera qu’une des Complaintes de Laforgue s’amuse d’un tel incident :

Dernier romancier à être convoqué pour cette étude lexico-textuelle, Gracq – déjà cité pour La Presqu’île – fait du glacier un lieu de danger, mais pour une raison moins doxale que celle des domaines //météorologie// ou //alpinisme//, même s’ils sont requis dans le long passage suivant du Rivage des Syrtes, qui se situe au moment de la croisière fatidique (chap. 9), laquelle aboutit au pied du « volcan Tängri », de la côte ennemie. En effet, d’une part son sommet blanc et froid – mais aussi sa lave brûlante prête à se répandre – [35] incarne l’agressivité des habitants du Farghestan, vu des Syrtes ; de là son sème casuel /causatif/. D’autre part, son sème /dissimulation/ que le narrateur (et héros Aldo) interprète comme signe apocalyptique dans un calme précédant la tempête (cf. supra le panache cité, ici paraphrasé par cette : « corne d’une matière laiteuse », flottante, et dont le bleuâtre, contigu de la masse glacée depuis Verne et Proust, est une couleur, qui, avec /brillant/ de ‘brasillante’, ‘étoile’ et ‘phosphorescente’, unifient les espaces montagnard et marin voire céleste). Il va de soi que ces sèmes /causatif/ et /dissimulation/ ont une portée à l’échelle globale de ce roman, dont l’enjeu pour le narrateur-héros consiste à analyser les éléments déclencheurs d’une réactivation des hostilités mystérieuses entre deux pays, dont le volcan neigeux pourrait ainsi être l’emblème :

En dépit du signe fatal de sa « pureté mortelle », la connexion métaphorique entre ‘glacier’ et ‘étoile’ via ‘phare diamanté’ qui remonte à sa première apparition, depuis l’île de Vezzano, met en relief le faisceau isotopique /hauteur/, /brillant-éclairant/, /merveilleux/ (la matière comparante a la dureté du joyau, non la future mollesse de « certains champignons vénéneux », infra) :

Dans Un balcon en forêt, roman postérieur, l’évaluation /dysphorie/ du lieu est confirmée, mais celui-ci, indexé au sème /époque/ des ères géologiques, a le statut de comparant pour la capitale en temps de guerre, qui n’échappe pas au froid macabre qui va au-delà du simple hiver :

Ce mot, dans Un beau Ténébreux, est au contraire vecteur d’envoûtement vers des espaces exotiques de la chaîne andine que l’on avait quittée avec Verne :

Concernant le corrélat neigeux, ces romans sont aussi représentés. La majorité des emplois du mot évoquent la venue brutale de la mort, au lendemain de la seconde guerre mondiale :

Ce thème de la fatalité est aussi celui qui structure le roman le plus célèbre de l’auteur, avec une autre contradiction interne, celle de /dynamisme/ malfaisant au sein de /statisme/ bénéfique, selon l’opposition du paraître mélioratif vs l’être péjoratif, dans une stratégie de dissimulation :

La conséquence de l’acte d’Aldo fût-elle macabre, il n’en détient pas moins un caractère de nécessité et de plénitude qui le justifie. Voilà pourquoi le locuteur lui confère a posteriori une évaluation positive. Il en va à l’inverse du loisir d’hiver auquel s’adonne le héros Grange en compagnie de celle qu’il aime, Mona ; en effet, ‘fauchant’ confirme l’afférence /macabre/ du phénomène comparant, de par le contexte global de l’attaque militaire imminente

Mais le sème typique /hauteur/ du mot n’est pas le seul à être sélectionné, et dans Autour des sept collines (italiennes), c’est le sème /assemblage serré/ qui fonde la comparaison du milieu végétal avec le nival :

Dans Libertégrande, c’est l’urbanisme qui donne matière à rêverie, et après la reprise de l’isotopie /luxe/, la phraséologie épaule de glacier est défigée par l’érotisation de « dénude familièrement la blancheur incongrue » [38], qui induit la réécriture en peau féminine, avant la comparaison avec un animal nocturne :

Toujours dans Liberté grande, « La barrière de Ross » débute par une ambiance romantique qui n’est pas sans rappeler Maupassant supra pour l’idylle en Suisse, et le Gautier d’émaux et Camées infra pour le cadre polaire :

Exotisme boréal encore dans Lettrines avec les comparaisons péjoratives ou militaires suivantes :

En revanche Gracq (ibid.) aime aussi mélanger les climats opposés en prenant un comparant montagnard pour un comparé méridional :

Dans le passage suivant des Carnets de grand chemin, ce sont les glaciers eux-mêmes qui héritent d’un tel « luisant armé » qui pointe, sur l’isotopie comparante /religion/ (que motivent la hauteur et la luminosité, qui est aussi une afférence du mot) :

L’errance exotique (ibid.) s’achève par un retour en France où l’isotopie /résultatif/ (+ /douceur/) du minéral ‘asséché’ implique /causatif/ (+ /puissance/) du ‘glacier disparu’, au même titre que le corrélat ‘moraine’, supra. Quant à son sème inhérent /hauteur/, il est ici activé par l’ascension euphorique vers la luminosité :

La poésie des lieux n’empêche pas de lire l’univers glaciaire lui-même comme le comparant de la mer (cf. supra La Presqu’île). Quant à l’étrangeté apparente du « ruisseau magnétique de son regard qui coule à pleins bords entre les maisons comme la salive acide d’un glacier », elle disparaît par assimilation entre la jeune fille « inabordable » (titre de ce fragment de Liberté grande), comparée, et l’un de ces « glaciers inaccessibles », comparant au même titre que la liquidité (salive, coule, ruisseau) dont il est l’origine [39]. L’image relève quasiment de l’esthétique surréaliste, mouvement poétique à propos duquel les matières de Breton sont décrites dans Préférences ; mais contrairement à la nature gracquienne des contextes précédents, les afférences /menace/ (inhumaine), /sauvage/ et /masculinité/ y sont dévalorisées :

Enfin, dans En lisant, en écrivant, le christianisme thématisé chez un autre écrivain requiert l’isotopie comparante /géodésie/ pour faire ressortir l’isotopie /repérage (délicat)/ – fortement attestée chez Verne – aussi bien dans l’univers littéraire (« s’en ferait quelque idée ») que géographique (« esquisser la carte », laquelle, par le résultat du ‘relevé’ topographique, implique de nouveau le cas /causatif/ des ‘glaciers disparus’) :

Plus d’une fois, l’œuvre de Georges Bataille renvoie au paysage spirituel du christianisme aussi fidèlement que le relief de la médaille au creux du moule. La religion de Jésus — et son climat affectif surtout — fût-elle oubliée, qu’on s’en ferait encore quelque idée d’après le négatif que sont ses livres, tout comme on peut esquisser la carte des anciens GLACIERs rien qu’au relevé des portions de continent qui se soulèvent.

Qu’en est-il du corrélat neigeux dans la prose essayiste ? La critique littéraire fait alterner les deux évaluations :

On lit d’ailleurs dans Les Chants de Maldoror une amélioration paradoxale :

Qu’en est-il du corpus théâtre ? Que ce soit chez Gracq où, dans le contexte médiéval le chevalier héroïque, Perceval, revendique l’osmose avec les forces vitales de la nature [Sont ainsi sélectionnés dans le comparant ‘avalanche’ les sèmes /puissance/, /dynamisme/, mais inhibés /destruction/, voire /descente/ dans ‘dévale’] :

chez Rostand où la bravade justifie l’exagération :

ou chez Musset qui fait du phénomène naturel une force progressive et progressiste (reposant sur la phraséologie à petites causes grands effets déjà lexicalisée supradans Le Chevalier d'Harmental), l’évaluation ne peut être que positive :

Passons maintenant au corpus de poésie versifiée, en revenant au XIXe. Dans la topique romantique, notamment d’un Vigny dans Eloa ou la sœur des anges – Livre mystique, s’inspirant de mythes bibliques, l’ascension montagnarde est idéalisée par la douce virginité blanche pour reconduire à la spiritualité divine, en osmose avec le désir poétique (cf. « la céleste lyre ») :

Même thématique dans le Musset des Premières poésies et de la Confession d'un enfant du siècle, où la chasse dans les hauteurs pures est prolongée par une élévation aérienne :

En revanche la tonalité est plus dysphorique dans A mon Frère, où le poète, préoccupé de son Moi affectif, évoque, « désolé », les souffrances de son « pauvre cœur ». La comparaison de son triste sort (« Ces lieux où j’ai failli mourir ») avec la fonte d’une hauteur blanche et glacée (soudaine et perfective [42], contrairement à l’étendue imperfective de Vigny) qui sombre dans l’abîme soude les dimensions /matériel/ (Nature) vs /spirituel/ (sentiment) :

Cette dernière expression est récurrente chez Hugo dont la poésie cosmique laisse libre cours à son « esprit riche en métamorphoses », fondé sur une série d’antithèses : antonymes /solide/ (‘glacier’) vs /nébuleux/ (on retrouve en effet la nébulosité qui aboutit au ‘lit moelleux’ de Vigny, mais ici dénué d’angélisme) vs /liquide/ (‘torrent’) vs /igné/ (‘ruisselant en lave’, ‘cratère’ [43]), /pureté céleste/ (‘splendeurs sidérales’, ‘suspendu’, ‘sublime’) vs /impureté terrestre/ (‘croule’, ‘fange’), /spiritualité/ (‘mon esprit’) vs /matérialité/ (‘fange’, ‘chaos’), /transparence/ (‘prisme’) vs /opacité/ (‘flots mêlés’, ‘chaos’) ; à quoi il faut adjoindre au niveau aspectuel la paire /inchoatif/ + /imperfectif/ par la comparaison avec ‘une aube éternelle’ :

Si l’inversion dialectique à la base de la métamorphose peut ainsi être soit méliorative soit péjorative, en revanche le comparant naturel hyperbolique requis par le héros épique, est valorisé, en dépit de la violence. Ainsi la proportion (l’eau résultative est à la masse glacée ce que la mort est au guerrier) signifie une nécessité implacable ; notons que l’afférence /liquéfaction/ inhérente à la fonte est contredite par la dureté des armes (épée, lance, hache) et de la mort :

Ajoutons que la cohésion sémantique de la comparaison ne repose pas seulement sur les sèmes /surface réfléchissante/, /dureté/, /puissance/, /nécessité/ de l’arme, mais aussi sur l’âge avancé du héros : les sèmes /longue durée/, /imperfectivité/ sont ainsi sélectionnés dans le comparant glacé.

Le titre du poème « Mercenaires » entraîne une syllepse sur ‘argent’ dont le sème /brillant/, avec la métaphore du flot, ainsi que cette « garde impériale suisse » associée au ‘Mont-Blanc’, assurent la cohésion avec ‘glaciers’, lequel réitère la rime logique avec ‘acier’ de ce régiment de hallebardiers (cf. ci-dessous encore le bellicisme dénoncé par les mêmes ‘piques’). Or précisément l’argent corrupteur confère la salissure à la pureté montagnarde, ainsi dévalorisée par sa ‘chute’ morale, dénoncée dans un engagement poétique :

Le décor glacé qui sert d’origine à la garde suisse impériale lui confère « quelque chose de froid, de sépulcral », dans une dépréciation sensible à l’échelle globale du poème, avant de redevenir arme de défense de la montagne Vierge contre ces hommes qui l’ont trahie.

