2006_07_16 
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SdT volume 12, numero 3.
                        LA CITATION DU MOIS
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            Je recommande régulièrement à mes patients de
            lire les classiques chinois pour se comprendre
            eux-mêmes.
                            Huo Datong

            L'oeuvre, comme individualité étant censée
            conserver sa physionomie à travers le temps,
            n'existe pas (seule existe sa relation avec des
            interprétateurs), mais elle n'est pas rien :
            elle est déterminée dans chaque relation ;
            la signification qu'elle a eu en son temps,
            par exemple, peut faire l'objet de discussions
            positives. Ce qui existe, en revanche, c'est la
            matière de l'oeuvre, mais cette matière, elle,
            n'est rien tant que la relation n'en fait pas
            ceci ou cela. Comme disait un maître scotiste,
            la matière est en acte, sans être l'acte de
            rien. Cette matière est le texte manuscrit ou
            imprimé, en tant que ce texte est susceptible de
            prendre un sens, est fait pour avoir un sens et
            n'est pas un charabia tapé au hasard par un
            singe dactylographe.
                P. Veyne, Comment on écrit l'histoire,
                Ed. du Seuil, "Points", P. 425.
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                SOMMAIRE


1- Coordonnees
    - Bienvenue a Bruno Courbon, Ildiko Csetneki Sandorne, Christine Pernet, Veronica Portillo.
    - Changement d'adresse pour Yannick Chevalier.

2- Carnet
    - Nouveaux postes pour Bassir Amiri, Margareta Kastberg Sjoblom,
      Yannick Chevalier.
    - La paire de Saussure.

3- Textes electroniques
    - Archives du bulletin de la societe linguistique de Paris
    - Des outils logiciels pour l'analyse de textes.

4- Publications
    - Enrique Ballon Aguirre :
     "Tradicion Oral Peruana -Literaturas ancestrales y populares"
    - Yannick Chevalier et Philippe Wahl (dir.) :
     "La Syllepse, figure stylistique"
    - Les Langues Modernes 1/2006 : Le Plurilinguisme
    - Texto! : nouveautes de la derniere edition (juin 2006)

5- Dialogues
    - Dialogus de Semata

6- Textes
    - Rossitza Kyheng : La place de la semantique dans le programme epistemologique saussurien
    - Evelyne Bourion : Le referentiel chez Ferdinand Gonseth
       
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Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees Coordonnees
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Rubrique réservée aux abonnés.
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ITINÉRAIRES

Bassir Amiri est nommé Maître de Conférences en histoire ancienne à
l'Université de Besançon.

Margareta Kastberg Sjöblom est nommée Maître de Conférences en
linguistique ancienne à l'Université de Besançon.

Yannick Chevalier est nommé Maître de Conférence en Langue française et
Stylistique à l'Université Lumière-Lyon 2.

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EXAMENS ET CONCOURS

D'un lecteur enseignant à l'Université :

Dans la réponse à la question de cours "expliquez ce que sont l'axe
syntagmatique et l'axe paradigmatique", une étudiante m'écrit :
"Les axes paradigmatique et syntagmatique sont liés l'un et l'autre par
la saussure".

Comme commentaire dans la marge, j'ai mis :
"Oui, c'est la fameuse paire de saussure".

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Textes electroniques Textes electroniques Textes electroniques Textes
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BEAUX SITES

Le bulletin de la société linguistique de Paris est maintenant
partiellement disponible en ligne :
- sur le site de la bnf
    http://gallica.bnf.fr/
pour les fascicules des années 1869 à 1935 ;
- sur le site des éditions peeters
    http://www.slp-paris.com/index.html
pour les années 1998 à 2004. Sur le même site, les tables des matières
seules sont disponibles pour les années 1985 à 1997.

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BOÎTES À OUTILS

* Logiciels d'analyse de texte :

- le logiciel Hyperbase d'Etienne Brunet :
    http://ancilla.unice.fr/default.html
    http://ancilla.unice.fr/~brunet/pub/hyperbase.html
- les outils fournis par Tapor :
    http://taporware.mcmaster.ca/
    http://hyperpo.mcmaster.ca/Versions/6.0/

* J'utilise le logiciel Xaira. Il est libre, gratuit et relativement
facile d'utilisation.
    http://www.oucs.ox.ac.uk/rts/xaira/
Il est développé à Oxford pour traiter des textes au format xml. Mais il
peut également traiter du texte au format txt. Il faut commencer par
indexer son texte (c'est le logiciel qui s'en charge) avant de
travailler dessus. Le téléchargement s'effectue sur Sourceforge :
    http://sourceforge.net/project/showfiles.php?group_id=130289

* Pour les outils plus génériques de TAL (traitement automatique des
langues) adaptés -ou adaptables- aux corpus littéraires voir ceux
développés par ces 2 chercheurs :
    http://www.univ-tlse2.fr/erss/textes/pagespersos/
                        bourigault/index.html
    http://www.up.univ-mrs.fr/veronis/logiciels/index.html

* Corpus processing relies on language modules (tokenizers, taggers,
parsers, etc.) ; an important dimension is brought by special-purpose
environments, or "SDKs", which facilitate the work of corpus linguists
and language engineers.
While language modules are now numerous for
languages such as English and (to a lesser extent) French or Chinese,
corpus processing environments are less widespread. Their functions can
broadly be divided into querying and annotation.

The simplest querying programs have been concordance programs working
over plain text.  Most tools are now designed to work over annotated
corpora.  This is the case of the IMS tools : the IMS Corpus Workbench
CWB, with its CQP Corpus Processing Tool,
    
http://www.ims.uni-stuttgart.de/projekte/CorpusWorkbench/
which takes tagged text as input, and the TIGERSearch tool for querying
treebanks
    
http://www.ims.uni-stuttgart.de/projekte/TIGER/TIGERSearch/

Several annotation tools and suites have been designed in the context of
Information Extraction systems, for instance, the Alembic Workbench
    
http://www.mitre.org/tech/alembic-workbench/
and its successor Callisto
    
http://callisto.mitre.org/
The GATE environment
    
http://gate.ac.uk
is a case in point. Designed as a Natural Language Processing
development environment, it includes both annotation and querying tools,
together with a graphical user interface. Moreover, additional NLP
modules provided by the user can be integrated into its flow. New flows
can also be defined. These suites include lexical resources and existing
modules which make up a ready-to-use Information Extraction system, or
can serve as the basis for new tasks.

For French, a family of corpus processing tools have been developed
around the LADL DELA lexicons : INTEX
    
http://intex.univ-fcomte.fr/
and NOOJ
    
http://perso.wanadoo.fr/rosavram/pages/noojpag.html
and Unitex
    
http://www-igm.univ-mlv.fr/~unitex/
and Outilex
    
http://www-igm.univ-mlv.fr/images/postersLabInfo/Outilex.pdf
They include tagging and parsing modules, querying functions, and a
graphical user interface. However, they cannot be extended by the user
(although their modules can be called in user-defined scripts, the
graphical user interface does not handle these scripts or new modules).

Web servers where online linguistic tools and corpora can be used have
been proposed, for instance, earlier in project Silfide
    
http://www.loria.fr/projets/Silfide/informations/
                        Presentation.html
and now in the new "National Center for Textual and Lexical Resources"
    
http://www.atilf.fr/atilf/evenement/cnrtl/cp_2006-04.htm
The methods and tools that will be produced by this project can add
material to this initiative.

* NooJ est la nouvelle plateforme d'ingéniérie linguistique de Max
Silberztein, conçue pour remplacer INTEX. NooJ a bénéficié du
savoir-faire et de l'expérience acquise depuis 1993 par les utilisateurs
d'INTEX, et son nouveau moteur linguistique contient des améliorations
significatives, à tous les niveaux de la formalisation linguistique.
NooJ est freeware, et peut être téléchargé à partir de
    http://www.nooj4nlp.net/

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VIENT DE PARAÎTRE

Enrique Ballón Aguirre
            TRADICIÓN ORAL PERUANA
        LITERATURAS ANCESTRALES Y POPULARES

¿Cómo se "generan" las variantes de un mito o una leyenda de la
tradición oral peruana, a partir de su base material, es decir, el
multilingüísmo y la pluricultura que definen esta sociedad global? Y una
vez descrito el fenómeno, ¿es posible organizar los motivos que se
encuentran en dichas variantes textuales, a fin de constituir un
repertorio que de cuenta y razón de los valores semánticos que obran en
la tradición oral de esas comunidades?

