SÉMANTIQUE TEXTUELLE 1

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3.2.3. Analyses textuelles

Nous envisagerons des textes publicitaires surtout et quelques textes littéraires.

A. Relations de sens (polysémie, antonymie, hyperonymie/hyponymie pour les exemples traités)

a) « A ce prix-là, elle ne devrait pas être à ce prix-là »

Il s’agit d’une affiche publicitaire pour les magasins E. Leclerc comportant, outre l’énoncé, la représentation d’une bague accompagnée de l’indication de son prix.

Il s’agit évidemment de la relation de polysémie (on notera toutefois qu’elle concerne tout un syntagme et non un seul mot) ; le problème interprétatif réside dans cette apparente tautologie au sein d’une même phrase (condition d’accueil) qui induit une lecture dissimilatrice. L’interprétant est essentiellement représenté par ce que l’on sait de la politique commerciale des magasins Leclerc, offrant des produits de qualité à des prix défiant toute concurrence (prenant le contre-pied d’un topos général, au sens argumentatif cette fois et à valeur d’interprétant aussi, selon lequel si un produit est de bonne qualité alors il est cher : cet aspect dialogique ressort de la structure modale et négative « elle ne devrait pas »). Il semble raisonnable de penser que la seconde occurrence de « à ce prix-là » renvoie à la valeur marchande du bijou (localisation de la source) et donc que sur la première occurrence est actualisée (localisation de la cible) la valeur non marchande (sème /précieux/ ou /prestigieux/). Se trouvent conciliées qualité et modicité. Toutefois, le sens non marchand est surtout représenté par « de ce prix-là » postposé : on a affaire à une polysémie créée (avec la figure de l’antanaclase) et la phrase est plutôt bizarre…

b) « Vous choisissez entre confort et beauté ? Moi pas. »

Il s’agit d’une affiche publicitaire pour une marque de soutien-gorge dont l’image représente une jeune femme au buste revêtu de ce type de soutien-gorge et qui est censée prononcer la phrase ci-dessus.

L’antonymie ressort du choix exclusif, présenté syntaxiquement, qu’il y aurait à faire, selon un certain univers de croyance dans lequel le personnage de l’énoncé croit ou feint de croire que le destinataire de l’énoncé pourrait se trouver (dialogisme simulé) pour mieux le provoquer ou le séduire, entre confort et beauté. Cette antonymie n’appartient pas à la langue, mais au discours examiné qui réfère à une forme de doxa (critiquée ici) qui s’expliciterait dans un topos (à valeur d’interprétant) : plus un soutien-gorge est confortable, moins il est beau – et probablement inversement. Ce type de structure appartient au sens commun et est à relier aux réflexions actuelles des sémioticiens sur la valeur et la valence : ce qu’on gagne d’un côté, on le perd fatalement de l’autre. Cette antonymie discursive est (donnée comme) présupposée. On notera aussi que les sémèmes ‘beauté’ et ‘confort’ ne s’opposent pas axiologiquement, ils sont tous les deux positifs. L’antonymie n’est pas à ce niveau-là mais tient au caractère (présupposé) inconciliable entre valeur esthétique et pragmatique (peut-être sommes-nous au niveau des dimensions). Le discours publicitaire mis en scène récuse la fatalité de cette antonymie pour proposer une conciliation (qui s’apparente à une forme d’assimilation) entre ces valeurs senties communément comme contradictoires (conciliation relevant de l’utopie, comme dans les mythes, entre valeur pratique et valeur esthétique ; cf. aussi l’exemple publicitaire précédent). La persuasion repose sur un travail sur les structures sémantiques. On peut peut-être distinguer entre un discours-source (opposant les valeurs et dévalorisé) et un discours-cible (conciliant les valeurs et valorisé).

c) « Au lieu d’acheter une voiture, achetez une Saab » (affiche publicitaire pour une voiture Saab) et « Quand on est devant Canal +, au moins on n’est pas devant la télé » (publicité pour la chaîne C+).

C’est la relation hyperonymie/hyponymie qui est concernée dans ces deux exemples. Le problème interprétatif réside dans l’opposition (illogique) de l’élément (C+, Saab) et de la classe (télé, voiture) ; la condition d’accueil est représentée, dans une même phrase, par la matérialisation syntaxique de l’opposition (« au lieu d’acheter X, achetez Y », « quand on est devant X, au moins on n’est pas devant Y ») ; l’interprétant réside dans nos connaissances encyclopédiques (on sait que Saab est une voiture et que C+ est une chaîne de télé) et probablement aussi dans des contraintes juridiques pesant sur la publicité comparative ; l’énoncé veut signifier que Saab n’est pas une voiture et que C+ n’est pas de la télé : ce sens (l’élément n’appartient pas à la classe) s’oppose à notre savoir. D’une certaine façon, l’hyponyme privilégié (Saab et C+) sort de la classe (cette logique différenciatrice symbolique du produit n’est pas à négliger) et surtout devient un antonyme de la classe globalement, de l’hyperonyme (Np vs catégorie). On a affaire à un phénomène de dissimilation, avec actualisation par propagation des sèmes /haute qualité/ ou /prestige/ sur des termes-cibles (‘C+’ et ‘Saab’) et des sèmes /moindre qualité/ ou /moindre prestige/ sur des termes-sources (‘télé’ et ‘voiture’). On remarquera que de toute façon se reconstitue une catégorie qui comporte un axe commun /qualité/ qui se décline en /degré bas/ vs /degré haut/ et que les termes opposés appartiennent de toute manière à la classe générique (voiture, télé).

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