Puissance de l’être (l’ouragan humain) contre celle de la nature blanche, tel est le défi auquel se complaît l’épopée, avec ce paradoxe que la créature « obéissante à Dieu » doit combattre ces éléments qu’il a créés, comme une épreuve héroïque :

Si l’avalanche est un comparant plus spectaculaire que le glacier statique (ainsi absent du corpus théâtre), il est au moins aussi poétique, comme suffirait à le confirmer le seul corpus hugolien. Notamment à propos de la noblesse du nid d’aigle, impérial (sur l’isotopie politique), et dont la puissance sert à intimider les adversaires européens, d’après le voyage qu’effectue l’humble JE :

La puissance destructrice militaire, ici orientale, fournit une comparaison plus stéréotypée :

Cet animal éponyme, symbole d’ignorance ou de culture livresque mal comprise, est indexé à l’isotopie /perdition/ des grandeurs cosmiques énumérées ; Hugo avoue en effet avoir « remué

Plus défaitiste est le contexte de « l’expiation » en Russie, dans une épopée à la gloire de Ney opposé aux cosaques. Le poème hérite par assimilation de la dysphorie de « Waterloo, morne plaine », qu’il précède :

Ici l’avalanche comme le granit sont des comparants antithétiques de l’isotopie /animé/ (verdure, oiseau, humanité), forces obscures opposées à la lumière, idéale et divine, dans ce poème Lux. Prédiction apocalyptique plus amplement thématisée dans un autre recueil, où est aussi dénoncée la suprématie injuste qu’exerçaient les prêtres de Rome. Seule la « Chanson des oiseaux » conserve une euphorie, notamment par le sème /ascension/ activé par assimilation avec les hauteurs, qui conjure les ‘écroulements’ (ibid.) [50] et descente aux enfers :

Les sèmes /froid durable/ (‘hiver infini’) et /macabre/ sont activés dans le blanc de deuil, de ‘décombres’ et de ‘suaire’ [52] (« les neiges font de cet horizon quelque chose qui semble un dedans de cercueil »). Il ne s’agit plus d’une pure blancheur, force antinomique de la noirceur diabolique, de sorte que par assimilation avec les éléments du taxème idiolectal //grandeurs cosmiques// ‘gouffre’, ‘enfer’, ‘abîme’, ‘précipice’, ‘crevasse’ [53], pourtant indexés à l’isotopie /chute/, le sémème ‘glaciers’ (« ange-vierge » déchu, renvoyant au « vieil ange Hiver. Il est le seul Qui connaisse les plis ténébreux du linceul ») subit la dévalorisation du Mal qui « va salir les cieux » et n’épargne donc pas la hauteur montagnarde.

Le bucolique virgilien de l’esthétique végétale inhibe la dysphorie du phénomène, pour ne laisser subsister que l’antithèse /finesse/ + /printanier/ vs /massivité/ + /hivernal/ de la métaphore hyperbolique typiquement hugolienne :

Mais cette massivité est traditionnellement du côté des héros militaires (« Pompée, César, les Nérons », i. e. « ces nains géants »), ici auditive autant que visuelle ; or contrairement au registre épique, le poète intimiste la dévalorise par rapport à « Dieu, les roses et l’amour » :

Pareille comparaison hyperbolique vient mettre à mal le réalisme empirique avec lequel le piège de L’oiseleur de Maupassant est décrit, dans ces rimes écrites vers 1880 :

Si les sèmes /massivité/ + /descente/ sont hérités du type, il n’en va pas de même du sème inhérent /blanc/, inhibé par le plumage bariolé des comparés.

Pour en revenir au mot vedette, la « Malédiction » lancée par le titre du poème consiste en une noirceur agressive souhaitée sans prise face à la texture lisse de l’arme blanche (on retrouve la hache d’acier d’Eviradnus), toujours par antithèse, ici chromatique :

Il faut néanmoins attendre un autre recueil pour que l’étendue glacée (avec inhibition contextuelle du sème inhérent /ponctuel/ de son dynamisme) devienne le comparant du « suaire », sur l’isotopie /macabre/ inhérente aux victimes de la guerre de 1870 :

Quant à la traîtrise des belligérants, elle se concrétise par la fragilité du bloc glacé, dont est victime l’ours « France d’Austerlitz » au profit de ses ennemis :

Toutefois cette fonte est revalorisée quelques vers plus loin, dans un chant de victoire, par la naissance de l’or solaire, spiritualisé, toujours à propos du ‘conquérant’ qui soudain « voit l’idéal qui sourit ». Il va de soi que le passage en coq-à-l’âne de l’isotopie dimensionnelle /humain/ à /inanimé/ de la nature implique des connexions métaphoriques entre l’une et l’autre : « Il tremble, et n’ayant pu le tuer, il l’adore. Le glacier fond devant le rayon qui le dore. » (ibid.)

N.B. : Dans l’un de ses Contes cruels (1883), Villiers de l'Isle-Adam reprend cette inversion dialectique méliorative de la fonte. Comme dans le poème de Musset ci-dessus, la comparaison unit les sèmes dimensionnels /matériel/ (Nature boréale ; cf. infra Gautier) vs /spirituel/ (sentiment dysphorique), l’éclat solaire dissipant cette ‘pâleur’ macabre :

Déjà Flaubert, dans La Tentation de saint Antoine (1849), seule pièce de théâtre comportant le mot vedette, connectait ces deux dimensions, au cours d’un échange indexé à l’isotopie mésogénérique /métaphysique/. Les sèmes du comparant montagnard /destruction/ et /puissance/ (cf. chez Proust supra la brisure gigantesque) sont sélectionnés par le comparé humain évoquant la faiblesse mentale :

Pour parodier la noblesse des hauteurs, la Complainte des condoléances au soleil ironise, de façon décadente et « fin de siècle », sur ce reflet en blanc majeur :

Ici Laforgue, par son irrespect du pur éclat céleste, rompt avec l’évaluation méliorative des deux occurrences suivantes relevées chez Baudelaire, d’abord dans Les Phares où chaque quatrain est consacré à l’univers d’un peintre :

Par le contraste du clair-obscur pictural, les sèmes /luminosité/ + /céleste/ sont activés par assimilation avec ‘anges’, tandis que /surface réfléchissante/ assure la cohésion avec ‘miroir’ [55]. Triplet sémique récurrent dans Incompatibilité où l’énumération descriptive met au premier plan l’isotopie visuelle du poète peintre, toujours spiritualisée :

En revanche dans ce quatrain du Serpent qui danse, l’auditif le dispute au gustatif :

La molécule la plus perceptible, du moins pour ses trois premiers sèmes constitutifs, /épanchement/, /liquidité/, /mouvement/, /descente/ [56] doit être articulée par le cas /résultatif/ au groupement contraire définitoire des ‘glaciers’ (dont le sème /terrestre/ l’oppose au ciel liquide du vin), comparant inanimé du comparé humain ‘dents’ : /rétention/, /statisme/, /solidité/, /blancheur brillante/, molécule inversement liée au cas /causatif/. Le passage de cette molécule à la précédente figurant une inversion dialectique.

Si c’est dans le corpus poétique que le remaniement du sémème est le plus perceptible, c’est chez Baudelaire qu’il est particulièrement remarquable pour le corrélat, non dans le contexte d’un paradis artificiel où l’euphorie engendrée par les couleurs met en relief le sème /expansion/ :

ni dans Le goût du néant où la dysphorie contraire requiert la personnification de la faucheuse, qui tue dans la durée imperfective (cf. ‘minute par minute’, rimant avec ‘chute’, laquelle met en relief le sème inhérent /descente/ de ‘avalanche’, par assimilation) :

mais dans Tristesses de la lune. En effet le sémème non seulement perd son sème inhérent /destruction/ [57] de par sa mollesse et son « dos satiné » qui incitent à en faire le comparant des « nombreux coussins », mais hérite par le biais de cette douceur l’afférence /sensualité/ de la « beauté » nue qui la « caresse », ainsi que son contraire /spiritualité/ par le monde sentimental post-romantique que suscite l’élévation vers « la Lune » (cf. « tristesses, rêve, visions blanches qui montent dans l’azur comme des floraisons » – réécrites ‘nuages’, lequel manifeste donc le passage du tactile sensuel au visuel marquant la distance). On note que cette isotopie céleste est assez paradoxalement le comparé du comparant terrestre [58] :

Les trois extraits concernant les glaciers baudelairiens se situent thématiquement dans le sillage de Gautier, inspirateur des Fleurs du mal. Citons sa célèbre Symphonie en Blanc Majeur, où ce sont toutes les autres matières qui servent de comparant à la froideur nordique immaculée. Ce déterminisme des sèmes macrogénériques /humain/ (‘femmes’ à parure blanche festive), /animal/ (‘cygnes’), /végétal/ (‘camélias blancs’), /textile/ (‘satin’, ‘dentelles’), /minéral/ (‘albâtre’), mais aussi /divin/ (‘Madone des neiges’) fait oublier le littéral et trop banal /inanimé/ du décor polaire. Il reconduit aussi au céleste par le blanc ‘clair de lune’ ou « la goutte lactée tachant l’azur du ciel d’hiver ». Quant au sème afférent /mystère/ des ‘glaciers’, blocs conservateurs (‘secrets gelés’), il est indexé au comparant mythologique (‘sphinx blanc’) et artistique (‘sculpta’). Du fait que la fonte est d’autant moins possible qu’elle est souhaitée, et en dépit de la métamorphose en cygne (animal activant le triplet /locatif/, /liquidité/, /mouvement/), la molécule précédente /rétention/, /statisme/, /solidité/, /blancheur brillante/ est ici rendue saillante :

De leur col blanc courbant les lignes,
On voit dans les contes du Nord,
Sur le vieux Rhin, des femmes-cygnes
Nager en chantant près du bord.
Ou, suspendant à quelque branche
Le plumage qui les revêt,
Faire luire leur peau plus blanche
Que la neige de leur duvet. [59]
De ces femmes il en est une,
Qui chez nous descend quelquefois,
Blanche comme le clair de lune
Sur les GLACIERs dans les cieux froids ;
Conviant la vue enivrée
De sa boréale fraîcheur
A des régals de chair nacrée,
A des débauches de blancheur!
Son sein, neige moulée en globe,
Contre les camélias blancs,
Et le blanc satin de sa robe
Soutient des combats insolents.
Dans ces grandes batailles blanches, […]

Les blanches dentelles des vasques,
Pleurs de l’ondine en l’air figés ;
L’aubépine de mai qui plie
Sous les blancs frimas de ses fleurs ;
L’albâtre où la mélancolie
Aime à retrouver ses pâleurs ;
Le duvet blanc de la colombe,
Neigeant sur les toits du manoir,
Et la stalactite qui tombe,
Larme blanche de l’antre noir ?
Des Groenlands et des Norvèges
Vient-elle avec Séraphîta [60] ?
Est-ce la Madone des neiges,
Un sphinx blanc que 1’hiver sculpta,
Sphinx enterré par l’AVALANCHE,
Gardien des GLACIERs étoilés,
Et qui, sous sa poitrine blanche,
Cache de blancs secrets gelés ? [61]
Sous la glace où calme il repose,
Oh! qui pourra fondre ce cœur!
Oh! qui pourra mettre un ton rose
Dans cette implacable blancheur!