Debido a su generalidad, estas dos preguntas derivan en otras muchas
preguntas más concretas que solo pueden ser respondidas merced a
planteamientos teórico-metodológicos cuyo propósito sea asegurar, ante
todo, la descripción rigurosa y coherente de los distintos planos
discursivos de esas variantes donde se pone de manifiesto las figuras,
temas y programas etnoliterarios. No obstante, como puede constatarse
fácilmente, por más detallada que sea esta descripción, solo permite
organizar de modo sistemático la armazón formal de los relatos. Es
preciso contar, además, con criterios de distinción espacial, temporal,
aspectual y actorial que justifiquen, dentro del marco mayor de las
preguntas iniciales, la organización hipotético-deductiva de tales
categorías narrativas. De este modo y sin pretensión totalizadora
alguna, el conjunto descrito puede ser sólida y solidariamente fundado
en un compendio que abarque tanto el estado actual de las lenguas y las
literaturas peruanas como la producción de la tradición oral en sus dos
manifestaciones mayores, las literaturas ancestrales y las literaturas
populares.

Este es, en términos concisos, el propósito principal de los dos
volúmenes de esta obra. A ello cabe agregar, el estudio del altercado
entre la tradición oral y la tradición literaria escrita como signo
emblemático de los debates que atañen a la cultura peruana hoy tensada
entre, por un lado, la cómoda pero falsaria visión de escritorio y, por
otro lado, el trabajo de campo directo y los conocimientos lingüísticos
y semióticos aplicados a esos mismo fenómenos.

LIMA, Perú: Fondo Editorial de la PUCP, 2006.
    feditor@pucp.edu.pe
    http://www.pucp.edu.pe/publicaciones/fondo_ed/

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VIENT DE PARAÎTRE

        La Syllepse, figure stylistique
sous la direction de Yannick Chevalier et Philippe Wahl,
Presses Universitaires de Lyon, coll. "Textes & Langue", 2006, 438 p.
    http://www.edition-pulyon.com

Fondée sur un principe de "compréhension", la syllepse a été figure
grammaticale justifiant différents types d'accord complexe, avant de
s'imposer comme figure de double sens : "une espèce de métaphore ou de
comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la même
phrase, l'un au propre, l'autre au figuré" (Du Marsais). Cet ouvrage
collectif cerne les implications épistémologiques du rapport entre ces
deux figures, mais l'hypothèse de travail -la syllepse, figure
stylistique- a orienté les analyses vers la syllepse de sens.

Déjouant la linéarité du langage par actualisation de la polysémie du
signe, cette figure d'ambivalence apparaît comme une clé de la
littérarité. Sa valeur discursive engage toutefois son historicité :
suspecte au regard de l'exigence classique de clarté, elle est exaltée
par l'esthétique néo-romantique faisant de l'ambiguïté "un corollaire
obligé de la poésie" (Jakobson). Et les conventions de genre orientent
les attentes en réception : quiproquo théâtral, ironie romanesque...

L'analyse textuelle permet d'identifier les interprétants de la figure,
de montrer ses paliers (phrase, paragraphe ou strophe...) et degrés de
réalisation, en insistant sur sa temporalité opératoire et ses
interactions contextuelles. Le haut régime interprétatif de la syllepse
met en question la notion même de figure, à travers ses critères de
visibilité et de lisibilité. Moins donnée par le code rhétorique que
construite dans l'exercice de lecture, elle intéresse particulièrement
l'analyse stylistique dans sa double visée interprétative et esthétique.
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VIENT DE PARAÎTRE

Les Langues Modernes 1/2006 - 100 ans de publication
Le Plurilinguisme

Le prochain numéro des Langues Modernes aura pour dossier Comment
enseigner le mal en classe de langue ?, sortie prévue fin juin 2006.
Vente au numéro (11,45 euros) et abonnement auprès de la rédactrice en
chef : astrid.guillaume@worldonline.fr

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TEXTO!

Texto! (http://www.revue-texto.net) 10 ans déjà

Le 11 mai, en compagnie d'auteurs et de lecteurs, l'équipe éditoriale a
dignement fêté les dix ans de la revue dans les Salons de l'Inalco.
Elle a levé sa coupe aux présents comme aux absents.

Dernière mise à jour : JUIN 2006 (Vol. XI, n°2)


Dans la rubrique DITS ET INÉDITS :

Christine Chollier
    Littérature et sémantique des textes (2005)
L'auteur aborde le volet littéraire de la synthèse théorique effectuée
par la Sémantique interprétative et présente quelques études sur des
formes déterminées par le genre.

John Joseph
     Créativité linguistique, interprétation et contrôle linguistique
    chez Orwell et Chomsky (2004)
La maîtrise du langage permet-elle la manipulation politique des
esprits ? De Orwell à Chomsky, une même angoisse. Elle éclaire chez
Chomsky le privilège donné à la générativité, ainsi que le rapport entre
théorie linguistique et radicalisme politique.

Charlotte Lacoste
    Gérard Genette et la quête du "récit à l'état pur" (2006)
"Réaliste", Gérard Genette l'est lorsqu'il considère qu'un événement
existe et s'apprécie indépendamment de la narration qui lui donne corps,
et qu'il forge corrélativement le concept de "récit à l'état pur",
désignant le récit transparent d'un événement brut, que ne viendrait pas
troubler le point de vue par nature dénaturant d'un narrateur. Nous
analysons ici quelques aspects de cette conception réaliste d'un récit
affranchi de toute médiation discursive -conception qui est aussi un
fantasme narratologique caractérisé.

François Rastier
    De l'origine du langage à l'émergence du milieu sémiotique
    (2006) [coédition avec Marges Linguistiques]
A la différence des théories néo-darwiniennes sur l'origine du langage,
cette étude entend problématiser l'émergence du sémiotique.

Bruno Latour
    Petite philosophie de l'énonciation (2002)
Cet essai présente, sur un mode réflexif, une philosophie des objets
culturels.


Dans la rubrique DIALOGUES ET DÉBATS :

- Vocabulaire européen des philosophies, dictionnaire des intraduisibles
  (2006)
Entretien de Colette Briffard avec Barbara Cassin. En illustrant son
propos à partir de quelques étapes clés de son parcours intellectuel,
Barbara Cassin rappelle l'importance de prendre en compte la dimension
et la diversité linguistiques du discours philosophique telles qu'elles
s'éprouvent exemplairement dans l'activité de traduction.

- Où en est la linguistique ? (1992)
François Rastier, en réponse aux questions de Arlettte Séré de Olmos,
présente les grandes lignes de la sémantique interprétative, en
insistant sur la nécessité d'une théorie descriptive souple plutôt qu'un
formalisme lourd et difficilement applicable.


Dans la rubrique SAUSSURE ET SAUSSURISMES :

Ferdinand de Saussure
    Première conférence à l'Université de Genève (novembre 1891)
Edition génétique par Kazuhiro Matsuzawa [Première livraison].

Algirdas-Julien Greimas
    L'actualité du saussurisme (1956)
Ce célèbre texte de Greimas, paru à l'occasion du 40e anniversaire de la
publication du Cours de linguistique générale, offre un bel aperçu des
extensions de la théorie de saussurienne qui, dépassant les cadres de la
linguistique, est reprise et utilisée par l'épistémologie générale des
sciences humaines.