Impossible encore de ne pas établir un lien transgénérique avec un roman de Zola [62], Au Bonheur des Dames(1883), dont le réalisme transcendant se manifeste par l’insertion, au sein d’énumérations interminables de tissus stockés dans le grand magasin, de comparants naturels hyperboliques (« l'infini des steppes, montagne, glaciers, éboulements de neige, coulaient à flots, pyramides, floraison jaillissante, bouquet énorme ») et d’oxymores, notamment dans le mélange eau-feu (neige et ‘glaciers allumés’ de ‘la flambée blanche d'un incendie’), absent du poème de Gautier. La matière textile, ainsi comparée, acquiert une portée médiatrice. Elle a pour effet, sinon pour fonction, de commettre une entorse au dogme matérialiste du naturalisme par la remontée romantique du terrestre au céleste (cf. « firmament du rêve », « envolée de cygnes », la virginité), par la poétisation religieuse et merveilleuse de tels objets, due à la contemplation d'une telle profusion. Pareille « blancheur éblouissante d'un paradis » a pour fonction de célébrer, dans ce chapitre final, le triomphe capitaliste de Mouret, puisqu'il s'agit de « fêter l'inauguration » du grand magasin (on retrouve la paire d'isotopies /inchoatif/ + /euphorie/) :

En revanche dans Une Page d'amour (1878), le réalisme empirique se manifeste par le cliché du voyage à la montagne accessible à la petite bourgeoisie, dans le cadre de l’intimité de l’héroïne Hélène avec ses voisins les Deberle (isotopie /snobisme/), qu’imitent les enfants, jouant aux adultes (isotopie /jeu familial/ et /insouciance/) [63] :

On notera que la relation de cause à effet de ce dernier mot avec ‘glacier’ (vocable ainsi crédité de 3 occurrences dans les Rougon-Macquart) s’établit par le biais de l’exercice physique. Quant au corrélat neigeux, la seule occurrence est attestée dans Germinal, paradoxalement pour une coulée noire et souterraine. Les sèmes inhérents /blancheur/ et /phénomène extérieur/ du sémème sont alors inhibés :

Zola rédige en effet de telle sorte que le vocable est sous-entendu sans être lexicalisé :

Mais revenons au corpus de poésie versifiée, de Gautier, où, dans Le poète et la foule, ‘glaciers’ mobilise le cas /accusatif/, sur l’isotopie mésogénérique /montagne/, au nom personnifié qui régit ses éléments constitutifs :

La personnification féminine par la blancheur inhibe la stérilité précédente au profit de son contraire, la liquéfaction féconde ; sur le plan dialectique, la transformation de la neige en avalanches constitue une opération préalable, laquelle, par assimilation avec le lait fluvial maternel, aussi adoucissant que le climat, perd son potentiel destructeur. L’afférence /maternité/ de la ‘matière laiteuse’ (de Symphonie mais aussi chez Gracq supra) qui sert de comparant à la blancheur glacée réactive la molécule /épanchement/, /liquidité/, /mouvement/, /descente/, dont le sème casuel /résultatif/, connexe de /accusatif/, implique la molécule contraire, mais bien moins perceptible, /causatif/, /rétention/, /statisme/, /solidité/, /blancheur brillante/. C’est par l’écoulement que le ‘pâle front’ (cf. supra « les géants à tête pâle » de Maupassant) et le ‘flanc’ du poète (de la montagne : en haut) opposé à la foule (de la plaine : en bas) impliquent une connexion métaphorique avec la blancheur d’altitude, d’autant plus valorisante qu’elle confère au poète un statut d’exception, voire de guide, conformément à sa fonction romantique [66].

La description du décor originel devient cliché avec ces vers d’A. Samain, où les fleuves (qui ont donné leur épithète « nourriciers » aux rochers, par hypallage) entretiennent une rivalité avec les avalanches justifiée par leurs « cascades de clarté », floconneuses, ainsi que leur puissant dynamisme descendant, dont ils sont le résultat, comme elles :

Plus originale est la personnification des Sapins d’A. France, dualistes par leur couleur (pied blanc, bras verts), comme l’univers de la montagne lui-même, où l’osmose des deux sèmes dimensionnels /végétal/ (cf. le ‘pin des glaciers’ de Chateaubriand supra) et /nival/ (glace, neige et roc) se traduit par le couplage, respectivement, avec les sèmes casuels /résultatif/ et /causatif/ :

Cette inversion des rôles où la vie glaciaire originelle et fertile [69], fondée sur sa valeur conservatrice (cf. le dernier vers « Éternisent en eux les vieux mondes éteints ») s’oppose au printemps délétère (« Mais quand l'air tiédira leurs ténèbres profondes, Ils ne sentiront pas leur être ranimé Multiplier sa vie au doux soleil de mai ») fait la transition avec l’évaluation méliorative que conférait Mallarmé au décor hivernal :

Le sonnet, en particulier, constitue particulièrement une unité phonique et sémantique. En effet, il unifie, outre par les sonorités, les mots signifiant les matières par la blancheur idéale : « le vierge, son pur éclat, le Cygne, le vivace et le bel aujourd'hui, Magnifique, un coup d'aile ivre, l'horreur du sol où le plumage est pris, son col secouera, l'oiseau qui nie, vols, ce lac dur, s'immobilise, l'espace, ce lieu, la région, l'exil, fantôme, hante, blanche agonie, givre ». Or le niveau spatial, si déterminant soit-il, est indissociable du sentimental : « a resplendi l'ennui du stérile hiver, oublié (perte de mémoire), d’espoir, songe froid de mépris, le sentiment d’être inutile ».

En sorte que si « le transparent glacier » comporte l’euphorie de l’absence d’impureté, voire d’imperfection artistique, en revanche la dominante négative « des vols qui n’ont pas fui » et autre mort par figement glaciaire se définit dysphoriquement comme absence de chaleur, de liberté, de dynamisme, de vie, et surtout de créativité [70]. Néanmoins la question initiale sonne comme un défi à la page vierge et stérile.

N.B. : cf. Gracq : « Comme pour la plupart des poètes et peut-être plus aisément que pour beaucoup d’entre eux, on pourrait dresser à partir de ses livres une liste de mots-clés qui ne manquerait pas d’être instructive (les vocables mallarméens : azur, neige, cygne, diamant, GLACIER, s’y verraient remplacés par une série non moins nettement orientée : courant – sensible – magnétique – électif – désorientant – aimanté – champ – conducteur – et bien faite pour mettre l’accent sur cette structure imaginative particulière que nous avons cru déceler). » Ainsi pour André Breton, la tonalité poétique caractérisée par une physique indexée à /dynamisme/, /présence/, /conjonction/ s’oppose à celle de Mallarmé : /statisme/, /absence/, /disjonction/.

Si l’on passe à un autre sonnet, Le Pitre châtié, on constate que dans le dernier vers « Ce fard noyé dans l’eau perfide des GLACIERs », les sèmes /surface réfléchissante/, /hauteur/ font le lien avec les mirettes de la noyade initiale : « Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître ». Il répond en outre aux vers 7 et 8 : « Hamlet ! [71] c'est comme si dans l'onde j'innovais Mille sépulcres pour y vierge disparaître. » Soit une purification par la virginité qui est ennemie du paraître du pitre [72]. La première version du sonnet (1864) que cite Caduc est plus proche de la phraséologie fondre comme neige au soleil en dépit de la froideur persistante, notamment celle des yeux-lacs de l’aimée, qui n’étaient toutefois pas encore un « sépulcre » (la mort n’est en effet thématisée que dans la version définitive de 1867) ; il éprouve ainsi la « fraîcheur » de sa « nudité » :

Nature de chair nue ainsi antinomique des travestissements de l’art (« génie »), révélés à travers les déguisements de « l’histrion » (« habit », mais aussi « suif, fard, crasse »), celui de la « Muse » interpellée et fuie dans cette première version, où l’eau glacée n’était toutefois pas perfide – même si le nageur était déjà « traître » en commettant la méprise de se laver.

Dans Hérodiade, la conclusion apportée par le « Cantique de Saint-Jean » :

Le soleil que sa halte
Surnaturelle exalte
Aussitôt redescend
Incandescent
Je sens comme aux vertèbres
S'éployer des ténèbres
Toutes dans un frisson
A l'unisson
Et ma tête surgie
Solitaire vigie
Dans les vols triomphaux
De cette faux
Comme rupture franche
Plutôt refoule ou tranche

Les anciens désaccords
Avec le corps
Qu’elle de jeûnes ivre
S’opiniâtre à suivre
En quelque bond hagard
Son pur regard
Là-haut où la froidure
Éternelle n’endure
Que vous le surpassiez
Tous ô GLACIERs
Mais selon un baptême
Illuminée au même
Principe qui m’élut
Penche un salut.

met au premier plan « la froidure éternelle » de la mort par décollation du Baptiste, laquelle, en dépit de sa dysphorie, demeure méliorative sur le plan de la création poétique [73] : de là le « frisson à l’unisson ». Le dernier mot du poème ainsi que « là-haut » indexent ‘glaciers’ à l’isotopie /religion/ (cf. le récit des évangélistes, remis à la mode aussi par l’Hérodias de Flaubert, 1877, ou l’opéra de Massenet, 1881, en peinture par les Salomé de Regnault, 1870, ou de Moreau, 1874), avec l’espoir du saint sacrifice que cela implique. On note la double inversion dialectique, du feu (‘incandescent’) à la glace, puis à l’eau de ‘baptême’ indiquant la résurrection.

N.B. : Dans un poème d’Alcools (1913), Apollinaire réactive les sèmes /pureté/, /effet conservateur/, /longue durée/, /imperfectivité/ de ‘glacier’, mais déliés de la dysphorie par la négation de la stérilisation et de l’oubli, au profit du souvenir éternel et de la portée fertile pour les vivants :

Terminons sur Mallarmé. Dans le sonnet érotique suivant [74] :

M'introduire dans ton histoire
C'est en héros effarouché
S'il a du talon nu touché
Quelque gazon de territoire
A des GLACIERs attentatoire
Je ne sais le naïf péché
Que tu n'auras pas empêché
De rire très haut sa victoire

Dis si je ne suis pas joyeux
Tonnerre et rubis aux moyeux
De voir en l'air que ce feu troue
Avec des royaumes épars
Comme mourir pourpre la roue
Du seul vespéral de mes chars

l’isotopie inhérente à ‘glaciers’ qui semble la plus évidemment sélectionnée est /rétention/, lue au niveau moral. Elle mobilise en outre la phraséologie rompre la glace, qui, dans l’adaptation au contexte, constitue un attentat à la pudeur, et active l’afférence /transgression/ (fût-elle acceptée par la partenaire).

Rimbaud, enfin, dans Le Bateau ivre réitère, avant Proust, le comparant montagnard du comparé marin. Dans une antithèse remarquable, il unit les sèmes contraires /glacial/ (marin) vs /brûlant/ (céleste), /hauteur statique/ + /calme/ vs /descente/ + /violence/, /émerveillement/ (accumulations enthousiastes ; cf. ce souvenir des « gouffres cataractant » dignes de la Lélia romantique) vs /horreur/ (‘hideux’), mais par assimilation la luminosité argentée confère une évaluation positive à ‘glaciers’, contrairement à son ambiguïté chez Mallarmé :

évaluation confirmée dans le tout aussi célèbre poème Voyelles, où, par contraste avec noirceur et rougeur péjoratives, l’audition colorée du « E blanc » candide trouve une motivation dans le comparant montagnard altier :

Quant au poème en prose Promontoire des Illuminations, il réitère l’opposition /glacial/ vs /brûlant/ [75] pour évoquer une décoration des façades de grand hôtel :

Avec le corpus rimbaldien, peu représenté pour le corrélat neigeux, qui n’y est attesté qu’une fois, l’exotisme provient des comparaisons mythologiques :

Autant qu’on puisse en décider, l’impression référentielle qui se dégage d’un tel segment permet d’identifier le comparé à une ville (puisque tel est le titre du poème en prose). Leur situation en altitude, qui confine au céleste, n’empêche pas une connexion antinomique avec le marin, que motive précisément la blancheur écumeuse (cf. le topos de « la naissance de vénus ») du milieu montagnard [76]. Si bien que « l’écroulement des apothéoses », dont les sèmes /descente/ et /destruction/ assurent la cohésion avec ‘avalanche’, indique une mimesis de réalisme transcendant où l’auditif le dispute au visuel.

Le corpus surréaliste d’Eluard requiert au moins autant d’effort interprétatif. Ses poèmes de 1932 inhibent le sème /destruction/, mais aussi /opaque/ de la masse qui descend, du fait de la connexion avec « transparente lumière » et/ou le vent :

De même dans l’extrait du poème La nécessité, le poète affirme son pouvoir créateur de « rapports » irrationnels entre éléments a priori contraires. Or « les grottes enchantées » [77] activent par antithèse les afférences /dysphorie/, /convexe/, /recouvrant/ dans ‘avalanche’, selon l’instruction contextuelle de rapports nécessaires entre antonymes. Ajoutons que la cohésion repose sur le lien causal de la chute de neige avec « les fontes du soleil », et l’afférence contextuelle /masculinité/ de ‘avalanche’ (par la violence ?) vs les grottes enchantées féminines :

En 1937, alternent l’abondance doxale, autre forme du « cliché » dénoncé dans ce poème : « Une avalanche de roses, de myosotis et de violettes, […] » et le mystère d’une expérience paradoxale dans le poème L’entente, où cependant le contexte antérieur de « tes yeux » permet d’établir une cohésion avec « ton corps » ; en effet, au ‘fleurir’ des premiers répond ‘cueille’ du second ; quant à ‘couvrent’, ‘enveloppes’ et ‘givre’, ils lexicalisent des sèmes de ‘avalanche’ (ainsi dépourvue de ses sèmes /destruction/ et /dysphorie/) ; telle semble être l’osmose recherchée entre /humain/, /végétal/ et /inanimé/ pour redonner au monde un visage nouveau :

Dans le « Blason des fleurs et des fruits » de 1942, le contexte du fruit exotique à maturité permet d’activer l’isotopie /chute/, par assimilation : « Ananas prêchant l’avalanche ». Alors qu’en 1949 dans un contexte toujours ancré dans la thématique des éléments naturels, la dysphorie est activée avec le sème /destruction/ ; quant au sème /blanc/ inhérent à ‘avalanche’, il est inhibé par l’isotopie nocturne :

Enfin en 1951 revient la sensation d’une destruction imminente :

Concernant le mot vedette, on citera d’abord le poème « Boire » :

Dans la coexistence des contraires – où la rhétorique peut déceler un adynaton – la paire /glacial/ vs /brûlant/ entre, notamment par le biais des trois comparaisons successives, dans une série d’homologations passant du paraître à l’être : /contenant translucide/ vs /contenu désiré/, /distance/ vs /attirance/,/interdit/ vs /transgression/. Ces catégories opposent deux ensembles lexicaux, au-delà d’autres oppositions macrogénériques qui n’ont pas ici valeur distinctive, comme /naturel/ vs /artificiel/ ou /animé/ vs/inanimé/ : ‘verre, pudeur, mousseline couvrant, glacier rajeuni, œil’ vs ‘vin éclatant, ivresse tranchante, seins en rut, jeune fille, soleil, flamme’.

En sorte que par antithèse ‘œil’ subit la propagation de /glacial/ (par assimilation avec /brillance/ non seulement de ‘glaciers’ mais de ‘vin éclatant’), fût-il brûlant, de même que ‘mousseline couvrant’ (par assimilation cette fois avec /surface blanche/). Si cet appel à la nature dans la relation amoureuse repose sur les topoï le vin et l'ivresse brisent la glace ou fondre comme neige au soleil qui assurent la cohésion textuelle, le vêtement, humain ou de haute montagne, semble une apparence fugace, dont la douceur et la pureté innocentes ne sont qu'illusoires.

Dans « à la recherche de l’innocence », si la mise en évidence de la cohérence interne des actions est une gageure, il est en revanche frappant de constater, après Riffaterre, combien le sémème ‘glaciers’ est matriciel, dans la mesure où c’est sa dissémination sémantique qui confère une cohésion à la textualité. En effet, il motive la transparence du décor, les esquimaux, la luminosité brillante, la blancheur immaculée des tourterelles, la fonte finale dont l’adverbe ‘doucement’ motive à son tour la métaphore du ‘cher ange’ filée par ‘les tendres baisers d’une mère’. On décèle ainsi sans mal le dualisme des deux triplets isotopiques /inchoatif/ + /douceur/ + /céleste/ (cf. aussi ‘première aurore’) vs /cessatif/ + /dureté/ + /terrestre/ (‘enterrer’, ‘enfoncer la douleur’, ‘abominables’, ‘édentés’, ‘fragiles’, ‘oubli’), dysphorie socialement normée dans la puissance destructrice des glaciers :

Dans l’atmosphère transparente des montagnes une étoile sur dix est transparente. Car les Esquimaux ne réussissent pas à enterrer la lumière dans leurs GLACIERs abominables. Un moment d’oubli, la lumière se retourne et fixe avec soin les tendres baisers d’une mère modèle. Les tourterelles en profitent pour enfoncer la lune et la douleur dans les arbustes fragiles. Silencieux, le cher ange supporte la prudence des phrases édentées. Il fond tout doucement, première aurore.

Quant au titre suivant, « Poésie ininterrompue », il trouve une justification dans l’isotopie /imperfectif/ (/duratif/) des trois verbes du quatrain, activée dans ‘glaciers’ par assimilation :

Outre ce sème aspectuel, la péjoration est dominante, attribuée au lieu élevé qu’elle dégrade, dans un chiasme, où ‘cruauté’ répond à ‘guerres’, tandis que cette isotopie /violence/ est emboîtée dans /condition économique/ des antonymes ‘misère’ vs‘opulence’.

« Le deuxième poème visible » montre le déterminisme qu’exerce le sémantisme de ‘glaciers’ sur la textualité. En effet, l’inversion dialectique qu’entraîne in fine « le lendemain, les yeux ouverts » avec l’élévation vers les hauteurs alpines, substituées aux « matières rebutantes » (‘mousse, flocons, coraux, glaciers’ vs ‘boues, croûtes, cendres, poils emmêlés’) s’oppose à la chute initiale dans un ‘gouffre’ satanique (cf. ‘666’). Il s’agit là d’une rare occurrence méliorative chez Eluard où est réitérée la paire /glacial/ vs /brûlant/ :

Dans ce qui semble une poésie engagée, « La Somme » (poème daté de 1942) décrit le lieu d’une bataille dont le résultat conduit à la dominance de l’isotopie /dégradation/ (‘griffes’, ‘ternis’, ‘inutiles’, ‘noyées’, ‘morts’, ‘perdu’) :

Toujours surpris d’être vivant
Il laisse aux griffes du besoin
Sa raison d’être
Ses papillons ternis
Ses GLACIERs ses étés déflorés inutiles
Ses étoiles noyées [78]

Ses hommes ses femmes ses enfants
Morts puisqu’ils ne le voient plus
Son brouillard sur le dos
Il n’appartient plus à personne
Il s’est perdu.

Il n’est pas oiseux de constater que l’enchaînement « ne voient plus – brouillard » répond ci-dessus à « glacier – œil sûr et les yeux ouverts » comme si l’afférence /opacité/ du premier faisait obstacle à /lucidité/ du second. La même paire sémique servira ci-dessous à structurer le syntagme « miroirs brouillés ».

Ainsi l’extrait suivant de « Chant de saison » manifeste davantage de cohésion, la nébulosité et « l’arme froide » du climat (qui implique le réchauffement) se traduisant par l’équivalence remarquable de ‘glaciers et brumes’ avec ‘miroirs brouillés’ (via le sème /surface réfléchissante/ et le lexème ‘brouillard’ du poème ci-dessus, aussi péjoratif ici) et ‘yeux regardent à travers leurs larmes’ (de là leur éclat, par opposition avec le terni de la nébulosité) [79] :

Aux plateaux cernés de nuages
Comme aux derniers sentiers du jour
Les apparences se dispersent
Mains de peines et mains de joies
Sous l’ancien ciel ce faux bijou
Se ferment pour se réchauffer
GLACIERs et brumes redoutables
Miroirs brouillés de l’inhumain

Les yeux qui furent l’équilibre
Regardent à travers leurs larmes
Le soleil vêtu de haillons
Comme un oiseau dans des chardons
Sur la colline épaisse et molle
Une arme glisse entre les arbres
Les séparant les isolant
Une arme verte une arme froide […]

Pour conclure cette étude en s’en tenant au mot vedette, la permanence de la cooccurrence du glacier et de la nébulosité (cf. Hugo où le brouillard de confusion en est indissociable) incite à un retour rétrospectif pour vérifier l’évaluation. Parmi les extraits retenus, il est révélateur de constater leur forte teneur poétique, comme si le genre romanesque qui en est dénué ne thématisait pas cette corrélation.

Si la « montagne brumeuse » d’Eloa conserve un angélisme avenant, tel n’est pas le cas de Satan : « Au centre de la brume où tout rayon finit » avec « Ce brouillard gris, pareil à la chute des soirs, Fait peur aux chérubins extasiés et tendres » ; cf. aussi l’Âne : « De l’éternel brouillard sur les glaciers fumant ; L’esprit se perd en vous comme aux gouffres la sonde ».

De même, perpétuant l’euphorie de Vigny, les sapins d’A. France tirent leur vie de la morte saison, « dans la brume et la neige et le givre […] L'hiver les réjouit dans l'engourdissement » ; cependant les aventuriers de la montagne (Troyat) y voient un obstacle à leur progression sécurisée : « un bouillonnement de nuées louches masquait la direction du versant », ou les aventuriers maritimes : « Les vapeurs qui vont se condenser dans les immenses glaciers du pôle sud produisent un appel d’air d’une extrême violence. »

La poésie de Hugo fait le distinguo, au sein des Feuilles d’automne entre deux types de métamorphose, méliorative : « Le nuage se change en un glacier sublime, Et des mille fleurons qui hérissent sa cime » et péjorative : « Jusqu’à ce qu’un rayon de Dieu Le frappe de nouveau, le précipite, et change Les prismes du glacier en flots mêlés de fange ; Alors il croule, alors, éveillant mille échos, Il retombe en torrent dans l’océan du monde », auquel cas la chute violente d’eau rejoint la thématique du corrélat neigeux.