Dans la rubrique LA LETTRE ET L'INTERPRÈTE :

Françoise Canon-Roger
    La traduction (2005)
Cette étude résume les a priori théoriques qui, dans le domaine de la
traduction, aboutissent à une négation de la diversité des langues et
explore les possibilités ouvertes par le concept de "réélaboration
interprétative".

Eugenio Coseriu
    Falsche und richtige Fragestellungen in der Übersetzungstheorie
    (1981)
Ein Sprachtheoretiker diskutiert die Probleme der Übersetzungstheorie
als Forschungsbereich und überlegt, wie gewisse störende Aspekte
überwunden werden könnten.


Dans la rubrique REPÈRES :

Françoise Canon-Roger
    Littérature et linguistique : (extrait 2) Diversité des textes
    (2006)
Deuxième partie d'une synthèse consacrée à l'approche sémantique des
textes, et aux difficultés du rapprochement entre linguistique et
analyse littéraire.

Carine Duteil-Mougel
    Formes sémantiques, parcours interprétatifs et régimes de sens :
    éléments d'introduction (2006)
Document consacré à la notion de "formes sémantiques" dans la Sémantique
interprétative et dans la Théorie des Formes Sémantiques.

François Rastier
    Une petite phrase de Proust (1991)
En prenant pour objet une phrase de la Recherche, on montre l'incidence
du contexte proche et lointain, tant pour ce qui concerne la thématique
que la dialogique et l'analyse narrative.


Dans la rubrique PARUTIONS ET TRÉSORS :

Pierre Cadiot et Yves-Marie Visetti
    Motifs et proverbes : essai de sémantique proverbiale
    Paris : Presses universitaires de France, 2006.
Objet de collectes où se rejoignent travail savant et tradition
populaire, le proverbe intéresse les linguistes et les sémioticiens
comme les sociologues et les anthropologues. Les auteurs analysent les
relations avec le langage commun, la logique et le réalisme de ce
langage proverbial, la question d'une définition des normes, d'une
classification complexe, des niveaux d'une reprise linguistique.

Benoît Habert
    Instruments et ressources électroniques pour le français
    Paris : Orphys, 2005.
A partir d'une analyse détaillée, cet ouvrage montre les instruments et
les ressources qui sont effectivement disponibles actuellement pour le
français et donne une idée du niveau de performance qui peut être
aujourd'hui espéré selon les instruments et selon les données. Il aborde
les problèmes pratiques et présente les solutions existantes, il fournit
enfin une réflexion méthodologique.


Dans la rubrique CORPUS ET TRUCS :

Bourigault, Didier
    Signalement du corpus Le monde


Dans la rubrique LIENS ET LIANES :

- CTLF
Corpus Linguistiques de textes fondamentaux. Base bibliographique.
    http://ctlf.ens-lsh.fr/


Dans la rubrique AGENDA :

- 10-14 juillet 2006 : Colloque Corpus en Lettres et Sciences sociales :
Des documents numériques à l'interprétation, Albi 2006 (programme).


SUPPLÉMENT :

- Actes du colloque international Corpus en Lettres et Sciences
sociales : des documents numériques à l'interprétation, Albi, juillet
2006. Texto! [en ligne] juin 2006, vol. XI, n°2.

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DIALOGUS

Dialogus de Semata

Le Frère lotharingien : Maître, pourquoi le sème est-il damné ?

Excursus : Il était vénéré par des hérétiques. Algirdas de Kaunas est
abominé à l'égal de Dolcino de Novare. Ces structuralistes furent,
dit-on, pire gens que les ébionites, les ophites ou les caïnites. Ne
prétendaient-ils pas que les relations préexistent aux termes ? Ainsi le
Fils ne procéderait pas du Père, mais tous deux seraient définis l'un
par rapport à l'autre : La Trinité, au lieu d'être tri-une, serait
trine.

Le divin ne serait pas dans les détails, comme le disait rabbi
Warburgis, mais entre les détails, comme l'affirmait Ricardus de
Sainte-Geneviève.

Du relatif, on passerait bientôt au relativisme : si tu n'étais pas mon
disciple, je ne serais pas un maître, je perdrais toute essence
magistrale et je redeviendrais  simple frère convers, comme au temps où
je trottinais sur mon âne au côté d'Algirdas de Kaunas.

En effet, si le maître se définissait par rapport à l'élève, le blanc au
noir, etc., c'en serait fini de leur substance : Evagre le Pontique,
Père du Désert, disait justement : "L'Etre n'a pas de contraire".

Si en revanche, privées d'identité substantielle, les choses de ce monde
n'étaient qu'assemblage confus de qualités variables et définies par de
mouvants contraires, si elles ne témoignaient pas de l'Etre par leur
substance pérenne, alors nous serions dans le règne des dissimilitudes,
selon l'expression de Saint Augustin, autant dire en Enfer.

Aussi, mon cher frère lotharingien, si tu veux éviter d'être damné par
les commissions de recrutement ecclésiastique, ne prononce jamais le nom
du sème : dis simplement nota, c'est-à-dire trait sémantique, ou qualia,
comme les philosophes en ce début de millénaire -tu resteras sauf et
personne, même pas moi, ne s'enquerra de ta pensée secrète.

Le Frère lotharingien : Merci, Maître, de prodiguer encore votre
sagesse. Mais les tourments de mon âme perdurent : n'y a-t-il pas autre
chose que les dissimilitudes de l'Enfer ? Car les relations sont aussi
dans l'Etre restitué par les docteurs, elles se nomment  Synonymie,
Hyperonymie, Hyponymie, etc. J'ai l'impression que c'est lorsque le
signe s'incarne, lorsqu'il se fait texte, qu'il est damné. Les propos
hérétiques du  prophète genevois sur la Parole ont semé la discorde
parmi ses disciples. Les scribes ont choisi de les dissimuler mais
d'autres, dont Abba Meillet, s'y  opposaient. La nota, en soi, m'agrée
mais je préfère encore fuir au désert plutôt que d'abjurer (il est vrai
qu'à la différence de mes frères mendiants, ma pitance est assurée et
que je jouis de la mansuétude infinie du Concile National depuis mon
ordination). Je vais cependant songer aux notae, et voir s'ils s'avèrent
plus appropriés pour en dire la valeur relationnelle que les sèmes dont
la rigoureuse nature différentielle ne me chaut guère. Je vais aussi
méditer, encore et encore, sur le Verbe un et unique, mais fait langue
et paroles par les hommes pour qu'ils L'entendent.

Excursus : Synonymie, Hyperonymie, Hyponymie sont des hypostases qu'il
faut se garder d'idolâtrer. On serait bien en peine de croire que le
Fils est l'Hyponyme du Père, et le Père le Synonyme du Saint-Esprit.

L'Apocryphe de Genève ne leur accorde aucune attention, et fascine à
mesure de sa prétendue mécréance, celle dont on accuse tous ceux qui
comme toi se retirent au Désert. Son désert s'étendait de la rue des
Tartasses au Mur de la Réformation qui tient lieu dans ces contrées de
muraille du Temple.

Le sens n'est pas fait de rien ; ou plutôt ce rien varie en qualités
transitoires que sont les sèmes. En revanche l'Etre est invariable, et
donc dépourvu de sens pour nos misérables intellects. Le sens n'est donc
pas l'Etre, puisqu'il est indéfiniment variable ; il n'est pas non plus
le Rien, puisqu'il nous constitue, et jouit ainsi de la réalité
transitoire de l'illusion.

Bref, nous n'avons pas à juger de l'Etre ou du Néant, qui ne sont
perceptibles qu'à des yeux supranaturels. Mais simplement de la Présence
ou de l'Absence, qui s'imposent, nous ne savons comment, à nos
consciences lacunaires.

Sans paradoxe, considérons l'absence comme une forme affaiblie de la
présence, car dans un paradigme, les éléments absents demeurent
immédiatement évoquables, puisqu'ils donnent sens différentiellement aux
éléments présents ; ainsi un ancien poète put-il évoquer simplement "la
noirceur secrète du lait".