Distinguo doublement surprenant, au niveau évaluatif. En effet, hormis les comparants artistiques, la seule paire d’isotopies /liquidité/ + /résultatif/ confère une valorisation au glacier, qui bénéficie ainsi de la vivacité des eaux vives ou de l’euphorie de la fonte par le soleil : que ce soit dès Chateaubriand avec « des torrents se précipitent, bains, cascades » (ainsi que chez Gautier, Flaubert, mais aussi Verne, bien qu’elles soient plus éloignées du mot glacier du Sneffels), avec « les vastes épanchements de la Sieg » de Séraphîta (en revanche les fjords de Verne sont dramatisés par les éruptions islandaises – alors que la douce ondulation des montagnes et du monde sous-marin confèrent une quiétude au relief d’altitude normalement dangereux), avec « l’eau qui s’échappe du glacier, noyé dans des vapeurs » et les « cimes brumeuses » plus poétiques que maléfiques dans Lélia, avec ses « cataractes » et « flot qui fume », réitérées dans la transparence vaporeuse des glaciers des vagues marines chez Proust, qui évoque aussi le lac de Sils-Maria et les torrents d’Engadine, d’épanchement affectif. Décors aussi attirants et séduisants chez Maupassant, avec les glaciers contigus soit du lac romantique comme celui de Bavière dans l’écrin des Alpes, soit de « ce vallon plein de ruisseaux, plein d’arbres, plein de fraîcheur et de vie, qui descend vers le Rhône ». Gracq n’est pas en reste avec la nappe de crème chantilly, en dépit de la péjoration du Groenland manifestée par « l’eau jaunâtre et bourbeuse des fjords, suintant du glacier comme d’une bouche d’égout », voire « la salive acide d’un glacier ». De même chez Hugo : « Trop près d’Eviradnus, le champion d’acier! La mort tombe de lui comme l’eau du glacier » ; amélioration par le comparant comme dans la dénonciation des mercenaires suisses : « On leur voit sur le corps ruisseler tant d’argent Que ces fils des glaciers semblent couverts de givre » (la fonte étant, elle, ambivalente : traître, sous le poids de l’ours, esthétique avec l’or et l’éclat solaire). Même la liquidité dangereuse des routes de Dumas permet de faire ressortir la dextérité du cocher. Plus complexe que celle de Sand, la noyade artistique du Pitre de Mallarmé avec « Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers » induit une dépréciation. En revanche, l’euphorie est totale chez

Pour mesurer combien cette thématique de poésie versifiée est spécifique, on la rapportera à celle du corpus romanesque, ainsi récapitulée :

Isotopie qui est récurrente dans le corpus de poésie versifiée (cf. l’Eloa de Vigny ou Baudelaire : « des anges charmants […] apparaissent à l’ombre des glaciers »), de même que /religion/ chez Mallarmé (« A des glaciers attentatoire Je ne sais le naïf péché »). Du registre merveilleux avec /métamorphose/ de Hugo (cf. ‘change en’, mais aussi de la Symphoniede Gautier, de Rimbaud dont les glaciers sont les comparants des « écroulements d’eaux », anticipant les mers proustiennes), /osmose/ et /causatif/ (par exemple chez France où les glaciers ne font qu’un avec la vie des sapins), outre /gigantisme/ et /nécessité/ (« Trop près d’Eviradnus, le champion d’acier ! La mort tombe de lui comme l’eau du glacier »), /majesté/ (chez Baudelaire : « Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil, Sur ces rochers altiers » ou Rimbaud : « Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles », depuis les « majestueux paysages » balzaciens ou verniens), ou /déchéance/ (« Apporte dans l’égout le reflet du glacier »; à propos d’un ‘meurtrier’ : « En des glaciers polis comme un tranchant de hache » ; cf. Musset : « il s'est fondu Ainsi qu'un glacier suspendu Sur un abîme » rimant avec ‘crime’), /traîtrise/ (Hugo : « Ainsi l’ours, à vau-l’eau sur le glacier flottant, Ne sent pas sous lui fondre et crouler la banquise »), /emprisonnement/ et /défi de la page blanche/ (pour « Ces transparents glaciers des vols qui n’ont pas fui ! », à tel point que pour Gracq ‘glacier’ relève du vocabulaire indexé à l’afférence /mallarméen/). Outre ces sèmes spécifiques, tel encore /surface réfléchissante/ (qui assure la cohésion entre ‘glaciers’, ‘miroirs’, ‘yeux’ chez Eluard – après le Pitre de Mallarmé – où, par rapport à l’ivresse du verre de vin, il s’inscrit dans l’antithèse /interdit/ vs /transgression/), le dualisme des sèmes dimensionnels /matériel/ vs /spirituel/ est très sollicité, le sémème ‘yeux’ ayant une fonction médiatrice (cf. Villiers : « Et s'éclairer enfin votre douleur distraite, Comme un glacier frappé d'un rayon de soleil. Elle laissa briller sur moi ses yeux funèbres »). Dans tous les cas le comparant ainsi indexé confère une promotion valorisante au comparé moins spectaculaire (cf. chez Hugo sa valeur hyperbolique, fût-elle péjorative pour le décor d’une lutte cosmique : « Solitudes du mal où fuit le grand puni, glaciers démesurés de l’hiver infini », ou méliorative chez Baudelaire avec ces « glaciers grondants » rimant avec « au bord de tes dents », ou chez Apollinaire dont « les glaciers de la mémoire » servent à « fortifier la vie »).

Autant d’isotopies – fondées sur ce que naguère la sémiotique greimassienne appelait les « sèmes contextuels » – qui, loin de ne concerner que le mot vedette choisi, sont significatives de la tonalité des romans et des recueils poétiques, à échelle globale. Cela témoigne donc a posteriori que le mot vedette constituait une entrée de choix dans les banques numérisées.

Hormis quelques exceptions (/angélisme/, /religion/, /causatif/, /osmose/), la thématique du corpus romanesque est distincte du poétique. Elle a ceci de particulier qu’elle comporte des isotopies micro- et mésogénériques (cf. /curiosités touristiques/, /alpinisme/, /art/, etc.). En fournissant un domaine d’activité, une praxéologie qui leur confère un statut éminemment référentiel (cf. Rastier), elles permettent de dégager des signifiés d’attitude ou de caractère des protagonistes (par exemple, si /braconnage/ alors /rébellion/ chez Balzac). Par conséquent, elles introduisent à ce que Barthes (dans S/Z) considérait comme le code sémique par excellence, à savoir celui qui se rapporte à la définition de la personne, la constitution de la molécule sémique des acteurs du récit étant l’une des priorités du genre romanesque. Tel n’est pas le cas des occurrences en contexte poétique, qui ont plutôt pour fonction de servir de comparants, dans lesquels sont sélectionnés des sèmes « d’atmosphère », voire parfois de comportement dans un processus classique de réification qui fait ressortir, de façon hyperbolique, une attitude humaine (cf. ce cœur qui « tout à coup s'est fondu Ainsi qu'un glacier suspendu Sur un abîme » de solitude : la puissance d’autodestruction en ressort d’autant).

Méthodologie : si le mot-vedette justifie le choix de l’extrait où il est attesté, en revanche (a) la limite textuelle relève de la décision interprétative par laquelle on juge que le nombre des interprétants contextuels proches sont nécessaires et suffisants ; (b) les corrélats stables incitent à l’ouverture de nouvelles pistes interprétatives qui peuvent conduire à s’éloigner du mot-vedette. Deux problèmes délicats.


NOTES

1 Elle se fonde sur la recherche des variations. Dans cette sémantique contextuelle du sémème, Rastier rappelle « qu’un signifié linguistique est un groupement stabilisé ou temporaire de traits qui seraient jugés accidentels dans une ontologie » (Revue d’Intelligence artificielle, Vol. 18, n°1, 2004).

2 Chateaubriand est l’initiateur de ce corpus alpestre, même si l’on pouvait lire déjà dans La Nouvelle Héloïse, pré-romantique : « Derrière nous une chaîne de roches inaccessibles séparait l'esplanade où nous étions de cette partie des Alpes qu'on nomme les glacières, parce que d'énormes sommets de glace qui s'accroissent incessamment les couvrent depuis le commencement du monde. » (Glacier et avalanche ne sont pas attestés chez Rousseau).

3 Or il se trouve qu’inversement cette toponymie pyrénéenne sert de comparant à celle des Alpes quand Chateaubriand écrit : « Un peu plus haut, au limbe droit de la Reuss, la scène change : le fleuve coule avec cascades dans une ornière caillouteuse, sous une avenue double et triple de pins ; c'est la vallée du Pont d'Espagne à Cauterets. » Une telle contradiction se lève par l'afférence /riant/ des pins, propagée à ce changement de décor alpin.

4 Cf. Les Misérables (1862) : « L'excès de songe fait les Escousse ». Rappelons que Manfred est ce poème de Byron (1817) qui exalte un sombre et orgueilleux désespoir. Dans Honorine, Balzac fait déjà du comparant montagnard un corrélat du nom propre : « C’était une espèce de Manfred catholique et sans crime, portant la curiosité dans sa foi, fondant les neiges à la chaleur d'un volcan sans issue, conversant avec une étoile que lui seul voyait ! »

5 Celle-ci favorise la relation de causalité entre ‘cascade’ et ‘glaciers’, même si le premier terme est indexé à l’isotopie comparée du monde artificiel /parure/ (‘toilettes’), et non le second (Manfred).

6 Un tel colorisme révèle de façon transgénérique l’esthétique de la poésie parnassienne ; cf. par exemple Hérédia dans Aux montagnes divines : « GLACIERs bleus, pics de marbre et d'ardoise, granits […] Et sur ces sommets clairs où le silence vibre, Dans l'air inviolable, immense et pur, jeté, Je crois entendre encor le cri d'un homme libre !».

7 Autant de matières présentes dans le poème Symphonie en blanc majeur (infra), et dont le rôle défini par la paire sémique /instrumental/ + /sculpture/ confère les sèmes générique /art/ et spécifique /finesse/ aux objets décrits.

8 Cf. la dédicace à Mme de Hanska : « Si je suis accusé d’impuissance après avoir tenté d’arracher aux profondeurs de la mysticité ce livre qui, sous la transparence de notre belle langue, voulait les lumineuses poésies de l’Orient, à vous la faute ! » Le Dictionnaire des Œuvres de Littérature Française (DOLF)  précise que « cet être séraphique se rapproche de l’Éloa de Vigny » (elle aussi associée aux glaciers ; cf. infra). « Poème des immaculées montagnes scandinaves, intégrant un exposé de la doctrine de Swedenborg et empruntant à Saint-Martin l’esthétique de l’Homme de désir, Séraphîta interprète le monde selon les ordres hiérarchisés, échelonnés de la matière à l’esprit. »

9 Cf. aussi Les Contemplations, dénuées de blancheur froide : « Voilà le précipice exécrable où tu sombres. \ Oh! qui que vous soyez , qui passez dans ces ombres, \ Versez votre pitié sur ces douleurs sans fond ! \ Dans ce gouffre , où l'abîme en l'abîme se fond […] Du précipice où sont les larves et les crimes, \ Où la création, effrayant les abîmes ».

10 Selon un topos romantique exprimé quelques pages avant notre extrait : « L'influence exercée sur l'âme par les lieux est une chose digne de remarque. Si la mélancolie nous gagne infailliblement lorsque nous sommes au bord des eaux, une autre loi de notre nature impressible fait que, sur les montagnes, nos sentiments s'épurent : la passion y gagne en profondeur ce qu’elle paraît perdre en vivacité. »

11 Ce verbe corrélé à la chute neigeuse, récurrent chez Balzac (cf. ci-dessous), inspirera aussi Barbey d’Aurevilly à la fin du siècle. Ce comparant énergétique des sujets de conversations se justifie par les passions que déchaîne le thème des puissances dirigeantes : « Après la politique, la haine des Bourbons, le spectre noir de la Congrégation, les regrets du passé pour ces vaincus, toutes ces avalanches qui roulaient en bouillonnant d’un bout à l’autre de cette table fumante, il y avait d’autres sujets de conversation, à tempêtes et à tintamarres. » (Les Diaboliques)

12 Cf. DOLF : « Œuvre romantique : on s’y promène au clair de lune, dans une nature « sauvage et grandiose », on y goûte la solitude d’une « vallée déserte », on y connaît des situations extravagantes — Lélia se retire pendant deux ans dans une abbaye « nue et dévastée » —, on s’y livre aux transports excessifs de l’amour et du désespoir — « Il devint pâle, son cœur cessa de battre » —, qui conduisent aux extrêmes : la débauche et le suicide. Les invraisem-blances de cette intrigue sentimentale dissimulent mal un roman personnel où l’on eut vite fait de relever des résonances autobiographiques au parfum scandaleux : déceptions amoureuses, frigidité. Pourtant, plus que des « faits circonstanciés et précis », Lélia rapporte l’« histoire d’un cœur malheureux » et les tourments d’une génération rongée par un mal du siècle qui reste proche d’une inquiétude métaphysique à la Chateaubriand (René, 1802) ». C’est LE roman de la montagne, et Hyperbase révèle par exemple qu’il contient à lui seul les 7 occurrences de ‘escarpement(s)’ du corpus George Sand.

13 Teinte bicolore qui relève de la phraséologie, donc de la doxa (partant du réalisme empirique), selon le T.L.F., lequel cite en particulier Barbusse (Le Feu), pour illustrer une acception métaphorique : « Au bord, sur le talus et sur le fond, traîne un long glacier de cadavres » ; pareille « référence à la coulée lente » confirme l’importance du sème aspectuel /imperfectif/ qui sera récurrent dans notre étude.

14 Déjà dans Séraphîta l’attraction du gouffre glacé sur la jeune fille (variation sur le topos de la fleur au bord de l’abîme, cf. Rastier, Sens et textualité, Hachette, 1989, pp. 63-64, confirmé par ces vers des Rayons et les Ombres : « Ô mystère profond des enfances sublimes ! \ Qui fait naître la fleur au penchant des abîmes », des Contemplations : « La fleur luit, l'oiseau chante en son palais d'été, \ Tandis que le mourant en qui décroît la flamme, \ Frémit sous ce grand ciel, précipice de l'âme, \ Abîme effrayant d'ombre et de tranquillité ! » ou des Fleurs du mal: « Car je ne puis trouver parmi ces pâles roses \ Une fleur qui ressemble à mon rouge idéal.\ Ce qu'il faut à ce cœur profond comme un abîme, \ C'est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime ») recourt à cette animalisation mythologique : « Le Fjord, jaloux de sa pâture, avait une grande voix par laquelle il l'étourdissait en tintant à ses oreilles, comme pour la dévorer plus sûrement en s'interposant entre elle et la vie. [...] Trop faible pour résister, elle se sentait attirée par une force inconnue en bas de cette table, où elle croyait voir quelque monstre qui lui lançait son venin, un monstre dont les yeux magnétiques la charmaient, dont la gueule ouverte semblait broyer sa proie par avance. » Verne opèrera une variation dans Autour de la Lune : « Leur projectile, dont ils ne pouvaient dévier la marche, courait droit sur cette masse ignée, plus intense que la gueule ouverte d'un four à réverbère. Il semblait se précipiter vers un abîme de feu. »

15 Nous reprenons cette épithète à Mircéa Eliade (Le sacré et le profane, folio, 1965, p. 134) ; elle sera d’autant plus justifiée pour le glacier du Sneffels de Verne, ci-dessous, que ce sommet est la porte d’entrée qui conduit au « Centre du Monde » par la cheminée volcanique, Axis mundi et médiation de « la Montagne sacrée » (ibid. pp. 38-39).

16 Une telle hésitation du JE héros dans le choix des comparants pour qualifier le spectacle de ses ennemis, difficiles à identifier, est conforme au registre fantastique.

17 On retrouve le corrélat indexé à /parure précieuse/ qui féminise et éclaircit la nature, sur un registre merveilleux.

18 Cf. DOLF : « Très imprégné de romantisme, Novembre est une tragédie qui explicite d’emblée l’impossibilité de toute rédemption : « J’ai savouré longuement ma vie perdue. » En outre, l’œuvre dresse le portrait d’une jeunesse inapte à vivre — « Je suis né avec le désir de mourir » —, comme frappée de paralysie avant même d’avoir vécu. »

19 Par l’absence de méthode et l’érudition non maîtrisée des deux protagonistes, cet extrait est bien représentatif de cette « espèce d’encyclopédie critique en farce» (lettre à Mme Roger des Genettes, 18 août 1872) à l’échelle globale.

20 Cf. Hamon, qui, pour redéfinir la mimesis, mentionne ce procédé du cahier des charges du « réalisme textuel » (Un discours contraint, Littérature & réalité, Points, 1982, p. 140) : « La source-garant de l’information s’incarne dans le récit dans un personnage délégué, porteur de tous les signes de l’honorabilité scientifique ». Ajoutons que contrairement à Dumas, Sand, Balzac ou Gautier supra, la description pédagogique par Verne du glacier confirme cet autre procédé du cahier des charges : « la détonalisation du message aboutit à refuser aussi bien toute thématique euphorisante (lieux idylliques, etc.) comme toute thématique dysphorisante (lieux ténébreux, etc.) » (ibid. p. 151).

21 Hyperbase que nous sollicitons pour cette approche de textes numérisés fournit des informations de statistique lexicale qui ne sont pas oiseuses, notamment à propos des normes narratives. Ainsi, il peut s’avérer intéressant de savoir que les 87 occurrences du prénom Axel se situent toutes dans des dialogues, contrairement à l’expression « le professeur », alias « Lidenbrock » (74 occ.), ou encore les 250 occurrences de « mon oncle », toutes employées par Axel en tant que narrateur, de même que la majorité des 14 occurrences du mot « neveu ». C’est là un secteur du vocabulaire qui relève des spécificités les plus fortes de ce roman (au sein du corpus Verne), à la différence de ‘glacier(s)’ qui n’y est crédité que de 7 occurrences – néanmoins les plus nombreuses du corpus Verne.

22 Or on retrouve le même phénomène dévastateur concernant cette fois les mers australes, paradoxalement, telles qu’elles sont décrites supra dans Les Enfants du capitaine Grant : « Les vapeurs qui vont se condenser dans les immenses glaciers du pôle sud produisent un appel d’air d’une extrême violence. De là une lutte des vents polaires et équatoriaux qui crée les cyclones, les tornades, et ces formes multiples des tempêtes » Une telle paraphrase entre passages décrivant des éléments situés aux antipodes révèle l’importance unificatrice d’un tel auto-pastiche.

23 « Un chef-d'œuvre », selon Gracq (Lettrines). Or ce roman de 1866, qui conjoint en deux parties successives I, Les Anglais au pôle Nord (1864) et II, Le Désert de Glace (1865), était annoncé par la nouvelle Un hivernage dans les glaces (1855), perçant le mystère des parages de l’Arctique encore bien mal connus, avec le Sphinx des Glaces (1897) qui situe ses aventures dans cette terraincognita qu’était l’Antarctique.

24 Fidèlement inspiré d’un fait divers, le crash du MalabarPrincess (le 3 novembre 1950) d’Air India International assurant la liaison Bombay-Londres via le Caire et Genève, signant ainsi la première grande catastrophe aérienne civile dans le massif du Mont-Blanc. A ce drame s’ajoute celui des secours chamoniards, dont la mobilisation, en dépit de la météo exécrable, s’accompagne de la mort du guide René Payot, emporté dans une coulée de neige et abîmé dans une crevasse, à près de cent mètres du lieu où une avalanche avait emporté son frère en 1939. On voit que l’héroïsme tragique et le mauvais sort le disputent à l’événement exceptionnel, donnant matière au romanesque. Ajoutons pour en revenir au mot vedette, que les causes de l’accident aérien ne seront jamais élucidées et que le glacier des Bossons, dans sa lente reptation, termine d’en rendre les débris (une roue du train d'atterrissage).

25 Avec l’incontournable Premier de cordée (Frison-Roche), dont les occurrences se situent préférentiellement dans les clausules de chapitres indexées à l’isotopie /menace/, couplée au sème aspectuel /itératif/ : « Sa faction millénaire n'était troublée, de loin en loin, que par le sourd grondement des avalanches ou le fracas plus sec des chutes de pierres qu'un regel trop brusque venait de déclencher. » Le drame du spectacle visuel se répercute ici sur l'auditif, là sur la personnification : « [...] tous deux s'étreignent, se serrent les mains [...] Ils ne songent pas au retour. L'Aiguille Verte ne possède aucune voie facile, et pour redescendre, il leur faudra affronter la verticalité du dangereux couloir Whymper, tout buriné par les avalanches, et les chutes de pierres. » Il n’en va pas différemment pour « les précipices du glacier de Miage » dont le danger est confirmé par la personnification suivante : « Les trois alpinistes attaquèrent la moraine qui se perdait dans un amphithéâtre rocheux à peine discernable ; à droite, le glacier de la Charpoua reflétait des moirures d’huile et les lèvres glauques de ses crevasses souriaient à la nuit. »

26 Cf. quelques lignes plus bas : « Au récit que je fais de cette excursion sous les eaux, je sens bien que je ne pourrai être vraisemblable! Je suis l'historien des choses d'apparence impossibles qui sont pourtant réelles, incontestables. Je n'ai point rêvé. J'ai vu et senti! »

27 Dans un passage du Rivage des Syrtes que l’on a rapproché de celui de Verne par les similitudes lexicales soulignées, le glacier Tängri présente des brumes apocalyptiques : « il était désorientant de voir, sur le volcan si longtemps éteint, monter en ce moment cette fumée inattendue. Son panache qui ondulait maintenant dans la brise fraîchissante en s'y diluant semblait assombrir plus que la nuit le ciel d'orage, maléficier cette mer inconnue ; plus qu'à quelque éruption nouvelle après tant d'autres, il faisait songer aux pluies de sang, à la sueur des statues, à un signal noir monté à cette hampe géante à la veille d'une peste ou d'un déluge. »

28 Prototypique, par le statut de comparant qu’il a ailleurs : « un vieux puits de mine abandonné ouvre sa gueule béante, gouffre sans fond, pareil au cratère d'un volcan éteint. » (Les 500 millions de la Bégum)

29 Il n’est que de citer Genette (Figures I, Seuil, 1966) pour mesurer la portée de l’interaction entre le style, l’art et cette métaphore filée, avec sa variante de l’absence « de démarcation absolue entre la terre et l’océan » dans le « tableau irréel et mystique » d’Elstir. La centralité du problème du point de vue thématisé dans cet extrait (cf. ‘fenêtre’, ‘carreau’, ‘regard’, ‘voir’, ‘apercevais’, ‘près’, ‘grande distance’) montre combien ces connexions métaphoriques reposent sur l’isotopie /cognition subjective/. Cela incite à un rapprochement avec « l’optique » insulaire du jeune héros de Verne (cf. supra : « où finissait la terre, où commençaient les flots, mon œil le distinguait à peine »), certes « ramené au sentiment de la réalité » aventureuse. L’isotopie cognitive se manifeste aussi dans la métaphore des comparants glacier, avalanche, crevasse, gouffre et autre abîme employés pour inventer un décor sous-marin. La profondeur abyssale n’y est alors que l’envers et le prolongement des hauteurs montagnardes.