Distinguons ainsi, cher Frère, trois guises de la présence : la
saillance de la forme, la prégnance du fond, et l'absence des autres
formes et des autres fonds. De la saillance et de la prégnance, les
rinaldo-thomistes ont déjà traité.

L'existence des paradigmes repose cette absence. Toute forme -toute
actualisation, comme disaient les Anciens, et Guillaume le Pessimiste
lui-même,- redouble le rapport fond-forme : elle met en évidence une
forme relativement à d'autres qui demeurent alors indistinctes dans le
fond.

Idem distinguons quatre types de parcours : d'un élément de forme à un
autre : et l'on appelle cela une synecdocque ou parfois métonymie ; d'un
élément de fond à un autre, et l'on appelle cela une présomption
d'isotopie ; d'une forme à une autre, et c'est un métamorphisme ; d'un
fond à un autre, et c'est une transposition. Mais tous ces parcours ne
sont pas limités au texte que tu lis. Ils s'en vont aussi vers tous les
autres textes canoniques.

Le sens naît de la différence. Quand nous approchons deux mots, nous les
comparons dans notre esprit, ils sélectionnent les sèmes identiques ou
opposés : si je rapproche mère et fille, c'est la filiation qui
s'impose, si je rapproche mère et père, c'est l'alliance. Si j'oppose
l'eau et l'eau bénite, le vin et le vin de messe, eau bénite et vin de
messe cessent d'être de l'eau et du vin, par une modeste mais subtile
transsubstantiation. Enfin, je t'appelle mon frère, bien que nous ne
soyons pas nés de même mère, et j'ai le titre de Père, bien que je ne le
sois pas.

Je n'affirme donc point qu'il n'y ait que des différences, mais qu'on ne
peut percevoir que cela, car selon les moments et les contextes, ce ne
sont pas les mêmes sèmes qui chatoient dans le mot, sans qu'on puisse
jamais en établir une liste définitive, puisqu'à tout moment un nouvel
emploi peut lui accorder une nouvelle lumière.

L'absence de plénitude n'est cependant pas le vide, mais le manque qui
fait de nous des hommes. Même l'Eternel, du moins de notre vivant, ne
saurait le combler.

Un entre-deux sépare la lumière des limbes et la ténèbre du trépas, et
rappelle le crépuscule : c'est la finitude humaine. C'est elle qui nous
dissuade de nous croire des Dieux, et nous permettra d'applaudir au
crépuscule des idoles, celles que nous sommes pour nous-mêmes -si jamais
il venait à tomber.

Notre connaissance du sens n'est donc pas illuminée par le Verbe. Et le
Verbe lui-même ne pourra être compris que quand il sera traduit dans les
mille langues des Gentils. Même alors, il nous faudra sans cesse le
retraduire, dans un voyage qui se confond avec la vie, comme nos chemins
qui vont côte à côte au pas rétif de nos mules, comme nos propos qui
trouvent leur sens l'un par l'autre.

Le Frère lotharingien : Tout s'éclaire à présent et s'apaise. Je perçois
grâce à vous l'immense humilité du sème et je sais désormais qu'il nous
faut l'imiter. La vanité pousse les docteurs à fondre et adorer des
veaux d'or ; hélas, comme l'a dit l'anachorète Guillaume le Pessimiste :
une idole bien faite ne manque jamais d'acheteur ; et à force de couler
et marteler, ils excellent en ce labeur. Les docteurs méprisent les
sèmes car ils ne laissent rien entrevoir du Verbe et leur évoquent au
contraire la paille et la fange des pratiques humaines. Le sens apparaît
vulgaire aux  orgueilleux et c'est pourquoi ils bâtissent Babel.
Ignorent-ils qu'il renversera les puissants, qu'il élèvera les humbles ?

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{FR, 06/07/2006}

ETUDE

            La place de la sémantique
        dans le programme épistémologique saussurien

Dans l'épistémologie saussurienne l'approche sémiologique est venue
compenser ce qui manquait à la linguistique traditionnelle, notamment la
prise en charge de la dimension du sens. Pourquoi Saussure ne s'est-il
pas tourné vers la sémantique ?

L'historiographie linguistique (cf. Nerlich 1992) situe les débuts de
cette discipline dans les années trente du XIXe en Allemagne où une
science des significations (Bedeutungslehre) est proposée sous le nom de
sémasiologie (cf. Karl Reisig, Vorlesungen über lateinische
Sprachwissenschaft, Bd. 2 : Lateinische Semasiologie oder
Bedeutungslehre, 1839). Elle est conçue comme étude de "l'évolution des
idées dans les mots" ; or, son champ de recherche se limite, en termes
modernes, à l'étude diachronique des changements sémantiques. La
sémasiologie semble ne pas avoir eu de grands retentissements au XIXe :
quarante ans après Hermann Paul estimait toujours qu'une science
diachronique des significations (Bedeutungsentwickelung) est à venir :
"Si l'histoire du développement des significations doit former un jour
une science, son exigence principale sera de tenir compte, le plus
soigneusement possible, de ces relations. En outre par là on confirme
notre principe que le détail peut être jugé seulement avec une vision
constant sur la totalité du matériel linguistique et que la constatation
de la relation causale n'est possible que de cette manière. Car les
suggestions données ici montrent que, de ce fait justement, le manque de
principes logiques suivis est caractéristique. Le hasard, l'imprévu se
 manifestent." (Paul, Prinzipien der Sprachgeschichte, 1880, §178).

Le vrai baptême (aux sens propre et figuré du terme) qui instaurera la
discipline en France sera, on le sait, la sémantique bréalienne (1883),
et plus particulièrement la parution de l'Essai de sémantique : sciences
des significations en 1897 dont la traduction anglaise suit en 1900.

Saussure qui connaissait bien les écoles allemandes, ainsi que l'ouvrage
de Bréal (cf. note 3325, ELG, p. 256), n'a pas voulu intégrer cette
sémantique (ou sémasiologie) dans son programme épistémologique. Deux
hypothèses sont possibles (qui, en dernière analyse, reviennent au
même) :

1° La sémantique bréalienne était conçue comme contre-partie de la
phonétique : "Sémantique = Sêmantikê technê, la science des
significations, du verbe sêmainô, "signifier", par opposition à la
Phonétique, la science des sons", (cf. Bréal 1897, p. 9, n.), et c'est
comme ça que Saussure l'avait comprise : "la sémantique : science des
sens des mots de la langue, par opposition à celle des formes" (cf.
notes de Riedlinger du IIe cours). Cette sémantique-là opérait une
scission qui ne correspondait pas à la vision saussurienne de l'union
inséparable entre la forme et le sens, et n'était pas acceptable pour
Saussure qui considérait comme pertinemment non linguistiques les
recherches qui se proposaient de suivre la signification en elle-même
(voir infra).

2° La sémasiologie et toute la Bedeutungslehre allemande où l'étude des
changements de signification (Bedeutungswandel) apparaissait comme un
complément de l'étude des changements de forme, ne lui convenaient pas
non plus : l'isolationnisme pratiqué par les linguistes allemands qui se
concentraient sur des unités isolées était contraire à la conception
saussurienne du langage et des langues comme des systèmes de valeurs où
chaque valeur se définit uniquement par rapport à l'ensemble.

Les deux propositions, l'allemande et la française, se résumaient en fin
de compte à l'étude diachronique des changements de signification et
s'appliquaient de préférence à des éléments linguistiques pris
isolément.