30 Mais qui n’a pas à être reprise par l’analyse sémantique linguistique, rompant avec l’ontologie (cf. supranote 1).

31 Ce pourquoi J.-P. Richard (Proust et le monde sensible, Seuil, 1974, p. 28) était fondé à insister sur son sadisme.

32 A comparer avec la seconde et dernière occurrence de l’expression dans le corpus Maupassant, plus dramatisée dans la nouvelle L’auberge ci-dessous : « la haute et redoutable pyramide du Cervin, ce tueur d'hommes ». Quant à la seconde occ. du mont Rose dans Mont-Oriol, elle confirme l’euphorie ambiante : « Il racontait ses impressions devant certaines choses, son enthousiasme au faîte du mont Rose, alors que le soleil, surgissant à l'horizon de ce peuple de sommets glacés, de ce monde figé des neiges éternelles, jeta sur chacune des cimes géantes une clarté éclatante et blanche, les alluma comme les phares pâles qui doivent éclairer les royaumes des morts. »

33 Y compris chez Verne, adepte de l’« irradiation », quand Axel décrit l’intérieur de la terre : « La lumière des appareils, répercutée par les petites facettes de la masse rocheuse, croisait ses jets de feu sous tous les angles, et je m'imaginais voyager à travers un diamant creux, dans lequel les rayons se brisaient en mille éblouissements. »

34 La dysphorie de cet abîme se confirme quand il est comparant de l’isotopie /pathologie mentale/ (cf. ci-dessous le glacier et l’avalanche de folie) : « Un trouble inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de ces troubles qu'essaient de noter et de préciser aujourd'hui les physiologistes ; et ce trouble aurait déterminé dans mon esprit, dans l'ordre et la logique de mes idées, une crevasse profonde. (Le Horla)

35 Dans ce roman, toutes les occurrences des mots ayant glac- pour radical sont dysphoriques. Quant à leurs co-occurrences avec ‘volcan(s)’, elle sont attestées exclusivement chez Verne, ce qui traduit une source d’inspiration. Son apparition par les marins est ainsi à rattacher à celle des voyageurs polaires : « Tout à coup le brouillard se fendit comme un rideau déchiré par le vent, et, pendant un laps de temps rapide comme l'éclair, on put voir à l'horizon un immense panache de flammes se dresser vers le ciel. Le volcan ! le volcan !… Ce fut le mot qui s'échappa de toutes les bouches ; mais la fantastique vision avait disparu ; le vent, sautant dans le sud-est, prit l'embarcation par le travers et l'obligea de fuir encore cette terre inabordable. Malédiction ! fit Hatteras en bordant sa misaine […] » Cf. encore : « Au-dessus des flammes haletantes ondoyait un immense panache de fumée, rouge à sa base, noir à son sommet. Il s'élevait avec une incomparable majesté et se déroulait largement en épaisses volutes. »

36 Avec cette épithète et les ‘nappes’ précédentes, l’extrait renvoie à cette variation sur l’isotopie alimentaire de Lettrines, où néanmoins le comparé montagnard lève l’ambiguïté en évitant la syllepse de ‘glacier’, non indexé à la dense isotopie /pâtisserie/ : « La Grave : ce n’est que le matin de bonne heure que la neige des cimes est vraiment radieuse. Dans la lumière de six heures du soir, le blanc de sucre tournait à une matière pulpeuse, nourrissante, de cette consistance de blanc gras qui annonce le beurre, et nappait le GLACIER comme de la crème chantilly. Le premier soir, à la nuit tombée, elle rayonnait distinctement une espèce de phosphorescence . »

37 L’oxymore chromatique rappelle les flots à l’intérieur du Voreux (Zola). Le ciel nocturne comparé répercute ce « ciel d'orage meurtrier et de passions somptueuses » de la représentation précédente où il était question de « la cime d'une catastrophe me parut soudain plus sinistre que la phrase la plus tragique, au point, encore, d'en frissonner » dans ce « théâtre au-dessus de l'abîme » ; bref, le contexte motive en la filant la métaphore montagnarde.

38 Avec syllepse sur ‘épaule’ indexée à /humain/ et à /inanimé/.

39 Cf. supra « ce vent d’un autre monde, ce fleuve de froid acide qui portait le crissement des champs de neige » des glaciers du dangereux volcan Tängri. Pareille fluidité a donc quelque chose de menaçant.

40 Il en va de même d’un autre phénomène naturel, cette fois astronomique, dans une tirade de Lorenzo : « Cela est étrange, et cependant pour cette action j'ai tout quitté. La seule pensée de ce meurtre a fait tomber en poussière les rêves de ma vie; je n'ai plus été qu'une ruine, dès que ce meurtre, comme un corbeau sinistre, s'est posé sur ma route et m'a appelé à lui. Que veut dire cela? Tout à l'heure, en passant sur la place, j'ai entendu deux hommes parler d'une comète. Sont-ce bien les battements d'un cœur humain que je sens là, sous les os de ma poitrine? Ah! pourquoi cette idée me vient-elle si souvent depuis quelque temps? Suis-je le bras de Dieu? Y a-t-il une nuée au-dessus de ma tête? » (IV, 3) On constate que ce comparant céleste, similaire par la relation de causalité qu’il comporte, voit son sème /malfaisance/ (selon le poncif du signe maléfique – emblème d’idées reçues voire de superstitions, tel ce « corbeau sinistre » – que s'évertuèrent à combattre les Philosophes, depuis Bayle) contrebalancé par le caractère mélioratif car libératoire du meurtre pour Lorenzo. Telle la comète, l’avalanche sélectionne le sème /puissance fatale/ (selon le héros tragique qui se prend pour un nouvel Oreste), ainsi que le sème casuel /résultatif/ (« De quel tigre a rêvé ma mère enceinte de moi ? […] De quelles entrailles fauves suis-je donc sorti ? »). On mesure la portée de ces images dans le discours volontiers parabolique du personnage romantique théâtral.

Le rapprochement avec le phénomène céleste s’appuie en outre sur l’intertextualité ; déjà dans les Contemplations on lisait : « Quand les comètes vont et viennent, formidables , Apportant la lueur des gouffres insondables  […] Quel éblouissement au fond des cieux sublimes ! Quel surcroît de clarté que l'ombre des abîmes S'écriant : Sois béni ! On verra le troupeau des hydres formidables Sortir, monter du fond des brumes insondables […] tandis Qu'assis sur la montagne en présence de l'Être, Précipice où l'on voit pêle-mêle apparaître […] Les comètes d'argent dans un champ noir semées, Larmes blanches du drap mortuaire des nuits ».

41 Versant français du Mont-Blanc au Rhône.

42 Rares sont dans cette étude les cas de perfectivisation (citons le « glacier disparu » de Flaubert, ou Balzac : « j'y crèverai au fond de quelque glacier »), toujours associés à des contextes déceptifs.

43 Ce comparant dû à l’effet solaire remonte aux ‘flammes rouges’ de Balzac et à l’embrasement chez Sand (supra) ; il inspirera les « éruptions d’Etnas » de Rimbaud ainsi que l’incendie métaphorique du Bonheur des Dames (infra). Il n’a évidemment rien de commun avec les « coulées de lave » et « montagnes ignivomes » littérales de Verne, qui déjà faisaient du Sneffels, glacier et cratère, la synthèse des sèmes contraires /convexe/, /blanc/, /eau + résultatif/ vs /concave/, /sombre/, /feu + résultatif/, dans ce que M. Eliade nomme une coincidentia oppositorum (op. cit. p. 135), laquelle est rendue endoxale par la connaissance socio-culturelle de la géologie islandaise.

44 Apparaît ici le symbolisme du « régime diurne de l’image » dans ce qu’il a de royalement triomphant, pour reprendre en partie la terminologie de G. Durand (Structures anthropologiques de l’imaginaire).

45 Personnification qui est un topos de la poésie romantique (cf. Vigny dans Le cor : « Monts gelés et fleuris, trône des deux saisons, Dont le front est de glace et le pied de gazons ! »  Cf. aussi au début du Voyage au centre de la Terre le Sneffels : « J'apercevais seulement une énorme calotte de neige abaissée sur le front du géant. » Chez Balzac ce détail (plus doux que le marbre), est éminemment féminin et sentimental : « Je puis baisser les yeux et me donner un cœur de glace sous mon front de neige . Je puis offrir le cou mélancolique du cygne en me posant en madone, et les vierges dessinées par les peintres seront à cent piques au-dessous de moi ; je serai plus haut qu'elles dans le ciel. » (Mémoires de deux jeunes mariées) « Son front de neige semblait porter les traces d'une grande fatigue et n'accusait cependant que le poids de pensées tristes. Incapable de soupçonner les peines qui dévoraient le cœur de Calyste, […] beau comme un dieu grec, [...] une autre femme, maîtresse également de ce front de jeune fille. » (Béatrix)

46 Cf. dans le recueil des Contemplations des cooccurrences similaires : « De tout le sombre gouffre humain. \ L'archange effleure de son aile \ Ce faîte où Jéhovah s'assied ; \ Et sur cette neige éternelle ».

47 Parodiées par Mallarmé dans Les Fleurs (hapax): « Des avalanches d’or du vieil azur, au jour \ Premier et de la neige éternelle des astres \ Jadis tu détachas les grands calices pour \ La terre jeune encore et vierge de désastres ».

48 Dans Albertus ou l’âme et le pêché, Gautier réitère ce cliché de la grande quantité, ici ignée (qui neutralise le sème antinomique /liquide froid/) : « La grange du fermier Justus Van Eyck s’embrase sans qu’on puisse l’éteindre, et par sa chute écrase, avalanche de feu, quatre des travailleurs. Des gens dignes de foi jurent que Véronique se trouvait là, riant d’un rire sardonique, et grommelant des mots railleurs ! »

49 Spiritualisation du lieu confirmée par exemple chez Balzac : « j'ai jeté plus d'une fois la sonde dans les gouffres de mon cœur » (Mémoires de deux jeunes mariées).