Par ailleurs, la définition donnée par les éditeurs du Cours de
linguistique générale reflète justement l'état effectif de la recherche
"sémantique" au XIXe et au début du XXe siècle : "la sémantique qui
étudie les changements de signification" (p. 33, n.), mais elle ne
correspond guère au projet saussurien, comme le remarque Bouquet (1997,
p. 262). Effectivement, les deux aspects que revêtait l'étude des
changements de signification : soit en considérant la forme, soit en
dehors de la forme des mots (toujours pris isolément), étaient aux yeux
de Saussure inadmissibles au même titre que toute l'entreprise de la
"science des significations" à cette époque, et qu'il qualifiait de
"chimérique" : "que la signification n'est qu'une façon d'exprimer la
valeur d'une forme, laquelle valeur dépend complètement des formes
coexistantes à chaque moment, et que c'est par conséquent une entreprise
chimérique, non seulement de vouloir suivre cette signification en
elle-même (ce qui n'est plus du tout linguistique), mais même de vouloir
la suivre par rapport à une forme, puisque cette forme change, et avec
elle toutes les autres, et avec celles-ci toutes les significations de
manière qu'on ne peut dominer le changement de signification que
vaguement par rapport à l'ensemble." (ELG, p. 41).

Conformément à sa conviction que le sens n'est pas restituable
historiquement sur des morceaux isolés en dehors du système d'une
langue, Saussure rejette l'"histoire des significations" (qui traduit
probablement le Bedeutungsentwickelung de la linguistique allemande) :
"je ne dis pas qu'il existe une histoire des significations, parce que
cela ne signifie décidément rien" (ELG, p. 41). Par là il rejette
d'emblée toute la "sémantique" de la linguistique traditionnelle,
essentiellement diachronique et isolationniste. En outre, l'aspect
diachronique de la sémasiologie allemande et de la sémantique bréalienne
permettait d'attribuer la sémantique et, a fortiori, la linguistique, à
l'ordre des sciences historiques (cf. Bréal 1897, p. 278-279).

Bref, la "science des significations" telle qu'on la pratiquait dans la
linguistique traditionnelle est jugée non satisfaisante et même
contraire au programme épistémologique saussurien. Donc, des réalités
contextuelles telles que : 1° l'état effectif de la recherche
linguistique, 2° le démembrement des disciplines linguistiques, 3° les
débats sur l'affiliation de la linguistique, sont à la base du refus
saussurien. En conséquence, Saussure s'abstient de faire appel au terme
"sémantique" susceptible de véhiculer les acceptions répandues décrites
ci-dessus : dans le corpus des Écrits saussuriens (ELG) il ne se compte
que trois occurrences (dont une citation : "Lire Sémantique de Bréal"),
et une mention lors du IIe cours enregistrée dans les notes de
Riedlinger (cf. Engler 1968, p.49).

Mais si Saussure se refuse l'usage du terme "sémantique", pour des
raisons compréhensibles et légitimes, cela ne veut pas dire qu'il
désavoue l'étude des significations. Bien au contraire, dans la
linguistique saussurienne la signification est la condition d'existence
première des faits du langage : en dehors de la signification il n'y a
plus rien de linguistique, car les entités linguistiques "ne sont rien
sans le sens qui s'y attache" ; par là la signification (le sens,
l'idée) devient le critère primordial d'identification des unités
-"significatives", rajoute-t-il- sur lesquelles opère la science du
langage elle-même. Bouquet remarque très justement que dans
l'épistémologie saussurienne la question de la délimitation des unités,
maintenue tout au long de la période genevoise, est considérée comme

"le fait le plus capital de la langue" (cf. Bouquet 1997, p. 292-296).
Le deuxième cours de 1908-1909 témoigne de l'insistance particulière de
Saussure sur le rôle de la signification dans la constitution des unités
linguistiques : "on ne peut établir autrement les unités que par la
signification" (Riedlinger II cours,p. 86).

"l'idée d'unité serait peut-être plus claire pour quelques-uns, si on
parlait d'unités significatives. Mais il faut insister sur le terme :
unité. Autrement, on est exposé à se faire une idée fausse et [à] croire
qu'il y a des mots existant comme unités et auxquels s'ajoute une
signification. C'est au contraire la signification qui délimite les mots
dans la pensée." (Idem, p. 41-42).

"Ce qui est significatif se traduit par une délimitation d'unité, c'est
la signification qui la crée, elle n'existe pas avant : ce ne sont pas
les unités qui sont là pour recevoir une signification." (Idem, p. 42).

"Plus il est nécessaire de rappeler pour les petites unités comme le
mot qu'elles ne sont rien sans le sens qui s'y attache, plus
réciproquement, dans l'étude des syntagmes étendus (phrases), il faut
insister sur les membres réels sans lesquels la figure de syntaxe ne
peut se traduire dans l'espace, hors desquels il n'y a rien". (Idem,
p. 99).

Aussi, le sens est-il la condition d'existence des langues elles-mêmes :
une langue existe seulement et uniquement si une idée s'associe à une
formephysique (un groupede sons articulés) : "Une langue existe si à
m+e+r s'attache une idée" (ELG, p. 20). Cette association prend corps
dans l'entité duale forme-sens que Saussure pose comme repère de toute
investigation linguistique : "Il paraît impossible en fait de donner une
prééminence à telle ou telle vérité fondamentale de la linguistique, de
manière à en faire le point de départ central : mais il y a cinq ou six
vérités fondamentales qui sont tellement liées entre elles, qu'on peut
partir indifféremment de l'une ou de l'autre, et qu'on arrivera
logiquement à toutes les autres et à toute l'infime ramification des
mêmes consequences en partant de l'une quelconque d'entre elles.

Par exemple, on peut se contenter uniquement de cette donnée :

"Il est faux (et impraticable) d'opposer la forme et le sens. Ce qui est
juste en revanche c'est d'opposer la figure vocale d'une part, et la
forme-sens de l'autre." (ELG, p. 17).

Ce passage qui ouvre le traité "De l'essence double du langage" annonce
et affirme le désaccord radical de la linguistique saussurienne avec les
traditions dominantes du XIXe siècle. Si, chez Saussure tout est dans la
forme (plus précisément dans la différence des formes, cf. ELG, p. 48),
c'est que cette forme-là est indissociable du sens, puisque le sens est
présent par définition dans la forme : "Forme. - N'est jamais synonyme
de figure vocale ; - Suppose nécessairement la présence d'un sens ou
d'un emploi ; - Relève de la catégorie des faits intérieurs." (ELG,
p. 81).
La "forme" ainsi définie exprime la forme-sens, puisqu'elle n'est
déterminée que par l'idée : "Mais en réalité il n'y a dans la langue
aucune détermination ni de l'idée ni de la forme ; il n'y a d'autre
détermination que celle de l'idée par la forme et celle de la forme par
l'idée." (ELG, p. 39).

Remarque : Dans la terminologie saussurienne "idée" et "sens" font
partie d'une série de termes déclarés expressément comme synonymes :
"Nous n'établissons aucune différence sérieuse entre les termes valeur,
sens, signification, fonction ou emploi d'une forme, ni même avec l'idée
comme contenu d'une forme ; ces termes sont synonymes." (ELG, p. 28).

Le concept saussurien de "forme" n'est pas comparable à la forme interne
humboldtienne, car, comme le remarque Auroux (2005), l'innere Sprachform
chez Humboldt vise "une organisation globale, une forme interne de la
langue, qui n'est assignable dans aucun de ses éléments, mais les
détermine tous", et c'est ainsi que Saussure interprète la linguistique
humboldtienne à laquelle il attribue une "valeur ethnologique" (cf. les
notes de Riedlinger du I cours, 1.2) ; or, c'est la forme
organisationnelle des langues qui est envisagée ici et non la forme de
l'unité linguistique particulière en tant que telle.
En revanche, on
peut entrevoir une certaine relation avec la conception humboldtienne de
Sprachform en tant que symbole : "Alle Sprachformen sind Symbole, nicht
die Dinge selbst, nicht verabredete Zeichen, sondern Laute, welche mit
den Dingen und Begriffen, die sie darstellen, durch den Geist, in dem
sie entstanden sind, und immerfort entstehen, sichin wirklichem, wenn
man es so nennen will, mystischen Zusammenhange befinden, welche die
Gegenstände der Wirklichkeit gleichsam aufgelöst in Ideen enthalten, und
nun auf eine Weise, der keine Gränze gedacht werden kann, verändern,
bestimmen, trennen und verbinden können" (VIII, 131).

["Toutes les formes de langage sont des symboles, non les choses mêmes,
non des signes conventionnels, mais des sons qui entretiennent avec les
choses et les concepts qu'ils présentent, par le fait de l'esprit dans
lequel ils sont nés et naissent constamment, une connexion réelle et, si
on veut la nommer ainsi, mystique, qui contiennent les objets de la
réalité pour ainsi dire résolus en idées, et peuvent, d'une façon pour
laquelle on ne peut penser de limite, les modifier, les déterminer, les
séparer et les relier" (traduction D. Thouard).]

Quels que soient les rapprochements historiques, l'important est de
retenir que le concept saussurien de forme est radicalement différent de
ce qu'on entend traditionnellement par "forme" : "l'aspect sous lequel
se présente un terme ou un énoncé" (cf. Marouzeau 1951) ; "dans son
acception traditionnelle, le mot forme s'oppose à contenu, à sens"
(Dubois 1972). Or, la conception traditionnelle de la forme, étant donné
son rattachement à l'aspect matériel des entités linguistiques,
correspond dans la terminologie saussurienne à la "figure vocale" qui,
souligne Saussure, n'a aucune signification pour la langue :

"1° La figure vocale en elle-même ne signifie rien.
2° La différence ou l'identité de la figure vocale elle-même ne signifie
RIEN.
3° L'idée en-elle-même ne signifie rien.
4° La différence ou l'identité de l'idée en elle-même ne signifie RIEN.
5° L'union de ce qui a une signification pour la langue c'est
a) la différence ou l'identité de l'idée SELON LES SIGNES ;
b) la différence ou l'identité des signes d'après l'idée ; et les deux
choses étant de plus indissolublement unies." (ELG, p. 73).

"Comment saisir l'extrême malentendu qui domine les raisonnements sur le
langage ?", s'interroge Saussure. "On pose qu'il existe des termes
doubles comportant une forme, un corps, un être phonétique -et une
signification, une idée, un être, une chose spirituelle. Nous disons
d'abord que la forme est la même chose que la signification, et que cet
être-là est quadruple." (ELG, p. 42).

Si forme et signification se fondent en un seul être, la question de la
substance devient non pertinente : "nous affirmerons ailleurs qu'il est
grandement illusoire de supposer qu'on peut discerner en linguistique un
premier ordre : SONS, et un second ordre : SIGNIFICATIONS, par la simple
raison que le fait linguistique est fondamentalement incapable de se
composer d'une seule de ces choses et réclame pour exister à aucun
instant une SUBSTANCE, NI DEUX substances" (ELG, p. 238). Comme le
remarque Bulea, "La position épistémologique ici formulée, et dont
Saussure ne s'écarte jamais, consiste en la rupture avec une double
tradition dualiste. Il refuse d'abord d'asseoir la réflexion sur le
langage sur la toile de fond du dualisme "primaire", ou "de substance",
qui sépare radicalement le physique et le psychique, le son matériel et
l'idée, et qui est en soi une "façon facile et pernicieuse" de concevoir
l'essence double" (Bulea 2005). C'est là que réside l'erreur de
l'interprétation de Hjelmslev qui, en cherchant à mieux comprendre
l'importance de la forme chez Saussure (à la base de sa lecture du CLG),
a maintenu la distinction primaire à travers ses concepts de "forme" et
"substance" du contenu / de l'expression, d'où le renvoi du sens
linguistique vers une description non linguistique : "Les considérations
que nous avons été amenés à faire à la suite de la distinction établie
par Saussure entre forme et substance conduisent à reconnaître que la
langue est une forme et qu'il existe en dehors de cette forme une
matière non linguistique, la "substance" saussurienne -le sens, qui
contracte une fonction avec cette forme. Alors qu'il revient à la
linguistique d'analyser la forme des langues, il sera tout aussi naturel
que les autres sciences en analysent le sens ; en projetant les
résultats de la linguistique sur les résultats de ces autres sciences,
on aura la projection de la forme linguistique sur le sens dans une
langue donnée." (PTL, p. 99-100).

Conséquemment, selon Saussure, toute l'entreprise linguistique consiste
à classer des objets duals formes-sens (signes-idées), car,
rappelons-le, "il n'y a point d'entité linguistique [...] hors de l'idée
qui peut s'y attacher". Il va de soi qu'une telle conception des objets
linguistiques désapprouve toute grammaire qui se concentre soit sur les
formes, soit sur le sens : "l'entreprise de classer les faits d'une
langue se trouve donc devant ce problème : de classer des accouplements
d'objets hétérogènes, (signes-idées), nullement, comme on est porté à le
supposer, de classer des objets simples et homogènes, ce qui serait le
cas si on avait à classer, dans signes ou idées. Il y a deux grammaires,
dont l'une est partie de l'idée, et l'autre du signe ; elles sont
fausses ou incomplètes toutes deux." (ELG, p. 20).

Dans le projet saussurien l'étude des significations est tellement
inséparable de l'étude des formes, que Saussure la projette sur l'objet
dual expression-signification : "Observation. Base entre autres choses
de toute étude [de] l'expression. Comprend l'étude des significations,
Base entre autres de l'expression : signification." (ELG, p. 328).
Hjelmslev, en bon exégète de la pensée saussurienne, a réussi
d'entrevoir, à travers l'opacité du CLG, la dualité
expression-signification chez Saussure qu'il a exprimée par le principe
de solidarité entre les deux plans.

La sémantique saussurienne est donc une partie intégrante de toute étude
des formes, et par conséquent, de toute la morphologie (au sens large,
voir infra) : "Nous disons qu'il n'y a point de morphologie hors du
sens, malgré que la forme matérielle soit l'élément le plus facile à
suivre. Il y a donc encore bien moins à nos yeux une sémantique hors de
la forme !" (ELG, p. 108).

Remarque : On notera chez Saussure, l'usage des termes morphologie et
grammaire "au sens étroit" (ELG, p. 35) et au sens large ; ici la
morphologie est considérée au sens large, qui correspondrait aujourd'hui
à morphonologie, morphosyntaxe et lexicologie réunies, car Saussure
conteste, à juste titre, les subdivisions de la grammaire traditionnelle
(cf. ELG, p. 85, 185, 196 ; CFS, n°15, p. 77, 93).

L'association entre la forme et le sens que Saussure déclare être "le
principe premier et dernier de cette dualité incessante qui frappe
jusque dans le plus infime paragraphe d'une grammaire" (ELG, p. 17-18)
imprègne toute l'oeuvre saussurienne, et les passages qui l'affirment
sont légion, à commencer par "De l'essence double" cité précédemment
jusqu'au dernier cours de 1910-1911 : "L'acte idéal par lequel, à un
instant donné, des noms seraient distribués aux choses, l'acte par
lequel un contrat serait passé entre les idées et les signes, entre les
signifiés et les signifiants, cet acte reste dans le seul domaine de
l'idée." (Notes de Constantin du IIIe cours, p. 312).

L'articulation entre le domaine du sens et celui des formes est très
claire chez Saussure : il y a, d'une part, le domaine de la pensée pure
qui n'appartient pas strictement à la linguistique. D'autre part, il y a
1° le domaine de la forme matérielle (forme acoustique) qui appartient à
la linguistique où elle est prise en charge par la phonétique, et 2° le
domaine de la forme-sens que Saussure attribue à la sémiologie, pour
faire face aux insuffisances des pratiques linguistiques dues à
l'isolationnisme et au démembrement des disciplines linguistiques :

"I. Domaine non linguistique de la pensée pure, ou sans signe vocal et
hors du signe vocal, se composant de quantités absolues.
II. Domaine linguistique du signe vocal (Sémiologie) : dans lequel il
est aussi vain de vouloir considérer l'idée hors du signe que le signe
hors de l'idée. Ce domaine est à la fois celui de la pensée relative, de
la figure vocale relative, et de la relation entre ces deux.
III. Domaine linguistique du son pur ou de ce qui sert de signe
considéré en lui-même et hors de toute relation avec la pensée =
PHONÉTIQUE." (ELG, p. 43-44).