50 Lesquels deviennent marins et ontologiques dans les Contemplations : « Le gouffre en proie aux quatre vents, Comme la mer aux vastes lames, Mêle éternellement ses flammes A ce sombre écroulement d'âmes, De fantômes et de vivants! L'abîme semble fou sous l'ouragan de l'être. Quelle tempête autour de l'astre radieux! » Sur ce mot, cf. ici les contextes marins et esthétisants de Rimbaud et Proust.

51 Ils font la transition entre la mort blanche et glacée, et l’espoir de la vie aussi ténue que le « brin d’herbe ».

52 Déjà dans La Légende des Siècles ce registre fantastique est sollicité : « Kanut quitta le mont par les glaces saisi; \ Il coupa de la neige et s'en fit un suaire; [...] Et, le front haut, tout blanc dans son linceul de neige, \ Il entra, par delà l'Islande et la Norvège, \ Seul dans le grand silence et dans la grande nuit; \ Derrière lui le monde obscur s'évanouit; \ Il se trouva, lui, spectre, âme, roi sans royaume, \ Nu, face à face avec l'immensité fantôme ».

53 Corrélats dramatiques aussi fréquents que dans Séraphîta, Lélia, mais aussi chez Verne ou Maupassant.

54 Étendard romain. Il fait écho aux « glaives » et souligne la puissance des glaciers – laquelle est la première des propriétés que retient aujourd’hui le discours scientifique des paléoclimatologues étudiant les impacts de la banquise à l’échelle du globe terrestre.

55 Le radical glac- polysémique sert de connecteur. La cohésion est également entretenue par la paire d’isotopies /nival/ + /végétal/ définitoire de ce ‘pays’ montagneux.

56 Identifiée par Rastier dans Sémantique interprétative (PUF, 1996 : 200-201).

57 En dépit de ‘mourante’, sexualisé par sa relation de causalité avec les ‘pâmoisons’.

58 Pour un approfondissement sémantique récent, cf. R. Missire sur Texto! (www.revue-texto.net ). Paradoxalement, comme cette métaphore hugolienne Ange au regard de femme (magnitudo parvi) citée par Rastier (Texto!).

59 Métaphore hugolienne : « La nuit ne fait que le corbeau, La neige ne fait que le cygne » (Chansons).

60 Allusion transgénérique au roman romantique de Balzac. Il est toutefois intéressant de constater dans le poème de Gautier l’absence des corrélats du registre dramatique dans ce même décor polaire et/ou montagnard : ni ‘crevass-‘, ni ‘abîm-‘, ni ‘intrépid-‘ de Séraphîta, de Lélia, mais aussi de Verne, Maupassant et de l’épique hugolien. Quant à ‘avalanche’, la festivité et l’esthétisation du mythologique (« sphinx enterré ») la dédramatisent.

61 Autre allusion, à un roman de Verne, mais où Gautier est ici le prédécesseur du Sphinx des Glaces (1897).

62 Que met en évidence le soulignement de quelques reprises lexicales significatives, ci-dessous.

63 Cf. DOLF : « La tonalité générale du livre a de quoi surprendre après l’Assommoir. On peut même dire que l’ouvrage n’échappe pas à une certaine fadeur ou à certains clichés du roman bourgeois contemporain ».

64 « Vaisseau de terre ou de métal, de forme et de grandeur variables, mais ordinairement rétréci vers son fond, destiné à être mis au milieu du feu, pour obtenir la fusion des corps très réfractaires  » (Littré). L’activité, sur des matières précieuses (cristaux, argent) ressemble ici à de l’orfèvrerie, dans un mélange réitéré du brûlant et du glacé.

65 Cet écoulement n’est pas spécifique de la connexion sur l’isotopie /nival/ ; en effet celui du « pin avec sa plaie au flanc, larmes de résine », sur l’isotopie /végétal/, ajoute la divine souffrance, célébrée aussi bien par Musset que Baudelaire : « Le poète est ainsi dans les Landes du monde; Lorsqu'il est sans blessure, il garde son trésor. Il faut qu'il ait au cœur une entaille profonde Pour épancher ses vers, divines larmes d'or! » (Le pin des Landes)

66 Définie par Hugo dans Les Rayons et les Ombres : « Peuples! écoutez le poète! Écoutez le rêveur sacré! Dans votre nuit, sans lui complète, Lui seul a le front éclairé . […] De la tradition féconde Sort tout ce qui couvre le monde, […] Il rayonne! il jette sa flamme Sur l'éternelle vérité! Il la fait resplendir pour l'âme D'une merveilleuse clarté. »

67 Verhaeren confirme le sème /causatif/ du décor polaire, dont le comparant merveilleux ‘palais’ rappelle celui de Lélia de G. Sand supra : « Le vent, le vent pendant les nuits d'hiver lucides Pâlit les cieux et les lointains comme un acide. Voici qu'il vient du Pôle où de hauts GLACIERs blancs Alignent leurs palais de gel et de silence ».

68 Cf. supra Balzac décrivant la « coupe de granit bordée sur trois lieues de tour par les GLACIERs » (Séraphîta).

69 Aux antipodes de Bloy, qui, dans Le Désespéré, évoque « les infertiles GLACIERs du siècle de Louis XIV ». Le sapin à « la vive sève » d’A. France n’est pas sans rappeler le cri de joie de Butifer du roman de Balzac (supra) : « la sève a parti », toutes deux en corrélation paradoxale avec la froideur et l’isolement des glaciers.

70 Cf. E. Caduc dans son site web sur Mallarmé : « c'est à dire des projets poétiques non réalisés […] Les poèmes qui ne sont pas envolés jusqu'à l'existence forment un glaçon qui demeure sous le givre d'un lac gelé ».

71 Ce nom renvoie à la noyade tragique de sa fiancée Ophélie, laquelle rime avec ‘neige’ et ‘Norvège’ chez Rimbaud.

72 Comme le confirme cette interprétation d’E. Caduc (ibid.) : « Ch. Mauron insiste sur l'importance du symbole de l'eau dans ce poème et dans l'œuvre en général. "L'eau perfide des glaciers" symbolise une nature ennemie qui dépouille impitoyablement le poète de son "sacre", lequel n'était que du "fard" […] ; châtié de son ambition démesurée qui lui avait fait approcher les "glaciers de l'esthétique" pendant quelques instants. [...] Le mot "perfide" fait écho à celui de "limpide" au deuxième quatrain. Mais 1'eau n'est plus celle d'un bain purificateur. Elle apparaît désormais avec la valeur stérilisante de la glace. Il est significatif que le poème se termine sur ce mot de "glaciers"».

73 E. Caduc (ibid.) cite un extrait significatif de la lettre de Mallarmé à Cazalis (juillet 1866) : « Pour fuir la réalité torride, je me plais à évoquer des images froides ; je te dirai que je suis depuis un mois dans les plus purs glaciers de l'Esthétique – qu'après avoir trouvé le Néant j'ai trouvé le Beau – et que tu ne peux t'imaginer dans quelles altitudes lucides je m'aventure. Il en sortira un beau poème auquel je travaille, et, cet hiver (ou un autre) Hérodiade, où je m'étais mis tout entier sans le savoir, d'où mes doutes et mes malaises, et dont j'ai enfin trouvé le fin mot, ce qui me raffermit et me facilitera le labeur. »

74 Puisque, comme le dit E. Caduc (ibid.), le premier vers thématise « un désir de possession physique ; aucune confusion n'est possible ; […] les glaciers sont les pudeurs, tous les éléments de retenue ou de remords introduits dans l'amour. Cependant on peut faire rapporter attentatoire à ‘le naïf péché’. L'expression devient alors "le naïf péché qui attente à des glaciers" ».

75 Rapprochement des extrêmes déjà attesté chez Verne et Gracq mais aussi Hugo (cf. pour les hallebardiers supra : « Volcans de neige ayant la lumière pour lave »). Quant au comparant ‘lances’, sa compréhension requiert l’autre arme blanche de Hugo : « un tranchant de hache » ; soit une morphologie agressive à laquelle répond la douceur des ‘ombelles’, qui, remarquons-le, sont menaçantes chez Gracq : à propos de la « fumée engluée et tenace », on lit au même chapitre de la Croisière : « il émanait de sa forme je ne sais quelle impression maléfique, comme de l'ombelle retournée au-dessus d'un cône renversé qui s'effile, que l'on voit à certains champignons vénéneux. » Autre arme dangereuse chez Verne, « le cratère du Sneffels représentait un cône renversé […] je comparais ce cratère à un énorme tromblon évasé » ; on aura noté au passage la rareté de l’expression soulignée, qui traduit une influence.

76 Cf. ces deux vers de Soleil et Chair : « Des flots bleus, fleur de chair que la vague parfume, Montra son nombril rose où vint neiger l'écume  » Il s’agit là d’une parodie du thème parnassien, tel que le lexicalisait par exemple Leconte de Lisle dans ses Poèmes antiques : « Sur l'écume des mers Aphrodite en riant, comme un rêve enchanté voguait vers l'orient… de sa conque , flottant sur l'onde qui l'arrose, la nacre aux doux rayons reflétait son corps rose ; [...] l'onde écumante, neige humide, flottait sur ma croupe fumante ! » La source d’inspiration est évidemment romantique, avec Hugo supra : « l’écume, avalanche », qui remonte à Chateaubriand, au Saint-Gothard : « Ces masses roulées, enflées, brisées, festonnées à leur cime par quelques guirlandes de neige , ressemblent aux vagues fixes et écumeuses d'un océan de pierre sur lequel l'homme a laissé les ondulations de son chemin. » (Mémoires

77 Postromantiques, avec Nerval : « j’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène » ou Hugo : « Du moresque Alhambra j'ai les frêles portiques J'ai la grotte enchantée aux piliers basaltiques » (Odes).

78 Serait-ce la noyade consécutive à la fonte estivale des glaces, qu’évoque Mallarmé supra ?

79 Réminiscence du Baudelaire de Spleen et Idéal (mais sans la féminité et le lyrisme d’interpellation, dans le poème d’Eluard) : « On dirait ton regard d'une vapeur couvert ; Ton œil mystérieux […] Réfléchit l’indolence et la pâleur du ciel. […] Comme tu resplendis, paysage mouillé Qu'enflamment les rayons tombant d'un ciel brouillé! ô femme dangereuse, ô séduisants climats! Adorerai-je aussi ta neige et vos frimas, Et saurai-je tirer de l'implacable hiver Des plaisirs plus aigus que la glace et le fer ? » Cf. surtout des vers célèbres : « Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes. »

80 Paire sémique saillante dans le roman d’aventures en montagne (Troyat, Frison-Roche).


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©  mars 2006 pour l'édition électronique.

Référence bibliographique : MÉZAILLE, Thierry. Sémantique d’un mot vedette et de ses corrélats en contexte dans les corpus littéraires numérisés : sur l’isotopie montagnarde, de Chateaubriand à Gracq. Texto! [en ligne], mars 2006, vol. XI, n°1. Disponible sur : <http://www.revue-texto.net/Reperes/Themes/Mezaille_Vedette.html>. (Consultée le ...).