Dans cette distribution, seuls les domaines II et III sont
linguistiques. Soulignons, toutefois, que le domaine de la forme-sens
(le signe) est psychique et intérieur, car "la signification mais aussi
le signe est un fait de conscience pur" (ELG, p. 19), tandis que le
domaine de la forme matérielle (le son pur) est extérieur et physique :
"Il y a un premier domaine, intérieur, psychique, où existe le signe
autant que la signification, l'un indissolublement lié à l'autre ; il y
en a un second, extérieur, où n'existe plus que le "signe", mais à cet
instant le signe réduit à une succession d'ondes sonores ne mérite pour
nous que le nom de figure vocale." (ELG, p. 21). "Admettre la forme hors
de son emploi c'est tomber dans la figure vocale qui relève de la
physiologie et de l'acoustique" (ELG, p. 31), et c'est le domaine de la
phonétique définie comme "la science qui traite des unités de sons à
établir d'après des caractères physiologiques et acoustiques" (ELG,
p. 182).

Remarque : Certains seraient tentés d'établir un parallélisme entre les
domaines linguistiques II et III chez Saussure et les domaines de la
première et de la deuxième articulation du langage chez Martinet, mais
ce rapprochement serait inexact, car, selon la distribution
saussurienne, une partie de la deuxième articulation tombe dans le
domaine de la forme-sens qui prévoit une place pour la "figure vocale
relative" étudiée, en termes modernes, par la phonologie telle qu'elle a
été formulée par Troubetzkoy : "La phonologie doit rechercher quelles
différences phoniques sont liées, dans la langue étudiée, à des
différences de signification, comment les éléments de différenciation se
comportent entre eux et selon quelles règles ils peuvent se combiner les
uns avec les autres pour former des mots ou des phrases" (1957, p. 12).
Notons, en passant, qu'un domaine non linguistique du son pur (étudié
par l'acoustique) aurait pu compléter la distribution saussurienne.

Le sens qui nous intéresse ici est à cheval entre le domaine non
linguistique de "la pensée pure" (I), et le domaine linguistique de la
forme-sens (II). Notons que dans la théorie saussurienne l'autonomie du
sens n'est envisagée que dans le domaine non linguistique du sens pur
(I) attribué à la psychologie : "l'idée [...] à elle seule, elle ne
représente qu'un côté de la valeur (traité par la psychologie pure !)"
(Notes de Riedlinger du IIe cours, p. 27).

Remarque : Étant donné qu'actuellement la psychologie n'est pas la seule
à examiner la question du sens, on retiendra que ce domaine appartient
aux disciplines qui étudient le sens non linguistique, autrement dit,
celui des langages non verbaux.

Le sens contenu dans les formes linguistiques appartient au domaine de
la forme-sens où il ne peut être que relatif ("pensée relative"). Quant
à la séparabilité de la dimension du sens dans le domaine linguistique
ce qui aurait délimité, par symétrie avec le troisième "domaine
linguistique du son pur", un quatrième "domaine linguistique du sens
pur", Saussure s'est interrogé sur cette possibilité qu'il regarde comme
"très douteuse", mais sans trancher cette question de manière
définitive : "les significations, les idées, les catégories
grammaticales hors des signes ; elles existent peut-être extérieurement
au domaine linguistique ; c'est une question très douteuse, à examiner
en tous cas par d'autres que le linguiste." (ELG, p. 73).

Remarque : Par la suite, on a assisté à de telles investigations dont
les résultats ne semblent pas concluants, du moins pour la théorie
linguistique : l'examen des philosophes a donné une sémantique logique
plus attachée à l'univers des objets qu'à celui des mots, et où les mots
servent à expliquer des problématiques non linguistiques comme celle de
la vérité ; l'examen des psychologues a donné une sémantique
psychologique où la subjectivité des représentations mentales l'emporte
sur le caractère social du langage (pour un aperçu critique voir Rastier
1994, p. 23 et sq.).

Examinée par les linguistes, la question de l'autonomie du sens a abouti
à la sémantique linguistique qui s'est constituée dans la seconde moitié
du XXe siècle, mais est-elle aussi affranchie des formes qu'elle le
prétend ? Ce n'est pas un hasard, il nous semble, que les meilleures
recherches sous l'en-tête de la sémantique tiennent compte du
signifiant : dans la "Sémantique générale" de Greimas, "le signifié
n'est signifié que parce qu'il est signifié, c'est-à-dire parce qu'il
existe un signifiant qui le signifie. Autrement dit, l'existence du
signifié présuppose celle du signifiant" (1966, p. 10) ; dans la
"Sémantique générale" de Pottier, "la sémantique structurale s'applique
à élucider les motivations du choix des signes dans une LN déterminée,
par des analyses en traits (sèmes) du signifié de ceux-ci, en relation
avec leur signifiant" (1992, p. 20) ; dans la "Sémantique
interprétative" de Rastier "une lecture doit identifier correctement les
morphèmes du texte lu, avant de déterminer leur contenu" (1987, p. 223).

Récapitulons. Les résultats insatisfaisants des tentatives d'autonomiser
l'étude du sens en linguistique semblent donner raison à Saussure pour
qui le sens est inimaginable en dehors du domaine des formes-sens (voir
supra). Ainsi, le concept de sens dans la linguistique saussurienne
demeure lié à la fois à la problématique du signifié et à celle du
signifiant, et même si l'on veut y voir deux champs séparées, la
sémantique restera une des trois problématiques principales de la
linguistique saussurienne telle qu'elle peut être déduite du corpus des
Écrits authentiques. Selon une appréciation grossière, les trois
premiers champs problématiques s'articulent autour de :

1° la problématique du signifiant : signe + forme + mot + aposème +
sôme... (plus de 950 occ) ;
2° la problématique de l'objet (de la linguistique) : langue(s) +
langage... (plus de 900 occ.) ;
3° la problématique du signifié : idée + sens + signification + parasème
+ parasôme + signifié + valeur... (plus de 650 occ.). Notons que dans la
hiérarchie des concepts saussuriens l'"idée" et le "sens" se
positionnent dans la première dizaine comme il suit : langue, chose,
signe, forme, mot, idée, langage, sens, temps, terme.

Corollaire : Tout le champ problématique du signifié peut être appelé
proprement sémantique, si l'on veut parler de "sémantique saussurienne",
mais si l'on préfère rester fidèle au projet saussurien dont le
bien-fondé sur ce point n'a pas été démenti, on se doit de dire que la
sémantique est la dimension obligée de toute la grammaire saussurienne,
que Bouquet (1997) a appelée très justement "une grammaire du sens", et
qui est relative à la linguistique des unités duales ; elle couvre aussi
bien le champ problématique du signifié que celui du signifiant, l'étude
des formes étant inséparable de l'étude du sens. Ce dualisme
épistémologique constitutif de la linguistique saussurienne appelle à
repenser dans cette optique toute la linguistique générale et annonce un
"véritable renversement méthodologique", comme le souligne Bulea (2005).
Enfin, un développement du projet saussurien semble envisageable : par
exemple, la "Sémantique pour l'analyse" plaide pour le remembrement des
disciplines linguistiques et propose une méthodologie unifiée pour
l'étude sémantique des formes linguistiques duales, de la moins étendue
(le morphème) à la plus étendue (le texte) à la base d'une approche
différentielle, dans l'esprit de l'épistémologie saussurienne (cf.
Rastier et al., 1994).

Rossitza Kyheng
(Extrait du document de travail "Les points de vue et la construction de
l'objet : les deux programmes épistémologiques dans la linguistique
saussurienne")

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{FR, 06/07/2006}

FLORILÈGE

        Le référentiel chez Ferdinand Gonseth

Gonseth F., Le référentiel, univers obligé de médiatisation, éd. L'Age
d'homme, Lausanne, 1975
Florilège établi par Evelyne Bourion

Stratégie de fondement vs d'engagement :

pp. 8-9 : Le discours par lequel une discipline mathématique s'édifie à
partir de ses énoncés de base (que ceux-ci soient ou non réunis dès le
départ en une base axiomatique) se plie rigoureusement à l'exercice
d'une rhétorique déductive. Or, la méthode axiomatique est le modèle le
plus clair d'une stratégie de fondement. La situation de départ posée, à
la fois dans ses énoncés et dans sa rhétorique, il est dans la méthode
que ce fondement ne soit plus remis en question. L'existence d'un
fondement et son intangibilité en même temps que la maîtrise d'une
rhétorique déductive permettant d'en exploiter rigoureusement le contenu
d'information sont donc les exigences premières d'une stratégie de
fondement.
L'appel fait à l'exemple (au paradigme) de la stratégie axiomatique et
de la rhétorique déductive peut donner à penser qu'une stratégie de
fondement ne tire sa valeur que de son propre fondement qu'elle pourrait
ainsi se faire, à partir d'un fondement inconditionnellement valable,
l'instrument de la recherche d'une vérité elle-même intangible. On peut
lui opposer une stratégie d'engagement dont l'information resterait à
tout moment ouverte à l'expérience et dont la rhétorique resterait
capable de s'infléchir en conséquence. Il n'est pas sans intérêt ni sans
conséquence que, sans quitter les mathématiques, on peut être amené à
pratiquer une stratégie plus souple que la stratégie axiomatique dont il
vient d'être question.
Il suffit de comparer, par exemple, pour en faire l'objet d'une même
réflexion, l'édification de la géométrie euclidienne d'une part, et
celle de la géométrie non euclidienne, dite hyperbolique d'autre part.

p. 11 : Le géomètre découvre comme un fait d'expérience, comme un fait
de sa propre expérience, que sa rhétorique discursive s'applique à
partir de bases axiomatiques dont la valeur de vérité reste en suspens.
En intégrant ce fait à sa stratégie, il peut prendre la liberté
d'édifier des systèmes concurrentiels. Sa rhétorique s'en trouve
modifiée : bien que chaque système reste déductivement cohérent, il n'en
est plus de même de leur réunion. L'activité géométrique n'en est
cependant pas suspendue, mais sa rhétorique doit s'ouvrir à d'autres
critères de validité que ceux de la logique déductive.
p. 21 : [...] l'usage du
mot référentiel a commencé par être extrêmement 
réduit et spécialisé : faisant partie de la géométrie analytique, il
désignait simplement un système d'axes de coordonnées. L'usage devait
tout naturellement s'en élargir par sa participation à la conception
d'espace à plus de trois dimensions. [...]
p. 22 : En somme, par un 
entraînement qui n'a rien de forcé, le mot référentiel en vient à
signifier l'ensemble (explicite ou implicite) des préalables faute
desquels telle ou telle activité systématique ne pourrait avoir lieu. Le
référentiel peut alors s'offrir comme un cadre où cette activité prendra
place. C'est ainsi que tout ce qui fait pour nous, en telle ou telle
circonstance, la "réalité" d'un terrain de jeu peut servir de
référentiel commun au joueur et au spectateur. [...] Jamais cependant le
référentiel, au moment où il remplit sa fonction, c'est-à-dire au moment
où il s'offre comme horizon de référence, ne se présente comme une
réalité déjà séparée : il est actualisé par la façon d'être, quant à
nous, de la situation. C'est une forme non seulement de notre rapport,
mais de notre appartenance à la situation. Cette appartenance peut
changer de mille et mille façons, le référentiel peut changer en
conséquence, sans qu'on sache par avance comment viennent s'y équilibrer
le changement du sujet et celui de la situation.
p. 34 : Si l'on juge que le
référentiel est comparable à un instrument 
mis au service du sujet, on ne s'étonnera pas de devoir lui reconnaître
les attributs indispensables à un usage conforme à la situation et à son
évolution, ceux de toutes les formes porteuses d'information :
l'incomplétude, le schématisme, la capacité de révision.

p. 27 à propos du langage :
a) le langage met partout en oeuvre une pré-information dont les sources
ne sont pas toutes à découvert.
b) L'univers des significations représente une élaboration spécifique de
l'information préalable, aux fins de son intégration à l'oeuvre du
discours
c) à partir d'un état quelconque de son information (par le truchement
des significations qui lui sont intégrées), le langage a le pouvoir d'en
poursuivre l'élaboration aux fins les plus diverses.
d) Sous la forme d'une stratégie d'engagement, la poursuite de cette
élaboration reste dans la dépendance d'un certain renouvellement de
l'information.
e) Quel que soit l'avancement de l'activité ré-élaboratrice du discours,
celui-ci n'a pas le pouvoir de se rendre autonome, de se détacher de ses
sources informationnelles.
f) Il n'est pas vrai que l'information dont l'?uvre d'un discours dépend
soit d'autant plus sûre qu'elle est plus près de ses sources. [...]
g) L'état d'avancement de la ré-élaboration peut différer selon les
niveaux de connaissance et les domaines où le discours s'opère.[...]
h) Les données informationnelles et pré-informationnelles que l'exercice
du langage requiert concernent pour une part la situation (le monde, la
société, etc.) à laquelle celui qui parle participe et pour une autre
part les façons que celui-ci a d'y ressentir et d'y faire valoir ses
propres valeurs et les exigences de sa vie personnelle.

p. 141 : dissocier les "vérités d'expérience" qui ne sont pas
"inconditionnelles", qui "visent à l'idonéité, à la vérité en
situation". "Or une vérité en situation ne fait que s'inspirer, dans la
mesure où la situation et notre propre mise en situation le permettent,
de l'exigence idéale d'une vérité inconditionnelle. Elle est révisable
toutes les fois que les circonstances viennent à l'exiger."

p. 147 : Dans le cas du référentiel [...] le subjectif et l'objectif
restent en symbiose. Il dépend de "l'observateur", de la façon dont il
s'engage ou dont il s'observe, que le référentiel lui offre sa face
objective plutôt que sa face subjective. Médiateur existentiel, le
référentiel réalise un équilibre (ne faudrait-il pas dire un
compromis ?) entre le subjectif et l'objectif, un équilibre parfois
contraignant, mais parfois aussi labile et même perfectible.

p. 150 : Il y a déjà longtemps que l'exposé encyclopédique d'une grande
discipline ne peut plus guère être le fait d'un seul auteur. Fait à
plusieurs, il peut être envisagé comme une forme collective de savoir
dont aucun des auteurs ni aucun praticien de la discipline ne dispose
dans sa teneur exacte et dans sa totalité. [...] Il en est de même de
tout dictionnaire qui vise à une certaine complétude, même s'il ne
s'agit que d'un dictionnaire spécial, d'un dictionnaire de la langue
française, par exemple. Il n'est que partiellement, imparfaitement et
incomplètement en possession de chacun de ceux qui parlent le français.
Il n'en exerce pas moins pour tous à la fois une fonction d'unification
et d'intégration dont chacun bénéficie, directement et indirectement.
C'est un référentiel linguistique collectif qui peut servir de modèle
universel pour les référentiels linguistiques particuliers que les uns
et les autres portent en eux.

p. 192 : Mais comment l'exigence de réalité trouve-telle à se
satisfaire ? Ce qui s'impose au sujet, ce ne sont pas des réalités en
soi. Ce sont des interprétations référentielles (c'est-à-dire
conditionnées par le référentiel établi) de la situation. Les
interprétations référentielles momentanées ne sont pas nécessairement
stables.

p. 198 : La fonction du référentiel est implacablement double et
ambivalente. Il met, d'une part, le projet d'exister en situation,
donnant forme au pouvoir-être et à l'obligation du devoir-être.
D'autre part, le projet qu'il conditionne ainsi n'est pas un projet
quelconque, c'est un projet d'exister. C'est pourquoi, à travers le
projet, par-delà le projet, c'est l'existence même de celui par qui le
projet s'effectue qu'il conditionne.

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